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Projet d'une Union fédérale européenne, in "Vu", 9-09-1929
L'entre-deux-guerres : entre espoirs et menaces
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Comme dans les siècles précédents, certains auteurs se sont illustrés dans différents genres littéraires. Cependant, pour faciliter l'analyse de cette période particulièrement riche et complexe, nous choisisssons de les étudier dans le genre qu'ils ont le plus pratiqué ou dans celui qui les a rendus célèbres.

Le roman entre les deux guerres

roman

Pendant l'entre-deux-guerres, le roman poursuit son essor, favorisé par la mise en place d'une véritable politique commerciale : articles dans des revues, comme la prestigieuse Nouvelle Revue Française, dont le premier numéro paraît en 1908, attribution de prix littéraires, tels le Goncourt, depuis 1903, ou le Femina, créé en 1905, interviews radiodiffusées, encarts publicitaires... , tout cela contribue à multiplier le nombre des lecteurs, mieux formés aussi. Le roman se diversifie également, pour essayer de répondre aux questions que se pose cette époque.

Le roman-fleuve

Déjà au début du siècle Romain Rolland (1866-1944) avec Jean-Christophe, publié en dix volumes dans les Cahiers de la quinzaine entre 1904 et 1912, avait choisi ce qu'il est convenu de nommer le "roman-fleuve", héritage des cycles romanesques élaborés par Balzac et Zola, ou même des romans-feuilletons, en vogue au XIX° siècle. Mais, contrairement à la Comédie humaine de Balzac ou aux Rougon-Macquart de Zola, où les romans du cycle sont indépendants, dans un roman-fleuve, les volumes n’ont qu’une autonomie provisoire, car ils construisent une progression, temporelle le plus souvent, et constituent un ensemble structuré, avec un début et une fin qui font sens. Cette forme littéraire s'affirme dans l'entre-deux-guerres, sans doute pour mieux correspondre à la volonté de redonner un sens à des vies qui semblent se dissoudre dans les horreurs de la guerre et être menacées par les soubresauts politiques. Le romancier, en brossant une large fresque politico-sociale, met, en effet, davantage en évidence l'évolution des personnages auxquels, de ce fait, il prête un destin explicable par le contexte dans lequel ils forgent leur personnalité.

Roger Martin du Gard  (1881-1958)
J. Blanche, "Portrait de Martin du Gard, 1930

J. E. Blanche, Portrait de Martin du Gard, 1930. Frontispice de la rééd. des Thibault.

Pour en savoir plus sur sa vie et son oeuvre, un site très complet : cliquer sur l'image.

Jamais Martin du Gard ne déviera des conceptions exprimées dans son second roman, Jean Barois, en 1913 : avec, en toile de fond, l'affaire Dreyfus, il montre comment l'Histoire, avec ses fanatismes, menace l'individu, pris dans le tragique collectif, prêt à toutes les bassesses et aux pires compromissions.

C'est ce qu'il va amplement développer dans Les Thibault, son oeuvre maîtresse qui déroule, en huit romans publiés entre 1920 et 1939, la vie d'une grande famille de la bourgeoisie parisienne, catholique et conservatrice, dans le premier quart du siècle. Les deux premiers volumes, Le Cahier gris et Le Pénitencier, mettent en place les principaux personnages. Oscar Thibault, le père, intransigeant,  exerce les pleins pouvoirs sur ses deux fils, bien différents l'un de l'autre : Antoine, le raisonnable, sous cette tutelle devient médecin, tandis le père fait enfermer Jacques, l'idéaliste rebelle, dans une maison de redressement. Sont aussi mis en scène les conflits religieux encore vifs avec l'affaire Dreyfus, le catholicisme, rigoureux, face à un protestantisme, plus libre, illustré par la famille Fontanin.

Dans La Sorellina, le cinquième tome, où nous découvrons avec Jacques, exilé en Suisse, les idées libertaires d'un groupe révolutionnaire international, et surtout dans les deux derniers volumes, L'été 14 et Epilogue, la fresque devient plus nettement historique. Nous partageons avec les héros les luttes des pacifistes : Jacques meurt, abattu d'un coup de revolver après que l'avion, avec lequel il lançait des tracts pacifiques sur la ligne de front, a eu un accident ; Antoine, lui, participe à la guerre, est gazé, et, face aux souffrances, finit par se suicider, après avoir rédigé un journal dans lequel il prodigue des conseils à son jeune neveu. Sa sagesse, lucide et apaisée, est le reflet des conceptions de Martin du Gard.

Après une fugue, Jacques est ramené chez lui par son frère.

 L'ascenseur l'enleva, comme un fétu, pour le jeter sous la férule paternelle : de toutes parts, sans résistance possible, il était prisonnier de sa famille, de la police, de la société.

Pourtant, lorsqu'il retrouva son palier, lorsqu'il reconnut le lustre allumé dans le vestibule comme les soirs où son père donnait ses dîners d'hommes, il éprouva une douceur, malgré tout, à sentir autour de lui l'enveloppement de ces habitudes anciennes ; [...]

Mais la porte du cabinet s'ouvre à deux battants, et le père surgit dans l'embrasure. Du premier coup d'œil  il aperçoit Jacques et ne peut se défendre d'être ému. Il s'arrête cependant et referme les paupières ; il semble attendre que le fils coupable se précipite à ses genoux, comme dans le Greuze dont la gravure est au salon.

Le fils n'ose pas. Car le bureau, lui aussi, est éclairé comme pour une fête, et les deux bonnes viennent d'apparaître à la porte de l'office, et puis M. Thibault est en redingote, bien que ce soit l'heure de la vareuse du soir : tant de choses insolites paralysent l'enfant. Il s'est dégagé des embrassades de Mademoiselle ; il a reculé, et reste debout, baissant la tête, attendant il ne sait quoi, ayant envie, tant il y a de tendresse accumulée dans son cœur de pleurer, et aussi d'éclater de rire ! Mais le premier mot de M. Thibault semble l'exclure de la famille. L'attitude de Jacques, en présence de témoins, a fait s'évanouir en un instant toute velléité d'indulgence ; et, pour mater l'insubordonné, il affecte un complet détachement :

- " Ah, te voilà ", dit-il, s'adressant à Antoine seul. "Je commençais à m'étonner. Tout s'est normalement passé là-bas ? " Et, sur la réponse affirmative d'Antoine qui vient serrer la main molle que son père lui tend :

" Je te remercie, mon cher, de m'avoir épargné une démarche... Une démarche aussi humiliante ! "Il hésite quelques secondes, il espère encore un élan du coupable ; il décoche un coup d'oeil vers les bonnes, puis vers l'enfant, qui fixe le tapis avec une physionomie sournoise. Alors, décidément fâché, il déclare :

- " Nous aviserons dès demain aux dispositions à prendre pour que de pareils scandales ne se renouvellent jamais. "

R. Martin du Gard, "Le Cahier gris", Les Thibault, 1920

« Tu crois vraiment qu’une guerre couve dans les Balkans ? »

Jacques regardait fixement son frère :

–       «  Est-ce possible qu’à Paris vous n’ayez  pas encore la moindre notion de ce qui se passe depuis trois semaines ? Tous ces présages qui s’accumulent ! Il ne s’agit plus d’une petite guerre  dans les Balkans : C’est toute l’Europe, cette fois, qui va droit à une guerre ! Et vous continuez à vivre, sans vous douter de rien ? »

–       – « Tzs tzs », fit Antoine, sceptique.

Pourquoi pensa-t-il soudain au gendarme qui était venu, un matin, de cet hiver à l’heure où il allait partir pour l’hôpital, changer l’ordre de mobilisation de son livret ? Il se souvint qu’il n’avait même pas eu la curiosité de regarder quelle était sa nouvelle affectation Après le départ du gendarme, il avait jeté le livret dans quelque tiroir – Il ne savait même plus où…

-«  Tu n’as pas l’air de comprendre, Antoine… Nous sommes arrivés au moment où, si tous font comme toi, si tous laissent les choses aller, la catastrophe est inévitable… Déjà, à l’heure actuelle, il suffirait, pour la déclencher, d’un rien, d’un stupide coup de feu sur la frontière austro-serbe… »

Antoine ne disait rien. Il venait de recevoir un léger choc. Une bouffée de chaleur lui enflamma le visage. Ces paroles touchaient brusquement en lui comme un point secret que, jusqu’alors, aucune sensibilité particulière ne lui avait permis de localiser. Lui aussi, comme tant d’autres en cet été de 1914, se sentait vaguement à la merci d’une fébrilité collective, contagieuse – d’ordre cosmique, peut-être ? – qui circulait dans l’air. Et, pendant quelques secondes, il subit, sans pouvoir s’en défendre, l’angoisse d’un pressentiment. Il surmonta presque aussitôt cet absurde malaise, et, réagissant à l’extrême, comme toujours, il prit plaisir à contredire son frère – mais sur un ton conciliant :

–       «  Naturellement, là dessus, je suis moins renseigné que toi… Tout de même, reconnais avec moi que, dans une civilisation comme celle de l’Europe occidentale, l’éventualité d’un conflit général est à peu près impossible à imaginer ! Avant d’en arriver là, il faudrait, en tout cas de tels revirements d’opinion !… Cela demanderait du temps, des mois, des années peut être… pendant lesquels d’autres problèmes surgiraient, qui enlèveraient à ceux d’aujourd’hui leur virulence… »

Il sourit tout à fait rasséréné par son propre raisonnement.

R. Martin du Gard, "L'été 14", Les Thibault, 1936

Georges Duhamel  (1884-1966)
C. Le Breton, "Georges Duhamel", 1923

C. Le Breton, Georges Duhamel, 1923. Portrait gravé sur bois, in "Confession de minuit", Vie et Aventures de Salavin.

Chirurgien aux armées pendant la guerre, Duhamel décide, à la fin du conflit, de se consacrer à la littérature. Ses premiers romans, Vie des martyrs (1917) et Civilisation (1918), témoignent de cette douloureuse expérience et expriment sa révolte contre les hommes acharnés à détruire la "civilisation" qu'ils avaient su bâtir. La Possession du monde (1919) propose une réponse, en les invitant à plus de mutuelle compréhension et d'amour de leur univers. Puis viennent les romans-fleuves, de 1920 à 1935, cinq volumes regroupés sous le titre Vie et Aventures de Salavin, et, de 1932 à 1945, son  oeuvre maîtresse, La Chronique des Pasquier, en dix volumes.

Cette dernière s'organise autour de Laurent Pasquier, professeur de biologie au Collège de France, qui, ayant entrepris de rédiger ses mémoires, fait à la fois la peinture de la III° République, qu'il analyse lucidement, et le bilan de sa propre existence, sur un ton tantôt humoristique, tantôt désabusé.  Il montre l'influence contradictoire exercée sur lui par l'idéalisme de son père, Raymond, et par son frère Joseph, spéculateur sans scrupules. Ainsi s'opposent, au fil des volumes, deux clans, d'un côté Raymond, Laurent, et ses deux soeurs, Cécile et Suzanne, qui refusent le matérialisme pour partir en quête d'un absolu, de l'autre la mère, Joseph et Ferdinand, enfermés dans la médiocrité quotidienne et pris par l'appât du gain. C'est toute la mouvance scientifique, artistique, intellectuelle de son époque que restitue Duhamel, à travers les multiples personnages dont les destins s'entrecroisent depuis l'amitié née au temps du "Désert".

Ce "Désert" reproduit "l'Abbaye", sorte de communauté artistique fondée avec Charles Vildrac en 1906 à Créteil, et qui regroupe divers artistes, peintres, poètes d'avant-garde : "... Dès maintenant je dois parler de l’Abbaye. Plusieurs fois par semaine, nous nous réunissions le soir chez l'un ou l'autre. Vildrac semblait tourmenté d'un rêve merveilleux, celui d'une sorte d'abbaye de Thélème selon Rabelais. "Nous devrions, disait-il, nous retirer tous ensemble à la campagne et vivre comme des moines libres et sans autre règle que celle de l'amitié, consacrant une part de notre temps à la poésie, et l'autre à quelque métier manuel qui nous permettrait d'assurer notre vie matérielle..."...Dès lors les choses allèrent très vite : la maison fut trouvée, à Créteil, ... Le Phalanstère était fondé..." (in "Georges Duhamel par lui-même", texte inédit datant des années 50). Duhamel a mis beaucoup de lui-même dans son narrateur, Laurent : il partage ses doutes, ses valeurs, et son optimisme raisonné.

L'Abbaye de Créteil

Pour en savoir plus sur Duhamel et "l'Abbaye" : cliquer sur l'image.

Trente-trois ans ! Est-ce possible ? Oui, c'est parfaitement possible. Et même c'est fort bien ainsi. Ce n'est pas "trente-trois ans déjà" que le rêveur en blouse blanche doit compter, c'est "trente-trois ans", oui, dans vingt ans, il n'aura que cinquante-trois ans, ce qui doit être le sommet d'une belle vie laborieuse. Et dans quarante ans, s'il y va, sera-t-il beaucoup plus vieux que: ses maîtres Dastre ou Richet dont le monde entier admire encore l'intelligence rayonnante ?

C'est un immense champ de vie qui reste à labourer. Et, pourtant, que signifie l'étonnant changement de rythme qui, depuis près d'un lustre, brouille toute supputation ? Il semble que les années se mettent à tourner bien plus vite que naguère et que jadis. On dit que, pour les vieillards, le temps n'a pas même valeur que pour les adolescents. Trente­-trois ans ! Ce n'est pas forcément le milieu de la course. Les journées sont encore bien longues, mais les années commencent de valser avec fureur et de sombrer tour à tour dans le ténébreux abîme. [...]

Le front de Laurent Pasquier, ce front bombé, lumineux, se plisse par vagues soucieuses. L'effort de sa lignée va-t-il s'arrêter en lui ? Il n'a pas encore fondé un foyer. Il chérit la solitude autant qu'il la redoute. Il a déjà des habitudes et presque des manies de vieux garçon. Se peut-il que la poussée de sève qui monte du fond des âges vienne se tarir en lui ?

Le jeune homme hausse les épaules. Il pense en remuant les lèvres : "J'aime la vie, même quand elle me blesse, même quand elle me désespère. Que pourrait-il m'arriver qui me fît dévier de ma route ? Toutes mes ambitions sont déclarées, toutes mes ambitions se présentent en pleine lumière. Je fais le métier que j'aime. Tout le monde s'accorde à dire que je le fais loyalement. Si je ne suis pas heureux, cela ne regarde que moi. Je n'ai même pas le droit de m'en plaindre à qui que ce soit."

D'un vif mouvement de l'échine, le jeune homme à la blouse blanche vient de se rejeter en arrière. Comme l'esprit vole hardiment ! Cette lente songerie n'a pas duré plus d'une minute.

G. Duhamel, "Le Combat contre les ombres", La Chronique des Pasquier, VIII, 1939

Jules Romains  (1885-1972)
Bécat, "Jules Romains, écrivain français", 1922

P. E. Bécat, Jules Romains, écrivain français, 1922. Huile sur toile. Coll. particulière.

L'oeuvre romanesque de Jules Romains, célèbre aussi pour son théâtre (Cf. supra "Comédie et satire"), se fonde sur l'expérience vécue à Paris à l'âge de 18 ans : en remontant une rue populaire, il prend conscience intuitivement de l'existence "d'un être vaste et élémentaire, dont la rue, les voitures et les passants formaient le corps et dont le rythme emportait ou recouvrait les rythmes des consciences individuelles." C'est ce qu'il nomme "l'unanimisme", conception destinée à célébrer cette âme collective sur laquelle repose son immense ouvrage, Les Hommes de bonne volonté, vingt-sept romans publiés de 1932 à 1945 qui recouvrent une période allant du 6 octobre 1908 au 7 octobre 1933 . 

Contrairement aux autres auteurs de romans-fleuves, Romains n'organise pas son oeuvre autour d'un personnage ou de la récurrence des mêmes protagonistes. Il inverse, au contraire, la perspective, en mettant au premier plan, dans chaque ouvrage, une atmosphère particulière, qui donne le ton d'ensemble et dans laquelle les personnages s'insèrent plus ou moins selon la résonnance qu'elle exerce en eux, chacun selon sa personnalité propre et sa condition sociale, ouvrier ou professeur, député ou abbé, général ou marquis... La guerre, depuis "La montée des périls" ou "Les pouvoirs", titre des volumes qui se déroulent en 1910-1911, jusqu'aux deux volumes sur "Verdun", occupe une place déterminante dans l'ensemble.

Mais "les hommes de bonne volonté", ceux qui défendent les valeurs humanistes de la civilisation occidentale, ces camarades, comme Jallez, le parisien, et Jerphanion, le provincial plus matérialiste, paraissent, dans les derniers volumes, bien impuissants face aux soubresauts politiques inquiétants des années Trente.

J. Romains, "Les Hommes de bonne volonté"

Le lecteur, quand il veut, est très débrouillard. […] Il se doute qu’il n’a pas à compter sur une action rectiligne, dont le mouvement vous entraîne sans bousculer votre paresse (car il y a, n’est-ce pas ? une inertie du mouvement) ; ni même sur une harmonie trop simple entre des actions multiples, sur une symétrie trop balancée qui deviendrait à son tour une convention. Il devine qu’à maintes reprises le fil du récit lui paraîtra se rompre, l’intérêt se suspendre ou se disperser ; qu’au moment où il commencera à se familiariser avec un personnage, à entrer dans ses soucis, dans son petit univers, à guetter l’arrivée de l’avenir par la même lucarne que lui, il sera invité soudain à se transporter bien loin de là, et à épouser d’autres querelles. […] Peut-être éprouvera-t-il peu à peu un sentiment d’aération, de diversité imprévisible, de « libre parcours Â». Et si quelque chose, peu à peu, se construit ou se rassemble, peut-être approuvera-t-il que ce soit avec les incertitudes, les retours, les hasards que prodigue la vie.

J. Romains, Les Hommes de bonne volonté, Préface.

Pour en savoir plus sur Jules Romains et l'unanimisme, un site intéressant : cliquer sur l'image.

Le roman "rustique"

L'horreur et les destructions de la guerre de 14-18 entraînent, au-delà de la révolte, une critique du modernisme, avec sa mécanisation déshumanisante, et des grandes villes où l'homme perd son âme. D'où, chez plusieurs romanciers, la peinture, empreinte de nostalgie, d'un monde rustique où les traditions réglaient la vie quotidienne, et où le paysan vivait en harmonie avec la terre, la nature, les animaux. Cette phrase du romancier suisse, Charles Ferdinand Ramuz, "j'ai besoin d'une terre quand même, sinon je me sentirai perdu", illustre bien la volonté de ces écrivains qui, dans la lignée des romans de George Sand au XIX° siècle, s'attachent à restituer l'atmosphère des campagnes, tantôt de façon attendrie, voire lyrique, tantôt avec une ironie souriante souvent, mais féroce parfois,  Parmi eux, trois auteurs se distinguent particulièrement.

Maurice Genevoix  (1890-1980)
Genevoix, en tenue de soldat

Maurice Genevoix, en tenue de soldat.

L’expérience de la guerre, vécue par Genevoix d'août 1914 jusqu'à sa grave blessure en avril 1915, marque ses premières œuvres, telles Nuits de guerre (1917) ou Au seuil des guitounes (1918). Mais c’est avec Raboliot, roman qui lui vaut le prix Goncourt en 1925, qu’il se tourne vers un autre cadre, la nature, ici les paysages de Sologne, et adopte un autre ton pour les chanter, ainsi que le monde animal. Son héros, pris par sa passion du braconnage nocturne, ne cesse de défier le gendarme qui le traque et l’oblige à mener une vie sauvage dans les bois : le lecteur partage avec lui les bruit, les odeurs, les beautés de cette vie libre, mais aussi ses dangers. De nombreux romans jusqu’à la seconde guerre mondiale s’inscrivent dans cette veine, comme Les Compagnons de l’aubépin (1937) ou La dernière Harde (1938), de tonalité plus nettement poétique, qui célèbre la noblesse et la beauté de l’animal sauvage. Après la guerre, ses nombreux voyages, notamment au Canada et dans plusieurs colonies africaines, orientent son écriture dans une autre direction, avec d’autres paysages, mais toujours avec ce goût pour la vérité des traditions, de la terre – avec sa flore et sa faune – avec laquelle l’homme doit vivre en harmonie.

Pour lire Genevoix, Mon ami l'écureuil  (1959) : cliquer sur le lien.

Genevoix, "Raboliot"

Ils traversèrent une pineraie de maritimes. Des coupes anciennes n’avaient laissé là que de beaux arbres espacés, entre lesquels, jouait la lumière et flottait un air libre, baigné d’arômes. Raboliot aspirait les odeurs de la nuit, celle des pousses vertes, celle des essences légères que diffusait la sève, et celle des feuilles tombées qui feutraient l’humus gras et il sentait passer aussi, l’odeur des champignons soulevant du chapeau la jonchée des aiguilles, une autre odeur encore, imperceptible, où se mêlaient un relent de suie froide et des fumets vivants d’étable et de porcherie. II évitait les souches blessantes, parfois heurtait du pied une pomme de pin écailleuse et sèche qui roulait en grelottant, ou bien sentait, sous sa semelle, s’écraser une russule croquante, un lactaire mou qui suintait.

Les souvenirs affluaient par longues vagues : toutes les odeurs des bois, l’âcreté du terreau mouillé sur quoi fermentent les feuilles mortes, les effluves légers des résines, l’atome farineux d’un champignon écrasé en passant : tous les murmures, tous les froissements, toutes les envolées dans les branches, les fracas d’ailes traversant les futaies, les essors au ras des sillons ; et tous les cris des crépuscules, la crécelle rouillée des coqs faisans, les rappels croisés des perdrix, les piaulements courts des tourteplates, et, déjà, dans la nuit commençante, ce grincement qui approche et passe à frôler votre tête, avec le vol de la première chevêche en chasse.

M. Genevoix, Raboliot, 1925.

Marcel Aymé  (1902-1967)
Portrait de Marcel Aymé

Le ton est différent chez Marcel Aymé, qui fait revivre, dans son premier roman à succès, La-Table-aux-Crevés, paru en 1929, ou dans La Jument verte (1933), l'atmosphère du village où il a passé son enfance. Il ne recule pas devant le trait pittoresque, jusqu'à la cocasserie parfois, qui lui permet, à travers la satire des défauts d'un monde paysan patriarcal, souvent avare, superstitieux aussi, de rappeler, par contraste, les valeurs qui lui sont chères. Tout cela dans des dialogues savoureux, où se retrouve la saveur des patois et des accents, et dans un récit où ce réalisme se mêle à une totale fantaisie, tantôt dans le registre du merveilleux, avec des animaux dotés d'étranges pouvoirs, tantôt dans une veine fantastique, comme dans La Vouivre (1943), où il rapporte les conversations entre cet animal mythique et un paysan. Cela s'illustre aussi dans ses Contes du chat perché, dont le premier volume paraît en 1934, genre littéraire qu'il affectionne, ou dans le recueil de nouvelles publié en 1943, Le Passe-Muraille, dont certaines, au-delà de l'humour, ne masquent pas la cruauté de la société.

Marcel Aymé.

"Une vie, une oeuvre" :  une passionnante émission de P. Charpentier, 1991

Pour découvrir la vie et l'oeuvre de M. Aymé, un site intéressant : cliquer sur l'image.

M. Aymé, "La Tuilerie", village de Villers-Robert (Cantagrel dans La Table-aux-Crevés). Maison des grands-parents où  il vécut de 1904 à 1910. Dessin, janvier 2015.

... et de nombreuses analyses : cliquer sur le logo.

Au village de Claquebue naquit un jour une jument verte, non pas de ce vert pisseux qui accompagne la décrépitude chez les carnes de poil blanc, mais d'un joli vert de jade. En voyant apparaître la bête, Jules Haudouin n'en croyait ni ses yeux, ni les yeux de sa femme. et – Ce n'est pas possible, disait-il, j'aurais trop de chance.

Cultivateur et maquignon, Haudouin n'avait jamais été récompensé d'être rusé, menteur et grippe-sous. Ses vaches crevaient par deux à la fois, ses cochons par six, et son grain germait dans les sacs. Il était à peine plus heureux avec ses enfants et, pour en garder trois, il avait fallu en faire six. Mais les enfants, c'était moins gênant. Il pleurait un bon coup le jour de l'enterrement, tordait son mouchoir en rentrant et le mettait sécher sur le fil. Dans le courant de l'année, à force de sauter sa femme, il arrivait toujours bien à lui en faire un autre. C'est ce qu'il y a de commode dans la question des enfants et, de ce côté-là, Haudouin ne se plaignait pas trop. Il avait trois garçons bien vifs et trois filles au cimetière, à peu près ce qu'il fallait.

C'était une grande nouveauté qu'une jument verte et qui n'avait point de précédent connu. La chose parut remarquable, car à Claquebue, il n'arrivait jamais rien.

M. Aymé, La Jument verte, incipit, 1925

Après la guerre, tout en poursuivant ses activités de journaliste et son travail de romancier, Aymé s'intéresse au théâtre, faisant jouer Clérambard en 1950 et La Tête des autres en 1952, et au cinéma : il accompagne l'adaptation de plusieurs de ses oeuvres.

Jean Giono (1895-1970)

Pour en savoir plus : "Jean Giono raconté par sa fille", à Manosque, 2014.

F. Pervenchon, Jean Giono, Photographie, in Défense de l'Occident n° 98, Août-Septembre 1971 collection privée.

Si l’on classe les œuvres de Giono parmi les romans “rustiques”, c’est en raison de la place qu’y occupe la Provence, où il est né et a vécu toute sa vie. Mais ce classement ne rend pas compte de la richesse et de la variété de cet auteur, qui a largement dépassé la simple peinture de la nature et des traditions rurales pour s’interroger sur la condition humaine.

Lui aussi a été marqué par son expérience de la guerre, dont il retire un pacifisme persistant, et la volonté de célébrer, contre le « machinisme » destructeur, « les vraies richesses », titre d’un de ses essais. Mais ses manifestes, par exemple Refus d’obéissance, lui valent un premier emprisonnement au début de la guerre, en 1939, tandis que ces mêmes valeurs, prônées dans des journaux collaborationnistes, comme Aujourd’hui et récupérées par le régime de Vichy, l’amènent à être de nouveau emprisonné à la Libération… et mis à l’index jusqu’en 1947.

Un Roi sans divertissement, film de C. Leterrier, écrit et dialogué par Giono, 1963.

Cela peut expliquer l’évolution notable de ses romans. Autodidacte et imprégné des œuvres de la  Grèce antique, il  compose, jusqu’à la seconde guerre, des romans témoignant d’une foi inébranlable en la force de vie que portent la terre et les êtres qui en sont restés proches. C’est ce que relatent, par exemple, Colline, son premier succès primé en 1929, puis Un de Baumugnes (1929) et Regain (1930), regroupés sous le titre évocateur, La trilogie de Pan. Dans cette même veine, mélange des registres lyrique et épique, s’inscrivent Le Chant du monde (1934) et Que ma joie demeure (1935), romans emplis d’une exaltation sincère des beautés naturelles, sources de plénitude.

Pour découvrir Giono et son oeuvre, un site très complet, avec de nombreux extraits : cliquer sur l'image.

Pervenchon, "Jean Giono", 1971
Giono, "Colline"

Mais le ton est tout autre dans les Å“uvres de l’après-guerre, telles Un Roi sans divertissement (1947) ou Le Hussard sur le toit (1951) : la nature s’y montre plus hostile, elle ne parvient plus à faire oublier à l’homme sa condition mortelle, faite de souffrance et d’un ennui existentiel, ce qui le conduit à révéler pleinement sa cruauté foncière. C’est alors le tragique qui ressort. Parallèlement, il s’intéresse de plus en plus au cinéma : déjà, avant la guerre, plusieurs adaptations de ses romans avaient connu le succès, et il se fait alors lui-même scénariste, par exemple pour L’Eau vive (1956), et même réalisateur pour Crésus, en 1960.

Le roman de l'action

Dans la seconde partie du XIX° siècle, le « roman d’aventures » se développe, souvent destiné aux enfants – pensons à ceux de Jules Verne – avec un goût particulier pour les voyages, notamment dans les colonies. Au XX° siècle, Henri Barbusse, avec Le Feu (1916), Pierre Benoît, dans, par exemple Koenigsmark (1916) ou l’Atlantide (1919), tout comme Blaise Cendrars (L’or, 1925 ; Moravagine, 1926) ou Pierre Mac Orlan avec, pour ne citer qu’un de ses nombreux romans, À bord de l’Étoile Matutine, paru en 1920, restent encore proches de cette veine : ils s’inspirent de leur métier de journaliste pour certains, de l'expérience de la guerre, de leurs voyages aussi, pour entraîner le lecteur dans un univers où l’aventure met en jeu le destin du héros

Mais, dans l’entre-deux-guerres, on note une évolution de cette forme romanesque vers ce que nous nommerons « roman de l’action » : il ne s’agit plus, en effet, de faire un simple récit d’aventures exceptionnelles, mais de faire de l’action un choix de vie, une philosophie, et même une réponse aux angoisses existentielles. Deux romanciers se distinguent alors : André Malraux et Antoine de Saint-Exupéry.

André Malraux (1901-1976)
Malraux, 1933

La formule célèbre de Malraux, « L’art est un anti-destin », affirme que l’acte créateur de l’artiste est le moyen de vaincre la fatalité qui pèse sur l’homme, sa condition mortelle, source d’angoisse existentielle. C’est sans doute ce qu’il a voulu mettre en pratique dans son œuvre, puisque chacun de ses romans est une sublimation, une transfiguration de ses propres expériences, bien plus ordinaires, d’homme engagé dans l’action. Ainsi son voyage en Indochine, entrepris en 1923 pour des raisons financières et qui s’achève par une condamnation pour tentative – ratée – de vol de statues khmères, se trouve magnifié dans La Voie royale (1930), à travers le combat du héros, Perken, qui tente de redonner un sens à sa vie. De même, à l’issue d’un bref séjour en Chine – présenté ensuite comme une participation active à la révolution aux côtés du Kuomintang - il publie Les Conquérants (1928) et La Condition humaine (1933), dont les personnages, Garine pour le premier, Tchen, et surtout Kyo et Katow pour le second, sont dotés de personnalités exceptionnelles, prêts à tout risquer, parfois jusqu’au sacrifice, pour atteindre leur but. Ces romans adoptent un ton où l’épique se mêle au tragique, et installent Malraux dans la position d’écrivain « révolutionnaire », image qu’il cultivera pendant toute sa vie.

André Malraux en 1933.

"Le Mystère Malraux", un film passionnant de R.-J. Bouyer, 2001

Ainsi, son engagement, pendant la guerre d’Espagne, aux côtés des Républicains, se trouve illustré dans L’Espoir, paru en 1937, tandis que Les Noyers de l’Altenburg (1943) fait écho à la seconde guerre mondiale, même si sa participation à la Résistance, puis aux combats de la brigade Alsace-Lorraine peuvent être jugés bien tardifs…

Cette mise en perspective constante de l’action dans le roman et dans sa propre vie, d’un côté l’action romanesque forgée par l’écrivain, de l’autre l’action réelle forgée comme une légende, révèle le rôle fondamental qu’il lui accorde : très rapidement elle devient plus qu’un simple « divertissement Â» au sens pascalien du terme, c’est-à-dire une échappatoire à l’absurde de la condition humaine, pour représenter ce qui peut lui donner sens en restituant à l’homme sa dignité. Finalement, peu importent d’ailleurs les buts qu’on lui assigne, les choix qui fondent cet engagement dans l’action, pourvu qu’ils soient vécus avec force, avec fraternité et, surtout, mis au service d’un humanisme que Malraux ne cesse d’affirmer.

En témoignent aussi ses nombreux discours, notamment prononcés dans ses fonctions de ministre de la Culture, de 1958 à 1969, sous la présidence du Général De Gaulle, pour lequel il exprime toute son admiration dans Les Chênes qu’on abat (1971), ou dans ses essais sur l’art, comme Les Voix du silence (1951). Qu’est-ce que l’homme ? Comment peut-il dépasser la « conscience de sa condition », sa solitude, l’incommunicabilité, la souffrance, l'oppression, l’humiliation ? L’œuvre de Malraux suggère que s’absorber dans une action chargée d’une dimension collective pourrait apporter une réponse à ces questions, et n'est-ce pas là le cas de l'écriture ? "Il est difficile d'être un homme. Mais pas plus de le devenir en approfondissant sa communion qu'en cultivant sa différence - et la première nourrit avec autant de force au moins que la seconde ce par quoi l'homme est homme, ce par quoi il se dépasse, crée, invente ou se conçoit", écrit-il dans la Préface du Temps du mépris, publié en 1935. L'action est alors élevée à la hauteur d'une mystique.

Pour en savoir plus, un site avec de nombreux liens et des textes de discours : cliquer sur l'image.

Malraux, "Les Conquérants"

Tchen, un communiste, très troublé par le meurtre qu’il a commis au nom de la révolution chinoise, vient chercher une aide morale auprès de Gisors, vénérable professeur marxiste. Une fois Tchen parti, Gisors médite sur le jeune terroriste et le compare à son propre fils, Kyo.

 

Ici Gisors retrouvait son fils, indifférent au christianisme mais à qui l’éducation japonaise (Kyo avait vécu au Japon de sa huitième à sa dix-septième année) avait imposé aussi la conviction que les idées ne devaient pas être pensées mais vécues. Kyo avait choisi l’action, d’une façon grave et préméditée, comme d’autres choisissent les armes ou la mer : il avait quitté son père, vécu à Canton, à Tientsin, de la vie des manœuvres et des coolies-pousse, pour organiser les syndicats. Tchen – l’oncle pris comme otage et n’ayant pu payer sa rançon, exécuté à la prise de Swatéou – s’était trouvé sans argent, nanti de diplômes sans valeur, en face de ses vingt-quatre ans et de la Chine. Chauffeur de camion tant que les pistes du Nord avaient été dangereuses, puis aide-chimiste, puis rien. Tout le précipitait à l’action politique : l’espoir d’un monde différent, la possibilité de manger quoique misérablement (il était naturellement austère, peut-être par orgueil), la satisfaction de ses haines, de sa pensée, de son caractère. Elle donnait un sens à sa solitude. Mais, chez Kyo, tout était plus simple. Le sens héroïque lui avait été donné comme une discipline, non comme une justification de la vie. Il n’était pas inquiet. Sa vie avait un sens, et il le connaissait : donner à chacun de ces hommes que la famine, en ce moment même, faisait mourir comme une peste lente, la possession de sa propre dignité. Il était des leurs : ils avaient les mêmes ennemis. Métis, hors-caste, dédaigné des Blancs et plus encore des Blanches, Kyo n’avait pas tenté de les séduire : il avait cherché les siens et les avait trouvés. « Il n’y a pas de dignité possible, pas de vie réelle pour un homme qui travaille douze heures par jour sans savoir pour quoi il travaille. » Il fallait que ce travail prît un sens, devînt une patrie. Les questions individuelles ne se posaient pour Kyo que dans sa vie privée.

André Malraux, La Condition humaine, I, 1933.

Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)
Saint-Exupéry, en tenue d'aviateur

Antoine de Saint-Exupéry, en tenue d'aviateur. Buenos Aires, 1930.

La vie de Saint-Exupéry se déroule parallèlement à l’évolution de l’aviation. C’est dans l’aviation qu’il fait son service militaire, en 1921, puis il entre dans l’aéropostale, et transporte du courrier entre Toulouse et Dakar, expérience dont Courrier-Sud, paru en 1927, se fait l’écho. En 1929, il poursuit sa carrière à Buenos Aires, et compose un second roman, Vol de nuit, paru en 1931, qui lui offre le succès, puis il revient au transport de courrier entre le Maroc et la Mauritanie. Quand la compagnie aéropostale disparaît, Saint-Exupéry devient journaliste-reporter, effectue de nombreux voyages, mais ne renonce pas à l’aviation pour autant : il entreprend un raid Paris-Saïgon, mais est obligé de se poser en catastrophe dans le désert égyptien. De ces expériences extrêmes, et de celles vécues par ses compagnons, Mermoz, Guillaumet..., il tire Terre des hommes (1939), bilan de ses souvenirs, et Le Petit Prince (1943), publié en France à titre posthume, rappelle aussi cet atterrissage forcé. En 1939, il reprend les commandes d’un avion en tant que pilote de guerre, et à nouveau paraît, alors qu’il est parti, depuis 1940, en exil aux Etats-Unis pour tenter d’inciter ce pays à entrer en guerre, un roman qui relate cette expérience, Pilote de guerre (1942). Mais l’action lui manque : il revient dans l’aviation dès 1943, en Tunisie, et effectue quelques missions, sans grand succès, ce qui lui vaut d’être mis « en réserve Â» jusqu’à ce que le commandement américain l’autorise à voler de nouveau, à partir de la Sardaigne, puis de Corse. Son avion ne revient pas d’une mission de cartographie destinée à préparer le débarquement en Provence : il est porté disparu le 31 juillet 1944. Une dernière Å“uvre, Citadelle, commencée en 1936 mais restée inachevée, est publiée après sa mort : elle offre une ultime réflexion sur l’importance de l’action qui donne à une vie sa grandeur en permettant à l’homme de se dépasser.

Pour découvrir sa vie et son oeuvre, un site très complet : cliquer sur l'image...

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Sa véritable qualité n’est point là. Sa grandeur, c’est de se sentir responsable. Responsable de lui, du courrier et des camarades qui espèrent. Il tient dans ses mains leur peine ou leur joie. Responsable de ce qui se bâtit de neuf, là-bas ; chez les vivants, à quoi il doit participer. Responsable un peu du destin des hommes, dans la mesure de son travail. Il fait partie des êtres larges qui acceptent de couvrir de larges horizons de leur feuillage. Être homme, c’est précisément être responsable. C'est connaître la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C’est être fier d’une victoire que les camarades ont remportée. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde.

A. de Saint-Exupéry, Terre des hommes, chap. II, 1939.

Ces quelques lignes de Terre des hommes résument ce que l'on pourrait appeler "la philosophie de l'action" chez Saint-Exupéry. Il ne s'agit pas pour lui d'un simple goût de l'aventure, et ses romans ne sont pas des "reportages" sur son métier d'aviateur. Il les utilise pour approfondir le caractère de ces hommes téméraires, pour peindre le drame qui se joue parfois, aussi bien pour le pilote aux commandes que pour ses compagnons, qui, à terre, attendent son retour. Des drames, mais aussi le bonheur, intense, de côtoyer les étoiles, "accumulées avec la densité d'un trésor", de monter "vers des champs de lumière", jusqu'à s'y perdre dans un éblouissement quasi mystique.

Cette même conception se retrouve, sous la forme d'un apologue poétique, dans le conte du Petit Prince, où les dialogues dénoncent la sécheresse des coeurs et célèbrent l'élan fraternel vers les choses et les êtres : "on ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux.", déclare le renard après s'être laissé apprivoiser par le petit prince. 

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Le roman "populiste"

Roman « populiste », roman « populaire », roman « prolétarien » ? Les appellations varient pour désigner la volonté de donner au peuple toute sa place dans la littérature, déjà affirmée par les romanciers naturalistes à la fin du XIX° siècle et renforcée par le rejet d’une littérature jugée, soit trop intellectuelle, soit trop « décadente », enfermée dans une quête d’esthétisme. Mais finalement, peu importe l’étiquette, d’ailleurs refusée par ceux que l’on rattache à ce courant. Pour reprendre les termes de Léon Lemonnier et André Thérive, dans le « Manifeste du populisme », publié en 1929 dans L’'Oeuvre, il s’agit de créer des romans "reproduisant simplement la réalité et privilégiant des personnages, des décors et des milieux populaires authentiquement humains". Si, dans ces années 1930, le peuple a gagné plus de pouvoir politique, sa représentation dans la littérature correspond, en effet, encore bien mal à la réalité sociale. C’est aussi ce qui explique qu’un autre romancier, Henri Poulaille, préfère, lui, parler de roman « prolétarien », c’est-à-dire mis au service du prolétariat, pour montrer à la fois sa misère et ses aspirations. Les titres de ses romans sont d’ailleurs révélateurs, par exemple Le Pain quotidien (1931) ou Les Damnés de la terre (1935), de ce désir d’une littérature de classe.

Quatre romanciers peuvent être rattachés à ce courant : Eugène Dabit, Francis Carco, Louis Guilloux, et Maxence Van der Meersch.

Eugène Dabit (1898-1936)
Francis Carco (1886-1958)
Maxence Van der Meersch (1907-1951)
Louis Guilloux (1899-1980)
Dabit, "L'Hôtel du Nord"
Carco, "L'Homme traqué"
Van der Meersch, "Quand les sirènes se taisent"

L’origine populaire de Dabit, né à Paris dans une famille d’ouvriers, mis en apprentissage dès ses quatorze ans, puis le partage de la fraternité entre soldats, au front, à partir de 1916, peuvent expliquer son choix de représenter le peuple de façon plus véridique que ne l’ont fait ses prédécesseurs.

Guilloux, "Le Sang noir"

Son premier roman, L’Hôtel du Nord, paru en 1929, reçoit le Prix du roman populiste – appartenance qu’il récuse pourtant -, et remporte un grand succès, soutenu par le film qu’en tire, en 1938, Marcel Carné : il y peint dans un langage simple et direct, comme dans une série de nouvelles, les relations entre les petites gens qui fréquentent cet hôtel, sur les bords du canal Saint-Martin, image de celui géré par ses parents, qui ont pu l’acquérir en 1923. Le tableau de la pauvreté est plus poignant encore dans Petit-Louis (1930), tandis que La Villa Oasis (1932) montre la vie d’un couple de tenanciers de bordel embourgeoisés.

Pour lire L'Hôtel du Nord : cliquer sur l'image.

Il y a plus de violence chez Carco, qui se révèle dans cette affirmation, dans une lettre à Léopold Marchand : « Je me promets de foutre en pleine gueule des bourgeois, des romans musclés et pourris dont ils se lècheront les babouines. ». Il tient cette promesse dès son premier roman, Jésus-la-Caille, histoire d’un proxénète homosexuel.

Il choisit, en effet, de raconter la vie nocturne dans les quartiers « chauds Â» de Paris ou des ports : y défilent des marginaux, prostituées et souteneurs, drogués et petits voyous,  « apaches Â» de la zone comme on les nomme alors. Poète aussi, et auteur de nombreuses chansons pour les cabarets montmartrois, son plus grand succès de romancier reste L’Homme traqué (1922), histoire de l’amour déchiré entre une prostituée et un criminel. Mais, si les romans de Carco, tels La Rue (1930) ou Brumes (1935), ne reculent ni devant l’argot, ni devant le langage cru, ils révèlent aussi une profonde mélancolie devant la souffrance humaine.

Ce sont les « gens du nord Â», sa région natale, que peint l’œuvre de Van der Meersch, depuis son premier succès, La Maison dans la dune (1932). Il plaide contre cette pauvreté qui les accable, par exemple dans Quand les sirènes se taisent (1933).

Ce roman raconte les grèves dans l’industrie textile, terrible conséquence de la crise de 1929. Cet engagement aux côtés du prolétariat se poursuit dans Invasion 14, qui montre crûment les souffrances occasionnées lors de l’Occupation allemande du nord, et dans Maria, fille de Flandres, au ton plus intimiste, publiés en 1935, jusqu’à ce que sa conversion, en 1936, l’oriente vers une littérature imprégnée de spiritualité.

Pour lire L'Homme traqué : cliquer sur l'image.

Pour lire des extraits d'oeuvres diverses : cliquer sur l'image.

Lui-même d’origine populaire, il reste toute sa vie profondément attaché à sa Bretagne natale. Dès 1933, d’ailleurs, il s’engage dans des combats politiques, puis participe au « Secours rouge Â» pour soutenir les chômeurs bretons, puis les réfugiés espagnols.

De cette expérience, il tire deux romans, La Maison du peuple (1927) et Compagnons (1931), qui lui valent l’appellation d’écrivain populiste – que lui aussi récuse. C’est en 1935 qu’il publie Le Sang noir, son plus grand succès : sur fond de guerre, il montre, à travers son héros, le professeur Cripure, révolté contre la médiocrité de ses concitoyens, la violence des haines qui déchirent les petites villes et peuvent conduire à la mort les plus innocents.

Pour découvrir Le Sang noir : cliquer sur l'image.

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Le roman psychologique

Les questions sociales de l’entre-deux-guerres, les profondes modifications entraînées par la guerre et les crises politiques et économiques, les révoltes contre le conformisme retentissent forcément sur l’écrivain, qui s’interroge sur sa relation aux autres et sur ses propres valeurs. Ainsi, cette période voit foisonner le roman qui met au premier plan l’analyse psychologique, exercée dans des directions diverses. Colette, par exemple, illustre le féminisme, Raymond Radiguet les émois de la jeunesse. Moins lus aujourd’hui, d’autres analysent les difficiles relations au sein du couple, tels Jacques Chardonne (1884-1968), dans L’Epithalame (1921) les difficultés du couple, ou André Maurois (1885-1967) dans Climats, son roman le plus célèbre. Marcel Arland (1899-1986), lui, met en scène dans L’Ordre (1929), un peu comme Balzac dans Les Illusions perdues, les rêves, les découvertes et les désillusions d’un jeune provincial monté à Paris pour conquérir la gloire littéraire. Enfin, Julien Green, André Mauriac et Georges Bernanos montrent encore davantage les troubles et les déchirements intérieurs, notamment entre deux aspirations contradictoires, d’un côté la matérialité, expression des désirs du corps, goût pour l’argent et le pouvoir, de l’autre les élans vers la spiritualité et la force de la foi.

Colette (1873-1954)
Musidora, "Portrait de Colette"

De son enfance heureuse dans sa province natale, Colette, de son nom complet Sidonie-Gabrielle Colette, tire un immense amour des plantes et des bêtes : couleurs, sons, et surtout saveurs et odeurs, ses descriptions reflètent une perception sensuelle de la nature. Elle la célèbre fréquemment, par exemple dans La Maison de Claudine (1922), et rend, notamment dans Sido (1929), hommage à sa mère qui a su lui faire découvrir ses beautés, qu’à son tour elle transmet à sa fille, surnommée Bel-Gazou. Mais ce qui a rendu Colette célèbre, c’est surtout la liberté dont elle a fait preuve après sa séparation, en 1906, d’avec « Willy Â», journaliste mondain épousé en 1893 qui l’avait introduite dans les salons littéraires et musicaux parisiens, et l’avait poussée à l’écriture.

Extraits de Claudine à l'école, une adaptation d'E. Molinaro, 1978.

Pour en savoir plus sur sa vie et son oeuvre, le site des "Amis de Colette", très complet, à explorer : cliquer sur le lien.

Musidora. Portrait de Colette.

Elle raconte dans Mes Apprentissages (1936) : « Un an, dix-huit mois après notre mariage, M. Willy me dit : – Vous devriez jeter sur le papier des souvenirs de l’école primaire. N’ayez pas peur des détails piquants, je pourrais peut-être en tirer quelque chose… Les fonds sont bas. » En 1901, il publie, mais sous son nom, Claudine à l’école, premier d’une série de romans qui révèlent l'anticonformisme de leur auteur. En attendant le divorce, en 1910, Colette s’affranchit de la tutelle de Willy, et de toutes les contraintes morales : elle joue sur des scènes de théâtre et de cabarets, affiche sa liaison homosexuelle avec Missy, avant d’épouser Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du Matin, journal pour lequel elle rédige de nombreux articles, notamment des reportages de guerre. Conflit dans le couple, liaison avec son beau-fils, Bertrand de Jouvenel, rupture, divorce en 1925, puis remariage avec Maurice Goudeket… la vie sentimentale de Colette illustre ce droit à la liberté qu’elle exprime aussi dans de nombreux romans : Chéri (1920), Le Blé en herbe (1923), Le Pur et l’Impur (1932), Gigi (1943)… mettent en scène des personnages féminins en quête d’une plénitude amoureuse, qui se heurte souvent à une volonté affirmée de liberté.

Pour lire La Maison de Claudine : cliquer sur l'image.

Outre une soixantaine de romans, Colette nous a aussi laissé de très nombreux articles, regroupés notamment dans Les Heures longues, et une abondante correspondance, qui reflète la vie mondaine et culturelle de cette époque.

... et l'analyse d'un article, "L'enfant du viol" : cliquer sur le lien.

Raymond Radiguet (1903-1923)

Cocteau parle de Raymond Radiguet.

Blanch, "Portrait en pied de Raymond Radiguet", 1923

J.-E. Blanche, Portrait  en pied de Raymond Radiguet, 1923. Huile sur toile, 16 x 113,7. Musées de la ville de Rouen.

"Que ceux déjà qui m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances." Cette phrase, à elle seule, donne le ton du Diable au corps, roman de Radiguet qui fait scandale lors de sa parution en 1923. Comment aurait-il pu échapper au scandale, ce si jeune écrivain qui raconte l'adultère commis par une femme dont le mari est au front, avec un lycéen qui découvre alors les plaisirs de l'amour, mais aussi les affres de la jalousie ?

La révolte des héros contre les valeurs bourgeoises, Radiguet la met en pratique par sa relation avec Jean Cocteau, grâce auquel il a été introduit dans le monde des arts et des lettres.

Radiguet, "Le Diable au corps"

Pour lire Le Diable au corps : cliquer sur l'image...

Radiguet, "Le Bal du comte d'Orgel"

.... Le Bal du comte d'Orgel : cliquer sur l'image...

A l'inverse, Radiguet définit son second roman, Le Bal du comte d'Orgel, publié à titre posthume en 1924, comme un "roman d’amour chaste, aussi scabreux que le roman le moins chaste". L'intrigue, la passion entre la comtesse Mahaut et François de Séryeuse, l'aveu qu'elle en fait, par conscience morale, à son mari rappellent forcément La Princesse de Clèves, mais les temps ont changé depuis le XVII° siècle : nulle grandeur dans ce mari, pour lequel seul "le cérémonial"  a de l'importance, c'est-à-dire le maintien des conventions pour éviter le scandale.

Les mouvements d’un cÅ“ur comme celui de la comtesse d’Orgel sont-ils surannés ? Un tel mélange du devoir et de la mollesse semblera peut-être, de nos jours, incroyable, même chez une personne de race et une créole. Ne serait-ce pas plutôt que l’attention se détourne de la pureté, sous prétexte qu’elle offre moins de saveur que le désordre ?

Mais les manœuvres inconscientes d’une âme pure sont encore plus singulières que les combinaisons du vice. C’est ce que nous répondrons aux femmes, qui, les unes, trouveront Mme d’Orgel trop honnête, et les autres trop facile.

R. Radiguet, Le Bal du comte d'Orgel, incipit, 1924.

C'est avec une extrême finesse, dans un style d'une rigueur dépouillée, que Radiguet analyse la souffrance de l'amour impossible, de l'estime détruite, et l'impossible communication entre les êtres.

François Mauriac (1885-1970)
Mac Avoy, "Portrait de François Mauriac"

E. Mac'Avoy, Portrait de François Mauriac.

Toute sa vie – et dans ses nombreux romans – Mauriac se souvient de sa région d’origine, le Bordelais, dont il reproduit à la fois les paysages et l’atmosphère bourgeoise, imprégnée d'un catholicisme conservateur. C’est contre cela, par exemple, que tente de lutter Thérèse Desqueyroux, héroïne du roman éponyme, paru en 1927, et c’est ce qui constitue le « nÅ“ud de vipères Â», titre d’un autre roman de 1932, que tente de dénouer Louis, dans sa longue lettre-confession. Toutes ses Å“uvres, au-delà de leur dimension critique d’une société hypocrite et sclérosée, mettent en évidence la tension qui déchire les cÅ“urs de ses personnages, assoiffés d’amour mais incapables de l’exprimer et rejetés impitoyablement par leurs proches, comme Guillou, « le sagouin Â», par sa mère. Une tension qui reproduit sans doute celle qui déchire le romancier lui-même, d’un côté les désirs du corps, une homosexualité latente qu’il masque avec soin, de l’autre son aspiration de chrétien à la pureté.

Mauriac, "Thérèse Desqueyroux"

Lire  Thérèse Desqueyroux : cliquer sur l'image.

Chaque roman de Mauriac semble illustrer cette affirmation biblique : « Aucun homme ne peut servir deux maîtres : car toujours il haïra l'un et aimera l'autre. On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon (Mathieu, 6-24). Â» Dieu et Mammon, titre d’un essai de 1929… qui pose clairement ce déchirement. Il ne reste plus alors aux personnages, qui poussent à l’extrême la tension de leur créateur, qu’à affirmer leur liberté, jusqu’à l’acte destructeur, jusqu’au mal extrême, jusqu’au crime parfois. Chaque roman paraît illustrer la prière de sainte Thérèse d’Avila qui ouvre Le NÅ“ud de vipères : « Dieu, considérez que nous ne nous entendons pas nous-mêmes et que nous ne savons pas ce que nous voulons, et que nous nous éloignons infiniment de ce que nous désirons Â».

Son origine, son éducation, sa foi font de Mauriac, politiquement, un homme de droite. Mais la montée du fascisme en Europe le conduit à évoluer pour le combattre, dans de nombreux articles, notamment pour Le Figaro dès 1934. Puis il participe à la Résistance des intellectuels pendant la guerre, s’engage ensuite dans les luttes en faveur de la décolonisation : son « Bloc-notes Â» hebdomadaire pour L’Express, de 1952 à sa  mort, offre un tableau lucide des enjeux politiques de l’après-guerre.

Mauriac, "Le Noeud de vipères"

Un site pour analyser Thérèse Desqueyroux et Le Noeud de vipères : cliquer sur le logo...

... et pour en savoir plus sur la vie et l'oeuvre de Mauriac, un site à explorer : cliquer sur le logo.

Georges Bernanos (1888-1948)
Bernanos, "Sous le soleil de Satan"

Bernanos, jeune journaliste, partage les idées de "l’Action française", le mouvement monarchiste dirigé par Maurras. Mais la guerre, ses blessures, puis l’évolution politique en France l'amènent à rompre avec lui en 1932. Installé aux Baléares pendant la guerre d'Espagne, Bernanos s'engage contre les massacres des Républicains, perpétrés par Franco et soutenus par l’Eglise, ce qu’exprime son roman, Les Grands Cimetières sous la lune (1938).

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Association internationale des amis de G. Bernanos

Exilé au Brésil pendant la seconde guerre, il y soutient la Résistance française par de nombreux articles et des messages à la BBC. Constant dans son refus de la tyrannie, des compromissions, des « bien-pensants », dont il dénonce les lâchetés, dans son choix de célébrer la « vie intérieure » et la foi catholique contre la « civilisation des machines » et la déshumanisation de la société, il refuse les honneurs à la Libération, et repart en exil en Tunisie en 1947, jusqu’à son rapatriement en France peu avant sa mort.

Depuis son premier roman, Sous le soleil de Satan, grand succès en 1926, jusqu’à sa dernière œuvre, Le Dialogue des carmélites, Bernanos montre le combat des forces du bien, guidées par Dieu, contre Satan. Ce combat, déjà suggéré dans Madame Sargent, nouvelle de 1922, s’incarne dans deux personnages, Mouchette, qui, victime des puissants, en arrive, par désespoir, au crime, et l’abbé Donissan, déchiré par son sentiment d’impuissance à répandre la grâce divine. D’un côté les humbles, opprimés, de l’autre ceux qu’anime le désir d’une impossible sainteté, deux images de « martyre », deux pôles romanesques, que l’on retrouve dans L’Imposture (1927), La Joie (1929) et dans Le Journal d’un curé de campagne (1936). Bernanos voue aux uns comme aux autres toute sa sympathie pour leur refus de la tiède quiétude d’un quotidien médiocre, preuve de leur angoisse métaphysique.

Pour lire Madame Dargent : cliquer sur le lien.

Julien Green (1900-1998)
Green, "Adrienne Mesurat"

Même s’il est né, et resté, américain, Julien Green n'a passé que de courtes périodes dans son pays d’origine, trois années universitaires, puis un long exil pendant la seconde guerre mondiale, et c’est essentiellement en français qu’il a publié, ce qui lui vaut son élection à l’Académie française.

Converti au catholicisme en 1916, sa foi sincère entre en conflit avec l'homosexualité qu'il vit librement en France.

D'où la souffrance, la  solitude, la confusion qu’évoque le jeune Denis, narrateur de L’autre sommeil (1931), et qui ressort dans l’ensemble de ses romans, sous des formes diverses. 

Tantôt à travers Adrienne Mesurat, dans le roman éponyme de 1926, nous découvrons la condamnation que le regard des autres et sa propre culpabilité font peser sur celle qui refoule sa passion, tantôt nous plongeons dans des consciences troublées de désirs perçus comme monstrueux avec les personnages de Léviathan (1929) : la dissimulation, l’exploitation, la jalousie y sont poussées jusqu’au crime, à la folie et à la mort.

Comme Mauriac, Julien Green offre aussi, dans son Journal, tenu de 1919 à sa mort, un témoignage précieux, à la fois sur sa vie et ses écrits, mais aussi sur la vie artistique et littéraire à Paris.

"Apostrophe", interview de Julien Green en  1983.

Pour lire un extrait d'Adrienne Mesurat : cliquer sur le lien.

Si j’avais le temps, j’écrirais le récit détaillé de ma vie à partir de douze ans. On aurait ainsi un document sur le développement des passions chez un jeune homme. Il serait curieux de suivre phase par phase et presque jour par jour la lutte de l’instinct et de l’éducation. Que d’années passées à chercher la vraie nature de la personne que je suis !

J. Green, Journal, ler décembre 1929.

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DabitCarco
SaintEx
Malraux
Giono
Aymé
Genevoix
Romains
Duhamel
MartinduGard
RomanFleuve

L'essai entre les deux guerres

Essai
La critique littéraire
"Le siècle de la NRF"

" Le siècle de la NRF", pour en savoir plus sur l"histoire de cette revue : cliquer sur l'image.

Les remises en cause, par les artistes, des mouvements  antérieurs à la première guerre mondiale entraînent une multiplication des manifestes, dans lesquels ils expriment leur volonté et expliquent leurs choix, mais aussi des essais  critiques, dans la lignée de ceux de Ferdinand Brunetière (1849-1906) et de Gustave Lanson (1857-1934). L’Histoire de la littérature française de Lanson, publiée en 1894, avec ses études très scrupuleuses des œuvres littéraires et sa volonté d’objectivité, constitue le point de départ d’une réflexion féconde sur l’écriture. Ainsi, Albert Thibaudet (1874-1936), de 1912 à 1932, tient la rubrique de critique littéraire dans La Nouvelle Revue Française, et cherche à associer, dans ses articles, l’érudition, la connaissance des courants et des formes d’expression littéraire, au pur plaisir de lire. Ses Réflexions, publiées de 1938 à 1941, regroupent articles et publications, et  il fait paraître une Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours qui marque une nouvelle approche critique, prolongée par Charles Du Bos (1882-1939). Celui-ci refuse, en effet, une vision analytique, intellectuelle, de la littérature, pour plonger dans « l’âme » de l’œuvre, dans sa dimension spirituelle mise en avant tout comme la morale qu’elle porte.

Lire Le Dialogue avec André Gide (1929) de C. Du Bos : cliquer sur le lien.

Les idées philosophiques
Emile Chartier,  dit Alain (1868-1951)

Marqué par son expérience de la guerre, où  il a été victime d'une douloureuse blessure, Alain est avant tout un moraliste : « il est bien vrai que nous devons penser au bonheur d'autrui ; mais on ne dit pas assez que ce que nous pouvons faire de mieux pour ceux qui nous aiment, c'est encore d'être heureux. Â», déclare-t-il, et ses Propos sur le bonheur, suite de réflexions sur la vie personnelle et sur la politique, publiés en 1928, proposent une forme de sagesse, personnelle et politique. Pour lui, le bonheur ne vient pas de ce que l’on a, mais de ce que l’on fait, de ce que l’on construit.

Tous ces coureurs se donnent bien de la peine. Tous ces joueurs de ballon se donnent bien de la peine. Tous ces boxeurs se donnent bien de la peine. On dit partout que les hommes cherchent le plaisir ; mais cela n'est pas évident ; il semble plutôt qu'ils cherchent la peine et qu'ils aiment la peine. Le vieux Diogène disait : « Ce qu'il y a de meilleur c'est la peine. » On dira là-dessus qu'ils trouvent tous leur plaisir dans cette peine qu'ils cherchent ; mais c'est jouer sur les mots ; c'est bonheur et non plaisir qu'il faudrait dire ; et ce sont deux choses très différentes, aussi différentes que l'esclavage et la liberté.

On veut agir, on ne veut pas subir. Tous ces hommes qui se donnent tant de peine n'aiment sans doute pas le travail forcé ; personne n'aime le travail forcé ; personne n'aime les maux qui tombent ; personne n'aime sentir la nécessité. Mais aussitôt que je me donne librement de la peine, me voilà content. J'écris ces propos. «Voilà bien de la peine » dira quelque écrivain qui vit de sa plume ; seulement personne ne m'y force ; et ce travail voulu est un plaisir, ou un bonheur, pour mieux parler. Le boxeur n'aime pas les coups qui viennent le trouver ; mais il aime ceux qu'il va chercher. Il n'est rien de si agréable qu'une victoire difficile, dès que le combat dépend de nous. Dans le fond, on n'aime que la puissance. Par les monstres qu'il cherchait et qu'il écrasait, Hercule se prouvait à lui-même sa puissance. Mais dès qu'il fut amoureux, il sentit son propre esclavage et la puissance du plaisir ; tous les hommes sont ainsi ; et c'est pourquoi le plaisir les rend tristes.

L'avare se prive de beaucoup de plaisirs, et il se fait un bonheur vif, d'abord en triomphant des plaisirs, et aussi en accumulant de la puissance ; mais il veut la devoir à lui-même. Celui qui devient riche par héritage est un avare triste, s'il est avare ; car tout bonheur est poésie essentiellement, et poésie veut dire action ; l'on n'aime guère un bonheur qui vous tombe ; on veut l'avoir fait. L'enfant se moque de nos jardins, et il se fait un beau jardin, avec des tas de sable et des brins de paille. Imaginez-vous un collectionneur qui n'aurait pas fait sa collection ?

Alain, Propos sur le bonheur, 1928.

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Gabriel Marcel (1889-1973)

Gabriel Marcel (1889-1973), lui, développe une métaphysique, inspirée de Kierkegaard, dans son Journal métaphysique (1914-1928) et dans Être et Avoir (1935), deux ouvrages dans lesquels il professe un existentialisme chrétien. Il refuse le « cogito » de Descartes, trop centré, selon lui, sur le sujet, pour poser l’existence dans le monde, donc la co-présence d’autrui, comme l’expérience fondatrice de la conscience : « Exister, c’est co-exister » (Présence et immortalité, 1959). C’est donc par autrui qu’il faut passer pour revenir à soi, c’est le « nous », fusion du « je » et du « tu » et acte d’amour, qui permet de dépasser l’égoïsme, de surmonter le désespoir, le néant, l’absurde de l’existence individuelle. Marcel rejoint alors la doctrine catholique, puisque le Christ donne l’exemple absolu de l’acte d’amour par son sacrifice accompli pour le salut de l’humanité. Il s’agit bien de refuser la tentation inéluctable du pessimisme pour fonder l’existence sur une transcendance religieuse, source d’optimisme.

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