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Projet d'une Union fédérale européenne, in "Vu", 9-09-1929
L'entre-deux-guerres : entre espoirs et menaces
La société pendant l'entre-deux-guerres
Société

La France entre dans "les temps modernes", et la société affirme sa soif de liberté et de progrès social. Parallèlement, malgré quelques réticences, elle s'ouvre au monde et à de nouvelles cultures.

"Le petit écho de la mode", n°2, janvier 1929
"Paris, les années folles", Documentaire France 3
Les congés payés de 1936

"Les années 20", in Le Petit Echo de la Mode, n°2, janvier 1929

"Bal masqué", extrait du documentaire Paris, les années folles, France 3

Les congés payés de 1936, sur la plage de Sainte-Adresse au Havre.

Sciences et techniques
Sciences
Le cosmopolitisme

Si, actuellement, nous nous élevons encore contre cet emploi immodéré de la main-d'œuvre étrangère, c'est que le gouvernement, derrière lequel se trouve le patronat, tout en ayant repoussé, pour la reconstruction des régions dévastées, la venue de quelques centaines d'ouvriers allemands, promet, par ailleurs, aux entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics, la venue de 300 000 ouvriers d'Italie, de Pologne, de Tchéco-Slovaquie, etc... Pourquoi repousser les uns et offrir les autres ? Il y a une explication claire de ce petit jeu  :  les ouvriers allemands qui devaient venir étaient syndiqués ; ils auraient travaillé directement pour le compte des sinistrés, sans que les Loucheur et autre Chouard puissent tirer un quelconque bénéfice de la reconstruction. [...] Car ces messieurs sont patriotes, au diable ! Ils veulent que les régions dévastées soient reconstruites au plus vite possible et ... avec le plus grand bénéfice pour leurs bourses.

Aussi, ces messieurs de la bâtisse, dans leur congrès annuel [...] ont décidé d'avoir recours à une autre main-d'œuvre étrangère, de la " bonne ", de la " vraie ", de celle que l'on peut pressurer autant qu'on veut et qu'on fait expulser lorsqu'elle réclame. [...]

 Ce qu'il nous faut faire pour conclure, c'est empêcher qu'on fasse venir, dans les régions où le chômage sévit, de la main-d'œuvre, parce que le premier résultat de sa venue serait d'affamer la main-d'œuvre française. (...)

"La main-d'oeuvre étrangères", La Vie ouvrière, 3 février 1922.

"Un siècle dhistoire d'immigration en France", P. Mériaux et F. Romanet

"Immigrés italiens dans une carrière de pierre", vers  1920, in Un siècle d'histoire d'immigration en France, P. Mériaux et F. Romanet.

Après la guerre le pays doit se reconstruire et retrouver sa force économique, d'où la nécessité d'y faire venir des ouvriers. Le pays ouvre alors largement ses frontières. Dans l'agriculture, ce sont surtout les Italiens, les Espagnols, les Portugais, dans l'industrie plutôt les ressortissants des pays de l'est, Russie, Pologne, Tchécoslovaquie, et la montée des fascismes ne fait qu'accentuer le phénomène ; tous travaillent aussi sur les grands chantiers, aux côtés de travailleurs venus des colonies.

Cependant, même s'ils échappent à la misère de leur pays et aux risques politiques encourus et veulent à tout prix s'intégrer, tout n'est pas rose pour les immigrés ! En France aussi les idéologies xénophobes et le racisme se développent, en effet, notamment quand la crise économique vient frapper le monde ouvrier et augmenter le chômage.

Une main-d'oeuvre immigrée
Paris, une capitale attractive

Le cosmopolitisme touche aussi les classes privilégiées. Du monde entier, de nombreux artistes s'installent à Paris, notamment des  américains, tels les écrivains Hemingway, Steinbeck, le photographe Man Ray..., important avec eux leur culture. Tous y trouvent une atmosphère de liberté, un monde nouveau où tout - du moins jusqu'à la crise de 1929 - semble possible. Autour d'eux gravite une jeunesse avide de fêtes et de plaisirs, au cours de folles nuits où se mêlent souvent des membres de l'aristocratie traditionnelle et le demi-monde de la "bohème". Dans leurs bagages aussi, la musique et la danse, jazz des noirs ou tango argentin.

Edouard Halouze, Tango parisien, 1913. Huile sur toile, 97 x 390, Musée de arts décoratifs, Paris.

Halouze, "Tango parisien", 1913
Johny Dunn's Cornet blues, 1924

"Johny Dunn's Cornet blues", 1924.

Les fractures sociales
"La zone", aux portes de Paris

L'habitat dans "la zone", aux portes de Paris.

Les congés payés: les bains de mer

Mais il ne faudrait pas être dupe d'une vision superficielle de ces "années folles", la société est loin d'être homogène !

 

D'une part, le monde rural, malgré une mécanisation accrue, reste encore très traditionaliste, bien éloigné des idées progressistes qui s'agitent à Paris et dans les grands centres urbains.

La découverte de la mer.

D'autre part, quand certains s'amusent sur la Côte d'Azur, ou profitent des bains et des fêtes à Deauville, d'autres vivent dans de véritables bidonvilles, tels celui de "la zone" dans la périphérie parisienne, ou connaissent la misère dans les corons miniers du nord. Les luttes menées par les syndicats sont parfois violentes, jusqu'aux grèves de 1936 qui apportent un immense espoir : les salaires augmentent, des accords sont conclus, favorables aux ouvriers qui peuvent profiter des premiers congés payés.

Le 4 et le 5 août le  hall des gares ressemble à une sortie d'usine et l'on fait queue aux guichets où sont vendus près d'un million de "billets populaires de congés annuels". Deux cents mille travailleurs quittent la région parisienne pour la grande aventure, nous disent les journaux du temps. Des délégués des Comités touristiques du Rassemblement populaire accueilleront les voyageurs aux gares d'arrivée et leur indiqueront les meilleures conditions de séjour.

Où vont-ils, tous ces gens des villes pris d'une sorte de nomandisme ? Entre le 2 et le 5 août 1936, la  Normandie double ou triple sa population ; la Côte d'Azur affiche complet. A La Baule on cherche vainement un coin de sable pour planter son parasol. Pensions de famille, hôtels, maisons de location, tout ce qui a quatre murs et un toit est envahi.

Des familles errent autour des hôtels combles sans y trouver de place et doivent s'entasser dans une seule pièce. Rien n'est prêt pour les accueillir, mais en général la bonne humeur résiste à la crise du logement. Quant aux hôteliers, interviewés par les reporters  ils s'inquiètent parfois devant ce flot d'émigrants dont le portefeuille n'augure rien de bon ! [...]

Quelle revanche ! L'ouvrier barbote dans la même eau que les bourgeois et brunit au même soleil. Il découvre le climat privilégié de la Côte d'Azur, les plages à la mode, le casino. Il mord à belles dents dans un saucisson sous le regard condescendant des élégantes. Il lance son ballon avec l'entrain d'un joueur dr rugby ; il éclabousse par ses ébats la digne mère de famille qui rappelle vec inquiétude ses marmots près d'elle, comme pour les soustraire à "l'ogre laïc".

Les autochtones de la campagne écarquillent les yeux devant cette invasion de jeunes gens qui n'ont ni la même langue ni les mêmes moeurs. Vaguement choqués par la liberté des gestes et la simplicité des tenues - on voit beaucoup de torses bronzés et de shorts très courts - ils ne goûtent pas toujours qu'on entonne des chants révolutionnaires sur la place de l'église et qu'on salue poing tendu.

Historia, juillet 1971, éd. Taillandier

Union fraternelle des femmes

Union fraternelle des femmes. Dessin sans date. Bibliothèque Marguerite Durand.

Pour en savoir plus sur "la femme nouvelle", texte de Louise Weiss : cliquer sur le lien.

Enfin, les femmes, qui ont pourtant largement contribué à la victoire en assurant les travaux à la place des hommes partis à la guerre, n'ont pas, pour autant, gagné leur entière liberté. Certes, les plus privilégiées manifestent leur émancipation. Des couturiers, comme Poiret, libèrent les corps du corset, et créent des vêtements fluides, des robes courtes pour faciliter les mouvements, telle la petite "robe noire" de Coco Chanel qui installe sa maison de couture à Paris en 1921. Les cheveux courts, la coupe à "la garçonne" - titre d'un roman de Victor Margueritte qui fait scandale lors de sa parution en 1922 - achèvent cette métamorphose. Mais beaucoup y voient une décadence. Et, surtout, cette évolution ne s'accompagne pas de droits civiques : les sufragettes militent pour le droit de vote, en vain, et bien des écoles, bien des professions restent encore fermées aux femmes.

La mode 1928-1938 : un intéressant diaporama.

Informer, enseigner

Cette période donne aussi un élan nouveau au désir de connaissances - et à la nécessité de former des citoyens à la fois "éclairés" et utiles à la patrie.

 

Le développement des médias

La presse a été étouffée pendant la guerre, par la rareté du papier d'abord, mais surtout par la censure et son corollaire, la  propagande. A la fin de la guerre, elle entre dans une phase d'expansion, tant dans sa forme que dans ses contenus. De grands journaus naissent, tels Le Populaire  ou Le Canard enchaîné qui donne libre cours à la satire. D'autres, L'Humanité, L'Oeuvre, Le Peuple, La Croix, augmentent leur diffusion, passant aussi d'une présentation de 6 à 7 colonnes et devenant plus réactifs grâce à une mise en page "à tiroirs" qui permet d'insérer des articles à la dernière minute. En 1925, la couleur est utilisée, et un quotidien comme Paris-Soir accorde, en 1932, une large place à l'illustration, très vite imité par ses concurrents. La presse conquiert ainsi un véritable pouvoir, avec toute une armée de rédacteurs, reporters, photographes, typographes...

En raison du coût (un tiers du salaire moyen !) et de la complexité des postes, la radiodiffusion est d'abord collective, par exemple en 1922 le quotidien Le Matin diffuse ses émissions par haut-parleurs devant son siège à Paris. Mais peu à peu son usage se démocratise, et les familles se réunissent autour du "poste" pour suivre les informations et des émissions, au début diffusées uniquement quelques heures, puis avec un horaire élargi : concerts, pièces de théâtre, d'abord la culture prend une large place ; mais la radio se fait, elle aussi, créative, avec des émissions destinées à des publics spécifiques, des feuilletons...  On passe de 40000 postes en 1920 à  5 millions en 1939, et on compte alors 19 millions d'auditeurs, six foyers sur dix !

L'enseignement

La démocratisation de la radiodiffusion

La radiodiffusion
L'Ecole des métiers, 1922

L'autre enjeu durant cette période est la modernisation de l'enseignement. La guerre a conduit à la création d'une "école maternelle" et de nombreux "jardins d'enfants", puisque de plus en plus de femmes travaillent hors du foyer. Après la guerre, l'Etat s'intéresse surtout au développement d'un enseignement professionnel performant, car les industriels ont besoin d'ouvriers qualifiés. Ainsi la loi Astier, en 1919, officialise l'enseignement technique dont elle définit les objectifs. En 1923, des instructions officielles encadrent l'enseignement primaire, en formulant à la fois ses programmes et ses objectifs civiques. En 1933, l'enseignement secondaire devient gratuit et les internats se multiplient : des bourses permettent son accès à des élèves modestes pour qui les études représentent le seul moyen d'ascension sociale.

L’École des métiers, créée en 1922 par la Chambre syndicale des industries métallurgiques du Rhône

Mon lycée de briques et de ciment était tout neuf. A tous les étages, la clarté, l'espace, l'eau. D'immenses cours sans arbres. D'immenses dortoirs dont les fenêtres donnaient sur le terrain d'une caserne. Au lever, en voyant au-dessous courir et manoeuvrer ces uniformes, on avait l'impression qu'après la classe au second étage, après l'étude au premier, à midi l'on sortirait soldat. La sonnerie du clairon au réveil et au couvre-deu, une demi-heure après notre coucher, encadrait la journée d'une marge, d'un temps neutre et libre pour lequel nous réservions nos gambades, nos folies. Je trouvai tout en abondance : dans mes rêves les plus heureux, ce que j'avais juste imaginé, c'était le lycée. les poêles ronflaient à rouge. Chaque étude possédait des dictionnaires historiques, sa bibliothèque, son atlas. J'eus le jour même trente volumes, que lesquels j'écrivis mon nom ; j'eus d'un seul coup vingt professeurs.

Travail, cher travail, toi qui terrasses la honteuse paresse ! Travail d'enfant, généreux comme un amour d'enfant ! Il est si facile, quelle que soit la surveillance, de travailler sans relâche. Au réfectoire, alors que l'on distribuait les lettres, j'en profitais, puisqu'on ne m'écrivait jamais, pour relire mes cahiers. Le jeudi et le dimanche, pour éviter la promenade, je me glissais à la Permanence. Ce nom vous plaît-il autant qu'il me plaisait ; travail permanent, permanente gloire ! [...] Je me levais chaque matin à cinq heures avec joie, pour retrouver, dans mon pupitre, le chantier de mes thèmes, mes feuilles de narration éparpillées, mais déjà portant leur numéro, comme les pierres d'un édifice.

Jean Giraudoux, Simon le  Pathétique, 1918.

Cette période est féconde pour la recherche, aussi bien dans les sciences exactes que dans la médecine, où la guerre a entraîné d'importants progrès. L'essor technique multiplie l'usage des machines.

Le groupe Bourbaki

Le groupe Bourbaki : congrès de 1938 .

Irène et Frédéric Joliot-Curie dans leur laboratoire

Irène et Frédéric Joliot-Curie

dans leur laboratoire.

Teilhard de Chardin

Teilhard de Chardin: chantier de fouilles en Chine, 1927.

Le salon des arts ménagers en 1930

Le Salon des Arts ménagers, 1930, affiche.

Les progrès des sciences exactes

En mathématiques, se constitue en 1934, sous l’impulsion d’André Weil, le "groupe Bourbaki", d'après le nom d’un mathématicien imaginaire, Nicolas Bourbaki. Parmi eux, entre autres, Henri Cartan et, sur  l’image ci-dessus, de gauche à droite :  S. Weil, C. Pisot, A. Weil, J. Dieudonné, C. Chabauty, C. Ehresmann et J. Delsarte. Le but de ces jeunes mathématiciens est de refaire l’exposé cohérent de toutes les mathématiques, en les prenant à leur point de départ logique. Une première synthèse est publiée en 1939, Eléments de mathématiques : « Notre époque assiste à la création d’un ouvrage monumental : un exposé de la totalité des mathématiques d’aujourd’hui. De plus, cet exposé est fait de telle manière que les liens entre les différentes branches des mathématiques deviennent visibles » déclare le mathématicien autrichien Emil Artin. Le groupe organise aussi des séminaires et des congrès, et son travail, même s’il reste inachevé, exercera une influence importante sur le courant  structuraliste.

Dans le domaine de la physique, Louis de Broglie (1892-1987) met sur pied, en 1924, la mécanique ondulatoire, en définissant le comportement des électrons sous forme d’onde : il associe une fonction d'onde à chaque particule, ce qui implique que l'espace n'est pas uniquement constitué de particules, mais de champs quantiques qui engendrent des forces entre les corps. Il permet ainsi le développement de l’analyse et de l’optique électroniques. Langevin, sur l’ionisation des gaz provoquée par le passage des rayons X, et Perrin, sur les rayons cathodiques, réalisent des travaux décisifs.

Enfin la recherche doit beaucoup à Irène (1897-1956) et Frédéric (1900-1958) Joliot-Curie, qui, après leur mariage en 1926, entreprennent ensemble une carrière scientifique (cf. Image ci-dessus) qui leur vaut le prix Nobel de chimie en 1935. Ils participent à l’identification du neutron en 1932, découvrent la radioactivité artificielle en 1934, réalisent la première réaction nucléaire et, dès 1938, la fission de l’atome.

La connaissance des êtres vivants

La guerre a stimulé la recherche médicale, non seulement en traumatologie, où le perfectionnement des instruments améliore l’acte opératoire, mais aussi pour les médicaments : la découverte de la pénicilline par l’anglais Fleming est suivie de celles des sulfamides par Trefouël et Fourneau, des antipaludéens de synthèse, après les premiers travaux de P. Rabe, et des anesthésiques locaux. Les progrès se poursuivent également en psychologie, à partir de l’utilisation des tests et des acquis de la psychanalyse de Freud, mais elle reste encore totalement liée à la psychiatrie.

Teilhard de Chardin, le concept de "noosphère"

La biologie a des ramifications nombreuses : la biochimie, l’origine des espèces, l’origine de l’homme sont étudiées simultanément. Au premier rang de ces nombreux scientifiques, citons le jésuite Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), à la fois géologue et paléontologue, qui renouvelle la réflexion sur l’évolution à partir de sa découverte, sur le site de Chou-Kou-Tien en Chine (cf. Image ci-dessus), pays où il séjourne entre 1926 et 1946, du « sinanthropus pekinensis ». Ce fameux "Homme de Pékin" est l'occasion pour lui d’une réflexion sur l’évolution des hommes préhistoriques.

Chez les Néanderthaloïdes, avons-nous vu, un pas psychique est manifeste, marqué, entre autres indices, par l’apparition dans les grottes des premières sépultures. Même aux Néanderthaliens les plus renforcés tout le monde agrée pour accorder la flamme d’une intelligence véritable. De cette intelligence toutefois l’activité paraît avoir été largement absorbée par les soins de survivre et de se propager.

S’il y avait plus, nous ne le connaissons, ou nous ne le reconnaissons pas. Que pouvaient bien penser ces cousins lointains ? Nous n’en avons aucune idée. A l’âge du Renne, au contraire, avec l’Homo sapiens, c’est une Pensée définitivement libérée qui fait explosion, toute chaude encore, aux parois des cavernes. En eux, les nouveaux arrivants apportaient l’Art, — un art naturaliste encore, mais prodigieusement consommé. Et, grâce au langage de cet art, nous pouvons, pour la première fois, entrer de plain-pied dans la conscience des êtres disparus dont nous remontons les os. Étrange proximité spirituelle, jusque dans le détail ! Les rites exprimés en rouge et noir sur la muraille des grottes, en Espagne, dans les Pyrénées, au Périgord, ne se pratiquent-ils pas encore sous nos yeux, en Afrique, en Océanie, en Amérique même ? Quelle différence y a-t-il, par exemple, on l’a fait remarquer, entre le Sorcier des « Trois-Frères », affublé de sa peau de Cerf, et telle divinité océanienne ?... Mais ceci n’est pas encore le plus important. Nous pouvons nous méprendre en interprétant à la moderne les empreintes de mains, les bisons envoûtés, les emblèmes de fécondité, par où s’exprimaient les préoccupations et la religion d’un Aurignacien ou d’un Magdalénien. Là au contraire où nous ne saurions nous tromper c’est lorsque, tant à la perfection du mouvement et des silhouettes qu’au jeu imprévu des ciselures ornementales, nous percevons chez les artistes de cet âge lointain le sens de l’observation, le goût de la fantaisie, la joie de créer : ces fleurs d’une conscience, non seulement réfléchie, mais exubérante, sur elle-même. Ainsi donc l’inspection des squelettes et des crânes ne nous décevait pas. Au Quaternaire supérieur, c’est bien l’Homme actuel, dans toute la force du terme, qui nous apparaît : l’Homme point encore adulte, mais déjà parvenu à « l’âge de raison ». Dès ce moment, par rapport à nous, son cerveau est achevé, — si bien achevé que, depuis cette époque, aucune variation mesurable ne semble avoir perfectionné plus outre l’instrument organique de notre pensée.

A la fin du quaternaire, l’évolution, en l’Homme, se serait-elle donc arrêtée ?

Pierre Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, III, chap. 2, 1955

Mais, dans sa volonté de réconcilier la science et la foi chrétienne, Teilhard de Chardin dépasse le cadre strictement scientifique, pour faire de l’évolution, non plus un phénomène aveugle et sans but, comme pour Darwin, mais la réalisation d’un « plan divin » qui converge vers une finalité métaphysique, spirituelle, la foi christique (cf. "la noosphère" ci-contre).

Le concept de "noosphère" : l'évolution du point "alpha" , le Chaos des Origines, au point "oméga", la divinité chritique.

Les machines au quotidien
Le fer à repasser "Calor", affiche
La cuisinère "Calor", affiche

L’essor technique est d’abord lié à cette petite plaque qui se répand sur de plus en plus de façades, du moins en ville : « Eau et gaz à tous les étages ». Adieu bois, charbon, fumée, poussière ! Gain de temps, moins de fatigue, et surtout confort accrû... La cuisinière à gaz transforme la vie des ménagères, et cette évolution s’accélère, dans les foyers aisés, avec l’accès à l’électricité, qui modifie peu à peu la vie quotidienne.  Le premier « salon des Appareils ménagers », à Paris en 1923, est créé pour « récompenser les inventeurs des meilleurs appareils ménagers », sous le contrôle de la Recherche scientifique et du Ministère de l’Instruction publique. Il offre l’occasion de faire le point sur toutes les nouveautés, dont le fameux fer à repasser, et permet aux marques de faire leur promotion directe et par voie d’affichage (cf. Images ci-contre). Il remporte un grand succès, et devient le « Salon des Arts ménagers » (cf. image ci-dessus), touchant chaque année, un public de plus en plus nombreux, jusqu'à plus de 500.000 visiteurs pour le dernier avant la guerre.

Les arts pendant l'entre-deux-guerres
Arts

Cette même soif de liberté se retrouve dans les arts. Nouveaux matériaux, nouvelles techniques, désir de plonger dans tous les inconnus.... les artistes, venus du monde entier à Paris, remettent en cause toutes les certitudes.

R. Bonfils, affiche de l'exposition internationale des Arts décoratifs et industriels, Paris,, 1925.

P. Chareau, Bureau-bibliothèque, reconstitué au Musée des Arts décoratifs, Paris.

Le palais de Chaillot et l'esplanade du Trocadéro, à Paris.

Architectes : L. Azéma, J. Carlu, L.-H. Bouleau.

Pour découvrir l'exposition, un remarquable diaporama : cliquer sur l'image ci-dessus. 

L' "Art Déco"

L'exposition internationale des Arts décoratifs et industriels, qui se tient à Paris d'avril à octobre 1925 et accueille presque 6 millions de visiteurs, marque l'apogée du style nommé plus tard "Art Déco" : qu'il s'agisse d'architecture ou de décoration intérieure, tous les artisanats y sont représentés, ébénisterie, ferronnerie, verrerie, joaillerie, céramique, tapisserie....

Pour découvrir l'Art déco :  cliquer sur l'image.

... et une analyse très complète, réalisée par la Bpi, "1925, un tournant dans l'histoire des arts" : cliquer sur le lien, et explorez le site.

La salle à manger du paquebot "Normandie", mis en service en 1935.

Le Corbusier, le pavillon de l'Esprit nouveau, 1924.

Le style "Art Déco" se construit en réaction contre l'exubérance et les excès de l'Art Nouveau et sous l'influence du cubisme. Il revient à une forme de classicisme : formes géométriques, décor stylisé, ornements schématisés.

Mais déjà l'exposition marque la différence entre

- ce qui reste, sous l'appellation d'"Art déco", une architecture et une décoration réservées au luxe des privilégiés, par exemple dans l'aménagement des paquebots, tel celui du "Normandie", image d'élégance et de raffinement, avec l'utilisation de bois précieux, d'ivoire, de nacre...

- une tendance dite "moderniste", qui se veut anti-décorative et plus sociale. En témoigne le pavillon de "l'Esprit nouveau", réalisé par Le Corbusier (1887-1965), dont l'aménagement, dans sa sobrité, recherche plutôt une utilité fonctionnelle. Le mobilier s'épure encore, le métal y prend une place prépondérante.

C'est cette seconde tendance qui triomphe, dès 1929, avec la création de l'Union des Artistes Modernes par Robert Mallet-Stevens, René Herbst et Pierre Chareau.

Des "Arts Déco" au modernisme des années Trente.

Arp, "Oiseaux dans un aquarium", vers 1920

J. Arp, Oiseaux dans un aquarium, vers 1920. Bois peint, 25,1  x 20,3 x 11,4. Musée d'art moderne, New York.

Brancusi, "Adam et Eve", 1921

C. Brancusi, Adam et Eve, 1921. Socle calcaire et bois, 13,3  x 46,4 x 46,4. Musée Guggenheim, New York.

Giacometti, "Femme couchée qui rêve", 1929
Pevsner, "Construction dans l'espace", 1933

A. Giacometti, Femme couchée qui rêve, 1929. Bronze peint en blanc, 24,5  x 43 x 14. Kunsthaus, Zürich.

A. Pevsner, Construction dans l'espace, 1933, Alliage cuivreux peint et cristal de Baccarat, 64  x 84 x 70. Musée National d'Art Moderne, Paris.

Une interview de Giacometti, ""Hommage", Kenisman : cliquer sur l'image.

Giacometti

Hubert Etienne, Giacometti

La sculpture

Pendant l'entre-deux-guerres, la sculpture continue l'évolution entreprise au début du siècle, avec la géométrisation, née du cubisme, ou les "ready-made" de Marcel Duchamp, qui poursuit avec humour son travail sur l'oeuvre spontanée, comme sa boîte-en-valise qui rassemble les 69 photos et quelques répliques miniatures de ses oeuvres antérieures, et sur le mouvement. L'explosion du surréalisme conduit les sculpteurs à persévérer dans cette voie, et donne lieu à de nouvelles créations, telles celles de Jean Arp (cf. Image ci-dessus), dans lesquelles le matériau, traditionnel ou novateur - carton, laiton, verre... - prend une importance capitale : il devient l'élément fondateur de l'oeuvre à laquelle il donne sens.

Cette tendance s'accentue avec le constructivisme, illustré par exemple par le russe Antoine Pvesner, ou l'abstraction, représentée par le roumain Constantin Brancusi. La sculpture se libère alors du sujet pour privilégier la forme brute, le geste spontané du sculpteur face à la matière.

Duchamp, "La Boîte en valise", ready-made

M. Duchamp, La-boîte-en-valise, Paris, 1936-New York 1941. Cuir rouge, carton, toile, papier, rhodoïd. Déployée pour exposition : 102 x 90 x 34,5. MOMA, New York.

Antoine Pevsner (1884-1962)

 

Après des études d'art en Russie, Pevsner effectue deux séjours à Paris, de 1911 à 1913, puis en 1914-15, mais c'est à Moscou qu'il publie le "manifeste réaliste", qui milite en réalité pour la nécessité, pour l'artiste, de dépasser la reproduction de la réalité. Pour cela, il prône le constructivisme, désir de faire de la sculpture une forme d'architecture, d'inscrire l'oeuvre dans l'espace (cf. Image ci-dessus). Accusé, après la révolution russe, de pratiquer un "art capitaliste", il se fixe à Paris en 1923 et poursuit ses recherches : il est membre fondateur du courant "Abstraction-Création" en 1931. Son matériau privilégié est le métal, qui permet de jouer sur l'alternance entre l'ombre et la lumière. Ses oeuvres montrent un travail sur le mouvement, telle Surface développable (cf. Image ci-contre), avec ses fines lamelles qui se meuvent en fragile équilibre.

Pevsner, "Torse", 1921
Pevsner, "Surface-développable", 1938-39

A. Pevsner, Torse, 1924. Construction cuivre et matière plastique, h. 75. MOMA, New York.

A. Pevsner, Surface développable, 1938-39. Bronze et cuivre, 52,1 x 31. Fondation Guggenheim, Venise.

Constantin Brancusi (1876-1957)

C'est en Roumanie que Contantin Brancusi débute ses études artistiques, qu'il vient poursuivre à Paris dès 1905. D'abord  marqué par Rodin, son oeuvre se trouve ensuite influencée (cf. Image ci-dessus) par les arts primitifs d'Afrique et d'Océanie. Il leur emprunte leurs formes simples et dépouillées, et ses oeuvres sont de plus en plus épurées, de moins en moins figuratives, jusqu'à ne plus suggérer qu'un contour, une structure à la surface de plus en plus lisse.

Brancusi, "Oiseau dans l'espace", 1928-33

C. Brancusi, Oiseau dans l'espace, 1928-33. Bronze, 137 x 22 x 16. Metropolitan Museum of Art, New York.

Alberto Giacometti (1901-1966)
Giacometti, "Le Palais à quatre heures du matin", 1932-36
Giacometti, "Homme et femme", 1928-29
Giacometti, "Femme égorgée", 1932-40
Giacometti, "Boule suspendue", 1930

A. Giacometti, Homme et femme , 1928-29. Bronze, 40 x 40 x 16,5. Musée National d'Art Moderne, Paris.

A. Giacometti, Femme égorgée, 1932-1940. Bronze, patine dorée, 21,5 x 82,5 x 55. Musée National d'Art Moderne, Paris.

A. Giacometti, Boule suspendue, 1930. Plâtre, fer et corde, 60,6 x 35,6 x 36,1 Coll. Fondation Giacometti, Paris. 

A. Giacometti, Le Palais à quatre heures du matin, 1932-1936. Bois, fil de fer et verre, MOMA, New York.

Le parcours artistique d'Alberto Giacometti illustre les tendances de cet art dans la première moitié du siècle. En 1922, il vient de Suisse poursuivre sa formation à Paris, dans l'atelier de Bourdelle. Il subit alors, dans un premier temps, l'influence du cubisme, dont témoignent des formes massives, géométriques. Puis les formes s'allègent (Cf. Femme couchée qui rêve, ci-dessus), comme chez les constructivistes, avec des structures inscrites dans l'espace. Comme ses amis surréalistes, il est fasciné par la statuaire des arts primitifs d'Afrique et d'Océanie. En témoignent les "Femmes-cuillères", dont la première est exposée en 1927, ou ses "Têtes" : l'oeuvre se charge aussi d'une symbolique sexuelle plus marquée, comme Homme et femme (Cf. Image ci-dessus). Il adhère officiellement au mouvement surréaliste en 1931, et crée alors des objets symboliques (Cf. Boule suspendue, image ci-dessus) ; à la même époque, il enferme aussi la représentation dans des sortes de "cages", comme pour encadrer l'imaginaire onirique. Ses dernières années aux côtés des surréalistes - il est exclu du mouvement en 1935, parce qu'il persiste à travailler sur la représentation de la figure humaine - révèlent une évolution dans sa création. Elle se fait plus torturée, et exprime une forme de violence, telle sa Femme égorgée (Cf. Image ci-dessus), monstrueux et sinistre insecte.

Giacomettit poursuit ce dépouillement dans l'après-guerre, avec des figures humaines étirées, filiformes, sortes de squelettes décharnés, où se combinent le mouvement et l'immobilité : il illustre ainsi le tragique du siècle.

Pour en savoir plus : la fondation Alberto et Annette Giacometti : cliquer sur le lien.

Une intéressante analyse de l'oeuvre de Giacometti, le hors-série de Beaux quartiers (2013), "Giacometti, Espace, Tête, Figure"  : cliquer sur l'image.

"Giacometti, Espace, Tête, Figure"
Giacometti
Goerg, "La Mariée"

E. Goerg, La mariée, 1927. Huile et encre sur carton, 34 x 26. Musée National d'Art Moderne, Paris.

Tamara de Lempicka, "Arums"

Tamara de Lempicka, Arums, 1935. Huile sur toile, 65,8 x 49,2. Musée National d'Art Moderne, Paris.

Tanguy, "Jour de lenteur"

Y. Tanguy, Jour de lenteur,  1937. Huile sur toile, 92 x 73. Musée National d'Art Moderne, Paris.

Kandinsky, "Composition VIII"

V. Kandinsky, Composition VIII, 1923. Huile sur toile, 140 x 201. Musée Guggenheim, New York. 

La peinture

Ces quatre images ci-dessus représentent à la fois les courants picturaux qui coexistent durant l'entre-deux-guerres, volonté de  déconstruction ou de reproduction du réel, et le rôle central que joue Paris, où se retrouvent des artistes venus du monde entier.

L'expressionnisme

 

La guerre et ses violences ont profondément marqué de nombreux artistes, qui traduisent alors leur vision du monde dans des oeuvres encore figuratives, mais où l'agressivité ressort, aussi bien par les contours déformés du sujet que par les couleurs. Par exemple, elles sont appliquées brutalement par le russe Chaïm Soutine (1893-1943), en empâtements épais, ou prennent des nuances terreuses, sinistres, comme chez Marcel Gromaire (1892-1971), qui stylise ses sujets jusqu'à la caricature. Les compositions d'Edouard Goerg (1893-1969), elles, dénoncent, par l'expression des visages notamment (Cf. Image ci-dessus), une société hypocrite et cynique. Toutes ces oeuvres révèlent les angoisses des artistes, la cruauté du réel, leur certitude du néant humain. Ainsi se fonde l'expressionnisme, qui amplifie "l'expression" du peintre face au tragique du monde et de l'homme.

Soutine, "Femme en rouge"
Gromaire , "Le Repas paysan"

Exposition Soutine, "L'ordre du chaos", au musée d'Orsay : visite virtuelle en vidéo.

C. Soutine, Femme en rouge,  1922. Huile sur toile, 92 x 65. Musée National d'Art Moderne, Paris.

M. Gromaire, Le repas paysan,  1921. Huile sur toile, 109 x 150. Musée d'Art Moderne, Troyes.

Le courant "art déco"

 

La peinture du courant « art déco », elle aussi figurative, reflète ces « années folles », avec leur élégance, jusqu’à la sophistication, en accordant une large place à la femme et à la mode novatrice de « la garçonne ». Qu’elle soit néo-classique, comme l’œuvre de Gustave Jaulmes, avec, notamment, ses immenses fresques, ou davantage marquée par le cubisme comme celle de Jean Dupas, cette peinture se donne comme objectif premier d’être « décorative », ce qui explique la place qu’elle occupe, par exemple, pour illustrer les magazines. Tamara de Lempicka (1898-1980), Polonaise installée à Paris, après la révolution russe, jusqu’en 1929 où elle émigre aux Etats-Unis, donne un parfait exemple (Cf. Image ci-dessusde ce courant, avec son graphisme raffiné et ses sujets emplis de sensualité.

Une vidéo pour découvrir l'oeuvre de Tamara de Lempicka. 

Le dadaïsme

En totale opposition aux deux courants précédents, la guerre provoque une autre réaction,  le mouvement "Dada", rejet violent et catégorique de toute forme d'esthétique : « Dada n'était pas seulement l'absurde, pas seulement une blague, dada était l'expression d'une très forte douleur des adolescents, née pendant la guerre de 1914. Ce que nous voulions c'était faire table rase des valeurs en cours, mais, au profit, justement des valeurs humaines les plus hautes. », explique Tristan Tzara (1896-1963),  fondateur du mouvement à Zürich en 1916. Après la guerre, ce courant se répand en Allemagne, à Paris, à New York, touchant la peinture, la sculpture, mais aussi la littérature. Il s'agit de déconcerter, de provoquer en remettant en cause tout ce qui pouvait fonder l'art, comme le pproclame Georges Ribemond-Dessaignes  : "Qu'est ce que c'est beau ? Qu'est-ce que c'est laid ? Qu'est ce que c'est grand ? fort ? faible ? Qu'est ce que c'est Carpentier, Renan, Foch ? Connaît pas. Connaît pas. Connaît pas." (Dadaphone, N°7).

Du dadaïsme au surréalisme
Picabia, "Machine à transformer rapidement"
Picabia, "L'Oeil cacodylate"

F. Picabia, Machine à transformer rapidement,  1916. Tempera sur papier, 49 x 32. Coll. privée.

F. Picabia, L'oeil cacodylate,  1921. Huile et photocollage sur tissus, 148,5 x 117,5.  Musée National d'Art Moderne, Paris.

Ainsi les peintres dadaïstes font scandale par leur volonté de destruction sacrilège, comme Marcel Duchamp (1887-1955) quand il peint la Joconde en l'affublant de moustaches. Tout aussi subversives sont les oeuvres de Francis PIcabia (1879-1953), collages hétéroclites par exemple, ou "machines inutiles" qui veulent rendre compte de la déshumanisation due à l'invasion mécanique.

Le surréalisme

 

Mais la destruction ainsi prônée montre assez vite ses limites : sur cette table rase de l'art, les peintres vont alors chercher à reconstruire un art nouveau. Ce sera le surréalisme. Il travaille sur la juxtaposition, insolite et arbitraire, des représentations du monde, combinaison d'images destinée à créer un choc, assez semblable à celui qui peut naître du rêve - ou du cauchemar, "moyen de libération totale de l'esprit". En brisant la supposée cohérence du réel, le peintre veut en faire jaillir la "surréalité", éveiller ainsi l'esprit à cette réalité supérieure : "le rôle du peintre est de cerner et de projeter ce qui se voit en lui", déclare Max Ernst, pour exprimer cette plongée dans les profondeurs de l'inconscient.

Mais il est difficile de rendre compte d'un courant qui a compté tant de personnalités différentes, dont certaines ont évolué dans leur production, comme Max Ernst (1900-1955) par exemple. D'autres n'ont partagé que pour un temps les recherches surréalistes, tel Picasso, par exemple avec Femme au fauteuil rouge (1932), avant de poursuivre leur propre voie. Notre présentation reste donc incomplète et arbitraire.

Deux tendances ressortent cependant, parfois chez le même peintre :

Une vidéo pour découvrir la peinture surréaliste.

Dali, "La Métamorphose de Narcisse", 1937

- le maintien d'une peinture figurative, jusqu'à rechercher une précision quasi photographique : la dimension onirique touche alors au fantastique, elle naît du "collage"  d'éléments qui semblent étrangers les uns aux autres, qui créent l'impression de contempler le produit d'une hallucination. C'est ce choix qu'a assumé, par exemple Salvador Dali (1904-1989).

S. Dali, La métamorphose de Narcisse,  1937. Huile sur toile, 5&,1 x 78,1. Tate Gallerry,  Londres.

- Pour en savoir plus sur Dali : un portrait (1964), Vidéo de l'INA : cliquer sur le lien...

- ... et une visite virtuelle de l'exposition Dali, Centre Pompidou.

Un dossier pédagogique très complet, réalisé par le Centre Pompidou : cliquer sur le lien.

- le rejet d'une stricte figuration pour schématiser la représentation en plongeant plus profondément dans le monde irrationnel de l'inconscient. Ce sont les formes primitives et rudimentaires lancées dans un espace imaginaire par Joan Miró (1893-1983), installé dès 1920 à Paris où il reste jusqu'à la seconde guerre mondiale, qui les met en valeur par des couleurs vives. Ce sont les visions fantasmagoriques d'André Masson (1896-1987), l'univers blafard et laiteux (cf. Image ci-dessus) dans lequel flottent les formes vagues d'Yves Tanguy (1900-1955) ou certaines des oeuvres de Max Ernst (1891-1976) avec leur anti-lumière, la lueur blafarde d'astres morts.

Miro, "Le carnaval d'Arlequin"
Masson, "Dans la tour du sommeil"

M. Ernst, Aux antipodes du paysage.

Max Ernst : dossier pédagogique, réalisé par l'Académie d'Orléans-Tours : cliquer sur l'image ci-dessus.

J.Miró, Le carnaval d'Arlequin,  1924. Huile sur toile, 93 x 66. Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, EU.

A. Masson, Dans la tour du sommeil,  1938. Huile sur toile, 81,2 x 100,3. The Baltimore Museum of Art, Baltimore, EU. 

L'abstraction

Une vidéo : analyse de l'oeuvre de Mondrian.

Pour découvrir Kandinsky, vidéo sur l'exposition au Centre Pompidou : cliquer sur l'affiche.

L'abstraction est l'aboutissement logique de la disparition du sujet déjà entreprise par le dadaïsme et le surréalisme, contre lequel il s'affirme cependant. Le peintre abstrait se libère totalement de toute représentation : la peinture entend se suffire à elle-même à travers les plans, les formes, les angles et, surtout les couleurs qui doivent résonner sur la toile comme les notes de musique qui composent une partition. Les groupes se succèdent, avec leurs proclamations. Le groupe "Cercle et Carré" est fondé en 1929 par Torrès Garcia et Seuphor ; son nom évoque immédiatement les toiles de Piet Mondrian (1872-1944), géométriques, composées sur l'entrecroisement de lignes verticales et horizontales qui isolent des surfaces aux vives couleurs primaires, posées en aplat : " Un jaune tout seul, un simple bleu, déploient pour moi tout un monde de beauté. […] C’est entendu, la couleur en tant que telle vivifie tout, et il est possible, par la pure vision de la couleur, d’être porté à la plus grande élévation, oui, à la contemplation de l’Universel", explique le peintre. Ce groupe est remplacé, au bout d'un an, par "Art concret", regroupé derrière, entre autres, Jean Hélion et Van Doesburg. Enfin  l'association "Abstraction-Création" fédère, de 1932 à 1936, tous les artistes, là encore venus à Paris du monde entier, qui se réclament de cette volonté : parmi eux, Auguste  Herbin (1909-1960), Vassili Kandinsky (1866-1944), Frantisek Kupka (1871-1957)... Impossible de les citer tous !

Mondrian, "Composition en bleu, rouge, jaune et noir"

P. Mondrian, Composition en bleu, rouge, jaune et noir, 1926. Huile sur toile, 400 x 400. Gemeentenmuseum, La Haye.

Pour en savoir plus sur l'art abstrait,  un dossier très complet du Centre Pompidou : cliquer sur l'image.

Dadasurrealisme
abstraction
Blumenfeld, "Le voile espagnol"

E. Blumenfeld, Le voile espagnol , 1937. Photographie.

Man Ray, "Noire et blanche"

Man Ray, Noire et blanche, 1926. Photographie, épreuve gélatino-argentique, 15,8 x 23,3. Coll. particulière.

Krull, "Rue Auber à Paris"

G. Krull, Rue Auber à Paris, vers 1928. Photographie. Museum d'Art moderne, New York. Thomas Walter Collection.

"La subversion des images", dossier pédagogique du Centre Pompidou : cliquer sur l'image.

La photographie

Née au XIX° siècle, elle prend une nouvelle dimension durant cette période, car le développement des techniques permet des recherches exthétiques, des expérimentations, assez semblables à ce que nous pouvons observer dans la peinture. Les photographes sont, en effet, très influencés par le dadaïsme et le surréalisme, d'ailleurs certains, comme Erwin Blumenfeld (1897-1960) ou Man Ray, sont aussi des dessinateurs et des peintres, tout en participant pleinement aux activités artistiques parisiennes. Ainsi la photographie se combine au collage, essaie de nouvelles approches, cadrage serré, plongée et contre-plongée, découpage du sujet en jouant  sur la lumière... La photographie se démocratise aussi, elle entre dans les magazines de mode, par exemple avec Blumenfeld, elle accompagne la publicité, comme le fait Man Ray.

Germaine Krull (1897-1985)

Pour découvrir Blumenfeld : exposition (2013-14) au musée du Jeu de Paume, présentation et vidéo.

Germaine Krull, arrivée à Paris en 1925, y séjourne jusqu'à la seconde guerre mondiale. Elle réalise de nombreux portraits (cf. Image ci-contre), tous symboles de la femme moderne, modernisme que l'on retrouve aussi dans le regard qu'elle porte sur Paris, fascinée par le graphisme des architectures métalliques et par les "machines" du monde industriel. "Innovation", tel est alors le mot d'ordre, qui explique son choix d'illustrer la presse, ou ses photos dans le magazine Vu pour accompagner des histoires policières, annonçant ainsi le roman-photo.

"Modernités photographiques, 1920-1950", exposition de la collection Bouqueret au Centre Pompidou, présentation et vidéo : cliquer sur l'affiche.

Krull, "Auto-portrait avec Ikarette"
Man Ray (1890-1976)

G. Krull, Auto-portrait avec Ikarette, vers 1928. Photographie, épreuve gélatino-argentique, 20,1 x 14,6. Musée National d'art moderne, Paris.

La création de Man Ray, qui participe dès son arrivée à Paris, en 1921, à la vie animée de Montparnasse et à la première exposition surréaliste de 1925, est toute aussi multiple : dessins, collages, photos de mode avec le couturier Poiret et pour illustrer de la publicité, par exemple dans le magazine Vogue. Jusqu'à son départ de France en 1940, il multiplie dans son studio les photographies, notamment celles de son célèbre modèle, Kiki de Monparnasse (Cf. Image ci-dessus).

Henri Cartier-Bresson (1890-1976)

H. Cartier-Bresson, Premiers congés payés, bords de Seine, 1936. Photographie, épreuve gélatino-argentique, 23,1 X 34,6. Coll. Fondation Cartier-Bresson, Paris.

Mais, déjà dans les créations de Germaine Krull une autre tendance se distingue, que Cartier-Bresson, dès ses premières photos en 1932, va développer : le photographe adopte un point de vue plus social, il saisit par l'image les scènes représentatives de l'actualité, par exemple les congés payés ( Cf. Image ci-contre) en France, ou la guerre en Espagne. Autant d'images, souvent publiées dans la presse communiste, qu'il met au service de son engagement politique.

Rétrospective H. Cartier-Bresson, dossier pédagogique du Centre Pompidou : cliquer sur l'image.

Cartier-Bresson, "Premiers congés payés, bords de Seine"
Cartier-Bresson
Affiche de "L'Atalante"

Affiche de L'Atalante, film de Jean Vigo, 1934.

 Affiche du "Crime de Monsieur Lange"

Affiche du Crime de Monsieur Lange, film de Jean Renoir, 1935.

Affiche de "L'Hôtel du Nord"

Affiche d'Hôtel du Nord , film de Marcel Carné, 1938.

Le cinéma

Ce sont aussi les perfectionnements techniques qui provoquent l'évolution du cinéma pendant l'entre-deux-guerres.

Le cinéma a toujours été "sonore", mais par un accompagnement extérieur : pianiste ponctuant les temps forts du scénario, voire "bonimenteur" pour le commenter, ou "bruiteur" pour imiter la pluie, le pas des chevaux... Avec l'invention par Gaumont du chronotone, on passe à une sonorisation interne, grâce à une bobine de son qui doit se synchroniser avec celle de l'image... mais ce n'est pas toujours le cas ! Le film de Marcel Vandal, L'Eau du Nil, projeté en 1928, est ainsi le premier "film parlant". Mais c'est le movietone  américain qui, en regroupant son et images sur la même bobine, détermine l'essor du cinéma parlant ; en 1929, on compte en France 20 salles sonorisées, 1000 en 1931, 4250 en 1937... Cette naissance provoque bien des débats, de violentes critiques de la part des tenants du cinéma muet, qui, peu à peu, cède cependant la place.

Le cinéma parlant

Affiche promotionnelle du cinéma parlant. 

Le surréalisme au cinéma

 

Reflet de son époque, le cinéma n'a pas échappé à la tentation dadaïste et surréaliste, à la volonté de ces artistes de déconstruire le réel pour faire surgir le rêve et les fantasmes. Ainsi, sur un scénario de Picabia, René Clair réalise, en 1924, Entracte, puis, en 1930, Sous les toits de Paris, film partiellement parlant, qui vaut surtout pour l'utilisation de la musique, mise au service de la poésie des sentiments. Germaine Dulac, grande figure du cinéma muet, réalise le moyen métrage La Coquille et le Clergyman, d'après un scénario d'Antonin Artaud, en 1928. Mais, avec l'arrivée du cinéma parlant, elle abandonne la pure création pour se consacrer à des documentaires. Enfin, l'on peut citer Le sang d'un poète (1930), réalisé par Jean Cocteau - dont on entend la voix en off - avec le concours, pour la musique de Georges Auric et d'Erik Satie, de Luis Buñuel et  Antonin Artaud pour le scénario.

Jean Cocteau, Le sang d'un poète.

Les enjeux du cinéma parlant

 

Le cinéma reproduit toutes les tendances de cet entre-deux-guerres, la volonté de s'amuser, d'abord, et de nombreux films sont de simples divertissements, avec des intrigues superficielles, proches du vaudeville, des chants et des musiques légères. Mais, avec sa démocratisation, l'on prend très vite conscience du pouvoir qu'il possède, et les débats socio-politiques s'incarnent dans un cinéma militant, notamment avec l'accession au pouvoir du Front Populaire. Ainsi La Vie est à nous, de Jean Renoir, film de propagande réalisé à l'occasion de la campagne électorale du parti communiste, combine des documents d'actualité, et des scènes de fiction visant à montrer les conditions de vie de la classe ouvrière, du monde paysan, face à la bourgeoisie dominante. Les actualités cinématographiques font aussi oeuvre de propagande, nationaliste et patriotique, voire nazie chez Jacques Feyder, par exemple dans La Kermesse héroïque (1935) qui, malgré le recul temporel au temps de l'occupation espagnole dans les Flandres en 1616, aborde des thèmes d'une triste actualité. C'est aussi lui qui commence à critiquer la place, selon lui, excessive, prise par les "étrangers", les juifs, les communistes... dans le milieu du cinéma. D'ailleurs, la création, en 1928, du "visa de censure", pour soutenir "l'intérêt national" et "la conservation des moeurs", montre que le pouvoir politique a bien vite mesuré le pouvoir que peut exercer l'image cinématographique sur les spectateurs.

La revue "Cinémonde"

Cinémonde, N°2, 1928.

L'époque voit aussi la naissance des premières revues de cinéma, telles Cinématographie (1927-28), dirigée par Léon Moussinac, ou Cinémonde (1928), et de la critique cinématographique, par exemple dans les articles de Moussinac publiés dans L'Humanité, ou de Louis Delluc. Il est aussi à l'origine de la place accordée au cinéma lors de l'exposition des Arts Déco en 1925. Louis Delluc (1890-1924), lui-même réalisateur pour le cinéma muet,  crée également les cinés-clubs, qui joueront un rôle important pour former le public, comme le souhaite Moussinac : "Si le cinématographe nous passionne en raison de ses prodigieuses possibilités d’expression au point de vue artistique, il ne nous retient pas moins pour le rôle qu’il est appelé à remplir dans l'enseignement." (L'Humanité, "Cinéma et enseignement", 24 décembre 1926)

 

Parmi tous les cinéastes qui ont marqué l'époque, nous retiendrons trois noms :

Jean Vigo (1905-1934)

Jean Renoir (1894-1974)

Après quelques documentaires, Jean Vigo tourne, en 1933, Zéro de conduite, vite interdit par la censure car il prônerait la révolte. Son autre film, L'Atalante (Cf. vidéo ci-dessus), subit lui aussi la censure, qui coupe ce qui fait, en réalité, le force du film : à partir d'une intrigue plutôt banale, la poésie de scènes sensuelles, emplies de passion, filmées de façon originale. Le film, aujourd'hui restauré, est considéré comme le grand succès du cinéma parlant.

Jean Renoir a réalisé 8 films, dont 5 sont jugés comme des chefs d'oeuvre, dont Le Crime de Monsieur Lange, et des adaptations de Simenon, ou d'autres romanciers (Cf. vidéo ci-dessus) Chacun marque son engagement en restituant, à la fois par l'utilisation novatrice du décor en studio et par les mouvements de la caméras, la culture du peuple, dans son opposition à la classe dominante de l'époque représentée. Mais, même s'il est lié au communiste, Renoir montre toujours la supériorité de l'individu sur les masses.

Une exceptionnelle analyse des enjeux du cinéma parlant dans l'entre-deux-guerres, "De Melies au cinéma parlant", la seconde partie d'un  film de Richard Bean : cliquer sur l'image.

Marcel Carné (1906-1996)

L'oeuvre de Marcel Carné révèle une double tendance, le "réalisme poétique" : dans certains films, comme Thérèse Raquin, triomphe la volonté d'un sombre réalisme, que l'on retrouve dans les décors, dans d'autres, tels Les Visiteurs du soir ou Quai des brumes, c'est la poétisation esthétique qui met en valeur la psychologie des personnages. Le mérite de L'Hôtel du Nord (Cf. vidéo ci-dessus) vient précisément du mélange de ces deux aspects qui reconstitue à la fois l'ambiance du Paris populaire et permet de rendre attachants les couples qui s'entrecroisent.

Pour découvrir les films français des années Trente, une liste très complète : cliquer sur le lien.

Cinéma
Blanche, "Le Groupe des six"

J.-E. Blanche, Le Groupe des six, 1922. Huile sur toile, 190,5 x 112. Musée des Beaux-Arts de Rouen.

Au centre, Tailleferre ; au-dessus  de face, D. Milhaud ; derrière, de profil, A. Honegger ; au fond, debout  de profil, L. Durey ; de face,  F. Poulenc ; en haut à droite, J. Cocteau ; assis à droite, G. Auric.

 Les Mariés de la tour Eiffel, 1921. Ballet collectif d'Auric, Honegger, Milhaud, Poulenc et Tailleferre. Philharmonia orchestra, dir. G. Simon.

F. Poulenc, Suite française, 1935. Ensemble Orphée.

A. Jolivet, Mana, 1931. Six pièces pour piano, n°3, "La Princesse de Bali". Pianiste : C. Mathé.

La musique et la  danse
Le groupe des Six

Dès 1918, Cocteau pose, dans Le Coq et l'Arlequin, ce qui deviendra une sorte de manifeste pour le "groupe des Six" : Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre. Six amis plutôt qu'une véritable "école", ils se retrouvent dans leur opposition - marquée par le nationalisme de leur temps - à la musique allemande de Wagner : structure simple, mélodie claire, tel est leur premier souhait. Cela les conduit à s'inspirer de la culture populaire, folklore, cirque, cabaret, mais aussi du jazz, importé des Etats-Unis, ..., et à rechercher, comme les surréalistes, l'effet de surprise, l'humour. C'est le cas dans Les Mariés de la tour Eiffel, ballet féérique à deux récitants, créé en 1921 par les ballets suédois sur un livret de Cocteau.

 

Ces mêmes souhaits expliquent leur collaboration avec les cinéastes, d'abord ceux du muet, mais ensuite du parlant : ils ont composé des musiques pour plus de 170 films, croisant ainsi une culture musicale savante avec une expression populaire. On les retrouve également au théâtre, par exemple pour les oeuvres de Claudel : Milhaud compose la musique de L'Annonce faite à Marie (1932), Honegger celle de Jeanne au bûcher (1935) et de La Danse des morts (1938).

        Il faut que le musicien guérisse la musique de ses enlacements, de ses ruses, de ses tours de cartes, qu’il l’oblige le plus possible à rester en face de l’auditeur.    

         UN POÈTE A TOUJOURS TROP DE MOTS DANS SON VOCABULAIRE, UN PEINTRE TROP DE COULEURS SUR SA PALETTE, UN MUSICIEN TROP DE NOTES SUR SON CLAVIER. […]

     En musique la ligne c’est la mélodie. Le retour au dessin entraînera nécessairement un retour à la mélodie. […]

        Satie enseigne la plus grande audace à notre époque : être simple. N’a-t-il pas donné la preuve qu’il pourrait raffiner plus que personne ? Or, il déblaie, il dégage, il dépouille le rythme. Est-ce de nouveau la musique sur qui, disait Nietzsche, « l’esprit danse », après la musique « dans quoi l’esprit nage ». 

       Ni la musique dans quoi on nage, ni la musique sur qui on danse : DE LA MUSIQUE SUR LAQUELLE ON MARCHE.[… ]

J. Cocteau, Le Coq et l'Arlequin, 1918

      Lorsque je dis de certains spectacles de cirque ou de music-hall que je les préfère à tout ce qui se donne au théâtre, je ne veux pas dire que je les préfère à tout ce qui pourrait se donner au théâtre. Le music-hall, le cirque, les orchestres américains de nègres, tout cela féconde un artiste au même titre que la vie. Se servir des émotions que de tels spectacles éveillent ne revient pas à faire de l’art d’après l’art. Ces spectacles ne sont pas de l’art. Ils excitent comme les machines, les animaux, les paysages, le danger.

      Cette force de vie qui s’exprime sur une scène de music-hall démode au premier coup d’œil toutes nos audaces. Cela vient de ce que l’art est lent, circonspect dans ses plus aveugles révolutions. Ici, pas de scrupule, on saute les marches.

J. Cocteau, Le Coq et l'Arlequin, 1918

D'Isadora Duncan... à Joséphine Baker.

La danse sous influence

Dans la danse, nous observons ce même désir de naturel, d'abord sous l'influence d'une danseuse américaine, Isadora Duncan (1877-1927). Voulant revenir à une force épurée de classicisme, inspiré par l'hellénisme, elle privilégie l'expression corporelle spontanée : les pieds nus, le corps à peine masqué par des voiles transparents, elle inaugure la danse moderne.

 

Une autre américaine, Joséphine Baker (1906-1975), surnommée "la Vénus noire", illustre cette même influence. Découverte dans la Revue Nègre, au Théâtre des Champs-Elysées en 1925, elle fait scandale en dansant vêtue d'un simple pagne de bananes sur un air de charleston : le rythme effréné désarticule le corps et la gestuelle se fait plus syncopée.

Le groupe Jeune France

Le groupe "Jeune France" : au piano, A. Jolivet ; debout de gauche à droite : Olivier Messiaen, Yves Baudrier, Daniel-Lesur.

Comme dans la société - et dans les autres arts - la crise de 1929 provoque un revirement dans la musique. Quatre musiciens, Yves Baudrier, André Jolivet (Cf. vidéo ci-dessus), Daniel Lesur et Olivier Messiaen, pour lutter contre les excès d'une vie largement mécanisée et déshumanisée,  veulent redonner à la musique une dimension spirituelle, mystique. Ils recherchent, comme le déclare Jolivet, l'"expression magique de la religiosité des groupements humains", et Baudrier écrit, dans le manifeste du groupe, fondé en 1936 : " Les conditions de la vie devenant de plus en plus dures et impersonnelles, la musique se doit d'apporter sans répit à ceux qui l'aiment sa violence spirituelle et ses réactions généreuses." Ainsi tous se retrouvent, malgré leurs divergences musicales, pour exprimer le mystère, celui du cosmos, de l'homme et de la présence divine en lui. Leurs concerts, en 1938, remportent un succès auquel met fin la guerre.

JeuneFrance
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