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Pour mieux lire une oeuvre intégrale...

Les objectifs de lecture d'une œuvre intégrale

Lire sur la plage, lire allongé sur son lit, lire dans un train... tourner les pages - ou faire défiler l'écran pour un livre électronique - à mon rythme, lire est, en principe, un loisir, et, surtout, un signe de liberté... Mais comment concilier cette liberté  avec la lecture d'une oeuvre que je n'ai pas choisie ? Et, surtout, comment aborder cette oeuvre pour pouvoir, ensuite, rendre compte de ma lecture ? Comment affiner ma compréhension de cette oeuvre ? Comment justifier mon jugement sur elle à partir de critères précis ?

Le compte rendu de la lecture d'une oeuvre intégrale ne se limite pas, en effet, à la seule capacité d'en résumer "l'histoire", ni de lancer quelques remarques sur tel ou tel personnage, apprécié pour son comportement, ou sur un événement raconté, jugé important. Mais il est impossible aussi d'en faire une analyse détaillée comme on le ferait sur un texte de quelques lignes.

Or, le nouveau programme du baccalauréat place en son cœur des  œuvres à étudier dans leur intégralité, soit collectivement, dans la classe, soit de façon autonome, en lecture cursive.

  • Dans le premier cas, le professeur construit l'étude, d'une part à partir d'extraits assez brefs qui feront l'objet d'une explication, d'autre part à partir d'ensembles plus longs, soit, par exemple, un chapitre de roman ou plusieurs scènes d'exposition ou de dénouement au théâtre, soit par l'étude transversale d'un des centres d'intérêt de l'œuvre, par exemple l'évolution d'un personnage, ou les cibles d'une critique... 

  • Dans le second cas, l'élève choisit son approche, mais devra, lors de l'épreuve orale, pouvoir justifier ses choix, celui de l'œuvre elle-même d'abord, puis des interprétations qu'il aura pu en tirer. Cela implique qu'il en ait lui-même effectué une analyse.

La première approche : le contexte
La recherche préalable

La lecture d'une œuvre littéraire peut être comparée à un voyage : je m'apprête à découvrir des lieux, une époque, des personnages et leurs actions. Or, avant de voyager dans un pays inconnu, je m'informe sur les sites intéressants, sur les monuments, les musées, et, plus largement, sur son histoire, son climat, les traditions et les modes de vie de ses habitants... De la même façon, avant d'entreprendre la lecture, et pour mieux comprendre l'oeuvre, il convient d'effectuer une recherche sur son contexte, mot à prendre ici au sens large.

Nous disposons, pour cela, du nom de l'auteur, de la date de parution de l'oeuvre, et de son titre.

L'époque
L'auteur
L'œuvre

Les connaissances biographiques sur l'auteur, notamment sur son origine sociale, sa formation, sa plus ou moins grande implication dans l'histoire de son temps, et sur les événements qui l'ont marqué, améliorent la compréhension.

Dans cette approche biographique, on porte un intérêt particulier à sa carrière littéraire, aux difficultés rencontrées, à ses succès, ou à ses échecs.
Connaître l'auteur implique aussi de chercher
comment il se situe par rapport aux courants d'idées de son époque : les accepte-t-il, les rejette-t-il, en prône-t-il d'autres ? S'inscrit-il dans un courant littéraire, a-t-il été actif dans un groupe d'artistes, a-t-il participé à des débats ? Ou bien a-t-il choisi une forme de marginalité ?

Enfin, l'œuvre a-t-elle eu des conséquences sur sa vie et sur sa production ultérieure ?

En lisant la biographie de l'auteur, nous trouvons forcément des indications sur son œuvre en général, et sur celle que nous allons lire. Cela nous amène à nous interroger sur le genre littéraire.

Déjà, s'agit-il d'une œuvre orale à l'origine, tel un sermon, un discours, ou écrite ? A quelle occasion l'œuvre a-t-elle été produite, est-ce une commande par exemple ou un libre choix ? Est-elle une réponse à d'autres oeuvres de cette époque, la suite d'une œuvre antérieure ? Où a-t-elle été publiée, en France, à l'étranger, et comment : en plusieurs volumes, en feuilleton... ?

Puis nous observons plus précisément la place qu'occupe le genre choisi dans la littérature du temps, est-il alors apprécié ? Et quels sont les critères qui déterminent ce genre : doit-il obéir à des règles, par exemple, à des normes de production ou esthétiques?

La date de l'œuvre indique  l'époque de sa parution. En la croisant avec les dates de vie et de mort de l'auteur, on vérifie que cette parution n'est pas posthume. Puis, on recherche les faits historiques essentiels immédiatement antérieurs à l'écriture, qui ont pu l'influencer.

Il est important aussi de connaître les conditions sociales, notamment celles qui influencent la production des œuvres littéraires et leur réception par le public. Deux questions sont à poser :

  • Comment publie-t-on à l'époque ? Par exemple, faut-il une autorisation du pouvoir politique, est-il aisé de trouver un éditeur, existe-t-il une censure...?

  • Comment l'œuvre est-elle diffusée ? Cela concerne son accessibilité, plus ou moins facilitée, et le public lui-même. Qui pourra la lire, la voir jouée s'il s'agit de théâtre, la commenter, voire la critiquer..?

Entraînons-nous...
Œuvre à lire : Livre I des Fables de Jean de La Fontaine, 1668

1. Sur l'époque :

- Revoir rapidement le contexte historique de la seconde moitié du XVII° siècle, le règne de Louis XIV, avec les guerres menées et la façon dont le roi établit la monarchie absolue.

- Revoir surtout l'organisation de la société (les trois "ordres") et les conditions de publication avec "Privilège du Roi" pour l'autoriser.

2. Sur l'auteur : 1621-1695

- Voir sa biographie : sa formation (études religieuses, vite délaissées au profit de la poésie), puis juridiques pour devenir avocat. Il fréquente des poètes, et connaît des difficultés financières. Sa relation avec Fouquet, son mécène, arrêté en 1661, lui vaut l'inimitié du roi. Devenu "gentilhomme servant" de la duchesse d'Orléans, il participe à la vie mondaine dans les salons.

- Il s'inscrit dans le classicisme, prenant parti pour les Anciens dans la "Querelle des Anciens et des Modernes" qui divise la fin du siècle.

3. Sur l'œuvre : le Livre I des Fables (1668)

- Les œuvres antérieures : Le Songe de Vaux  (1659), commande de Fouquet, est sa première oeuvre poétique, et L’Élégie aux nymphes de Vaux (1662) est écrite pour implorer la clémence du roi envers Fouquet. En 1665 et 1666, il publie deux volumes de Contes et nouvelles en vers, oeuvre où la grivoiserie se donne libre cours.

- Le premier recueil, six livres en deux volumes, publié en 1668 chez l'imprimeur et libraire Barbin, est illustré par François Chauveau, dessinateur célèbre. Il comporte 124 fables, et le succès est immédiat, ce qui conduit l'auteur à publier deux autres recueils.

- La fable : C'est un genre hérité de l'antiquité, des auteurs grec, Ésope (VII°-VI° s. av. J.-C.), et latin, Phèdre (15-50). Forme d'apologue, elle présente un court récit fictif, qui conduit à une morale. Au moyen âge paraissent de nombreux recueils de fables, les isopets : le choix de personnages animaux pour représenter les hommes permet au fabuliste - et notamment sous la monarchie absolue - de critiquer en contournant la censure. Sa forme, avec la versification, satisfait une des exigences du classicisme : associer "plaire" et "instruire".

Œuvre à lire : Le Chevalier Des Touches de Jules Barbey d'Aurevilly, 1864

1. Sur l'époque :

- Revoir le contexte historique de la seconde moitié du XIX° siècle, le Second Empire, avec le pouvoir autoritaire de Napoléon III, qui fait suite à la période de Restauration monarchique et à la brève Seconde République de 1848 à 1851, espoir de retrouver les valeurs de la Révolution de 1789, rapidement déçu.

- Revoir l'organisation de la société : la place de la noblesse,  de la bourgeoisie et du peuple.

2. Sur l'auteur : 1808-1889

- Voir sa biographie : sa famille d'origine normande, attachée à la monarchie. Il rompt avec elle en 1833, mène une vie de dandy, plutôt débauché, et affiche des idées républicaines, puis revient à un catholicisme fervent et militant en 1846-47 et à des idées monarchistes extrêmes.

- Avant qu'il entreprenne une carrière de journaliste (notamment en fondant La Revue du monde catholique, qui paraît en 1847) et de critique littéraire, sa rencontre avec le libraire Trébutien - devenant ensuite un véritable ami - le pousse à publier ses premières nouvelles, sans grand succès. Mais il s'y montre déjà proche des Romantiques, avec une évidente admiration pour Balzac. 

- Ses fréquentations, dans les salons mondains, révèlent ensuite sa proximité avec les novateurs, décadents et symbolistes, tandis qu'il rejette avec force le réalisme, le naturalisme et les Parnassiens.

3. Sur l'œuvre : Le Chevalier Des Touches, un roman (1864)

- Les œuvres antérieures : C'est la parution, en 1851, d'un roman, La vieille Maîtresse, qui attire l'attention de la critique sur cet auteur, roman dont la sensualité passionnée contredit les idées monarchistes alors adoptées.

- L'œuvre,  commencée en 1852, sous l'influence de sa maîtresse, la baronne de Bouglon, qu'il surnomme "l'Ange blanc", est un roman historique, terme a priori contradictoire, puisque le roman implique la "fiction" là où l'Histoire suppose l'objectivité. Le choix de ce genre implique aussi que nous devons accorder une grande importance à l'actualisation spatio-temporelle et à la vérité des personnages.

À l'issue de cette première approche, nous disposons de quelques notes au brouillon. D'une part, elles nous permettent de construire une introduction, si nous devons produire une fiche d'étude, ou un dossier d'analyse. D'autre part, elles vont guider notre lecture de l'œuvre : en nous permettant de poser une problématique d'étude, elles attirent notre attention sur les points essentiels. Par exemple, pour le Livre I des Fables, nous nous intéresserons à l'art du récit (décor, choix des personnages, mais aussi versification), à la ressemblance à établir avec la société de cette époque, mais aussi à la "morale", c'est-à-dire à la dimension critique - de quoi ? de qui ? - et aux idéaux posés par La Fontaine. Pour Le Chevalier Des Touches, nous étudierons le contexte historique, géographique, social dans lequel s'inscrit le récit, et la forme prise par l'énonciation, nous nous demanderons si le roman reflète la personnalité de Barbey d'Aurevilly, et s'il présente des critères encore romantiques, ou déjà propres à l'esprit décadent de la fin du siècle.

Pour s'exercer...

Effectuer une recherche préalable à un compte rendu de lecture de "La Parure" de Maupassant, Contes du jour et de la nuit, 1885.

Gil Blas, couverture, 8 octobre 1893. Illustration pour La Parure.

Illustration pour "La Parure" de Maupassant.

Nadar, Guy de Maupassant, 1888. Photographie.

Nadare, photographie de Maupassant, 1888.

La Parure, film de Chabrol, 2006

Introduction
Anticiper le contenu de l'oeuvre

Dans un deuxième temps, nous effectuons une observation plus détaillée du livre que nous avons entre les mains, afin d'en anticiper le contenu, d'affiner les pistes dégagées par la recherche préalable, de formuler plus précisément des hypothèses de lecture.

Les hypothèses de lecture

Nous observons, préalablement à la lecture du texte lui-même, le livre, soit imprimé dans l'édition que nous avons choisie - ou dans celle qui nous a été imposée -, soit sous un format électronique,

- de l'extérieur : sa couverture, parfois illustrée, son titre, la mise en page typographique, quelquefois des illustrations intérieures...

- le paratexte, c'est-à-dire ce qui précède - et suit - le texte : une préface (ou une postface), éventuellement une dédicace, un avertissement au lecteur, une citation en exergue, mais aussi un sommaire à la fin...

Observation extérieure

- La couverture d'un livre imprimé : Elle comporte 4 pages, dont deux extérieures,

  • La 1ère de couverture : On observe l'organisation de la page, les polices de caractères adoptées, l'espace occupé par le titre, le nom de l'auteur, la mention éventuelle de l'éditeur, d'une date, d'une collection, d'un genre littéraire. S'il y a une illustration, son choix (sa nature, son époque, ce qu'elle représente, les couleurs...) donne lieu à des hypothèses sur le/s lien/s avec l'oeuvre.

  • La 4ème de couverture : Beaucoup d'éditeurs, notamment pour les collections dites "de poche", y font figurer un court résumé, voire des extraits de jugements critiques, propres à orienter la lecture, et l'ISBN (International Standard Book Number) qui permet d'identifier immédiatement l'ouvrage.

  • Les 2ème et 3ème pages de converture, intérieures, peuvent rester blanches, ou comporter des informations sur l'auteur, la date, l'éditeur, et l'ISBN de la première publication. Parfois s'y ajoutent la mention de l'imprimeur et ses coordonnées.

- Le livre électronique fournit, en général, les mêmes informations, différemment ordonnées, mais plus rarement une illustration. Un résumé, des jugements critiques, une courte biographie de l'auteur sont proposés, le plus souvent au moment du téléchargement, par le fournisseur d'accès.

- Il est utile aussi de feuilleter le livre pour y découvrir d'éventuelles illustrations qui viennent enrichir les hypothèses sur le contenu du livre, décors par exemple, ou personnages... 

Un remarquable dossier de la BnF, pour en savoir plus sur l'évolution du livre, sa composition, sa mise en forme : cliquer sur l'image.
Le paratexte

- Le titre : Il est essentiel d'analyser signeusement chacun des termes qui le composent, y compris les déterminants ("le", article défini n'a pas la même valeur que l'article indéfini "un"), leur sens propre, et ce qu'ils peuvent suggérer.

- Le sous-titre : Il peut mentionner une forme (par exemple "récit") ou un genre littéraire, et, parfois, apporter une précision sur le contenu même de l'œuvre.

- Les préface et postface : On vérifie d'abord si elles ont été composées par l'auteur de l'œuvre, et quand.

  • La préface, rédigée par l'auteur, apporte des éléments précieux sur les circonstances de l'écriture, le choix du sujet, des lieux décrits, des personnages. Elle informe aussi sur les objectifs, ou le style de l'écrivain, parfois sur les difficultés rencontrées.

  • La postface, en général écrite a posteriori, est une réponse à la réception de l'œuvre, notamment aux reproches adressés. L'auteur s'y justifie donc, et, si elle est introduite lors d'une seconde édition, peut y expliquer des changements effectués.

En revanche, composées par un autre auteur, il est préférable de ne pas les lire préalablement, car le lecteur risquerait de se laisser influencer, et de ne pas comprendre les analyses.

- Les avertissement, prologue, adresse au lecteur : quel que soit le nom qu'on lui donne, ce texte, court, précise le lien que l'auteur veut créer avec son lecteur. Il oriente sa lecture, attire son attention sur l'objectif essentiel de l'oeuvre.

- La dédicace : On identifie le dédicataire, car il peut avoir influencé l'écriture, être directement concerné par le sujet, ou représenter le lecteur souhaité par l'auteur.

- La citation en exergue : Son auteur peut être un modèle pour l'auteur, elle signale éventuellement un emprunt, et, souvent, elle indique une opinion, un point de vue propre à éclairer la lecture.

- Le sommaire : Il indique les parties de l'ouvrage (actes, chapitres, sections...), parfois avec des titres, à analyser.

À l'issue de cette double observation, le lecteur élabore des fiches qu'il remplira au fur et à mesure de sa lecture de l'oeuvre elle-même. Par exemple, une fiche "auteur" peut être complétée s'il découvre, dans l'oeuvre, des allusions à sa vie ou à sa personnalité, ou même si un personnage s'avère son porte-parole. Il y aura également des fiches sur le/s thème/s déjà perçu/s, probablement sur les lieux, l'époque, peut-être sur quelques personnages. Enfin, les hypothèses dégagées peuvent porter sur les procédés d'écriture, le style, qui fera aussi l'objet d'une fiche.

Observation
PréfacePostface
Entraînons-nous : Emmanuel Roblès, Montserrat, 1948, édition "Le Livre de poche".
Goya, "Fusillade du 3 mai 1808", 1814

Goya, Fusillades du 3 mai 1808, 1814. Huile sur toile, 268 x 347, détail. Musée du Prado, Madrid.

Juillet 1812. Le chef vénézuélien Francisco Miranda est vaincu et capturé par le capitaine général espagnol Monteverde.

Simon Bolivar, lieutenant de Miranda, est en fuite. Caché par des patriotes, il a pu, jusqu’ici, échapper aux recherches. Les Espagnols occupent les trois quarts du pays. La répression est terrible. Massacres et pillages se succèdent.

Depuis sa création en 1948, cette pièce, dont Albert Camus disait : « Elle ne doit rien à aucune école ou à aucune mode et pourtant elle s’accorde à la terrible cruauté du temps sans cesser de se référer à une pitié vieille comme le cœur humain », n’a jamais cessé d’être jouée dans quelque partie du monde. Elle a été adaptée en plus de vingt langues.

La quatrième de couverture

La première de couverture

Pour l'illustration, l'éditeur indique qu'il s'agit d'un détail de Fusillades du 3 mai 1808, en espagnol El tres de mayo de 1808 en Madrid, tableau peint par Goya en 1814. Une recherche nous apprend que Napoléon Ier, après avoir envahi l’Espagne, a installé sur le trône son frère Joseph Bonaparte. Mais le peuple de Madrid se soulève, et cette émeute déclenche une terrible répression.

Bourreaux et victimes sont face à face, et le centre du tableau est barré, à l’horizontale, par la ligne rigide des fusils, derrière laquelle on voit un paysan, le visage caché entre ses mains, comme pour ne pas voir cette scène de violence et de mort. On note le contraste de lumière : l’ensemble est sombre, telle une nuit mortelle seulement éclairée, de façon dramatique, par la lanterne (en partie masquée par le logo de l'éditeur) posée au premier plan. Elle révèle la tache rouge du sang qui a déjà coulé de la victime au sol, et met en valeur la chemise blanche de l’homme qui va être fusillé, dont l’innocence est ainsi suggérée. Figure centrale du tableau, il lève les bras vers le ciel : geste d’ultime reddition, ou geste d’un crucifié implorant un Dieu qui reste sourd à sa prière ? Sa résistance semble, par avance, vaine, car la terreur se lit sur son visage ! Un prêtre tonsuré, penché sur la victime, en bas sur la gauche, joint aussi les mains pour prier… et la religion est aussi représentée par le clocher, en arrière-plan.

Le noir du ciel met en valeur le prénom et le nom de l'auteur, et, en-dessous, le titre de l'œuvre, avec des couleurs qui s'harmonisent à celles du tableau. Le titre reste hermétique : nous pouvons supposer qu'il s'agit soit d'un nom de personne - ce serait alors le héros éponyme -, soit d'un toponyme... En revanche, le tableau ouvre de nombreuses pistes :

  • Ce tableau illustre-t-il l'action de l'œuvre, ou une action similaire, à une autre époque ?

  • Retrouverons-nous, dans l'œuvre, cette opposition entre des personnages "bourreaux" face à leurs "victimes" ? Si "Montserrat" est le nom d'un personnage, dans quel camp se range-t-il ?

  • Terreur et pitié, tels sont les deux sentiments que ce tableau suscite : nous pensons alors à la définition du tragique formulée par le philosophe grec de l’antiquité, Aristote.

  • La religion jouera-t-elle aussi un rôle de soutien aux victimes dans l'œuvre ?

La quatrième de couverture

L'éditeur insère un texte, en deux parties :

- Les deux premiers paragraphes proposent un très bref résumé. Il pose d'abord le cadre spatio-temporel (en rouge), complétant ainsi le choix du tableau. L'action se situe en "1812", et les Espagnols ont ici un rôle inversé : ils "occupent les trois-quarts du pays", c'est-à-dire du Vénézuéla, comme les font alors les Français en Espagne. Eux aussi se livrent à une "répression [...] terrible", précision (en marron) nous confirmant le registre tragique que suggérait déjà le tableau. Plusieurs personnages (en bleu) sont nommés : nous y repérons les "bourreaux" et les "victimes". Le fait de former un nouveau paragraphe pour l'annonce de la "fuite" de Bolivar, la met en valeur : est-ce là l'enjeu de l'oeuvre ? Ainsi s'ouvre un horizon d'attente possible (en vert) : Bolivar pourra-t-il "échapper aux recherches" encore longtemps ?

- Le troisième paragraphe joue un double rôle :

  • L'éditeur mentionne le genre de l'œuvre (en violet) : une "pièce" de théâtre, dont il souligne la valeur (en violet), en précisant son succès, toujours actuel. Il cherche, de toute évidence, à pousser un lecteur à l'achat. De même, par la référence à Camus, il fait appel à la culture de ce lecteur potentiel, en créant un rapprochement entre cet auteur, connu, et celui de la pièce, Roblès, dont il fait l'éloge, nouvelle incitation à l'achat. Une recherche biographique nous apprend, en effet, que tous deux sont originaires d'Algérie, et qu'ils ont tous deux joué un rôle actif dans la Résistance lors de la Seconde guerre mondiale.

  • La citation elle-même (en jaune) confirme à nouveau le registre tragique, avec les termes "terreur" et "pitié". De  plus, Camus nous invite à lier l'œuvre à la "cruauté du temps" : quels rapports établir entre les actes et les personnages de la pièce et l'actualité de 1948 ? Mais la remarque sur son rattachement à "aucune école" nous invite à y voir une oeuvre intemporelle, classique dans sa forme, point que nous devrons analyser

Le paratexte

- Une courte biographie de Roblès figure dans la première page . Elle nous confirme sa ressemblance à Camus : il "naît en Algérie" en 1914. Nous y apprenons aussi qu'il a été à la fois romancier, auteur de nouvelles, et de pièces de théâtre.

- Puis viennent deux pages, sans auteur mentionné, dont voici un extrait :

      L'auteur aurait pu situer le sujet de cette pièce dans l'Antiquité romaine, l'Espagne de Philippe II, la France de l'Occupation, etc. Il a d'ailleurs longtemps hésité. Ce qui a décidé son choix pour l'époque de l'indépendance sud-américaine, c'est simplement que certains travaux sur l'histoire de jeunes républiques latines, menées parallèlement, le tenaient déjà, comme on dit, dans l'atmosphère.

     On ne doit pas, pour autant, considérer tous les faits groupés autour du sujet essentiel comme rigoureusement conformes à la vérité historique. L'auteur s'est moins soucié de respecter cette vérité historique que de rendre perceptible ce que son thème a d'universel.

    Ce qui demeure cependant authentique, c'est la sauvagerie de la répression espagnole. Mentionnons par exemple que le vrai Moralès se plaisait à faire écarteler ses prisonniers ; qu'Antonanzas se réservait le plaisir d'éventrer les femmes enceintes et envoyait à ses amis des caisses remplies de mains coupées ; que le véritable Zuazola jouait à crever les yeux de ses ennemis à coups de lancette et que le moine Eusebio de Coronil préconisait que l'on exterminât tous les Vénézuéliens âgés de plus de sept ans. [...]

  Comme cette cruauté, ces massacres ne sont pas spécifiquement de l'époque bolivarienne, que depuis des siècles et sur toute la surface du monde la  même douleur a fait hurler des  hommes - sur les croix où agonisaient les derniers compagnons de Spartacus, sur les chevalets des Inquisiteurs du siècle noir ou dans les modernes officines à torturer, - on a compris que l'auteur n'a voulu emprunter à l'Histoire qu'un prétexte, un décor, une couleur... 

Les deux premières phrases, malgré l'énonciation à la 3ème personne, nous laissent comprendre que "l'auteur" est Roblès lui-même, qui explique "son choix". Dans le deuxième paragraphe, il pose la question de la "vérité historique", sous un angle double :

  • d'un côté, il affirme son droit de ne pas la "respecter" de façon stricte ;

  • de l'autre, il donne des exemples précis de "sauvagerie de la répression espagnole". Nous pouvons supposer que les personnages cités, dont un "moine" qui est ici dans le camp des "bourreaux", figureront dans la pièce.

Le dernier paragraphe, par les exemples donnés, reprend l'idée exprimée dans la quatrième page de couverture : le "thème [est.] universel" et intemporel. En fait, "l'Histoire [n'est] qu'un prétexte".
Ce texte, tel une préface, invite donc le lecteur à réfléchir sur la "cruauté" mise en scène dans la pièce, sur la façon dont Roblès rend "perceptible" cette universalité.

- Les deux pages suivantes, avec la police italique, constituent une longue didascalie initiale, comportant quatre éléments :

  • Deux d'entre eux sont traditionnels au théâtre : la liste des personnages et le décor. C'est en général l'auteur qui les rédige.

  • Mais les deux autres sont plus originaux. Nous y retrouvons le court résumé de la situation, déjà proposé dans la quatrième de couverture, et, à la fin, sont évoquées les trois premières représentations, leur lieu et les acteurs qui les ont assurées. Ce serait donc plutôt l'éditeur qui interviendrait ici. Notre attention est attirée par le fait que la première représentation a eu lieu "[l]e même jour" à Paris et à Alger. Outre le fait que Roblès est originaire d'Algérie, ce choix, en 1948, est à rapprocher de la colonisation française, qui se livre à une répression face aux premières révoltes autour du "statut" de l'Algérie.

Pour le décor, il est unique pour les "trois actes", ce qui nous rappelle la règle d'unité de lieu propre au théâtre classique. Roblès respectera-t-il aussi l'unité de temps et celle d'action ? Ce décor nous place dans une atmosphère guerrière, un peu effrayante, car les "murs épais", les "fenêtres à gros barreaux" font plutôt penser à une prison qu'à une "salle de garde". Sont aussi mentionnés deux lieux hors scène, symboliques : "la place d'armes", mise en relation avec l'illustration de couverture, suggère des "fusillades", le "palais", lui, rappelle le pouvoir des Espagnols sur le Vénézuéla.

Quant à la liste des personnages, elle éclaire déjà le titre de l'œuvre : "MONTSERRAT", cité en tête, en est bien le héros. C'est un "officier espagnol donc dans le camp des occupants. On note sa jeunesse, "28 ans", par rapport aux autres officiers espagnols mentionnés ensuite. Regroupés dans la liste, nous y retrouvons les personnages espagnols dont la cruauté a été montrée dans la "préface", sûrement moins importants qu' "IZQUIERDO", leur supérieur hiérarchique, présenté seul. La mention du "PÈRE CORONIL" nous rappelle la place de la religion, déjà envisagée à partir du tableau de Goya. "Soldats et moines" sont également repris en fin de liste, à titre de figurants donc. Dans les noms de personnages ensuite cités, nous observons d'abord la mention de deux femmes, avec une différence puisque, si l'une figure avec son seul prénom, "ÉLÉNA, 18 ans", l'autre porte une appellation plutôt symbolique : "LA MÈRE, 30 ans". À cela s'ajoute leur différence d'âge. De la même façon, tandis que, pour les trois premiers hommes, nous connaissons leur prénom, leur nom, leur âge et leur profession, le dernier n'est présenté que par son prénom "RICARDO", et son âge, "20 ans", ce qui le rapproche d'Eléna.

Elaboration des fiches

À partir de cette analyse, nous pouvons prévoir les fiches suivantes, que nous remplirons au fur et à mesure de la lecture : image de la colonisation espagnole - rôle de la religion : le Père Coronil - les victimes - le héros, Montserrat - les personnages secondaires : hommes, femmes - la vérité historique ? - l'universalité ? - le registre tragique : terreur et pitié - le décor, la mise en scène.

Pour s'exercer...
Marivaux, "L'ïle des esclaves", Ed. Hachette.

À la suite d'une violente tempête, Iphicrate et Euphrosine, deux maîtres accompagnés de leurs esclaves, Arlequin et Cléanthis, échouent sur une île : l'île des esclaves. Ses habitants — des esclaves révoltés qui ont fui la Grèce antique â€” ont pour coutume de réduire en esclavage les maîtres et de rendre leur liberté aux esclaves. C'est donc un monde à l'envers que découvrent alors nos quatre naufragés, contraints d'échanger leurs habits, mais aussi leur condition…Au-delà du simple ressort comique, cette inversion nous invite à regarder sous un jour nouveau la société du XVIIIe siècle, mais aussi toute forme de hiérarchie sociale.

Quatrième de couverture de L' Île des esclaves de Marivaux.

1. En vue de l'élaboration d'un dossier sur L'Île des esclaves (1725) de Marivaux, proposer des hypothèses de lecture à partir de la 1ère et de la 4ème de couverture de l'édition ci-contre

Flaubert, "Madame Bovary", Folio classique.

C'est l'histoire d'une femme mal mariée, de son médiocre époux, de ses amants égoïstes et vains, de ses rêves, de ses chimères, de sa mort. C'est l'histoire d'une province étroite, dévote et bourgeoise. C'est, aussi, l'histoire du roman français. Rien, dans ce tableau, n'avait de quoi choquer la société du Second Empire. Mais, inexorable comme une tragédie, flamboyant comme un drame, mordant comme une comédie, le livre s'était donné une arme redoutable : le style. Pour ce vrai crime, Flaubert se retrouva en correctionnelle.

Aucun roman n'est innocent : celui-là moins qu'un autre. Lire Madame Bovary, au XXIe siècle, c'est affronter le scandale que représente une œuvre aussi sincère qu'impérieuse. Dans chacune de ses phrases, Flaubert a versé une dose de cet arsenic dont Emma Bovary s'empoisonne : c'est un livre offensif, corrosif, dont l'ironie outrage toutes nos valeurs, et la littérature même, qui ne s'en est jamais vraiment remise.

Quatrième de couverture de Madame Bovary de Flaubert

2. Observer les 1ère et 4ème pages de couverture de Madame Bovary (1857) de Flaubert, roman paru chez Gallimard, dans la collection "Folio Classique". Puis, en cliquant sur l'image, feuilleter les premières pages intérieures. À partir des hypothèses de lecture induites, quelles fiches pourraient être élaborées ?

Fiches
Entrer dans l'œuvre

La dernière approche avant d'entrer dans l'œuvre est la lecture approfondie de deux passages essentiels : son début et sa fin, c'est-à-dire

- l'incipit et l'excipit (ou épilogue) dans un récit, ou une oeuvre argumentative ;

- la scène d'exposition et celle de dénouement dans une pièce de théâtre :

- les premier et dernier poèmes dans le cas d'un recueil poétique.

L'ouverture de l'œuvre nous permet, en effet, de disposer d'informations sur l'action, sur les personnages, sur le narrateur, dans le cas d'un récit, roman, théâtre ou poème, sur le thème, l'émetteur ou le/s destinataire/s quand il s'agit d'une œuvre argumentative ou d'un poème. Il donne aussi une première impression sur le ton, le registre adopté, et crée un horizon d'attente. Il permet enfin un premier jugement : retient-il notre attention ? Donne-t-il envie de découvrir la suite ?

La dernière page, même si nous ignorons les événements intermédiaires et si y sont mentionnés des personnages encore inconnus, nous permet d'avoir une vision d'ensemble sur la réussite - ou l'échec - d'un personnage, sur le sens général de l'œuvre, parfois l'auteur y formule même directement son opinion.

Observons : ouverture et fermeture du Livre I des Fables de La Fontaine

LA CIGALE ET LA FOURMI

 

La Cigale, ayant chanté

          Tout l'été,

Se trouva fort dépourvue

Quand la bise fut venue.

Pas un seul petit morceau

De mouche ou de vermisseau.

Elle alla crier famine

Chez la Fourmi sa voisine,

La priant de lui prêter

Quelque grain pour subsister

Jusqu'à la saison nouvelle.

Je vous paierai, lui dit-elle,

Avant l'août, foi d'animal,

Intérêt et principal.

La Fourmi n'est pas prêteuse ;

C'est là son moindre défaut.

Que faisiez-vous au temps chaud ?

Dit-elle à cette emprunteuse.

Nuit et jour à tout venant

Je chantais, ne vous déplaise.

Vous chantiez ? j'en suis fort aise :

Eh bien ! dansez maintenant.

"La Cigale et le Fourmi", vers 1950
"Le chêne et le roseau", illustration de Fessard.

Wal, La Cigale et la Fourmi,  vers 1950. Illustration.

E. Fessard, Le Chêne et le Roseau,  vers 1765. Gravure.

"La Cigale et la Fourmi" ouvre le recueil, fermé par la fable XXII, "Le Chêne et le Roseau". Dans ces deux fables, deux personnages se font face, animaux ou végétaux, l'un faible et l'autre puissant. Cela nous oriente vers l'idée de former des catégories, dans la fiche portant sur "les personnages". En même temps, il est évident, par exemple par le lexique employé par la fourmi, "Intérêt et principal", que ces personnages sont personnifiés.

LE CHÊNE ET LE ROSEAU

 

Le Chêne un jour dit au roseau :

Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ;

Un Roitelet  pour vous est un pesant fardeau.

            Le moindre vent qui d'aventure

            Fait rider la face de l'eau,

            Vous oblige à baisser la tête :

Cependant que mon front, au Caucase pareil,

Non content d'arrêter les rayons du soleil,

            Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphir.

Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

            Dont je couvre le voisinage,

            Vous n'auriez pas tant à souffrir :

            Je vous défendrais de l'orage ;

            Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des Royaumes du vent. 

La Nature envers vous me semble bien injuste. 

Votre compassion, lui répondit l'Arbuste ,

Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci.

     Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.

 Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici

            Contre leurs coups épouvantables

            Résisté sans courber le dos ;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,

Du bout de l'horizon accourt avec furie

            Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.            L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.

            Le vent redouble ses efforts,

            Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

Il nous faudra donc chercher, en relation avec la société du XVII° siècle, et avec ce que nous savons de l'auteur, qui les personnages représentent. "Cette emprunteuse" peut être le paysan pauvre, qui doit s'endetter "pour subsister / Jusqu'à la saison nouvelle", celle de la récolte, tandis que la fourmi serait un riche bourgeois, dans un rôle de banquier. De même le roseau peut être le sujet d'un roi puissant, le chêne. Mais, si nous nous référons à l'auteur lui-même, peut-être est-il lui-même cette "cigale ayant chanté / Tout l'été", qui a besoin d'un riche mécène pour vivre... Peut-être est-il ce roseau qui "plie", mais "ne romp[t] pas", comme l'auteur qui, par ses fables, contourne la censure et résiste aux "vents [...] redoutables", à la colère du roi...

Cette observation, liée à l'absence de morale explicite, nous amène à un autre constat : la dernière fable inverse la première. La cigale, en effet, est condamnée à mourir par le cruel rejet de la fourmi : la plus faible échoue face à la puissance de l'argent et au mépris. En revanche, le chêne puissant, qui s'est tant vanté, est vaincu à la fin, tandis que le faible roseau "plie", mais résiste. Nous allons donc devoir nous interroger sur la sagesse que La Fontaine veut proposer à son lecteur. Pourquoi l'une échoue-t-elle tandis que l'autre triomphe ? Quelles qualités faut-il développer, quels défauts faut-il éliminer ?

Pour s'exercer...
Molière, "L'Ecole des femmes".

1. Lire (en cliquant sur l'image) la scène 1 de l'acte I et la scène 9 de l'acte V de L'Ecole des femmes de Molière. En quoi ces scènes peuvent-elles guider la lecture ?

2. Lire (en cliquant sur l'image) l'incipit et l'excipit du roman de Maupassant, Bel-Ami. Quelles conclusions est-il possible d'en tirer ?

  • pour l'incipit : les quatre premiers paragraphes du chapitre I de la 1ère partie, jusqu'à " Notre-Dame- de-Lorette".

  • pour l'excipit : les quatre derniers paragraphes du chapitre X de la 2ème partie, à partir de "Elle était pleine de monde..."

Élaborer le compte rendu de lecture de l'œuvre

À ce stade, nous disposons déjà de tous les éléments pour réaliser une introduction (cf. supra, "La recherche préalable"), et de fiches (cf. supra, "Anticiper le contenu") à remplir sur les principaux centres d'intérêt. Au fur et à mesure de la lecture, nous notons rapidement sur ces fiches les observations effectuées, par exemple sur les lieux, les personnages, les procédés d'écriture, les critiques..., en prenant soin de reprendre le numéro de la page où figure le passage jugé intéressant.

À la fin de la lecture, une fois les fiches remplies, nous pouvons élaborer une fiche de lecture sur l'œuvre, un dossier, ce que nous appellerons, de façon plus générale, un "compte rendu".

- Si nous avons un questionnaire pour guider notre étude, il suffit de répondre précisément aux questions à l'aide des fiches. L'étude doit, en effet, s'appuyer sur des exemples précis, ceux qui ont  déjà été relevés.

- Si nous n'avons pas de questionnaire, l'étude est construite en croisant les fiches et les caractéristiques propres au genre littéraire. Dans tous les cas, quatre points sont à envisager.

Le titre

Nous avons déjà formulé des hypothèses préalables à la lecture. Il s'agit à présent de les rapprocher des observations notées sur les fiches.

Un exemple : Musset, Les Caprices de Marianne, 1833
Avant la lecture ...

Nous avons pu formuler les hypothèses suivantes :

- à partir de la définition du mot "caprice", et de la marque du pluriel, avec l'article défini qui les particularise (cf. site CNRTL)  : auront-ils un rôle essentiel dans l'intrigue ?

- à partir du prénom, peut-être celui de l'héroïne : une contraction de "Marie-Anne", prénoms de la Vierge, mère du Christ, et de la mère de celle-ci, une connotation religieuse donc. Mais, en même temps, c'est déjà le prénom d'une héroïne de L'Avare de Molière, qui revendique son droit d'épouser celui qu'elle aime. En revanche, nommer "Marianne" la femme symbolisant la République date de la Seconde République (1848), donc est postérieur à la pièce.

- à partir de la préposition "de", qui marque l'appartenance. Marianne serait la source même de ces "caprices".

Musset, "Les Caprices de Marianne", Ed. Hachette.
Mise en scène des "Caprices de Marianne" par M. Maréchal.

Marianne et Octave, Les Caprices de Marianne. Mise en scène de M. Maréchal en 2009.

Théâtre 14, Paris.

Après la lecture : cf. site Wikisource

- La scène d'exposition confirme que Marianne est bien au centre de l'intrigue, aimée de Coelio, mais mariée, ce qui pose déjà un obstacle. De plus, la connotation de son prénom est confirmée par la première didascalie, "un livre de messe à la main", Ciuta la définit comme "plus dévote [...] que jamais", Coelio la décrit ainsi : "Elle sort du couvent ; elle aime son mari et respecte ses devoirs."

- Après ce premier rejet, puis la volonté, proclamée par Marianne, de fermer sa porte à Coelio et Octave, elle accepte (scène 4) un entretien avec Octave, puis un second (scène 5) : elle affirme alors son droit de refuser de prendre un amant, revendication également suggérée par son prénom. Mais la jalousie et la colère de son époux, Claudio, la font changer d'avis (scène 6) et elle fait venir Octave. Elle lui annonce vouloir prendre un amant, n'importe lequel, celui qu'il choisira, ce qu'il nomme, conformément au titre, "ce caprice de bonté", puis "ton petit caprice de colère".

- Cependant, nous pouvons nous demander si Marianne est réellement la source des "caprices", si elle n'a pas raison de dénoncer la façon dont les hommes considèrent les femmes, comme des jouets de leur volonté : caprice d'amant, caprice de mari jaloux...

La structure 

L'étude tient compte du genre littéraire. Dans le cas d'un roman, on s'appuie sur les schémas narratif et actanciel. Au théâtre, seul le schéma actanciel est vraiment pertinent en raison des coups de théâtre qui peuvent faire évoluer l'intrigue. Pour un essai, on suit les étapes de l'argumentation. Pour un recueil poétique, s'il a été élaboré par l'auteur, il est possible d'y rechercher un ordre, ou, au moins, d'effectuer des regroupements, selon les thèmes abordés notamment.

Un exemple : Musset, Les Caprices de Marianne, 1833

Le schéma actanciel se met en place dans la scène 1. Coelio aime éperdument Marianne, mais elle est mariée. Il ne peut donc envisager qu'une liaison, qui,  pour elle, est, en fait, un adultère. Son mari - et Tibia, son serviteur "fidèle" - sont donc des opposants.

"Les Caprices de Marianne" : schéma actanciel.

Musset indique que sa pièce est une "comédie". Cela explique le rôle, traditionnel de Ciuta, l'entremetteuse. C'est ce même rôle que Coelio demande à Octave de jouer. Cela devrait amener, dans le dénouement, à un mariage.

Mais ce n'est pas le cas ici : la pièce se termine par la mort de Coelio... Octave est-il alors devenu un "opposant" ? Indirectement, oui, car la lettre envoyée par Marianne (scène 7) révèle que c'est lui qu'elle espère voir au rendez-vous. Mais Octave est resté fidèle à son ami Coelio, et c'est celui-ci qui se rend chez Marianne, l''entend appeler "Octave" et mentionner la lettre. Il va donc (scène 8) au devant de la mort, persuadé de la trahison de son ami. Octave, adjuvant à l'origine, est donc devenu un opposant... Coelio le croit d'autant plus facilement "traître" que cela a été préparé dans l'intrigue :

- par Ciuta, qui tente d'éveiller ses doutes (scène 5) en lui apprenant l'entretien entre Octave et Marianne ; indirectement, elle entre donc dans un rôle d'opposant.

- par Hermia, sa mère, dont le rôle est ambigu. Elle lui raconte comment elle a épousé son père, venu initialement demander sa main pour son ami Orsini. En apprenant leur mariage, Orsini s'est tué. Ce récit, si semblable à la relation entre Octave et Coelio, est comme un avertissement, et cette mère, qui veut le bonheur de son fils, serait alors un adjuvant... Mais le récit, resté dans la mémoire de Coelio, peut aussi le convaincre de la trahison d'Octave, et le pousser à la mort, ce qui donne alors à Hermia un rôle d'opposant.

Ainsi, la pièce, qui a commencé comme une comédie, se termine en tragédie. Une sorte de fatalité, celle qui pèse sur une femme "mal mariée" comme Marianne, détruit les trois protagonistes. On est en 1833, et la pièce répond au mélange des genres, propre au drame romantique.

Les centres d'intérêt 

Ils dépendent, bien sûr, de l'œuvre elle-même. Par exemple, dans un roman, une nouvelle, le narrateur retiendra notre attention, alors qu'au théâtre, l'une des analyses portera sur le rôle de la mise en scène. De même, nous avons, dans les deux genres, des personnages à étudier, ce qui ne sera pas le cas dans un essai, sauf, éventuellement, si l'auteur en introduit dans des exemples.

Il convient également de tenir compte des registres - ou "tonalités" - et des formes littéraires. Dans la poésie, l'étude d'un recueil composé essentiellement de poèmes courts, tels des sonnets, ne donne pas lieu aux mêmes analyses qu'un long poème épique ; un roman historique exige de s'intéresser aux liens entre l'œuvre et les faits ou personnages réels y figurant, tandis qu'un roman de science-fiction demande une approche de l'imaginaire scientifique et de son rôle.

Pour réussir une fiche, un dossier, un compte rendu ou un "carnet" de lecture d'une œuvre intégrale, il est donc nécessaire de bien maîtriser les critères définissant les genres et les registres, et les points fondamentaux de la stylistique.

Découvrir un exemple, la nouvelle de Mérimée, Tamango, 1829 : cliquer sur le lien.
Le style

Des remarques sur le style peuvent déjà appuyer l'étude des centres d'intérêt, par exemple, pour un personnage, on s'appuie sur les formes du comique pour en montrer la caricature. Mais, à l'issue de l'étude, il convient, à partir de la fiche sur les "procédés d'écriture", de s'interroger

- sur le choix d'un registre - ou le mélange de registres. Pour un drame romantique, par exemple, il est utile d'étudier les points de rupture avec le théâtre classique, sur les unités notamment, ou comment s'entrecroisent le comique, jusqu'au grotesque, et le tragique, provoquant terreur et pitié.

- sur les liens entre l'œuvre et le mouvement littéraire dans lequel s'inscrit son auteur. Un dossier sur un roman de Zola, par exemple, tiendra compte des éléments caractéristiques du naturalisme retrouvés dans l'oeuvre, mais on se demandera si cela suffit à caractériser l'œuvre, dans laquelle ont pu être relevés des passages de registre épique, ou lyrique, qui vont bien au-delà des exigences du naturalisme.

Pour s'exercer, une nouvelle de Théophile Gautier, "La Cafetière", écrite en 1831, sous-titrée "conte fantastique", parue dans Contes humoristiques (1880) : cliquer sur l'image pour lire l'œuvre.

Après avoir revu, sur le site, les différentes notions, répondre aux questions :

1. Proposer un schéma narratif de cette nouvelle.

2. Quel est l'intérêt du choix du narrateur ?

3. Quels éléments caractéristiques du romantisme se retrouvent dans la nouvelle ?

4. En quoi cette nouvelle s'inscrit-elle dans le registre fantastique ?

Gautier, "La Cafetière", 1831.
Porter un jugement sur l'œuvre 

Pour conclure le compte rendu de lecture, il est demandé de porter un jugement personnel sur l'œuvre, un peu à la façon d'un critique littéraire. Ce jugement est forcément subjectif, il est tout à fait possible d'ailleurs de n'avoir pas apprécié l'ouvrage lu, mais il doit être soutenu par des arguments qui eux, doivent être objectifs, et s'appuyer sur des exemples précis. Ce jugement constitue un moment essentiel de l'entretien avec l'examinateur dans la seconde partie de l'épreuve orale du baccalauréat.

Arguments et exemples

On distingue deux catégories d'arguments :

- ceux qui portent sur le fond, c'est-à-dire sur le récit, l'intrigue de l'œuvre, les thèmes abordés ou le sujet débattu, sur les personnages, les lieux ou l'époque choisis, enfin sur l'opinion exprimée par l'auteur, ses éloges ou ses critiques, les arguments qu'il invoque ou dénonce, la réflexion qu'il propose ou le message qu'il veut transmettre, s'il s'agit d'un auteur engagé.

- ceux qui portent sur la dimension littéraire, du plus général, le genre, le mouvement littéraire, le registre, aux éléments plus particuliers :

  • relevant de la structure même de l'œuvre : rythme du récit, ou du dialogue, au théâtre, intérêt de l'incipit ou de la scène d'exposition, mise en place du dénouement, place accordée aux descriptions, aux portraits, aux dialogues...

  • relevant des procédés d'écriture : lexique adopté, rythme des phrases, choix de figures de style, notamment de celles par analogie, versification dans le cas de poèmes...

La rédaction

Même si ce jugement est subjectif, c'est l'oeuvre qui est au centre de la rédaction : c'est donc elle, et son auteur, qui sont les sujets de l'énonciation, et non pas le "je" du rédacteur.

Sauf dans des cas extrêmes d'enthousiasme - ou de rejet - il est souhaitable de poser un jugement nuancé, en commençant par ce qui peut être critiqué, pour finir par ce qui a été apprécié, si l'avis sur l'oeuvre est globalement favorable, ou dans l'ordre inverse, si la critique est plutôt négative.

Sans répéter ce qui a été dit lors de l'étude, les arguments doivent être précis et justifiés. Ainsi il ne suffit pas d'écrire "Les personnages ne sont pas intéressants", ou "C'est une belle histoire d'amour", il est nécessaire de dire pourquoi, et d'évoquer le cas précis de tel ou tel personnage, ou bien tel ou tel passage où l'amour est mis en valeur.

Enfin, un travail particulier est à effectuer sur le lexique, mélioratif ou péjoratif, notamment sur les adjectifs qui qualifient les principaux éléments du jugement, et sur les adverbes modalisateurs, tels "tout à fait", "très", "pas du tout", "vraiment"...

Observons...

Une critique du recueil poétique Paroles (1946) de Prévert

(site : http://www.guidelecture.com/critiquet.asp?titre=Paroles)

Cette critique a été rédigée pour un site spécialisé, elle n'obéit donc pas aux mêmes critères que ceux posés pour un jugement concluant une fiche de lecture. L'emploi du futur, par exemple, la phrase finale, destinée à donner au lecteur le désir de découvrir l'oeuvre, et la liste des poèmes ne sont pas pertinents.
En revanche, on y reconnaît nettement les deux points essentiels :

- les contenus (en rouge) qui ont été appréciés : sur une fiche de lecture, il aurait été nécessaire de préciser quelles "valeurs conventionnelles", quels "opprimés", en donnant un ou deux exemples.

- l'éloge de la dimension littéraire (en bleu), à la fois pour son aspect novateur, pour le "sens de l'humour" du poète, et pour sa façon de "jongl[er] avec les mots. A ce propos, un exemple est d'ailleurs donné.

Jacques Prévert restera un des très grands poètes du vingtième siècle.
Alors qu’Apollinaire a déjà fait quelques tentatives de libération du poème de la rime et du nombre de syllabes, Prévert va le libérer totalement de l’un comme de l’autre. Il va surtout chercher à exprimer son rejet d’un système, d’une hiérarchie, de la bourgeoisie et de ses valeurs conventionnelles.
Il sera le très grand jongleur de mots du siècle, sachant parfaitement créer ses effets.
Surprenant, ce « Pater Noster » commençant par :
«  Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y !»
Aux jongleries de mots, Prévert va ajouter son merveilleux sens de l’humour. Mais cela n’empêchera pas le poète de prendre sous son aile tous les opprimés et de faire la chasse à la morale traditionnelle.
Vous adorerez des poèmes comme Barbara, Page d’écriture, Le feuilleton, La crosse en l’air, Mon amour etc.
A déguster par petits morceaux…

 

Critique rédigée par H. Viteux

Si l'on regrette la répétition de "grand", adjectif banal, on note l'effort de modalisation : les adjectifs, "surprenant" ou "merveilleux", le verbe mélioratif, "adorer", et des adverbes d'intensité, "totalement" et "parfaitement".

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Pour lire la présentation du "carnet de lecture" sur le site "éduscol" : cliquer sur l'image.
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... et plus élaboré, avec de nombreux documents annexes, un nouveau site, en cours de création, à explorer :  cliquer sur l'image.
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