Pour argumenter : convaincre et persuader...
L'argumentation
Un écrivain peut choisir de faire un récit, dans une nouvelle ou un roman par exemple, ou de mettre en scène des personnages dans une pièce de théâtre, d'exprimer ses sentiments, notamment dans une autobiographie ou un poème lyrique, mais il peut aussi vouloir transmettre son opinion. Cette opinion, sa thèse, porte sur un sujet donné : c'est le thème de l'argumentation. Il doit alors présenter ses arguments pour convaincre et persuader ses destinataires. Tous les genres littéraires peuvent permettre d'argumenter, soit directement, quand l'écrivain s'engage lui-même en recourant au pronom "je", soit indirectement, par l'intermédiaire d'un de ses personnages qui devient son porte-parole, ou d'une morale qui termine son récit.
Analyser un texte argumentatif implique d'observer son actualisation spatio-temporelle : le contexte de l'écriture, notamment dans les périodes où règne la censure, ou lorsque l'écrivain est en exil, joue un rôle important. Celui-ci doit, parfois, masquer davantage son opinion, la suggérer, la présenter en utilisant l'ironie par exemple. Il est essentiel aussi de reconnaître les instances énonciatives : qui soutient l'argumentation ? Le locuteur est-il seul, ou s'insère-t-il dans un groupe ? Quel est le destinataire, un lecteur, un adversaire parfois, des groupes exerçant un pouvoir ? Dans quel camp se rangent les personnages, lorsque l'argumentation est indirecte ?
Persuader, c'est emporter définitivement l'adhésion de mon adversaire, pour que son changement d'opinion soit définitif.
Pour cela, il ne suffit pas de toucher sa raison, il me faut faire appel à ses sentiments, provoquer son émotions, le faire rire ou pleurer... C'est le rôle du style choisi pour l'énoncé.
Les composantes de l'argumentation
Observons et analysons...
A quels principes doit obéir l'écologie ?
J.-Y. C. Le premier, c'est qu'il va falloir se décider à partager. Le Nord est trop riche et le Sud trop pauvre. [ Quand un milliards de Mexicains vont déferler sur les Etats-Unis, ou les Africains sur l'Europe, qu'allons-nous faire ? C'est pourtant inévitable ]. Le deuxième principe est de s'attaquer à la surpopulation. [ Depuis ma naissance, la population mondiale a triplé. Dans quarante ans, elle aura doublé. De six milliards d'individus, on passera à douze milliards. ] Il faut arrêter cela.
Le commandant Cousteau en Monsieur Catastrophe ?
J.-Y. C. Non, pas du tout ! Le fait de me battre prouve bien que j'ai de l'espoir. Le but n'est pas de survivre, mais de léguer aux générations futures une terre où il fera bon vivre.
Propos recueillis par F. de Monza, Elle, n° 2385, 23 septembre 1991
Le thème de l'argumentation est "l'écologie", notée en rouge : c'est un sujet cher au commandant Cousteau, auquel s'intéresse ici le magazine Elle.
Sa thèse (en vert) est formulée à la fin du texte : il est important de "léguer aux générations futures une terre où il fera bon vivre". Selon lui, il faut agir dès à présent pour cet avenir, puisque, dans sa première réponse, les verbes sont conjugués au présent.
Il pose deux arguments, deux "principes", en bleu :
-
"se décider à partager" entre pays riches et pays pauvres, pour que les premiers ne "déferle[nt]" pas sur les seconds ;
-
"s'attaquer à la surpopulation", excessive.
Chaque argument est soutenu par un exemple, ici entre crochets : le premier cite des cas connus d'émigration du sud vers le nord, le second avance des chiffres pour prouver l'accroissement démographique.
Le dernier élément qui joue un rôle pour convaincre la raison du destinataire est l'ordre choisi pour construire l'argumentation, ce que l'on nomme la démarche argumentative. Ici la thèse est précisée à la fin de l'extrait, les arguments, accompagnés des exemples, la précèdent. Cousteau commence donc par poser les exigences de l'écologie avant de montrer "le but" qu'elle vise. Il s'adresse à un destinataire lecteur/lectrice du magazine Elle, donc a priori occidental. Il veut lui prouver qu'il est directement concerné, voire menacé par la pauvreté excessive des pays du sud et la croissance démographique galopante, et qu'il doit penser à l'héritage à "léguer aux générations futures".
Pour s'exercer...
1. Les jeunes gens, à cause des passions qui les animent, s'accommodent mieux de la solitude que les vieillards. (La Bruyère, Les Caractères, 1688)
2. Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que c'est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. (A. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1835-40)
3. Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit. (La Rochefoucault, Maximes, 1664)
4. Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente. (A. de Saint-Exupéry, Lettre à un otage, 1943)
Reformuler de façon plus simple la thèse.
Je propose cette réforme à laquelle je ne vois qu'avantage. Il ne s'agit pas de supprimer complètement les dictées, qui peuvent d'abord habituer l'enfant à sonoriser l'écriture, mais de les remplacer par des corrections d'épreuves, en vue de leur apprendre l'orthographe. La tâche du professeur en serait extraordinairement simplifiée, et l'enfant y prendrait un intérêt fort vif. Il ne serait pas malaisé d'établir le texte d'un "placard" comportant un nombre d'erreurs que le professeur connaîtrait. A chaque élève il en serait remis un exemplaire. Il y aurait... mettons douze coquilles à relever. Le classement serait facile, et l'émulation plus précise, le plus méritant des élèves étant celui qui les aurait relevées toutes les douze. Cette méthode aurait au surplus l'avantage d'enseigner aux élèves les procédés de correction des épreuves, ce qui, par la suite, pourrait servir à certains ; mais surtout elle les mettrait en garde contre l'autorité de l'imprimé qui trop souvent en impose.
André Gide, Journal, 4 juillet 1941, publié en 1946.
1. L'excès et la bombance, le gaspillage et la destruction entrent de droit dans l'essence de la fête. (R. Caillois, L'homme et le sacré, 1942)
2. La lecture appelle des circonstances qui sont autant de conditions pour un repli, pour un recueillement, pour une retraite. (P. Drevet, Huit petites études sur le désir de voir, 1991)
3. La pression sociale est en effet catégorique : on ne peut être heureux que si on est parmi les meilleurs. (N. Bensaïd, "Fichez-leur la paix", Le Nouvel Observateur, 11-17 avril 1991)
4. O paresse, mère des arts et des nobles vertus, sois le baume des angoisses humaines." (P. Lafargue, Le Droit à la paresse, 1883)
Formuler la thèse adverse.
Pour étudier l'argumentation :
1. Quel est le thème de ce passage ?
2. Quelle est la thèse de Gide ?
3. Reformuler les arguments qui soutiennent la thèse.
4. Par quel exemple la thèse est-elle explicitée ?
La démarche argumentative
Pour convaincre son interlocuteur, l'orateur ou l'écrivain construit son énoncé selon un ordre, qui doit à la fois être clair et permettre la progression des idées. Dans un premier temps, pour mieux suivre - voire contester - son argumentation, le lecteur étudie donc sa stratégie, les étapes qui structurent l'énoncé, son plan d'ensemble. Pour cela, on s'appuie, notamment, sur les connecteurs logiques, mais aussi sur les signes de ponctuation. Ensuite, on identifie de plus près la/les forme/s de raisonnement.
Pour structurer l'argumentation...
Annoncer
avant tout, pour commencer (et synonymes), voici...
Ajouter
et, or (2ème étape du raisonnement), en outre, de plus, d'ailleurs, aussi, surtout, également...
Introduire une progression
(tout) d'abord, puis, ensuite, enfin, d'une part... d'autre part, d'un côté... de l'autre..., non seulement... mais aussi (encore)
Conclure
ainsi, donc) aussi (+ inversion sujet/verbe), en fait, de ce fait, c'est pourquoi...
Résumer
bref, en résumé, en somme...
Expliquer, préciser
autrement dit, c'est-à-dire, plus précisément, à savoir que...
Donner un exemple
par exemple, ainsi, comme, tel, notamment,c'est le cas de...
Introduire une alternative
ou/ou bien, soit (que)... soit (que), d'un côté... de l'autre...
Observons et analysons...
... et poser les relations logiques
Cause
car, en effet, parce que, puisque, vu (que), étant donné (que), à cause de, en raison de, grâce à, dans la mesure où, sous prétexte que (= cause fausse)...
Conséquence
par conséquent, en conséquence, ainsi, donc, aussi (+ inversion sujet/verbe), alors, c'est pourquoi, d'où, de là, dès lors, de sorte que..., si bien que..., tellement... que, si/tel (+ adjectif)... que...
Opposition
mais, cependant, pourtant, en revanche, au contraire, à l'opposé, néanmoins, toutefois, tandis que..., alors que...
Concession
certes (sans doute, bien entendu, bien sûr), malgré, en dépit de, bien que, quoique (quoi que), quelque (+ adjectif)... que
But
pour que, afin que/de, dans ce but (et synonymes)...
Condition
si, à supposer que, à condition de/que, en admettant que, même si (condition rejetée)
Comparaison
comme, de même (que), pareil/lement, également, ainsi que, tel que...
[ Le tourisme a longtemps été empreint d'une connotation futile, comme en témoigne l'emploi du mot touriste au sens figuré pour désigner l'amateur non éclairé. La seule ambition de cet ouvrage était de montrer qu'il est devenu un phénomène économique doté de caractéristiques propres et qu’il occupe une place importante au sein de l'économie internationale et des économies nationales, notamment celle de la France. Les chiffres énoncés dans les pages qui précèdent ne devraient laisser aucun doute quant à son poids actuel. Il convient donc de s'interroger ici sur son avenir. Si celui-ci nous paraît largement ouvert, c’est à la double condition que le phénomène touristique s'adapte et soit maîtrisé.]
L'avenir est ouvert car le tourisme ne peut être qu'un phénomène durable. On peut certes se demander si le tourisme résistera au «choc du futur», s'il ne connaît pas un apogée qui sera suivi d'un déclin avec la disparition de la civilisation industrielle dans laquelle il s'est épanoui. La réponse dépend de la façon dont on analyse le besoin touristique. Si celui-ci n'était qu'une création purement artificielle de la «société de consommation», l'avenir du tourisme serait menacé et ses jours probablement comptés. Mais si – ce que nous croyons – le tourisme constitue une nécessité fondamentale de l'homme parce qu'il traduit un besoin d'échanges humains, de découvertes et de rupture avec les habitudes, alors il a devant lui des lendemains prometteurs.
Mais le tourisme devra s’adapter. D'abord, parce qu'à l'instar de toute activité économique, il subit la concurrence. Celle-ci devient de plus en plus intense avec l'apparition des «nouveaux pays de vacances» (les NPVC). Or ceux-ci pourraient bien se multiplier puisque nombreux sont les pays non industrialisés qui possèdent la matière première (implantation et soleil), une main-d'œuvre bon marché et que la technologie semble plus facile à transférer dans le tourisme que dans l'industrie.
Ensuite, parce qu'il doit faire face à l'innovation technologique. L'informatique est amenée à jouer très rapidement un rôle essentiel en matière d'information, de promotion, de communication et de commercialisation des produits. D'ores et déjà, les compagnies aériennes et les chaînes hôtelières l'utilisent et des systèmes collectifs sont mis en place en reliant les agents de voyages à quelques grands serveurs. Des réseaux complets gèrent en temps réel l'information, les disponibilités, les réservations, la facturation et le paiement grâce à l'utilisation de cartes à mémoire. Quant aux équipements de transport et d'hébergement, ils utilisent des matériels et des matériaux dont l'évolution est extrêmement rapide.
Enfin, les goûts du public se modifient et de nouvelles formes de tourisme apparaissent dont le développement des courts séjours d'agrément constitue l'exemple le plus significatif.
Tout cela suppose une profonde adaptation de l'appareil productif du tourisme, par exemple des agences de voyages qui devraient progressivement devenir des agences de loisirs.
Cette adaptation a d'ailleurs largement commencé avec l'apparition de produits banalisés et mieux adaptés aux goûts de la clientèle comme le souligne le développement récent et rapide de la parahôtellerie.
Phénomène économique rentable qui nécessite d'être encouragé, le tourisme doit également être maîtrisé. Le tourisme n'est pas sociologiquement et culturellement neutre. Il implique une rencontre entre des peuples ou des sociétés différents qui peut constituer un facteur de socialisation et d'échanges mais également de troubles et de conflits. Il influence les pratiques économiques, les conditions de travail et peut façonner les pratiques sociales d'une civilisation dans ses racines les plus profondes. Le tourisme peut être également source d'acculturation1 en entraînant des nuisances ou le développement de fléaux sociaux (criminalité, drogue, alcoolisme, prostitution). Par ailleurs, le tourisme a des incidences sur l'environnement naturel et urbain. Consommateur d'espace, il peut être source de gaspillage, d'atteintes aux sites, de destruction de la faune et de la flore [...] et son développement peut avoir des effets économiques négatifs comme l'inflation.
Tout cela entraîne des réactions de rejet. Ainsi, certaines organisations politiques basques ont dénoncé la «touristification», c'est-à-dire la part excessive accordée à cette activité économique. Si les méfaits du tourisme sur les populations réceptrices et sur l'environnement ont été souvent surestimés, ils n'en existent pas moins. De même, il est à craindre que dans certains pays ou dans certaines régions, le tourisme devienne une mono-activité économique. Ainsi, le développement du tourisme doit être strictement encadré si l'on veut éviter qu'il soit créateur de nouvelles dépendances.
Pierre Py, Le Tourisme, un phénomène économique, 1996.
Le plan d'ensemble
Une introduction
Quand elle est complète, l'introduction (ici entre crochets verts) comporte trois éléments :
- le thème abordé par l'auteur : ici "le tourisme" (en gras), et l'écrivain rappelle le but de son essai, en montre l'importance économique.
- la problématique, c'est-à-dire la question (ici en jaune) à laquelle le texte va répondre : quel est l'avenir du tourisme ?
- l'annonce du plan (en bleu) du développement, ici trois parties : dans un premier temps, l'auteur affirme que cet avenir est "ouvert", mais il pose "deux conditions".
Un développement
Il reprend, dans l'ordre, les trois parties annoncées, nettement articulées par des connecteurs logiques (en vert) :
- La 1ère partie, une affirmation, occupe un paragraphe court, le deuxième du texte. C'est la thèse initiale de l'auteur.
- La 2ème partie est introduite par le connecteur d'opposition "Mais" : l'auteur pose une limite, une condition, à l'affirmation précédente, et la justifie en quatre paragraphes.
- La 3ème partie est introduite par le connecteur "également" , qui permet d'ajouter une seconde condition, dans les deux derniers paragraphes du texte.
Une conclusion
Ce passage ne présente pas de conclusion d'ensemble, sans doute parce que l'auteur n'a pas terminé son analyse. Le connecteur "Ainsi" (en vert) qui introduit la dernière phrase du texte signale une conclusion partielle, celle de la troisième partie du développement.
Ces observations montrent l'importance à accorder aux connecteurs pour dégager la progression d'une argumentation. L'orateur ou l'écrivain construit son énoncé selon un ordre, qui doit être clair. Dans un premier temps, pour mieux suivre - voire contester - son argumentation, le lecteur étudie donc sa stratégie, les étapes qui structurent l'énoncé, son plan d'ensemble. Ensuite, on identifie de plus près la/les forme/s de raisonnement.
La structure interne
Chaque partie du texte suit elle-même une logique, qui permet à l'auteur de soutenir son argumentation. Cette logique ressort grâce au choix des connecteurs (en rouge).
La thèse initiale
L'argument qui soutient l'affirmation que "l'avenir est ouvert" pour le tourisme est introduit par le connecteur de cause "car" qui pose l'idée qu'il est "un phénomène durable". On observe ensuite :
-
le connecteur "certes", auquel répond, quelques lignes plus loin, une opposition avec "Mais" : Il s'agit d'une concession qui lui permet d'introduire l'objection d'un adversaire, qu'il détruit ensuite.
-
deux "si", qui posent deux hypothèses, la seconde rejetant la première.
Le connecteur "alors" conclut cette partie, en réaffirmant la thèse par la formule "des lendemains prometteurs".
La première condition
Elle est justifiée par trois arguments, en gradation, "d'abord", "ensuite", "enfin", les deux premiers accompagnés du connecteur de cause, "parce que".
-
le premier, l'idée de "concurrence", est justifié avec précision, à l'aide des connecteurs "or" et "puisque" ;
-
le deuxième, "l'innovation technologique", est soutenu par une série d'exemples ;
-
le troisième, "de nouvelles formes de tourisme", est étayé par un exemple ("par exemple") et un connecteur d'insistance, "d'ailleurs".
La seconde condition
Py introduit l'argument implicitement, sans connecteur : le "tourisme n'est pas sociologiquement neutre". Trois exemples sont alors posés, par ajout ("également", "par ailleurs"), qui conduisent à l'idée de "rejet", prouvée par deux exemples, introduits par "Ainsi" et "De même". C'est par une hypothèse ("si") qu'une conclusion partielle répète la restriction", "strictement encadré" reprenant "maîtrisé".
Pour s'exercer...
1. Mais cette définition suppose pour le moins qu'on a commencé par apprendre quelque chose.
2. Et c'est pourquoi les travailleurs, instinctivement, considèrent l'école comme le premier outil de leur promotion, c'est-à-dire de leur libération.
3. En premier lieu, tout le monde convient que la culture est d'abord synonyme de connaissance.
4. Il est bien évident que l'ignorance ne saurait en aucun cas constituer une culture.
5. On a dit, en effet, que la culture était "ce qui reste dans l'esprit quand on a tout oublié".
Remettre les phrases dans l'ordre logique.
1. Ils cherchent aussi à faire des courses une seule fois par semaine, en stockant chez eux ce dont ils ont besoin.
2. Les conditions étaient donc favorables dans les années 1960 à une deuxième révolution commerciale, inspirée de l'expérience américaine, et les supermarchés, hypermarchés et centres commerciaux se sont multipliés à proximité des villes.
3. Les supermarchés ont cependant des inconvénients.
4. De plus en plus les gens habitent la banlieue, loin du centre des villes où la circulation est difficile.
5. On y trouve d'amples "parkings", des "caddies" pour transporter la marchandise, des "directories" pour ne pas s'y perdre, et même un "drugstore" qui ressemble peu au modèle américain.
6. Il n'y a plus de caissières avec qui l'on peut discuter, comme c'est le cas dans les petites boutiques d'autrefois.
7. Si l'on possède un congélateur à la maison, on peut acheter de la viande pour plusieurs semaines, en profitant des prix les plus avantageux.
Les formes de raisonnements
Pour présenter son opinion, l'auteur dispose de deux possibilités fondamentales, l'induction et la déduction, qu'il peut ensuite combiner avec d'autres formes de raisonnements.
Le raisonnement inductif :
L'auteur pose d'abord une série de constats, d'observations particulières ; il en tire une conclusion générale.
Le raisonnement déductif :
Il fonctionne à l'inverse. L'auteur pose d'abord une idée générale, pour en tirer ensuite des propositions particulières.
Le raisonnement par analogie :
L'auteur s'appuie sur une comparaison pour poser l'idée qu'il veut prouver.
Le raisonnement critique :
L'auteur limite son argumentation à la dénonciation de l'opinion adverse. Il appartient alors au lecteur d'en déduire la sienne.
Le raisonnement dialectique :
L'auteur élabore un débat, en posant à la fois les éléments favorables et opposés à son opinion.
Le raisonnement par hypothèse :
Il consiste à imaginer une hypothèse qui, développée, vient soutenir la thèse. Mais, quand l'auteur montre à quel point cette hypothèse conduit à des conséquences irrecevables, on parle alors de "raisonnement par l'absurde".
Le syllogisme :
C'est un raisonnement en trois temps, de type mathématique : on pose comme admise une première proposition (A=B), on lui en ajoute une seconde, souvent à l'aide du connecteur "or" (B=C), on en tire la conclusion d'équivalence : "donc" A=C.
Le raisonnement par concession :
Elle consiste à admettre une partie des arguments de l'adversaire, pour détruire ensuite son opinion grâce à des arguments plus nombreux, plus solides.
Ex : Dans ce texte, on observe la présence du pronom "je", qui représente un narrateur racontant un épisode de sa propre enfance. Les dates et les lieux correspondent à la vie de l'auteur. Il s'agit donc d'une autobiographie.
Ex : Ce texte est une autobiographie. On observe, en effet, le pronom "je", qui représente un narrateur racontant un épisode de sa propre enfance. De plus, les dates et les lieux correspondent à la vie de l'auteur.
Ex : Internet a modifié la lecture. Autrefois, il fallait acheter un livre, ou se rendre dans une bibliothèque pour l'emprunter, ce qui limitait son accès. Lire exigeait un effort. Aujourd'hui, les oeuvres sont accessibles directement sur son écran, partout, pour tous.
Ex : Regardez ces massacres, ces maisons en ruine, des enfants blessés, orphelins. Combien d'années faudra-t-il pour que les dommages causés par cette guerre soient réparés ? Et tout cela pour conquérir un petit bout de terre...
Ex : Le théâtre reproduit la réalité. Certes les décors sont faux, les costumes, les maquillages ne font que créer l'illusion, même les personnages sont parfois caricaturés. Mais cela n'empêche pas la vérité des situations dénoncées, des dialogues qui imitent la vie, et les réactions du public prouvent qu'il entre dans cette réalité.
Ex : On peut critiquer la poésie pour l'aspect artificiel des vers, son vocabulaire parfois complexe et l'abus d'un lyrisme plaintif. Mais le poète est aussi capable de s'engager dans des combats, de mettre en valeur ses critiques, de nous émouvoir profondément.
Ex : Si vous remplissez les rues de caméras, si, sur chaque place, des soldats patrouillent, si l'entrée de chaque magasin exige une fouille, s'il n'est plus possible, sans risque, de se moquer des puissants, sans doute la sécurité est-elle mieux assurée, mais pouvons-nous encore parler de liberté ?
Ex : L'oeuvre picturale a longtemps recherché le Beau idéal. Or, le Beau est subjectif : il dépend des goûts de chacun. L'oeuvre picturale est donc subjective, le jugement porté sur elle dépendra des goûts de chacun.
Mais, quelle que soit la forme du raisonnement, le lecteur doit rester vigilant. Déjà, il lui faut vérifier que l'argument proposé reste précis, car les affirmations générales soutiennent souvent des préjugés. Par exemple, affirmer que "les journalistes recherchent toujours la vérité" manque de nuances. Bien sûr, les arguments ne doivent pas se contredire. La valeur du syllogisme, notamment, dépend de la précision des prémisses, c'est-à-dire des deux premières propositions ; il pourrait même conduire à une absurdité comme dans le cas suivant : "L'homme a quatre membres ; or, le chat a quatre membres ; donc l'homme est un chat."
Deux autres types d'arguments sont aussi très contestables, même s'ils sont souvent employés :
- l'argument "ad hominem" : Il consiste à attaquer, non pas une opinion, ou des idées, mais l'homme qui les défend, sa personnalité, son mode de vie...
- l'argument d'autorité : Il consiste à n'avancer, pour soutenir son opinion, que le fait qu'elle soit partagée par quelqu'un dont la valeur est reconnue, par un homme célèbre, admiré...
Pour s'exercer...
Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même.
Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journée, pour énumérer les multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre existence.
Un choix s'impose donc, ce qui est une première atteinte à la théorie de toute la vérité.
La vie, en outre, est composée des choses les plus différentes, les plus imprévues, les plus contraires, les plus disparates; elle est brutale, sans suite, sans chaîne, pleine de catastrophes inexplicables, illogiques et contradictoires qui doivent être classées au chapitre faits divers.
Voilà pourquoi l'artiste, ayant choisi son thème, ne prendra dans cette vie encombrée de hasards et de futilités que les détails caractéristiques utiles à son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l'à côté.
Un exemple entre mille:
Le nombre des gens qui meurent chaque jour par accident est considérable sur la terre. Mais pouvons-nous faire tomber une tuile sur la tête d'un personnage principal, ou le jeter sous les roues d'une voiture, au milieu d'un récit, sous prétexte qu'il faut faire la part de l'accident?
La vie encore laisse tout au même plan, précipite les faits ou les traîne indéfiniment. L'art, au contraire, consiste à user de précautions et de préparations, à ménager des transitions savantes et dissimulées, à mettre en pleine lumière, par la seule adresse de la composition, les événements essentiels et à donner à tous les autres le degré de relief qui leur convient, suivant leur importance, pour produire la sensation profonde la vérité spéciale qu'on veut montrer.
Faire vrai consiste donc à donner l'illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession.
J'en conclus que les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes.
Quel enfantillage, d'ailleurs, de croire à la réalité puisque nous portons chacun la nôtre dans notre pensée et dans nos organes. Nos yeux, nos oreilles, notre odorat, notre goût différents créent autant de vérités qu'il y a d'hommes sur la terre. Et nos esprits qui reçoivent les instructions de ces organes, diversement impressionnés, comprennent, analysent et jugent comme si chacun de nous appartenait à une autre race.
Chacun de nous se fait donc simplement une illusion du monde, illusion poétique, sentimentale, joyeuse, mélancolique, sale ou lugubre suivant sa nature. Et l'écrivain n'a d'autre mission que de reproduire fidèlement cette illusion avec tous les procédés d'art qu'il a appris et dont il peut disposer.
Maupassant, "Le roman", en Préface de Pierre et Jean, 1888.
1. Le raisonnement d'ensemble est-il inductif ou déductif ? Justifier de façon précise.
2. Repérer les connecteurs logiques, et expliquer le rôle de chacun d'eux.
3. Combien d'arguments soutiennent la thèse de Maupassant ? Les souligner en rouge.
Quant au sport, qui a besoin d’un ministre (pour un tas de raisons d’ailleurs, qui n’ont rien à voir avec le sport), voilà ce qui se passe : quarante mille personnes s’assoient sur les gradins d’un stade et vingt-deux types tapent du pied dans un ballon. Ajoutons suivant les régions un demi-million de gens qui jouent au concours de pronostics ou au totocalcio, et vous avez ce qu’on appelle le sport. C’est un spectacle, un jeu, une combine ; on dit aussi une profession : il y a les professionnels et les amateurs. Professionnels et amateurs ne sont jamais que vingt-deux ou vingt-six au maximum ; les sportifs qui sont assis sur les gradins, avec des saucissons, des canettes de bière, des banderoles, des porte-voix et des nerfs sont quarante, cinquante ou cent mille ; on rêve de stade d’un million de places dans les pays où il manque cent mille lits dans les hôpitaux, et vous pouvez parier à coup sûr que le stade finira par être construit et que les malades continueront à ne pas être soignés comme il faut par manque de place. Le sport est sacré ; or, c’est la plus belle escroquerie des temps modernes.
J. Giono, Les Terrasses de l'île d'Elbe, "Le sport", 1963.
Le rôle de la télévision dans la diffusion et la démocratisation de la culture devient indiscutable lorsqu’elle retransmet – du moins lorsqu’elle le fait bien – des concerts, des opéras, des pièces de théâtre. Grâce à elle, ce ne sont plus seulement quelques centaines de Parisiens, ou de provinciaux de passage, qui peuvent assister aux représentations de la capitale ; ce sont des millions et des millions de spectateurs, même dans les villages les plus reculés. Voilà l’un des contrepoids les plus efficaces à l’inéluctable centralisation dont souffre la culture française. Reste à savoir si, pendant que l’on donne du Molière, du Goldoni ou du Bizet, le téléspectateur ne choisira pas systématiquement de voir le match de football ou quelque spectacle de variété. Mais ce n’est plus de la responsabilité des programmateurs. Il ne faut donc ni surestimer les possibilités de la télévision dans la diffusion de la culture, ni sous-estimer les difficultés d’une telle entreprise.
J. Cluzel, La Télévision, 1996.
1. Quel est le thème du texte ?
2. Après avoir repéré la thèse de l'auteur, définir la démarche argumentative.
3. Reformuler les arguments qui soutiennent cette thèse.
1. Quel est le thème du texte ?
2. Repérer les articulations logiques de ce texte.
3. Expliquer la thèse, nuancée, de l'auteur.
L'exemple et son rôle
Pour que les arguments soient convaincants, il est nécessaire de les prouver par des exemples, de longueur variable. Parfois même, l'exemple, le cas particulier, est tellement exemplaire et représentatif du cas général qu'il peut remplacer la formulation d'un argument. Ainsi, pour évoquer l'importance des gestes dans le registre comique, il peut suffire d'évoquer la démarche de Charlot dans les films.
L'exemple est souvent placé après l'argument qu'il illustre, introduit par un connecteur (Cf. Tableau ci-dessus) ou par un signe de ponctuation comme les deux points, ou les guillemets, s'il s'agit d'un discours rapporté. Mais il est possible de le développer d'abord, avant de dégager l'idée, voire les idées, qu'il permet de poser. Il existe des formes variées d'exemples, plus ou moins probants.
Observons et analysons...
Les enfants, on le sait, manifestent une agressivité spontanée devant un vêtement inhabituel, une coupe de cheveux insolite. Je garde au front une cicatrice définitive en souvenir d'un chapeau ridicule, don funeste d'un oncle sans goût, qui m'a valu, sous prétexte de jeu, d'être jeté à terre avec violence. Le turban et la houppelande de Jean-Jacques Rousseau provoquaient la haine des villageois plus sûrement ques ses idées sur Dieu et la société, contrairement à ce que croyait le naïf et orgueilleux philosophe. Le "Comment peut-on être Persan ?" de Montesquieu n'exprime pas seulement l'étonnement, mais aussi la méfiance et l'inquiétude.
A. Memmi, Portrait d'un juif, 1962.
La première phrase du texte pose l'argument de l'auteur : l'"agressivité" naît de l'écart par rapport à une norme physique. Il s'appuie sur trois exemples. Le premier (en rouge) est celui des enfants, qu'il précise par un témoignage personnel. Les deux autres font appel aux connaissances littéraires du lecteur. Memmi suppose qu'il connaît la vie et l'oeuvre de Rousseau, écrivain célèbre. Le dernier est une citation des Lettres persanes de Montesquieu, la phrase des Parisiens devant le costume traditionnel des Persans.
L'exemple personnel :
En soi, il n'a rien de probant, car un fait particulier ne permet pas de déduire une loi générale. Mais il offre l'avantage d'être raconté souvent de façon vivante, parfois avec humour ou ironie, de s'inscrire dans le réel. Il emporte alors l'adhésion du lecteur.
La comparaison, l'image :
Elle fait appel à l'imagination du lecteur, par exemple la brièveté de la vie, l'aspect éphémère de la beauté féminine comparées à la durée de vie d'une rose, comme le fait Ronsard. Ce type d'exemple concrétise une idée abstraite, que le lecteur visualise immédiatement, et sa qualité poétique permet de la mémoriser.
L'exemple historique :
D'une part, il permet de marquer le lien entre le présent et le passé. D'autre part, il peut, lui aussi, donner lieu à un récit vivant, retenant ainsi l'attention du lecteur. Enfin, il offre l'avantage d'être un fait déjà analysé par les historiens, vérifié à partir de témoignages ou de traces archéologiques.
Mais il faut se rappeler qu'un même fait historique peut recevoir des interprétations différentes, donc qu'une part de subjectivité demeure. Il exige aussi un lecteur cultivé.
L'exemple littéraire, artistique :
La référence à un livre, à ses personnages, comme à un auteur, à sa vie ou à son oeuvre, l'évocation d'un tableau, d'une musique ou d'un film illustrent concrètement l'argument. Mais il implique, lui aussi, un lecteur initié. Il est important aussi qu'il soit précis.
La fable, la légende, le mythe :
Toutes ces formes d'apologues se présentent comme des récits qui conduisent à une morale, ou à une réflexion sociale, politique, psychologique. La fable de La Fontaine, "Le lièvre et de la tortue" illustre l'importance de la prévoyance, comme le mythe de Narcisse les dangers d'un amour excessif de soi-même.
Les statistiques, les données économiques et sociales :
Elles apportent une caution scientifique à l'argument, dans les domaines économique, politique, sociologique... Mais il convient de rester prudent, en vérifiant, par exemple, les sources, le panel de personnes interrogées, les dates...
La citation
Un discours rapporté, ou l'extrait d'un ouvrage, permettent de soutenir un argument, surtout si l'auteur en est connu : on parle alors d'argument d'autorité, mais être plusieurs à soutenir une opinion ne prouve pas forcément sa vérité. Ils peuvent aussi servir de base à une critique.
Pour s'exercer...
TEXTE 1
"Quelle est votre conception de la vie et de la mort ?", me demandait un journaliste sud-américain lorsque je descendais la passerelle du bateau avec mes valises à la main. Je posai mes valises, essuyai la sueur de mon front et le priai de m'accorder vingt ans pour réfléchir à la question, sans toutefois pouvoir l'assurer qu'il aura la réponse. "C'est bien ce que je me demande, lui dis-je, et j'écris pour me le demander." Je repris mes valises tout en pensant que je devais l'avoir déçu. Tout le monde n'a pas la clef de l'univers dans sa poche ou dans sa valise.
E. Ionesco, Notes et contre-notes, 1962.
TEXTE 3
Les Romains n'infligèrent jamais la torture qu'aux esclaves, mais les esclaves n'étaient pas comptés pour des hommes. Il n'y a pas d'apparence[1] non plus qu'un conseiller de la Tournelle[2] regarde comme un de ses semblables un homme qu'on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot. Il se donne le plaisir de l'appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu'il soit en danger de mort, après quoi on recommence ; et comme dit très bien la comédie des Plaideurs : "Cela fait toujours passer une heure ou deux".
Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent[3] le droit de faire ces expériences sur son prochain va conter à dîner à sa femme ce qui s'est passé le matin. La première fois, madame en a été révoltée ; à la seconde, elle y a pris goût, parce qu'après tout les femmes sont curieuses ; ensuite, la première chose qu'elle lui dit lorsqu'il rentre en robe chez lui : « Mon petit cœur, n'avez-vous fait donner aujourd'hui la question à personne ? »
Les Français, qui passent, je ne sais pourquoi, pour un peuple fort humain, s'étonnent que les Anglais, qui ont eu l'inhumanité de nous prendre tout le Canada, aient renoncé au plaisir de donner la question.
Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance, mais ayant toute l'étourderie d'une jeunesse effrénée, fut convaincu[4] d'avoir chanté des chansons impies, et même d'avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d'Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu'on lui arrachât la langue, qu'on lui coupât la main, et qu'on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l'appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vues passer, le chapeau sur la tête.
Ce n'est pas dans le XIII° ou dans le XIV° siècle que cette aventure est arrivée, c'est dans le XVIII°. Les nations étrangères jugent de la France par les spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles d'Opéra, qui ont les mœurs fort douces, par nos danseurs d'Opéra, qui ont de la grâce, par Mlle Clairon, qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas qu'il n'y a point au fond de nation plus cruelle que la française.
[1] Il n’est pas très vraisemblable
[2] La Tournelle était la Chambre Criminelle du Parlement de Paris.
[3] Les charges officielles s’achetaient.
[4] Fut jugé coupable.
Voltaire, Dictionnaire philosophique, article "Torture", 1764.
QUESTIONS SUR LE TEXTE 1
1. Quel rôle joue chacun des passages de discours rapporté direct ?
2. Quelle est la thèse que pose ici Ionesco ?
QUESTIONS SUR LE TEXTE 3
1. Quelle est la thèse soutenue par Voltaire ?
2. Relever et caractériser les différents exemples ?
3. Lequel de ces exemples paraît le plus probant ? Pourquoi ?
TEXTE 2
Tous les hommes qu’on a découverts dans les pays les plus incultes et les plus affreux vivent en société comme les castors, les fourmis, les abeilles et plusieurs autres espèces d’animaux. On n’a jamais vu de pays où ils vécussent séparés, où le mâle ne se joignît à la femelle que par hasard, et l’abandonnât le moment d’après par dégoût ; où la mère méconnût ses enfants après les avoir élevés, où l’on vécût sans famille et sans aucune société.
Quelques mauvais plaisants ont abusé de leur esprit jusqu’au point de hasarder le paradoxe étonnant que l’homme est originairement fait pour vivre seul comme un loup-cervier, et que c’est la société qui a dépravé la nature. Autant vaudrait-il dire que dans la mer les harengs sont originairement faits pour nager isolés, et que c’est par un excès de corruption qu’ils passent en troupe de la mer Glaciale sur nos côtes ; qu’anciennement les grues volaient en l’air chacune à part, et que par une violation du droit naturel elles ont pris le parti de voyager en compagnie.
Chaque animal a son instinct ; et l’instinct de l’homme, fortifié par la raison, le porte à la société comme au manger et au boire. Loin que le besoin de la société ait dégradé l’homme, c’est l’éloignement de la société qui le dégrade. Quiconque vivrait absolument seul perdrait bientôt la faculté de penser et de s’exprimer ; il serait à charge à lui-même ; il ne parviendrait qu’à se métamorphoser en bête. L’excès d’un orgueil impuissant, qui s’élève contre l’orgueil des autres, peut porter une âme mélancolique à fuir les hommes. C’est alors qu’elle s’est dépravée. Elle s’en punit elle-même. Son orgueil fait son supplice ; elle se ronge dans la solitude du dépit secret d’être méprisée et oubliée ; elle s’est mise dans le plus horrible esclavage pour être libre.
Le grand défaut de tous ces livres à paradoxe, n’est-il pas de supposer toujours la nature autrement qu’elle n’est ?
Le même auteur [1] ennemi de la société, semblable au renard sans queue, qui voulait que tous ses confrères se coupassent la queue, s’exprime ainsi d’un style magistral : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne! »
Ainsi, selon ce beau philosophe, un voleur, un destructeur aurait été le bienfaiteur du genre humain; et il aurait fallu punir un honnête homme qui aurait dit à ses enfants :
« Imitons notre voisin, il a enclos son champ, les bêtes ne viendront plus le ravager; son terrain deviendra plus fertile ; travaillons le nôtre comme il a travaillé le sien, il nous aidera et nous l’aiderons. Chaque famille cultivant son enclos, nous serons mieux nourris, plus sains, plus paisibles, moins malheureux. Nous tâcherons d’établir une justice distributive qui consolera notre pauvre espèce, et nous vaudrons mieux que les renards et les fouines à qui cet extravagant veut nous faire ressembler. »
Ce discours ne serait-il pas plus sensé et plus honnête que celui du fou sauvage qui voulait détruire le verger du bonhomme ?
Quelle est donc l’espèce de philosophie qui fait dire des choses que le sens commun réprouve du fond de la Chine jusqu’au Canada ?
N’est-ce pas celle d’un gueux qui voudrait que tous les riches fussent volés par les pauvres, afin de mieux établir l’union fraternelle entre les hommes ?
[1] Voltaire désigne ici Rousseau.
Voltaire, Questions sur l'Encyclopédie, article "Homme", 1770.
QUESTIONS SUR LE TEXTE 2
1. Quelle est la thèse soutenue par Voltaire ?
2. Relever le passage qui introduit la thèse adverse.
3. Dans les deux premiers paragraphes du texte, à quels exemples Voltaire recourt-il ?
4. Quel rôle joue chacun des passages de discours rapporté direct ?
Persuader
Pour persuader, il est nécessaire de provoquer chez le lecteur une émotion : le faire rire en caricaturant la thèse adverse, montrer l'horreur de la situation dénoncée, exprimer sa colère ou, au contraire, son enthousiasme, peu importe le registre choisi, comique, pathétique, polémique... L'essentiel est de faire réagir le lecteur, pour qu'il accepte de suivre la thèse de l'auteur. Pour cela, l'auteur choisit les procédés d'écriture capables de mettre en valeur son opinion.
Observons et analysons...
La guerre a pour elle l’antiquité ; elle a été dans tous les siècles : on l’a toujours vue remplir le monde de veuves et d’orphelins, épuiser les familles d’héritiers, et faire périr les frères à une même bataille. [ Jeune Soyecour (1) ! je regrette ta vertu, ta pudeur, ton esprit déjà mûr, pénétrant, élevé, sociable, je plains cette mort prématurée qui te joint à ton intrépide frère, et t’enlève à une cour où tu n’as fait que te montrer : malheur déplorable, mais ordinaire !] De tout temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres ; et pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu’on appelle l’art militaire ; ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus solide réputation ; et ils ont depuis renchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. De l’injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eût pu s’abstenir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté.
(1) Jeune homme tué à la guerre et dont La Bruyère avait peut-être été le précepteur.
La Bruyère, Les Caractères, « Du Souverain ou de la République », 1688.
Le premier choix de l'auteur est celui de son énonciation.
- Présentera-t-il son opinion de manière impersonnelle, neutre, ou s'impliquera-t-il ? Le texte de La Bruyère commence de façon impersonnelle, avec un présent de vérité générale, renforcé ensuite par des mots qui généralisent (en bleu) les affirmations : "tous les siècles", "toujours", "De tout temps", "de siècle en siècle". Mais La Bruyère s'implique dès la seconde phrase (passage en rouge), avec le pronom "je" et des verbes qui relèvent du registre pathétique.
- Impliquera-t-il son destinataire dans son argumentation ? La Bruyère ne fait pas, ici, appel directement à son lecteur. Mais, le pronom "on", au début, veut lui rappeler la triste réalité ; à la fin du texte, le pronom "on" diffère des "ils" précédents, qui désignaient les adversaires dénoncés, ces "hommes" fauteurs de guerres. Avec "on", La Bruyère imagine des hommes de bonne volonté, parmi lesquels il s'inclut, espérant entraîner ainsi son lecteur.
Le second choix est celui de l'actualisation spatio-temporelle.
- Apportera-t-il des précisions sur les lieux, pour renforcer aussi bien un argument qu'un exemple ? L'extrait de La Bruyère ne comporte qu'un seul détail spatial, "cette cour", pour rappeler à ses lecteurs qui était Soyecour, qu'il cite en exemple.
- Le texte sera-t-il ancré dans une chronologie précise ? Posera-t-il des dates, ou bien, comme le fait La Bruyère, se contentera-t-il de poser l'idée d'une progression ? Restera-t-il dans un présent de vérité générale, celui qu'adopte La Bruyère dans la plus grande partie du texte, ou évoquera-t-il le passé, pour faire appel à l'histoire, par exemple, ou pour amener une comparaison avec le temps présent ? Le passé composé, choisi par La Bruyère dans la seconde partie du passage, lui permet d'expliquer l'origine des guerres. En revanche, La Bruyère ne raconte pas au passé la mort de Soyecour : en employant le présent, il la rend plus douloureuse. Un texte argumentatif peut aussi laisser entrevoir l'avenir, avec un futur de certitude ou un conditionnel, plus hypothétique. On note ici que les temps utilisés dans la dernière phrase de l'extrait jouent entre le plus-que-parfait, "si l'on eût pu s'abstenir", qui traduit l'aspect irréel de l'hypothèse, et, contrairement au conditionnel attendu, "on aurait eu", un imparfait qui semble placer sous nos yeux cet espoir de "paix" et de "liberté".
L'énonciation
L'actualisation
Enfin, l'auteur dispose de tous les procédés de modalisation. Dans cet extrait, tous sont mis en oeuvre :
-
la modalité expressive, ici l'exclamation (en vert) : Elle souligne l'apostrophe au "jeune Soyecour", en la rendant plus pathétique, et accentue aussi le jugement qui termine cet exemple : "malheur déplorable, mais ordinaire !"
-
le lexique (en noir) : On observe le champ lexical de la mort, et des termes péjoratifs pour désigner la cruauté humaine lors des guerres. La Bruyère utilise même le pléonasme, "s'égorger les uns les autres", "se détruire réciproquement", pour montrer que la guerre détruit l'ensemble des adversaires : ni gagnants, ni perdants... Par opposition, des termes mélioratifs mettent en valeur la personnalité du jeune mort, pour montrer ce que sa perte représente pour sa famille mais aussi pour l'ensemble de la cour.
-
les figures de style (en orange) : Outre les gradations, qui amplifient les choix lexicaux, on observe un passage d'ironie. Vu que La Bruyère dénonce la guerre, l'expression "de belles règles", pour désigner "l'art militaire", ne peut se comprendre que comme une antiphrase. De même, les comparatifs élogieux, "plus ingénieusement" et "avec plus de sûreté", ne peuvent logiquement s'appliquer au fait de se massacrer.
-
le rythme des phrases : La Bruyère sait utiliser la brièveté et l'énergie d'une phrase nominale (en vert), pour laisser son indignation s'exprimer. Mais il sait aussi faire preuve d'éloquence, et donner plus d'ampleur à sa colère par le rythme ternaire des verbes soulignés dans la première phrase, les énumérations, nombreuses ici, ou le rythme binaire de la dernière phrase.
La modalisation
Pour lire l'analyse d'un extrait de Supplément au voyage de Bougainville (1772), de Diderot : cliquer sur l'image.
... et celle de "Femmes, soyez soumises à vos maris" (1759-1768), pamphlet de Voltaire : cliquer sur l'image.
Pour s'exercer...
TEXTE 1
C’est pourquoi, France, je t’en supplie, reviens à toi, retrouve-toi, sans attendre davantage. La vérité, on ne peut te la dire, puisque la justice est régulièrement saisie et qu’il faut bien croire qu’elle est décidée à la faire. Les juges seuls ont la parole, le devoir de parler ne s’imposerait que s’ils ne faisaient pas la vérité tout entière. Mais, cette vérité, qui est si simple, une erreur d’abord, puis toutes les fautes pour la cacher, ne la soupçonnes-tu donc pas ? Les faits ont parlé si clairement, chaque phase de l’enquête a été un aveu : le commandant Esterhazy [1] couvert d’inexplicables protections, le colonel Picquart [2] traité en coupable, abreuvé d’outrages, les ministres jouant sur les mots, les journaux officieux [3] mentant avec violence, l’instruction première menée comme à tâtons, d’une désespérante lenteur. Ne trouves-tu pas que cela sent mauvais, que cela sent le cadavre, et qu’il faut vraiment qu’on ait bien des choses à cacher, pour qu’on se laisse ainsi défendre ouvertement par toute la fripouille de Paris, lorsque ce sont des honnêtes gens qui demandent la lumière au prix de leur tranquillité ?
France, réveille-toi, songe à ta gloire. Comment est-il possible que ta bourgeoisie libérale, que ton peuple émancipé, ne voient pas, dans cette crise, à quelle aberration on les jette ? Je ne puis les croire complices, ils sont dupes alors, puisqu’ils ne se rendent pas compte de ce qu’il y a derrière : d’une part la dictature militaire, de l’autre la réaction cléricale. Est-ce cela que tu veux, France, la mise en péril de tout ce que tu as si chèrement payé, la tolérance religieuse, la justice égale pour tous, la solidarité fraternelle de tous les citoyens ? Il suffit qu’il y ait des doutes sur la culpabilité de Dreyfus, et que tu le laisses à sa torture, pour que ta glorieuse conquête du droit et de la liberté soit à jamais compromise. Quoi ! nous resterons à peine une poignée à dire ces choses, tous tes enfants honnêtes ne se lèveront pas pour être avec nous, tous les libres esprits, tous les cœurs larges qui ont fondé la République et qui devraient trembler de la voir en péril !
[1] Véritable coupable de la trahison imputée au capitaine Dreyfus, il a été découvert et dénoncé par le colonel Picquart, nouveau chef du Service des Renseignements, mais il vient d’être acquitté.
[2] Celui-ci avait été éloigné par ses supérieurs qui refusaient d’écouter sa dénonciation.
[3] Qui se mettent au service de quelqu’un ou d’une cause.
E. Zola, "Lettre à la France", in Le Figaro, 7 janvier 1898.
TEXTE 2
Mère célibataire, Polly Baker est convoquée au tribunal où on la condamne encore une fois pour avoir mis au monde un enfant en dehors du mariage. Elle doit s’en expliquer, et payer une amende.
« Permettez-moi, Messieurs, de vous adresser quelques mots. Je suis une fille malheureuse et pauvre, je n’ai pas le moyen de payer des avocats pour prendre ma défense, et je ne vous retiendrai pas longtemps. Je ne me flatte pas que dans la sentence que vous allez prononcer vous vous écartiez de la loi ; ce que j’ose espérer, c’est que vous daignerez implorer pour moi les bontés du gouvernement et obtenir qu’il me dispense de l’amende. Voilà la cinquième fois que je parais devant vous pour le même sujet ; deux fois j’ai payé des amendes onéreuses, deux fois j’ai subi une punition publique et honteuse parce que je n’ai pas été en état de payer. Cela peut être conforme à la loi, je ne le conteste point ; mais il y a quelquefois des lois injustes, et on les abroge[1] ; il y en a aussi de trop sévères, et la puissance législatrice peut dispenser de leur exécution. J’ose dire que celle qui me condamne est à la fois injuste en elle-même et trop sévère envers moi. Je n’ai jamais offensé personne dans le lieu où je vis, et je défie mes ennemis, si j’en ai quelques-uns, de pouvoir prouver que j’aie fait le moindre tort à un homme, à une femme, à un enfant. Permettez-moi d’oublier un moment que la loi existe, alors je ne conçois pas quel peut être mon crime. »
[1] On les abolit, on les annule.
D. Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1772.
QUESTIONS SUR LE TEXTE 1
1. Quel argument soutient, dans chaque paragraphe, l'appel de Zola à la France ?
2. Définir le rôle de chacune des modalités expressives.
3. D'où vient la force de cette argumentation ?
QUESTIONS SUR LE TEXTE 2
1. Relever le passage qui exprime la thèse de Diderot ?
2. Quelle forme de raisonnement soutient l'ensemble de ce texte ?
3. Commenter les choix stylistiques qui permettent de persuader.