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L'analyse des textes narratifs : roman, conte, nouvelle.
Les composantes du roman
 

La Princesse de Clèves, roman de Madame de La Fayette qui paraît en 1678, sans nom d'auteur, donne à ce genre ses lettres de noblesse. À travers l'intrigue amoureuse, elle y approfondit, en effet, l'analyse psychologique des personnages, et décrit, de façon précise, le contexte social de l'époque choisie, la vie à la Cour d'Henri II, vers 1558-1559. Le roman dépeint la noblesse, et se déroule dans les lieux qu'elle fréquente : la salle de bal du palais du Louvre, les jardins des Tuileries, les galeries du Palais royal avec leurs boutiques de luxe...Les personnages illustrent les valeurs alors prônées : sens de l'honneur, respect des bienséances avec leur code de politesse, dignité et  vertu, courage.  Son roman est aussi marqué par le courant janséniste qui, suivant une morale rigoureuse, interdit de céder aux passions coupables.

Voir un extrait : "La scène de rencontre"

Ainsi, le roman s'éloigne peu à peu du registre merveilleux, encore très présent au moyen âge, des codes stéréotypés de l'amour courtois médiéval, ou de la Préciosité au XVII° siècle, pour privilégier une forme de réalisme. L'oeuvre modifie également la conception de l'intrigue, qui ne multiplie plus les péripéties, comme dans les roman de chevalerie ou Le Roman comique (1651-1660)  de Scarron, avec ses récits imbriqués. Tout se passe davantage dans l'âme des personnages.

N'en concluons pas que le roman qui accorde la première place à l'intrigue disparaît. Le lecteur aime partager des aventures avec les personnages : du roman picaresque, au XVIII° siècle, au roman historique, qui se développe au XIX° siècle, jusqu'au roman policier, au XX° siècle, chaque siècle innove pour satisfaire son goût. 

Pour analyser un roman
Observons cet extrait, incipit de La Voie royale (1930), roman d'André Malraux. Que remarquons-nous ?

Brouillard rayé. La pluie enveloppait le bateau. Le long triangle du phare de Colombo ramait dans la nuit, au-dessus d'une ligne de points : les docks. Les passagers réunis sur le pont regardaient au-delà du bastingage ruisselant le tremblotement de toutes ces lumières ; à côté de Claude, un gros homme aidait l'Arménien - courtier en pierres qui venait acheter à Ceylan les saphirs qu'il vendait à Chang-Haï, - à disposer ses valises. Perken, à quelque distance, causait avec le capitaine ; ainsi, de trois quarts, le caractère de son visage devenait moins masculin, lorsqu'il souriait surtout.

- Vous regardez sa bobine, au Chang, dit le gros homme. Comme ça, il a l'air d'un brave type...

- Comment l'appelez-vous ?

- C'est les Siamois qui l'appellent comme ça. L'éléphant, que ça veut dire, pas l'éléphant domestique, l'autre. Physiquement, ça lui va plutôt mal, mais moralement, ça lui va bien.

André Malraux, photographie

de Gisèle Freund, 1930

L'intrigue

Le roman raconte une histoire : c'est son intrigue. Pour cela, l'auteur choisit une organisation, qui lui permet d'en dérouler le contenu.

L'incipit, ouverture du roman, fournit des informations, mais doit aussi séduire le lecteur, en retenant son attention. C'est le cas ici : nous assistons à l'arrivée d'un bateau en Asie, et découvrons plusieurs personnages.


Ensuite l'intrigue peut suivre un ordre chronologique, ou bien introduire des analepses ("flash-back" au cinéma) ou des prolepses, c'est-à-dire des anticipations sur ce qui ne sera explicité que par la suite. Le récit peut comporter des ellipses : l'auteur omet des circonstances, laisse un vide dans la vie du personnage. Enfin, il fait aussi des pauses, pour décrire un lieu, des personnages, ou bien pour leur laisser la parole. 

 

Après cet incipit, le roman suit un schéma narratif (cf. Schéma en bas de la colonne) :

  • Une présentation, plus ou moins détaillée, de la situation initiale,

  • Traditionnellement, un élément perturbateur déclenche ensuite l'action ;

  • Celui-ci entraîne des péripéties, le plus souvent des obstacles que le héros doit surmonter. 

  • Un élément de résolution permet d'achever le parcours entrepris.

  • Nous en arrivons ainsi à la situation finale, avec l'excipit ou "explicit") qui ferme le roman. 

Le cadre spatio-temporel

Le "koilon" : gradins pour répartir le public

L'orchestra, où se déplace le choeur :.en son son centre, l'autel de Dionysos

Le proskénion, où jouent les acteurs

La skénè, bâtiment qui sert de décor, et renferme les loges

 

 

Les lieux

Dans cet extrait, les lieux sont précisés. Nous notons d'abord des toponymes (noms propres de lieux) tous situés en Asie : "Ceylan", "Colombo", "Chang-Haï". Mais d'autres termes permettent de mieux imaginer le cadre : un "bateau", proche d'un port puisque sont mentionnés un "phare" et "les docks". Du paysage, nous passons ensuite au lieu de la scène, avec "le bastingage" et "le pont" où se trouvent les passagers.

Le temps

Sur ce point, le passage est plus flou, car le texte ne donne aucune date. Peut-être une époque contemporaine du moment de l'écriture, les années 1920-30. Mais "le brouillard", "la pluie", évoqués dans la première phrase, avec leur tonalité sombre, suggèrent l'atmosphère particulière à la saison des pluies en Asie.

 

       Tout roman comporte des passages de description, qui caractérisent une situation, un lieu, une ambiance, voire un objet...

Pour analyser une description, on s'intéresse 

  • à sa structure, c'est-à-dire à l'ordre des éléments : du plus éloigné au plus rapproché (comme dans cet extrait), du vertical à l'horizontal, du plus général au plus précis - ou l'inverse ;

  • aux formes adoptées, géométriques, ou plus courbes, plus douces ;

  • aux couleurs dominantes, donc à l'effet qu'elles produisent ;

  • aux éléments mis en valeur, qui prennent souvent une valeur symbolique.

L'énonciation

De nombreux personnages sont introduits dans cet extrait,  par leur nom, tel "Perken", leur prénom ("Claude"), leur origine, comme pour "l'Arménien", leur profession, pour "le capitaine", ou même par un simple détail : "le gros homme". À la fin, l'attention se fixe sur Perken, dont nous apprenons le surnom, "Chang", et son sens symbolique. Nous le découvrons grâce à un regard extérieur, qui nous propose déjà un jugement critique sur lui. Cela nous permet de supposer que ce personnage joue un rôle important dans le roman, peut-être en est-il le héros ?

 

           Pour un personnage, on parle plutôt de portrait que de description, portrait statique, s'il reste immobile, ou en action, s'il bouge, agit, parle...

Pour analyser un portrait, on distingue 

  • ce qui relève du corps, traits physiques (comme ici à propos du "visage"), gestes, sensations éprouvées ;

  • la caractérisation sociale : son origine géographique, familiale, son statut social, sa profession, mentionnés explicitement ou révélés indirectement par son habitation, ses vêtements, ses gestes, son langage...

  • les aspects intellectuels : ses études, ses lectures, ses goûts esthétiques, ses conceptions philosophiques...

  • les aspects psychologiques : ses pensées, ses opinions, ses sentiments ;

  • les traits moraux : les qualités et les défauts qui définissent son caractère.

 

Enfin, les personnages jouent des rôles dans l'intrigue (cf. Schéma ci-contre). Outre le sujet, qui mène l'action par rapport à un objet, par exemple un jeune homme amoureux qui veut conquérir sa bien-aimée, certains personnages représentent des adjuvants, qui aident le sujet, ou des opposants. Il peut aussi arriver qu'un personnage soit le destinateur, qui pousse le sujet à agir, et que cette action ait un autre destinataire que le sujet lui-même : un mariage peut être recherché pour donner un père à un enfant, par exemple. Ces rôles ne sont pas invariables : il est possible, par exemple, qu'un opposant devienne adjuvant.

En créant son roman, l'auteur s'adresse à un lecteur. Il lui arrive parfois de prendre la parole de façon directe. C'est le cas dans le roman autobiographique, ou lorsqu'il raconte, en employant le pronom "je", un événement dont il a lui-même été le témoin.

Mais, dans la plupart des récits, notamment à la 3ème personne, l'auteur s'efface souvent derrière un narrateur qui prend en charge le récit. Parfois, il se démasque, parlant, par exemple, de "notre héros" dans une sorte de connivence avec le lecteur, voire d'ironie envers son personnage.

Dans l'extrait de Malraux, le fait de nommer familièrement un des personnages, Claude, et que ce soit à lui que le "gros homme" donne des informations sur Perken nous conduit à penser que c'est par son regard que la situation nous est présentée : on parle alors de narrateur interne. Dans tout passage de roman, il est important de définir le point de vue adopté par le narrateur.

 

De plus, dans l'extrait s'inscrit un discours rapporté de façon directe. Ici, il s'agit d' un dialogue, que signalent les tirets, mais le récit peut aussi intégrer un monologue, discours intérieur du personnage avec lui-même.

Les personnages
Schéma actanciel
Schéma narratif
Schémas
PersoEnonciation
Narration
Deux genres liés au roman : le conte , la nouvelle
ConteNouvelle
Gustave Doré, "Le petot chaperon rouge", gravure.

Gustave Doré, Illustration des Contes de Perrault, 1867.

Gravure sur métlal, 24 x 19. Bnf, Paris.

Le conte renvoie aux origines  orales de la littérature populaire, légendes, mythes... Récit bref, il s'inscrit initialement dans le registre merveilleux, avec des personnages irréels, des objets et des actions magiques.

Mais, même s'il fait appel à l'imaginaire, le conte a surtout une visée morale, ce qui le relie à un autre genre , l'apologue

Charles Perrault, en mettant par écrit ces récits populaires dans ses Contes  de ma mère l'Oye (1697), en fait un genre littéraire reconnu.

Les auteurs des Lumières, au XVIII° siècle, tels Voltaire ou Diderot, l'utilisent, eux, comme un moyen de transmettre leurs critiques et leurs conceptions philosophiques, car il permet de divertir le lecteur, par le récit plaisant, tout en masquant les attaques contre la Monarchie, la religion, sous la fiction, grâce notamment à l'emploi de l'ironie.

Au XIX° siècle, les registres se diversifient, par exemple les Romantiques privilégient le fantastique.

 

L'analyse du conte, même si elle s'appuie sur les mêmes éléments que le roman, est beaucoup plus simple. Sa structure est très stéréotypée, organisée autour d'une quête : un manque initial amène le héros à vivre des péripéties, qui, en principe, connaissent une fin heureuse. Cela explique la présence d'invariants : une formule d'ouverture, telle "Il était une fois...", un déclencheur, marqué chronologiquement, par exemple avec "Un jour...", et une formule finale comme "Ils se marièrent et ils eurent beaucoup d'enfants."  La psychologie des personnages,  peu nombreux, reste rudimentaire. D'ailleurs, souvent ils n'ont pas d'identité précise, sont désignés seulement par leur surnom, "Le petit chaperon rouge" , "Le chat botté", ou par leur statut social : le prince, le valet, l'orphelin.

L'intrigue du conte n'est, en fait, qu'un prétexte pour soutenir le sens que l'auteur veut lui donner. C'est donc ce sens, moral, philosophique, religieux..., que le lecteur doit décrypter, en élucidant la portée métaphorique des lieux, des personnages, des événements racontés. 

La nouvelle
 
Les Soirées de Médan : les auteurs naturalistes.

 Les six auteurs des Soirées de Médan  (1880), recueil  de nouvelles naturalistes

Sous d'autres noms, comme ceux  de "lai" ou de "fabliau" (en vers ou en prose), la nouvelle existe dès le moyen âge. Mais c'est Marguerite de Navarre qui inaugure vraiment ce genre, dans l'Heptameron (1558, posthume), recueil de sept récits, suivant le modèle du Decameron (1348-1353) de Boccace. Plus courte que le roman - même si elle peut compter une centaine de pages -  la nouvelle veut d'abord refléter le réel. Ce n'est qu'au XIX° siècle, où elle prend son essor, que les Romantiques, par exemple, adoptent le fantastique, voire le lyrisme...

L'analyse de la nouvelle reste fondée sur les mêmes critères que le roman : on observe, notamment, les schémas narratif et actanciel et l'énonciation.
Mais
la brièveté de la nouvelle limite les descriptions : les lieux et les personnages sont introduits par quelques traits significatifs. L'intrigue ne multiplie pas les péripéties : la nouvelle s'organise rapidement autour d'un fait prédominant, qui constitue son centre d'intérêt et lui donne son sens.


En quelques pages, la nouvelle doit séduire son lecteur. L'incipit y joue un rôle essentiel pour en donner le ton : il se fait souvent "in medias res", plongeant immédiatement le lecteur dans une action commencée antérieurement au récit. Elle se termine, le plus souvent, par une "chute", c'est-à-dire un retournement de situation, un coup de théâtre, un fait cocasse ou tragique, qui doit surprendre le lecteur et l'inviter à réfléchir au sens que l'auteur a voulu donner à son récit. 

Quelques exemples à découvrir : cliquer sur l'image

Wilde, Le Rossignol et la rose, 1888

Tournier, "Un bébé sur la paille" in Le Medianoche amoureux, 1989

Mérimée, Tamango,

1829

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