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Au-delà de l'inspiration, des techniques...
L'évolution de la poésie

Au moyen âge, la poésie, qu'il s'agisse des chansons de geste ou d'amour, est pratiquée par les troubadours, en langue d'oc, et les trouvères en langue d'oïl : elle reste encore accompagnée de musique.
Avec la Renaissance, la poésie s'affirme comme un genre littéraire à part entière. Avec les rhétoriqueurs, ses formes se diversifient, ode, rondeau, ballade... Puis, les auteurs de la Pléiade consacrent la supériorité du poète, être immortel.

Ainsi la poésie oscille entre deux tendances. Tantôt, considérée comme un art du langage, elle élabore la versification, s'autorise les jeux sur les mots et invente des formes, comme le font les poètes précieux, au XVII° siècle,  Apollinaire avec ses calligrammes ou les surréalistes au XX° siècle... Tantôt, avec les Romantiques par exemple, le poète, être inspiré, guide pour l'humanité, même s'il se sent rejeté, "maudit"... ne renonce pas pour autant à s'engager...

Troubadours au moyen âge

Troubadours au moyen âge

Marot, un rhétoriqueur

Marot, un rhétoriqueur

La Pléiade au XVI° siècle

La Pléiade au XVI° siècle

Poésie et Préciosité

Poésie et Préciosité

Le poète et sa muse

Le poète et sa muse

Le poète maudit

Le poète maudit

Un calligramme d'Apollinaire

Un calligramme d'Apollinaire

La poésie au  XX° siècle

La poésie au XX° siècle

Négritude et engagement

Négritude et engagement

Pour analyser un poème
Observons ce poème, intitulé " Les conquérants", tiré du recueil de José-Maria de Hérédia, Les  Trophées, 1893.
Que remarquons-nous ?

A. Lalauze, José-Maria de Hérédia,

dessin, 1897

Les caravelles des conquistadors.

Les caravelles des conquistadors

Lalauze, "José-Maria de Hérédia", 1897.

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;

Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.

L'énonciation

Le poète est libre de son énonciation, variable au fil du texte.

  • Il peut choisir le discours personnel, avec les pronoms "je", "nous", voire "on", et, éventuellement, s'adresser à un destinataire, le lecteur, un ami, la femme aimée... 

  • Il peut prêter un discours à autrui : soit le poème entier est pris en charge par un personnage, soit il comporte un/des passage/s de discours rapporté. Le texte peut alors ressembler à une petite scène de théâtre, telles les fables de La Fontaine.

  • Il peut préférer s'effacer de son poème. Dans ce cas, le texte forme un discours théorique, didactique, ou bien, comme Hérédia, le poète fait un récit : il décrit, il raconte. La poésie est alors dite impersonnelle, même si le thème abordé est souvent révélateur de la personnalité de l'auteur.

 

         Selon le choix effectué, il convient de s'intéresser à la fonction du langage qui se trouve privilégiée, émotive, conative, référentielle...
On retrouve aussi, s'il s'agit d'un récit, la présence des schémas narratif et actanciel. Dans "Les conquérants", par exemple, le voyage évoqué montre la quête des conquérants, leurs rêves au départ, et la réalisation du voyage qui les fascine.

Enfin, si le poète s'engage dans une argumentation ou une polémique, on observe ses arguments, et les ressources mises en oeuvre pour persuader le lecteur, voire un éventuel adversaire.

Le cadre spatio-temporel

Le "koilon" : gradins pour répartir le public

L'orchestra, où se déplace le choeur :.en son son centre, l'autel de Dionysos

Le proskénion, où jouent les acteurs

La skénè, bâtiment qui sert de décor, et renferme les loges

 

 

Les lieux

Dans cet extrait, qui décrit le voyage, les lieux correspondent à la réalité géographique des grandes découvertes. Nous notons d'abord des toponymes (noms propres de lieux), le port espagnol de départ, "Palos", ici associé au village de "Moguer", "Cipango", nom alors donné au Japon. Enfin, Hérédia mentionne "la mer des Tropiques" et nous rappelle à quel point ces voyages étaient effrayants en ces temps anciens : les marins franchissaient "les bords mystérieux du monde Occidental" et découvraient "un ciel ignoré" avec ses "étoiles nouvelles".  On imagine aisément ces hommes guettant la terre sur leurs "blanches caravelles".

Le temps

Sans donner de date précise, les allusions géographiques et le titre nous renvoient à l'époque des découvertes de Christophe Colomb ou Magellan.

Le récit s'inscrit dans une chronologie :

  • Avant leur départ : Hérédia rappelle le "rêve" des conquérants qui veulent échapper à leur "misère" en Espagne.

  • Le moment du départ est mis en valeur par le verbe "partaient", placé en tête du vers, en rejet.

  • Puis l'indice temporel "chaque soir" ouvre une scène, présentée comme fréquente, qui suggère la longueur du voyage, évoque les lieux et les sentiments des personnages.

            Comme dans un roman, il convient d'analyser les passages de description, et l'effet recherché.

Les portraits

Qu'il s'agisse d'un discours direct de l'auteur, ou d'un récit, le poème met en place un/des portrait/s. On reprend donc, comme pour un roman, les éléments qui composent un personnage.

Mais le portrait, à cause de la brièveté fréquente du texte, ne peut être détaillé, il se limite souvent à quelques traits caractéristiques, comme, chez Hérédia, une opposition :

  • Le début du texte présente le statut social des personnages, "routiers et capitaines", "fatigués de porter leurs misères hautaines". Cela suggère l'image de ces nobles Espagnols, ruinés, mais fiers de leur titre. Ce sont des aventuriers, avides de richesse et peu scrupuleux, car leur "rêve" est "héroïque et brutal".

  • Mais le voyage les transforme, sous l'effet de ce paysage, nouveau et féerique, qu'ils découvrent. Ils semblent oublier leur rêve de fortune et de gloire pour contempler, fascinés, "l'azur phosphorescent" et le reflet des "étoiles nouvelles".

 

On s'interroge aussi sur l'image du poète, même si, tel Hérédia, il n'apparaît pas dans son poème, comme le veut le mouvement du Parnasse auquel il appartient. Sa biographie révèle son origine cubaine, et qu'un de ses ancêtres a été le compagnon de Cortès. Il est nécessaire aussi de rapprocher le texte de l'époque de son écriture, un XIX° siècle bourgeois, où règne le désenchantement : plus rien n'est laissé à découvrir, toute découverte ne peut qu'être liée à un profit économique. L'histoire des "conquérants", leur rêve, l'enchantement de leur voyage, seraient ainsi, pour Hérédia, un "contrepoint" par rapport à la vie sans éclat qu'il mène.
Un poème lyrique rend encore plus importante la connaissance de la biographie de l'auteur, et du contexte dans lequel il s'inscrit.

L'analyse s'appuie sur les ressources stylistiques dont dispose le poète, notamment lorsque, comme ici, il choisit une forme de versification régulière, le sonnet. Il est indispensable de relier chaque indice repéré au contenu ainsi mis en valeur.

En se reportant aux composantes propres à la poésie, on observe dans "Les conquérants" :

  • la métrique : l'alexandrin, par son ampleur, convient bien au thème épique choisi. La diérèse sur "mys/té/ri/eux" amplifie cet adjectif.

  • la rime : aux deux rimes embrassées identiques succèdent une rime suivie entre "épiques" et "Tropiques", puis deux rimes croisées. L'ensemble correspond à la structure traditionnelle du sonnet, avec ses quatre strophes, deux quatrains (4 vers) et deux tercets (3 vers). Une étude plus précise des rimes montre leur richesse : elles ont toutes 3 sons semblables. Hérédia a recherché une esthétique raffinée.

  • le rythme : les alexandrins sont, pour la plupart, de rythme binaire, coupés en leur centre par la césure. On note cependant le rejet du verbe "partaient", pour reproduire cet élan, et les enjambements qui regroupent les vers deux par deux, comme pour traduire le glissement interminable des navires.

  • les sonorités : le contraste est marqué entre les consonnes dures, telles les [t], [k], [g] qui  ponctuent l'image des conquérants, et celles, plus douces, qui accompagnent la description du paysage, la liquide [l] dans le dernier tercet, ou l'allitération sifflante pour imiter le souffle des "vents alizés".

            

             Ce poème respecte toutes les règles propres au sonnet. Quand ce n'est pas le cas, ce sont les écarts par rapport à la norme qu'on mesure et dont on interprète le choix.

La forme du poème
Des formes poétiques variées
formes

Quelques formes fixes

Les auteurs du moyen âge, à partir de formes musicales, ont élaboré des poèmes aux règles de versification précises.
Puis la Renaissance, imitant le "sonnetto", forme employée par l'italien Pétrarque pour célébrer sa bien-aimée Laure dans le Canzoniere (1374), implante dans la littérature française le sonnet, forme poétique qui a traversé les siècles. 

L'acrostiche

En lisant verticalement la première lettre de chacun des vers de ce court poème, on découvre le nom de l'auteur, de son destinataire, ou le mot clé du thème choisi.

La ballade

Un refrain finit chacune des 3 strophes, dites "carrées" si la longueur des vers équivaut à leur nombre (8 ou 10) ; un "envoi" (une demi-strophe) clôt ce poème, souvent lyrique.

Le lai et le virelai

Le lai compte 12 stophes d'octosyllabes, sur deux rimes, que chaque demi-stophe reprend. Des quatrains forment le virelai, avec reprise des 2 premiers vers à chaque strophe.

L'ode

L'ode comporte des strophes de même longueur, librement choisies. Dite "héroïque" quand le poète fait un éloge, elle peut aussi devenir lyrique pour exprimer ses sentiments.

Le rondeau

Sur 13 vers, décasyllabes ou alexandrins, le rondeau n'a que 2 rimes, dont 3 se suivent, au centre ou à la fin. Les premiers mots du poème sont repris pour former un refrain.

Le sonnet

Avec 2 quatrains, aux mêmes rimes embrassées, et 2 tercets, s'ouvrant sur une rime suivie, le sonnet "français" finit par 2 rimes croisées, l'"italien" par 2 embrassées.

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Quelques formes thématiques

Certaines formes poétiques tirent leur nom du sujet choisi, des intentions de leur auteur.

Le blason

Poème en vers courts, avec des rimes suivies, qui décompose les caractéristiques de ce dont le poète veut faire l'éloge, ou le blâme.

L'églogue

Lié à la mode de la pastorale, ce dialogue rimé entre bergers chante le plus souvent, dans un langage simple et naïf, les joies de la vie paysanne, de la nature et de l'amour.

L'élégie

Héritée de l'antiquité, l'élégie exprime la douleur du poète. Caractéristique du registre lyrique - on parle alors de registre élégiaque - elle pleure la mort, l'exil, l'amour perdu...

L'épigramme

La brièveté de l'épigramme, parfois réduit à 4 vers, oblige le poète à condenser son attaque. Elle se termine souvent par une "chute", effet de surprise qui doit parachever la satire.

L'épopée

Elle forme un long récit, généralement en alexandrins, avec des rimes suivies. Née dans l'antiquité avec Homère, elle est destinée à chanter les exploits guerriers des nobles héros.

L'impromptu et le bout-rimé

Ces formes, très à la mode chez les Précieux au XVII° siècle, se ressemblent : ce sont de brèves improvisations sur un sujet donné, accompagnées de contraintes formelles variables.

Le madrigal

Lui aussi est très pratiqué par les Précieux. Il est destiné, en quelques vers, à adresser un compliment original à une dame. En quelques vers, le poète galant doit surprendre et séduire.

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Quand la poésie se libère...

Le premier signe de la liberté que s'accordent les poètes est l'hétérométrie : les vers restent réguliers, mais leur longueur varie dans le poème, comme dans les fables de La Fontaine, par exemple, qui joue sur les effets de rythme ainsi produits.

Le vers dit "libre" va beaucoup plus loin dans l'audace. Il est encore marqué par la typographie (même si, parfois, la majuscule disparaît, comme aussi la ponctuation), mais il ne suit plus aucune règle métrique, n'obéit plus à aucune "norme" de longueur. C'est une rupture fondamentale au XX° siècle. Certains poèmes peuvent aussi  être disposés librement sur la page, jusqu'à former un dessin, comme dans les  Calligrammes (1918) d'Apollinaire.

 

Mais c'est le XIX° siècle qui inaugure le plus grande transgression, en créant le "poème en prose", formule a priori contradictoire puisque les deux termes s'opposent traditionnellement. On attribue à Aloysius Bertrand dans Gaspard de la nuit (1842) cette initiative, qui se développe ensuite, notamment avec Baudelaire et Rimbaud, puis avec les surréalistes au XX° siècle.
Si sa longueur est variable, le poème en prose, le plus souvent court, reprend plusieurs caractéristiques propres à la poésie traditionnelle. Comme pour retrouver le rôle des strophes, il est formé de petits paragraphes, dont chacun a son unité. S'il n'a plus, forcément, de rimes au sens propre, on y observe parfois des rimes intérieures, souvent des échos sonores, voire des sortes de refrain. Le poète joue aussi sur les sonorités, assonances et allitérations, et sur le rythme des phrases, en relation avec le thème abordé. Enfin, comme il est habituel dans la poésie, il utilise toutes les ressources que lui offrent les figures de style, en particulier celles par analogie. 

La liberté propre à la prose s'unit donc à la recherche esthétique propre à la poésie, pour jeter un regard neuf sur le monde et les êtres : le poème en prose permet tout particulièrement d'expression lyrique du rêve - ou du cauchemar - et la plongée dans un univers irréel, merveilleux ou fantastique.

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