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Dessin à la plume, Galleria dell'Accademia, Venise
L'humanisme, ou l'homme au centre de toutes choses...

Le contexte socio-historique

La Renaissance débute en Italie au XV° siècle (le Quattrocento), et se développe en France au XVI° siècle : les guerres qu'y a alors menées Français Ier ont contribué à en faire découvrir les artistes, leurs oeuvres, et de nouveaux raffinements.

 

De nouvelles connaissances

Le mot "savoir" est sans doute celui qui illustre le mieux la Renaissance.
Les voyages de découvertes, accomplis grâce aux progrès des instruments de navigation et des navires, élargissent les limites du monde. En faisant le tour de la terre, entre 1519 et 1522, Magellan donne raison à Copernic et Galilée qui avaient affirmé qu'elle était ronde et tournait autour du soleil. Ces découvertes donnent lieu à des conquêtes meurtrières, mais qui enrichissent l'Europe. La comparaison entre le comportement des Européens et celui des  peuples  dits "sauvages" conduit également à un nouveau questionnement sur la nature de l'homme dit "civilisé".

L'invention des caractères d'imprimerie mobiles vers 1450 par Gutenberg, en Allemagne, permet une large diffusion des livres, notamment ceux des anciens, en grec et en latin. L'enseignement de ces deux langues se développe, pour revenir à l'authenticité du texte, et les ateliers d'imprimerie se multiplient. Les plus célèbres, par exemple ceux d'Alde Manuce en Italie, de Froben en Allemagne, sont des lieux d'échange et de réflexion pour les "humanistes", ainsi nommés en raison de l'intérêt supérieur qu'ils portent aux "lettres humaines", profanes, par rapport aux "lettres divines".

Aucun domaine n'échappe à cette soif de savoir : on dissèque les corps pour mieux connaître l'anatomie, les pouvoirs politiques sont étudiés, tout comme la Bible

De nombreux conflits

Dès 1492, avec Charles VII, commencent les guerres d'Italie, poursuivies par Louis XII, et, surtout, par François Ier : ce n'est qu'en 1559 que le traité de Cateau-Cambrésis y met fin... Les conflits dits "de succession" sont alors nombreux entre les princes de l'Europe, qui rivalisent pour accroître leur territoire, ou à propos des conquêtes coloniales.

Mais la principale cause de conflit est la religion. D'une part, de plus en plus, face à la toute-puissance de l'Eglise se dresse la science. D'autre part, la lecture de la Bible, revue, traduite, expliquée, conduit à remettre en cause les abus de l'Eglise catholique, les excès de la papauté notamment. Un courant  "évangéliste" se répand, qui réclame une religion épurée, plus authentique. Les thèses de Luther, publiées en 1517, se diffusent : il crée la Réforme, poursuivie par Calvin. Dès 1562, à la suite du massacre d'une centaine de protestants, aussi appelés "réformés" ou "huguenots", débutent les guerres de religion : huit se succèdent, et la violence se déchaîne. Un des épisodes connus est le massacre de la Saint-Barthélémy, en 1572, avec ses 4000 tués dans les deux camps. Il faut attendre l'édit de Nantes, signé en 1598 par Henri IV, pour retrouver la paix.

 

Le XVI° siècle, qui avait ouvert un élan d'optimisme, de confiance dans les possibilités humaines, se termine donc de façon bien plus sombre, fracture qui se retrouve dans la littérature. 

Pour en savoir plus sur la Renaissance  : cliquer sur l'image correspondante.

Pour en savoir plus sur l'imprimerie, une vidéo du Musée de l'imprimerie

à Lyon : cliquer sur l'image

Aux sources de la Renaissance française : "La Renaissance italienne"

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Texte en italiques, petit format in-octavo, Venise

L'humanisme

Pour les humanistes, l'homme est placé au centre de tout : il lui appartient de pousser au plus haut degré possible ses capacités physiques, artistiques, intellectuelles, d'où l'importance prise par l'éducation au XVI° siècle. De nombreux écrivains en font un thème essentiel de leur réflexion, tels Rabelais, Montaigne... Ecoutons Jean Pic de la Mirandole dans son Discours sur la dignité de l'homme, écrit en 1486 et publié en 1504 : il souhaite y expliquer "pourquoi l'homme est le mieux loti des êtres animés, digne par conséquent de toute admiration, et quelle est en fin de compte cette noble condition qui lui est échue dans l'ordre de l'univers."

 

Au premier plan de l'humanisme figurent le retour aux modèles antiques et le questionnement philosophique sur la nature de l'homme et sa place dans l'univers. Le but ultime est de mieux se connaître, de mesurer la valeur réelle de tout homme, indépendamment de son statut social ou de son origine ethnique : le "sauvage" n'est pas forcément inférieur au "civilisé"... Il s'agit aussi de défendre la dignité de l'homme et son intégrité contre tous les fanatismes qui les menacent.

 

Les cours royales encouragent ce renouveau intellectuel, telles celles de François Ier ou de sa soeur, Marguerite de Navarre. Ce roi, à l'image des princes italiens comme les Médicis à Florence, se comporte en mécène : construction de luxueux châteaux, soutien accordé aux artistes... Influencé par l'humaniste Guillaume Budé, il crée, en 1530, un Collège Royal où sont enseignés le grec, le latin et l'hébreu, et il signe, en 1539, l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui fait du français la langue officielle.

 

Malheureusement, les guerres de religion freinent ce bel élan, et la société entière semble replonger dans la barbarie...

Humanisme
Un conteur humaniste : Rabelais
Gustave Doré
Rabelais
Un homme inscrit dans son temps : 1494-1553
Rabelais et la religion

Portrait de Rabelais, anonyme, XVII° siècle.

Huile sur toile, 48 x 40. Musée National, Versailles.

Les années de formation :

 

Le début du siècle marque la volonté de revenir au texte original des Écritures saintes. À cette époque, Rabelais fait ses études dans un monastère puis, vers 1510-11, il est probablement novice dans un couvent de franciscains. En 1520, il est moine au couvent des cordeliers de Fontenay-le-Comte, où il approfondit l’étude du latin et du grec. Mais avec Luther débutent les troubles religieux : en 1523, la Sorbonne tente d’empêcher l’étude du grec, les supérieurs de Rabelais lui confisquent ses livres de grec. Il passe alors dans un couvent de bénédictins. Puis, en 1528, il quitte le froc de bénédictin pour l’habit de prêtre séculier.

Les luttes :

 

Un an après sa parution la Sorbonne condamne Pantagruel, pour obscénité. En 1534, éclate l’Affaire des Placards, qui provoque une violente répression contre les partisans de Luther et de Calvin.

Rabelais profite d’un voyage à Rome pour déposer une requête auprès du pape afin de se faire absoudre du crime d’apostasie. Il est autorisé à redevenir bénédictin.

En 1542, la lutte contre « l’hérésie » s’accentue avec la fondation, à Rome, de la Congrégation de l’Inquisition. En 1545 débutent les bûchers pour les « hérétiques ». Or, Rabelais a fréquenté les "évangélistes", a été l'ami de plusieurs d'entre eux, dont Etienne Dolet, mort sur le bûcher en 1546. Une édition regroupant Pantagruel et Gargantua, en 1543, bien que le texte ait été remanié pour atténuer les critiques contre la Sorbonne, est tout de même condamnée d’abord par le Parlement, à la demande des théologiens, puis par la Sorbonne en 1544. Il en sera de même en 1546 pour Le Tiers Livre, puis pour Le Quart Livre en 1552.

Cependant, en 1551, Rabelais reçoit la cure de Meudon.

Rabelais et la médecine

La médecine connaît alors une importante évolution, avec un intérêt accrû pour la connaissance de l’anatomie. Ainsi, en 1527, Paracelse donne des conférences à l’Université de Bâle sur « la nouvelle médecine ». Or, dès 1528-30, Rabelais débute, à Paris, ses études de médecine, puis il s’inscrit comme étudiant à la Faculté de Médecine de Montpellier.

En 1532, médecin à l’Hôtel-Dieu à Lyon, il traduit du grec en latin les Aphorismes d’Hippocrate, et publie ses Commentaires sur « l’Art » de Gallien. En 1537, il devient docteur en médecine de la Faculté de Montpellier ; il exerce alors et enseigne la médecine à Lyon : une de ses dissections est restée fameuse.

En 1537-38, il présente un cours sur les Pronostics d’Hippocrate, et fait des démonstrations d’anatomie. En 1546, il exerce comme médecin pour la ville de Metz.

Rabelais l'humaniste
  • Outre ses études et traductions du grec et du latin, Rabelais fréquente assidument les plus célèbres humanistes de son temps : il correspond, par exemple, avec Érasme et Budé, et surtout, à Lyon, centre pour les érudits, il a pour amis les poètes Jean Bouchet et Mellin de Saint-Gelais, et Dolet.

  • Comme tout humaniste, il bénéficie de la protection de puissants mécènes, tel Geoffroy d’Estissac, qui fait de lui le précepteur de son jeune neveu, ou les frères du Bellay,

  • Il a effectué de fréquents séjours en Italie : en 1534, à Rome avec le cardinal Jean du Bellay ; de juillet 1535 à mai 1536, à Rome comme chargé mission pour Geoffroy d’Estissac ; de 1539 à 1541, à Turin, avec Guillaume de Langey, gouverneur du Piémont, frère du cardinal du Bellay ; de 1547 à 1549, à Rome, comme médecin du cardinal du Bellay.

analyse Gargantua Pantagruel

Pour en savoir plus sur Rabelais et son oeuvre : cliquer sur l'image

Le rire au service des idéaux humanistes

Frontispice de l'édition de 1547 de Gargantua.

La Vie très horrifique du

Grand Gargantua

père de Pantagruel

 

Jadis composé par M. Alcofribas abstracteur de quinte essence

 

Livre plein de Pantagruélisme

AUX LECTEURS

Amis lecteurs, qui lisez ce livre,

Dépouillez-vous de toute passion

Et, en le lisant, ne soyez pas scandalisés.

Il ne contient ni mal ni corruption;

Il est vrai qu'ici vous ne trouverez

Guère de perfection, sauf si on se met à rire;

Autre sujet mon cœur ne peut choisir

A la vue du chagrin qui vous mine et consume.

Il vaut mieux traiter du rire que des larmes,

Parce que rire est le propre de l'homme.

En 1532 Rabelais publie Pantagruel, puis, 2 ans plus tard, Gargantua, inversant ainsi la chronologie, puisque Gargantua est le père de Pantagruel. Puis viennent le Tiers Livre, condamné en 1546 par la Sorbonne, et le Quart Livre, en 1552. On discute encore de l'authenticité du Cinquième Livre, sorti en 1556.  

À quoi veut aboutir, à votre avis, ce prélude, ce coup d'envoi ? C'est que vous, mes bons disciples, et quelques autres fols en disponibilité, lorsque vous lisez les joyeux titres de certains livres de notre invention comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La Dignité des Braguettes, Des Pois au lard assaisonnés d'un commentaire, etc., vous jugez trop facilement qu'il n'y est question au-dedans que de moqueries, pitreries et joyeuses menteries vu qu'à l'extérieur l'écriteau (c'est-à-dire le titre) est habituellement compris, sans examen plus approfondi, dans le sens de la dérision ou de la plaisanterie. Mais ce n'est pas avec une telle désinvolture qu'il convient de juger les œuvres des humains. Car vous dites vous-mêmes que l'habit ne fait point le moine ; et tel a revêtu un habit monacal, qui n'est en dedans rien moins que moine, et tel a revêtu une cape espagnole, qui, au fond du cœur, ne doit rien à l'Espagne. C'est pourquoi il faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est exposé. C'est alors que vous vous rendrez compte que l'ingrédient contenu dedans est de bien autre valeur que ne le promettait la boîte; c'est-à-dire que les matières traitées ici ne sont pas aussi frivoles que, au-dessus, le titre le laissait présumer. […]

Mais n'avez-vous jamais vu un chien rencontrant quelque os à moelle ? C'est, comme le dit Platon au Livre II de La République, la bête la plus philosophe du monde. Si vous en avez vu un, vous avez pu remarquer avec quelle sollicitude il guette son os, avec quel soin il le garde, avec quelle ferveur il le tient, avec quelles précautions il l'entame, avec quelle passion il le brise, avec quelle diligence il le suce. Quel instinct le pousse ? Qu'espère-t-il de son travail, à quel fruit prétend-il ? À rien de plus qu'à un peu de moelle. Il est vrai que ce peu est plus délicieux que le beaucoup de toute autre nourriture, parce que la moelle est un aliment élaboré jusqu'à sa perfection naturelle, selon Galien au livre III des Facultés naturelles et au livre XI de L'Usage des parties du corps.

A l'exemple de ce chien, il vous convient d'avoir, légers à la poursuite et hardis à l'attaque, le discernement de humer, sentir et apprécier ces beaux livres de haute graisse; puis, par une lecture attentive et une réflexion assidue, rompre l'os et sucer la substantifique moelle (c'est-à-dire ce que je comprends par ces symboles pythagoriques) avec le ferme espoir de devenir avisés et vertueux grâce à cette lecture : vous y trouverez un goût plus subtil et une philosophie cachée qui vous révélera de très hauts arcanes et d'horrifiques mystères, en ce qui concerne tant notre religion que, aussi, la situation politique et la gestion des affaires.

Prologue de Gargantua

G. Doré, L'Enfance de Gargantua, vers 1873. Aquarelle, plume et encore noire sur papier. Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg.

Le comique

La dédicace de Gargantua "Aux lecteurs" montre la place importante que Rabelais accorde au "rire", terme récurrent. De même le "prologue" souligne les "joyeux titres" des ouvrages et leur contenu : "moqueries, pitreries et joyeuses menteries". Lire Rabelais, c'est donc aussi reconnaître toutes les formes de comique : gestes, langage, caractères, situations. Le seul fait de choisir comme héros des géants permet de composer des scènes cocasses, comme lorsque Gargantua manque d'avaler quelques pèlerins qui s'étaient cachés dans la salade qu'il mange, ou lorsque sa jument noie une partie de l'armée de Picrochole en urinant dans un gué, qui déborde. C'est aussi sur le langage que joue Rabelais, qui emporte son lecteur dans un rythme accéléré : les mots rebondissent les uns sur les autres, avec des jeux sonores, les néologismes se multiplient, les personnages portent des noms évocateurs, tel Picrochole à la "bile amère". Rabelais ne recule pas devant l'obscénité grossière, ni devant des images plaisantes, comme ici la comparaison du lecteur à un chien face à son os.

Enfin, la parodie soutient l'ensemble de l'oeuvre de Rabelais, parodie de l'épopée, comme lors du combat de frère Jean des Entommeures dans le vignoble de son abbaye, parodie des discours scolastiques, parodie des sermons religieux...

Les idéaux humanistes

Ch. Lenormand, Rabelais et l’architecture de la Renaissance, « L’abbaye de Thélème, reconstitution architecturale Â», 1860

Mais le prologue révèle que le comique n'est qu'un masque commode, qui cache un sens plus profond, la "substantifique moelle" de l'oeuvre. Le récit n'est pas "aussi frivole" qu'on aurait pu le penser au premier abord. La fin du passage expose le double but de l'oeuvre rabelaisienne :

 

  • rendre les lecteurs "avisés et vertueux". Pour cela, Rabelais met en place une satire sévère des moeurs de son temps, des guerres stupides, faites par des conquérants criminels tels Picrochole, de la religion - notamment des moines, des pélerinages, des excès de la Sorbonne...- des juges formalistes, ridicules comme Bridoye dans le Tiers Livre... La liste de tous les sots, vaniteux, ambitieux, méchants ainsi caricaturés... serait bien trop longue ! Cette satire révèle, par opposition, ce que devrait être, aux yeux de Rabelais, une société juste, paisible, dépourvue de tout fanatisme et régie par un pouvoir politique raisonnable.

  • transmettre une "philosophie cachée". Cela explique la place prise par l'éducation dans Gargantua, des chapitres VIII à XXV. Rabelais ridiculise l'éducation scolastique, et montre comment, grâce à Ponocratès, son précepteur, Gargantua va pouvoir recevoir une éducation digne de l'homme de la Renaissance, fondée sur l'harmonieux développement du corps, de l'esprit et de l'âme, associant les lettres, les sciences et les arts. Il l'éduque pour lui faire acquérir des connaissances universelles, avec des méthodes novatrices qui font appel à son esprit critique, à son sens de l'observation, et s'accompagnent d'exercices pratiques. 

Pour découvrir une analyse de Gargantua :

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Enfin, sur le plan religieux, on reconnaît le désir des évangélistes de revenir à une religion épurée, aux sources des écritures saintes. L'utopie de l'abbaye de Thélème, à la fin de l'oeuvre, résume l'idéal de cette première moitié de la Renaissance : dans un cadre fait sur mesure pour eux, des gens libres, bien nés, bien instruits, mènent en société une vie harmonieuse qui leur permet de s'épanouir pleinement.

Marot
La poésie et son évolution
Clément Marot : 1496-1544

G.B. Moroni, Portrait d'un homme, supposé être Clément Marot, 1536 ou 1544, Institute of arts, Detroit, USA.

Clément Marot a sans doute hérité de son père, poète rhétoriqueur du moyen âge, son goût pour la poésie, et, comme lui, il se trouve une puissante protectrice, Marguerite, soeur de François Ier, alors duchesse d'Alençon, dont il devient le "valet de chambre", le secrétaire. C'est chez elle qu'il rencontre les penseurs évangélistes et réformés, et compose ses premiers poèmes, de forme fixe : épîtres, ballades et rondeaux.

 

Mais la vie de Marot reflète surtout les conflits religieux de son époque. En 1516, il est emprisonné pour avoir transgressé un interdit religieux : il a mangé du "lard en Carême" ! Il évoque cette épreuve dans un long poème, l'Enfer (1539). Une autre arrestation le frappe en 1527 : il a aidé un prisonnier à échapper à la police. Nouveau poème, cette fois-ci adressé à François Ier, dont il a alors l'appui, "Epître au roi, pour le délivrer de prison". En 1534, compromis dans l'affaire des Placards, écrits contestataires affichés dans Paris, et jusque sur la porte de la chambre royale, il doit quitter la cour et se réfugier auprès de Marguerite de Navarre, puis en Italie chez Renée de France. Le roi le gracie, en échange de son abjuration solennelle à Lyon (1536), il peut  rentrer à Paris.

Mais il ne renonce pas à ses idées religieuses pour autant, pour preuve la traduction de nombreux psaumes en français, publiés en 1541. A nouveau menacé d'arrestation, il repart en Italie où il finit ses jours.

Son oeuvre

Marot est d'abord un héritier du moyen âge, dont il conserve le goût pour la rhétorique et l'esprit courtois, en les alliant à ses acquis humanistes : pour preuves, les nombreuses références mythologiques qui ponctuent ses poèmes d'amour, et sa parfaite connaissance des écritures sacrées.  Il a su aussi bien chanter la beauté de la "dame" aimée, idéalisée (cf. Epigramme à "Anne" ci-contre), que composer des textes profondément religieux.

La poésie de Marot est aussi liée aux circonstances de sa vie. Il sait, par exemple, solliciter de façon plaisante dans ses épîtres l'appui de ses protecteurs, pour implorer de l'argent, un cheval, du secours... comme dans cette "Epître au roi pour Marot malade à Paris" (cf. extrait ci-dessous) composée alors que la peste le frappe dans un dénuement complet. Même dans une telle situation, il est capable d'humour, adopte un ton familier pour s'adresser au roi, allant jusqu'à la satire parfois.

Anne, par jeu, me jeta de la neige

Que je cuidais(1) froide certainement.

Mais c’était feu : expérience en ai-je,

Car embrasé je fus soudainement.

Puisque le froid brûle pareillement

Comme le feu, où trouverai-je place

Pour n’ardre (2) point ? Anne, ta seule grâce

Eteindre peut le feu que je sens bien,

Non point par eau, par neige ni par glace,

Mais par sentir un feu pareil au mien.

 

(1) Croyais - (2) Pour ne pas brûler

Notes

(1) La corde de la pendaison.

(2) Les bordels.

(3) Garçon.

(4) Enflure.

(5) Sinon.

(6) S'acquitter.

(7) Au vol : allusion au Trésor

d'Etat pillé

Frontispice des Psaumes de David, traduits par Marot et complétés par Th. de Bèze, mis en musique par C. Lejeune. BM. de Lyon.

[...] J'avais un jour un valet de Gascogne,
Gourmand, ivrogne, et assuré menteur,
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart (1) de cent pas à la ronde,
Au demeurant, le meilleur fils du monde :
Prisé, loué, fort estimé des filles
Par les bordeaux (2), et beau joueur de quilles.
Ce vénérable hillot (3) fut averti
De quelque argent que m'aviez départi,
Et que ma bourse avait grosse apostume (4).
Si se leva plus tôt que de coutume,
Et me va prendre en tapinois icelle,
Puis vous la mit très bien sous son aisselle.
Argent et tout, cela se doit entendre.
Et ne crois point que ce fût pour la rendre,
Car onques puis n'en ai ouï parler.
Bref, le vilain ne s'en voulut aller
Pour si petit : mais encore il me happe
Saie, et bonnet, chausses, pourpoint et cape.
De mes habits, en effet, il pilla

Tous les plus beaux, et puis s'en habilla

Si justement, qu'à le voir ainsi être,

Vous l'eussiez pris, en plein jour, pour son maître.

Finalement, de ma chambre il s'en va

Droit à l'étable, où deux chevaux trouva ;

Laisse le pire et sur le meilleur monte,

Pique et s'en va. Pour abréger le conte,

Soyez certain qu'au sortir du dit lieu

N'oublia rien, fors (5) qu'à me dire adieu.

Ainsi s'en va, chatouilleux de la gorge,

Le dit valet, monté comme un saint George,

Et vous laissa Monsieur dormir son saoul,

Qui au réveil n'eût su finer (6)  d'un sou.

Ce monsieur-là, Sire, c'était moi-même,

Qui, sans mentir, fus au matin bien blême,

Quand je me vis sans honnête vêture,

Et fort fâché de perdre ma monture ;

Mais, de l'argent que vous m'aviez donné,

Je ne fus point de le perdre étonné ;

Car, votre argent, très débonnaire Prince,

Sans point de faute est sujet à la pince (7). […]

L'Ecole lyonnaise

Lyon, passage incontournable sur la route de l'Italie, est un carrefour intellectuel actif au XVI° siècle, d'abord en raison de son atelier d'imprimerie, où de nombreux auteurs publient d'autant plus facilement que la ville ne dépend d'aucun prince. Cela explique le développement, entre 1540 et 1560, de ce que l'on nomme "l'Ecole lyonnaise", même si ces poètes n'ont pas véritablement voulu fonder un mouvement littéraire. Maurice Scève, ainsi que des femmes, Pernette du Guillet et Louise Labé, surnommée "la belle Cordière", se retrouvent cependant dans leur inspiration empruntée à Pétrarque, notamment à travers le thème lyrique des souffrances amoureuses.

Maurice Scève : 1501-1544
Frontispice

M. Scève, poèmes et emblèmes.

[...] Moins je la vois, certes plus je la hais :

Plus je la hais, et moins elle me fâche,

Plus je l'estime et moins compte j'en fais,

Plus je la fuis, plus veux qu'elle me sache,

Et un moment deux divers traits me lâche,

Amour et haine, ennui avec plaisir.
Forte est l'amour, qui lors me vient saisir.

Quand haine vient et vengeance me crie.

Ainsi me fait haïr mon vain désir

Celle pour qui mon coeur toujours me prie.

XLIII

Scève est le plus brillant de ce groupe. Dans Délie, objet de la plus haute vertu (1544), il pose, par un jeu d'antithèses, les contradictions et les douleurs de la passion amoureuse. Mais son ton est sincère, inspiré sans doute par son amour pour Pernette du Guillet.

Louise Labé : 1524-1566

Woeiriot, Portrait de Louise Labé, 1555. Gravure. BnF.

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;

J'ai chaud extrême en endurant froidure :

La vie m'est et trop molle et trop dure.

J'ai grands ennuis entremêlés de joie.

 

Tout à un coup je ris et je larmoie,

Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;

Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;

Tout en un coup je sèche et je verdoie.

 

Ainsi Amour inconstamment me mène ;

Et, quand je pense avoir plus de douleur,

Sans y penser je me trouve hors de peine.

 

Puis, quand je crois ma joie être certaine,

Et être au haut de mon désiré heur,

Il me remet en mon premier malheur.

On reconnaît aussi l'influence de Pétrarque chez Louise Labé, qui utilise des jeux d'antithèses pour décrire sa passion, alternance de joies extrême et de profondes souffrances.

La Pléiade

Il s'agit là d'un mouvement littéraire novateur, initié par un groupe de jeunes humanistes, parmi lesquels Etienne Dolet, philologue, et plusieurs poètes, dont Pontus de Tyard, Baïf, Ronsard et du Bellay, qui en rédige, en 1549, le texte fondateur : La Défense et l'illustration de la langue française. Le nom choisi illustre déjà leur programme : briller, telles les constellations de la Pléiade, au firmament de la littérature, en rendant leur nom immortel.

Leur programme réclame d'abord la primauté de la langue française sur le latin, français qu'il faudra enrichir encore par des emprunts à l'antiquité, mais aussi aux dialectes provinciaux, aux domaines techniques, et même par des créations originales à partir de l'étymologie.

Ils posent aussi une conception élevée de la poésie. Elle doit renoncer à n'être qu'un simple divertissement, un jeu sur les légères formes fixes médiévales, lais, virelais, rondeaux... pour s'anoblir en renouvelant les genres antiques, odes, élégies, ou en empruntant à la Renaissance italienne, par exemple le sonnet pratiqué par Pétrarque.

Ils rejoignent Platon pour faire du poète un être inspiré, capable de guider les princes, de donner l'immortalité aux êtres dont il fait l'éloge. En cela, ils retrouvent la conception de l'artiste propre à la Renaissance : il doit accomplir un travail exigeant pour atteindre l'absolue beauté [cf. extrait ci-dessous].

Qui veut voler par les mains et les bouches des hommes doit longuement demeurer en sa chambre et qui désire vivre en la mémoire de la postérité, doit, comme mort en soi-même, suer et trembler maintes fois, et, autant que nos poètes courtisans boivent, mangent et dorment à leur aise, endurer de faim, de soif et de longues vigiles.
Ce sont les ailes  dont les écrits volent au ciel.

Joachim du Bellay : 1552-1560

Après ses études humanistes, Du Bellay, tout en publiant son premier recueil de poèmes lyriques, l'Olive, rédige le manifeste de la Pléiade, dont il est un parfait représentant. Un voyage à Rome, de 1153 à 1557, pour accompagner son oncle cardinal en tant que secrétaire, lui fait à la fois découvrir les splendeurs de cette ville, berceau de la Renaissance, mais aussi les petitesses de la cour papale. Les ruines deviennent alors pour lui l'image même de la décadence de la ville.

J. Cousin le jeune,

Portrait de Du Bellay.

Pour découvrir l'analyse de trois poèmes : cliquer sur l'image

De Rome, Du Bellay rapporte deux recueils de sonnets :

  • les Antiquités : Tous les humanistes ont admiré les ruines de la ville qui renferme les trésors du monde antique. Mais Du Bellay, lui, y voit plutôt l'image de la vanité humaine, car le temps a effacé la grandeur romaine : "Ce qui est ferme est par le temps détruit".

  • les Regrets : Ce recueil est plus personnel encore, plus douloureux, car Du Bellay, malade, a perdu ses illusions, a échoué dans ses ambitions. Il a aussi mesuré l'hypocrisie des courtisans romains, qu'il critique sévèrement. L'exil est pour lui douloureux, et il rêve de retrouver sa  patrie et ses amis.

Pierre de Ronsard : 1524-1585

Noble, bien considéré à la cour, Ronsard était promis à une brillante carrière, militaire ou diplomatique. Mais la surdité qui l'atteint dès 1540 le conduit à y renoncer : il se tourne alors vers les études, et publie, en 1550, ses premiers recueils poétiques, encore très érudits, avec leurs allusions mythologiques nombreuses. Mais Ronsard est resté célèbre surtout par ses recueils lyriques des Amours, qui tous reprennent le "carpe diem" en chantant la force de l'amour.

Portrait de Pierre de Ronsard, XVI° siècle. Peinture de l'Ecole de Blois.

  • Les sonnets des Amours de Cassandre (1552) sont dédiés à Cassandre Salviati, fille d'un riche banquier italien, rencontrée à Blois lors d'un bal à la cour, en 1545. Ils sont très marqués par le modèle de Pétrarque.

  • Les Amours de Marie (1555) forment un recueil plus simple, avec des poèmes frais et rustiques, à l'image de la dédicataire, une jeune paysanne angevine de quinze ans.

  • Les Amour d'Hélène (1578), dédié à Hélène de Surgères, fille d'honneur de Catherine de Médicis, est le recueil d'un poète vieillissant pour une femme inaccessible. Un vers y résume son oeuvre : "Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie."

La poésie engagée

Les écrivains n'ont pas attendu la Renaissance pour se mettre au service des puissants. Déjà dans l'antiquité romaine, Mécène - qui a laissé son nom en tant que protecteur des artistes - leur apportait son appui quand ils chantaient la gloire de l'empire, et au moyen âge, les seigneurs assistaient troubadours et trouvères... Mais une évolution se produit à la fin du XVI° siècle, en raison de la violence des conflits religieux qui déchirent le pays. Les poètes choisissent leur camp, et se lancent dans un vibrant plaidoyer en faveur de la "vraie" religion contre les crimes des adversaires... La poésie devient polémique, engagée.

Pierre de Ronsard, le catholique

Deux livres d'Hymnes paraissent en 1555 et 1556. De registre épique, ils ont pour fonction de louer les grands du royaume, par exemple le roi Henri II ou le Cardinal de Lorraine. Cette oeuvre se complète, en 1572 et 1573, des quatre premiers livres d'une épopée, la Franciade, qui reste inachevée.

Quand Charles IX accède au pouvoir, en 1560, Ronsard devient poète officiel de la cour, et son engagement se précise, dans les Discours des misères de ce temps et sa Continuation (1562), pour déplorer l'état d'un pays ravagé par les guerres dont il rejette la responsabilité sur les protestants (cf. Extrait ci-dessous).

[...]    De quel front, de quel Å“il, ô siècles inconstants,

Pourront-ils regarder l’histoire de ce temps,

En lisant que l’honneur et le sceptre de France,

Qui depuis si long âge avait pris accroissance,

Par une Opinion nourrie des combats

Comme une grande roche est bronché contre-bas[1] […] ?

        Ce monstre[2] arme le fils contre son propre père,

Et le frère (ô malheur !) arme contre son frère,

La sœur contre la sœur, et les cousins germains

Au sang de leurs cousins veulent tremper leurs mains ;

L’oncle fuit son neveu, le serviteur son maître ;

La femme ne veut plus son mari reconnaître ;

Les enfants sans raison disputent de la foi,

Et tout à l’abandon va sans ordre et sans loi.

        L’artisan par ce monstre a laissé sa boutique,

Le pasteur ses brebis, l’avocat sa pratique,

Sa nef le marinier, sa foire le marchand,

Et par lui le prud’homme est devenu méchant.

L’écolier se débauche, et de sa faux tortue[3]

Le laboureur façonne une dague pointue,

Une pique guerrière il fait de son râteau,

Et l’acier de son coutre[4] il change en un couteau.

Morte est l’autorité ; chacun vit à sa guise ;

Au vice déréglé la licence est permise ;

Le désir, l’avarice et l’erreur insensé[5]

Ont sens dessus dessous le monde renversé.

On a fait des lieux saints une horrible voirie[6],

Un assassinement et une pillerie,

Si bien que Dieu n’est sûr en sa propre maison. [...]

 

[1] Est tombé à terre.

[2] Il s’agit de l’Opinion.

[3] Recourbée.

[4] Fer qui tranche la terre devant le soc de la charrue.

[5] Accord latin, aujourd’hui on écrirait « insensés Â».

[6] Dépôt d’ordures.

Agrippa d'Aubigné, le protestant

Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630, après des études humanistes, embrasse la foi protestante, et combat dans les armées qui la défendent. Après avoir échappé aux massacres de la Saint-Barthélémy (1572), il revient à la cour d'Henri III avec Henri de Navarre, et la quitte avec lui en 1576, pour se lancer à nouveau dans la guerre civile où il est blessé. C'est alors qu'il commence le long poème en sept chants des Tragiques (1516) [cf. Extrait du Livre V, "Les fers" ci-dessous] . Mêlant satire et épopée, malédictions et prédictions, ce poème révèle l'ardent engagement de son auteur. C'est à Genève, où il s'exile en 1620, qu'il finit sa vie.

Dans ce passage, le poète évoque la Saint-Barthélémy.

 

[…] Or déjà vous voyez

L’eau couverte d’humains, de blessés mi-noyés,

Bruyant contre ses bords la détestable Seine,

Qui des poisons du siècle à ses deux chantiers[1] pleine,

Tient plus de sang que d’eau ; son flot se rend caillé,

À tous les coups rompu, de nouveau resouillé

Par les précipités[2] :  le premier monceau noyé,

L’autre est tué par ceux que derrière on envoie ;

Aux accidents mêlés de l’étrange forfait

Le tranchant[3] et les eaux débattent qui l’a fait.

Le pont, jadis construit pour le pain de sa ville,

Devient triste échafaud de la fureur civile ;

On voit à l’un des bouts l’huis[4] funeste, choisi

Pour passage de mort, marqué de cramoisi ;

La funeste vallée, à tant d’agneaux meurtrière,

Pour jamais gardera le titre de Misère,

Et tes quatre bourreaux porteront sur leur front

Leur part de l’infamie et de l’horreur du pont,

Pont, qui eus pour ta part quatre cents précipices[5] !

Seine veut engloutir, louve, tes édifices :

Une fatale nuit en demande huit cents

Et veut aux criminels mêler les innocents. […]

Or, cependant qu’ainsi par la ville on travaille,

Le Louvre retentit, devient champ de bataille,

Sert après d’échafaud[6], quand fenêtres, créneaux,

Et terrasses servaient à contempler les eaux,

Si encore sont eaux. […]

 

[1] Rives.

[2] Ceux qui ont été jetés à l’eau.

[3] Toute arme servant à égorger.

[4] La porte. Ici « huis Â» est employé au masculin.

[5] Cadavres jetés à l’eau.

[6] Estrade.

Hogenberg, Massacre de Vassy (1562), fin du XVI° siècle. Gravure. Musée national du château de Pau.

B. Saarburgh, Portrait d'Agrippa d'Aubigné, à Bâle en 1622. 

Lyonnaise
Pléiade
Poesieengagee
Les Essais de Montaigne
Montaigne
La vie d'un humaniste

Portrait de Montaigne, anonyme, XVII° siècle.

La vie de Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592) représente parfaitement l'humanisme du XVIème siècle :

  • par ses études : son père, lui-même humaniste, lui fait apprendre tout jeune le latin et le grec, puis il va au collège de Guyenne, à Bordeaux, très réputé alors. Enfin lui-même ne cesse d'explorer les ouvrages des plus grands auteurs de l'antiquité, tels le grec Plutarque ou le latin Sénèque. En témoigne sa "librairie", bibliothèque aménagée dans une tour du château dont il hérite en 1568 à la mort de son père, avec les citations gravées sur les poutres.

  • par l'influence de son ami, Etienne de la Boétie, lui-même humaniste et stoïcien, rencontré en 1557. Sa mort, en 1563, lui cause un vif chagrin, et il s'emploie à faire publier ses oeuvres.

La "librairie" du château de Montaigne, avec ses poutres gravées de citations grecques et latines.

Comme beaucoup d'humanistes, Montaigne est aussi un voyageur. En 1578, il est, en effet, atteint de la « maladie de la pierre Â», une maladie de la vessie, très douloureuse, qui l'amène, dès 1580, à voyager pour faire des cures thermales, en France, en Allemagne et en Italie. Il publie alors un Journal de voyage, dans lequel il insiste sur la relativité des lois et des usages, dans un esprit de tolérance.

Ses origines nobiliaires et ses études de droit l’amènent  à s'engager dans la vie politique de son temps, en exerçant des fonctions officielles :

  •  Il succède à son père dans sa charge de magistrat à Périgueux, en 1554, puis au parlement de Bordeaux.

  •  Il vend cette charge en 1571, mais est alors nommé gentilhomme de la chambre du roi.

  • À plusieurs reprises, il est chargé de négociations dans des conflits politico-religieux : en 1574 entre Henri de Guise et Henri de Navarre, le futur Henri IV, puis, en 1583, entre le maréchal de Matignon (représentant Henri III) et Henri de Navarre.

  • Il est élu à deux reprises maire de Bordeaux (1581-1583).

C’est sans doute à cause de ce rôle politique que, lors des troubles des barricades à Paris (1588), il est envoyé en prison par les « Ligueurs Â», et en est délivré quelques heures après par la reine-mère, Catherine de Médicis. De ces expériences il retire de nombreuses réflexions sur les abus du fanatisme, la vanité des ambitions, et l'importance de l'indépendance d'esprit.

Une personnalité à découvrir.

Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice ; car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été en ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain ; à Dieu donc.

Extrait de l'adresse "Aux lecteurs", prologue des Essais.

Autrement, si je n'y suis alléché par quelque plaisir, et si j'ai autre guide que ma pure et libre volonté, je n'y vaux rien. Car j'en suis là que, sauf la santé et la vie, il n'est chose pour quoi je veuille ronger mes ongles, et que je veuille acheter au prix du tourment d'esprit et de la contrainte [...], extrêmement oisif, extrêmement libre, et par nature et par art.

J'ai une âme toute sienne, accoutumée à se conduire à sa mode. N'ayant eu jusques à cette heure ni commandant, ni maître forcé, j'ai marché aussi avant et le pas qu'il m'a plu : cela m'a amolli et rendu inutile au service d'autrui et ne m'a fait bon qu'à moi.

Essais, II, 17, "De la présomption"

La dimension autobiographique des Essais

Montaigne commence les Essais vers 1571, avec une première édition en 1580. Puis les éditions se succèdent, avec de multiples ajouts et remaniements, notamment une qu’il contrôle en 1588. Par rapport à la première, elle compte 641 « ajoutailles Â», avec 543 citations nouvelles, et un troisième livre. Une dernière édition publiée par Marie de Gournay, rencontrée à Paris en 1588, qu’il nomme sa « fille d'alliance », est publiée à titre posthume, en 1595. L’édition, sur laquelle se fondent les éditions contemporaines, dite « Ã©dition de Bordeaux Â», tient compte de ses dernières annotations manuscrites, dans les marges de celle de 1588.   

 

Les Essais comportent une dimension autobiographique, sans suivre l'ordre chronologique attendu dans ce genre littéraire. C'est, en effet, à partir de son expérience que Montaigne élabore sa réflexion. Parfois ce sont de simples anecdotes, une chute de cheval, une rencontre dans un salon, une conversation mondaine, d'autres fois des souvenirs livresques, rapportés ou sous forme de citations. Son amitié avec La Boétie, ses expériences politiques y jouent aussi un grand rôle. Dans tous les cas, la rédaction des Essais est un moyen pour lui de mettre en pratique la fameuse formule "Connais toi toi-même", gravée au fronton du temple de Delphes, en différenciant ce qui fait son originalité de ce qui est propre à l'humaine nature, sans masquer ses faiblesses, observées souvent avec humour.

Frontispice des Essais, édition de 1580

Une page avec, dans la marge, les "ajoutailles".

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La sagesse de Montaigne
L'éducation

Comme ses contemporains, Montaigne s'intéresse à l'éducation, lui consacrant un chapitre des Essais, "De l'Institution des enfants". Il proteste contre les mauvais traitements alors infligés aux enfants, et surtout contre l'apprentissage par coeur qui, au lieu de former le jugement de l'enfant, ne fait que le transformer en un perroquet savant. D'où l'importance du choix d'un précepteur - Montaigne parle de l'éducation donnée à un enfant de famille aisée - qui sache s'adapter à son élève, pour tirer le meilleur parti possible de ses possibilités. Enfin l'éducation ne doit se donner aucun but utilitaire, elle vise seulement à épanouir l'esprit, et à rendre l'homme meilleur et plus sage.

On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir ; et notre charge ce n’est que redire ce qu’on nous a dit. Je voudrais qu’il corrigeât cette partie ; et que de belle arrivée, selon la portée de l’âme, qu’il a en main, il commençât à la mettre sur la montre, lui faisant goûter les choses, les choisir, et discerner d’elle-même. Quelquefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente, et parle seul : je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. Socrate, et depuis Arcesilaus, faisaient premièrement parler leurs disciples, et puis ils parlaient à eux. […] Il est bon qu’il le fasse trotter devant lui, pour juger de son train : et juger jusques à quel point il se doit ravaler, pour s’accommoder à sa force. A faute de cette proportion, nous gâtons tout. Et de la savoir choisir, et s’y conduire bien mesurément, c’est une des plus ardues besognes que je sache : Et est l’effet d’une haute âme et bien forte, savoir condescendre à ces allures puériles, et les guider. Je marche plus ferme et plus sûr, à mont qu’à val. Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance. Et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages, et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien fait sien, prenant l’instruction à son progrès, des pédagogismes de Platon. C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée : l’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme, à ce qu’on lui avait donné à cuire.

Essais, I, 26, "De l'institution des enfants"

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La mort

Montaigne, en raison de sa maladie et de son engagement dans les conflits de son temps, est amené à réfléchir sur la peur, sur la souffrance, sur les faiblesses inhérentes à la nature humaine. Cela l'amène à s'interroger sur l'attitude de l'homme face à l'idée de la mort. Comment échapper à cette hantise ? Dans un premier temps, il est tenté par l'idéal stoïcien : se préparer à mourir pour s'endurcir contre ce qui nous effraie... Mais sa pensée évolue dans les Essais, ce dont témoignent les ajouts et les remaniements : "Nature suggère mieux la constance et la patience que toutes les leçons de l'école", conclut-il, en acceptant tout simplement les limites imposées à l'homme, son impuissance

Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent, de mort nulles nouvelles. Tout cela est beau. Mais aussi quand elle arrive, ou à eux, ou à leurs femmes, enfants et amis, les surprenant en dessoude et à découvert, quels tourments, quels cris, quelle rage, et quel désespoir les accable ? Vîtes-vous jamais rien si rabaissé, si changé, si confus ? Il y faut prévoir de meilleure heure : et cette nonchalance bestiale, quand elle pourrait loger en la teste d’un homme d’entendement, ce que je trouve entièrement impossible, nous vend trop cher ses denrées. Si c’était ennemi qui se peut éviter, je conseillerais d’emprunter les armes de la couardise. Mais puis qu’il ne se peut, puis qu’il vous attrape fuyant et poltron aussi bien qu’honnête homme, […] et que nulle trempe de cuirasse vous couvre,[…] apprenons à le soutenir de pied ferme, et à le combattre. Et pour commencer à lui ôter son plus grand avantage contre nous, prenons voie toute contraire à la commune. Ôtons lui l’étrangeté, pratiquons-le, accoutumons-le. N’ayons rien si souvent en la tête que la mort. A tous instants représentons-la à notre imagination et en tous visages. Au broncher d’un cheval, à la chute d’une tuile, à la moindre piqure d’épingle, remâchons soudain : Et bien, quand ce serait la mort même ? et là dessus, roidissons-nous et efforçons nous. Parmi les fêtes et la joie, ayons toujours ce refrain de la souvenance de notre condition, et ne nous laissons pas si fort emporter au plaisir, que parfois il ne nous repasse en la mémoire, en combien de sortes notre allégresse est en butte à la mort, et de combien de princes elle la menace. Ainsi faisaient les Egyptiens, qui, au milieu de leurs festins et parmi leur meilleure chère, faisaient apporter l’Anatomie sèche d’un corps d’homme mort, pour servir d’avertissement aux conviés. […]

Il est incertain où la mort nous attende, attendons-la partout. La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte.

Essais, I, 20, "Que philosopher c'est apprendre à mourir"

Une vidéo : pour découvrir Montaigne.

Un art de vivre

Face à cette réalité, que l'homme est condamné à mourir, comment tirer le meilleur parti du temps de vie qui nous est accordé ? Là est la question primordiale pour Montaigne.

La réponse se trouve d'abord en nous : éduquer son esprit, accroître ses connaissances, connaître ses forces et ses faiblesses. Ensuite, donner un sens à sa vie en la vivant pleinement : "Il me la faut la rendre plus profonde et plus pleine", déclare-t-il. Il y a chez Montaigne une forme d'hédonisme, le désir de profiter des plaisirs de la vie : "Pour moi donc, j'aime la vie telle qu'il a plu à Dieu de nous l'octroyer".

J'ai un dictionnaire tout à part moi : je passe le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas passer, je le retâte, je m'y tiens. Il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon. Cette phrase ordinaire de passe-temps et de passer le temps représente l'usage de ces prudentes gens, qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et échapper, de la passer, gauchir, et, autant qu'il est en eux, ignorer et fuir, comme chose de qualité ennuyeuse et dédaignable.

Essais, III, 13, "De l'expérience"

Si la vie est précieuse, elle l'est pour moi, elle l'est aussi pour tout homme. D'où la morale de Montaigne, qui vise à respecter la vie en tout homme, même chez ceux qu'en cette période de "grandes découvertes" on considère comme sauvages. La voix de Montaigne s'élève avec force pour reconnaître l'humain chez ces indigènes, dotés d'une morale, d'une culture tout aussi estimables que celles de l'Europe, si souvent condamnable comme le prouvent les massacres des guerres de religion : "Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie."

Montaigne fonde ainsi sa sagesse sur trois principes :

  • le "relativisme" : La vérité ne peut être posée avec certitude, car ce qui est "vérité" ici n'est pas reconnue comme telle là : "Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà ?" Il faut donc rester humble, modeste, se garder d'affirmer quand, sans cesse, la vérité se dérobe, le monde change. De plus, les hommes diffèrent les uns des autres, notre raison est trompée par nos sens et par notre imagination, et nous changeons au fil des expériences de notre existence. [cf. Extrait ci-dessous, III, 2]

  • la "vertu" : Si la vérité absolue ne peut être atteinte, du moins faut-il chercher à cultiver la "vertu", c'est-à-dire mettre toutes ses forces, tout son courage pour tendre au bien. L'essai 29 du livre II lui est consacré. Mais cette "vertu" n'est pas âpre, ni douloureuse, elle consiste seulement à suivre le sens de l'honnête et du juste que chacun porte au fond de soi. [cf. Extrait ci-dessous, I, 26)

  • la "nature" : C'est finalement elle qui est la loi suprême. "Nature est un doux guide", affirme-t-il, et "Nature suggère mieux la constance et la patience que les leçons de l'école". Il convient donc de s'adapter aux circonstances, selon les besoins naturels de notre être, sans abus et sans excès, en suivant la voie moyenne : "Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rangent au modèle commun et humain, avec ordre, mais sans miracle ni extravagance." (cf. Extrait ci-dessous, I, 13)

Le monde n’est qu’une branloire pérenne : Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Egypte : et du branle public, et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis assurer mon objet : il va trouble et chancelant, d’une ivresse naturelle. Je le prends en ce point, comme il est, en l’instant que je m’amuse à luy. Je ne peinds pas l’estre, je peinds le passage : non un passage d’âage en autre, ou comme dic le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure.

Essais, III, 2, "Du repentir"

[La vertu] est la mère nourrice des plaisirs humains. En les rendant justes, elle les rend sûrs et purs. Les modérant, elle les tient en haleine et en appétit. Retranchant ceux qu’elle refuse, elle nous aiguise envers ceux qu’elle nous laisse : et nous laisse abondamment tous ceux que veut nature : et jusques à la satiété, sinon jusques à la lasseté ;

Essais, I, 26, "De l'institution des enfants"

Le peuple se trompe : on va bien plus facilement par les bouts, où l'extrêmité sert de borne d'arrêt et de guide, que par la voie du milieu, large et ouverte, et selon l'art, que selon nature, mais bien moins noblement aussi, et moins recommandablement. La grandeur de l'âme n'est pas tant tirer à mont et tirer avant, comme savoir se ranger et circonscrire. Elle tient pour grand, tout ce qui est assez, et montre sa hauteur à aimer mieux les choses moyennes que les éminentes. Il n'est rien si beau et légitime que de faire bien l'homme et dûment, ni science si ardue que de bien et naturellement savoir vivre cette vie ; et de nos maladies la plus sauvage, c'est mépriser notre être.]

Essais, I, 13, "De l'expérience"

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