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della Robbia, Bas-relief, XV° siècle, Florence
La dissertation : une discussion argumentée

Les objectifs de la dissertation littéraire

La "disputatio" médiévale

La dissertation vient d'un exercice ancien, hérité d'Aristote, la "disputatio" au moyen-âge, c'est-à-dire la confrontation de thèses opposées à partir d'une question, d'où sort la vérité, posée par le maître. C'était alors une méthode d'enseignement, orale, et de recherche, notamment sur les questions religieuses.

Voici comment, aujourd'hui, elle est officiellement définie dans le cadre de l'épreuve de français au Baccalauréat : "La dissertation consiste à conduire une réflexion personnelle organisée sur une question littéraire portant sur l’une des œuvres et sur le parcours associé figurant dans le programme d’œuvres. [...] Pour développer son argumentation, le candidat s’appuie sur sa connaissance de l’œuvre et des textes étudiés dans le cadre de l’objet d’étude concerné, ainsi que sur ses lectures et sa culture personnelles." (extrait de la note de service du 18 avril 2019)

Là où la "disputatio" impliquait plusieurs intervenants, l'un se chargeant du "pro", l'autre du "contra", tandis que le maître tranchait le débat, la dissertation est, aujourd'hui, une "réflexion personnelle", c'est-à-dire que le candidat conduit seul son "argumentation", et reste libre de poser sa propre vérité, qui sera acceptable si elle est, d'une part, "argumentée" solidement, d'autre part soutenue par des exemples empruntés aux "textes dont il dispose", donc l'œuvre étudiée dans l'année, le parcours qui lui a été associé, voire la lecture cursive qui lui a été liée mais aussi "ses lectures et sa culture personnelle". Ainsi, le candidat doit faire preuve d'esprit critique par rapport à son propre jugement, en envisageant lui-même les objections que pourrait lui faire un adversaire, dont il rend compte avec honnêteté, et s'efforcer d'affiner les premiers constats qu'il a pu être amené à faire spontanément. 

Analyse de la consigne
Dissertation analytique, dissertation problématique
Observons la question posée...

1. Pourquoi certains écrivains ont-ils recours à la fiction pour transmettre des vérités ou des leçons ? 

Vous répondrez à cette question dans un développement structuré. Votre travail prendra appui sur L'Ingénu de Voltaire, sur les textes et documents qui lui ont été associés dans le parcours littéraire, et sur vos lectures personnelles. 

 

2. Dans la préface de son recueil de poèmes Les Contemplations (1856), Victor Hugo répond à ceux qui se plaignent "des écrivains qui disent moi" : « Ah ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi ! »
Votre propre lecture des Contemplations, des textes et des documents qui lui ont été associés, et vos lectures personnelles vous amène-t-elle à partager ce jugement ?  Vous justifierez votre réponse par des exemples précis.  

 

3. La poésie vous semble-t-elle le genre le mieux adapté à l'expression du moi ?

Vous appuierez votre réflexion sur l'œuvre poétique étudiée, sur les textes et documents qui lui ont été associés et sur vos lectures personnelles. 

 

4. Dans le Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig affirme : "La poésie ne se trouve pas que dans les vers".

Vous direz si vous partagez son point de vue dans un développement argumenté. Vous vous appuierez sur le recueil d'Apollinaire, sur les textes, les documents et la lecture cursives associés à cette étude.

Comparons les questions posées dans ces quatre sujets.

Cette question peut prendre diverses formes :

- être directe, comme dans le sujet 3 avec "vous semble-t-elle...", avec l'inversion du sujet et du verbe et le point d'interrogation final, ou indirecte, comme dans le sujet 4, "vous direz si... "

- s'appuyer sur une citation d'auteur (en caractères gras), comme dans deux des sujets ci-contre, ou rester seule, comme dans les sujets 1 et 3.

- être totale ou partielle :

  • On parle de dissertation "dialectique" ou "problématique" quand la question est totale, c'est-à-dire quand je peux répondre par "oui" ou par "non". C'est le cas dans le sujet 3, par exemple, ou dans le sujet 4.

  • On parle de dissertation analytique dans les autres cas, où elle est partielle. Par exemple, dans le sujet 1 la question "pourquoi" me demande de chercher des causes, il m'est impossible d'y répondre par "oui" ou "non".

Notons un cas particulier, la formulation par "Dans quelle mesure...". Le sujet 4 aurait pu demander : "Dans quelle mesure partagez-vous son point de vue ?" Elle implique un "dosage" entre le "oui" et le "non"... , donc, là aussi, d'une dissertation problématique, qui doit mesurer le poids des aspects contradictoires de la question.

La première étape dans l'analyse de la consigne consiste donc à déterminer la forme de dissertation demandée, car c'est elle qui induit la structure du développement. La question "pourquoi" demande, en effet, d'organiser l'argumentation autour de deux ou trois causes, tandis que la dissertation problématique se construit comme un débat : deux thèses s'opposent dans les deux premières parties, opposition que l'on peut tenter de dépasser dans une troisième partie ou dans une conclusion.

L'énoncé du sujet

Il est à lier aux connaissances littéraires acquises, de façon à ouvrir des pistes de réflexion.

- Sans citation d'auteur : En partant du verbe, on analyse le complément d'objet, direct ou indirect, puis les autres compléments de la phrase

  1. dans le sujet 1 : Le verbe "ont-ils recours" (c'est-à-dire choisir, adopter) a pour complément "la fiction", donc ces écrivains inventent, imaginent, sans souci premier de vraisemblance. La phrase est complétée par un complément de but : "pour transmettre des vérités ou des leçons". Il s'oppose directement à la notion de "fiction". Il s'agit donc de résoudre un paradoxe : pourquoi inventer du faux pour poser le vrai ? En quoi cela peut-il être utile ? 

  2. dans le sujet 3, "le genre le mieux adapté à l'expression du moi". Le sujet portant sur "la poésie", la question demande d'envisager les autres genres littéraires, théâtre, roman, essai..., pour réfléchir aux spécificités de la poésie, notamment à l'avantage - ou à l'inconvénient - de la versification, à ses règles, à ses formes fixes... La formule "expression du moi" renvoie, elle, directement à un registre, le lyrisme, sur lequel récapituler les acquis. Mais il convient aussi de penser à d'autres formes littéraires qui conduisent à l'emploi du "je", telles l'autobiographie, la lettre... Cette analyse conduit alors à préciser la question : 

  • quelles qualités spécifiques à la poésie en feraient "le genre le mieux adapté à l'expression du moi" ? Les images qu'elle met en oeuvre ? La recherche d'harmonie sur la versification ? Sa fonction de confidence intime ?

  • mais qu'est-ce qui pourrait contredire cet avantage ? Sa brièveté, ne permettant pas d'entrer dans les détails ? Un style qui compliquerait parfois la lecture ?

  • quel/s autre/s genre/s littéraire/s pourrai[en]t mieux remplir ce rôle ? La lettre ? L'autobiographie ? Le roman, selon le point de vue adopté ? 

- Avec citation d'auteur :

  • Dans certains cas, la citation porte à elle seule le questionnement, comme dans le sujet 4, où la question concerne le "point de vue" de Dantzig. C'est donc lui qui est à étudier, ici à partir de la négation restrictive, "ne...que". Si "la poésie ne se trouve pas que dans les vers", où peut-elle se trouver ? Ce qui s'oppose aux vers est "la prose"... J'ai donc deux aspects à envisager, d'une part le lien étroit entre la poésie et la forme versifiée (la longueur du vers, la forme des strophes, les formes fixes, tel le sonnet... ), d'autre part le fait que la prose peut devenir "poétique": à quelles conditions ? Le choix des thèmes ? Une recherche esthétique sur le langage ? La transfiguration du réel par des images ?

  • Enfin, le questionnement peut préciser la citation, en explicitant son enjeu. Dans le sujet 2, les phrases de Victor Hugo insistent sur l'idée que le "je" de l'auteur se confond avec celui du lecteur : le lecteur pourrait donc, selon lui, trouver un écho entre sa propre expérience et celle du poète, s'identifier à lui, partager ses sentiments. Le questionnement, lui, précise le choix offert au lecteur : soit celui que lui propose Hugo ("qu'un poète vous parle de lui"), soit "d'autres sujets" ? Lesquels alors ? Un récit fictif, comme dans la fable ? Une opinion, comme dans la poésie engagée ? Une description de paysage ?...

Pour s'exercer...

1. En quoi l’œuvre étudiée, Les Fleurs du Mal de Baudelaire, le parcours et la lecture personnelle associés peuvent-ils justifier ce jugement d’Alfred de Vigny, dans son roman, Stello, paru en 1832 : « Le poète a une malédiction sur sa vie, et une bénédiction sur son nom » ?                   

Vous répondrez à cette question dans un développement structuré, appuyé sur des exemples précis. 

 

2. Dans quelle mesure une comédie est-elle efficace pour inciter à réfléchir sur l’homme et sur le monde ?

Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, sur les textes et documents figurant dans le parcours associé à cette étude, et sur vos lectures personnelles.

3. Dans "Les Ponts", Arthur Rimbaud met un terme à sa vision par cette phrase : "- Un rayon blanc, tombant du ciel, anéantit cette comédie". En vous appuyant sur le recueil d'Apollinaire, et les poèmes que vous avez lus ou étudiés, en classe ou personnellement, vous vous demanderez si la poésie nous éloigne du réel ou nous fait mieux percevoir la réalité.

 

4. Un philosophe a  déclaré qu'il avait beaucoup plus appris sur l'économie et la politique dans les romans de Balzac qu'en lisant les économistes et les historiens. La lecture des romans permet-elle, selon vous, de connaître une période historique et une société ?

Vous rédigerez un développement structuré, qui s'appuiera sur le roman et le parcours associé étudiés, ainsi que sur vos lectures personnelles.

QUESTION  : Pour chacun de ces sujets déterminer la nature de la dissertation attendue, et analyser l'énoncé.

Préparation de la dissertation

La dissertation a toujours un support,

  • explicite comme pour l'épreuve de français au Baccalauréat, "l'œuvre étudiée", le "parcours littéraire associé", voire une "lecture personnelle" en lien avec ce même objet d'étude, 

  • ou implicite dans les classes post-baccalauréat où peuvent n'être mentionnés qu'un genre, un mouvement littéraire, ou l'ensemble de l'oeuvre d'un auteur.

C'est la connaissance de ce support qui guide la réflexion, et permettra de l'appuyer sur des exemples. Mais la dissertation s'appuie aussi sur des connaissances plus générales, d'histoire littéraire mais aussi des spécificités des genres, des registres, des éléments de stylistique..., sur les analyses textuelles faites au cours d l'étude, et sur notre propre expérience de lecteur. Préparer une dissertation, c'est donc d'abord récapituler ces acquis, puis les organiser pour construire une argumentation, que viendront soutenir des exemples précis.

Quand le support est un corpus : observons...

TEXTE A - Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, La Vie de Marianne, 1742.

[Nous sommes au début du roman.]

   Avant que de donner cette histoire au public, il faut lui apprendre comment je l'ai trouvée.  Il y a six mois que j'achetai une maison de campagne à quelques lieues de Rennes, qui, depuis trente ans, a passé successivement entre les mains de cinq ou six personnes. J'ai voulu faire changer quelque chose à la disposition du premier appartement, et dans une armoire pratiquée dans l'enfoncement d'un mur, on y a trouvé un manuscrit en plusieurs cahiers contenant l'histoire qu'on va lire, et le tout d'une écriture de femme. On me l'apporta ; je le lus avec deux de mes amis qui étaient chez moi, et qui depuis ce jour-là n'ont cessé de me dire qu'il fallait le faire imprimer : je le veux bien, d'autant plus que cette histoire n'intéresse (1) personne. Nous voyons par la date que nous avons trouvée à la fin du manuscrit, qu'il y a quarante ans qu'il est écrit ; nous avons changé le nom de deux personnes dont il y est parlé, et qui sont mortes. Ce qui y est dit d'elles est pourtant très indifférent ; mais n'importe : il est toujours mieux de supprimer leurs noms.  Voilà tout ce que j'avais à dire : ce petit préambule m'a paru nécessaire, et je l'ai fait du mieux que j'ai pu, car je ne suis point auteur, et jamais on n'imprimera de moi que cette vingtaine de lignes-ci.  Passons maintenant à l'histoire. C'est une femme qui raconte sa vie ; nous ne savons qui elle était. C'est la Vie de Marianne ; c'est ainsi qu'elle se nomme elle-même au commencement de son histoire ; elle prend ensuite le titre de comtesse ; elle parle à une de ses amies dont le nom est en blanc, et puis c'est tout.

 

   Quand je (2) vous ai fait le récit de quelques accidents de ma vie, je ne m'attendais pas, ma chère amie, que vous me prieriez de vous la donner toute entière, et d'en faire un livre à imprimer. Il est vrai que l'histoire en est particulière, mais je la gâterai, si je l'écris ; car où voulez-vous que je prenne un style ?  II est vrai que dans le monde on m'a trouvé de l'esprit ; mais, ma chère, je crois que cet esprit-là n'est bon qu'à être dit, et qu'il ne vaudra rien à être lu.  Nous autres jolies femmes, car j'ai été de ce nombre, personne n'a plus d'esprit que nous, quand nous en avons un peu : les hommes ne savent plus alors la valeur de ce que nous disons ; en nous écoutant parler, ils nous regardent, et ce que nous disons profite de ce qu'ils voient.  J'ai vu une jolie femme dont la conversation passait pour un enchantement, personne au monde ne s'exprimait comme elle ; c'était la vivacité, c'était la finesse même qui parlait : les connaisseurs n'y pouvaient tenir de plaisir. La petite vérole (3) lui vint, elle en resta extrêmement marquée : quand la pauvre femme reparut, ce n'était plus qu'une babillarde (4) incommode. Voyez combien auparavant elle avait emprunté d'esprit de son visage ! Il se pourrait bien faire que le mien m'en eût prêté aussi dans le temps qu'on m'en trouvait beaucoup. Je me souviens de mes yeux de ce temps-là, et je crois qu'ils avaient plus d'esprit que moi.  Combien de fois me suis-je surprise à dire des choses qui auraient eu bien de la peine à passer toutes seules ! Sans le jeu d'une physionomie friponne qui les accompagnait, on ne m'aurait pas applaudie comme on faisait, et si une petite vérole était venue réduire cela à ce que cela valait, franchement, je pense que j'y aurais perdu beaucoup.

 

(1) Ne met en jeu aucune personne vivante.

(2) Ici commence le récit de Marianne.

(3)  Maladie qui couvre le visage de pustules, laissant des cicatrices.

(4) Bavarde.

TEXTE B - Alain Robbe-Grillet, Les Gommes, 1953.

     Dans la pénombre de la salle de café le patron dispose les tables et les chaises, les cendriers, les siphons d'eau gazeuse ; il est six heures du matin,  II n'a pas besoin de voir clair, il ne sait même pas ce qu'il fait. Il dort encore. De très anciennes lois règlent le détail de ses gestes, sauvés pour une fois du flottement des intentions humaines ; chaque seconde marque un pur mouvement : un pas de côté, la chaise à trente centimètres, trois coups de torchon, demi-tour à droite, deux pas en avant, chaque seconde marque, parfaite, égale, sans bavure. Trente et un. Trente-deux. Trente-trois. Trente-quatre. Trente-cinq. Trente-six. Trente-sept. Chaque seconde à sa place exacte. Bientôt malheureusement le temps ne sera plus le maître. Enveloppés de leur cerne d'erreur et de doute, les événements de cette journée, si minimes qu'ils puissent être, vont dans quelques instants commencer leur besogne, entamer progressivement l'ordonnance idéale, introduire çà et là, sournoisement, une inversion, un décalage, une confusion, une courbure, pour accomplir peu à peu leur Å“uvre : un jour, au début de l'hiver, sans plan, sans direction, incompréhensible et monstrueux.  Mais il est encore trop tôt, la porte de la rue vient à peine d'être déverrouillée, l'unique personnage présent en scène n'a pas encore recouvré son existence propre. II est l'heure où les douze chaises descendent doucement des tables de faux marbre où elles viennent de passer la nuit. Rien de plus. Un bras machinal remet en place le décor.  Quand tout est prêt, la lumière s'allume...

TEXTE C - Milan Kundera, L'Immortalité, 1990.

[Le narrateur écrit un roman.]

   Quand je me suis réveillé, il était déjà presque huit heures et demie ; j'imaginai Agnès. Comme moi, elle est allongée dans un grand lit. La moitié droite du lit est vide. Qui est le mari ? Apparemment, quelqu'un qui sort de bonne heure le samedi. C'est pourquoi elle est seule et, délicieusement, balance entre réveil et rêverie.  Puis elle se lève. En face, sur un long pied, un téléviseur se dresse. Elle lance sa chemise, qui vient recouvrir l'écran d'une blanche draperie. Pour la première fois je la vois nue, Agnès, l'héroïne de mon roman. Elle se tient debout, près du lit, elle est jolie, et je ne peux la quitter des yeux. Enfin, comme si elle avait senti mon regard, elle s'enfuit dans la pièce voisine et s'habille.  Qui est Agnès ?  De même qu'Eve est issue d'une côte d'Adam, de même que Vénus est née de l'écume, Agnès a surgi d'un geste de la dame sexagénaire, que j'ai vue au bord de la piscine saluer de la main son maître nageur et dont les traits s'estompent déjà dans ma mémoire (1). Son geste a alors éveillé en moi une immense, une incompréhensible nostalgie, et cette nostalgie a accouché du personnage auquel j'ai donné le nom d'Agnès.

 

1. Quelques pages auparavant, le narrateur écrit : « Ce sourire, ce geste, étaient d'une femme de vingt ans. »

Marivaux, "La Vie de Marianne"
Robbe-Grillet, "Les Gommes"
Kundera, "L'Immortalité"
Philippe Claudel, "Les Ames grises"

TEXTE D - Philippe Claudel, Les Âmes grises, 2003.

     Si on me demandait par quel miracle je sais tous les faits que je vais raconter, je répondrais que je les sais, un point c'est tout. Je les sais parce qu'ils me sont familiers comme le soir qui tombe et le jour qui se lève. Parce que j'ai passé ma vie à vouloir les assembler et les recoudre, pour les faire parler, pour les entendre. C'était jadis un peu mon métier.  Je vais faire défiler beaucoup d'ombres. L'une surtout sera au premier plan. Elle appartenait à un homme qui se nommait Pierre-Ange Destinat. Il fut procureur à V., pendant plus de trente ans, et il exerça son métier comme une horloge mécanique qui jamais ne s'émeut ni ne tombe en panne. Du grand art si l'on veut, et qui n'a pas besoin de musée pour se mettre en valeur. En 1917, au moment de l'Affaire, comme on l'a appelée chez nous tout en soulignant la majuscule avec des soupirs et des mimiques, il avait plus de soixante ans et avait pris sa retraite une année plus tôt. C'était un homme grand et sec, qui ressemblait à un oiseau froid, majestueux et lointain. Il parlait peu. Il impressionnait beaucoup. Il avait des yeux clairs qui semblaient immobiles et des lèvres minces, pas de moustache, un haut front, des cheveux gris.  V. est distant de chez nous d'une vingtaine de kilomètres. Une vingtaine de kilomètres en 1917, c'était un monde déjà, surtout en hiver, surtout avec cette guerre qui n'en finissait pas et qui nous amenait

un grand fracas sur les routes, de camions et de charrettes à bras, et des fumées puantes ainsi que des coups de tonnerre par milliers car le front n'était pas loin, même si de là où nous étions, c'était pour nous comme un monstre invisible, un pays caché. Destinat, on l'appelait différemment selon les endroits et selon les gens. A la prison de V., la plupart des pensionnaires le surnommaient Bois-le-sang. Dans une cellule, j'ai même vu un dessin au couteau sur une grosse porte en chêne qui le représentait. C'était d'ailleurs assez ressemblant. Il faut dire que l'artiste avait eu tout le temps d'admirer le modèle durant ses quinze jours de grand procès.  Nous autres dans la rue, quand on croisait Pierre-Ange Destinat, on l'appelait « Monsieur le Procureur ». Les hommes soulevaient leur casquette et les femmes modestes pliaient le genou. Les autres, les grandes, celles qui étaient de son monde, baissaient la tête très légèrement, comme les petits oiseaux quand ils boivent dans les gouttières. Tout cela ne le touchait guère. Il ne répondait pas, ou si peu, qu'il aurait fallu porter quatre lorgnons bien astiqués pour voir ses lèvres bouger. Ce n'était pas du mépris comme la plupart des gens le croyaient, c'était je pense tout simplement du détachement.  Malgré tout, il y eut une jeune personne qui l'avait presque compris, une jeune fille dont je reparlerai, et qui elle, mais pour elle seule, l'avait surnommé Tristesse. C'est peut-être par sa faute que tout.est arrivé, mais elle n'en a jamais rien su.

Sujet : Un roman doit-il chercher à faire oublier au lecteur que ses personnages sont fictifs ?

Vous répondrez à cette question à partir des textes du corpus, des œuvres étudiées en classe et de vos connaissances personnelles.

Analyse de la consigne

- La question, directe, "doit-il", peut recevoir une réponse "oui" ou "non", elle induit une dissertation dialectique, pour envisager ce double aspect.

- Elle porte sur l'objet d'étude intitulé "le personnage de roman".

- La problématique concerne le travail du romancier par rapport aux attentes du lecteur. Le lecteur préfère-t-il un personnage qui lui semble "vrai", est-il gêné par l'aspect "fictif" du personnage ? Le romancier est-il libre, au contraire du verbe "doit", qui lui impose une obligation, d'inventer librement, ou a-t-il l'obligation, pour plaire à son lecteur, de rechercher un effet de réel, une vérité ? Ce choix guidera la construction des deux parties antithétiques du plan.

 

Récapituler les acquis

- La question sur le corpus est : "Dans leur manière d'introduire les personnages, ces textes cherchent-ils à donner l'illusion du réel ?" La réponse regroupe les textes de Marivaux et de Claudel, qui recherchent cette "illusion du réel", en les opposant à Robbe-Grillet et Kundera. Ces deux auteurs, en effet, soulignent la part de création libre : ils montrent comment le roman sort de l'imagination de son créateur, maître du récit. Nous reprendrons les exemples de ce corpus, notamment les techniques qu'utilisent les auteurs qui cherchent "à faire oublier au lecteur que [leurs] personnages sont fictifs" :

  • Marivaux, qui fait croire que le roman n'est que la mise en forme d'un authentique journal intime trouvé par hasard, donc affirme l'existence de cette Marianne qui raconte sa vie à une amie ;

  • Claudel, dont le narrateur se présente comme un témoin de ce qu'il va raconter, et insiste sur la vérité de son personnage avec de nombreuses précisions.

- Nos acquis d'histoire littéraire portent sur le mouvement réaliste au XIX° siècle, et sur son prolongement, le naturalisme : ces deux mouvements, qui visent à reproduire la société, veulent nous faire croire à la vérité de leurs personnages. Parmi ces auteurs, nous connaissons Balzac, Flaubert, Maupassant, Zola...

- Nos connaissances sur "le roman" en tant que genre littéraire nous rappellent le rôle qu'y jouent, pour produire un effet de réel, le cadre spatio-temporel, et l'énonciation : le point de vue narratif, omniscient, interne ou externe, les discours rapportés... Mais nous savons aussi que le roman s'inscrit dans des registres aussi divers que le pathétique, le polémique, le fantastique, et a pris des formes variées : roman historique, roman de science-fiction, roman policier... Enfin, à propos du "personnage" lui-même, nous connaissons les éléments utiles pour observer son portrait : physique, psychologique, moral, intellectuel, social.

 

Recherche des arguments

La consigne de la dissertation implique aussi de s'interroger sur le point de vue du lecteur, en fonction du choix offert :

- Quelles raisons peuvent conduire un lecteur à vouloir que le romancier lui fasse "oublier que ses personnages sont fictifs" ? Pourquoi préférerait-il le réalisme ? Que peut lui apporter ce réalisme ?

- Mais cela signifie-t-il pour autant un refus de la "fiction" ? Le lecteur veut-il à tout prix retrouver la réalité dans un personnage ? Quand un romancier choisit délibérément de sortir du réalisme, d'aller jusqu'à l'irréel parfois, ou, tout simplement, de nous montrer qu'il invente, rejetons-nous son personnage ? Est-il sans intérêt ?

Les goûts personnels jouent, bien évidemment, un rôle lors de ce questionnement.

 

Construction d'un plan

Cette 1ère étape de la réflexion, qui occupe environ 1/2 heure sur les 3 heures restant imparties au travail d'écriture, conduit à des notes encore très désordonnées : idées reprises aux textes du corpus, souvenirs de cours ou de textes analysés en classe, rappel de personnages que nous avons appréciés dans les romans lus...

La seconde 1/2 heure de préparation consiste à élaborer le plan, ici dialectique selon que nous considérons que le romancier "doit" - ou non - "faire oublier que ses personnages sont fictifs". Chaque partie, pour être suffisamment solide, propose 2 ou 3 arguments, et, pour chacun, au moins un exemple, bien analysé, en n'oubliant pas que l'ensemble des textes du corpus doit être utilisé. Ces arguments sont - souvent dans un second temps - classés, soit par ordre d'importance croissante, soit du plus immédiatement évident au plus complexe.

OUI, le romancier "doit faire oublier au lecteur que ses personnages sont fictifs". Pourquoi ?

NON, le romancier reste libre de montrer qu'il s'agit de "fiction", un "personnage "fictif" peut avoir un intérêt, et plaire au lecteur.

Même si le lecteur sait que, derrière un personnage se cache un auteur, il aime croire à son existence indépendante : il a alors l’impression que la lecture lui permet d’atteindre une transparence absolue des êtres, de découvrir des profondeurs psychologiques, ce qui, dans la vie quotidienne, reste impossible.

EX : textes de Marivaux et de Claudel, les procédés utilisés

 

Grâce au personnage, le lecteur découvre d’autres sociétés, d’autres mœurs, d’autres époques : son existence étant limitée dans l’espace et dans le temps, le romancier se charge, lui, de le faire pénétrer dans des lieux et des milieux sociaux inconnus, afin qu'il comprenne mieux ainsi le fonctionnement, par exemple de la vie politique, de l’économie, de l’entreprise ou des médias.

EX : le roman historique - les mouvements réaliste et naturaliste - Balzac, Zola ou Maupassant. (oeuvres/textes étudiés)

 

Cette exigence de réalisme correspond aux objectifs que se fixent à eux-mêmes de nombreux romanciers, qui veulent, au moyen de leur personnage, apporter un témoignage sur leur époque, lutter contre les abus et les injustices. Le romancier masque alors la dimension fictive pour obliger le lecteur, qu’il place dans la réalité, à le suivre dans ses jugements.

EX : des romanciers engagés, comme Hugo ou Céline. (textes étudiés)

Le romancier ne peut pas se voir imposer un tel devoir de réalisme à tout prix, alors que c’est précisément cette fiction qui séduit le plus souvent le lecteur. Il suit les péripéties vécues par le personnage, en ne recherchant qu’un moment de plaisir, d’oubli du quotidien.

​

EX : le roman d'aventures, le roman policier (lectures personnelles)

 

Il peut être intéressant pour le lecteur de découvrir, comme il peut observer, sur un tableau, les repentirs de l’artiste, ou participer aux répétitions d’une pièce de théâtre, la façon dont travaille le romancier, son imaginaire. Le romancier, en dévoilant les procédés de sa fiction, joue avec son lecteur comme avec un partenaire, le conviant à entrer dans son atelier d’écriture.

EX : Robbe-Grillet qui nous ouvre les yeux sur la toute-puissance du romancier - Kundera qui nous révèle son inspiration.

 

Le fait que le personnage soit "fictif" n'est pas si important pour le lecteur. D'une part, la fiction, pleinement assumée, peut être encore plus efficace que le réalisme  pour amener le lecteur à  réfléchir. D'autre part, qu’un personnage soit présenté comme authentique ou comme fictif ne change rien aux réactions du lecteur : pour lui seul compte la vérité psychologique, le partage des sentiments du personnage.

EX : les personnages d'Orwell, dans La Ferme des animaux, ou de Boris Vian, dans L'Ecume des jours. (oeuvres étudiées)

Pour l'épreuve de l'EAF du nouveau programme : observons...

Attendus

•â€ˆla compréhension du sens et des enjeux du sujet proposé ;

•â€ˆun développement pertinent et cohérent, organisé en plusieurs parties, proposant un traitement progressif et argumenté du sujet ;

•â€ˆune connaissance suffisamment précise de l’œuvre et de ses contextes pour permettre de justifier et d’exemplifier le propos ;

•â€ˆune expression correcte et juste, au service de la réflexion sur la question posée.

Le site officiel "éduscol" apporte quelques précisions au nouveau programme de français pour le lycée. On notera l'importance accordée aux étapes précédemment dégagées : l'analyse de la consigne, la construction d'une argumentation en rapport avec la question posée, les acquis sur l'œuvre et sur son contexte. 

eduscol.jpg

Sujet : Le poète Saint-John Perse définissait ainsi son art : « Poète est celui-là qui rompt avec l'accoutumance ». Dans quelle mesure cette définition, qui associe la valeur de la poésie à son étrangeté, à l’effet de surprise qu’elle produit sur le lecteur, peut-elle s’appliquer à l’œuvre que vous avez étudiée ?  

Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur le recueil étudié, ainsi que sur le parcours et la lecture personnelle qui lui ont été associés.

Analyse de la consigne

-  En définir la nature : La formule « dans quelle mesure » implique une dissertation dialectique qui conduit à « mesurer » le poids respectif d’une approbation ou d’un rejet. Le développement proposera donc au moins deux axes d'étude, le second représentant l'opinion personnelle dominante. 

- Elle porte sur l’œuvre étudiée, dans cet exemple Alcools  de Guillaume Apollinaire, et le parcours qui lui est associé, intitulé : "Modernité poétique ?"

- La consigne porte sur une définition de la poésie, sur le travail du poète par rapport aux attentes du lecteur. Elle définit le "poète" comme celui qui « rompt avec l’accoutumance », c'est-à-dire qui ne suit pas ce qui est habituel, qui brise les habitudes du lecteur. 

Elle interroge sur ce qui fait « la valeur » d’un poème » : qu’est-ce qui plaît au lecteur dans un poème ? Les deux critères introduits reprennent la formule de Saint-John Perse. Le mot « étrangeté » reprend, en effet, l’idée de différence par rapport à ce qui est connu, habituel ; de même, l’« effet de surprise » implique que le lecteur y trouve quelque chose de différent, auquel il n’est pas habitué.

Il s’agit donc de s’interroger sur le travail d'Apollinaire : a-t-il, dans son recueil, recherché à tout prix l’originalité, a-t-il voulu surtout se différencier de ses prédécesseurs, traiter des thèmes nouveaux, étonner par son style… ? Est-ce cela qui amènera le lecteur à reconnaître la valeur du recueil ? 

 

Récapituler les acquis

L'élève dispose à la fois de connaissances générales sur le recueil, d'une étude plus précise de la section intitulée "Rhénanes", avec des explications et des lectures cursives. Cela a nourri sa culture, à la fois sur l'histoire littéraire, sur les différents courants poétiques, mais aussi sur ce genre lui-même.

 

Recherche des arguments

La consigne de la dissertation implique de s'interroger sur le point de vue du lecteur, en fonction du choix offert :

- S'il y a, selon lui, une réelle "étrangeté" dans le recueil : d'où vient-elle ? Comment se manifeste-t-elle ? Quels procédés d'écriture la font naître ?

- Mais est-ce véritablement cette "étrangeté" qui, chez Apollinaire, va séduire le lecteur ? Remet-il vraiment en cause ses prédécesseurs ? 

 

Construction d'un plan

Cette 1ère étape de la réflexion, qui occupe environ 1/2 heure sur les 4 heures imparties à l'épreuve écrite, conduit à des notes encore très désordonnées : idées reprises aux textes d'Apollinaire étudiés, souvenirs des cours sur le recueil, de textes lus en classe, rappel des connaissances acquises en histoire littéraire et sur la poésie, éléments appréciés - ou non - dans les poèmes lus...

La seconde 1/2 heure de préparation consiste à élaborer le plan, ici dialectique selon que nous considérons que le recueil Alcools  se définit - et nous séduit, ou non - par son "étrangeté" ou par des aspects plus traditionnels. Ces arguments sont - souvent dans un second temps - classés, soit par ordre d'importance croissante, soit du plus immédiatement évident au plus complexe.

Pour voir l'étude du recueil et le parcours associé...
Pour s'exercer...

Sujet 1 (sur un support général): Emile Zola déclare, dans Deux définitions du roman (1866), "le premier homme qui passe est un héros suffisant". Partagez-vous cette conception du personnage de roman ? 

 

QUESTIONS :

1. Analyser cette consigne.

2. Sur quels acquis est-il possible de s'appuyer ?

3. Proposer un plan, en associant chaque argument à au moins un exemple.

Sujet 2 (support : l'œuvre et son parcours associé): En quoi l’œuvre étudiée, Les Fleurs du Mal de Baudelaire, le parcours et la lecture personnelle associés peuvent-ils justifier ce jugement d’Alfred de Vigny, dans son roman, Stello, paru en 1832 : « Le poète a une malédiction sur sa vie, et une bénédiction sur son nom » ?                   

Vous répondrez à cette question dans un développement structuré, appuyé sur des exemples précis. 

​

QUESTIONS :

1. Analyser cette consigne.

2. Sur quels acquis est-il possible de s'appuyer ?

3. Proposer un plan, en associant chaque argument à au moins un exemple.

Corpus
plan du corpus
Rédaction de la dissertation
HugPrévert
Introduire et conclure

Comme pour le commentaire littéraire, l'introduction et la conclusion forment, chacune, un unique paragraphe. Elles sont nettement repérables par la/les ligne/s sautée/s qui les séparent du développement.

L'introduction est une entrée progressive dans le devoir. Elle va donc du plus général (le genre, le mouvement, l'objet d'étude...) au plus précis, l'annonce des axes d'étude. Inversement, la conclusion est une sortie progressive du devoir : le bilan s'élargit peu à peu. Bien évidemment les exigences seront adaptées au niveau scolaire : des candidats à l'EAF ne peuvent réaliser des introductions et des conclusions aussi élaborées que celles attendues d'étudiants post-baccalauréat.

Observons...

Reprenons l'exemple précédent du corpus composé des textes de Marivaux, d'Alain Robbe-Grillet, de Milan Kudera et de Philippe Claudel.

        Le roman, par définition, est une œuvre de fiction, qui, à sa naissance, ne reculait pas devant le merveilleux, et même après cette époque, il a longtemps mis en scène des personnages exceptionnels, vivant des péripéties totalement irréalistes. Cependant, dès le XVII° siècle, il a évolué pour s’inscrire davantage dans le contexte social, puis, peu à peu, il a créé des personnages plus ordinaires, dans un désir de réalisme qui s’est même affirmé comme un mouvement littéraire au XIX° siècleMais pourquoi apprécions-nous un roman ? Pour son réalisme uniquement ? Ces questions nous conduisent à nous interroger sur le travail du romancier : doit-il assumer le fait d’inventer, en toute liberté, ses personnages, ou, au contraire, tout mettre en œuvre pour nous faire oublier qu'ils sont fictifs ? Pour répondre à cette problématique, nous mesurerons d’abord l’avantage des choix visant au réalisme, mais n’est-il pas préférable de jouer sur la dimension fictive du personnage ?

L'introduction

Nous constatons la progression de cette introduction :

- Son ouverture commence par  le plus général, une définition (en rouge) du genre, "le roman", liée à l'objet d'étude, "le personnage" ; puis elle tient compte de l'histoire littéraire (en bleu) pour amener le sujet en opposant "irréalistes" et "réalisme".

- Le sujet est ensuite posé, là encore de façon progressive : d'abord avec le pronom "nous", qui renvoie au lecteur, ensuite pour rendre compte du verbe "doit", qui pose une obligation au romancier, donc nous interroge sur son "travail".

- Cela permet de reformuler la problématique (en vert), avec le choix qu'elle propose.

- Enfin vient l'annonce (en noir) des deux axes d'étude, qui montre déjà, par l'ordre choisi, la réponse du candidat. Ici, le premier axe répond "oui" à la question : si le roman fait "oublier que ses personnages sont fictifs", il choisit le réalisme. Ce premier axe montrera quel est l'intérêt de ce choix. Le second axe, qui s'oppose au premier avec le connecteur "mais", est formulé par une interrogation négative, "n'est-il pas préférable" : cela sous-entend que la "dimension fictive" ne doit pas être rejetée, bien au contraire, que le romancier reste libre de la mettre en évidence. Pour ce candidat, la réponse "non" l'a donc emporté dans le débat.

Dans le cas inverse, l'annonce aurait été : "Pour répondre à cette problématique, nous montrerons l'intérêt de faire mesurer au lecteur la dimension fictive des héros, mais ce lecteur ne préfère-t-il pas, en fait, des personnages plus réalistes ?" 

L'ordre des axes, dans une dissertation dialectique, est donc significatif. C'est le second axe qui représente le choix du candidat, sa "thèse", en réponse à une thèse adverse, du moins lorsque le développement ne comporte que deux axes. L'argumentation se présente donc comme une concession, qui dirait, de façon plus simpliste, "Certes, on peut penser que... mais ma thèse s'oppose à cette idée".

La conclusion

        Cette analyse nous a amené à mieux comprendre ce que représente un personnage, à la fois pour nous, lecteur, et pour son créateur, le romancier.  Tout lecteur, à travers un personnage, aime, certes, à se plonger dans la réalité, connue ou inconnue, parce que, spontanément, nous vivons à travers lui. Il nous permet, en quelque sorte, de multiplier notre vie, de l’intensifier, mais aussi d’enrichir notre conception du réel, de nous forger nos propres opinions. Mais cela ne signifie pas, pour autant, qu’il faille imposer à l’écrivain un absolu réalisme. Certains le choisissent et, pour reprendre un terme de Maupassant, deviennent de vrais "illusionnistes", en feignant de s’effacer derrière leur héros, d’autres, au contraire, mettent en évidence les moyens de leurs « tours de magie Â», en démontent les mécanismes, affichent la part de fiction, refusant  de nous bercer d’illusions. Sans doute ont-ils le mérite d’être plus sincères, et de nous considérer davantage comme leur égal. Cependant, ils n’ont pas encore réussi, malgré quelques tentatives de certains auteurs rattachés au « Nouveau Roman Â», à nous faire apprécier un roman sans personnage.

La conclusion, elle aussi, est progressive :

- La 1ère phrase (en noir) ouvre la conclusion en soulignant le centre d'intérêt du sujet proposé.

- Le  bilan (en bleu) reprend les deux axes d'études, sous forme concessive : le connecteur: "certes" renvoie à la thèse adverse, le premier axe, "Mais" à la thèse défendue, le second axe.

- Comme ce second axe formule la réponse définitive, il se trouve développé (en noir), mais en introduisant un dépassement de l'opposition à l'aide du terme emprunté à Maupassant. Même quand un romancier se veut réaliste, il n'est en fait qu'un "illusionniste"qui cache son jeu. Dans les deux cas, le personnage de roman est "fictif", que cela soit masqué ou affiché ! Ces remarques constituent donc une courte synthèse, mais le choix du candidat (en vert) est nettement posé.

- Une ouverture (en jaune) apporte une réserve, en poussant jusqu'au bout l'hypothèse : une fiction sans personnage. Les connaissances d'histoire littéraire permettent de penser au "Nouveau Roman", mouvement du XX° siècle qui a fortement remis en cause le rôle généralement accordé au personnage.

Les axes d'étude

On n’attend pas des élèves en fin de première une maîtrise de l’exercice tel qu’il est pratiqué ou exigé dans l’enseignement supérieur ou dans les concours : [...]

•â€ˆle développement de l’argumentation suppose une construction du devoir, mais celle-ci n’est pas nécessairement ternaire : le fait de proposer deux mouvements, ou quatre, si l’ensemble est cohérent et constitue une argumentation claire, ne doit pas être considéré comme un défaut ;

•â€ˆdifférents types de plan peuvent être acceptés : le privilège généralement accordé au plan dialectique n’a pas lieu d’être à ce niveau d’études, et un plan analytique, ou progressif convient ;

•â€ˆla connaissance de l’œuvre est déterminante, en raison de la définition même de l’exercice, mais on considère comme normal que les références prennent des formes diverses – citations, narrations brèves, caractérisations, voire allusions ou indications entre parenthèses..., du moment qu’elles sont justes et servent le développement du propos.

eduscol.jpg

À propos du développement, le site officiel "éduscol" apporte quelques précisions utiles sur les attentes pour les candidats au baccalauréat. Nous y retrouvons l'importance accordée à la construction du développement, mais notons, en ce qui concerne le choix du "plan" qu'il dépendra essentiellement de la façon de formuler la question. Ainsi, dans un exemple donné sur ce même site, la consigne "Qui incarne le héros dans Britannicus ?", pièce de Racine, conduit à un plan analytique, la question étant fermée. Mais une question telle "Le titre de la pièce de Racine, Britannicus, correspond-il à la place de ce héros dans cette tragédie ?" qui, elle, est ouverte, ouvrirait sur uen double réponse : "oui" pour soutenir la pertinence de ce titre, mais aussi "non" pour souligner le rôle d'autres personnages, Néron, voire sa mère Agrippine, dans l'intrigue. Pour le choix des exemples, même si quelques citations précises auront pu être mémorisées grâce aux explications effectuées en cours, plusieurs autres possibilités restent offertes à ce niveau d'étude, à condition de ne pas se limiter à une seule modalité, par exemple aux seules parenthèses.  

La dissertation analytique

Observons le sujet suivant : "Dans le premier livre des Essais, Michel de Montaigne explique que, pour se former, il faut "frotter et limer notre cervelle contre celle d'autrui". En quoi peut-on dire que l'humanisme, à la Renaissance, se caractérise par une ouverture à l'autre et une interrogation sur l'autre ?"

La formule "en quoi" ne permet pas la contestation, que seule une conclusion peut envisager. Elle oblige à confirmer la double idée proposée, à la fois par la citation de Montaigne et par la question :

  • "frotter [...] notre cervelle contre celle d'autrui" est repris par "ouverture aux autres" : il s'agit de montrer comment le contact avec autrui enrichit le savoir, est un moyen d'éducation essentiel.

  • "limer notre cervelle contre celle d'autrui" est prolongé par "une interrogation sur l'autre" : cela conduit forcément à montrer comment cela transforme celui qui s'interroge, car la rencontre avec l'autre peut le remettre en question par comparaison.

Ainsi deux axes d'étude sont posés : chacun d'eux se subdivise en sous-axes, c'est-à-dire en paragraphes.

Par exemple, pour analyser "le contact avec autrui", fondement du premier axe, nous pouvons dégager trois aspects essentiels à la Renaissance :

- le rôle des livres, avec l'essor de l'imprimerie, et les traductions qui permettent de revenir aux textes originels, en hébreu, grec et latin,

- les échanges entre les humanistes eux-mêmes, qui voyagent à travers l'Europe, échangent une correspondance, voire se répondent dans leurs ouvrages,

- les voyages de découvertes des pays et peuples lointains, qui conduisent à des récits dépeignant les moeurs étrangères.

Il reste, pour former les paragraphes, à soutenir chacun de ces arguments par un ou plusieurs exemples, que fournissent à la fois les textes du corpus et ceux analysés en classe, ou qui peuvent venir des connaissances personnelles.

A partir de ce plan, il est possible de rédiger une introduction partielle, et une conclusion partielle qui permet la transition (en rouge) vers le second axe :

Introduction partielle :

La Renaissance a considérablement élargi le champ du savoir, grâce à la diffusion des livres, aux échanges entre les humanistes européens, et aux voyages lointains.

Conclusion partielle :

Les humanistes ont donc pu "frotter [leur] cervelle contre celle d'autrui", multipliant ainsi leurs connaissances. Mais cet enrichissement de leur réflexion les a aussi amenés à remettre en cause leurs croyances, voire à dénoncer certains préjugés.

Dissertation dialectique - ou problématique

Reprenons le corpus précédemment étudié, et le sujet proposé.

- Un plan en deux parties est possible au niveau du lycée, où la réflexion littéraire, en classe de 1ère, reste encore limitée. On a vu que l'ordre des axes est important : le second axe représente la thèse soutenue.

- Un plan en trois parties est souhaité de la part d'étudiants plus avancés. Il se compose de :

  • la thèse, c'est-à-dire la proposition énoncée  dans le sujet : OUI, "un roman doit chercher à faire oublier au lecteur que ses personnages sont fictifs".

  • l'antithèse, qui inverse cette proposition : NON, un roman peut, au contraire, mettre en valeur la dimension fictive des personnages.

  • la synthèse, qui dépasse cette opposition : D'une part, il est possible de montrer que, même quand un romancier masque la fiction, le lecteur, lui, peut la reconnaître car un personnage de roman qui s'affirme réaliste est toujours une re-création. Par exemple, même dans le cas d'un personnage dont l'existence historique serait avérée, le romancier choisit de mettre en relief tel ou tel aspect, retient dans cette existence tel ou tel fait, ne raconte pas la totalité d'une vie ; parfois, en organisant l'intrigue, il met le personnage au service d'une thèse qu'il veut prouver. D'autre part, à l'inverse, même quand un romancier veut montrer son rôle de créateur, quand il veut expliquer au lecteur que tout est faux, car sorti de son imagination, il ne peut pas construire un personnage hors de toute réalité. Même un héros extra-terrestre sera doté d'un physique, éprouvera des sentiments, aura des réactions ou des opinions que le lecteur pourra comparer aux siennes...

Qu'il soit construit en deux ou trois axes, le développement de la dissertation problématique adopte la même structure, avec des sous-axes qui s'enchaînent logiquement, une introduction et une conclusion partielles au début et à la fin de chacun, et des exemples pour prouver l'argumentation.

Exemple d'un sujet rédigé : En quoi l’œuvre étudiée, Les Fleurs du Mal de Baudelaire, le parcours et la lecture personnelle associés peuvent-ils justifier ce jugement d’Alfred de Vigny, dans son roman, Stello, paru en 1832 : « Le poète a une malédiction sur sa vie, et une bénédiction sur son nom » ?                   

Vous répondrez à cette question dans un développement structuré, appuyé sur des exemples précis. 

La rédaction d'un sous-axe

Observons ce premier sous-axe rédigé, à partir du plan précédemment préparé. Nous y reconnaissons :

- la phrase d'ouverture (en rouge) qui pose l'argument, explicité dans la phrase suivante.

- ici deux éléments littéraires (en vert) qui viennent approfondir l'argument, trouvés à partir des connaissances sur l'énonciation (qui est le narrateur ?) et de l'observation du corpus réalisée pour répondre à la question préalable. Un seul suffit souvent ...

- les exemples (en bleu) qui soutiennent l'argumentation. Notons qu'il ne suffit pas de citer le nom de l'auteur ou le titre de son oeuvre, mais qu'il convient d'être très précis, ce qui, bien sûr, est plus facile pour les textes du corpus, dont des passages peuvent être repris. Cette analyse des exemples s'appuie sur les connaissances stylistiques, ici l'énonciation (le choix des pronoms personnels pour l'émetteur), et l'actualisation, pour le cadre spatio-temporel. Un dernier exemple (en jaune) est ajouté mais sans mentionner d'extraits précis, car aucun texte du corpus n'en présente un.

- une phrase de bilan, qui ferme le paragraphe. Non répétitive, elle rappelle la clé de l'axe, les attentes du lecteur, pour souligner comment elles sont ainsi satisfaites.

              Même si le lecteur sait que, derrière un personnage se cache un auteur, il aime croire à son existence indépendante. Il a alors l’impression que la lecture lui permettra d’atteindre une transparence absolue des êtres, de découvrir des profondeurs psychologiques, ce qui, dans la vie quotidienne, lui reste impossible. Dès que le romancier choisit la forme autobiographique, même quand elle n’est qu’une illusion, il joue sur cette fascination pour la vérité. [ Ainsi Marivaux met en place une habile stratégie pour nous faire croire à l’existence réelle de cette Marianne, dont il prétend n’être que l’imprimeur : « on y a trouvé un manuscrit en plusieurs cahiers contenant l’histoire qu’on va lire, et le tout d’une écriture de femme. » Après ses explications, et son insistance sur les circonstances spatio-temporelles de sa découverte, le lecteur peut penser que le pronom « je », qui fait le récit qui suit, correspond à une femme qui se confie en toute sincérité. Il sera ainsi davantage touché par ses péripéties, par ses sentiments ou ses jugements. ]

Mais, même quand le récit est fait à la troisième personne, bien des procédés permettent de créer cette illusion réaliste, [ tel un portrait détaillé, dont l’auteur, avec le pronom "je", se porte garant, comme dans l’extrait des Âmes grises de Philippe Claudel. Quand le narrateur affirme « je sais tous les faits que je vais raconter », comment ne pas croire à la vérité du personnage dépeint ? En s’incluant dans le pronom « nous » , il augmente encore la vraisemblance du récit en convoquant d’autres témoins, ou bien quand il ne donne que l’initiale du lieu pour faire croire qu’il ne veut gêner personne d’encore vivant.] Pensons également aux discours rapportés directs, qui semblent reproduire des dialogues ayant réellement eu lieu et nous offrent la possibilité de mieux percevoir les mouvements de la conscience des personnages. Par empathie, nous en arrivons donc à nous identifier à eux, à enrichir notre propre existence le temps de la lecture qui nous fait partager la leur.

- Enfin, des connecteurs (soulignés) articulent les étapes du paragraphe. Son début est indiqué par l'alinéa, le texte en retrait, et celui-ci se scinde en deux, en allant simplement à la ligne, sans alinéa, pour faire visuellement apparaître sa structure.

L'insertion de l'exemple

Poursuivons l'observation sur le même corpus, ici du second sous-axe, toujours pour soutenir l'idée que le romancier doit faire croire à sa fiction. L'argument posé dans la première phrase, puis précisé, est soutenu d'abord par deux éléments :

- un cas particulier, le roman historique,

- les mouvements réaliste et naturaliste.

Or, le corpus n'offre aucun de ces deux cas, nous devons donc puiser dans nos connaissances personnelles. Il est nécessaire d'être précis, mais inutile de "résumer" l'oeuvre ! Le développement de l'exemple ne met en valeur que ce qui soutient l'argument. En même temps, une vague allusion ne suffit pas, il faut prouver une connaissance personnelle de l'oeuvre évoquée.

  • sur Dumas : Le rédacteur, en mentionnant "son collaborateur, Maquet", montre qu'il a non seulement lu, mais aussi étudié ce roman. Il exprime d'ailleurs ses propres sentiments à la lecture, est capable de citer un lieu, le "Louvre", et le nom des héros. Il relie bien l'exemple à ce qu'il veut prouver : le fait que le romancier utilise sa fiction pour "transporter" son lecteur "dans l'espace et le temps", et que cela plaît à ce lecteur.

            De ce fait, à la suite du personnage, nous découvrons d’autres sociétés, d’autres mœurs, d’autres époques. N’est-ce pas aussi le devoir du romancier que de nous transporter dans l’espace et le temps, de façon bien plus vivante que ne pourrait le faire un simple livre d’histoire, qui reste neutre et froid ? C’est le cas, notamment, du roman historique,  dont témoigne le travail de Dumas pour Les trois Mousquetaires  Par l’intermédiaire de son collaborateur, Maquet, Dumas a disposé d’informations historiques très précises. En les animant dans le roman, il nous emmène dans une époque qu’il fait revivre sous nos yeux : nous tremblons dans l’obscurité menaçante des couloirs du Louvre, nous sommes dégoûté par les complots menés, et, grâce à la personnalité attachante de d’Artagnan, Porthos, Athos et Aramis, nous comprenons mieux la politique du cardinal de Richelieu. Ces personnages nous touchent bien plus dans un roman historique que dans nos livres d’histoire.

Mais le même raisonnement pourrait être tenu pour la plupart des romans. Notre existence est, en effet, limitée dans l’espace et dans le temps, le romancier se charge, lui, de nous faire découvrir des lieux inconnus, des milieux sociaux dans lesquels nous ne pénétrerons jamais, et nous comprenons mieux ainsi le fonctionnement, par exemple de la vie politique, de l’économie, de l’entreprise ou des médias. C’était d’ailleurs l’ambition, au XIX° siècle, d’un romancier réaliste, comme Balzac, ou naturaliste, comme Zola ensuite. Le premier veut faire parcourir à son lecteur toutes les couches de la société de la Restauration, montrer ce qui se trame dans les salons parisiens, par exemple, dans Le Père Goriot, l’arrivisme et l’égoïsme des plus puissants, ou faire découvrir la vie étriquée de la province, à Saumur dans Eugénie Grandet. Zola, lui, va encore plus loin, puisqu’il met en scène, pour ses lecteurs aristocrates ou bourgeois, à travers la famille Maheu la vie misérable des ouvriers des mines de charbon, dont ils n’ont pas la moindre idée, dans Germinal, ou les ravages de l’alcoolisme sur son héroïne Gervaise, dans les bas quartiers parisiens, dans l’Assommoir. Pour ces écrivains, c’était donc un devoir d’ouvrir les yeux de leurs lecteurs sur ces réalités ignorées, et ils ont certainement éveillé bien des consciences.

  • sur Balzac et Zola : Le rédacteur utilise ici ses connaissances d'histoire littéraire, sur deux mouvements du "XIX° siècle" qu'il a forcément étudiés, le réalisme et le naturalisme. Un candidat n'est pas censé connaître les dates de parution des oeuvres citées... sauf dans de rares cas, comme pour Hernani de V. Hugo qui, en 1830, a marqué l'histoire littéraire. A-t-il lu ces oeuvres ? Ce n'est pas certain, mais du moins est-il capable d'utiliser habilement ce qu'il en connaît - peut-être quelques extraits -, par exemple en identifiant l'époque qu'évoque Balzac, "la Restauration", en se rappelant que la "Comédie humaine" présente des "scènes de la vie parisienne" et des "scènes de la vie de province", et en rattachant Eugénie Grandet à Saumur. De même, pour Zola, il est capable de nommer les personnages, les lieux et les aspects sociaux mis en valeur dans les deux romans cités.

 

Quand les exemples sont des citations précises des textes, on observe les mêmes règles pour les insérer que celles présentées pour la rédaction de la réponse à toute question sur un corpus.

Pour s'exercer...
Support : un corpus sur la poésie, "Images de l'animal"

1. Victor HUGO  (1802-1885), « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie Â», Les Contemplations, 1856

 

J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,

           Parce qu'on les hait ;

Et que rien n'exauce et que tout châtie

            Leur morne souhait ;

 

Parce qu'elles sont maudites, chétives,

           Noirs êtres rampants ;

Parce qu'elles sont les tristes captives

            De leur guet-apens ;

 

Parce qu'elles sont prises dans leur Å“uvre ;

            Ô sort ! fatals nÅ“uds !

Parce que l'ortie est une couleuvre,

            L'araignée un gueux;

 

Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,

            Parce qu'on les fuit,

Parce qu'elles sont toutes deux victimes

            De la sombre nuit...

 

Passants, faites grâce à la plante obscure,

            Au pauvre animal.

Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,

            Oh ! plaignez le mal !

 

Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ;

            Tout veut un baiser.

Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie

            De les écraser,

 

Pour peu qu'on leur jette un Å“il moins superbe,

            Tout bas, loin du jour

La vilaine bête et la mauvaise herbe

            Murmurent : Amour !

Portrait de V. Hugo
Portrait de Tristan Corbière
Portrait de Baudelaire par Nadar

Victor Hugo

Tristan Corbière

Charles Baudelaire

2. Charles BAUDELAIRE (1821-1867), « Les chats Â», Les Fleurs du mal, 1857

 

Les amoureux fervents et les savants austères

Aiment également, dans leur mûre saison,

Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,

Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

 

Amis de la science et de la volupté,

Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;

L’Érèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,

S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

 

Ils prennent en songeant les nobles attitudes

Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,

Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;

 

Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques

Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,

Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

3. Tristan CORBIÈRE (1845-1875), « Le crapaud Â», Les Amours jaunes, 1873

 

Un chant dans une nuit sans air…
– La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.

… Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…

– Un crapaud ! – Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… – Horreur ! –

… Il chante. – Horreur !! – Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . …………
Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.
                                                            Ce soir, 20 Juillet.

4. Jacques PRÉVERT (1900-1977), « Cheval dans une île Â», Histoires, 1946

 

Dans ce « conte Â», publié dans son recueil de poèmes en prose, Histoires, Prévert imagine une révolte des chevaux.

 

[…] Alors, tous les autres pauvres chevaux commenceront à comprendre et tous ensemble ils s'en iront trouver les hommes et ils leurs parleront très fort.

 

LES CHEVAUX

« Messieurs, nous voulons bien traîner vos voitures, vos charrues, faire vos courses et tout le travail, mais reconnaissons que c'est un service que nous vous rendons : il faut nous enrendre aussi. Souvent, vous nous mangez quand nous sommes morts, il n'y a rien à dire là-dessus, si vous aimez ça ; c'est comme pour le petit déjeuner du matin, il y en aqui prennent de l'avoine au café au lait, d'autres de l'avoine au chocolat, chacun ses goûts; mais souvent aussi vous nous frappez : cela, ça ne doit plus se reproduire.

De plus, nous voulons de l'avoine tous les jours ; de l'eau fraîche tous les jours et puis des vacances et qu'on nous respecte, nous sommes des chevaux, on n'est pas des bœufs.

 

Premier qui nous tape dessus, on le mord.

 

Deuxième qui nous tape dessus, on le tue. Voilà. Â»

 

Et les hommes comprendront qu'ils ont été un peu fort, ils deviendront plusraisonnables.

 

Il rit, le cheval, en pensant à toutes ces choses qui arriveront sûrement un jour.

 

Il a envie de chanter, mais il est tout seul, et il n'aime que chanter en chœur ; alors il crie tout de même : « Vive la liberté ! »

 

Dans d'autres îles, d'autres chevaux l'entendent et ils crient à leur tour de toutes leurs forces : « Vive la liberté ! Â».

 

Tous les hommes des îles et ceux du continent entendent des cris et se demandent ce que c'est, puis ils se rassurent et disent en haussant les épaules : « Ce n'est rien, c'est des chevaux. »

DOCUMENT ANNEXE : Charles CROS   (1842-1888), « Le hareng saur », Le Coffret de santal, 1873

 

À Guy.

 

Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,

Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,

Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.

 

Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales,

Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu,

Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.

 

Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute,

Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,

Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu.

Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe,

Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,

Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec.

 

Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute,

L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,

Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin.

 

Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,

Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,

Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.

 

J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple,

Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves,

Et amuser les enfants - petits, petits, petits.

C. Cros, portrait

Charles Cros

Jacques Prévert, portrait

Jacques Prévert

SUJET : Le poète Saint-John Perse définissait ainsi son art : « Poète est celui-là qui rompt avec l'accoutumance Â». Dans quelle mesure pensez-vous que la réussite d’un poème dépende de son étrangeté, de l’effet de surprise qu’il produit sur le lecteur ?

            Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur l’ensemble des textes du corpus, sur les poèmes étudiés en classe ou lus personnellement.

 

QUESTIONS :

1. Analyser le sujet proposé, pour déterminer la nature de la dissertation, et les connaissances à avoir.

2. Rédiger une introduction d'ensemble, puis la comparer au corrigé proposé.

3. Rechercher et classer des arguments dans chaque axe d'étude. Comparer ce plan au corrigé proposé.

4. A partir du plan proposé dans le corrigé, mais en choisissant librement les exemples, rédiger la dissertation. Comparer avec le corrigé proposé.

Support : le recueil d'Apollinaire, Alcools, notamment la section "Rhénanes", et le parcours littéraire associé

SUJET 

Le poète Saint-John Perse définissait ainsi son art : « Poète est celui-là qui rompt avec l'accoutumance ». Dans quelle mesure pensez-vous que la réussite d’un poème dépende de son étrangeté, de l’effet de surprise qu’il produit sur le lecteur ?

Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur l’œuvre étudiée, et sur les textes  qui lui ont été associés, en classe ou lus personnellement.

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CONSIGNES

1. Rédiger une introduction d'ensemble, puis la comparer au corrigé proposé.

2. Rechercher et classer des arguments dans chaque axe d'étude. Comparer ce plan au corrigé proposé.

3. À partir du plan proposé dans le corrigé, mais en choisissant librement les exemples, rédiger la dissertation. Comparer avec le corrigé proposé.

Un exemple de dissertation analytique : le site "éduscol"

SUJET

Qui incarne le héros tragique dans Britannicus ?

Vous répondrez à cette question dans un développement structuré. Votre travail prendra appui sur la pièce de Racine, sur les textes et documents que vous avez étudiés en classe dans le cadre du parcours associé à cette œuvre, et sur votre culture personnelle.

Pour voir le site "éduscol"
eduscol.jpg

Ce site officiel, qui propose des ressources sur le nouveau programme du lycée, propose un exemple de dissertation analytique, dont l'analyse permet

- une reprise de la démarche qui, globalement, correspond à celle ici présentée ;

- d'observer la rédaction d'une introduction : on y reconnaît une ouverture générale sur la pièce de Racine, suivie de la reprise de la question posée, explicitée. Mais la dernière partie de l'introduction formule une annonce de plan rendue complexe dans la mesure où le site propose deux plans possibles : le premier en deux parties, le second en trois parties. 

- les deux plans proposés :

  • le 1er se fonde sur, dans un premier temps, la recherche du "personnage principal"dans cette tragédie de Racine, puis est développée une analyse de la nature même du "héros tragique", à partir des règles classiques ;

  • le 2nd plan envisage une troisième partie : elle revient sur l'idée même qu'il y aurait "un" seul "héros tragique" dans Britannicus, en développant les diverses possibilités (Britannicus, Néron, Agrippine... ) suscitées par un questionnement sur le personnage qui fonde l'action tragique.

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