Le XIX° siècle : entre "mal du siècle" et "progrès"
La société du XIX° siècle
Le XIX° siècle marque la naissance de la société capitaliste, avec ses financiers, investisseurs, entrepreneurs, qui s'enrichissent, et un prolétariat ouvrier, exploité, qui vit dans une profonde misère.
Jean Béraud, Une Soirée, 1878. Huile sur toile, 65 x 117.
Musée d'Orsay, Paris.
Jean Béraud, La Sortie du bourgeois, 1889. Huile sur panneau, 37,5 x 53. Collection privée.
Karl Girardet, La Charité dans un grenier, 1844. Gravure. Musée des Arts Décoratifs, Paris.
La société du XIX° siècle se construit sur trois contrastes, dans lesquels l'argent joue un rôle hiérarchique déterminant :
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entre les survivants de la noblesse de l'Ancien Régime et la nouvelle noblesse napoléonienne, acquise au service de l'Empereur ;
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entre ces deux formes de noblesse et la bourgeoisie, enrichie dans la finance ou par la fondation d'entreprises prospères. Les nobles méprisent ces bourgeois qui, de leur côté, essaient de les imiter par leur luxueux mode de vie. Mais il existe aussi une petite bourgeoisie, peu aisée, qui vit médiocrement.
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entre ceux, nobles ou bourgeois, qui ont le pouvoir et l'argent, et le peuple, encore dans la misère, notamment dans la classe ouvrière, le prolétariat.
Les élites : entre luxe et ordre...
L'amnistie, promulguée en 1802, ramène en France les nobles que la Révolution avait conduits en exil. Or, dès 1808, Napoléon Ier décide de constituer une nouvelle noblesse, ouverte à ceux qui la méritent, soit par leurs exploits militaires, soit parce qu'ils exercent avec zèle des charges administratives au service de l'Empire. Mais Cambacérès, archi-chancelier de l'Empire, incite l'empereur à ouvrir aussi sa Cour aux nobles de l'Ancien Régime, du moins, à ceux qui n'ont pas perdu leur fortune ! "Il serait inutile de se dissimuler que ce qui reste de la noblesse abolie par la Révolution présente beaucoup de noms recommandables ; que parmi ces noms, il en est dont on ne pourrait éteindre le souvenir sans déchirer quelques-unes des belles pages de notre histoire." explique-t-il dans un de ses rapports.
Ainsi, ces "deux noblesses" finissent par se mêler : la vie de Cour, la fréquentation des mêmes salons, des théâtres... raffinent les manières de ceux qui sont, à l'origine, moins éduqués. A Paris, la noblesse monarchique, dans son fief du faubourg Saint-Germain, et la noblesse d'Empire, plutôt dans le faubourg Saint-Honoré, rivalisent d'élégance, de mondanités, et se retrouvent dans les lieux parisiens à la mode ou dans les stations balnéaires, qu'il est de bon ton de fréquenter : Dieppe, puis, sous le Second Empire, Cabourg, Deauville, Biarritz...
La fusion des deux noblesses
Après la chute de Napoléon, la Restauration ne rejette pas cette noblesse d'Empire : la "Charte" rétablit globalement l'existence de la noblesse. De nombreux mariages scellent l'alliance entre nobles anciens et nobles récents... qui partagent le même mode de vie, entre dîners élégants, salons luxueux où se donnent des concerts privés, bals et carnavals, théâtres et courses hippiques... Abolis en 1848, les titres sont rétablis en 1852, mais sans les privilèges auxquels ils donnaient droit.
C'est la IIIème République qui met légalement fin à la noblesse, en acceptant cependant la transmission des titres.
Jean Béraud, Bal à la Présidence, 1882. Huile sur toile, 49,5 x 91,5. Collection privée.
Un superbe diaporama pour découvrir, à travers les tableaux de Jean Béraud, la vie parisienne : cliquer sur l'image.
La bourgeoisie triomphante
Derrière la révolution de 1789, il y a une bourgeoisie, lassée de voir ses mérites niés par une noblesse privilégiée, mais souvent peu méritante. C'est cette bourgeoisie, enrichie, qui va tirer profit de la situation révolutionnaire. L'Empire d'abord, et encore plus la Restauration, avec le développement économique qu'elle favorise, ont, en effet, besoin des banquiers et hauts fonctionnaires, des grands entrepreneurs industriels (mines, forges, usines textiles...), des directeurs de compagnies maritimes ou ferroviaires, des grands négociants... Tous s'enrichissent, et tous veulent adopter le mode de vie jadis propre à la seule noblesse. En même temps, se développent les valeurs propres à leur assurer un rôle permanent : maintien de l'ordre, primat du travail, respect de la propriété privée, stabilité de la famille, prestige des honneurs...
D'ailleurs, là aussi une fusion entre nobles et bourgeois se réalise par les mariages : un noble désargenté épouse la fille d'un riche bourgeois, et, inversement, un fils de la riche bourgeoisie s'offre un titre de noblesse par son mariage avec une héritière démunie.
La calèche entra et vint s’arrêter devant le perron. Ce perron, aux marches larges et basses, était abrité par une vaste marquise vitrée, bordée d’un lambrequin* à franges et à glands d’or. Les deux étages de l’hôtel s’élevaient sur des offices, dont on apercevait, presque au ras du sol, les soupiraux carrés garnis de vitres dépolies. En haut du perron, la porte du vestibule avançait, flanquée de maigres colonnes prises dans le mur, formant ainsi une sorte d’avant-corps percé à chaque étage d’une baie arrondie, et montant jusqu’au toit où il se terminait par un delta. De chaque côté, les étages avaient cinq fenêtres, régulièrement alignées sur la façade, entourées d’un simple cadre de pierre. Le toit, mansardé, était taillé carrément, à larges pans presque droits.
Mais, du côté du jardin, la façade était autrement somptueuse. Un perron royal conduisait à une étroite terrasse qui régnait tout le long du rez-de-chaussée ; la rampe de cette terrasse, dans le style des grilles du parc Monceau, était encore plus chargée d’or que la marquise et les lanternes de la cour. Puis l’hôtel se dressait, ayant aux angles deux pavillons, deux sortes de tours engagées à demi dans le corps du bâtiment, et qui ménageaient à l’intérieur des pièces rondes. Au milieu, une autre tourelle, plus enfoncée, se renflait légèrement. Les fenêtres, hautes et minces pour les pavillons, espacées davantage et presque carrées sur les parties plates de la façade, avaient, au rez-de-chaussée, des balustrades de pierre, et des rampes de fer forgé et doré aux étages supérieurs. C’était un étalage, une profusion, un écrasement de richesses.
L’hôtel disparaissait sous les sculptures.
* lambrequin : bordure à festons.
Emile Zola, La Curée, I, 1872
Mais cette bourgeoisie, qui connaît la valeur de l'argent, sait aussi le dépenser pour ses plaisirs. Sous le Second Empire, les grands travaux d'Haussmann lui permettent, à Paris, d'acquérir de luxueux hôtels particuliers, richement meublés et dotés de tout le confort moderne (cf. Extraits ci-dessus, et ci-dessous). En province aussi, les constructions se multiplient, mais plus modestement : on y étale moins sa fortune que dans la capitale. A Paris, les riches bourgeois donnent de fastueux dîners, mets raffinés, vaisselle et verrerie précieuses, linge fin..., ouverts à tous les puissants. Connaître l'art de la table devient un signe d'appartenance sociale, tout comme la connaissance de la musique, le piano pour les jeunes filles, ou la collection d'oeuvres d'art... On se retrouve aussi dans les restaurants élégants (de 100 à Paris lors de la révolution de 1789, on en compte 3000 sous la Restauration !) et, parfois, chez des courtisanes habiles à ruiner les hommes qu'elles séduisent. Le bois de Boulogne, le bois de Vincennes sont dessinés, comme les nouveaux quartiers de l'Etoile et des Champs-Elysées, autant de lieux de promenades dans de superbes calèches. Les dames se retrouvent également dans les grands magasins, telle "La Samaritaine" fondée en 1870. C'est une frénésie de plaisirs qui semble s'être emparée des élites, en cette fin de siècle que l'on nomme "La Belle Epoque".
Le bal féerique de Monsieur André. Il y avait là toutes les célébrités de la mode et de l’élégance : la comtesse Pourtalès, la duchesse de Mouchy, la comtesse Tolstoï, la comtesse Petrowska, la comtesse de Viel-Castel, la baronne de Vuitry, la baronne Alphonse de Rothschild, la duchesse de la Rochefoucault-Bisaccia, Madame Eugène Waritiff, de Janzé, de Gouy, d’Arcy, et bien d’autres. [...] Elles brillaient toutes d’un même éclat au milieu des enchantements de ce jardin d’hiver, une des merveilles de Paris. Il est vrai, impossible de trouver un plus admirable cadre. [...] Rien ne manquait d’ailleurs pour faire du bal de Monsieur André une de ces fêtes à sensation, dont les magnificences font époque. Les murs des deux pièces d’entrée, le vestiaire et le vestibule disparaissaient sous une tenture odorante de violettes et de camélias. Les dorures du double salon de danse ruisselaient, étincelantes sous les feux de mille bougies.
Le Bal à l'Hôtel André, in L'Illustration, mai 1876.
Un dossier pédagogique très complet sur l'Hôtel André, et la vie de cette famille de la grande bourgeoisie : cliquer sur l'image.
Le peuple au travail...
Mais, parallèlement, face au luxe insolent des plus aisés, le XIX° siècle accentue la paupérisation du peuple. L'exode des campagnes vers les grandes villes y concentre des ouvriers mal logés, qui vivent dans de terribles conditions. Aucune protection face au chômage, à la maladie, aux accidents de travail que la mécanisation industrielle multiplie... Les femmes et les enfants, jusqu'en 1892, travaillent plus de 11 heures par jour ; jusqu'en 1841, un enfant de 8 ans peut faire plus de 8 heures par jour... Et, pour tous, sept jours par semaine jusqu'en 1906, et pour un salaire dérisoire ! Comment s'étonner alors que sévissent l'alcoolisme, la violence, dans les rues et au sein des familles, la prostitution ? Sans compter la mendicité...
Les émeutes qui explosent, à Lyon, à Rouen, à Paris, dans plusieurs mines... mettent alors au premier plan la question sociale. Des "comités de bienfaisance" se créent pour secourir les malheureux réduits à la misère, des appels à la charité sont lancés, comme celui de Victor Hugo (cf. Extrait ci-contre). Mais face à l'augmentation de cette classe ouvrière - un million d'hommes au milieu du siècle, 8 millions au début du XX° siècle - très vite la charité ne suffit plus. Les ouvriers prennent conscience peu à peu de leur force, certains des plus jeunes ont pu fréquenter l'école, au moins primaire, et s'organisent. A la fin du siècle, le syndicalisme et les unions mutualistes progressent, la pression sur l'Etat s'accentue, et des lois sont votées pour limiter progressivement la durée de travail, par exemple en 1892, 12 heures pour les hommes, 11 pour les femmes... L'école met aussi en place une formation à l'hygiène, entreprend une lutte contre l'alcool, dont la consommation atteint jusqu'à 10% du budget d'une famille...
Martin Sylvestre Batiste, Les Maçons, 1828. Lithographie. Musée Carnavalet.
Hippolyte Bellangé, Les Extrêmes se touchent, 1823. Lithographie de Villain. Musée Carnavalet, Paris.
Toulouse-Lautrec, Gueule de bois ou La buveuse. vers 1887-88. Huile sur toile, 47,1 x 55,5. Musée d'Albi.
Songez-vous qu'il est là sous le givre et la neige,
Ce père sans travail que la famine assiège ?
Et qu'il se dit tout bas : « Pour un seul, que de biens !
À son large festin que d'amis se récrient !
Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient.
Rien que dans leurs jouets, que de pain pour les miens ! »
Et puis à votre fête il compare en son âme
Son foyer où jamais ne rayonne une flamme,
Ses enfants affamés, et leur mère en lambeau,
Et sur un peu de paille, étendue et muette,
L'aïeule, que l'hiver, hélas ! a déjà faite
Assez froide pour le tombeau.[…]
Donnez, riches ! L'aumône est soeur de la prière,
Hélas ! quand un vieillard, sur votre seuil de pierre,
Tout roidi par l'hiver, en vain tombe à genoux ;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détourne de vous. […]
Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, "Pour les pauvres", extrait, 1831.
Pour découvrir les conditions de travail des ouvriers, un extrait de Germinal (1993), film de C. Berri : cliquer sur le lien.
En phrases rapides, il remontait au premier Maheu, il montrait toute cette famille usée à la mine, mangée par la Compagnie, plus affamée après cent ans de travail; et, devant elle, il mettait ensuite les ventres de la Régie, qui suaient l'argent, toute la bande des actionnaires entretenus comme des filles depuis un siècle, à ne rien faire, à jouir de leur corps. N'était-ce pas effroyable? un peuple d'hommes crevant au fond de père en fils, pour qu'on paie des pots-de-vin à des ministres, pour que des générations de grands seigneurs et de bourgeois donnent des fêtes ou s'engraissent au coin de leur feu ! Il avait étudié les maladies des mineurs, il les faisait défiler toutes, avec des détails effrayants : l'anémie, les scrofules, la bronchite noire, l'asthme qui étouffe, les rhumatismes qui paralysent. Ces misérables, on les jetait en pâture aux machines, on les parquait ainsi que du bétail dans les corons, les grandes Compagnies les absorbaient peu à peu, réglementant l'esclavage, menaçant d'enrégimenter tous les travailleurs d'une nation, des milliers de bras, pour la fortune d'un
millier de paresseux. Mais le mineur n'était plus l'ignorant, la brute écrasée dans les entrailles du sol. Une armée poussait des profondeurs des fosses, une moisson de citoyens dont la semence germait et ferait éclater la terre, un jour de grand soleil. Et l'on saurait alors si, après quarante années de service, on oserait offrir cent cinquante francs de pension à un vieillard de soixante ans, crachant de la houille, les jambes enflées par l'eau des tailles. Oui I le travail demanderait des comptes au capital, à ce dieu impersonnel, inconnu de l'ouvrier, accroupi quelque part, dans le mystère de son tabernacle, d'où il suçait la vie des meurt-de-faim qui le nourrissaient ! On irait là-bas, on finirait bien par lui voir sa face aux clartés des incendies, on le noierait sous le sang, ce pourceau immonde, cette idole monstrueuse, gorgée de chair humaine!
Emile Zola, Germinal, 1885, 4ème Partie, VII.
Gil Blas, 25/11/1884, annonce de la publication de Germinal.
Sciences et techniques
Les sciences poursuivent leurs progrès, et une véritable philosophie naît autour de leur place et de leur rôle. Les techniques nouvelles ainsi induites permettent une révolution industrielle.
La grande Galerie de l'évolution. Museum National d'Histoire naturelle, Paris.
C. Monet, La Gare Saint-Lazare : arrivée d'un train, 1877. Huile sur toile, 82 x 101. Harvard University Art Museums, Cambridge, Etats-Unis.
A. Edelfelt, Louis Pasteur, 1885. Huile sur toile, 154 x 126. Musée d'Orsay, Paris.
Les grandes écoles, créées sous la Révolution et par Napoléon, ont répandu l'esprit scientifique, et formé de nombreux savants, chercheurs et professeurs. Les instruments nécessaires, collections, bibliothèques, laboratoires, appareillages... se perfectionnent, même si les chercheurs restent encore très isolés. Ainsi, le XIX° siècle poursuit l'essor scientifique réclamé par les encyclopédistes et entrepris au XVIII° siècle.
Les sciences exactes
La légalisation, en 1802, du système métrique, rendu obligatoire en 1840, favorise les mesures, fondements de la science moderne. Dans la lignée de Newton et de Leiniz, Galois renouvelle l'algèbre, et Darboux définit la géométrie infinitésimale.
En 1846, Le Verrier, par ses calculs, découvre la planète Neptune, dont l'existence est ensuite confirmée par l'observation. On note aussi des progrès dans l'étude des gaz et dans l'optique avec, par exemple, Gay-Lussac, Arago, Sadi Carnot. Ampère, lui, étudie l'électromagnétisme, tandis que Gramme invente la première dynamo industrielle. L'électricité va révolutionner la société !
En chimie également les progrès sont considérables, après 1850, dans la définition des corps simples. Tandis que Chevreul et Dumas fondent la chimie organique, Marcellin Berthelot (1827-1907) invente des synthèses nouvelles. Il affirme sa confiance dans les immenses possibilités qu'offre la science pour améliorer l'existence humaine (cf. Extrait ci-contre).
Les sciences du vivant
Le questionnement sur la vie se poursuit. Cuvier (1769-1832) crée l'anatomie comparée et la paléontologie, mais il reste partisan du fixisme, théorie "biblique" de la création. Lamarck (1744-1829), au contraire, est l'initiateur de la théorie du transformisme (cf. Extrait ci-dessous), que développera Darwin. De même Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) élabore un plan de classification des espèces.
CONCLUSION ADMISE JUSQU'A CE JOUR
La nature (ou son auteur), en créant les animaux, a prévu toutes les sortes possibles de circonstances dans lesquelles ils avaient à vivre et a donné à chaque espèce une organisation constante, ainsi qu'une forme déterminée et invariable dans ses parties qui force chaque espèce à vivre dans les lieux et les climats où on la trouve et à conserver les habitudes qu'on lui connaît.
MA CONCLUSION PARTICULIERE
La nature, en produisant successivement toutes les espèces d'animaux, en commençant par les plus imparfaits et les plus simples, pour terminer son ouvrages par les plus parfaits, a compliqué graduellement leur organisation ; et, ces animaux se répandant généralement sur toutes les régions habitables du globe, chaque espèce a reçu de l'influence des circonstances dans lesquelles elle s'est rencontrée, les habitudes que nous connaissons et les modifications dans ses parties que l'observation nous montre entre elles.
Jean-Baptiste de Lamarck, La philosophie zoologique, VII, 1809.
Les progrès dans l'anatomie humaine et les nouvelles méthodes d'auscultation, notamment dues à l'invention du stéthoscope par Laennec, permettent d'améliorer considérablement la médecine. Les travaux de Claude Bernard (1813-1878) sur le foie ouvrent la voie à l'explication du déterminisme et du rôle même de la vie (cf. Extrait ci-contre). Enfin les recherches de Louis Pasteur sur la fermentation microscopique - la pasteurisation -, conduisant à l'antisepsie et à l'asepsie, transforment profondément la médecine, tout comme les premières vaccinations, prometteuses.
Est-il nécessaire de vous rappeler les progrès accomplis par vous pendant le siècle qui vient de s’écouler ? La fabrication de l’acide sulfurique et de la soude artificielle, le blanchiment et la teinture des étoffes, le sucre de betterave, les alcaloïdes thérapeutiques, le gaz d’éclairage, la dorure et l’argenture, et tant d’autres inventions, dues à nos prédécesseurs ? Sans surfaire notre travail personnel, nous pouvons déclarer que les inventions de l’âge présent ne sont certes pas moindres : l’électrochimie transforme en ce moment la vieille métallurgie et révolutionne ses pratiques séculaires ; les matières explosives sont perfectionnées par les progrès de la thermochimie et apportent à l’art des mines et à celui de la guerre le concours d’énergies toutes-puissantes ; la synthèse organique surtout, œuvre de notre génération, prodigue ses merveilles dans l’invention des matières colorantes, des parfums, des agents thérapeutiques et antiseptiques.
Mais, quelque considérables que soient ces progrès, chacun de nous en entrevoit bien d’autres : l’avenir de la chimie sera, n’en doutez pas, plus grand encore que son passé. […]
Déjà nous avons vu la force des bras humains remplacée par celle de la vapeur, c’est-à-dire par l’énergie chimique empruntée à la combustion du charbon ; mais cet agent doit être extrait péniblement du sein de la terre, et la proportion en diminue sans cesse. Il faut trouver mieux. Or le principe de cette invention est facile à concevoir : il faut utiliser la chaleur solaire, il faut utiliser la chaleur centrale de notre globe. Les progrès incessants de la science font naître l’espérance légitime de capter ces sources d’une énergie illimitée. Pour capter la chaleur centrale, par exemple, il suffirait de creuser des puits de 4 à 5 000 mètres de profondeur : ce qui ne surpasse peut-être pas les moyens des ingénieurs actuels, et surtout ceux des ingénieurs de l’avenir. On trouvera là la chaleur, origine de toute vie et de toute industrie. […]
C’est là que nous trouverons la solution économique du plus grand problème peut-être qui relève de la chimie, celui de la fabrication des produits alimentaires. En principe, il est déjà résolu : la synthèse des graisses et des huiles est réalisée depuis quarante ans, celle des sucres et des hydrates de carbone s’accomplit de nos jours, et la synthèse des corps azotés n’est pas loin de nous. Ainsi le problème des aliments, ne l’oublions pas, est un problème chimique. Le jour où l’énergie sera obtenue économiquement, on ne tardera guère à fabriquer des aliments de toutes pièces avec le carbone emprunté à l’acide carbonique, avec l’hydrogène pris à l’eau, avec l’azote et l’oxygène tirés de l’atmosphère. […]
Un jour viendra où chacun emportera pour se nourrir sa petite tablette azotée, sa petite motte de matière grasse, son petit morceau de fécule ou de sucre, son petit flacon d’épices aromatiques, accommodés à son goût personnel ; tout cela fabriqué économiquement et en quantités inépuisables par nos usines ; tout cela indépendant des saisons irrégulières, de la pluie, ou de la sécheresse, de la chaleur qui dessèche les plantes, ou de la gelée qui détruit l’espoir de la fructification ; tout cela enfin exempt de ces microbes pathogènes, origine des épidémies et ennemis de la vie humaine.
Marcellin Berthelot, Discours du 5 avril 1894, prononcé devant la Chambre syndicale des Produits chimiques.
Quand un poulet se développe dans un oeuf, ce n'est point tant la formation du corps animal, que le groupement d'éléments chimiques, qui caractérise essentiellement la force vitale. Ce groupement ne se fait que par suite des lois qui régissent les propriétés chimico-physiques de la matière ; mais ce qui est essentiellement du domaine de la vie et ce qui n'appartient ni à la chimie, ni à la physique ni à rien autre chose c'est l'idée directrice de cette évolution vitale.
Dans tout germe vivant il y a une idée créatrice qui se développe et se manifeste par l'organisation. Pendant toute sa durée, l'être vivant reste sous l'influence de cette même force vitale créatrice, et la mort arrive lorsqu'elle ne peut plus se réaliser. Ici, comme partout, tout dérive de l'idée qui elle seule crée et dirige.
Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, II, 2, 1865.
Les sciences humaines
Un nouvel intérêt est aussi porté à la psychologie et à l'organisation des sociétés, devenant objets d'études scientifiques.
La révolution entraîne une réflexion sur la façon dont sont traités les malades mentaux... Ainsi, Philippe Pinel intervient, en 1795, pour les libérer des chaînes qui les entravent, et entreprend un classement des maladies mentales dans son Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale (1800). Etienne Esquirol poursuit son oeuvre en faveur de l'amélioration des asiles et du sort réservé aux malades. Les découvertes de Jean-Martin Charcot (1825-1893) sur le cerveau humain, poursuivies par Pierre Janet, associées aux recherches menées à l'étranger, amènent à la création, par Théodule Ribot (1839-1916) en 1880, de la psychologie pathologique, qui veut comprendre la psychologie normale à partir des pathologies qu'elle peut subir.
T. Robert-Fleury, Le docteur Philippe Pinel faisant tomber les chaînes des aliénés à la Salpêtrière en 1795, 1876. Huile sur toile, 67 x 53. Hôpital de la Salpêtrière, Paris.
Utilisé pour la première fois par l'abbé Siéyès, le terme "sociologie" trouve sa véritable application au XIX° siècle, d'abord avec le comte de Saint-Simon, qui entreprend d'étudier la "physiologie sociale", c'est-à-dire de constituer une sorte d'anatomie de la société. Mais c'est Auguste Comte (1798-1857) qui développe vraiment des théories sociologiques dans son Système de politique positive (1851-1854).
Ainsi, les sciences humaines se constituent, à commencer, dès le début du siècle, par l'histoire, en écho au goût des Romantiques pour les siècles passés. Les monuments, les inscriptions sont étudiés rigoureusement, grâce à des écoles telle celle des Chartes, fondée en 1816 : l'histoire devient une science. Cependant, deux tendances différencient alors les historiens. Certains privilégient la narration, faisant de l'histoire le récit d'un pays. Augustin Thierry (1795), par exemple, met en scène de façon dramatique la Gaule au VI° siècle dans ses Récits des temps mérovingiens (1840), objectif partagé par Jules Michelet (1798-1874) qui définit l'histoire comme la "résurrection de la vie intégrale non plus dans ses surfaces mais dans ses organismes intérieurs et profonds". Pour lui, la politique, le droit, l'économie, l'art, la religion... tout interagit donc pour transformer les moeurs, donc l'esprit des individus et, par conséquent, les destinées d'une nation. Il prend soin de remonter aux sources les plus variées, consulte des documents inédits, puis organise l'ensemble en une vision imagée. Cela explique que les ouvrages de ces deux historiens aient pu être illustrés si facilement.
Jean-Paul Laurens, Illustration pour Récits des temps mérovingiens, A. Thierry, éd. de 1880.
Daniel Vierge, Illustration pour Histoire de France, J. Michelet, Tome 1, Livre II, ch. 1, éd. de 1876.
Par opposition, d'autres veulent d'abord donner sens à l'histoire : ils construisent une véritable philosophie de l'histoire. Par exemple François Guizot (1787-1874), dans Histoire de la civilisation en France, montre que la prospérité du pays vient du pouvoir exercé par la bourgeoisie, pour lui sa force première. Alexis de Tocqueville (1805-1859), lui, pose l'avènement de la démocratie comme fin de l'évolution historique. Pour cela, il s'appuie sur l'étude du système politique des Etats-Unis, insistant, dans De la Démocratie en Amérique (1835-1840), sur l'influence de la démocratie sur les sentiments, les moeurs, la vie intellectuelle.
Enfin Fustel de Coulanges fonde réellement la science historique car, pour lui, "Il y a une philosophie et il y a une histoire, mais il n'y a pas de philosophie de l'Histoire." Ainsi, il étudie, dans La Cité antique (1864), les événements et les institutions pour savoir ce que les hommes ont pensé et cru à une époque donnée.
Parmi les objets nouveaux qui, pendant mon séjour aux États-Unis, ont attiré mon attention, aucun n’a plus vivement frappé mes regards que l’égalité des conditions. Je découvris sans peine l’influence prodigieuse qu’exerce ce premier fait sur la marche de la société ; il donne à l’esprit public une certaine direction, un certain tour aux lois ; aux gouvernants des maximes nouvelles, et des habitudes particulières aux gouvernés.
Bientôt je reconnus que ce même fait étend son influence fort au-delà des mœurs politiques et des lois, et qu’il n’obtient pas moins d’empire sur la société civile que sur le gouvernement : il crée des opinions, fait naître des sentiments, suggère des usages et modifie tout ce qu’il ne produit pas.
Ainsi donc, à mesure que j’étudiais la société américaine, je voyais de plus en plus, dans l’égalité des conditions, le fait générateur dont chaque fait particulier semblait descendre, et je le retrouvais sans cesse devant moi comme un point central où toutes mes observations venaient aboutir.
A. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, introduction, 1835.
L'essor des techniques
Ces progrès scientifiques entraînent un véritable essor des techniques, qui transforme les modes de vie. La photographie naît des travaux de Niepce et de Daguerre. Le télégraphe électrique entre dans le quotidien. Le moteur à explosion, réalisé par Lenoir dès 1860, contient en germe le développement de l'automobile, et le dirigeable est mis au point.
Mais le siècle est surtout celui du chemin de fer : la première ligne Paris-Rouen est inaugurée en 1844. La multiplication des lignes, des gares, fait entrer le pays dans l'ère industrielle. Les mines fonctionnent à plein régime, comme la métallurgie, ce qui amène la création de sociétés puissantes, soutenues par les banques. L'enrichissement induit rejaillit sur le commerce, avec la construction de grands magasins tels Le Bon Marché ou La Samaritaine.
Et le sous chef de gare, ayant ouvert une fenêtre, s'y accouda.
C'était impasse d'Amsterdam, dans la dernière maison de droite, une haute maison où la Compagnie de l'Ouest logeait certains de ses employés. La fenêtre, au cinquième, à l'angle du toit mansardé qui faisait retour, donnait sur la gare, cette tranchée large trouant le quartier de l'Europe, tout un déroulement brusque de l'horizon, que semblait agrandir encore, cet après midi là,. un ciel gris du milieu de février ; d'un gris humide et tiède, traversé de soleil.
En face, sous ce poudroiement de rayons, les maisons de la rue de Rome se brouillaient, s'effaçaient, légères. A gauche, les marquises des halles couvertes ouvraient leurs porches géants, aux vitrages enfumés, celle des grandes lignes, immense, où l'oeil plongeait, et que les bâtiments de la poste et de la bouillotterie séparaient des autres, plus petites, celles d'Argenteuil, de Versailles et de la Ceinture ; tandis que le pont de l'Europe, à droite, coupait de son étoile de fer la tranchée, que l'on voyait reparaître et filer au delà, jusqu'au tunnel des Batignolles. Et, en bas de la fenêtre même, occupant tout le vaste champ, les trois doubles voies qui sortaient du pont, se ramifiaient, s'écartaient en un éventail dont les branches de métal, multipliées, innombrables, allaient se perdre sous les marquises. Les trois postes d'aiguilleur, en avant des arches, montraient leurs petits jardins nus. Dans l'effacement confus des wagons et des machines encombrant les rails, un grand signal rouge tachait le jour pâle.
E. Zola, La Bête humaine, ch. I, 1890
Daguerre explique à un ami le fonctionnement de son appareil. Gravure.
Le télégraphe électrique.
La gare Saint-Lazare : la cour d'Amsterdam. Photographie,
fin du XIX° siècle.
Une philosophie de la science
Ces découvertes scientifiques et ces nouvelles techniques conduisent les philosophes et les savants eux-mêmes à s'interroger sur le rôle de la science, sur ses limites, sur la nouvelle place qu'elle accorde à l'homme...
Auguste Comte (1798-1857) et le positivisme
La pensée d'A. Conte repose, dans son Cours de philosophie positive (1830-1842), sur l'idée que la connaissance, dans chaque domaine du savoir, se réalise en trois étapes. Initialement, l'origine et la fin du monde et de l'homme, comme tous les phénomènes, s'expliquent par l'intervention d'une force divine, surnaturelle ; c'est l'étape religieuse, "théologique". Puis vient "l'âge métaphysique" : la question "qui crée ?" devient "pourquoi ?", et des notions abstraites remplacent la religion. Enfin, avec le "comment ?" vient "l'âge positif", celui qui ne se préoccupe plus des origines ou des fins, mais seulement de l'étude des phénomènes observables. L'homme ne doit s'intéresser qu'à ce qui entre dans les limites de sa raison.
A partir de là, Conte hiérarchise les sciences, plaçant au sommet la "sociologie", dont le rôle est d'appliquer les méthodes scientifiques aux faits sociaux, et tout particulièrement à la politique, car, pour lui, l'idée d'individu isolé est inconcevable : l'homme ne peut se comprendre qu'en tant qu'être collectif. Cette philosophie, le "positivisme", a exercé une importante influence sur la seconde moitié du siècle.
Le scientisme
Le positivisme repose sur une confiance extrême en la raison de l'homme, dans sa faculté de développer ses connaissances scientifiques pour un progrès général de la société. Cet enthousiasme, cette croyance en l'avenir d'une science bénéfique, qui conduirait même au bonheur, deviennent, à la fin du siècle, tellement puissants que l'on parle de "scientisme", sorte de religion de la science. Même si certains écrivains, tels Villiers de l'Isle Adam ou Léon Bloy, émettent des réserves, ils ne sont guère écoutés... et l'hommage rendu à la science, susceptible de guérir tous les maux sociaux, est général. Ecoutons, par exemple, Ernest Renan (1823-1892) dans L'Avenir de la science, publié en 1890 :
Oui, il viendra le jour où l'humanité ne croira plus, mais elle saura le monde métaphysique et moral ; un jour où le gouvernement de l'humanité ne sera plus livré au hasard et à l'intrigue, mais à la discussion rationnelle des meilleurs et des moyens les plus efficaces de l'atteindre. Si tel est le but de la science, si elle a pour but d'enseigner à l'homme sa fin et sa loi, de lui faire saisir le vrai sens de la vie, de composer, avec l'art, la poésie et la vertu, le divin idéal qui seul donne du prix à l'existence humaine, peut-elle avoir de sérieux détracteurs?
Sans doute, quand on envisage l'ensemble complet des travaux de tout genre de l'espèce humaine, on doit concevoir l'étude de la nature comme destinée à fournir la véritable base rationnelle de l'action de l'homme sur la nature, puisque la connaissance des lois des phénomènes, dont le résultat constant est de nous les faire prévoir, peut seule évidemment nous conduire, dans la vie active, à les modifier à notre avantage les uns par les autres. Nos moyens naturels et directs pour agir sur les corps qui nous entourent sont extrêmement faibles et tout à fait disproportionnés à nos besoins. Toutes les fois que nous parvenons à exercer une grande action, c'est seulement parce que la connaissance des lois naturelles nous permet d'introduire, parmi les circonstances déterminées sous l'influence desquelles s'accomplissent les divers phénomènes, quelques éléments modificateurs, qui, quelque faibles qu'ils soient en eux-mêmes, suffisent, dans certains cas, pour faire tourner à notre satisfaction les résultats définitifs de l'ensemble des causes extérieures. En résumé, science, d'où prévoyance; prévoyance, d'où action : telle est la formule très simple qui exprime, d'une manière exacte, la relation générale de la science et de l'art , en prenant ces deux expressions dans leur acception totale.
A. Conte, Cours de philosophie positive, 2ème leçon, 1830-42
Janniot, Le Corps et l'Esprit, 1967. Sculpture en haut-relief de cuivre.
Lycée Marcel Mézen, Alençon.
A travers divers mouvements, qui se succèdent, se combinent, voire se contredisent, les arts et notamment la peinture, accomplissent une révolution esthétique, dont les audaces ont souvent choqué.
Un dossier pédagogique très intéressant sur la 2nde moitié du XIX° siècle, vue à travers les arts : cliquer sur le logo.
H. Bellangé (figures), Dauzats (architecture), Un jour de revue sous l'Empire (1810), 1862.
Huile sur toile, 101 x 161. Musée du Louvre, Paris.
J. Garnier, L'Opéra de Paris. Photographie colorisée, prise de la place de l'Opéra entre 1890-1905.
Les halles de Paris, intérieur. Photographie, vers 1853.
L'architecture
On peut distinguer trois grandes périodes dans l'architecture. Napoléon Ier cherche à donner du prestige à l'empire. Pour ce faire, il se réfère à la grandeur de l'empire romain, qui correspond d'ailleurs à l'idéal du Beau encore en vigueur. Ainsi, Paris se "romanise", avec, par exemple, l'érection de l'église de la Madeleine, créée par Vignon, avec ses colonnades, ou de la Bourse, par Brongniart, qui font écho, sur la rive droite, à la chambre des Députés, construite par Poyet sur l'autre rive. De même, vont se dresser la colonne Vendôme, les arcs de triomphe de l'Etoile ou du Carrousel. Fontaines, palais, escaliers monumentaux, cariatides, tout est "à l'antique", et même les intérieurs des appartements bourgeois avec leurs vases grecs, leurs sphinx, leurs mosaïques à frises géométriques..., sans oublier la mode féminine !
Mais, avec les romantiques, une rupture intervient, avec un retour au passé médiéval : c'est le néo-gothique. Outre les nombreuses églises alors construites, comme, à Paris, la basilique Sainte-Clotilde (entre 1846 et 1857) par Christian Gau, puis Théodore Ballu, ou restaurées, telle la cathédrale Notre-Dame par Viollet-le-Duc. Le style "troubadour" touche aussi le mobilier, et même des objets de décoration.
L'Hôtel Gaillard à Paris, architecte Victor-Jules Février, 1885 : le néo-gothique
Un immeuble haussmannien, à Paris.
D'autres exigences guident l'évolution sous le Second Empire. La croissance démographique exige de relancer la construction, notamment à Paris, mais dans d'autres grandes villes aussi, comme Lyon, Marseille, et d'ouvrir de larges artères pour faciliter les transports... et pouvoir réprimer plus aisément les émeutes. D'où le plan d'urbanisme du baron Haussmann (1809-1891), qui rénove totalement l'image de la capitale, en améliorant aussi l'hygiène grâce à un réseau d'égouts. En même temps, les banlieues se développent grâce au progrès des omnibus et des chemins de fer. Il faut alors penser à tout : nourrir les habitants, avec des Halles reconstruites, aménager des gares, bâtir de nouvelles églises, des lieux de loisirs, tel l'Opéra de Garnier, sans oublier les nombreux parcs et squares.
Bertall, Les cinq étages du monde parisien, 1845. Gravure de Lavieille in Le Diable à Paris.
F. Rude, Le Départ des volontaires de 1792 ou La Marseillaise, 1832-1835.
Haut-relief en pierre, 1160 x 600.
Arc de Triomphe de l'Etoile, Paris.
A. - L. Barye, Aigle tenant un héron, entre 1857-1875. Plâtre patiné et cire, 32 x 34 x 28. Musée du Louvre, Paris
J.-B. Carpeaux, La Danse, 1865-1869. Groupe en pierre d'Echaillon, 420 x 298 x 145.
Musée d'Orsay, Paris.
La sculpture
Avec l'Empire, la sculpture est entièrement entre les mains de l'Etat : c'est lui qui assure les commandes, qui impose un style à sa gloire, et qui donne aux oeuvres deux rôles nouveaux : embellir les villes et constituer un patrimoine dans les musées, tel celui du Louvre, considérablement enrichi d'objets antiques. Ainsi, la sculpture touche un nouveau public, et pénètre, sous la forme du "bibelot", les intérieurs bourgeois. On distingue deux grandes tendances :
- La première, au début du siècle, héritée de la révolution, est le goût antique : Les sujets mythologiques sont à la mode, comme les portraits coiffés, drapés ou nus "à l'antique". Mais les oeuvres, souvent froides et figées, créent une forme d'académisme, très dogmatique. Une exception, cependant, celles de Rude (1784-1855), telle son allégorie du Départ (cf. Image ci-dessus), qui réussit à concilier cette inspiration antique et, déjà, un élan fougueux, un dynamisme dramatique que le romantisme va rechercher.
- En parallèle avec l'évolution littéraire, le romantisme constitue une fracture. D'une part, de nouveaux sujets s'imposent, tels ceux qui relèvent de la vogue du moyen-âge. Sont créées de nombreuses Jeanne d'Arc, par exemple, à la suite de celle de Gois, en 1808. Ce même style "troubadour" se retrouve dans les statuettes en biscuit de la manufacture de Sèvres. D'autre part, on reconnaît dans bien des oeuvres les caractéristiques du romantisme, comme dans la création de Préault (1809-1879), Tuerie, réalisée en plâtre en 1834 et fondue en bronze en 1851 (cf. Image ci-contre) : violence des mouvements, désordre de la composition, exaltation des expressions, recherche du pathétique à travers le massacre de la femme et de l'enfant, placés au centre. C'est le début d'une polémique parallèle à celle autour du drame de V. Hugo, Hernani, bataille à laquelle Préault a d'ailleurs participé.
Deux sculpteurs ont alors produit une oeuvre particulièrement originale.
Un diaporama des oeuvres de Carpeaux.
Une vidéo Le FigaroTV, exposition Carpeaux, au Musée d'Orsay" : cliquer sur le lien.
A. Préault, Tuerie, sous-titre "Fragment épisodique d'un grand bas-relief", 1851 d'après un plâtre de 1834, 109 x 140. Musée de Chartres.
Antoine-Louis Barye (1795-1875)
Le romantisme a redécouvert l'exotisme et le monde sauvage. En témoignent les sculptures animalières de Barye, intéressantes par leur double aspect. Il se rapproche, en effet, de la volonté de réalisme propre à son époque : à partir des études de Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, et de ses visites au Muséum d'histoire naturelle, il reproduit l'anatomie animale avec une totale exactitude, jusqu'à imiter précisément la texture d'un pelage par exemple. Mais, parallèlement, il sait restituer la force qui émane de ces animaux sauvages, les animer dans leurs mouvements, leurs actions, comme pour la cruauté de l'oiseau qui s'abat sur sa proie dans Aigle tenant un héron (cf. Image ci-dessus).
François Carpeaux (1827-1875)
Toutes les sculptures de Carpeaux, qu'il s'agisse de portraits ou de scènes de groupe, révèlent une recherche du mouvement et de la vie. Si son Ugolin entouré de ses quatre enfants (1860), inspiré du chant XXXIII de La divine Comédie de Dante, montre, de façon très romantique, la douleur et l'angoisse de ce père, enfermé et condamné à mourir de faim, dont la légende dit qu'il finit par manger ses enfants, son oeuvre traduit plutôt le triomphe de la vie, joyeuse et gracieuse : la ronde du Triomphe de Flore (1873), la joie bondissante des Trois Grâces (vers 1873), le mouvement circulaire exubérant de La Danse (cf. Image ci-dessus). Son travail sur les saillies et les creux, pour jouer sur l'ombre et la lumière, correspond, dans la sculpture, à la pratique des peintres impressionnistes. Mais l'impression de bonheur qu'il suggère contraste avec le "mal de vivre" de la génération de 1870, provoquant le rejet d'une oeuvre qui rompt aussi avec les normes académiques alors en vigueur.
H. Berlioz, La Damnation de Faust, "D'amour l'ardente flamme", 1846.
Air interprété par C. Gibault, avec l'orchestre philharmonique slovaque, Strasbourg, 2008.
Bizet, Carmen, "Habanera", 1875.
Air interprété par Rita-Lucia Schneider, Slovène National Theater, Maribor, 1975.
G. Fauré, Clair de lune, op. 46, n°2, 1896, sur un poème de Verlaine.
Air interprété par Régine Crespin, avec John Wustman au piano, 1966.
C. Debussy, Pelléas et Mélisande, de Maeterlinck, III, 1, 1902.
Interprété par A. Hagley et N. Archer, au Welsh National Opera.
La musique
La première caractéristique de la musique au XIX° siècle est la prédominance de l'art lyrique : il résume, à lui seul, le renouveau musical, plus tardif cependant que dans les autres arts car les goûts du public privilégient encore la tradition harmonique du XVIII° siècle, et il veut d'abord applaudir la performance d'un chanteur ou des mélodies faciles à retenir. Il existe cependant une avant-garde, qui rénove la mélodie et crée de nouveaux systèmes harmoniques.
L'art lyrique
Après l'Empire, où l'art lyrique,encore très académique, se limite à des oeuvres de commande ou de simple divertissement (citons Méhuc, Gossec, Catel, Lesueur...), les années 1820-1860 sont dominées par deux étrangers installés en France, l'italien Rossini (1792-1868) et l'allemand Meyerbeer (1791-864). Le premier dirige le Théâtre-Italien, où il fait admirer le "bel canto", par exemple dans son célèbre opéra-bouffe Le Barbier de Séville (1816). Le second, arrivé à Paris en 1826, s'associe au librettiste Scribe, et connaît de grand succès, notamment avec Robert le Diable (1831), Les Huguenots (1836), ou Le Prophète (1849), oeuvres marquées par le romantisme. Dans cette lignée s'inscrivent des musiciens français tels Auber, Halévy, Adam.
C'est un autre Allemand, Wagner, qui amène un changement dans l'art lyrique avec son Tannhaüser (1861), drame lyrique associant poésie et musique. Il tient, à Paris, un salon que fréquentent de nombreux artistes novateurs, comme le réaliste Champfleury ou Baudelaire. Mais cette "synthèse des arts" avait déjà été entreprise, en 1959, par Hector Berlioz (1803-1869), dans La Damnation de Faust (Cf. vidéo ci-dessus), par Charles Gounod (1818-1893), avec un autre Faust (1859), et poursuivie par Camille Saint-Saëns, dont l'oeuvre Samson et Dalila est donnée par Liszt à Weimar en 1877.
Des cénacles musicaux diversifiés
Même si les oeuvres de Berlioz ne sont appréciés que d'un public réduit d'initiés, ses oeuvres, la Symphonie fantastique (1830) ou la Symphonie dramatique de Roméo et Juliette (1839), marquent la véritable création de l'orchestre moderne, dont il a mesuré toutes les possibilités (Cf. Extrait ci-contre).
Une musique "littéraire"
La musique de Wagner conduit le langage musical à se mettre au service des différentes écoles littéraires de la seconde moitié du siècle. Ainsi, Ernest Reyer (1823-1909), avec Siegfried (1864), s'inscrit encore dans le courant romantique, et Charles Monselet, écrivain et journaliste, écrit à son propos : "Est-ce un musicien qui écrit, ou un écrivain qui fait de la musique ?" Alfred Bruneau compose, lui, sur des livrets du naturaliste Zola, l'oeuvre de Gustave Charpentier, Louise (1900), se présente comme un "roman musical", Georges Bizet (1838-1875) affirme, en 1875, son réalisme dans sa Carmen (Cf. vidéo ci-dessus), à partir de la nouvelle de Mérimée. Enfin, à la fin du siècle, c'est le symbolisme qui se manifeste, avec la mise en musique, par Claude Debussy (1862-1918) de Pelléas et Mélisande (Cf. vidéo ci-dessus), dont les audaces musicales font scandale à l'Opéra-Comique en 1902.
César Franck, Prélude, fugue et variation, 1860-62, par V. Dubois, concert dans la cathédrale de Soissons, 2006.
C. Saint-Saëns, Le Carnaval des animaux, 1886. Introduction et marche royale du lion. The royal philhamonic orchestra, dirigé par Andrea Licata.
César Franck (1822-1890), Belge naturalisé français, transforme, lui, tout le système harmonique. Chargé de la classe d'orgue au Conservatoire de Paris, il forme toute une génération, surnommée "la bande à Franck" dont Chausson, Leleu, d'Indy, Duparc...
Gabriel Fauré (1845-1924) forme lui aussi une "école", avec un système harmonique personnel audacieux, qui retrouve les vieux modes grec et grégorien. Il privilégie les genres plus intimes, musique pour piano ou de chambre, toute en finesse et en douceur, à l'exemple de son Clair de lune (Cf. Extrait ci-dessus), en 1896, sur un poème de Verlaine.
A la fin du siècle, les innovations se multiplient. Avec la musique pour ballets de Léo Delibes (1836-1891), les pièces inspirées du folklore d'Emile Chabrier (1841-1894), la Symphonie espagnole (1875) et le ballet Namouna (1882) d'Edouard Lalo (1823-1892), ou encore les oeuvres pour orchestre de Bizet (Cf. extrait ci-dessus) et de Saint-Saëns (Cf. extrait ci-dessus), tout a changé dans les formes musicales et le système tonal, comme dans les goûts du public.
Avec quelle joie furieuse il s'abandonne au bonheur de "jouer de l'orchestre" ! Comme il presse, comme il embrasse, comme il étreint cet immense et fougueux instrument ! L'attention multiple lui revient ; il a l'oeil partout ; il indique d'un regard les entrées vocales et instrumentales, en haut, en bas, à droite, à gauche ; il jette avec son bras droit de terribles accords qui semblent éclater au loin comme d'harmonieux projectiles : puis il arrête, dans les points d'orgue, tient ce mouvement qu'il a communiqué ; il enchaîne toutes les attentions ; il suspend tous les bras, tous les souffles, écoute un instant le silence... et redonne plus ardente carrière au tourbillon qu'il a dompté...
Berlioz, Lettre à Liszt, 1841.
E. Delacroix, Scène des massacres de Scio, 1824. Huile sur toile, 419 x 354. Musée du Louvre, Paris.
G. Courbet, Un Enterrement à Ornans, 1849. Huile sur toile, 315 x 668.
Musée d'Orsay, Paris
Une vidéo d'analyse du tableau de Courbet : cliquer sur le lien.
C. Monet, Les Nymphéas bleus et saules, entre 1916-1919. Huile sur toile, 150 x 197.
Musée Marmottan, Paris.
La peinture
Le néo-classicisme : David (1748-1825) et Ingres (1780-1867)
Le goût pour le style antique, propre à l'Empire, fait tomber la peinture dans un courant académique. Deux artistes illustrent ce néo-classicisme, Jacques-Louis David et Jean-Auguste-Dominique Ingres.
David impose les normes d'un Beau idéal, hérité de l'antiquité, tout en répondant à une volonté d'engagement. Ainsi il se plaît aux sujets mythologiques, comme pour Léonidas aux Thermopyles (1814), et se met au service de la gloire de l'Empire dans ses portraits de Napoléon, depuis Bonaparte franchissant le Grand Saint-Bernard (1800-1803) jusqu'au Sacre de Napoléon (1805-1807). Dans son atelier, ses élèves, tels Gérard, Girodet, et Guérin, apprennent à suivre son refus de l'expression, même si deux d'entre eux, Gros et Prud'hon, manifestent davantage leur lyrisme.
Parmi ses élèves, c'est Ingres qui offre certainement la personnalité la plus originale, à la fois par son souci du dessin, et la sensualité qui perce sous l'apparente froideur de la représentation : Le dessin comprend les trois quarts et demi de ce qui constitue la peinture", écrit-il, "Le dessin comprend tout, excepté les teintes", "Plus les lignes et les formes sont simples, plus il y a de beauté et de force."
Une remarquable analyse des portraits d'Ingres : "Les clés du regard 14", 1992, par J.-E. Berger.
Une rupture : le romantisme
Comme dans la littérature, c'est entre 1820 et 1840 qu'intervient une première rupture : la peinture romantique s'oppose totalement aux conceptions antérieures, en faisant valoir, à côté du dessin et de l'équilibre des formes, la couleur, le mouvement, la touche, propres à faire ressentir l'émotion. Deux maîtres s'affirment alors : Théodore Géricault (1791-1824) et Eugène Delacroix (1798-1863).
- Dès le Salon de 1812, un tableau de Géricault, Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant, lance le scandale, d'une part parce qu'il peint un soldat anonyme, d'autre part en raison de l'audace du mouvement de torsion de l'homme et de l'animal. Le rejet est encore plus violent pour Le Radeau de la Méduse, à cause à la fois de l'aspect atroce du sujet représenté et de l'intensité des mouvements. A partir de Géricault, la peinture s'autorise tous les sujets, fait vibrer par les couleurs la réalité, même la plus ordinaire, dans le but de restituer la vie même.
- Delacroix s'inscrit dans ce prolongement, provoquant lui aussi le scandale. Scène des massacres de Scio (Cf. Image ci-dessus), par exemple, illustre bien son esthétique, qui vise ici à restituer le tragique de cet épisode historique récent, le massacre des habitants de l'île de Scio, en Grèce, par les Ottomans. Déjà, on y reconnaît le goût romantique pour l'exotisme, car la couleur locale justifie le choix de couleurs très expressives : le rouge sanglant des vêtements, des blessures et de l'incendie contraste avec le blanc des visages et du linge. De même, le mouvement violent du cheval s'oppose à l'accablement des victimes, traduit aussi par le regard de la vieille femme. C'est le premier pas vers une esthétique moderne.
Ce genre d’émotion propre à la peinture est tangible en quelque sorte ; la poésie et la musique ne peuvent le donner. Vous jouissez de la représentation réelle de ces objets, comme si vous les voyiez véritablement, et en même temps le sens que renferment les images pour l’esprit vous échauffe et vous transporte. Ces figures, ces objets, qui semblent la chose même à une certaine partie de votre être intelligent, semblent comme un pont solide sur lequel l’imagination s’appuie pour pénétrer jusqu’à la sensation mystérieuse et profonde dont les formes sont en quelque sorte l’hiéroglyphe […].
E. Delacroix, Journal, 20 octobre 1853.
D’abord il faut remarquer, et c’est très important, que, vu à une distance trop grande pour analyser ou même comprendre le sujet, un tableau de Delacroix a déjà produit sur l’âme une impression riche, heureuse ou mélancolique. On dirait que cette peinture, comme les sorciers et les magnétiseurs, projette sa pensée à distance. Ce singulier phénomène tient à la puissance du coloriste, à l’accord parfait des tons, et à l’harmonie (préétablie dans le cerveau du peintre) entre la couleur et le sujet. Il semble que cette couleur, qu’on me pardonne ces subterfuges de langage pour exprimer des idées fort délicates, pense par elle-même, indépendamment des objets qu’elle habille. Puis ces admirables accords de sa couleur font souvent rêver d’harmonie et de mélodie, et l’impression qu’on emporte de ses tableaux est souvent quasi musicale. Un poëte a essayé d’exprimer ces sensations subtiles dans des vers dont la sincérité peut faire passer la bizarrerie :
Delacroix, lac de sang, hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent comme un soupir étouffé de Weber (1).
Lac de sang : le rouge ; — hanté des mauvais anges : surnaturalisme ; — un bois toujours vert : le vert, complémentaire du rouge ; — un ciel chagrin : les fonds tumultueux et orageux de ses tableaux ; — les fanfares et Weber : idées de musique romantique que réveillent les harmonies de sa couleur.
(1) Strophe des "Phares", poème des Fleurs du Mal de Baudelaire.
C. Baudelaire, Exposition universelle de 1855, "Beaux arts, III : Eugène Delacroix".
Delacroix, La Liberté guidant le peuple : un regard intéressant, CED.
Géricault, Le Radeau de la Méduse : une remarquable analyse d'A. Jaubert, Musée du Louvre.
Du romantisme au réalisme
Après 1840 s'opère une nouvelle rupture, premier germe de ce qui se passera dans la littérature : la volonté de restituer la réalité nue, exacte et vraie.
- La peinture de Gustave Courbet (1819-1877) représente parfaitement ce réalisme. Nouveau scandale à l'exposition de 1855, avec des tableaux qui refusent tout enthousiasme, toute idéalisation... Il fait revivre des scènes de la vie de sa ville natale, Ornans, notamment les plus humbles occupations du monde paysan, dans un cadre naturel, en prêtant un intérêt tout particulier à la lumière, sans trahir la vérité (cf. Image ci-dessus).
Je tiens aussi que la peinture est un art essentiellement "concret" et ne peut exister que dans la représentation des choses "réelles et existantes". C'est une langue toute physique, qui se compose pour mots, de tous les objets visibles : un objet "abstrait", non visible, non existant, n'est pas du domaine de la peinture.
L'imagination dans l'art consiste à savoir trouver l'expression la plus complète d'une chose existante, mais jamais à supposer ou à créer cette chose même.
Le beau est dans la nature, et se rencontre dans la réalité des formes les plus diverses. Dès qu'on l'y trouve, il appartient à l'art, ou plutôt à l'artiste qui sait l'y voir. Dès que le beau est réel et visible, il a en lui-même son expression artistique. Mais l'artiste n'a pas le droit d'amplifier cette expression. Il ne peut y toucher qu'en risquant de la dénaturer, et par suite de l'affaiblir. Le beau donné par la nature est supérieur à toutes les conventions de l'artiste.
G. Courbet, Correspondance, "Lettre aux jeunes artistes de Paris", 25 décembre 1861.
- La même volonté de vérité anime Jean-François Millet (1814-1875), qui lui aussi privilégie la représentation de la terre et des réalités paysannes. - Quant à Honoré Daumier (1808-1879), il s'inscrit dans la lignée de La Comédie humaine de Balzac, en illustrant, jusqu'à la caricature, les réalités de la bourgeoisie et du monde politique de son temps.
H. Daumier, Les Passants, vers 1868. Huile sur toile, 19,5 x 36. Collection privée.
Daumier et ses caricatures.
L'Ecole de Barbizon
Pour mieux connaître Millet...
... et Théodore Rousseau.
L'exemple de Courbet et de Millet conduit plusieurs peintres qui veulent peindre dans un décor naturel, "sur le motif", à quitter Paris pour s'installer à Barbizon, petit village dans la forêt de Fontainebleau. Tous, à commencer par leur chef de file, Théodore Rousseau (1812-1867), sont d'abord des paysagistes, avec une sensibilité particulière à la lumière, comme Narcisse Diaz qui rend, tout particulièrement l'atmosphère des forêts.
Deux précurseurs de l'impressionnisme : Corot et Daubigny
Dans ce refus de se cantonner à leur atelier clos, ressortent les personnalités de Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) et de Charles-François Daubigny (1817-1878).
Daubigny, sur son bateau aménagé en atelier, peint les bords de la Seine et de l'Oise, en restituant tous les reflets et les chatoiements de l'eau. Corot, lui, montre son goût pour les constructions, les ponts et les viaducs, masses permettant de capter les contrastes entre l'ombre et la lumière. Selon les lieux, les heures, il cherche à exprimer la fluidité de l'air, pour recréer le réel selon son émotion immédiate. Il est le premier à donner de l'importance au terme "impression" : "ne jamais perdre la première impression qui nous a émus", déclare-t-il.
Ces peintres ont exercé une évidente influence sur les impressionnistes, qui vont pousser à l'extrême leurs recherches.
Le beau dans l'art, c'est la vérité baignée dans l'impression que nous avons reçue à l'aspect de la nature. Je suis frappé en voyant un lieu quelconque. Tout en cherchant l'imitation consciencieuse, je ne perds pas un seul instant l'émotion qui m'a saisi. Le réel est une partie de l'art ; le sentiment complète. Sur la nature, cherchez d'abord la forme ; après, les valeurs ou les rapports de tons, la couleur et l'exécution ; et le tout soumis au sentiment que vous avez éprouvé. Ce que nous éprouvons est bien réel. Devant tel site, tel objet, nous sommes émus par une certaine grâce élégante. N'abandonnons jamais cela et, en cherchant la vérité et l'exactitude, n'oublions pas de lui donner cette enveloppe qui nous a frappés.
Corot, Album.
C.-F. Daubigny, La Confluence de la Seine et de l'Oise, 1868.
Huile sur toile, 87 x 157. Musée des Beaux-Arts de Budapest.
J.-B. Corot, Le Pont de Mantes, entre 1868-1870. Huile sur toile, 38 x 55. Musée du Louvre, Paris.
Du réalisme à l'impressionnisme
Pour découvrir Manet... Degas... et Renoir : voir les vidéos, puis cliquer sur les liens correspondants.
Manet, Degas, Renoir
Trois peintres, tout en maintenant le désir de réalisme, font évoluer les techniques : l'oeuvre
picturale devient ainsi un univers autonome.
Entre les scandales du Déjeuner sur l'herbe (1863) et de l'Olympia (1865), Edouard Manet (1832-1883) affirme sa volonté de mêler la tradition aux réalités contemporaines, et d'adopter une nouvelle technique : une juxtaposition, jugée alors brutale, de tons vifs et contrastés, que Courbet qualifie avec ironie de technique de "carte à jouer".
Cette technique conduit à une oeuvre qui semble n'avoir que deux dimensions, les volumes n'étant restitués que par l'opposition des plans colorés répartis sur la toile. C'est en cela qu'il inspire les impressionnistes, dont il rejoint le groupe en 1874, en effectuant alors un travail plus précis sur la lumière.
Edgar Degas (1834-1917) a toujours refusé l'étiquette d'impressionniste. Il est d'ailleurs le seul parmi eux à travailler encore à l'intérieur de son atelier et non en plein air : les paysages ne l'intéressent pas, il préfère les portraits, individuels ou scènes de groupe. Cependant, c'est lui qui organise la première exposition du groupe, et il expose ses tableaux à leurs côtés. Comme eux, en effet, il privilégie des sujets modernes, avec un intérêt tout particulier porté à la musique et à la danse. Cela le conduit à des recherches pour restituer, par la lumière, les mouvements, le rythme, en travaillant, lui aussi, sur la juxtaposition des tons.
Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) présente une oeuvre très diversifiée, influencée par Courbet à ses débuts : paysages, portraits, scènes de genre... C'est à partir de 1869 qu'il adopte plus nettement la technique impressionniste, divisant lui aussi les tons pour obtenir l'impression d'une clarté plus rayonnante, et restituer davantage les volumes. Puis il évolue : d'abord à la manière d'Ingres, par exemple dans Les grandes Baigneuses (1884-1887), en accordant plus d'importance au dessin, à l'équilibre de la composition, avec des couleurs uniformément réparties, plus lisses ; ensuite vient la "période nacrée", où il travaille à nouveau sur la lumière, avec des lignes plus fluides.
Le groupe impressionniste : Monet, Pissarro, Sisley, Bazille, Gauguin, Van Gogh, Caillebotte, Cézanne...
Pour mieux comprendre le rôle de l'eau dans l'oeuvre de Monet.
Cette liste pourrait encore s'allonger, car l'impressionnisme a constitué un courant majeur à la fin du XIX° siècle, auquel de nombreux peintres, chacun avec sa personnalité et ses choix propres de sujets et de techniques, se sont associés. La clé pour comprendre ce courant est leurs recherches sur la lumière dans ses rapports optiques avec les formes et les couleurs, dont témoigne la série de Claude Monet (1840-1926) sur les Cathédrales de Rouen. C'est aussi ce qui explique sa fascination pour l'eau : sa contemplation permet de percevoir toutes les variations de la lumière, la dissociation de ses composantes colorées, qui conduit à l'éclatement des formes. Le fait de peindre des "séries", comme Les Nymphéas (Cf. Image ci-dessus) montre d'ailleurs sa conviction que chaque moment, par une luminosité différente, modifie le paysage. D'où la technique particulière communes à tous les impressionnistes : des touches juxtaposées, comme des virgules de pâte épaisse, de couleurs primaires, rouge, bleu, jaune, et de leurs complémentaires, vert, orange, violet, sans mélange préalable, complétées par l'utilisation des blanc et noir. Ainsi, le sujet représenté, apparemment désintégré, se recompose à distance par un effet d'optique qui restitue les volumes et les ombres.
Une présentation claire des principaux peintres impressionnistes : cliquer sur l'image.
... et un diaporama de leurs oeuvres.
Bien évidemment, chaque peintre a son originalité, déjà par rapport aux sujets choisis : par exemple, Sisley choisit plutôt les paysages campagnards d'Ile-de-France, tandis que Caillebotte devient le peintre des rues parisiennes. De même, la technique peut varier, comme pour les effets tourbillonnants de Van Gogh face aux masses plus statiques de Pissarro ou Cézanne. Mais tous se rejoignent dans leur désir de "faire impression".
Au-delà de l'impressionnisme
Pour mieux comprendre l'oeuvre de Seurat.
Pour Georges Seurat (1859-1891) et Paul Signac (1863-1935), l'impressionnisme est un point de départ. Ils poussent encore plus loin la division de la lumière et réduisent les touches du pinceau à n'être plus que des points, entraînant dans cette technique d'autres peintres qui évoluent, comme Pissarro. On parle alors de "pointillisme" ou de néo-impressionnisme.
L'école de Pont-Aven, elle, s'oppose à la désagrégation de l'impressionnisme et prône le synthétisme. Il s'agit de simplifier à l'extrême le sujet pour faire ressortir les masses, comme l'écrit Maurice Denis, (1870-1943) l'un d'entre eux : " Se rappeler qu'un tableau avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs dans un certain ordre assemblé". Ils reviennent aux couleurs franches, posées en àplat, avec des formes souvent soulignées par un trait noir. Ainsi Paul Serusier, Emile Bernard, Paul Gauguin (1848-1903) contribuent à détacher la peinture de la représentation du réel.
L'Ecole de Pont-Aven.