L' "appropriation" : entre liberté et contraintes...
Définition de l'écrit d' "appropriation"
L'écriture dite "d'invention" ne figure plus, certes, à l'examen du baccalauréat, mais elle reste, en fait, pratiquée aussi bien à propos d'un texte intégré à un "parcours" ou sur une œuvre, qu'elle soit étudiée collectivement ou fasse l'objet d'une lecture personnelle, fondement du "carnet de lecture". Le programme la mentionne nettement sous l'appellation "écrit d'appropriation", ce qui traduit bien ses objectifs : il doit permettre au lecteur de devenir partie prenante de l'œuvre, en comprenant les modalités de son écriture, son élaboration, par exemple le choix d'un personnage, le rôle des descriptions, ses enjeux ...
Ainsi ce changement d'appellation ne contredit en rien les remarques de l'ancien programme (cf. texte ci-dessous), qui mettait en évidence trois aspects : le rôle du support, l'importance des acquis littéraires et les qualités attendues dans l'écriture même.
L'écriture d'invention contribue, elle aussi, à tester l'aptitude à lire et comprendre un texte, à en saisir les enjeux, à percevoir les caractères singuliers de son écriture. Elle permet au candidat de mettre en œuvre d'autres formes d'écriture que celle de la dissertation ou du commentaire. Il doit écrire un texte, en liaison avec celui ou ceux du corpus, et en fonction d'un certain nombre de consignes rendues explicites par le libellé du sujet.
L'exercice se fonde, comme les deux autres, sur une lecture intelligente et sensible du corpus, et exige du candidat qu'il se soit approprié la spécificité des textes dont il dispose (langue, style, pensée), afin d'être capable de les reproduire, de les prolonger, de s'en démarquer ou de les critiquer.
Bulletin officiel spécial N°7 du 11 octobre 2011
- Le rôle du support (en rouge) : Deux supports sont mentionnés,
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les consignes proposées pour l''écriture d'invention : elles limitent forcément la liberté du rédacteur ;
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le lien établi avec, soit l'ensemble du corpus, soit un texte précis. Cela implique donc d'en avoir compris le sens, d'où l'importance d'une analyse "intelligente et sensible".
Cet écrit est rattaché au "programme" étudié dans l'année, c'est-à-dire à des "objets d'étude", donc à des connaissances sur les genres, les mouvements littéraires, sur des points particuliers comme l'étude du "personnage", de "l'argumentation", de la "représentation" au théâtre, voire sur la "pensée" qui peut caractériser un auteur...
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"la spécificité des textes" (en bleu) : La formule recouvre à la fois ses "enjeux" et "les caractères singuliers de son écriture". L'élève a donc à utiliser des connaissances encore plus précises. Le terme "enjeux", par exemple, exige de savoir reconnaître un réquisitoire, qui dénonce, attaque, d'un plaidoyer, qui, au contraire, soutient une thèse, il nécessite une maîtrise des registres, de leurs objectifs, des thèmes qu'ils privilégient, par exemple du rôle de la peur dans le registre fantastique, de la mise en valeur du héros dans le registre épique, de la fatalité dans le tragique...
- Les qualités portant sur "le style" (en vert) : On attend du candidat, non pas qu'il se transforme en "écrivain", mais au moins qu'il sache mettre en oeuvre les procédés d'écriture correspondant aux exigences de la consigne, par exemple une gradation, des choix lexicaux appropriés, des figures de style...
Le Bulletin Officiel qui fixe les nouveaux programmes du lycée (cf. texte ci-contre) apporte d'intéressantes précisions sur les "formes variées" de "l'écrit d'appropriation", qui recouvre l'ancienne appellation d'écriture d'invention (en bleu), mais la dépasse largement :
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il fait appel de façon plus générale à la faculté critique de l'élève (en rouge), jusqu'à s'élargir à un "essai", se rapprochant ainsi de l'exercice prévu à l'épreuve écrite du baccalauréat pour les séries technologiques;
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il peut, inversement, être plus limité en ne demandant (en vert) qu'une intervention ponctuelle pour modifier un texte ;
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il peut faire davantage appel à la créativité de l'élève (en jaune), notamment en privilégiant la dimension artistique et le recours aux nouvelles technologies.
Le professeur veille également à faire pratiquer le plus régulièrement possible des écrits d’appropriation. Ceux-ci concernent les lectures cursives et les lectures personnelles des élèves, mais aussi les œuvres et textes étudiés en classe, dont ils facilitent la compréhension approfondie. Ces écrits d’appropriation peuvent prendre des formes variées : restitution des impressions de lecture (préparatoire ou postérieure aux commentaires) ; jugement personnel sur un texte ou une œuvre ; écriture d’invention (pastiches, réécritures, changements de cadre spatio-temporel, changements de point de vue, etc.) ; écriture d’intervention (changement d’un possible narratif, insertion d’éléments complémentaires dans le texte, etc.) ; association au texte, justifiée par l’élève, d’une œuvre iconographique, d’une séquence filmique ou vidéo ; construction de l’édition numérique enrichie d’un texte (notes, illustrations, images fixes ou animées, éléments d’interactivité, etc.) ; élaboration d’un essai sur une question éthique et/ou esthétique soulevée par une œuvre lue ; rédaction d’une note d’intention de mise en scène, d’un synopsis, d’un extrait de scénario,etc.
Bulletin officiel spécial N°1 du 22 janvier 2019
Analyse de la consigne
Reprenons l'ancien document officiel sur l'écriture d'invention, dont le contenu reste pertinent. Il distingue deux catégories (en rouge) : le "cadre argumentatif" et le "genre narratif". Cela implique donc de maîtriser les deux composantes de l'argumentation : le fait de convaincre et celui de persuader. Pour le genre narratif, on doit en connaître les principales caractéristiques : intrigue, personnages, actualisation spatio-temporelle et énonciation.
Pour chacune de ces catégories, des formes sont précisées. Elles renvoient à la connaissance
- des genres littéraires (en noir et en gras), tels le théâtre, la "fable" et "l'apologue", et, bien sûr, le roman et la nouvelle pour le "récit" ;
- des registres (en jaune), ici le "polémique", la "critique", dont le satirique, ou le monologue "théâtral" qui pourrait être comique ou tragique...
Elle peut prendre des formes variées. Elle peut s'exercer dans un cadre argumentatif :
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article (éditorial, article polémique, article critique, droit de réponse...) ;
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lettre (correspondance avec un destinataire défini dans le libellé du sujet, lettre destinée au courrier des lecteurs, lettre ouverte, lettre fictive d'un des personnages présents dans un des textes du corpus, etc.) ;
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monologue délibératif ; dialogue (y compris théâtral) ;
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discours devant une assemblée ;
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récit à visée argumentative (fable, apologue...).
Mais, lorsqu'elle concerne le genre narratif, elle peut s'appuyer sur des consignes impliquant les transformations suivantes :
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des transpositions : changements de genre, de registre, ou de point de vue ;
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ou des amplifications : insertion d'une description ou d'un dialogue dans un récit, poursuite d'un texte, développement d'une ellipse narrative...
Bulletin officiel spécial N°7 du 11 octobre 2011
- des principales caractéristiques de l'énonciation (en vert) : l'émetteur, un journaliste (pour un "article"), "un des personnages du récit", ou l'orateur d'un "discours", le récepteur, "destinataire" unique ou pluriel ( "des lecteurs", "une assemblée"), le narrateur avec la notion de "point de vue"...
- des caractéristiques stylistiques (texte surligné) propres à certaines formes, telles la disposition et les formules d'une "lettre", les titre et sous-titre d'un "article", la disposition typographique d'un "dialogue" et son insertion s'il s'agit de discours rapporté... sans oublier les procédés de modalisation.
Enfin, ce document indique clairement (en bleu) l'importance d'une analyse précise du texte qui sert de support. Une "transposition", en effet, exige de savoir quels éléments du texte seront modifiés, voire supprimés. De même, l'insertion d'une "description", ou "la poursuite" d'un récit demandent un respect des données, lieux, personnages, actions, registre, procédés d'écriture du texte initial.
Avec un corpus comme support : observons...
CORPUS 1
Objet d'étude : La poésie.
Texte A - Victor Hugo, Les Contemplations (1856), « Aujourd'hui », IV, 4, « Oh ! je fus comme fou dans le premier moment » (poème du 4 septembre 1852)
Texte B - Joachim Du Bellay, Les Regrets (1558), XLVIII
Texte C - Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou (1959), « Faction », dans une lettre datée de Nîmes, le 25 mars 1915.
Texte D - Claude Roy, A la lisière du temps (1984), « Matinée de printemps, Souvenir de mai 1982 »
Annexe : Victor Hugo, extrait de la Préface des Contemplations (1856).
CORPUS 2
Objet d'étude : La poésie.
Texte A - Aloysius Bertrand, "La ronde sous la cloche", Gaspard de la nuit, 1842.
Texte B - Arthur Rimbaud "Les Ponts", Illuminations, 1886 (publication posthume).
Texte C - Arthur Rimbaud, "Aube", Illuminations, 1886 (publication posthume).
Texte D - Henri Michaux, "La Jetée", (La Nuit remue, 1935, repris dans Mes propriétés, L'Espace du dedans).
Texte E - Francis Ponge, "Le pain", Le Parti pris des choses, 1942.
Voici deux corpus portant sur la poésie. Le sujet d'appropriation proposé est le suivant :
- sur le corpus 1 :
Vous êtes responsable de la rubrique "Poésie" du journal de votre lycée ; vous avez choisi de publier notamment les textes de ce corpus dans votre numéro 1. Pour défendre votre choix, vous écrivez un article ayant pour titre la formule de V. Hugo : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. »
- sur le corpus 2 :
Vous avez composé un recueil de poèmes, en prose ou en vers, faisant une large part au rêve et à l'imaginaire, à la manière d'Aloysius Bertrand. Vous écrivez à un éditeur pour le convaincre de publier cet ouvrage et défendre votre démarche poétique.
L'observation, sous forme de notes sur l'énoncé, prend comme point de départ le verbe (souligné en rouge) qui pose la consigne, ici, dans les deux cas, "vous écrivez". C'est à partir de ce verbe que nous déterminons le complément d'objet (en bleu), ici la forme que prendra l'écrit, son émetteur et son destinataire, en rouge.
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sur le premier corpus : Il s'agit d'écrire "un article". Quelques précisions sont apportées : il est destiné au "numéro 1" d'un "journal" de "lycée", qui a prévu une "rubrique" sur la poésie. L'émetteur doit se mettre à la place du "responsable" de cette rubrique. Ses destinataires sont ses camarades lycéens.
-
sur le second corpus : Le verbe restant sans complément, nous comprenons qu'il s'agit d'une lettre, dont le sujet est la publication d'un "recueil de poèmes". L'émetteur est l'auteur qui a "composé" cet "ouvrage", le destinataire est un "éditeur".
Le sujet d'appropriation prend appui sur
- l'ensemble du corpus, comme ici pour "l'article". Il est donc indispensable d'en analyser les caractéristiques, ce que la question préalable a en partie permis de faire : elle portait sur le "registre lyrique". D'où le "titre" imposé, une phrase tirée du document en annexe.
- un seul texte, comme pour la lettre à "un éditeur", dont l'argumentation reposera sur l'analyse précise du poème d'Aloysius Bertand.
Enfin, des exigences complémentaires sont ajoutées sur :
- les objectifs de l'écriture : Il s'agit, dans les deux cas, de "défendre", donc d'argumenter, c'est-à-dire de convaincre et de persuader, à la façon d'un avocat, de l'intérêt, soit des textes du corpus pour l'article, soit du recueil composé pour la lettre.
- les contenus de la production écrite : Pour l'article, le "titre" imposé demande de prouver aux lecteurs l'intérêt de la poésie lyrique, en montrant que les sentiments personnels, l'expérience propre du poète, en réalité nous concernent tous. Pour la lettre, l'auteur du recueil est censé justifier ses choix thématiques ("rêve", "imaginaire") et sa "démarche poétique", donc à la fois le choix de la "prose" ou du "vers" et les procédés qu'il a mis en oeuvre, semblables à ceux d'Aloysius Bertrand.
Cette analyse de la consigne amène à l'élaboration d'un tableau qui, en récapitulant les connaissances littéraires, distingue les contraintes imposées de la part de liberté laissée à l'imagination du candidat.
Cette analyse, loin d'être du temps "perdu", permet de s'assurer du respect de tous les aspects de la consigne, contenus et formes imposés, guide les recherches sur "les idées" à développer, à la fois dans le corpus lui-même et dans les connaissances littéraires acquises, et permet de "programmer" des procédés d'écriture à utiliser.
Pour s'exercer...
CORPUS 1
CORPUS 2
Objet d'étude : La poésie.
Texte A - Pierre de RONSARD (1524-1585), Sur la mort de Marie, « Terre, ouvre-moi ton sein, et me laisse reprendre », 1578
Texte B - Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Les Fleurs du Mal, section « La Mort », « La mort des amants », 1857
Texte C - Paul VERLAINE (1844-1896), Les Fêtes galantes, « Colloque sentimental », 1869
Texte D - Paul ÉLUARD (1895-1952), Le temps déborde, « Notre vie », 1947
Objet d'étude : Le texte théâtral et sa représentation.
Texte A - Albert CAMUS, Caligula, Acte II, scène 8, 1945
Texte B - Emmanuel ROBLÈS, Montserrat, Acte III, scène 1, 1948
Texte C - Jean-Paul SARTRE, Les Mains sales, Sixième tableau, 2, 1948
Annexe : article critique sur la mise en scène de Caligula de Camus par Stéphane Olivié-Bisson au Théâtre des Célestins à Lyon, paru dans le blog "Les trois coups.com", 26/02/2014.
Sur le modèle de l'observation précédente, analyser les consignes proposées, puis élaborer un tableau pour distinguer les contraintes et la part de liberté laissée à l'imagination.
- Pour le corpus 1 : Jeune journaliste dans un magazine d’information, vous rencontrez votre directeur pour lui demander de vous autoriser à ouvrir une rubrique « Poésie ». Celui-ci rejette votre projet. Rédigez un dialogue argumenté.
- Pour le corpus 2 : Vous avez assisté à la représentation d’une de ces trois pièces, au choix. Vous présentez, dans votre blog, un des personnages qui vous a particulièrement intéressé, à la fois par sa personnalité et par la façon dont il était mis en scène.
Préparation de la rédaction
Reprise du corpus
Plan du texte
Si la consigne porte sur un des textes du corpus, il est nécessaire d'en préciser l'analyse sur le/s point/s concerné/s, lieu, personnage, situation, registre, sans oublier les procédés d'écriture, en notant en marge du texte les remarques importantes.
Si elle concerne l'ensemble du corpus, il convient de récapituler les observations faites lors de la question préalable, en les liant à la consigne du sujet d'invention.
Une fois ce travail effectué, avec l'aide du tableau précédent, il est possible de compléter
- les arguments, s'il s'agit de ce type de sujet, et les exemples qui s'y rattachent ;
- les éléments du récit, s'il s'agit de composer un texte narratif.
Cette recherche peut être enrichie par des "emprunts" à des textes étudiés dans l'année, et par des données d'histoire littéraire.
Selon le type d'écrit demandé, il est préférable de préparer au brouillon
- ce qui constituera une introduction : un paratexte, par exemple, pour une scène de théâtre ou un passage de roman, une introduction pour un discours ou une lettre...
- ce qui formera une conclusion : une "chute" pour finir une scène, un passage de récit, un article, la formule finale pour une lettre...
Enfin, le plan est organisé :
- les arguments sont ordonnés, en général du plus faible au plus convaincant,
- l'ordre des événements du récit, qui doit correspondre à la mise en valeur des aspects demandés par la consigne.
Observons...
À partir d'un corpus sur la poésie lyrique, la consigne du sujet d'appropriation est la suivante : "À quoi bon écrire et lire des poèmes ?" vous déclare un de vos camarades de classe. Vous engagez un débat avec lui pour lui montrer l’intérêt de la poésie. Imaginez votre dialogue.
L'analyse de la consigne permet de poser la nécessité de trouver des arguments sur "l'intérêt de la poésie", qu'un adversaire contestera, autour de deux centres d'intérêt : "écrire" et "lire". L'étude du corpus, jointe aux connaissances acquises sur la poésie et ses registres, permet de préparer la rédaction :
- en élaborant une introduction pour ce dialogue : elle est insérée dans un récit (en rouge), d'où l'emploi des temps, et l'introduction du discours rapporté direct, elle présente l'actualisation spatio-temporelle (en bleu), et introduit (en vert) les deux interlocuteurs. Elle reprend aussi les exigences de la consigne (en noir), dans la phrase critique du camarade.
Nous sortions d’un long cours de français où nous venions d’étudier un poème de Du Bellay, et, en littérature anglaise, nous étions aussi plongés dans l’étude de la poésie. De là vint, sans doute, la réaction violente de mon ami Damien qui, pendant la récréation, s’écria : « J’en ai vraiment assez d’étudier des poèmes ! Je me demande vraiment pourquoi les auteurs choisissent d’écrire ce genre de textes ! Et pourquoi donc nous obliger à les lire ? »
- en prévoyant la conclusion du dialogue. La platitude de l'échange d'un simple "au revoir" ne peut suffire... La conclusion revient au récit, ce qui permet de faire avancer la chronologie (en bleu) en rappelant le contexte. Pour trouver une "chute" originale, l'ironie (ici le discours rapporté, en rouge, du "camarade") et l'humour (en vert), quand le narrateur se moque de lui-même, sont utilisés. Ils permettent aussi de renforcer la modalisation, avec la question rhétorique et les phrases exclamatives, dont l'une est nominale.
Peu à peu, certains camarades s’étaient regroupés autour de nous. Certains riaient de nous voir nous passionner ainsi, et pour quoi ? Pour de la poésie ! Mais la sonnerie retentit, et, tandis que nous nous dirigions vers l’escalier, un camarade d’une autre classe nous déclara ironiquement : « Bon, merci bien, j’ai un contrôle sur la poésie… Grâce à vous deux, je vais sûrement savoir quoi dire ! »
- en organisant l'argumentation : les reproches adressés à la poésie par le camarade, l'éloge de ce genre littéraire pour le narrateur-personnage. Dans la mesure où il est celui qui "engag[e] le débat", il doit pouvoir l'emporter par la force de sa conviction.
REPROCHES
- Par rapport à l'écrivain :
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Le poète n'apporte rien à la société : c'est un être inutile, et c'est à juste titre qu'il est rejeté de ses contemporains + exemple d'un "poète maudit" du XIX° siècle.
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Il manque de pudeur en étalant ses sentiments, avec des plaintes incessantes + exemple dans le corpus ;
- Par rapport au lecteur :
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Il est plus plaisant de lire des récits, avec des personnages auxquels il peut s'identifier, que des rêves ou des visions imaginaires + exemple dans le corpus.
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La versification complique la compréhension des poèmes + exemple dans le corpus.
ÉLOGES
- Par rapport à l'écrivain :
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Il s'amuse en jouant avec le langage, en construisant des images originales + exemple d'un poème de Queneau étudié dans l'année
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La poésie exerce une fonction de "catharsis" : elle permet, en se confiant, de se libérer de ses souffrances + exemple dans le corpus.
- Par rapport au lecteur :
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Il peut trouver, dans un poème, un écho à ses propres sentiments, ou l'expression de ses propres rêves + exemple dans le corpus.
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Certains poètes se sont engagés dans les combats de leur époque, et leurs luttes sont renforcées par l'expression poétique + exemple d'un poème de V. Hugo étudié dans l'année.
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La poésie est un art, elle offre de la beauté, sa dimension esthétique (rythme, sonorités, images) + exemple pris dans le corpus.
Pour s'exercer...
José-Maria de Hérédia, Les Trophées, "Les Conquérants", 1893
Pierre Loti, Vers Ispahan, 1904
Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, 1955
Sous forme de prélude au récit de son voyage en Perse, ancien Iran, Pierre Loti invite son lecteur à partir avec lui.
Qui veut venir avec moi voir apparaître, dans sa triste oasis, au milieu des champs de pavots blancs et de ses jardins de roses roses, la vieille ville de ruines et de mystère, avec tous ses dômes bleus, tous ses minarets bleus d’un inaltérable émail ; qui veut venir voir avec moi Ispahan sous le beau soleil de mai, se prépare à de longues marches, au brûlant soleil, dans le vent âpre et froid des altitudes extrêmes, à travers ces plateaux d’Asie les plus élevés et les plus vastes du monde, qui furent les berceaux des humanités, mais qui sont devenus aujourd’hui des déserts. Nous passerons devant des fantômes de palais, tout en un silex couleur de souris, dont le grain est plus durable et plus fin que celui des marbres. Là, jadis, habitaient les maîtres de la Terre, et, aux abords, veillent depuis plus de deux mille ans des colosses à grandes ailes, qui ont la forme d’un taureau, le visage d’un homme et la tiare d’un roi. Nous passerons, mais aux alentours, il n’y aura rien, que le silence infini des foins en fleurs et des orges vertes.
Qui veut venir avec moi voir la saison des roses à Ispahan, s’attende à d’interminables plaines, aussi haut montées que les sommets des Alpes, tapissées d’herbes rases et d’étranges fleurettes pâles, où à peine de loin en loin surgira quelque village en terre d’un gris tourterelle, avec sa petite mosquée croulante, au dôme plus adorablement bleu qu’une turquoise ; qui veut me suivre, se résigne à beaucoup de jours passés dans les solitudes, dans la monotonie et les mirages…
Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses, vous ne livrerez plus vos trésors intacts. Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. Les parfums des tropiques et la fraîcheur des êtres sont viciés par une fermentation aux relents suspects, qui mortifie nos désirs et nous voue à cueillir des souvenirs à demi corrompus.
Aujourd’hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en porte-avions pesamment ancrés au fond des mers du sud, où l’Asie tout entière prend le visage d’une zone maladive, où les bidonvilles rongent l’Afrique, où l’aviation militaire et commerciale flétrit la grandeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d’en pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ? Cette grande civilisation occidentale, créatrice des merveilles dont nous jouissons, elle n’a certes pas réussi à les produire sans contrepartie. Comme son œuvre la plus fameuse, pile où s’élaborent des architectures d’une complexité inconnue, l’ordre et l’harmonie de l’Occident exigent l’élimination des sous-produits maléfiques dont la terre est aujourd’hui infectée. Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité.
Écriture d'invention : Sur les pas de Pierre Loti, vous vous rendez, à votre tour, "vers Ispahan". Mais votre jugement, vos impressions sont très différents... Rédigez un passage de votre journal de voyage.
1. Après avoir analysé la consigne, élaborer un tableau de comparaison pour distinguer les contraintes et la liberté laissée à l'imagination.
2. Proposer une introduction, une conclusion, et un plan pour préparer la rédaction.
Rédaction
Si les étapes de cette préparation - analyse de la consigne, reprise du corpus, élaboration du plan - ont été suivies rigoureusement, il reste environ 1 heure 30 pour la rédaction. Selon l'aisance du candidat et le temps dont il dispose, elle peut se faire au brouillon, ou directement, la difficulté portant à présent sur la mise en oeuvre des procédés d'écriture requis.
Observons...
Reprenons le corpus précédemment observé, à partir duquel ont été élaborés deux tableaux pour préparer la rédaction. Voici ce qui, après l'introduction posée, pourrait être le début du dialogue.
– « Pas d’accord ! », lui répliquai-je. « Moi, j’aime la poésie, et la façon dont les poètes, pour se soulager de leur douleur, savent nous confier ce qu’ils éprouvent, comme Ronsard avec son échec amoureux, me fascine.
– Te fascine ? Qu’ont donc de fascinantes leurs plaintes incessantes ? Ils se répètent, ils sont malheureux à longueur de vers… Peut-être, mais est-ce une raison pour nous le dire, et, en plus, dans un langage tellement élaboré qu’il n’a plus rien de naturel ?
– Mais leurs sentiments, eux, sont bien naturels ! Nous pouvons tous les éprouver, non ? Tiens, prends Victor Hugo, et les poèmes qu’il a écrits après la mort de sa fille. Sa douleur, sa colère, sa révolte contre cette mort prématurée, tout cela résonnera chez celui qui a perdu un être cher, et il réussit à exprimer son émotion tellement mieux que nous, avec nos pauvres mots, dans un langage tellement plus beau… »
Ma formule laissa Damien un instant silencieux. Puis il relança le débat :
« Pauvres mots, sans doute. Mais moi, quand je lis un poème, la plupart du temps, je ne comprends rien ! Si tu prends le devoir que nous avons à faire, par exemple, qu’est-ce que cela veut dire « L’Amour a mon espoir que la Mort combattu » chez ce Ronsard, qui te fascine tant ? Les phrases sont tordues dans tous les sens, mises la tête à l'envers, c’est incompréhensible. Voilà ce que je reproche à la poésie, personne ne parle ainsi dans la vie réelle ! [...]
1. Pour l'argumentation
- Les arguments : Nous pouvons observer, dans ce passage, deux des reproches (en bleu) préparés, un sur les thèmes abordés par les poètes, l'autre sur le langage poétique. Par opposition, nous y trouvons trois éléments de l'éloge (en rouge) : la confidence, qui soulage le poète, d'un sentiment que le lecteur peut partager, exprimée dans un langage plus élaboré.
- Les exemples (en noir) : On en observe deux, l'un, celui de Ronsard, est emprunté au corpus, ce qui permet de s'appuyer sur un passage précis pour critiquer le langage ; l'autre, celui de Victor Hugo, fait référence à "Demain, dès l'aube", poème très connu sur la mort de sa fille.
2. Pour les procédés d'écriture
L'analyse de la consigne, qui demande "un dialogue argumenté", avec la précision, "un débat", oblige au registre polémique. Le choix retenu ici a été de l'insérer dans un récit. Mais ce dialogue, sans devenir familier ni insultant, doit
- être vif, rechercher un enchaînement naturel des répliques ;
- recourir aux quatre procédés de modalisation : le lexique et les modalités expressives, le rythme des phrases et les figures de style.
Les principales caractéristiques d'écriture sont ici soulignées. Nous y reconnaissons :
- les modalités expressives : Des exclamations renforcent l'argumentation, des interrogations permettent, soit de reprendre un terme de l'adversaire, comme le verbe "fascine", soit de l'interpeller, de faire appel à sa réflexion, avec la négation "non ?", détachée pour souligner la question. Enfin deux impératifs, "Tiens, prends", donnent de la vivacité au débat.
- le rythme des phrases : Il est particulièrement important, pour créer l'illusion d'un débat vivant, comme dans la réponse, brève, qui ouvre ce passage, ou avec l'utilisation des pronoms personnels, "moi" ou "eux", placés entre virgules, pour soutenir un argument. La reprise des termes employés par l'adversaire, "fascine", "naturel/s", "pauvres mots", est un procédé qui relève de la stichomythie, fréquente au théâtre pour marquer le conflit. Les points de suspension permettent de restituer le rythme de l'oralité, ici les temps de silence.
- les choix lexicaux : Ils doivent permettre d'identifier clairement l'opinion de chacun : 'j'aime", "fascine", et l'adverbe intensif "tellement" traduisent l'éloge, tandis que "plaintes incessantes", "à longueur de vers", "incompréhensible" et "reproche", mis en valeur par le présentatif "Voilà", montrent la critique. Cette opposition se traduit aussi par la fréquence du connecteur "mais", mais nous notons quelques concessions faites avec "Peut-être" ou "sans doute" qui prouvent déjà l'embarras du personnage de Damien face aux arguments invoqués.
- les figures de style : Nous relevons une gradation, dans l'exemple qui présente le poème d'Hugo, et la métaphore qui précise les phrases "tordues" en les personnifiant : "mises la tête à l'envers".
Pour réussir ce travail, il est indispensable d'abord d'avoir une bonne maîtrise des procédés de modalisation, que renforce l'analyse des textes, afin de prévoir, avant même de rédiger, lesquels seront à privilégier. Ensuite, il peut être utile d'en faire une liste au brouillon, de façon à s'assurer qu'on pensera à les utiliser. Une relecture, à la fin du travail, ou lors d'un recopiage si l'on a rédigé un brouillon, permet aussi de remplacer un mot par un autre, plus expressif, d'ajouter une exclamation ou une interrogation, de trouver une image intéressante.
Pour s'exercer...
Il s'agit d'un corpus diachronique sur l'objet d'étude : la représentation du texte théâtral. Il comporte trois extraits qui présentent un conflit entre parents et enfants, dont l'analyse a fait l'objet de la question préalable : la scène 4 de l'acte I de L'Avare (1668) de Molière, la scène 1 de l'acte I d'Il ne faut jurer de rien (1836) de Musset, et la scène 3, acte I du Tableau I de La Reine morte (1942) de Montherlant. C'est ce dernier texte qui sert de support à l'écrit d'appropriation.
[Le vieux roi du Portugal, Ferrante (XIV° siècle), a décidé de marier son fils, le prince Don Pedro, à l'Infante de Navarre. Ce dernier révèle à l'infante qu'il est amoureux d'une autre femme ; elle se sent insultée. Le roi convoque son fils.]
FERRANTE. – L'infante m'a fait part des propos monstrueux que vous lui avez tenus. Maintenant, écoutez-moi. Je suis las de mon trône, de ma cour, de mon peuple. Mais il y a aussi quelqu’un dont je suis particulièrement las, Pedro, c’est vous. Bébé, je l’avoue, vous ne me reteniez guère. Puis, de cinq à treize ans, je vous ai tendrement aimé. La reine, votre mère, est morte bien jeune. Votre frère aîné allait tourner à l’hébétude, et rentrer dans les ordres. Vous me restiez seul. Treize ans a été l’année de votre grande gloire ; vous avez eu à treize ans une grâce, une gentillesse, une finesse, une intelligence que vous n’avez jamais retrouvée depuis ; c’était le dernier et merveilleux rayon du soleil qui se couche ; seulement on sait que, dans douze heures, le soleil réapparaîtra, tandis que le génie de l’enfance, quand il s’éteint, c’est à tout jamais. On dit toujours que c’est d’un ver que sort le papillon ; chez l’homme, c’est un papillon qui devient un ver. A quatorze ans vous étiez éteint ; vous étiez devenu médiocre et grossier. Avant, Dieu me pardonne, par moments j’étais presque jaloux de votre gouverneur ; jaloux de vous voir prendre au sérieux ce que vous disait cette vieille bête de don Christoval plus que ce que je vous disais moi-même. Je songeais aussi : « À cause des affaires de l’État, il me faut perdre mon enfant : je n’ai pas le temps de m’occuper de lui. » A partir de quatorze ans, j’ai été bien content que votre gouverneur me débarrassât de vous. Je ne vous ai plus recherché, je vous ai fui. Vous avez aujourd’hui vingt-six ans : il y a treize ans que je n’ai plus rien à vous dire.
PEDRO. – Mon père…
FERRANTE. – « Mon père » : durant toute ma jeunesse, ces mots me faisaient vibrer. Il me semblait – en dehors de toute idée politique – qu’avoir un fils devait être quelque chose d’immense… Mais regardez-moi donc ! Vos yeux fuient sans cesse pour me cacher tout ce qu’il y a en vous qui ne m’aime pas.
PEDRO. – Ils fuient pour vous cacher la peine que vous me faites. Vous savez bien que je vous aime. Mais, ce que vous me reprochez, c’est de ne pas avoir votre caractère. Est-ce ma faute si je ne suis pas vous ? Jamais, depuis combien d’années, jamais vous ne vous êtes intéressé à ce qui m’intéresse. Vous ne l’avez même pas feint. Si, une fois... Quand vous aviez votre fièvre tierce, et croyiez que vous alliez mourir ; tandis que je vous disais quelques mots auprès de votre lit, vous m'avez demandé : « Et les loups, en êtes-vous content ? ». Car c'était alors ma passion que la chasse au loup. Oui, une fois seulement, quand vous étiez tout affaibli et désespéré par le mal, vous m’avez parlé de ce que j’aime.
FERRANTE. – Vous croyez que ce que je vous reproche est de ne pas être semblable à moi. Ce n’est pas tout à fait cela. Je vous reproche de ne pas respirer à la hauteur où je respire. On peut avoir de l’indulgence pour la médiocrité qu’on pressent chez un enfant. Non pour celle qui s’étale dans un homme.
PEDRO. – Vous me parliez avec intérêt, avec gravité, avec bonté, à l’âge où je ne pouvais pas vous comprendre. Et à l’âge où je l’aurais pu, vous ne m’avez plus jamais parlé ainsi, – à moi que, dans les actes publics, vous nommez « mon bien-aimé fils » !
FERRANTE. – Parce qu’à cet âge-là non plus vous ne pouviez pas me comprendre. Mes paroles avaient l’air de passer à travers vous comme à travers un fantôme pour s’évanouir dans je ne sais quel monde : depuis longtemps la partie était perdue. Vous êtes vide de tout, et d’abord de vous-même. Vous êtes petit, et rapetissez tout à votre mesure. Je vous ai toujours vu abaisser le motif de mes entreprises : croire que je faisais par avidité ce que je faisais pour le bien du royaume ; croire que je faisais par ambition personnelle ce que je faisais pour la gloire de Dieu. De temps en temps, vous me jetiez à la tête votre fidélité. Mais je regardais à vos actes, et ils étaient toujours misérables.
PEDRO – Mon père, si j’ai mal agi envers vous, je vous demande de me le pardonner.
Sujet : À l’occasion d’une réédition de sa pièce, Montherlant rédige une postface, dans laquelle il répond aux critiques, justifie ses choix et adresse ses recommandations de mise en scène. Vous composerez cette postface.
QUESTIONS :
1. Après avoir analysé la consigne, élaborer un tableau pour distinguer les contraintes de la liberté laissée à l'imagination.
2. Rédiger une introduction, une conclusion, et un plan pour préparer la rédaction : les comparer au corrigé proposé.
3. Observer le corrigé proposé :
- Identifier le rôle des couleurs qui mettent en valeur certains passages par rapport aux éléments de la consigne.
- Repérer, à l'aide de ces couleurs et des passages soulignés, les procédés d'écriture, en distinguant les catégories dans la modalisation.