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Pour convaincre et persuader....
Les fonctions de l'essai
 

L'essai répond à la volonté de convaincre le destinataire, en faisant appel à sa raison par la logique d'une l'argumentation, soutenue par des exemples. Mais l'auteur doit aussi toucher les sentiments du destinataire, le persuader par sa propre force de conviction, et en suscitant son émotion.  Ainsi l'essai combine souvent le registre didactique, avec sa rigueur explicative, à d'autres, polémique, comique, pathétique... De plus, si l'essai représente un discours de l'émetteur, dans la présentation de l'exemple il peut aussi comporter de courts passages de récit, une anecdote par exemple, donc introduire un cadre spatio-temporel, des personnages, des discours rapportés... (cf. "roman").

 

Analyse d'un extrait : Pascal, "Le divertissement", Les Pensées, 1669

La force argumentative de l'essai, et sa capacité à aborder des thèmes très variés, expliquent qu'il se soit développé particulièrement

  • au XVII° siècle, où les auteurs classiques assignent à la littérature une fonction morale : les pièces de théâtre, par exemple, sont précédées de préfaces dans lesquelles l'écrivain justifie ses choix et réfléchit sur sa propre écriture, les "traités", les genres moraux, se multiplient, dans les domaines religieux, artistique, éducatif...

  • au XVIII° siècle, où les écrivains des Lumières le mettent au service de leurs critiques contre les pouvoirs en place : sa fonction polémique s'intensifie, notamment dans les "pamphlets" ou les "discours" qui permettent la confrontation de thèses opposées.

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Pour analyser un essai
Observons ces deux extraits des Caractères (1688) de La Bruyère, Ch. IX, "Des Grands", 25, et du discours prononcé à l'Assemblée nationale législative par Victor Hugo, le 9 juillet 1849. Que remarquons-nous ?

Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.

Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli.

Hugo

Il y a des misères sur la terre qui saisissent le cÅ“ur. Il manque à quelques-uns jusqu'aux aliments ; ils redoutent l'hiver ; ils appréhendent de vivre. L'on mange ailleurs des fruits précoces ; l'on force la terre et les saisons pour fournir à sa délicatesse : de simples bourgeois, seulement à cause qu'ils étaient riches, ont eu l'audace d'avaler en un seul morceau la nourriture de cent familles. Tienne qui voudra contre de si grandes extrémités ; je ne veux être, si je le puis, ni malheureux, ni heureux ; je me jette et me réfugie dans la médiocrité.                                                                                                                                                                                                                                                                             La Bruyère

Gravure coloriée de Lagniet-Guérard, Bnf, Paris
Gorardet, "La charité dans un grenier", 1844.

Lagniet-Guérard,

Le noble et le paysan, gravure coloriée, XVII° siècle , BNF, Paris.

Karl Girardet, La charité dans un grenier, 1844. Gravure .

Musée des Arts décoratifs, Paris.

L'émetteur et le récepteur

Selon les textes, l'émetteur est présent, affirme nettement son opinion, ou, au contraire, il s'efface en parlant de façon plus générale. La Bruyère, par exemple, ne se manifeste qu'à la fin du passage : "je ne veux être..." Hugo, au contraire, parce qu'il s'agit d'un discours devant l'Assemblée nationale, s'implique avec insistance :  "je ne suis pas", "je suis", "je ne dis pas" , "je dis".

 

Il en va de même pour le récepteur, présent ou absent. Ainsi Hugo interpelle à deux reprises ses auditeurs par "messieurs", tandis que La Bruyère ne s'adresse pas directement à ses lecteurs.

Très habilement, les auteurs peuvent aussi choisir le pronom "nous", avec des formules comme "nous pouvons reconnaître", "nous constatons", "nous devons admettre", ce qui leur permet à la fois de s'impliquer et de mettre le lecteur dans leur camp.

 

Enfin, le pronom "on" est particulièrement intéressant dans une argumentation, car il peut tantôt inclure l'auteur, tantôt désigner son adversaire, tantôt représenter un groupe dans lequel s'inscrit le lecteur.

Le thème et la thèse

Le thème est le sujet traité par l'auteur, sur lequel il développe son opinion, sa thèse. Par exemple, ces deux extraits ont pour thème "la misère", terme employé au singulier par Hugo, au pluriel par La Bruyère : "Il y a des misères sur la terre". Tous deux dénoncent cette misère excessive. Une thèse peut approuver, réclamer, prôner, faire un éloge... ou, au contraire, attaquer, critiquer, rejeter, réfuter...

Mais l'auteur peut exprimer sa thèse de manière explicite : "je suis de ceux qui pensent et affirment qu'on peut détruire la misère." La Bruyère, lui, pose son opinion de manière implicite : il ne dit pas directement qu'il est honteux de laisser des hommes dans la misère, mais nous le comprenons quand il évoque "l'audace" des riches, capables "d'avaler en un seul morceau la nourriture de cent familles."

Souvent, en exprimant sa thèse, l'auteur répond à une thèse adverse. Ainsi La Bruyère suggère que certains acceptent volontiers de tels écarts sociaux : "Tienne qui voudra contre de si grandes extrémités." De même, Hugo répond par avance à ceux qui, au lieu de vouloir "détruire" la misère, se contenteraient de la "diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire".

L'art de convaincre

L'auteur, pour convaincre, fait appel à la logique. Il utilise donc des connecteurs logiques, par exemple pour introduire une cause ou une opposition : "car" ou "mais" chez Hugo, "à cause que "chez La Bruyère. Quand il développe son argumentation, il suit une démarche qu'il convient d'observer.
Mais, parfois, ces liens logiques restent implicites : on parle alors de parataxe. Les idées sont juxtaposées, et il appartient au lecteur de déterminer leur enchaînement logique. Ainsi La Bruyère, après une brève phrase d'introduction, commence une explication fondée sur une opposition entre "Il manque à quelques-uns" et "L'on mange ailleurs", cette seconde affirmation étant accompagnée d'un exemple saisissant. L'extrait se termine par une conclusion personnelle.

Dans les deux cas, le temps principal est le présent, qui correspond au moment de l'énonciation.

Un exemple à découvrir, extrait du Discours sur la servitude volontaire de La Boétie : cliquer sur l'image

La Boétie, "Discours de la servitude volontaire" : analyse.
L'art de persuader

L'auteur cherche aussi à émouvoir son lecteur. En raison du thème abordé, La Bruyère accentue le pathétique : il accumule les images et choisit un lexique hyperbolique. Il met ainsi en évidence le contraste entre l'extrême pauvreté, et la "délicatesse" des riches, souligné par  l'opposition entre "un seul morceau" et "cent familles". Son choix personnel est affirmé par le rythme binaire : "ni malheureux, ni heureux", " je me jette et me réfugie".
Hugo, lui, veut pousser ses destinataires à l'action. Il recourt donc à de nombreux procédés de modalisation : un lexique insistant, des modalités expressives, avec l'impératif ou l'exclamation, une comparaison de la "misère" à la "lèpre". Le rythme traduit sa force de conviction, par exemple la reprise lexicale, "ceux qui pensent et qui affirment", l'énumération verbale au début du second paragraphe ou le parallélisme final avec les négations.

Un exemple à découvrir, Femmes, soyez soumises à vos maris, de Voltaire : cliquer sur l'image

Des variantes autour de l'essai...
Variante

L'observation des illustrations permet de constater la multiplicité des formes littéraires proches de "l'essai" dans la mesure où elles présentent cette même volonté première de soutenir une thèse par une argumentation, en cherchant à la fois à convaincre et à persuader :  traité, entretien, discours..., toutes en sont des variantes. Nous tenterons de les distinguer, à la fois par leur forme et par le ton qu'adopte leur auteur. 

Le traité

Il veut exposer, de façon plus complète que l'essai, les thèses en présence, avec des explications détaillées. L'auteur y dégage  clairement son opinion personnelle.

L'entretien

Il prend la forme d'un dialogue entre deux personnages, dont l'un représente l'opinion de l'auteur, ce qui permet de rendre plus vivante la confrontation des thèses.

Il garde de son origine orale une implication du/des destinataire/s plus grande que dans l'essai.

Plaidoyer pour défendre une cause, ou réquisitoire pour dénoncer, éloge ou blâme, il utilise tous les procédés de l'éloquence.

Dans la littérature, c'est la déclaration solennelle dans laquelle un groupe d'écrivains expose ses conceptions, son programme, ses choix, souvent en critiquant ses prédécesseurs.

Plus courte, car destinée à la presse ou à l'affichage, cette lettre fictive lance une protestation en visant un destinataire précis. Elle s'inscrit dans le registre polémique.

La préface précède l'oeuvre, pour justifier les choix de l'auteur, expliquer l'oeuvre et ses objectifs.

La postface suit l'oeuvre, qu'elle commente et conclut. Souvent ajoutée après une 1ère édition, elle répond aussi aux critiques, et ouvre des perspectives plus vastes.

Le pamphlet - le libelle

Le pamphlet est un texte court, souvent violent, parce qu'il dénonce, attaque une institution ou un individu, ou satirique, quand il s'en moque cruellement.
Le libelle, tout aussi bref, a la même fonction polémique, mais son auteur n'hésite pas à calomnier, voire à diffamer son adversaire.

 Ces trois formes dérivent de l'apophtegme,  formule morale frappante, brève et originale.

 

Si la pensée peut introduire une explication, la sentence, elle, se limite à une courte phrase. La maxime vise à critiquer un comportement, ou, inversement, à prôner une valeur morale..

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