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Panneau en marbre provenant de la façade nord, registre inférieur, du campanile.
La modalisation : la relation entre l'auteur et son énoncé...  

L'importance de la modalisation

On appelle jeu une activité sans suite, c'est-à-dire telle que la suite est séparée du commencement et suppose qu'on l'efface. Si des enfants construisent une maison de branches, la meublent, la réparent, ce n'est plus jeu. Si un enfant fait commerce tous les jours et amasse des sous, ce n'est plus jeu. Jouer à la maison ou à l'épicerie, c'est imiter une action, mais sans en conserver les effets. Ce qui se voit en clair dans les parties de barre ou de ballon, où il est convenu que la nouvelle partie ne dépend pas de la précédente. Et ce caractère est encore mieux marqué dans les jeux de combinaison (échecs, cartes) où l'on recommence à neuf.

Alain, "Définitions : le jeu" in Les Arts et les Dieux, 1958.

Comparons ces deux textes.

Le jeu est, sans nul doute, une activité sans suite, je veux dire que la suite est séparée du commencement, immédiatement gommé. Observez des enfants qui construisent une maison de branches... S'ils la meublent, la réparent, ce n'est plus jeu ! Un enfant joue à l'épicier... S'il fait commerce tous les jours et amasse des sous, assurément ce n'est plus jeu ! Jouer à la maison ou à l'épicerie, c'est, bien sûr, imiter une action. Mais il ne faut absolument pas en conserver les effets. Cela ne se voit-il pas  en clair dans les parties de barre ou de ballon ? N'y est-il pas convenu que la nouvelle partie ne dépend pas de la précédente ? Et ce caractère, le voilà encore mieux marqué dans les jeux de combinaison (échecs, cartes): nouvelle partie, enjeu nouveau, nouvelle chance de gagner, risque nouveau de perdre.

      Le premier texte, même s'il n'est pas vraiment un article de dictionnaire, se présente comme une définition, introduite par le pronom indéfini : "On appelle jeu...". L'auteur l'explique ensuite, avec "c'est-à-dire", et la soutient par des exemples, d'abord deux négatifs, posés par hypothèses ("Si des enfants... Si un enfant..."), puis positifs, "les parties de barre et de ballon" et "les jeux de combinaison". La seule marque d'insistance dans ce passage est la répétition de "ce n'est plus jeu". L'ensemble de ce texte représente donc l'opinion d'Alain, mais l'auteur reste très neutre, se veut objectif : il ne s'implique pas directement dans son analyse, ne cherche pas à toucher son lecteur.
    Le second texte, tout en reprenant la même définition, adopte un ton bien différent. Déjà, l'auteur s'implique davantage avec la formule "je veux dire" qui remplace le neutre "c'est-à-dire". Il fait appel directement au lecteur par l'impératif, "Observez", suivi de points de suspension qui suggèrent le temps de réflexion, mais aussi au moyen de deux questions rhétoriques : leur forme négative ("ne se voit-il pas... N'y est-il pas convenu...") est une façon d'obliger le lecteur à adhérer à la définition posée. Plusieurs choix lexicaux renforcent aussi les affirmations, tels "sans nul doute", "assurément", "bien sûr", et l'injonction "il ne faut absolument pas..." Remplacer "suppose qu'on l'efface" par "immédiatement gommé" forme une image qui concrétise l'idée qu'un véritable jeu est "une activité sans suite". Ce texte transformé joue également sur le rythme des phrases, avec des phrases plus brèves, et la répétition "ce n'est plus jeu" soulignée par les exclamations. De même le présentatif, "le voilà", attire l'attention sur le dernier exemple, lui-même amplifié par le double chiasme final : "nouvelle partie, enjeu nouveau, nouvelle chance de gagner, risque nouveau de perdre". En entrecroisant l'adjectif répété et les noms, il met en valeur l'idée de nouveauté. Tous ces procédés suppriment la neutralité, l'objectivité du texte originel d'Alain. L'auteur, à présent, exprime son avis nettement, le lecteur perçoit sa conviction, son désir de le persuader. Ce texte est modalisé.

Lecomte du Nouÿ, "Démosthène au bord de la mer s'exerçant à la parole"

J. J.-A. Lecomte du Nouÿ, Démosthène au bord de la mer s'exerçant à la parole, 1872.

Huile sur panneau, 47,5 x 38. Collection privée.

La modalisation

 

Modaliser un énoncé, oral ou écrit, exige la mise en oeuvre de procédés stylistiques  qui permettent à l'auteur de manifester ses sentiments ou son jugement, auxquels s'ajoutent, pour l'orateur, le geste et l'intonation (cf. le pathos et l'éthos, selon Aristote). Etudier la modalisation d'un énoncé aide le lecteur à mieux percevoir l'attitude de l'auteur, ses rejets ou ses convictions, et à mieux distinguer la part de subjectivité qu'il introduit, la façon dont il cherche, par exemple, à l'entraîner dans son camp, à provoquer sa colère ou sa pitié, voire à se présenter comme une victime ou à se disculper d'une accusation.

- Quand il s'agit d'exprimer une plus ou moins grande certitude, un doute, une probabilité, de porter un jugement sur le bien/le mal, le juste/l'injuste, le beau/le laid, le vrai/le faux, on parle de modalisation évaluative.

- Quand il s'agit d'exprimer ses sentiments, le fait d'aimer/de détester par exemple, on parle de modalisation affective.

On nomme "modalisateurs" les outils de la langue qui servent à modaliser l'énoncé.

Les procédés de modalisation
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Les modalités expressives
Modalités
Auguste de Prima Porta

Auguste de Prima Porta, 19 av. J.-C. Marbre. Braccio nuovo, Vatican, Rome.

Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur ? jusqu'où s'emportera ton audace effrénée ? Quoi ! ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les forces répandues dans toute la ville, ni la consternation du peuple, ni ce concours de tous les bons citoyens, ni le lieu fortifié choisi pour cette assemblée, ni les regards indignés de tous les sénateurs, rien n'a pu t'ébranler ! Tu ne vois pas que tes projets sont découverts ? que ta conjuration est ici environnée de témoins, enchaînée de toutes parts ? Penses-tu qu'aucun de nous ignore ce que tu as fait la nuit dernière et celle qui l'a précédée ; dans quelle maison tu t'es rendu ; quels complices tu as réunis ; quelles résolutions tu as prises ?

O temps ! ô mœurs ! tous ces complots, le Sénat les connaît, le consul les voit, et Catilina vit encore ! Il vit ; que dis-je ? il vient au sénat ; il est admis aux conseils de la république ; il choisit parmi nous et marque de l'œil ceux qu'il veut immoler. Et nous, hommes pleins de courage, nous croyons faire assez pour la patrie, si nous évitons sa fureur et ses poignards ! Depuis longtemps, Catilina, le consul aurait dû t'envoyer à la mort, et faire tomber ta tête sous le glaive dont tu veux tous nous frapper.

Cicéron, Premier Discours contre Catilina prononcé devant le sénat, 63 av. J.-C.

Observons

Grammaticalement, on distingue quatre modalités de phrases ; chacune peut être affirmative ou négative :

  • La phrase déclarative, en bleu : Elle reste sans valeur particulière, sauf quand son rythme la met en valeur  (cf. Infra : le rythme).

  • La phrase exclamative, en vert : Parfois simple interjection, telle "Quoi !", elle souligne avec force l'opinion, le sentiment. Ici, elle traduit la colère de Cicéron, et inscrit ce texte dans le registre polémique.

  • La phrase injonctive/impérative, en brun : Elle est régie par un verbe au mode impératif, subjonctif, ou par une tournure marquant l'ordre, les verbes "devoir", "falloir". Ici (en brun), l'ordre n'a pas été donné, le conditionnel passé exprime le regret.

  • La phrase interrogative, en rouge : Elle permet d'impliquer plus fortement le destinataire, ici double puisque le discours s'adresse aux sénateurs romains, mais aussi à Catilina lui-même, apostrophé dans la première phrase. Il s'agit, au début du texte, de questions qui restent sans réponse. En revanche, avec la négation, "Tu ne vois pas... ?", la question est rhétorique : la forme négative sous-entend que la réponse de Catilina ne peut être que "oui". Enfin, on relève une autre forme d'interrogation, "que dis-je ?" : Cicéron se l'adresse à lui-même, feint de se corriger, façon habile d'introduire la déclaration qui suit, en gradation insistante.

Pour s'exercer

Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s’ouvrir ! Cent ans après la Déclaration des droits de l’homme, cent ans après l’acte suprême de tolérance et d’émancipation, on en revient aux guerres de religion, au plus odieux et au plus sot des fanatismes ! Et encore cela se comprend chez certains hommes qui jouent leur rôle, qui ont une attitude à garder et une ambition vorace à satisfaire. Mais, chez des jeunes gens, chez ceux qui naissent et qui poussent pour cet épanouissement de tous les droits et de toutes les libertés, dont nous avons rêvé que resplendirait le prochain siècle ! Ils sont les ouvriers attendus, et voilà déjà qu’ils se déclarent antisémites, c’est-à-dire qu’ils commenceront le siècle en massacrant tous les juifs, parce que ce sont des concitoyens d’une autre race et d’une autre loi ! Une belle entrée en jouissance, pour la Cité de nos rêves, la Cité d’égalité et de fraternité ! Si la jeunesse en était vraiment là, ce serait à sangloter, à nier tout espoir et tout bonheur humain.

Ô jeunesse, jeunesse ! Je t’en supplie, songe à la grande besogne qui t’attend. Tu es l’ouvrière future, tu vas jeter les assises de ce siècle prochain, qui, nous en avons la foi profonde, résoudra les problèmes de vérité et d’équité, posés par le siècle finissant.

Zola, Lettre à la jeunesse, extrait, 1897.

1. Quel rôle joue la modalité interrogative dans chacun de ces extraits ?

2. Relever, dans chaque texte, une phrase injonctive. Comment est-elle renforcée ?

3. Expliquer le rôle de chacune des phrases exclamatives dans ces discours.

Caricature de Victor Hugo, in "Le Charivari", 1849

La misère, messieurs, j'aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir jusqu'où elle est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu'où elle peut aller, jusqu'où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen Âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l'émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n'ayant pour lits, n'ayant pour couvertures, j'ai presque dit pour vêtement, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures s'enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l'hiver.

Voilà un fait. En voulez-vous d'autres ? Ces jours-ci, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n'épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l'on a constaté, après sa mort, qu'il n'avait pas mangé depuis six jours.

Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon !

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m'en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l'homme, que ce sont des crimes envers Dieu !

V. Hugo, Discours du 9 juillet 1849, "Détruire la misère", extrait.

H. Daumier, Les représentants représentés, "Victor Hugo",

caricature in Le Charivari, 20 juillet 1849.

Les choix lexicaux
Lexique
Observons

 La Tour Charlemagne, Tours.

J'avais Quentin Durward dans ma poche ; je suis allé à pied, en lisant, au village de Riche, à vingt minutes de Tours, où l'on voit encore quelques restes du château de Plessis-lez-Tours. Il était bâti en briques ; sur la fin, la peur de Louis XI en avait fait une forteresse : le donjon est tout ce qui reste du vieil édifice.

Caché dans ce palais, ce mélancolique Louis XI faisait pendre aux arbres voisins tous ceux dont il avait peur. Là il mourut en 1483, tremblant et soupirant devant l'idée de la mort, comme le dernier des hommes, enrichissant son médecin et appelant un saint du fond de la Calabre. Ce roi me semble Tibère, plus la peur de l'enfer ; je me rappelle l'excellent portrait que l'on voit au Palais-Royal, et la statue de M. Jalley. J'ai vu de loin les ruines de la fameuse et opulente abbaye de Marmoutiers, de l'ordre de Saint-Benoît, connue des hommes d'aujourd'hui par le Comte Ory ; elle fut détruite en 1793.

À mon retour en ville, je suis allé voir la cathédrale, que l'on m'avait beaucoup trop vantée. Après avoir été deux fois détruite par des incendies, on commença à la reconstruire vers la fin du douzième siècle ; mais on dirait que le pays manquait de piété, car elle ne fut achevée qu'en 1550. On admire la rosace au-dessus du portail et les deux tours assez élevées. Les chanoines, gens de goût, ont fait revêtir de boiseries la base des piliers gothiques du chœur. Le bedeau m'a montré le tombeau en marbre blanc des enfants de Charles VIII. J'ai appris là que l'on appelle Tour de Charlemagne cette tour carrée que l'on donne ici pour un reste de l'ancienne église de Saint-Martin. J'ai vu la bibliothèque, le musée chétif. En sortant de la cathédrale, j'ai trouvé une assez jolie rue ; mais les maisons sont trop basses pour avoir du style, pour dire autre chose au passant, sinon : Vous êtes au village. Cette rue m'a conduit dans la partie de la ville située au couchant de la belle rue ; cet ancien Tours est fort mal bâti.

Stendhal, Mémoires d'un touriste, publication posthume en 1927.

A première vue ce texte ressemble à une sorte de guide touristique, que l'on pourrait intituler : visite de Tours. Mais il est loin d'avoir la neutralité, l'objectivité de ce genre d'ouvrage ! Le lecteur ne peut pas oublier le point de vue de Stendhal, modalisation évaluative :

- Sur Louis XI (en brun) : Le lexique est nettement péjoratif. A la ligne trois, Stendhal évoque "la peur" ressentie par ce roi, peur d'être assassiné, et peur d'être puni pour ses crimes, "peur de l'enfer". Les adjectifs qui le qualifient le rabaissent tous : "mélancolique", "tremblant et soupirant"...

- Plusieurs passages (en bleu) constituent un éloge, notamment ceux qui renvoient à des oeuvres d'art : il signale "un excellent portrait" de Louis XI, rappelle  "la fameuse et opulente abbaye", une "rosace" qu'il "admire". Le dernier éloge concerne les "chanoines", nommés "gens de goût" là aussi pour des raisons esthétiques, pour l'ornementation qu'ils ont fait réaliser.

- En revanche, son jugement (en vert) reste beaucoup plus nuancé sur l'architecture. On le constate par le choix des adverbes, tels "trop", qui permet la critique dans "trop vantée", "trop basse", ou "fort" qui, après une concession ("assez jolie rue") amplifie le jugement péjoratif : "mal bâti". Enfin on note le mépris de Stendhal pour le "musée" local, personnifié comme un être "chétif".

Ajoutons à ces indices une forme de prudence qui amène Stendhal à prendre une distance (formules en rouge) avec son énoncé :

  • par rapport à son jugement sur Louis XI, il précise, en introduisant une comparaison péjorative avec Tibère, empereur tyrannique, par "(il) me semble", comme s'il craignait une objection de son lecteur ;

  • par rapport à la cathédrale, il propose une explication, mais là encore sans la poser avec certitude : elle est atténuée, en effet, par le conditionnel "on dirait".

Ainsi ce texte confirme ce que l'on peut découvrir en lisant la biographie de Stendhal : son goût pour l'art, qui fait de lui un amateur éclairé, un esthète.

Les choix adverbiaux

Les adverbes - locutions adverbiales - peuvent jouer un triple rôle :

- Intensifier, ou inversement, atténuer un jugement, qu'il soit mélioratif ou péjoratif. Par exemple "très", "fort", "si", "tellement", "souvent", "toujours", "trop", "pas du tout"... amplifient, tandis que "rarement", "assez", "(un) peu", "guère" atténuent.

- Exprimer, par leur sens même, un point de vue, mélioratif ou péjoratif. Ainsi "bien" s'oppose à "mal", comme "magnifiquement", "admirablement", "parfaitement", qui introduisent une louange, à "étrangement", "bizarrement", "maladroitement", qui révèlent plutôt un rejet.

- Marquer la plus ou moins grande adhésion de l'auteur à son énoncé. "Sans doute", "apparemment", "probablement", "peut-être" introduisent une probabilité, nuancée, tandis que "vraiment", "assurément", "certainement", "évidemment", par exemple, signalent une certitude.

Lexique péjoratif ou mélioratif

Il est important également de s'intéresser à la valeur péjorative ou méliorative du lexique.

- On observe d'abord le contexte de l'énoncé. Le terme 'individu", par exemple, neutre a priori, peut devenir péjoratif dans le réquisitoire d'un procureur au tribunal qui s'écrie "Regardez cet individu".

- La langue dispose aussi de préfixes et de suffixes qui accentuent la valeur d'un terme, tels les préfixes "extra-" ou "archi-", mélioratifs, comme le suffixe "-issime" dans "excellentissime", face au préfixe "infra-" ou aux suffixes "-ard", "-âtre", "-asse", "-aud/ot", péjoratifs dans "criard", "jaunâtre", "fadasse", "noiraud"...

Le relevé d'un champ lexical est particulièrement significatif. Ainsi la reprise de mots synonymes ou de sens proche traduit l'insistance de l'auteur pour approuver ou critiquer. Enfin, il convient toujours de noter l'emploi d'un comparatif ("plus", "moins") ou d'un superlatif, qui amplifient le sens d'un adjectif.

Les verbes

Pour les verbes, il faut distinguer ce qui relève de leur sens propre de ce qui relève de leur valeur grammaticale.

     Certains verbes traduisent immédiatement le jugement, affectif, tels "aimer" face à "détester", "adorer" face à "haïr", ou évaluatif, "admirer" face à "rejeter" ou "louer" face à "blâmer", pour ne prendre que quelques exemples. Il est important aussi, pour ces verbes, de déterminer avec précision leur intensité. On pourra ainsi mieux mesurer un sentiment, à travers la hiérarchie établie : "craindre", "redouter", "appréhender" n'ont pas la même valeur, de même "détester" est plus faible que "haïr", "abhorrer", "exécrer", en gradation.

Les verbes peuvent aussi permettre d'apprécier la plus ou moins grande certitude du point de vue proposé : "il paraît" introduit un doute, "il (me) semble" traduit la prudence, tandis qu' "il s'avère" affirme nettement. De même, "on peut penser" n'a pas la force de l'injonction "on doit penser"...

 

        Le choix des modes et des temps aide aussi le lecteur à mieux comprendre l'implication de l'auteur.

- Pour les modes, l'indicatif pose une certitude là où le subjonctif marque déjà une prise de distance par rapport à l'énoncé, tandis que le conditionnel marque le doute. Par exemple, on distinguera "Je cherche un garagiste qui réparera ma voiture" - le locuteur est sûr de le trouver - de "Je cherche un garagiste qui puisse réparer ma voiture" - qui sous-entend déjà que la tâche risque d'être difficile - et de "Je cherche un garagiste qui réparerait ma voiture", doute évident sur la possibilité de le trouver... De même, "L'avion a du retard" implique que cela a déjà été annoncé, alors que "L'avion aurait du retard" n'est qu'une hypothèse.

- Les temps aussi peuvent indiquer un point de vue. Il est impossible de reprendre ici toutes les possibilités offertes, mais citons-en quelques-unes :

  • "Il finira son travail" ouvre un avenir, encore indéterminé, tandis que le futur antérieur, "Il aura fini !", pose une certitude, ici renforcée par l'exclamation.

  • "Il lui présenta sa soeur" constitue une simple information, un acte achevé, inscrit dans le passé, tandis que le passé composé, "Il lui a présenté sa soeur", suggère que cette présentation, passée, pourrait avoir un résultat actuel, une relation peut-être...

  • "Si les hommes avaient été raisonnables, il n'y aurait pas eu de guerre" est l'emploi grammatical attendu pour un irréel, une impossibilité posée, tandis que "Si les hommes avaient été raisonnables, il n'y aurait pas de guerre" est un emploi grammatical qui suggère que les guerres actuelles sont un héritage de nos prédécesseurs.

Les verbes, qui jouent un rôle essentiel dans une phrase, doivent donc être observés de façon attentive. 

Pour s'exercer

TEXTE 1

Ce qui me dégoûte dans la guerre, c’est son imbécillité. J’aime la vie. Je n’aime que la vie. C’est beaucoup, mais je comprends qu’on la sacrifie à une cause juste et belle. J’ai soigné des maladies contagieuses et mortelles sans jamais ménager mon don total. [À la guerre j’ai peur, j’ai toujours peur, je tremble, je fais dans ma culotte.] Parce que c’est bête, parce que c’est inutile. Inutile pour moi. Inutile pour le camarade qui est avec moi sur la ligne de tirailleurs. Inutile pour le camarade qui est à côté du camarade en face dans la ligne de tirailleurs qui s’avance vers moi. Inutile pour le fantassin, pour le cavalier, pour l’aviateur, pour le soldat, le sergent, le lieutenant, le capitaine, le commandant. J’allais dire : le colonel ! Oui peut-être le colonel, mais arrêtons-nous. Inutile pour tous ceux qui sont sous la meule, pour la farine humaine. Utile pour qui alors ?

J. Giono, Refus d'obéissance, 1937.

QUESTIONS sur le texte 1

1. Commenter les choix lexicaux dans les trois premières phrases, et dans le passage entre crochets.

2. Quel rôle jouent les mots répétés dans ce passage ?

TEXTE 2

Un artiste habile en cette partie, un massacreur de génie, M. de Moltke, a répondu un jour, aux délégués de la paix, les étranges paroles que voici :

      « La guerre est sainte, d'institution divine; c'est une des lois sacrées du monde ; elle entretient chez les hommes tous les grands, les nobles sentiments : l'honneur, le désintéressement, la vertu, le courage, et les empêche en un mot de tomber dans le plus hideux matérialisme. »

      Ainsi, se réunir en troupeaux de quatre cent mille hommes, marcher jour et nuit sans repos, ne penser à rien, ni rien étudier ni rien apprendre, ne rien lire, n'être utile à personne, pourrir de saleté, coucher dans la fange, vivre comme les brutes dans un hébétement continu, piller les villes, brûler les villages, ruiner les peuples, puis rencontrer une autre agglomération de viande humaine, se ruer dessus, faire des lacs de sang, des plaines de chair pilée mêlée à la terre boueuse et rougie, des monceaux de cadavres, avoir les bras ou les jambes emportés, la cervelle écrabouillée sans profit pour personne, et crever au coin d'un champ, tandis que vos vieux parents, votre femme et vos enfants meurent de faim ; voilà ce qu'on appelle ne pas tomber dans le plus hideux matérialisme.

G. de Maupassant, Sur l'eau, 1888.

QUESTIONS sur le texte 2

1. Relever et expliquer les modalisateurs dans le premier paragraphe.

2. Quelle valeur prend le lexique dans le passage de discours rapporté direct ?

3. Par quels choix lexicaux Maupassant met-il en valeur son jugement sur la guerre dans le dernier paragraphe ?

Le rythme des phrases
Rythme
Ecoutons...
puis obervons.

Vous croyez que le même bonheur est fait pour tous. Quelle étrange vision ! Le vôtre suppose un certain tour d’esprit romanesque que nous n’avons pas, une âme singulière, un goût particulier. Vous décorez cette bizarrerie du nom de vertu, vous l’appelez philosophie. Mais la vertu, la philosophie sont-elles faites pour tout le monde ? En a qui peut, en conserve qui veut. Imaginez l’univers sage et philosophe ; convenez qu’il serait diablement triste. Tenez, vive la philosophie, vive la sagesse de Salomon : boire du bon vin, se gorger de mets délicats, se rouler sur de jolis femmes, se reposer dans des lits bien mollets.

Diderot, Le Neveu de Diderot, 1762-1777.

C. de Gaulle,  Discours du 25 août 1944 à Paris.

L'écoute d'un discours fait bien percevoir le rôle que joue le rythme des phrases dans la modalisation d'un énoncé. Ainsi le discours du général de Gaulle lors de la libération de Paris, outre l'intonation qui traduit son "émotion", est souligné par les segments de phrase nettement détachés, par l'accentuation des mots les plus importants et par les anaphores. On relève, par exemple, la gradation "Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré", avec, ensuite, la reprise de "libéré", complété par le rythme ternaire des adjectifs qui qualifient "la France", "seule", "vraie", "éternelle".

Dans le texte de Diderot, c'est la ponctuation qui permet la mise en valeur du rythme, propre à marquer le point de vue du locuteur, le neveu, que fait parler le romancier. Ainsi, l'exclamation souligne une phrase nominale, d'autant plus qu'ici l'adjectif est antéposé par rapport à l'ordre habituel : "Quelle étrange vision !" Sa brièveté renforce l'ironie du locuteur. Puis intervient le rythme ternaire pour les trois compléments qui critiquent l'adversaire. La reprise parallèle des termes "vertu" et "philosophie" permet un débat entre l'opinion adverse et celle du neveu. "En a qui peut, en conserve qui veut" forme une sorte de maxime, dont la force expressive est accentuée par l'écho sonore entre "peut" et "veut". L'opinion de l'auteur se fait insistante avec un nouveau parallélisme, la reprise du verbe "vive", et est développée, à la fin du passage, par une énumération en gradation, scandée par les virgules.

 

Ainsi, deux techniques s'opposent dans le choix du rythme d'un énoncé :

- Soit l'auteur privilégie la brièveté : Il dispose alors de la phrase nominale, ou met en place une maxime, propre à rester dans les esprits  comme le ferait un proverbe. Il juxtapose de courtes phrases, ou de courtes propositions, juxtaposées par des virgules ou des points-virgules, parfois soulignées par des reprises de mots : c'est ce que l'on nomme la parataxe. Parfois, l'antéposition d'un mot par rapport à une norme syntaxique permet de le mettre en valeur.

- Soit l'auteur privilégie l'élan oratoire : La phrase s'allonge alors, des propositions subordonnées sont introduites, elle devient une période. Dans ce cas, on observe souvent un rythme ternaire, ou le redoublement du rythme binaire. Des parallélismes peuvent scander la phrase, dans laquelle figurent aussi des énumérations.

On notera aussi le rôle de la ponctuation, notamment des points de suspension, qui permettent de suspendre la phrase, en laissant le lecteur libre de compléter ce vide. L'écrivain peut couper son discours par une parenthèse ou des tirets, rupture à commenter. Il peut enfin faire ressortir un mot en le plaçant entre guillemets, soit parce qu'il constitue une citation d'autrui, soit pour prendre une distance, parfois ironique, par rapport au sens courant de ce mot.

Pour s'exercer

TEXTE 1

TEXTE 2

« Tu ne feras pas souffrir les animaux, ou du moins tu ne les feras souffrir que le moins possible. Ils ont leurs droits et leur dignité comme toi-même », est assurément une admonestation (1) bien modeste ; dans l'état actuel des esprits, elle est, hélas, quasi subversive (2). Soyons subversifs. [Révoltons-nous contre l'ignorance, l'indifférence, la cruauté, qui d'ailleurs ne s'exercent si souvent contre l'homme que parce qu'elles se sont fait la main sur les bêtes.] [Rappelons-nous, puisqu'il faut toujours tout rapporter à nous-mêmes, qu'il y aurait moins d'enfants martyrs s'il y avait moins d'animaux torturés, moins de wagons plombés amenant à la mort les victimes de quelconques dictatures, si nous n'avions pas pris l'habitude de fourgons où des bêtes agonisent sans nourriture et sans eau en route vers l'abattoir, moins de gibier humain descendu d'un coup de feu si le goût et l'habitude de tuer n'étaient l'apanage des chasseurs.] Et dans l'humble mesure du possible, changeons (c'est-à-dire améliorons s'il se peut) la vie.

 

(1) Un conseil à valeur morale.

(2) Révolutionnaire.

Marguerite Yourcenar, Le temps, ce grand sculpteur, 1991.

Ce colonel c'était donc un monstre ! À présent, j'en étais assuré, pire qu'un chien, il n'imaginait pas son trépas ! Je conçus en même temps qu'il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l'armée d'en face. Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? Dès lors ma frousse devint panique. Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait continuer indéfiniment ... Pourquoi s'arrêteraient-ils ? Jamais, je n'avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses.

Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? Pensais-je. Et avec quel effroi !... [Perdu parmi  deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en auto, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux !] Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique.

L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.

QUESTIONS

Sur le texte 1 : Commenter le rythme choisi dans les deux phrases entre crochets.

Sur le texte 2 :

1. Relever les phrases nominales : quel rôle jouent-elles ?

2. Commenter l'effet produit par le bouleversement du rythme syntaxique habituel dans le premier paragraphe.

3. Analyser le rythme dans le passage entre crochets : quel rôle joue-t-il ?

Les figures de style
Figures

Pour renforcer la modalisation de son énoncé, l'émetteur dispose aussi des figures de style, qui vont lui permettre d'accentuer - ou, inversement d'atténuer - son implication, son jugement, de le rendre plus explicite en le concrétisant, de frapper l'imagination de son destinataire, d'attirer son attention sur un sentiment ou une opinion par une expression plus originale. On ne passera pas ici en revue toutes les figures de style, très nombreuses, mais celles qui sont les plus courantes et les plus pertinentes.

Les figures par opposition

Une antithèse

Opposition de deux mots ou groupes de mots.

"Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, et nous n'aimons pas toujours ceux que nous admirons." La Rochefoucauld

Un oxymore

Opposition de deux mots, joints dans une même expression.

"(La tortue) se hâte lentement." La Fontaine

Un chiasme

Une double opposition dont les termes se croisent : A B B A.

"Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger." Molière

Une antiphrase

Exprimer le contraire de l'opinion à laquelle on croit : une forme de l'ironie.

"N'écoutant que son courage [...], il se garda d'intervenir." Jules Renard

Un paradoxe

Exprimer une idée opposée à l'opinion généralement admise, pour surprendre, choquer, faire réfléchir.

Parfois, il faut rester silencieux pour être entendu.

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Les figures par substitution

Une périphrase

Remplacer un mot par une expression équivalente, qui le précise ou l'explique.

"Le roi des animaux, en cette occasion, / Montra ce qu'il était." La Fontaine, pour désigner le lion.

Une métonymie

Remplacer un mot par un autre mot ayant un lien logique avec le mot initial, par exemple un contenu/son contenant, un objet/sa matière, un lieu/une fonction.

"Fer, jadis tant à craindre". Corneille, pour désigner l'épée.

Une synecdoque

Remplacer un mot par un autre mot qui désigne le tout au lieu de la partie, ou inversement.

"[...] les voiles au loin descendant vers Harfleur". Hugo, pour désigner les bateaux.

Un hypallage

Rattacher à un mot d'une phrase un terme - souvent un adjectif - qui se réfère, dans la logique, à un autre mot.

"Ce marchand accoudé sur son comptoir avide". Hugo, qui rapporte "avide" au comptoir au lieu de qualifier ainsi le "marchand".

Un zeugma

Rattacher à un verbe unique deux (ou plusieurs) termes coordonnés, dont un seul correspond à ce verbe.

Booz est "vêtu de probité candide et de lin blanc". Hugo, qui rattache à "vêtu" à la fois le tissu de "lin" et la "probité", qualité morale qui n'est pas un vêtement.

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Les figures par analogie

Une comparaison

Mettre en relation deux termes : le comparé est relié au comparant par un mot qui indique leur rapprochement.

"La terre est bleue comme une orange". Eluard

Une métaphore

Mettre en relation deux termes, sans outil pour les relier ; parfois, le comparé s'efface totalement.

"Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie". Ronsard. Il désigne par "roses" les beautés, les instants de bonheur qu'offre la vie.

Une métaphore filée

Mettre en relation deux réalités, à travers plusieurs termes permettant leur rapprochement.

"[...] le berger, soigneux et attentif, est debout auprès de ses brebis ; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il les change de pâturage ; si elles se dispersent, il les rassemble ; si un loup avide paraît, il lâche son chien, qui le met en fuite ; il les nourrit, il les défend ; l’aurore le trouve déjà en pleine campagne, d’où il ne se retire qu’avec le soleil : quels soins ! quelle vigilance ! quelle servitude ! Quelle condition vous paraît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis ? le troupeau est-il fait pour le berger, ou le berger pour le troupeau ? Image naïve des peuples et du prince qui les gouverne, s’il est bon prince." La Bruyère

Une allégorie

Illustrer concrètement une idée, l'imager par un ou plusieurs éléments concrets.

"Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ. / Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant, / Noir squelette laissant passer le crépuscule." Hugo

Une personnification

Représenter une chose, un animal, une idée sous les traits d'une personne. On parle d'animalisation si une personne est transformée en un animal, de réification si un être animé est transformé en une chose.

La personnification : "Elle alla crier famine / Chez la fourmi sa voisine [...] La Fontaine - L'animalisation : "Maintenant que je t'ai arraché les dents, vipère, mords si tu le peux." Dumas - Réification : "C'étais donc ça que j'étais devenu, un cintre portant un costume." Van Cauwelaert

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Pour un tableau complet des figures de style : cliquer sur l'image.
... et des exercices pour les identifier : cliquer sur l'image.
Les figures par amplification et par atténuation

Une hyperbole

Employer un/des terme/s pour amplifier une idée, une image : par l'exagération, c'est un procédé d'emphase, de mise en valeur.

"faire des lacs de sang, des plaines de chair pilée". Maupassant, pour amplifier l'horreur des massacres.

Une anaphore

Répéter le/s même/s mot/s en tête de vers, d'une phrase ou d'un segment de phrase : ce rythme met ce/s mot/s en relief.

"Mon bras qu'avec respect toute l'Espagne admire, / Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire". Corneille, pour mettre en valeur la fierté de Don Diègue.

Une anadiplose

Reprendre le/s dernier/s mot/s d'un vers, d'une phrase ou d'un segment de phrase au début du vers, de la phrase ou du segment suivant. L'expression est alors renforcée.

"L'absence, c'est Dieu. Dieu, c'est la solitude des hommes." Sartre, pour expliquer le rôle de la religion.

Une gradation

Accumuler, pour exagérer une description, ou une idée, des termes classés dans un ordre croissant. Quand l'ordre choisi est décroissant, on parle de decrescendo : l'atténuation de l'expression produit un effet de surprise.

"C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré." Molière, pour mettre en valeur la réaction ridicule de son héros, l'avare Harpagon, face au vol de sa cassette précieuse.

Une anacoluthe

Rompre la construction syntaxique habituelle dans le cours d'une phrase, pour attirer l'attention du lecteur sur le/s mot/s ainsi mis en évidence.

"Celui qui connaîtrait les causes de toutes choses, son rassasiement n'en serait-il pas meilleur ?" Claudel, pour mettre en valeur le besoin de connaissance de l'homme.

Une litote

Atténuer une expression pour, en réalité, en dire davantage. La litote utilise souvent une double négation. Elle peut traduire une forme de pudeur, la peur de choquer, ou être ironique. Elle demande au lecteur de démasquer l'implicite.

"ce garçon-là n'est pas sot, et je ne plains pas la soubrette qui l'aura". Marivaux, pour dire que le garçon est intelligent, que la soubrette sera heureuse avec lui.

Un euphémisme

Atténuer l'expression d'un sentiment, d'une idée, parfois atténuer un seul terme, parce qu'il gêne, choque ou déplaît.

"[...] mais nous nous en allons / Et tôt serons étendus sous la lame". Ronsard, pour atténuer l'évocation de la mort.

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Observons

[...] Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !

Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant

Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,

La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,

Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -

D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !

Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,

Qui produit la richesse en créant la misère,

Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !

Progrès dont on demande : Où va-t-il ? que veut-il ?

Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,

Une âme à la machine et la retire à l'homme !

Que ce travail, haï des mères, soit maudit !

Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,

Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !

Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,

Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,

Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux ![...]

 

V. Hugo, Les Contemplations, "Melancholia", extrait, 1856.

- Les figures par opposition (en noir, soulignées) :

Hugo construit plusieurs antithèses. Il oppose, par exemple, "la misère" vécue par le monde ouvrier à "la richesse" qui naît du développement industriel. A ses yeux, le travail est destructeur de la création divine : il "défait" l'être "qu'a fait Dieu". Il soutient cette idée par deux exemples extrêmes, formant une antithèse qui est, en même temps, une métaphore : si "Apollon", dieu qui symbolise la beauté dans la mythologie, avait été mis, tout enfant, au travail, il serait devenu "un bossu",  et "Voltaire", brillant philosophe symbole de l'esprit des Lumières, "un crétin". Ce double exemple a été annoncé par un chiasme : "La beauté [A] sur  les fronts [B], dans les coeurs [B] la pensée [A]". Le centre du chiasme est ainsi mis en valeur, ce qui montre que la destruction est totale, physique et mentale. Enfin Hugo souligne l'injustice subie par les enfants, par une double métaphore, antithétique : des "innocents" n'ont pas à se trouver prisonniers dans "un bagne", des "anges" ne devraient pas être dans "un enfer".

- Les figures par substitution (en vert) :

Dans ce passage, nous relevons seulement une synecdoque, quand Hugo, au lieu de parler concrètement des "enfants", choisit le mot abstrait, "la jeunesse". Il généralise ainsi sa critique.

- Les figures par analogie (en bleu) :

Pour illustrer les terribles conditions de travail, Hugo élabore de nombreuses métaphores. L'une d'entre elles met en valeur l'aspect glacial de l'usine, faite d'"airain", de "fer", qui s'oppose à la fragilité de l'enfant, imagée plus loin par l'expression "jeunesse en fleur". Cette métaphore a été précédée par une autre, usuelle donc banale, qui fait du résultat un "fruit". Ce résultat est lui-même imagé : la "pâleur" de l'enfant est assimilée à de "la cendre". La fin du passage introduit trois comparaisons, "comme le vice", "comme l'opprobre et comme le blasphème", en gradation, pour dénoncer l'immoralité de cette exploitation des enfants au travail. Le "progrès" est personnifié dans ce passage, doté d'une volonté propre dans l'interpellation que lance le poète : "Où va-t-il ? que veut-il ?" Mais d'autres métaphores dramatisent encore davantage. Hugo donne des traits horribles, d'abord à la "machine", changée en "[m]onstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre", prête donc à dévorer la chair des enfants, métaphore prolongée par l'allusion à son "souffle étouffant". Face à cette terrible condition, l'enfant n'est plus, dans la métaphore, "qui prend l'âge tendre en sa serre", que la proie impuissante d'un "travail" métamorphosé en rapace cruel. Enfin, dans la comparaison qui suit, "ainsi que d'un outil", l'enfant est réifié.

- Les figures par amplification (en rouge) :

Hugo ne cherche pas ici à atténuer sa pensée, au contraire, il multiplie les procédés propres à l'amplifier, à commencer par les très nombreuses anaphores : le démonstratif "ces" qui, comme la reprise du verbe "ils vont", place les enfants sous les yeux du lecteur, la reprise de "tout", de "jamais" en tête de propositions, ou celle du mot "travail". L'anaphore du pronom relatif "qui" lui permet d'amplifier, par le rythme ternaire, les dégâts causés par le "progrès".  L'anadiplose de "maudit" souligne la colère du poète, qui oppose, à la fin de l'extrait, cet esclavage industriel au "vrai travail", opposition renforcée par la gradation élogieuse, "sain, fécond, généreux".      

L'ensemble de ces figures de style inscrit ce poème dans le registre polémique.

Pour s'exercer sur les figures de style...
Béraud, "Parisienne sur la place de la Concorde", vers 1885

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté

Dont le regard m'a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

 

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !

Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

 

Baudelaire, Les Fleurs du mal, Section "Tableaux parisiens", "A une passante", 1857

QUESTIONS

Dans chacune des strophes de ce sonnet :

1. Relever, et nommer les figures de style, en précisant la catégorie dans laquelle chacune s'inscrit.

2. Commenter l'effet produit par ces choix. 

J. Béraud, Parisienne sur la place de la Concorde, vers 1885. Huile sur bois, 35 x 25.Musée Carnavalet, Paris.

... et sur l'ensemble des procédés de modalisation.
Renoir, "Danse à la ville", 1883.

P. A. Renoir, Danse à la ville, 1883. Huile sur toile, 180 x 90.

Musée d'Orsay, Paris.

La voici mariée, c'est-à-dire lâchée dans les salons. Et maintenant, d'après nos lois, nos usages, nos règles, il lui est permis d'être coquette, élégante, entourée, adulée, aimée. Elle est femme du monde. [ Elle est Parisienne. C'est-à-dire qu'elle doit être la séductrice, la charmeuse, la mangeuse de cœurs ; que son rôle, son seul rôle, sa seule ambition de mondaine doit consister à plaire, à être jolie, adorable, enviée des femmes, idolâtrée des hommes, de tous les hommes ! ]

Est-ce vrai, cela ? N'est-ce pas le devoir d'une femme de nous troubler ? [ Tous les artifices de la toilette, toutes les ruses de la beauté, toutes les habiletés de la mode, ne les considérons-nous pas comme légitimes ? ] Que dirions-nous d'une Parisienne qui ne chercherait point à être la plus belle, la plus adorée ? Ne sommes-nous pas fiers d'elles, même sans être leurs maris ? Nous vantons leurs toilettes, nous célébrons leur grâce, nous louons leur coquetterie !

Et vous prétendez, moralistes stupides, que tous ces frais soient dépensés en pure perte. Vous voulez que ces femmes donnent tous leurs soins, toute leur intelligence, tous leurs efforts à l'art de plaire, et cela pour rien ? Vous voulez qu'elles nous affolent d'amour sans jamais perdre leur sang-froid, sans jamais céder à nos obsessions, sans jamais tomber dans nos bras désespérément tendus ? [ Mais, brutes que vous êtes, ô prêcheurs de fidélité matrimoniale, alors il faut supprimer du monde la Parisienne telle que l'a faite la civilisation, et n'admettre que la femme du foyer, la femme toujours occupée des soins du ménage, toujours chez elle à laver les enfants, à compter le linge, et simplement vêtue et modeste comme une oie. ]

Ce serait plaisant, assurément, une société qui n'aurait point d'autres femmes !

 

Guy de Maupassant, Un dilemme, 22 novembre 1881

QUESTIONS

1. Relever les modalités expressives, et préciser le rôle de chacune d'elles.

2. Commenter, dans le troisième paragraphe et la dernière phrase, les choix lexicaux significatifs du jugement de Maupassant.

3. Analyser les choix de rythme dans les trois passages entre crochets, et commenter l'effet ainsi produit.

4. Classer les figures de style en fonction de leur catégorie. Puis, pour chaque catégorie, déterminer leur rôle par rapport à la modalisation.

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