De nouveaux élans vers un nouveau monde
De nouveaux élans vers un nouveau monde
Les difficultés de la vie quotidienne pendant la guerre expliquent la volonté d'expansion économique qui la suit : produire plus, vendre plus, acheter plus... Le pays construit alors la société de consommation.
A. Montagard et C. Courtioux, "Maréchal, nous voilà", 1941. Couverture de la partition d'une chanson à la gloire de Pétain, éd. du Ver Luisant.
R. Rocher, "Le rationnement", juin 1942. Affiche de la Croix Rouge française, 955 x 1230.
Henri Lievens, Couverture de Marabout Flash n° 69, 1961.
Sous l'Occupation : une société divisée
Résistance et collaboration
Sous l’Occupation, la société est fortement fracturée, ce que symbolisent deux chansons (Cf. vidéos ci-contre) : l’une célèbre le maréchal Pétain, l’autre illustre les luttes des résistants.
Il est difficile d’évaluer le nombre de ces résistants, que l’occupant nomme « terroristes » : 20 000 tués en combattant, 30 000 fusillés par l’ennemi, et plus de 60 000 déportés dans des camps, où la moitié est morte. Un très petit pourcentage, donc, d'une population de 40 690 000 habitants, plutôt des jeunes, parmi eux des femmes et des étrangers immigrés, de toute appartenance politique et religieuse, et des actions de nature différente. Les uns prennent les armes, effectuent attentats et sabotages, d’autres se livrent à la contre-propagande dans des publications clandestines, encadrent des réseaux d’évasion pour les « indésirables » pourchassés par la Gestapo et la Milice, juifs, communistes, francs-maçons, tziganes, homosexuels... Ils fournissent des faux-papiers, assurent aussi le ravitaillement des « maquis » où se regroupent les « partisans » armés, font circuler les informations…
Deux chants symboliques :
- "Maréchal, nous voilà", par A. Dassary,
- "Le chant des partisans", par Y. Montand.
Mais tous ont le même but : libérer « le pays qu’on enchaîne », comme le proclame « le chant des partisans ».
Face à eux, certains s’engagent dans la collaboration avec les Allemands, « ont répondu présents » à l’ « appel suprême » du maréchal Pétain, selon les paroles de « Maréchal, nous voilà », reprises en chœur dans toutes les écoles françaises et lors des cérémonies où se répète la nouvelle devise du pays : « Travail, Famille, Patrie ». Mais là aussi diverses sont les formes prises par la collaboration. Il y a les cas extrêmes d’engagement, environ 6000 hommes dans la Légion des Volontaires Français, créée en 1941 pour combattre contre le bolchevisme au sein de l’armée allemande ou, en 1943, dans la Milice, organisation policière et para-militaire d’environ 15 000 agents actifs. Mais il y a aussi tous ceux que leur métier conduit à côtoyer les occupants : certains se contentent de subir cette contrainte, mais d’autres s’y prêtent d’autant plus volontiers qu’ils en tirent un substantiel profit, depuis ceux qui dénoncent un voisin, dans l’espoir de récupérer ses biens, jusqu’aux directeurs de bars, restaurants, cabarets, salles de spectacle qui s’enrichissent grâce aux plaisirs offerts aux Allemands par le « gay Paris ».
Villes et campagnes
L'autre fracture est d’ordre économique, entre les villes, qui subissent de plein fouet les restrictions de toute nature, et les campagnes, où la vie est plus facile : on peut y trouver du bois pour se chauffer, élever volailles et lapins, cultiver légumes et pommes de terre, avoir du lait, des œufs, des fruits… En ville, au contraire, on manque de tout : les cartes de rationnement, dès septembre 40, établissent 8 catégories, selon l’âge et l’activité ; cependant les tickets, pour l’alimentation générale, le lait, le sucre, les œufs, mais aussi le textile, les chaussures, le charbon, le tabac… ne couvrent pas réellement les besoins. Certes, l'imagination s'avère efficace : des vélos-taxis, du bois pour les semelles des chaussures, de la paille, de la ficelle ou de la corde pour des tissus, de la teinture pour figurer des bas, sur lesquels on dessine même une couture... Mais, malgré tous les efforts, le pays a froid, le pays a faim, et des queues s'allongent devant les magasins, souvent vides quand on atteint le seuil de la porte… De là un nouveau « métier », celui de "remplaçant" dans la file !
Et une nouvelle activité, le marché noir, prospère malgré son interdiction. Tantôt, il n’est que ponctuel : on part à la campagne, et on en revient avec un jambon, du beurre, quelques légumes dans une valise, en espérant échapper aux contrôles à la gare ou à la descente de l’autocar. Tantôt, il est parfaitement organisé par des bouchers, des épiciers, ceux que l’on nomme les B.O.F (beurre, œuf, fromage), qui vendent, à des prix exorbitants, les denrées manquantes, réalisant ainsi des fortunes considérables !
M. Chevalier, "La Symphonie des semelles de bois", 1942.
Pour en savoir plus, 3 sites très riches : cliquer sur les images...
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... et un site interactif ludique : cliquer sur l'image.
Après la guerre : la société de consommation
Le logement
La paix ne résout pas pour autant toutes les difficultés... il faut attendre l'aide américaine du Plan Marshall, signé en avril 1948, pour que s'améliore le ravitaillement, mais il y a encore des tickets pour le sucre, l'essence, le café jusqu'en 1949. Mais le pire est le manque de logements : la périphérie des grandes villes voit pousser des "bidonvilles", où s'entasse une population démunie, avec de nombreux travailleurs immigrés, beaucoup d'appartements sont insalubres, dépourvus de toilettes, et les sans-abri sont nombreux. En témoigne l'appel lancé par l'abbé Pierre...
L'abbé Pierre, Paris-Match, n° 255, 13-20 février 1954.
Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !
Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime »
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci ! Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques
Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.
L'abbé Pierre, appel du 1er février 1954, lancé sur "Radio-Luxembourg".
Alors les chantiers de construction se multiplient : logements, écoles, stades... C'est l'époque des H.L.M., habitations à loyer modéré, grands ensembles de barres verticales qui se dressent dans les banlieues. Le modèle en est la cité de Sarcelles, bâtie entre 1958 et 1961... mais très rapidement l'aspect déshumanisant de tels lieux se trouve dénoncé ! "Cités-dortoirs", béton gris, absence de lieux de socialisation... on, parle même de "sarcellite" pour qualifier le mal de vivre généré par l'absence d'âme de cet habitat qui, certes, offre des logements modernes, mais où l'homme étouffe.
Les barres de Sarcelles
Le mobilier des années 50-60.
« Dix mille logements, tous avec l'eau chaude et une salle de bain! c'est quelque chose! » disait Ethel. Ils discutaient de Sarcelles, j'avais raconté mon voyage.
« Oui, dit M Lefranc.
- Oui, dit après lui Frédéric.
- Vous n'avez pas l'air enthousiastes, dit Ethel.
- Si, dit le père.
- Si, si, dit le fils. C'est très bien, quoi.
- Bien sûr que c'est très bien ! dit Ethel. Il y a encore des gens qui sont entassés à six dans une chambre d'hôtel avec un réchaud à alcool pour faire la cuisine, j'en connais.
- Même toi tu as vécu comme ça, lui dit son père. Tu ne peux pas te rappeler, tu avais six mois quand on a bougé.
- Ce biberon, quelle histoire ! dit la mère.
- Moi je m'en souviens, dit Frédéric. Ça donnait sur une cour dégueulasse, qui puait.
- Nous on a d'abord habité dans le XIII° , dis-je. Il y avait des rats. Je me souviens que j'avais peur.
- Moi je suis née dans un sous-sol, dit Mme Lefranc, je crois bien que je n'ai pas vu le soleil avant l'âge de raison. Ma mère a eu quatorze enfants, il lui en reste quatre. Dans ce temps-là nourrir sa famille c'était un drôle de problème pour un homme, il fallait se battre ... je me souviens comme mon père était en fureur, dit-elle, avec un sourire. Et les grèves ... le chômage ... les bagarres.
- Eh bien ? dit Ethel. Les gens sont tout de même plus heureux maintenant, non ?
- Oui, dit Frédéric, ils sont plus heureux ...
- Mais ? dit Ethel à son frère.
- Je n'ai pas dit mais.
- Tu ne l'as pas dit mais je l'ai entendu, dit Ethel.
- Bon, dit Frédéric. Mais.
- Les gens ne sont pas plus heureux ? insista sa sœur. Ethel ne lâchait jamais prise.
- Si, dit Frédéric, rogue. [...]
- Si le bonheur consiste à accumuler des appareils ménagers et à se foutre pas mal du reste, ils sont heureux, oui ! éclata Frédéric. Et pendant ce temps-là les fabricants filent leur camelote à grands coups de publicité et de crédit, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ...
- Capitalistes, dit le père.
- Le confort n'est pas le bonheur ! dit Frédéric, lancé.
- Qu'est-ce que c'est le bonheur ? dit Ethel.
- Je ne sais pas, grogna Frédéric.
- Mais dis-moi, qu'on arrive à se poser ce genre de question au lieu de comment bouffer, ça ne prouve pas qu'on a tout de même un peu avancé ? dit M Lefranc.
- Peut-être, dit Frédéric. Peut-être bien, dans le fond.
- Pour découvrir que le confort ne fait pas le bonheur, il faut y avoir goûté, non ? C'est une question de temps ... Quand tout le monde l'aura, on finira bien par se poser la question. Ce qu'il faut c'est regarder un peu loin. Moi je
ne verrai sans doute pas ça, mais vous, vous le verrez.
- Au fond, le bonheur c'est vivre dans l'avenir. »
Christiane Rochefort, Les petits Enfants du siècle, 1961
Une image critique de la banlieue dans Les Eaux mêlées, tome 2 (1955), roman de Roger Ikor : cliquer sur le lien.
Boris Vian, "La Complainte du progrès", 1955.
Le confort
Parallèlement, les conditions de production se modernisent : on produit plus, on peut donc vendre moins cher... Des objets, autrefois réservés aux plus riches, entrent dans les familles "de classe moyenne" : mobilier fonctionnel, recouvert de formica aux couleurs vives, dans des cuisines pourvues d'appareils ménagers, la radio du salon est peu à peu remplacée par le téléviseur, autour duquel la famille se réunit, et les transistors et électrophones permettent d'écouter de la musique dans tout l'appartement, et même au dehors !
La voiture aussi se démocratise, par exemple la Dauphine de Renault, fabriquée de 1956 à 1957, ouvre à davantage de familles la route des vacances, d'autant que cette firme inaugure pour ses employés la 3ème semaine de congés payés dès 1955, généralisée par une loi en 1956, puis la 4ème en 1963, ouvrant ainsi la route à une généralisation en 1969. Le pays entre dans la "société de consommation", posée comme un idéal de vie... dont se moque Boris Vian dans sa "Complainte du progrès", en 1955.
Une nouvelle force sociale : la jeunesse
Paradoxalement, en créant la catégorie des « J 3 », pour ceux âgés de 13 à 21 ans, l’organisation administrative des tickets de rationnement donne vie à une force qui va s’affirmer dans l’après-guerre, la jeunesse.
Déjà pendant la guerre, les « zazous », avec leur style décontracté, cheveux et vêtements trop longs, bravent les exigences morales du régime de Vichy. À la Libération, ils veulent profiter pleinement de l’existence… Ils seront vite rattrapés par les guerres coloniales ! Mais, en attendant, ils veulent danser, rire, s’amuser… , désirs que les plus intellectuels d’entre eux légitiment par leur interprétation de la philosophie existentialiste de Sartre, largement détournée de son sens. Ainsi, à Paris, le quartier de Saint-Germain-des-Prés, avec ses cafés, « Le Flore », « Les deux Magots », et ses caves où l’on danse sur des airs de jazz, telle celle du « Tabou », accueille une jeunesse qui se veut transgressive, et proclame son droit à la liberté.
Le baby-boom de l'après-guerre en consolide la puissance dans les années 60, car cette jeunesse est aussi consommatrice. Les producteurs l'ont bien compris, qui lui créent ses propres modes vestimentaires, et ses musiques : le rock’ n’roll laisse place à la génération des « yé-yé » qui danse au rythme du twist, par exemple au « Golf Drouot » à Paris. Des « idoles » apparaissent, Johny Halliday, Sylvie Vartan, Sheila ou Claude François… la liste est longue, et des magazines spécialisés leur sont dédiés, comme Salut les copains, lancé en 1962, qui fait suite à une émission de radio très suivie depuis 1959.
Danser dans une cave de Saint-Germain-des-Prés
Johny Halliday (au centre) et Eddy Mitchel (à droite), avec Henri Leproux, fondateur du Golf Drouot.
Les années 60.
L’explosion de mai 68 est le reflet de ces nouvelles aspirations, mélange d’un idéal pacifiste hérité du mouvement hippie, né aux Etats-Unis dans les années 60, et d’un idéal révolutionnaire, car cette jeunesse ne reste pas indifférente aux événements historiques qui secouent le monde : décolonisation, essais nucléaires, guerres de Corée et du Vietnam, mort de Che Guevara, en 1967, qui fait de lui le héros d’un mythe révolutionnaire. Le fossé s’est creusé entre les parents, encore imprégnés des exigences du travail et des règles de la morale, et leurs enfants, qui veulent voir « l’imagination au pouvoir » et proclament, en les lançant contre les policiers, « sous les pavés la plage ». C'est la fin d'une forme de patriarcat.
L'essor des médias
La guerre a fortement limité l'information, à cause de la censure, mais aussi des restrictions de papier, et surtout de la propagande, qui oriente des contenus, comme le chante le générique d'une émission de la BBC : "Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand." La BBC, radio anglaise qu'il est d'ailleurs interdit d'écouter, comme il est interdit de lire les journaux clandestins, tels Franc-Tireur (1941) ou Combat (1942), le plus souvent quelques feuillets dactylographiés et tirés à très peu d'exemplaires, mais qui entretiennent l'esprit de résistance.
La presse
La Libération voit donc renaître de nombreux quotidiens, comme L'Humanité ou Le Figaro, Paris-Soir ou L'Aube, tandis que de nouveaux se créent ; en 1946, jusqu'à 36, mais les difficultés matérielles en réduisent le nombre à 14 en 1950.
"Mai 68", vu par trois magazines.
Sont aussi lancés des magazines hebdomadaires, richement illustrés, comme Paris-Match (1949) dont le slogan proclame "Le poids des mots, le choc des photos", ou qui veulent approfondir la réflexion économique, politique et sociale, tels L'Express (1953) ou Le nouvel Observateur (1964). Enfin, se multiplient les magazines spécialisés, destinés aux enfants, à la jeunesse, aux sportifs, aux intellectuels, aux téléspectateurs... et, bien sûr, aux femmes, importante clientèle par exemple pour Jours de France (1944) ou Elle (1945).
La radiodiffusion
Les progrès techniques de la radiodiffusion, et notamment la multiplication des transistors, conduisent à augmenter le nombre des auditeurs et à varier les émissions. Elle reste, certes, un monopole de l'Etat, qui contrôle "France-Inter", et crée, en 1963, la "Maison de la radio" pour mieux organiser la diffusion ; mais l'Etat ne peut empêcher l'installation aux frontières de chaînes privées, par exemple Radio-Luxembourg, Radio Monte-Carlo, et Europe n°1 - très appréciée des plus jeunes - qui diffusent largement l'information et proposent des émissions politiques, musicales, littéraires... de qualité.
La 1ère "Une" du magazine Elle, 21 novembre 1949.
La télévision
L'essor de la télévision est rapide : en février 1950 est programmée la première émission de télévision en direct, une pièce de Marivaux, en 1954 est fondée l'Eurovision, pour des échanges européens, en 1956 est diffusé depuis la Suisse le 1er concours de la chanson en Eurovision, en 1962, le satellite américain Telstar pemet à la station mondo-vision de Pleumeur-Bodou (Côtes-du-Nord) de capter une émission outre-atlantique, et, en avril 64, les téléspectateurs découvrent une émission diffusée du Japon... Dès les années 60, le téléviseur entre dans de nombreux foyers : on passe du noir et blanc à la couleur en 1967, avec une chaîne, puis deux. Mais dans ce domaine aussi le contrôle de l'Etat reste strict, à travers l'ORTF, Office de la Radio-Télévision française, qui assure aussi la création d'amissions destinées à des publics variés, grands reportages comme dans "Cinq Colonnes à la Une", feuilletons, jeux dans "Intervilles", sport "en direct", et spectacles culturels, dans "Au théâtre ce soir". Ainsi, même s'il n'en mesure pas encore toutes les conséquences, le pays entre alors définitivement dans "l'ère de l'image" et de la "vitesse" de l'information.
Pour découvrir les émissions télévisées des années 60 et leurs génériques.
Sciences et techniques, de mai 40 à mai 68
La recherche vit un nouvel élan, notamment dans les domaines de la conquête spatiale et de l'atome. L'homme connaît mieux son univers, et son propre corps, grâce à la génétique. Mais ce progrès génère aussi de l'angoisse.
Le Commandant Cousteau et sa "Calypso" : 1ère mission dans la mer Rouge, 1951.
L'usine marée-motrice sur la Rance, inaugurée en 1966.
Une transplantation d'organe : l'équipe au travail.
La connaissance de l'univers
Dès 1939, la création du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) s'est donné pour but le développement de la recherche, et la coordination des travaux scientifiques et de leurs applications. Mais la guerre n'avait guère favorisé ces recherches, relancées après la Libération par la refondation du CNRS, sous la direction de Frédéric Joliot-Curie. Une nouvelle impulsion est donnée en 1958, car la V° République reconnaît à la recherche scientifique, fondamentale et appliquée, un rôle prépondérant dans le progrès économique et social.
Cela commence avec les mathématiques : les travaux de Jean Leray et Laurent Schwartz sur la théorie des fonctions et sur les équations aux dérivées partielles servent à la physique. Par exemple, Alfred Kastler invente en 1950, avec Bitter et Brossel, le "pompage optique" qui permet de modifier les états des atomes par l'action de la lumière, ce qui permet la mise au point des lasers et des masers.
Mais, au fur et à mesure de leurs progrès, les recherches font naître des disciplines nouvelles : physique nucléaire, thermochimie, électromagnétisme, spectrochimie... Paradoxe ultime : alors même qu'il en sait plus sur son univers, l'homme s'éloigne d'une connaissance complète de ses lois, comme l'explique L. Leprince-Ringuet (Cf. Extrait ci-contre).
L’homme a tellement travaillé, par groupes si nombreux, dans des domaines si divers, que chaque branche de notre savoir est devenue un arbre très complexe dont il est fort difficile d’atteindre toutes les ramifications. Nous ne sommes pas universels ; nous ne pouvons plus, comme l’honnête homme du XVII° siècle, appréhender l’ensemble des sciences : nous devenons nécessairement très spécialisés à mesure que l’humanité poursuit plus avant son effort de connaissance et de conquête.
C’est bien un des caractères dominants de notre siècle que ce cheminement parallèle de techniques difficiles, poursuivant leur évolution vers une complexité dont la perfection interdit presque l’approche. Et pourtant, nous souhaitons tous, avidement, ne pas rester à l’écart ; nous voulons connaître et comprendre : le défrichement de notre univers ne peut nous laisser indifférents…
Il faut dire également que la connaissance de l’homme a dépassé les objets familiers, les dimensions auxquelles nous sommes, dès notre enfance, habitués. Nous plongeons dans l’abîme des vitesses supersoniques, toutes nouvelles, et les représentations que nous pouvons nous faire de l’atome, ainsi que de son noyau par une extrême réduction des particules les plus petites, accessibles à nos sens, sont des images fort grossières dont l’inexactitude est flagrante. C’est ainsi que les passages sur les structures des noyaux, sur les électrons, sur leurs déplacements dans les semi-conducteurs et, à l’opposé, sur les mouvements des galaxies, contiennent des difficultés supplémentaires dues à l’impossibilité de notre adaptation à ces réalités.
Louis Leprince-Ringuet, Les grandes Découvertes du XX° siècle, 1956
L'ère de l'atome
Les deux bombes atomiques qui, en tombant sur le Japon, mettent fin à la guerre, font entrer le pays dans l'ère atomique... Elles contribuent aussi à faire basculer les consciences de l'optimisme, de la confiance en la science, héritage de la fin du XIX° siècle, vers un pessimisme angoissé : la science ne fait-elle pas courir des risques plus grands pour la planète et pour l'homme que les progrès qu'elle génère ? Mais la recherche ne s'arrête pas pour autant : pour preuves, la création du Commissariat à l'Energie atomique (CEA), chargé en 1945, de donner à la France la maîtrise de l'atome dans les domaines de l'énergie, de l'industrie, de la santé, de l'environnement et de la défense..., et la pile atomique, "Zoé", mise au point dès 1948 par Joliot-Curie. D'un côté, le pays travaille activement autour du nucléaire, de l'autre ce même Joliot-Curie lance la pétition appelée 'Appel de Stockholm", qui récolte des millions de signatures :
« APPEL
Nous exigeons l'interdiction absolue de l'arme atomique, arme d'épouvante et d'extermination massive des populations.
Nous exigeons l'établissement d'un rigoureux contrôle international pour assurer l'application de cette mesure d'interdiction.
Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n'importe quel pays, l'arme atomique, commettrait un crime contre l'humanité et serait à traiter comme criminel de guerre.
Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel. »
— Stockholm, 19 mars 1950
Ainsi, si le plan quinquennal de 1952 affirme la volonté de développer l'énergie atomique "à des fins exclusivement pacifiques", le général de Gaulle, lui, en faisant reprendre, en 1960, les essais nucléaires français, exprime sa satisfaction de voir une France "plus forte et plus fière" devenir la quatrième puissance atomique mondiale, et il refuse de signer, en 1963, l'accord de Moscou qui prévoit leur arrêt. Ils se poursuivent, d'abord dans le Sahara, puis dans le Pacifique, sur l'atoll de Mururoa. Enfin, en 1967, le sous-marin "Le Redoutable" lancé à Cherbourg, est équipé de l'arme nucléaire.
De la planète terre à l'espace
B. Tinari, Appel de Stockholm, 1950. Affiche.
Ce nouvel élan de conquête s'inscrit dans un double contexte, bien au-delà du simple désir de connaissances et d'exploration : les besoins en énergie d'une économie en plein essor, et la guerre froide qui accentue la concurrence entre les grandes puissances mondiales.
Après la guerre, la terre entière s'ouvre aux nouveaux explorateurs, tel Paul-Emile Victor qui poursuit, à la tête des Expéditions Polaires Françaises, ses missions entreprises avant la guerre : en Terre-Adélie, au Groenland, il ne cesse de défendre l'homme et son environnement en étudiant le climat, la faune, la flore, la géologie... D'autres s'enfoncent dans la terre : la spéléologie développe ses techniques, tout comme la vulcanologie, popularisée par les explorations d'Haroun Tazieff. Sans oublier l'océanographie : dès 1951 le commandant Cousteau, à bord du navire qu'il a équipé, "la Calypso", étudie les fonds marins dans la mer Rouge, tandis que Jacques Piccard et son fils découvrent les profondeurs à bord de leur bathyscaphe, "le Trieste". Tous font partager à un large public leurs découvertes, en produisant des films superbes, comme Le Monde du Silence, tourné par l'équipe Cousteau et primé par la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1956.
Mais ces recherches ne sont pas désintéressées. Il s'agit aussi de rechercher une meilleure utilisation des sources potentielles d'énergie, le charbon ne suffit plus. Ainsi, les plans quinquennaux lancent des prospections, pour exploiter le pétrole, notamment en Algérie, l'uranium, mais aussi pour utiliser la géothermie, la force des marées, avec l'usine marée-motrice sur la Rance, inaugurée en 1966, la force hydraulique... La terrible catastrophe provoquée par la rupture du grand barrage de Malpasset, en décembre 1959, ne freine pas leur construction : celui de Serre-Ponçon, par exemple, est mis en service en 1960. Le gisement de gaz naturel, découvert à Lacq en 1951, contribue lui aussi grandement à l'essor industriel.
Le "Trieste", bathyscaphe de Piccard : mise à l'eau.
Le Monde du Silence. Affiche du film, 1955.
Parallèlement débute la conquête spatiale, bien modestement pour la France si on la compare aux exploits des Russes et des Américains, mais résolument comme le montre la création du Centre National d'Etudes Spatiales en 1961. Le premier satellite français, baptisé "Astérix", est lancé, en 1965, du centre d'Hammguir, en Algérie, par la fusée Diamant, tandis que commencent les travaux de la base de Kourou, en Guyane.
Le développement des transports
La liberté reconquise et ces nouvelles explorations donnent à chacun le goût des voyages, qui se démocratisent car l'automobile n'est plus un luxe, et le réseau routier s'améliore : autoroutes, dont la construction se développe grâce au "péage", institué en 1960, tunnels, comme celui du Mont-Blanc, le plus long du monde lors de son inauguration en 1965. La SNCF généralise peu à peu la traction électrique, entreprise dès 1952 sur la ligne Paris-Lyon, et les trains battent chaque année des records de vitesse. "Plus vite, plus loin, plus grand" pourrait être alors la devise des constructeurs, qu'il s'agisse du paquebot "France", lancé en 1960, ou de l'aviation, avec l'industrie militaire Dassault, ses "Mystères" et son Mirage F1, en 1966, ou la compagnie Air France, qui ouvre, en 1958, une ligne Paris-Tokyo par le Pôle, et lance, en 1959, la Caravelle, premier avion à réaction.
Un géant des mers, "Le France", au large du Havre.
La connaissance de l'homme
De la recherche en biologie aux progrès de la médecine
La recherche biologique et médicale, elle aussi, devient particulièrement active. Créé en 1946, l’Institut National de la Recherche Agronomique doit répondre à la volonté de mieux nourrir les hommes et de préserver leur santé, à la fois par une meilleure compréhension des systèmes biologiques complexes et par le développement de technologies performantes.
Mais c’est la génétique qui s’avère vraiment prometteuse, à partir des travaux de Jean Rostand (1894-1977) sur la parthénogénèse, reproduction non sexuée, de ceux d’André Lwoff, Jacques Monod et François Jacob, d’où naît le concept de régénération génétique et qui leur valent le Prix Nobel de médecine en 1965. Enfin, en 1952, Jean Dausset (1916-2009) publie ses premières découvertes sur le système HLA, « carte d’identité » génétique, et poursuit des recherches en immunologie : la connaissance de la compatibilité des tissus permet alors de réussir les greffes, en empêchant le rejet.
La chirurgie peut alors prendre le relais. D’une part l’amélioration des techniques radiographiques affine les diagnostics et aide les actes opératoires, tandis que les étudiants apprennent mieux à partir des films d’opérations. D’autre part, on assiste aux premières transplantations, soit grâce à des pièces artificielles, soit par greffe d’organes vivants, telle celle d’un rein, réalisée par Jean Hamburger en 1952, ou celle de valves et de valvules cardiaques, par Jean-Paul Binet en 1960, pour ne citer que quelques-uns de ces exploits. Mais ils posent également de nouvelles questions : jusqu’où aller pour « réparer » l’homme ? Ne risque-t-il pas d’être ainsi déshumanisé, comme l'explique Jean Rostand ?
La 1ère greffe d'un rein : d'une mère à son fils.
Ce n'est pas, en effet, parce qu'on les admire, ces merveilleux progrès de la biologie, parce qu'on ne peut faire autrement que de s'enthousiasmer pour les perspectives grandioses que le laboratoire découvre au destin de l'homme, ce n'est pas pour cela qu'on ne voit pas, qu'on ne comprend pas, qu'on ne sent pas ce qu'il peut y avoir de troublant, de déconcertant, d'effrayant à voir l'homme peu à peu s'approcher de l'homme avec ses grosses mains et se préparer à éprouver sur lui-même les effets d'une sorcellerie bégayante... Quel biologiste digne de ce nom pourrait, sans une secrète émotion, et même s'il en a appelé la venue, voir venir l'heure où la technique va oser s'en prendre à l'être pensant... Nous, qu'on appelle les « scientistes » et nous ne refusons pas cette appellation, il en est de moins honorables nous ne sommes pas si grossièrement et naïvement insensibles qu'on veut bien le croire...
Ce n'est pas parce que nous laissons l'homme dans la nature que nous avons pour lui moins de respect et que nous sommes disposés à lui manquer d'égards. J'irais même jusqu'à dire que, peut-être, le respect de l'homme devrait être encore plus grand chez ceux qui ne croient qu'en l'homme et qui, dénués de toute illusion de transcendance, ne savent voir en lui qu'une bête non pareille, n'ayant d'autre obligation qu'envers elle-même, n'ayant à écouter d'autre loi que la sienne, n'ayant d'autres valeurs à révéler que celles qu'elle s'est données.
Jean Rostand, "Peut-on modifier l'Homme ?" in La Diane française, 1953, Ed. Hachette.
C'est la biologie elle-même qui apporte la réponse : une « morale biologique » peut définir « les devoirs qui incombent à l’être humain, du seul fait qu’il possède un cerveau supérieurement organisé », ajoute Rostand.
A la psychiatrie d’intervenir alors sur ce cerveau pour explorer des voies nouvelles par l’électro-encéphalographie, et étudier les maladies de la mémoire, la somatisation. Jean Delay (1907-1987) s’y distingue, en inaugurant l’ère des médicaments neuroleptiques.
L’évolution est aussi marquée par le développement de la prévention, d’abord par la vaccination : deviennent obligatoires le BCG en 1950, permettant de mieux lutter contre la tuberculose, et, en 1964, le vaccin antipoliomyélite. Dans les écoles comme dans les entreprises, des examens médicaux sont systématiquement effectués, sources de dépistages, comme aussi la radiographie, telle la mammographie, mise au point en 1953 par le docteur Villemin, qui améliore le traitement précoce du cancer du sein. Une autre nouveauté commence à se répandre, grâce aux efforts du Mouvement Français pour le Planning Familial, qui succède, en 1960, à l'association "La Maternité heureuse" : la contraception. La « pilule » est enfin autorisée en France par la loi Neuwirth en 1967, mais cette nouvelle liberté, précieuse pour les femmes, suscite encore bien des débats, tout comme la demande d'un droit à l'avortement.
Le Planning familial. Affiche.
Histoire des idées, de mai 40 à mai 68
La guerre de 1939-45 a joué un rôle essentiel dans l'histoire des idées, et a modifié l'image du philosophe : on exige de lui des réponses aux questions les plus diverses, et qu'il s'engage. Après l'existentialisme naît le structuralisme.
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre au Café de Flore, Paris. AFP/Getty images.
Claude Lévi-Strauss, au Brésil.
Roland Barthes. Timbre pour le centenaire de sa naissance, 2015. Gravure en taille-douce.
Les idées philosophiques
Après les pénibles réalités de l'Occupation, puis la découverte des camps de déportation et d'extermination nazis, l'explosion atomique, la "guerre froide" et les guerres coloniales... , comment le philosophe pourrait-il en rester à la seule réflexion métaphysique ? D'un côté, il perçoit le néant humain, le poids de l'Histoire, ce qui induit une remise en cause des valeurs traditionnelles ; de l'autre, il est très conscient de la volonté d'exister pleinement de la jeunesse, après l'explosion de la Libération, et mesure le désir de liberté, le refus des contraintes. Face à ces contradictions, le philosophe, en choisissant de s'engager, joue un nouveau rôle, celui de guide.
L'existentialisme
C'est dans la lignée du pessimisme du danois Søren Kierkegaard (1813-1855) que s'inscrivent les philosophies de l'existence, qui naissent en Allemagne dans les années Trente avec Edmund Husserl (1859-1938) et Martin Heidegger (1889-1976). Elles s'opposent aux philosophies "de l'essence", pour lesquelles il existe un Absolu qui transcende l'homme, une Idée vers laquelle tend la conscience. Pour elles, c'est "l'existence" qui prime, c'est-à-dire la conscience malheureuse, "jetée" seule dans le monde, contrainte à faire des choix pour construire son propre destin face au poids de l'Histoire, aux contraintes d'ordre social, et aux limites inhérentes à la condition humaine. Sartre et ceux qui se réclameront de "l'existentialisme" reprennent ces concepts, tout en cherchant à fonder de nouvelles valeurs.
Jean-Paul Sartre (1905-1980)
R. Gray, Jean-Paul Sartre, 1965. Esquisse pour le New York Times.
Agrégé de philosophie, Sartre devient enseignant, se retrouve mobilisé quand la guerre éclate, puis prisonnier. Mais il s'évade en 1941, redevient professeur - sans vraiment participer aux combats de la Résistance - jusqu'à la Libération où il décide de se consacrer à l'écriture. Il fonde, en 1946, une revue philosophique destinée à réfléchir sur l'actualité, Les Temps modernes, puis va faire alterner les écrits purement philosophiques, comme L'Etre et le Néant (1943), L'Existentialisme est un humanisme (1946) ou Critique de la raison dialectique (1960) avec des essais de critique littéraire et, surtout, des romans et des pièces de théâtre qui contribuent à diffuser plus largement ses conceptions.
Il part de "l'être", et de sa solitude existentielle dans un monde sans dieu. Mais c'est précisément cette solitude qui le "condamn[e] à être libre", puisqu'il doit alors, par chaque pensée et chaque action, se déterminer face à l'Histoire et s'affirmer pleinement responsable de son existence : "L'homme est ce qu'il se fait", malgré tous les alibis que sa "mauvaise foi" peut tenter de lui fournir... Parallèlement, s'il est libre, il est aussi contraint de respecter cette même liberté chez autrui. Puisqu'elle ne relève plus de la métaphysique, mais repose entre les mains de l'homme, engagé dans les "situations", dans l'Histoire, il serait impensable, en effet, que celui-ci prenne le risque de l'aliéner, en subissant lui-même alors les conséquences de cette défaite de la liberté.
Cela conduit Sartre à s'engager dans les débats de son époque, qu'il s'agisse de la question juive, de la décolonisation, ou des divers mouvements révolutionnaires, en étant activement présent sur les médias. Quant aux valeurs plus traditionnelles, l'amour ne peut être que mensonge, car conflit de "libertés" qui font assaut de mauvaise foi ; l'art, pour sa part, ne peut constituer la finalité d'une existence, et ne se justifie que quand l'écrivain met l'oeuvre au service de la liberté : "l'écrivain, l'homme libre s'adressant à des hommes libres, n'a qu'un seul sujet : la liberté", explique-t-il dans Qu'est-ce que la littérature ? en 1948. C'est ce qu'il analyse dans ses essais de critique littéraire, par exemple sur Flaubet ou Jean Genet, et ce que cherchent à traduire ses romans et son théâtre.
L'existentialisme athée que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n'existe pas, il y au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être, c'est l'homme ou, comme dit Heidegger, la réalité humaine. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialisme, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est seulement, non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence ; l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme.
J.-P. Sartre, L'Existentialisme est un humanisme, 1946.
Maurice Merleau-Ponty (1908-1961)
Maurice Merleau-Ponty. Portrait.
Il co-fonde, avec Sartre, la revue Les Temps modernes. Mais, s’il se définit aussi comme existentialiste, sous l’influence de Husserl il met davantage l’accent, notamment dans Phénoménologie de la perception, paru en 1945, sur le rôle du corps, en tant qu’ensemble des organes et des fonctions sensorielles, ce qu’il nomme le « corps vécu », vécu de lui-même, du monde, des choses, des situations historiques.
En déclarant « L’homme est au monde, c’est dans le monde qu’il se connaît », il veut dire que la conscience n’est pas « pure », séparée de la réalité « en soi », de l’objet qu'elle considère ; au contraire, elle est « intentionnalité » : la perception devient conscience en donnant une signification au monde pour répondre aux différentes « situations ». C’est aussi l'analyse exposée dans Sens et non-sens (1948).
Le monde phénoménologique, c'est, non pas de l'être pur mais le sens qui transparaît à l'interaction de mes expériences et à l'interaction de mes expériences et de celles d'autrui, par l'engrenage des unes sur les autres, il est donc inséparable de la subjectivité et de l'intersubjectivité qui fond leur unité par la reprise de mes expériences passées dans mes expériences présentes, de l'expérience d'autrui dans la mienne.
M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945.
Emmanuel Mounier (1905-1950) et le personnalisme
Emmanuel Mounier. Portrait.
Dès 1932, en créant la revue Esprit, Mounier s’engage pour soutenir l’intervention française lors de la guerre d’Espagne ou contre les accords de Munich : pour lui l’engagement est la voie qui permet de passer de l’individu à la « personne », c’est-à-dire à l’homme qui fonde son existence en s’ouvrant à la communauté : « L’homme concret, c’est l’homme qui se donne. »
Puis vient un mouvement de retour, d’intériorisation, pour examiner ce en quoi on s’est engagé. La troisième dimension, elle, est verticale, transcendante : c'est la relation à Dieu, qui libère du lien exclusif de la relation à autrui et à soi. Mounier cherche, en effet, à allier l’existentialisme aux valeurs du christianisme, en refusant le matérialisme athée. C’est ce qu’il explique dans Le Traité du caractère (1946), Introduction aux existentialismes (1946) et Le Personnalisme (1949). L’homme, selon lui, est par nature, inscrit dans la société et, comme il tend au dépassement de soi, il s’affirme libre par son action, en insérant cette liberté dans l’Histoire. C’est ce qu’a fait ce philosophe, lui-même engagé dans la Résistance en participant aux activités du mouvement « Combat ».
Pour lire Le Personnalisme : cliquer sur le lien.
Mais très vite, l'existentialisme est détourné de sa dimension purement philosophique... Intellectuels et artistes se regroupent autour de Sartre et de Simone de Beauvoir dans les cafés de "Flore" ou des "Deux magots", à Saint-Germain-des-Prés. Une jeunesse avide de vivre pleinement fréquente les "caves" de ce même quartier et danse en toute liberté, au son du jazz. Cela fait de l'existentialisme une "mode", dont se moque, par exemple, Boris Vian dans L'Ecume des jours, roman publié en 1947, en peignant l'idolâtrie provoquée par celui qu'il nomme plaisamment Jean-Sol Partre. C'est ce que déplore d'ailleurs Sartre : "Ils ont décidé que c'est une théorie qui exalte le goût d'exister, de vivre sa vie sans contraintes. Tous mes adversaires ont exploité cette erreur en m'accusant de pervertir la jeunesse actuelle."
Gaston Bachelard (1884-1962)
Gaston Bachelard.
L’œuvre de Bachelard se définit par une double dimension. D’un côté, il oriente sa réflexion autour de la science, de la connaissance rationnelle, en remettant en cause les principes de la raison cartésienne. Il introduit, par exemple dans Le nouvel Esprit scientifique (1934) ou dans La Philosophie du non (1940), le concept d’« obstacle épistémologique », c’est-à-dire tout ce qui, relevant de l’affectif, de l’imaginaire, du mythe, empêche le savant d’arriver à une connaissance objective des phénomènes.
D’un autre côté, en corrélation, il étudie le rôle de l’imagination, sa richesse créatrice, qui n’est plus un obstacle dès lors qu’il s’agit de littérature, et surtout de poésie. En publiant successivement La Psychanalyse du feu (1937), L’Eau et les Rêves (1941), pour ne citer que deux de ses ouvrages, il fonde son analyse sur les éléments fondamentaux, le feu, l’air, la terre et l’eau.
Dans La Poétique de la rêverie (1960), il montre comment la rêverie, qui replonge le poète dans l’état d’enfance, l’amène à recréer le monde.
Ses travaux jouent un rôle essentiel pour de nombreux critiques littéraires, tels Georges Poulet, Gilbert Durand ou Jean-Pierre Richard qui, dans Littérature et Sensation (1954) étudie les œuvres de Stendhal, de Flaubert, à travers les thèmes sensibles récurrents chez eux.
Pour en savoir plus sur Bachelard : cliquer sur le logo...
... et pour lire son oeuvre : cliquer sur le lien.
Le structuralisme et les sciences humaines
Alors même que les sciences se ramifient, se subdivisent en se spécialisant, un courant de pensée, le structuralisme, tend à proposer une approche commune, par exemple dans la psychanalyse, l’anthropologie, la critique littéraire… Le structuralisme est né des travaux du linguiste suisse Ferdinand de Saussure (1857-1913) qui, étudiant la sémiologie – les systèmes de « signes » - pose les notions de « signifiant » et de « signifié », travaux que prolonge l’américain Roman Jakobson. Le structuralisme cherche donc à décomposer le réel, en accordant plus d’importance aux formes et aux fonctions des différents éléments ainsi obtenus qu’au sens global.
Le but de toute activité structuraliste, qu'elle soit réflexive ou poétique, est de reconstituer un "objet", de façon à manifester dans cette reconstitution les règles de fonctionnement (les "fonctions") de cet objet. La structure est donc en fait un simulacre de l'objet, mais un simulacre dirigé, intéressé, puisque l'objet imité fait apparaître quelque chose qui restait invisible, ou si l'on préfère, inintelligible dans l'objet naturel. L'homme structural prend le réel, le décompose, puis le recompose : c'est en apparence fort peu de chose. [...] Pourtant, d'un autre point de vue, ce peu de chose est décisif ; car entre les deux objets, ou les deux temps de l'activité structuraliste, il se produit du nouveau, et ce nouveau n'est rien moins que l'intelligible général : le simulacre, c'est l'intellect ajouté à l'objet [...].
R. Barthes, Essais critiques, 1964.
Jacques Lacan (1901-1981) et la psychanalyse
Michel Foucault (1926-1984)
Voyez les hiéroglyphes égyptiens : tant qu'on a cherché quel était le sens direct des vautours, des poulets, des bonshommes debout, assis, ou s'agitant, l'écriture est demeurée indéchiffrable. C'est qu'à lui tout seul le petit signe “vautour” ne veut rien dire ; il ne trouve sa valeur signifiante que pris dans l'ensemble du système auquel il appartient. Eh bien ! les phénomènes auxquels nous avons affaire dans l'analyse sont de cet ordre-là, ils sont d'un ordre langagier.
Le psychanalyste n'est pas un explorateur de continents inconnus ou de grands fonds, c'est un linguiste : il apprend à déchiffrer l'écriture qui est là, sous ses yeux, offerte au regard de tous. Mais qui demeure indéchiffrable tant qu'on n'en connaît pas les lois, la clé.
J. Lacan, interview donnée à M. Chapsal, L’Express, 31 mai 1957, « Clefs pour la psychanalyse ».
La double formation de Foucault, en philosophie et en psychopathologie, et ses propres souffrances pour vivre son homosexualité expliquent son intérêt pour la maladie mentale. Ainsi dans Histoire de la folie à l’âge classique, thèse de 1961, il rattache la folie à « l’angoisse du signifiant » quand il échappe à la norme d’une société à une époque donnée, approche qui explique qu’on l’associe au structuralisme : « si tu n'es pas comme tout le monde, c'est que tu es anormal, si tu es anormal, c'est que tu es malade » (propos rapportés par Michel Eribon dans sa biographie de Foucault). La parution, en 1966, de son œuvre majeure, Les Mots et les Choses, sous-titrée « Une archéologie des sciences humaines », révèle son immense objectif : analyser tout ce qui relève des « choses dites » pour mesurer les mutations qui interviennent dans l’histoire des idées et pour mettre « en question les méthodes, les limites » des savoirs, qu’il relie étroitement aux pouvoirs institutionnels, médecine, psychiatrie, justice.
Après 68, il s’engage plus nettement, par exemple en fondant, en 1971, le « Groupe Information sur les prisons » qui dénonce les conditions de vie des détenus, ou en participant à la création de l’agence de presse « Libération » qui donne naissance au quotidien homonyme.
Claude Lévi-Strauss (1908-2009)
Après une formation en philosophie, Lévi-Strauss choisit, dès 1935, de se consacrer à l’ethnologie, et entreprend des recherches sur les indigènes au Brésil, pays et peuples qu’il dépeint dans Tristes Tropiques (1955), à la fois essai et témoignage autobiographique qui remporte un grand succès. De ces missions, renouvelées jusqu’en 1939, il rapporte une thèse sur Les Structures élémentaires de la parenté (1949) : il montre comment on retrouve dans les relations de parenté propres à chaque société, mais différemment combinées, des schémas structuraux élémentaires. Enfin son recueil Anthropologie structurale, paru en 1958, marque son engagement dans une nouvelle direction, l’étude des manifestations culturelles des peuples premiers, et tout particulièrement de leurs mythes. La revue L’Homme, co-fondée en 1961 avec Benveniste et Gourou, contribue à faire plus largement connaître l’ethnologie et l’anthropologie, et lui-même consacre de nombreux ouvrages à l’étude des mythes, tel Le Cru et le Cuit (1964).
Roland Barthes (1915-1980)
Dès 1953, son essai, Le Degré zéro de l’écriture, révèle l’intérêt de Barthes pour la critique littéraire, qu’il veut rénover en s’intéressant, non plus seulement à la biographie de l’auteur, à ses sources d’inspiration ou au contexte historique, mais, avant tout, à l’organisation interne du texte lui-même. Au carrefour d’une approche marxiste, psychanalytique et linguistique, et marqué par les recherches du structuralisme, il applique cette méthode critique d’abord aux œuvres classiques, par exemple dans Michelet (1954) ou Sur Racine (1963). Dans ses Essais critiques (1964), il précise en quoi consiste « l’activité structuraliste » : remplacer l’homme « riche de certains sens » par la notion d’ « homo significans », c’est-à-dire fabricant lui-même le sens. Un article ultérieur, intitulé « La mort de l’auteur » (Mantéia, n°5, 1968), confirme cette affirmation du primat des éléments constitutifs du texte, auxquels donne sens, non pas une hypothétique « intention » de l’auteur, mais le lecteur lui-même, d’où une pluralité de sens.
Outre son activité médicale, notamment de longues années à l’hôpital Sainte-Anne, Jacques Lacan a animé de nombreux séminaires pour faire connaître sa théorie. C’est d’abord une réappropriation de Freud, d’où le nom donné à l’école qu’il fonde, École freudienne de Paris (1964-1980). Mais il combine les données freudiennes aux travaux du structuralisme, puisque, selon lui, « l’inconscient est structuré comme un langage ». Cela induit une pratique psychanalytique qui vise à faire retrouver au sujet qui parle, qui exprime donc un « signifié », ce que traduit le « signifiant » qu’il met en forme, parfois porteur de lapsus, de jeux de mots… : il s’agit de faire apparaître, à travers le langage, un manque, un inconnu, « l’autre » qui est aussi lui.
Pour lire Tristes Tropiques : cliquer sur l'image.
Un dossier très complet : cliquer sur l'image.
Interview de Barthes sur Mythologies, "Lectures pour tous", mai 1957.
Mais, avec Mythologies, paru en 1957, il élargit d’emblée le domaine de ses analyses à l’ensemble des « signes », fondateurs de mythes révélateurs du monde moderne : du cinéma, par exemple, avec Greta Garbo ou le film-peplum, à la mode, au catch ou au vin, en passant par des publications comme Paris-Match ou Le Guide bleu, ou des publicités, pour la DS Citroën, le « Banania » ou de la lessive…
Les arts, de mai 40 à mai 68
Ces progrès et ces doutes rejaillissent sur les artistes. Beaucoup s'interrogent sur leur rôle, et cherchent à concilier les innovations technologiques et le désir de ne pas leur sacrifier l'homme et les valeurs humanistes.
Emile Aillaud, la cité des Courtillières, à Pantin, 1954-56.
Le Corbusier, la chapelle de Ronchamp, 1953.
Bernard Zehrfuss, le Centre National des Industries et des Techniques, à Paris, 1956-58.
L'architecture
Wogenscky explique ses choix : cliquer sur l'image.
Ces architectes, qui privilégient l'utilitaire doivent aussi prendre en compte les exigences techniques, parfois complexes, par exemple pour l'aéroport d'Orly (1961), conçu par Henri Vicariot (1910-1986), pour la Maison de la Radio (1962) par Henry Bernard (1912-1994) ou pour la Maison de la Culture (1968), réalisée à Grenoble par André Wogenscky.
Un urbanisme fonctionnel
Il s'agit de construire à la fois plus, plus vite... et pas cher, en utilisant les matériaux modernes, fer, béton, verre... pour offrir, dans le cadre des contraintes politiques et économiques, des lieux de vie adaptés aux nécessités nouvelles. Cela donne souvent de bien tristes résultats : d'immenses cités grises, rectilignes, glacées et sans âme se multiplient dans les banlieues, dont Sarcelles est devenu le symbole. Mais, à cette époque, peu de place pour les états d’âme et pour l’approche critique qui se donne libre cours aujourd'hui, avec le recul des décennies !
Après les destructions de la Seconde Guerre mondiale, l’urgence de la situation, aussi bien en matière de logements que de transports ou d'industrialisation, modifie le rôle de l'architecte : il ne peut se contenter d'être un "styliste" en quête de pure esthétique, mais doit se mettre d'abord au service de la collectivité.
A. Wogenscky, la Maison de la Culture, Grenoble, 1968.
Une nouvelle esthétique
Cependant, même pour l'habitat collectif et sans négliger le fonctionnel, plusieurs architectes s'interrogent sur les conditions susceptibles de l'humaniser et de lui redonner une valeur esthétique.
C'est le cas de Le Corbusier (1887-1965) qui, dans La Cité radieuse (1935) puis dans Manière de penser l'urbanisme (1946), en pose les principes : formes épurées, lumière qui pénètre à flot dans les appartements, couleurs claires et gaies, sociabilité à favoriser par des lieux de vie communautaire, notamment... - qu'il met en application pour concevoir la "cité radieuse" de Marseille, achevée en 1952. Il y met aussi en oeuvre le "modulor", échelle de mesure tirée des proportions du corps humain. On retrouve l'importance qu'il accorde aux lignes, aux courbes, à la lumière, dans des édifices monumentaux, tels la chapelle de Ronchamp (Cf. Image ci-dessus), le cloître d'Evreux (1957-60) près de Lyon, ou, à l'étranger, le musée d'Art moderne de Tokyo.
Pour une visite virtuelle de la "cité radieuse": cliquer sur l'image.
Le Corbusier, la "cité radieuse", Marseille, 1952.
Emile Aillaud (1902-1988), lui aussi, refuse l'impersonnalité des grands ensembles de banlieue, comme il l'explique dans Désordre apparent, ordre caché, paru en 1975.
L'urbanisme collectif, monotone et répétitif des grands ensembles a le pouvoir insinueux de détruire l'individu. Il y a, au contraire, des lieux qui sont aptes à la patience, à l'attente, à la mélancolie. Je pense à ces places faites de rien comme la place Furstenberg, qui sont des lieux merveilleux d'ennui. On peut s'y asseoir, les mains sur les genoux et attendre le soir. Ce qui devrait être le fond d'un quotidien difficile. Attendre. Vivre, en somme.
Il y a à la Grande-Borne, à chaque détour d'un bâtiment, de ces places, de ces replis, où l'on sent que le quotidien peut s'écouler. Dans un grand ensemble orthogonal et rigoureux, il ne peut que passer, s'enfuir.
E. Aillaud, Désordre apparent, ordre caché, 1975.
Cette conception d'un urbanisme fondé sur l'homme, ses perceptions, son imaginaire, Aillaud la met en pratique par exemple à "la Grande-Borne", cité réalisée à Grigny, ou dans la cité des Courtillières à Pantin, un immeuble sinueux d'un kilomètre et demi (cf. Image si-dessus). Le bannissement des formes rectilignes s'accompagne de couleurs, qui couvrent les murs, parfois de gigantesques fresques en "trompe-l'oeil", les pavés forment des vagues... Tout est fait pour surprendre l'oeil, et réintégrer l'homme dans l'espace.
Germaine Richier, La Sauterelle, 1955-56. Bronze à patine foncée, 137 x 99 x 171. Musée d'Art moderne, Paris.
César, Dauphine, 1959-70. Compression plate de voiture, 410 x 190 x 60. MAMAC, Nice.
Martial Raysse, Etalage - Hygiène de la vision, vers 1960-65. Objets de récupération. 210 x 111 x 44. Sprengel Museum Hannover. Hanovre.
Jean Tinguely, Méta-Herbin, 1955. Acier peint et moteur électrique, 150 x 40 x 40. Musée Tinguely, Bâle.
Niki de Saint-Phalle, Black Venus, 1965-66. Armature métallique, résine de polyester, 279,4 x 88,9 x 60,96. Whitney Museum of American Art, New York.
La sculpture
Dans cet après-guerre, la sculpture subit un double contre-coup : comme tous les autres arts, celui de l'entrée dans l'ère atomique avec les angoisses qu'elle provoque, et celui de l'entrée dans la société de consommation, alors posée comme un "idéal".
L'expressionnisme
Le courant expressionniste se poursuit dans la lignée de Giacometti, en créant des figures de plus en plus torturées, comme celles de Robert Couturier (1905-2008), aux formes schématisées, raides, anguleuses, figées dans leur position, telle sa Jeune femme lamelliforme (Cf. Image ci-contre).
Germaine Richier (1904-1959) suscite ce même sentiment de malaise par ses figures décharnées, qui mêlent l'humain au minéral, au végétal, ou à l'animal, dont La Sauterelle (Cf. Image ci-dessus) donne un exemple saisissant. La surface trouée, comme déchiquetée, de ses créatures, qui semblent atteintes d'un monstrueux cancer, avec leurs extrémités squelettiques, effrayantes, qui forment des griffes ou des moignons, évoquent les corps blessés des victimes d'Hiroshima.
Robert Couturier, Jeune femme lamelliforme, 1951. Bronze à patine noire, 115 x 70 x 40. Coll° privée.
Le Nouveau Réalisme
Un manifeste d'octobre 1960, rédigé par le critique d'art PIerre Restany, marque la volonté de plusieurs artistes - dont beaucoup sont à la fois sculpteurs et peintres - d'exprimer l'invasion du quotidien par les objets, qui deviennent alors sujets de leurs oeuvres. Cela se traduit de diverses façons. Par exemple Martial Raysse (né en 1936) choisit l'accumulation, en assemblant des matériaux hétéroclites (Cf. Image ci-dessus).
César (1921-1998) aussi commence par des assemblages, construits par soudure de pièces ou d'objets métalliques, qui forment une sorte de bestiaire fantastique. Puis il passe aux "compressions", écrasant, broyant le métal, comme pour sa célèbre Dauphine (Cf. Image ci-dessus) dont il conçoit l'idée dès 1959, mais qu'il ne réalise qu'en 1970. L'oeuvre fait scandale, car la main du sculpteur est remplacée par l'action de la presse : "choc dirigé", réplique César. Simultanément, il découvre un autre matériau, la mousse de polyuréthane, qui va lui permettre de réaliser des "expansions", coulées formant des objets informes. Enfin, l'homme lui-même se fait objet à travers les "empreintes", qui le décomposent jusqu'à la dérision, Le Pouce (1964) par exemple, ou Le Sein (1966).
Enfin, cette dénonciation de l'emprise de l'objet se fait plus angoissée chez Robert Malaval (1937-1980) quand il couvre un objet banal, un fauteuil par exemple, d'une matière blanchâtre assez répugnante qui le fige et semble même le ronger. L'homme n'existe plus que par les objets qui l'environnent, comme ces murs, sols carrelés, cages, dans lesquels Jean-Pierre Raynaud (né en 1939) emprisonne ses "Psycho-objets", telle sa Tour de Babel.
Manifeste du Nouveau Réalisme, signatures d'adhésion, 1960.
Pour découvrir l'oeuvre de R. Malaval : cliquer sur l'image.
R. Malaval, Le transmutateur et tout ce qui s'ensuit, 1961.
Ce qui est la réalité de notre contexte quotidien, c'est la ville ou l'usine (...)
L'appropriation directe du réel est la loi de notre présent. Certains artistes actuels ont pris sur eux d'en assurer le parti pris. Ce sont des naturalistes d'un genre spécial : bien plus que de représentation, nous devrions parler de présentation de la nature moderne. Il y a en effet dans toutes ces expressions objectives une évidente et inexorable finalité : celle de nous faire poser un regard neuf sur le monde (...) Le monde du produit standard, de la poubelle ou de l'affiche est un tableau permanent. "
Pierre Restany, Manifeste du Nouveau Réalisme, 1960.
Niki de Saint-Phalle, elle, au lieu de réduire, d'éroder, choisit, à l'inverse, de grossir, d'amplifier, ses "Nanas" : en utilisant une armature qu'elle garnit de polystyrène, de tissus et de plâtre, elle crée des caricatures de femmes-objets, outrageusement maquillées, colorées, ondulantes (Cf. Image ci-dessus). La femme est, elle aussi, "consommée", comme sa Hon, exposée en 1966 au Moderna Museet de Stockholm, "nana-cathédrale" : le public s'engouffre par son sexe pour visiter une galerie d'art, aller au cinéma ou au bar...
En savoir plus sur N. de Saint-Phalle, un dossier pédagogique complet : cliquer sur le lien.
Pour découvrir l'oeuvre de N. de Saint-Phalle : cliquer sur l'image.
N. de Saint-Phalle, La Hon, 1966. Moderna Museet, Stockholm.
L'art lumino-cinétique
Dès 1925, une exposition intitulée "Le mouvement" avait présenté des artistes qui recherchaient le mouvement et jouaient sur les effets d'optique, comme Marcel Duchamp et ses jeux stroboscopiques.
Puis les Nouveaux Réalistes, à leur tour, se lancent dans des expériences autour de l'utilisation de la lumière, par exemple Martial Raysse avec des tubes de néon colorés, ou en animant la sculpture, comme le fait Jean Tinguely (1925-1991). On peut, certes, penser à un travail d'ingénieur devant ses assemblages métalliques actionnés par un moteur (Cf. Image ci-dessus), mais ses oeuvres, avec leurs équilibres gracieux, ne manquent pas de finesse ni d'esthétique.
M. Raysse, America America, 1964. Néon, métal peint, 240 x 165 x 45. Centre Pompidou, Paris.
Cette recherche est systématisée par le Groupe de Recherche d'Art Visuel (le GRAV), fondé en 1960 à Paris par six sculpteurs : les Argentins Horacio Garcia Rossi (1929 – Paris, 2012) et Julio Le Parc (né en1928), l’Espagnol, Francisco Sobrino (né en 1932), et trois Français, François Morellet (né en 1926), Joël Stein (1926-2012) et Jean-Pierre Vasarely, dit Yvaral (1934-2002). Tous refusent la figuration, pour revenir à des formes géométriques et à des structures simples, mais tous n'utilisent pas les mêmes procédés. Par exemple, Sobrino privilégie le plexiglas, Yvaral des fils de nylon et de vinyle tendus, Le Parc associe la lumière et le plexiglas, Stein joue sur des trièdres et sur la polarisation, Garcia Rossi crée des boîtes à réflexion lumineuse et Morellet élabore des structures clignotantes de tubes de néon, fixes ou mobiles. Dans les "Labyrinthes", le spectateur est invité à participer lui-même au mouvement, en parcourant l'oeuvre, parfois même à le déclencher : il s'agit de lui faire éprouver à son tour les sensations visuelles, auditives, tactiles, générées par la sculpture.
La "Biennale" au musée d'Art moderne de Paris, en 1963 : une 1ère approche des oeuvres du GRAV.
... et un remarquable dossier du Musée de Rennes : cliquer sur l'image.
Une interview de Morellet sur "Le Labyrinthe" du GRAV, installé au musée d'Art de Cholet.
Le Groupe se dissout en novembre 1968, quelques mois après l'explosion de mai 68, et peu de temps après la mort de Duchamp, comme s'il considérait comme aboutie la tâche entreprise. N'a-t-il pas réussi, en effet, à effacer l'idée de sculpture traditionnelle, où priment le hasard et l'inspiration de l'artiste ? Elle se trouve remplacée par celle de construction, d'assemblage, d'environnement, autant de créations rationnelles. Tout se passe donc comme si la machine avait fini par envahir l'âme même du sculpteur.
Nicolas de Staël, Le Fort carré d'Antibes, 1955. Huile sur toile, 114 x 195. Musée Picasso, Antibes.
André Fougeron, La civilisation atlantique, 1953. Huile sur toile, 380 x 55,9. Tate Modern, Londres.
Pour en savoirplus sur les courants de l'art contemporain, une remarquable encyclopédie audiovisuelle : cliquer sur le logo.
Jean Dubuffet, Dhôtel nuancé d'abricot, 1947. 116 x 89. Centre Pompidou, Paris.
Bernard Rancillac, Etrange faune du Vietnam, 1965. Acrylique et huile sur toile, 91 x 113. Musée des arts naïfs et singuliers, Laval.
La peinture
Les concepts d'"abstraction" et de "figuration" sont remis en cause, à l'issue de la guerre, par plusieurs groupes d'artistes, par exemple ceux de CoBrA (1948-1951). Ils restent cependant commodes pour identifier les courants qui s'entrecroisent durant cette période. On y observe, en effet, d'un côté une consécration de l'art abstrait, de l'autre l'émergence de nouvelles formes de figuration. Les peintres, souvent aussi sculpteurs, voire poètes, explorent alors, en toute liberté, de nouvelles techniques de création. Mais tous les courants se rejoignent dans une même volonté de restituer les angoisses d'une époque où l'homme semble nié par une société qui l'enferme dans sa matérialité et lui impose ses violences.
L'abstraction est une des attitudes adoptées par les peintres face à un réel jugé inhumain, qui s'affirme fortement par la fondation, en 1950, de l'Atelier d'art abstrait par Jean Dewasne (1921-1999) et Edgard Pillet (1912-1996), tous deux tenants de l'"abstraction géométrique", dans la lignée d'Auguste Herbin (1882-1960).
Jean Dewasne, Apothéose de Marat, 1951. 5 panneaux , peinture glycérophtalique sur bois, 250 x 833,5. Centre Pompidou, Paris.
Pour découvrir Vasarely et l'Op Art.
Des sites très complets pour découvrir J. Dewasne et E. Pillet : cliquer sur les liens correspondants.
Un diaporama des oeuvres de N. de Staël...
Une interview de Soulages.
On retrouve aussi, comme dans la sculpture, une peinture abstraite cinétique et optique, dite "Op Art". Avec des variantes, on observe, par exemple chez Nicolas Schöffer (1912-1992) ou chez Victor Vasarely (1906-1997), la recherche d'effets d'optiques à partir de formes simples et en jouant sur la gamme chromatique, tantôt binaire, tantôt de couleurs pures : "Le mouvement se crée par le déplacement du spectateur devant l'oeuvre intégrée dans les volumes et les espaces de l'architecture".
Parallèlement, certains entreprennent une recherche plus audacieuse, tel Pierre Soulages (né en 1919) sur la couleur noire : autant de variations sur la matière, sur l'épaisseur, de façon à mieux capter la lumière.
On note aussi l'évolution de Nicolas de Staël (1914-1955). Il passe de l'abstraction totale de ses premières toiles, comme dans Ressentiment (1947), à des tentatives pour concilier abstraction et perception du réel, paysages et même personnages. Dans une série, Les Footballeurs (1952), il utilise la géométrisation des formes pour restituer le mouvement. De même, il compose ses paysages (cf. Image ci-dessus) à partir de formes plaquées sur la toile, en jouant sur les dégradés des couleur pour recréer les contrastes et la vibration de la lumière.
N. de Staël, Ressentiment, 1947. Huile sur toile, 81 x 100. Galerie Jeanne Bucher.
et un dossier pédagogique très complet : cliquer sur le lien
L'Art brut : Jean Dubuffet (1901-1985)
Dubuffet se situe aux confins de l'abstraction et de la figuration en fondant en 1951, sa "Compagnie de l'art brut". Cet intitulé indique le choix d'un art quasi primitif, bien loin de toutes les données culturelles de l'art traditionnel (cf. Textes ci-contre). L'artiste recourt, en effet, aux matériaux les plus divers, empruntés soit à la nature, sable, gravier, goudron, ailes de papillons, soit au milieu urbain : "Une affiche déchirée, un bout de tôle qui brille, un fer rouillé, un chemin crotté, un couvercle badigeonné au coaltar, une devanture peinte en vert pin, une enseigne bariolée... et des traces, des traces, des traînées, des hasards, comme nos logis d'hommes et nos villes en sont remplis."
Les familiers de l’art culturel, s’ils veulent bien faire effort pour prendre une distance à l’égard des formes d’art qui leur sont habituellement proposées, pour échapper au trompeur conditionnement et pour accommoder leur regard à des modes d’inscription et de transcription étrangers aux recours habituels, trouveront dans ces productions une libération de toute contrainte, un déchaînement d’ingéniosité et d’innovation, une ouverture à des voies insoupçonnées, qui les porteront à révoquer l’opinion des docteurs de l’art collégial sur le caractère prétendu primitif des ouvrages de cette nature
J. Dubuffet, préface de L’Art Brut par M. Thévoz, Ed. d’Art Skira, Genève, 1975.
Le vrai art il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L’art il déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt. L’art est un personnage passionnément épris d’incognito. [...] Le vrai monsieur Art pas de danger qu’il aille se flanquer des pancartes ! Alors, personne ne le reconnaît. Il se promène partout, tout le monde l’a rencontré sur son chemin et le bouscule vingt fois par jour à tous les tournants de rues, mais pas un qui ait l’idée que ça pourrait être lui monsieur Art lui-même dont on dit tant de bien. Parce qu’il n’en a pas du tout l’air.
J. Dubuffet, L’Art Brut préféré aux arts culturels, Galerie René Drouin, Paris, 1949.
Pour en savoir plus, la Fondation Jean Dubuffet : cliquer sur l'Autoportrait.
J. Dubuffet, Lever de lune aux fantômes, 1951. Huile sur isorel, 60 x 73. Coll° privée.
J. Dubuffet, Autoportrait II, 1966. Feutre sur papier,
25 x 16,5. Coll° Fondation Dubuffet.
Il malaxe alors ces matériaux, tantôt dans l'abstraction totale, tantôt pour créer des figures humaines informes (Cf. Image ci-dessus). En griffant, rayant, incisant ses matériaux, comme pour reproduire la lutte de l'homme contre son environnement, il propose une représentation du monde effrayante par sa sauvagerie (Cf. Image ci-contre) et montre l'homme emprisonné par la matière.
De nouvelles formes de figuration
La guerre et l'après-guerre posent au peintre la même question qu'aux philosophes et aux écrivains, celle de l'engagement. Pour y répondre, l'abstraction n'apparaît pas satisfaisante, d'où le choix de la figuration, mais avec une approche résolument moderne.
Certains se rapprochent de l'expressionnisme, tel Bernard Buffet (1928-1999) avec ses couleurs ternes, ses personnages tout en longueur à l'allure misérable. Ses paysages aux espaces grillagés, et ses thèmes, grandes villes oppressantes ou horreurs de la guerre, traduisent bien un mal de vivre. De même, les tableaux de Francis Gruber (1912-1948), montrent des personnages épuisés, amaigris, enfermés dans leur solitude, dans des paysages aux couleurs froides, dépourvus d'âme. Autant d'illustrations de la déshumanisation...
B. Buffet, La Femme au poulet, 1947 Huile sur toile, 188 x 137. Coll° privée.
Pour découvrir l'oeuvre de Buffet, un musée virtuel : cliquer sur le lien.
L'engagement militant
D'autres peintres s'engagent plus nettement, en choisissant de mettre leur art au service du peuple, en privilégiant des thèmes sociaux. Ainsi Edouard Pignon (1905-1993), adhérent dès 1933 du parti communiste, conserve des techniques empruntées au cubisme pour illustrer la confrontation de l'homme avec son époque, la guerre, le monde ouvrier qu'il connaît bien, les travaux des champs ou de la pêche. Pourtant, à aucun moment il ne tombe dans la platitude du "réalisme socialiste", et, parallèlement, il peint aussi des paysages plus apaisés sous le soleil méditerranéen.
E. Pignon, Les électriciens de Vallauris, 1955. Huile sur toile, 60 x 81. Coll° privée
"Les femmes en Méditerranée" : une exposition sur Pignon au musée de Collioure : cliquer sur le lien.
F. Gruber, Les distraits ou l'indifférente, 1941 Huile sur isorel, 55 x 46. Coll° privée.
Fougeron au musée La Piscine à Roubaix.
André Fougeron (1913-1998) est plus proche, pour sa part, du réalisme socialiste dans les années d'après-guerre, alors même que le parti communiste, auquel il adhère en 1939, tente de promouvoir un art social. Mais son tableau de 1953, La Civilisation atlantique (Cf. Image ci-dessus) marque une nette évolution : tout en conservant la dimension critique, cette oeuvre annonce déjà l'hyperréalisme de ce que l'on nomme, dans les années 60, la "figuration narrative".
Une intéressante analyse de l'oeuvre de Fougeron, réalisée par l'académie de Nancy-Metz.
La figuration narrative
Sous l'influence du Pop Art américain, la figuration devient "narrative" vers 1965, en racontant l'histoire des crises qui secouent alors le monde, mais aussi les violences, l'évolution des valeurs, la vie quotidienne... Ce goût est affirmé lors de l'exposition "La Figuration narrative dans l'art contemporain" (1965) où, par leur série de huit tableaux collectifs, intitulée Vivre et laisser mourir ou la Fin tragique de Marcel Duchamp, Gilles Aillaud (1928-2005), l'Espagnol Antonio Arroyo et l'Italien Renato Recalcati, marquent à la fois leur volonté d'anonymat - l'oeuvre parle d'elle-même - et leur rejet de l'art abstrait, conceptuel. Pour "raconter", ces peintres empruntent leurs techniques à d'autres domaines de création, le cinéma, la, photographie, la publicité, voire la bande dessinée comme Bernard Rancillac (né en 1931 - Cf. Image ci-dessus) qui explique :
Tous les “événements” politiques m'impressionnent. Je l'ai découvert quand j'ai décidé de faire les toiles sur l'année 1966. J'ai compris alors que j'étais un animal politique, pas un chroniqueur mondain ! À l'origine de toute création artistique, il faut une émotion. Très souvent, chez moi, elle est de nature politique, même quand je peins des Mickey, des musiciens de jazz, des voitures ou des stars de cinéma. Le journaliste et le photographe sont plus présents sur l'événement et plus rapides en communication. Mais le peintre a le temps pour lui, le temps de s'enfoncer dans la chair du temps. Cela s'appelle l'histoire.
B. Rancillac, interview de 1991.
G. Aillaud, A. Arroyo, R. Racalcati, E. Pignon, Vivre et laisser mourir ou la Fin tragique de Marcel Duchamp, 1964. 8 tableaux, Huile sur toile, 163 x 992 - 162 x 114 et 163 x 130. Musée Reine Sophie, Madrid.
Dossier pédagogique du musée de Laval sur la figuration narrative : cliquer sur le lien.
Le Nouveau Réalisme
Dans les années soixante, ce courant émerge dans la peinture comme dans la sculpture, avec, souvent, les mêmes artistes et le même objectif : s'approprier la prolifération de l'objet pour la dénoncer, rendre dérisoire une société qui s'engage dans la consommation à outrance et réduit l'homme lui-même à l'état d'objet. Dix artistes ont co-signé le Manifeste de 1960, et participé à la première exposition, en 1961, intitulée "A 40° au-dessus de Dada" : Arman, Dufrêne, Hains, Klein, Raysse, Spoerri, Tinguely, Villeglé et Restany, auxquels s'ajoutent plus tard César, Rotella, Niki de Saint-Phalle et Christo.
Arman, Chopin Waterloo, 1962. Éléments de piano fixés sur panneau de bois. 186 x 302 x 48, poids : 400 kg. Centre Pompidou, Paris.
Daniel Spoerri, Repas hongrois, tableau-piège, 1963. Assemblage Métal, verre, porcelaine, tissu sur aggloméré peint, 103 x 205 x 33. Centre Pompidou.
Les nouveaux réalistes considèrent le Monde comme un Tableau, le Grand Œuvre fondamental dont ils s’approprient des fragments dotés d’universelle signifiance. Ils nous donnent à voir le réel dans des aspects de sa totalité expressive. Et par le truchement de ces images spécifiques, c’est la réalité sociologique toute entière, le bien commun de l’activité des hommes, la grande république de nos échanges sociaux, de notre commerce en société qui est assigné à comparaître. Dans le contexte actuel, les ready-made de Marcel Duchamp (et aussi les objets à fonctionnement de Camille Bryen) prennent un sens nouveau.
Ils traduisent le droit à l’expression directe de tout un secteur organique de l’activité moderne, celui de la ville, de la rue, de l’usine, de la production en série. Ce baptême artistique de l’objet usuel constitue désormais le "fait dada" par excellence. Après le NON et le ZERO, voici une troisième position du mythe : le geste anti-art de Marcel Duchamp se charge de positivité. L’esprit dada s’identifie à un mode d’appropriation de la réalité extérieure du monde moderne. Le ready-made n’est plus le comble de la négativité ou de la polémique, mais l’élément de base d’un nouveau répertoire expressif.
Pierre Restany, À 40° au-dessus de DADA, préface au catalogue de l’exposition, Galerie J, 1961
En savoir plus
- sur le Nouveau Réalisme : cliquer sur l'image.
- sur l'oeuvre d'Arman : cliquer sur le lien.
Mais tous n'utilisent pas les mêmes procédés. Arman (1928-2005) et Daniel Spoerri (né en 1930), choisissent l'entassement des objets quotidiens les plus hétéroclites, comme l'explique Spoerri à propos de ses "tableaux-pièges" : « Chaque tableau que je colle, c’est le reflet d’un nombre incroyable d’actions et de réactions voulues, irréfléchies et hasardeuses. Ce verre sale, ce vieux réveil, ce clou rouillé, pourquoi sont-ils là ? Ce qui me provoque, ce n’est pas le réalisme de l’objet, c’est sa mise en doute. » François Dufrêne (1930-1982), Raymond Hains (1926-2005) et Jacques Villeglé (né en 1926), les "affichistes", travaillent, eux, sur la lacération d'affiches superposées. Inversement, c'est par le vide qu'Yves Klein (1928-1962) manifeste son rejet, avec ses tableaux monochromes, de ce bleu intense qu'il a créé, jusqu'au point extrême : une exposition, en 1958, propose les seuls murs blancs d'une salle vide. Puis il entreprend une série de Cosmogonies pour intégrer les éléments naturels, vent, pluie, à la toile,
Pour découvrir la diversité des Nouveaux Réalistes : cliquer sur le lien.
F. Dufrêne, A Raymond Hains, 1960. Dessous d'affiches marouflées sur toile, 92 x 73. Coll° G. Dufrêne.
Y. Klein, IKB3, Monochrome bleu, 1960. Pigment, résine synthétique sur toile marouflée sur bois, 199 x 153. Centre Pompidou.
Les performances, des actes de création artistiques
Une des caractéristiques des nouveaux réalistes, leur volonté de subversion de l'art, se manifeste, dans la lignée des "happenings" américains, par les performances, actes de création vécus en direct par le spectateur, ainsi associé à l'artiste.
L'oeuvre de Spoerri, par exemple, devient "performance", quand il prépare et sert un repas, dont il colle ensuite sur le support choisi les composants qui forment ainsi le tableau. Pour Villeglé, le spectateur est le "lacérateur anonyme", puisque c'est lui qui contribue à accentuer la lacération de l'oeuvre, affiches au sol qu'il piétine, comme pour son Tapis Maillot (1959). De même chez Klein quand, pour ses Anthropométries, ce sont les corps féminins, enduits de peinture bleue, qui, par leur empreinte sur la toile, illustrent la matérialité de l'humain. La violence est poussée à l'extrême par Niki de Saint-Phalle avec ses Tirs, tableaux réalisés en tirant à la carabine sur des poches de peinture.
Les "tirs" de N. de Saint-Phalle, extrait de La Grande Expo, n° 10.
N. de Saint-Phalle, Tir, 1961.
Plâtre, peinture, métal et objets divers sur de l'aggloméré,
175 x 80. Centre Pompidou.
Fluxus et "l' Ecole de Nice"
Exploration, destruction, contestation des pratiques picturales, dénonciation du matérialisme qui s'affirme dans la reconstruction de l'après-guerre... Statut de l'oeuvre d'art, place de l'art dans la société, rôle de l'artiste, autant de questions alors posées, quel que soit le mouvement auquel celui-ci se rattache... Mais est-ce encore l'oeuvre comme résultat qui compte, ou le fait d'amener le spectateur à partager la démarche créatrice ?
Né aux Etats-Unis, Fluxus veut supprimer toute frontière entre l'art et la vie : tout est art. Il en découle des "oeuvres" qui ne cherchent pas à s'affirmer en tant que telles, qui n'ont aucune prétention esthétique, mais, simplement, sont une "mise en scène" d'un acte créateur à partir du quotidien le plus banal. C'est ce qu'explique Benjamin Vautier (né en 1935), dit Ben, qui "importe" en France ce mouvement Flexus à la fin des années 50.
POUR FAIRE DU NOUVEAU APRES DADA
L'Art doit abandonner la notion périmée d'œuvre que l'on accroche, que l'on décroche et que l'on vend. L'Art dit "d'avant-garde" ne doit plus être l'exploitation stérile de la démarche de Duchamp, décapité de sa jeunesse et de sa puissance mais verni, encadré, hédonisé pour la petite bourgeoisie et les salles d'attente de dentistes. L'Art doit quitter le circuit des galeries pour rejoindre la vie et par création se confondre à elle. L'Art doit reconnaître qu'il est synonyme de prétention et que l'œuvre physique limite cette prétention qui se suffit pour tout se permettre. L'Art doit être l'enseignement généralisé donné à tous que tout le monde peut et doit vouloir faire du nouveau ; l'artiste n'appartient pas à une élite inapprochable seule capable de créer. L'Art doit être Nouveau et dans le cadre de ce Nouveau : Que l'Art ne soit plus Art Que l'Art soit de copier Que l'Art s'arrête Que l'Art soit même Arman Que l'Art soit cette protestation Que l'Art soit contradiction Que l'Art soit tout Que l'Art ne soit pas Ben.
Ben, Tract distribué à l'occasion de l'exposition d'Arman au Musée Municipal de Saint-Paul-De-Vence, 1966.
Le magasin de Ben devient un centre "Fluxus", avec ses activités provocatrices, expositions ou performances, qui se déroulent aussi en extérieur, tels ses "gestes", les "signatures" effectuées par Ben lui-même. Il signe tout, "les trous, les boîtes mystérieuses, les coups de pieds, Dieu, les poules etc. ", en fait tout objet accède ainsi au statut d'oeuvre d'art.
Il regroupe autour de lui de nombreux artistes, par exemple Robert Filliou (1926-1987) et l'américain George Brecht (1926-2008) qui popularisent Fluxus dans leur magasin-centre de recherches "La Cédille qui sourit", à Villefranche-sur-mer. D'autres participent à ses performances, dont plusieurs inscrits dans le Nouveau Réalisme, tels Arman, Klein ou Raysse, et ceux qui, après mai 68, forment le groupe "Support-Surface". C'est ainsi que naît l'appellation "Ecole de Nice" pour désigner ces créateurs subversifs installés sur la Côte d'Azur, mais aux tendances très diverses.
Le magasin de Ben (1958-72), rue Tonduti-de-l'Escarène, NIce.
"Strip tease intégral", dossier du musée d'Art contemporain de Lyon : cliquer sur l'image.
"Salut les copains"et le temps des yéyés : cliquer sur l'image.
Olivier Messiaen, Couleurs de la cité céleste, 1963. NOVA Ensemble, conduit par J. Lum, 2002.
Maurice Béjart et le ballet du XX° siècle, Messe pour le temps présent, Festival d'Avignon, 1967
Georges Brassens, album "best of".
Juliette Gréco, album "best of".
La musique et la danse
Le domaine musical se trouve doublement modifié : par l'influence de pays lointains et par les découvertes technologiques. Ce renouveau rejaillit sur un art voisin, la danse.
Dodécaphonisme et musique sérielle
En 1949, Olivier Messiaen (1908-1992), qui poursuit ses activités d'organiste et ses cours, compose sa première oeuvre "sérielle", Mode de valeurs et d'intensité pour piano : dans la lignée de l'Autrichien Schönberg, la gamme et le système tonal traditionnels sont remplacés par 12 sons égaux dont la succession constitue une "série". Mais il met aussi en oeuvre une rythmique inspirée à la fois de la métrique grecque antique et de la musique orientale, en jouant sur les "brèves" et les "longues", influences auxquelles s'ajoute l'héritage médiéval, par exemple le plain-chant grégorien dans ses oeuvres mystiques : Trois petites liturgies (1944), pièce vocale, Messe de la Pentecôte (1950), pour orgue, ou, en 1963, Couleurs de la cité céleste (Cf. Vidéo ci-dessus). Toujours en quête d'harmonies nouvelles, il se passionne pour les chants d'oiseaux, qui inspirent des compositions comme Réveil des oiseaux (1953) ou Catalogue d'oiseaux (1956-58), ensemble de 13 pièces pour piano. Mais son objectif dépasse la simple illustration de l'oiseau, comme il l'explique : "Chaque pièce est écrite en l'honneur d'une province française. Elle porte en titre le nom de l'oiseau-type de la région choisie. Il n'est pas seul : ses voisins d'habitat l'entourent et chantent aussi [...] Son paysage, les heures du jour et de la nuit qui changent ce paysage, sont également présents, avec leurs couleurs, leur températures, la magie de leurs parfums." Ainsi, pour chacune, il rédige une présentation précise.
"Le Merle Bleu", Catalogue d'oiseaux.
"O. Messiaen, "Le Merle bleu". Interprétation : Y. Loriod. Illustrations : E. Gould.
"Au mois de juin. Le Roussillon, la Côte Vermeille. Près de Banyuls : cap l'Abeille, cap Rederis. Surplomb des falaises, au dessus de la mer bleu de prusse et bleu saphir. Cris des Martinets Noirs, clapotis de l'eau. Les caps s'allongent dans la mer comme des crocodiles. Dans une anfractuosité de rocher qui fait écho, le Merle Bleu chante. Il est d'un autre bleu que la mer : bleu violacé, ardoisé, satiné, bleu noir. Presque exotique, rappelant les musiques Balinaises, son chant se mêle au bruit des vagues. On entend aussi le Cochevis de Thékla qui papillonne dans le ciel au dessus des vignobles et du romarin. Les Goélands Argentés hurlent au loin sur la mer. Les falaises sont terribles. L'eau vient mourir à leur pied dans le souvenir du Merle Bleu".
O. Messiaen, "Le Merle Bleu", texte de présentation in Catalogue d'oiseaux, 1956-58.
Ces nouvelles conceptions, qu'il explique dans Techniques de mon langage musical (1944) et dans Traité du rythme (1954) et diffuse dans ses cours, sont reprises par le groupe "Jeune France" qui réunit autour de lui A. Jolivet, D. Lesur et Y. Baudrier. Tous poursuivent ce qui apparaît alors comme une véritable révolution musicale, qui désoriente, cependant, les amateurs de musique. Voici le constat du sociologue Jacques Attali :
Le parallèle avec la science est total. Comme la science, la musique a rompu ses codes. Depuis l'abandon de la tonalité il n'y a plus de critère de vrai ou de référence commune à ceux qui composent et à ceux qui écoutent. En voulant explicitement créer un style en même temps que l'oeuvre, la musique est aujourd'hui conduite à élaborer le critère de vrai en même temps que la découverte, la parole en même temps que la langue. Comme la science, la musique se meut alors dans un champ de plus en plus abstrait, de moins en moins accessible à l'empirisme, où le sens disparaît devant l'abstraction, où le vertige de l'absence de règles est permanente.
J. Attali, "Répéter", Bruit, PUF, 1977.
La recherche musicale
Les élèves de Messiaen, Pierre Boulez (1925-2016), Pierre Henry (né en 1926) et Yannis Xenakis (1922-2001), profitent pleinement de l'évolution dans les techniques magnétiques et électroniques.
Pierre Boulez
Après ses débuts, inscrits dans le dodécaphonisme, Boulez poursuit ses recherches formelles, par exemple dans sa mise en musique de poèmes de René Char, tel Le Visage nuptial (1946-50) ou dans ses pièces, Le Marteau sans maître (1955) - qui marque aussi le commencement d'une carrière internationale de chef d'orchestre, qui modifie la technique de cette direction - ou Polyphonie X, pour 18 instruments. Il contribue largement à diffuser ses convictions musicales, d'une part par ses écrits théoriques, d'autre part par la création de l'IRCAM, centre de recherche et de création, fondé en 1969, au Centre Pompidou, ainsi que de la Cité de la Musique, en 1995, pour optimiser l'environnement musical de création et d'écoute grâce à l'application de techniques novatrices. C'est aussi cette quête qui explique les incessants changements apportés à ses propres oeuvres.
Le Groupe de recherche musicale
C'est Pierre Schaeffer (1910-1995), ingénieur de formation, qui inaugure un nouveau courant, celui de la "musique concrète", qui deviendra plus tard la musique "électroacoustique" ou "acousmatique". En 1948, il entreprend, en effet, de travailler sur les sons eux-mêmes, sans partition, à l'aide d'un tourne-disques. Peu à peu, l'enregistrement devient plus qu'un support, le son enregistré forme la création même, par juxtaposition, en jouant, au fur et à mesure des progrès techniques, sur les longueurs et les intensités. Voici comment il raconte sa quête :
De retour à Paris, j'ai commencé à collectionner les objets. Je vais à la Radio française au Service du bruitage. J'y trouve des claquettes, des noix de coco, des klaxons, des pompes à bicyclettes. Je songe à une gamme de pompes. Il y a des gongs, il y a des appeaux (1). Je ris de découvrir des appeaux à la Radiodiffusion française qui, après tout, est une administration. [...]
L'appeau me redonne du courage. J'emporte aussi des timbres, un jeu de cloches, un réveil, deux crécelles, deux tourniquets à musique avec leur coloriage pour enfants. [...]
Je les emporte avec la joie d'un enfant qui sortirait du grenier, les bras remplis de bricoles inutiles et compromettantes. [...]
Je ne saurais assez insister sur cette compromission qui vous amène à vous saisir de trois douzaines d'objets pour faire du bruit sans la moindre justification dramatique, sans la moindre idée préconçue, sans le moindre espoir. Bien plus, avec le secret dépit de faire ce qu'il ne faut pas faire, de perdre son temps, ceci dans une époque sérieuse où le temps même nous est mesuré.
P. Schaeffer, revue Polyphonie, 1er trimestre 1950.
(1) Instrument destiné à attirer les oiseaux en imitant leur chant.
P. Schaeffer, Etudes de bruits, 1948.
Mais ces nouvelles compositions "acousmatiques", qui paraissent plus techniques que musicales, font scandale, telle la Symphonie pour un homme seul (1950) de Pierre Henry (né en 1927), puisque les sons, enregistrés, voire fabriqués par le compositeur, sont mixés, montés en studio, et pour une durée définitivement fixée.
La danse
Parallèlement à ces innovations musicales, la danse, à son tour, élabore des chorégraphies nouvelles. Roland Petit (1924-2011) déjà, sur des oeuvres de Milhaud, par exemple, ou de Dutilleux, crée, avec son épouse, la danseuse Zizi Jeanmaire, des ballets originaux avec la troupe des "Ballets de Paris", fondée en 1948, puis, en 1972, celle des "Ballets de Marseille".
Mais c'est Maurice Béjart (1927-2007) qui, avec sa première compagnie, "les Ballets de l'Etoile" (1954-56), révolutionne véritablement les traditions du ballet : pour sa Symphonie pour un homme seul, sur la musique de P. Schaeffer et de P. Henry, les critiques parlent de "cubisme chorégraphique". Chant, paroles, danse, il s'agit pour Béjart de créer un spectacle total où "le geste semble créer le bruit", selon sa formule. Le titre du ballet Messe pour le temps présent (Cf. Vidéo ci-dessus), monté au festival d'Avignon en 1967, traduit parfaitement la conception de Béjart. Il s'agit pour lui d'unir le sens métaphysique - exprimer l'âme du monde et les pulsations qu'elle éveille en chacun - au sens social : danser le monde moderne urbain, son rythme, les rencontres avec l'autre, les désirs et les rejets.
Pour découvrir les créations de R. Petit : cliquer sur l'image.
Adame Miroir, ballet de Genet, musique de Milhaud, chorégraphie de J. Charrat. Répétition avec W. Skouratoff et R. Petit, "Les Ballets deParis", 1948.
La chanson
Les nouveautés techniques de l'après-guerre, disque "microsillon" puis "33 tours", banalisation de l'électrophone, du transistor, de la télévision, enfin de la cassette, en 1966, en élargissant le public, donnent à la chanson un dynamisme plus fort. Deux tendances se distinguent alors nettement, l'une qui privilégie le rythme, l'autre qui met en valeur le texte.
La primauté du rythme
Avec les Américains arrive le jazz, interdit pendant l'Occupation, avec un premier festival international à Nice en 1948, qui accueille des musiciens français, tels le clarinettiste Claude Luter (1923-2006), le violoniste Stéphane Grappelli (1908-1997) ou le guitariste Django Reinhardt (1910-1953) qui marie le jazz à ses origines tziganes. Le jazz influence alors toute la chanson française.
En 1958, c'est le rock'n'roll' qui prend le relais, et s'impose auprès de la jeunesse, notamment dans les caves de Saint-Germain-des-Prés. Les groupes se multiplient, "Les chaussettes noires", "Les chats sauvages"... et les chanteurs adoptent souvent des pseudonymes anglo-saxons, comme Eddy Mitchell ou Dick Rivers.
Pour découvrir un rocker, Dick Rivers : cliquer sur le lien.
C. Luter, "Les oignons", 1967.
D. Reinhardt, "Les yeux noirs", 1947.
Enfin, les années 60 voient naître les "yéyés" (Cf. Vidéo ci-dessus), qui deviennent des "idoles" auxquelles bien des jeunes s'identifient : Sheila, Sylvie Vartan et Françoise Hardy, pour les filles, Johny Halliday, Claude François ou Franck Alamo pour les garçons. Avec ces rythmes apparaissent aussi de nouvelles danses, le twist, le madison... qui achèvent la rupture avec la tradition de la danse "en couple".
La primauté du texte
Pendant la guerre, des chanteurs se sont appliqués à apporter au public le divertissement nécessaire, certains, comme Charles Trenet avec "Y a d'la joie", Maurice Chevalier ou Line Renaud, en les faisant sourire, d'autres comme Tino Rossi ou Edith Piaf en choisissant une tonalité plus intimiste. Si l'après-guerre condamne certains d'entre eux à l'oubli, d'autres vont poursuivre leur carrière, parfois internationale, telle Edith Piaf (1915-1963) dont certaines chansons, "La Vie en rose", "La Foule", "L'Hymne à l'amour"... restent inoubliables.
"Chantons sous l'Occupation", un dossier pédagogique très complet : cliquer sur l'image.
Le temps des "zazous".
L'après-guerre marque l'arrivée sur scène d'une nouvelle génération, celle des auteurs-compositeurs-interprètes. Certains sont plutôt contestataires, et, comme les écrivains, s'engagent dans les débats de leur temps, tels Boris Vian, dont "Le déserteur" (1954) est interdit sur les ondes, Jean Ferrat, Georges Brassens ou Léo Ferré, Yves Montand ou encore Serge Gainsbourg. Ils chantent parfois les plus beaux poèmes français, comme le font Léo Ferré ou Yves Montand, et Brassens (1921-1981) (Cf. Vidéo ci-dessus) lui-même voit son oeuvre couronnée, en 1967, par le Grand Prix de Poésie. De Gilbert Bécaud, surnommé "monsieur 100 000 volts", à Charles Aznavour, Claude Nougaro ou le Belge Jacques Brel, de Line Renaud à Juliette Gréco (Cf. Vidéo ci-dessus), égérie des "existentialistes", en passant par Barbara, aux textes plus sombres et parfois violents, impossible de dresser une liste exhaustive de tous ceux dont les chansons ont profondément marqué la mémoire collective en reproduisant les aspirations et les questions de leur époque.
Chansons des années 50
R. Doisneau, Café, noir et blanc "Chez Gégène" avenue Galiéni, Joinville-le-Pont, 1948. Photographie, tirage gélatino-argentique, 40,2 x 39,1. Fonds Doisneau.
A. Zucca, Vélo-taxi en route vers Longchamps , aoît 1943. Photographie, tirage argentique, 17,8 x 18. Fonds Zucca
A. Resnais, Hiroshima mon amour, 1959. Scénario et dialogues de M. Duras.
"L'atelier Robert Doisneau", pour découvrir ses photographies : cliquer sur l'image.
La photographie et le cinéma
La photographie
Signal, magazine en langue française, n°6.
Les progrès techniques favorisent l’essor de la photographie, aussi bien pour les appareils que les pellicules, notamment avec, en 1942, la commercialisation des négatifs couleurs Kodacolor.
Pour découvrir Zucca, "Paris sous l'Occupation" : cliquer sur l'image.
Mais la guerre a freiné cet essor, car les autorités d’Occupation allemandes interdisent, dès septembre 1940, la prise de photo en extérieur. Il faut même une autorisation d’un supérieur pour les soldats… et, bien sûr, une accréditation officielle pour effectuer des reportages sur les actions militaires. D’où les difficultés rencontrées par André Zucca (1897-1973) à la Libération : devenu, en 1941, correspondant du magazine allemand Signal, il dispose alors d’un laissez-passer, d’une carte de presse, et, surtout, des pellicules précieuses en ces temps de restriction. Il nous laisse de nombreuses photos… mais on lui a beaucoup reproché d’avoir délibérément choisi de mettre en avant, pour illustrer cette difficile période, une image de légèreté, de frivolité même. Robert Doisneau (1912-1994), en revanche, engagé dans la Résistance (il fabrique de faux papiers), réussit à braver l’interdit et laisse quelques images de la réalité, plus authentiques, queues devant les magasins, par exemple, alertes aériennes, ou métaphoriques, telle la photographie du Cheval tombé (1942) qui symbolise la chute du pays.
R. Doisneau, Le Cheval tombé, 1942. Photographie, tirage gélatino-argentique, 22,9 x 27,9. Fonds R. Doisneau.
L'après-guerre
Dans l’après-guerre, la photographie se popularise, d’abord dans les familles, pour des portraits ou des scènes intimistes, puis pour soutenir le développement du pays. Par exemple la très forte demande d'images de la part du Commissariat général au tourisme amène la multiplication des cartes postales et des affiches : « Après la guerre, c’est venu, tout le monde qui sortait et qui envoyait une carte postale, nous les premiers. Oh ! On en a reçu des cartes postales, oui ! […] Les cartes postales, c’était plutôt pour les vacances ou si vous alliez vous promener dans un endroit… une sortie spéciale quoi. Un petit bonjour de, et voilà », explique une jeune épouse nantaise. Enfin, dans les années 60, la technique de la reprographie en couleur entraîne la disparition des affiches peintes, au profit de la photographie qui s’impose définitivement.
La photographie humaniste
Mais l’après-guerre voit aussi la naissance de la photographie humaniste, courant qui privilégie la mise en scène de l’être humain saisi dans son quotidien le plus banal. A travers le cadre ordinaire d’une rue, d’une boutique d’artisan, de jeux d’enfants ou d’un café où boivent quelques clochards… l’œil du photographe cherche à émouvoir, à montrer la beauté qui naît parfois d’un simple rayon de soleil, toujours d’une forme de fraternité, d’empathie entre le peintre et son sujet. Robert Doisneau (1912-1994) est sans doute celui qui est devenu le plus célèbre chantre de ce Paris populaire, mais ce courant compte bien d’autres représentants, tels Willy Ronis (1910-2009), Izis (1911-1980), René-Jacques (1908-2003), Henri-Cartier-Bresson, pour ne citer que les plus connus, dont certains participent aussi au « Groupe des XV », fondé en 1946, pour défendre la dimension artistique de la photographie et réclamer la sauvegarde du patrimoine qu’elle représente. Tous ces photographes travaillent également comme illustrateurs, pour la presse mais aussi pour des écrivains, comme Prévert, Carco, Mac Orlan…
Izis, 5 rue Hautefeuille, Paris, 1951. Photographie, tirage gélatino-argentique, 24 x 29. Photo La Flaneuse.
Une interview d'Izis, réalisée en 1975 pour France 3 : cliquer sur l'image.
Les années 60
Enfin, à partir des années 60 une nouvelle évolution s’observe, dans le lien qui s’établit entre le peintre, le sculpteur et le photographe. Avec le « body-art », puis le « land-art », le photographe fixe les performances, par définition éphémères, et, inversement, les photographies servent de base aux créations de l’hyperréalisme pictural.
Le cinéma
Pendant la guerre, les salles de cinéma ont conservé leur public, même si les créateurs, eux, ont été freinés par les multiples contraintes imposées par l'Occupant. Dès la Libération, l'essor reprend, symbolisé, en 1946, par la fondation du Festival international de Cannes et celle du Centre national de la Cinématographie. Les écrivains, d'ailleurs, ont bien compris la richesse de cet art. Ainsi, Prévert donne aux films de Marcel Carné, Les Visiteurs du soir (1942) ou Les Enfants du paradis (1945), leur force poétique. Cocteau, lui, en réalisant La Belle et la Bête (1946), Les Parents terribles (1948) ou Orphée (1949), trouve dans le cinéma un nouveau moyen pour illustrer son imaginaire, tout comme Giono qui adapte au cinéma, en 1963, son roman Un Roi sans divertissement.
L'adaptation cinématographique
Les réalisateurs continuent à vouloir adapter à l'écran une oeuvre littéraire, mais, de plus en plus, la transcription n'est plus strictement "fidèle" à l'oeuvre. Par exemple, Henri-Georges Clouzot (1907-1977), dans Manon, ou Roger Vadim (1928-2000), dans Les Liaisons dangereuses transposent le roman adapté en le situant dans l'époque actuelle.
D'autres se mettent davantage au service de l'oeuvre dont ils tentent de recréer l'atmosphère par les techniques cinématographiques, tels Claude Autant-Lara (1901-2000) pour Le Diable au corps (1947), d'après Radiguet, ou Le Blé en herbe (1954) d'après Colette, ou bien Christian-Jaque (1904-1994) pour le roman de Stendhal, La Chartreuse de Parme, en 1947. Certaines de ces adaptations ont renforcé l'oeuvre littéraire, comme celle de La Symphonie pastorale (1946), roman de Gide dont Jean Delannoy (1908-2008) restitue l'aspect pathétique et mystique, ou bien Le Journal d'un curé de campagne, oeuvre de Bernanos, que sert parfaitement le style dépouillé et austère de Robert Bresson (1901-1999). La plus belle preuve de la puissance que l'image peut ajouter à une oeuvre littéraire est l'interdiction qui pèse en 1957, dans les territoires d'outre-mer, sur Mort en fraude, film de Marcel Camus d'après un roman de Jean Hougron qui évoque l'Indochine, ou en 1967 sur La Religieuse, film de Jacques Rivette (1928-2016) d'après Diderot.
Cinéma et société
Le cinéma, après avoir été perçu comme un simple diversion, s'est très vite imposé comme un reflet de la réalité, et dans l'après-guerre il s'enracine de plus en plus dans son époque, à travers deux aspects essentiels.
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D'une part, il revient sur les douloureux moments de la guerre. Tantôt, comme chez Louis Malle (1932-1995) dans Jeux interdits (1951), ce sont l'émotion et la tendresse qui prédominent, à travers le regard des enfants. Tantôt, comme dans La Traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara, La Vache et le prisonnier (1959) d'Henri Verneuil (1920-2002) ou Le Caporal épinglé (1962) de Jean Renoir (1894-1979), le ton est délibérément humoristique, comme pour exorciser cette épreuve. Mais, si l'on excepte le remarquable film-documentaire d'Alain Resnais (1922-2014), Nuit et Brouillard (1955), commande du Comité d'Histoire de la seconde guerre mondiale pour l'anniversaire de la libération des camps nazis, les cinéastes ne sont pas encore prêts à traiter de la guerre dans toute sa cruauté, en montrant aussi l'attitude ambiguë, voire collaborationniste, de certains Français.
Un roi sans divertissement, film de Giono, 1963.
Jeux interdits , film de L. Malle, 1951.
Affiche du Mépris, film de J.-L. Godard, 1963.
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D'autre part, il illustre l'évolution de l'image de la femme qui s'accomplit à cette époque. On passe, en effet, de l'élégance de la "star", telle Michèle Morgan dans Remorques, film de Jean Gremillon (1901-1959), sorti en 1941, à la gouaille populaire de Simone Signoret qui incarne l'héroÏne de Casque d'or (1952) de Jacques Becker (1906-1960), une prostituée. Mais c'est Louis Malle qui accomplit la première transgression, en filmant, pour son film Les Amants, une scène finale d'amour, où l'actrice Jeanne Moreau apparaît très dénudée. Le scandale provoqué dans les milieux catholiques par le fait de montrer un adultère ainsi - et vécu avec plaisir - n'empêche pas le film d'être primé au Festival de Venise en 1958. L'ultime étape est franchie par Roger Vadim (1928-2000) qui fait de Brigitte Bardot le symbole sexuel de cette époque, en la représentant, dans Et Dieu créa la femme (1956) et dans Le Repos du guerrier (1962), comme une femme maîtresse de son corps et libérée de toutes les règles morales et conventions sociales.
Remorques , film de Gremillon, 1941.
Le cinéma d'auteur
Les cinéastes s'affirment alors comme des artistes à part entière, dont on peut reconnaître "le style" comme celui d'un écrivain. Citons, par exemple, les films d'Henri-Georges Clouzot, L'assassin habite au 21 (1942), Le Corbeau (1943), Quai des Orfèvres (1947) ou Les Diaboliques (1954) avec leur atmosphère sombre et mystérieuse qui souligne la façon dont les personnages se déchirent. Jacques Tati (1907-1982), pour sa part, se distingue par la force satirique, burlesque, de ses films, tels Jour de fête (1948), Les Vacances de Monsieur Hulot (1953) ou Mon Oncle (1958) : il se sert de son expérience du music-hall pour enchaîner les gags, pousser le comique gestuel à son apogée en réduisant la part des dialogues, mais en jouant sur la musique et les bruits pour créer une atmosphère souvent empreinte de poésie.
Les parapluies de Cherbourg, film de J. Demy, 1963
J. Tati, Les vacances de Monsieur Hulot, 1953... et une excellente analyse du film : cliquer sur le lien.
Enfin, c'est aussi l'époque où les cinéastes empruntent à l'Amérique ses comédies musicales comme Jacques Demy (1931-1990) avec Les parapluies de Cherbourg (1963), qui lance la carrière de Catherine Deneuve, ou Les demoiselles de Rochefort (1967), sur des musiques de Michel Legrand vite popularisées. Claude Lelouch (né en 1937) obtient lui aussi un grand succès avec Un homme et une femme, en 1966.
La "Nouvelle Vague"
A la fin des années 50, de jeunes cinéastes, issus des Cahiers du Cinéma, se regroupent pour former ce que l'on va vite nommer la "Nouvelle Vague". Le film d'Agnès Varda, La Pointe courte, en 1955, peut marquer la naissance de ce courant par son refus du récit logique et le mélange entre la réalité et la fiction. On y retrouve des ressemblances avec les recherches des "Nouveaux romanciers". D'ailleurs Alain Resnais recourt à Marguerite Duras pour Hiroshima mon amour (1959) et à Alain Robbe-Grillet pour L'Année dernière à Marienbad (1961)
A. Resnais, Hiroshima mon amour, 1959
F. Truffaut, Les quatre cents coups, 1959
J. -L. Godard, Pierrot le fou, 1965.
ELLE. — J'ai vu les actualités. Le deuxième jour, dit l'Histoire, je ne l'ai pas inventé, dès le deuxième jour, des espèces animales précises ont ressurgi des profondeurs de la terre et des cendres. Des chiens ont été photographiés. Pour toujours. Je les ai vus. J'ai vu les actualités. Je les ai vues. Du premier jour. Du deuxième jour. Du troisième jour.
LUI (il lui coupe la parole). — Tu n'as rien vu. Rien.
Chien amputé.
Gens, enfants.
Plaies.
Enfants brûlés hurlant.
ELLE. — ... du quinzième jour aussi.
Hiroshima se recouvrit de fleurs. Ce n'étaient partout que bleuets et glaïeuls, et volubilis et belles d'un jour qui renaissaient des cendres avec une extraordinaire vigueur, inconnue jusque-là chez les fleurs.
ELLE. — Je n'ai rien inventé.
LUI. — Tu as tout inventé.
ELLE. — Rien.
De même que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j'ai eu l'illusion devant Hiroshima que jamais je n'oublierai.
De même que dans l'amour.
Des pinces chirurgicales s'approchent d'un œil pour l'extraire.
Les actualités continuent.
ELLE. — J'ai vu aussi les rescapés et ceux qui étaient dans les ventres des femmes de Hiroshima.
Un bel enfant se tourne vers nous. Alors nous voyons qu'il est borgne.
Une jeune fille brûlée se regarde dans un miroir.
Une autre jeune fille aveugle aux mains tordues joue de la cithare.
Une femme prie auprès de ses enfants qui meurent.
Un homme se meurt de ne plus dormir depuis des années. (Une fois par semaine, on lui amène ses enfants.)
ELLE. — J'ai vu la patience, l'innocence, la douceur apparente avec lesquelles les survivants provisoires de Hiroshima s'accommodaient d'un sort tellement injuste que l'imagination d'habitude pourtant si féconde, devant eux, se ferme.
Toujours on revient à l'étreinte si parfaite des corps.
ELLE (bas). — Ecoute... Je sais... Je sais tout. Ça a continué.
LUI. — Rien. Tu ne sais rien.
M. Duras, Hiroshima mon amour, début du scénario, 1959.
On reconnaît, dans l'extrait ci-dessus, dialogue entre une jeune actrice française qui s'apprête à tourner un film sur Hiroshima et un architecte japonais, plusieurs techniques communes aux cinéastes rattachés à la "Nouvelle Vague", par exemple des ruptures de la linéarité du temps, la juxtapositions d'images réelles et imaginaires, ou insertion brutale, sous forme de "flashes", d'images empruntées à l'actualité, utilisation parfois de "voix off", dialogues ralentis, voire répétitifs, associés à des arrêts sur image ou à des ralentis. Il se crée alors une étrange combinaison. Alors même que ces cinéastes mettent en scène, dans des décors ordinaires, des personnages ordinaires, souvent jeunes comme eux-mêmes, et n'hésitant pas à braver les lois et la morale, comme dans Les Quatre cents coups (1959) de Truffaut, ils s'efforcent, par tous les moyens, de briser tout "réalisme", de souligner que tout cela n'est que"du cinéma", en montrant même parfois comment le film se crée, refusant ainsi de tromper le spectateur.
Les réalisations de certains de ces cinéastes, Agnès Varda, avec Cléo de cinq à sept (1961), François Truffaut, avec Les quatre cents coups (1959) ou Jules et Jim (1962), Claude Chabrol avec Le beau Serge (1958), Alain Resnais, Eric Rohmer, Jacques Rivette... , ont trouvé un public intéressé. Mais ils ont aussi déconcerté, voire choqué le public, à commencer par ceux de Jean-Luc Godard (né en 1930). Dès A bout de souffle (1960), il montre son originalité, avec un scénario sans découpage prétabli, qui se soucie peu de la logique et laisse place à l'improvisation - d'où la révélation du jeune acteur qu'est alors Jean-Paul Belmondo - ce qui donne au film un rythme brisé, parfois haletant, qu'on retrouve dans Vivre sa vie (1962), Le Mépris (1963) ou Pierrot le fou (1965). Au-delà des provocations auxquelles a pu se livrer Godard, de ses critiques politiques aussi, ses films, comme ceux de ses camarades, reproduisent bien l'effort de quête de soi dans un monde perçu comme absurde, propre à cette époque. Ils font date dans l'histoire du cinéma et ont influencé de nombreux jeunes réalisateurs.