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La fin du siècle : de crise en crise...
Idees

Histoire des idées

Après 68, les philosophes entrent dans l'ère de la contestation. Une nouvelle génération veut briser les dogmatismes, la science ouvre un vaste champ de réflexion, et un thème prend une importance croissante : l'altérité.

Les "nouveaux philosophes" : B.-H. Lévy et A. Glucksmann, à l'émission "Apostrophes" en 1977.

Les remises en cause.

La réflexion sur la science.

Un thème : l'altérité.

Les remises en cause

Le mouvement de Mai 68 reflète la notion d’ « engagement »,  portée par les maîtres à penser de l’après-guerre engagés dans des actions concrètes de  lutte. Ce courant se poursuit bien après, contre l’apartheid par exemple comme Jacques Derrida (1930-2004), ou Gilles Deleuze (1925-1995) intervenant aux côtés de Michel Foucault (1926-1984) dans le Groupe d’information sur les prisons ou à propos du conflit israélo-palestinien. Ils portent, notamment, une virulente dénonciation de la société de consommation, tel Jean Baudrillard (1929-2007) dans La Société de consommation (1970), Pour une critique de l’économie politique du signe (1972), L’Échange symbolique et la mort (1976). Il montre que, dans la société capitaliste, les signes prolifèrent aux dépens de l’humain et démythifie le « bonheur mesurable » que promet la « révolution du bien-être ». « Nous ne croyons pas à une philosophie politique qui ne serait pas centrée sur l’analyse du capitalisme et de ses développements », affirme Deleuze dans Pourparlers (1990), et il met cette critique en œuvre avec Félix Guattari (1930-1992) dans L’Anti-Œdipe (1992) et Mille Plateaux (1980).

[...]situer directement la philosophie sur la scène politique sans passer par le détour de la philosophie politique, inscrire frontalement la philosophie sur la scène politique. Tous ont voulu inventer ce que j'appellerais le militant philosophique, et faire de la philosophie une pratique militante, dans sa présence, dans son mode d'être. Non pas simplement une réflexion sur la politique, mais réellement une intervention politique.

Alain Badiou, « Panorama de la philosophie française contemporaine », conférence, 2004.

Pour lire Gilles Lipovetsky : cliquer sur le lien.

Mais peu à peu cette contestation s’étend à la philosophie elle-même : est-elle encore susceptible de produire des concepts novateurs, un système de pensée ? Certains philosophes, comme Gilles Lipovetsky (né en 1944) parlent même d’ « ère du vide » (1983), c’est-à-dire d’une « désaffection généralisée qui ostensiblement se déploie dans le social, avec pour corollaire le reflux des intérêts sur des préoccupations purement personnelles ». Le rejoint Alain Finkielkraut (né en 1949), avec La Défaite de la pensée (1988), qui annonce une catastrophe intellectuelle : à la hiérarchie des valeurs se substitue le bazar des diversités culturelles, sans tri, sans recul, avec la volonté de tout embrasser. Est-ce alors la fin de la philosophie ? Désemparés par les bouleversements idéologiques, sociaux, économiques, scientifiques…, les philosophes sont-ils devenus incapables de surmonter ces incertitudes ?

La "philosophie éclatée"

Ainsi, plutôt que de « philosophes », on distingue des sociologues, qui se spécialisent eux-mêmes dans un domaine (Edgar Morin, né en 1921, autour des pratiques culturelles, Pierre Bourdieu [1930-2002] sur l’enseignement), de politologues (Jacques Attali, né en 1943, conseiller de plusieurs hommes politiques), d’historiographes (François Furet [1927-1997], connu pour ses ouvrages sur la Révolution française), de psychanalystes (Françoise Dolto [1908-1988], qui s’intéresse à l’enfance)… La psychanalyse s’est d’ailleurs introduite dans tous les domaines, critique littéraire, histoire, économie, art… La liste de ces disciplines pourrait  encore s’allonger. Le « Rapport de la mission de réflexion sur l’enseignement de la philosophie », élaboré en 1990 par Jacques Derrida et Jacques Bouveresse (né en 1940), propose même de remplacer cet enseignement dans les lycées par celui des « sciences humaines ». On assiste alors à une effervescence intellectuelle, qui s’approprie tous les champs de la connaissance, et vaudra à ces penseurs, de Claude Lévi-Strauss, Louis Althusser (1918-1990) et Roland Barthes à Derrida et Deleuze, en passant par Michel Foucault, Jacques Lacan (1901-1981), Jean-François Lyotard (1924-1990)… et bien d’autres, d’être regroupés par les universitaires américains sous l’appellation de « french theory ».

Philosophie et sciences humaines

 

La philosophie a, en fait, subi le contrecoup du cloisonnement croissant de la connaissance, devenue tellement complexe qu’il est impossible de la saisir dans une totalité. De plus, la phénoménologie, les travaux de la linguistique (citons la réflexion de Claude Hagège, né en 1936, sur le langage, dont l’essai L’Homme de paroles, paru en 1996, souligne l’importance), de la sémiotique, étude des signes et de leur signification, dans laquelle se distingue Algirdas Julien Greimas (1917-1992), s’appuient sur la méthode d’analyse structurale, qui décompose tout objet de recherche en ses « structures ». Ces disciplines ont donc largement contribué à dissocier ce qui apparaissait comme un nœud de contraires, à  discréditer la métaphysique, à exclure toute transcendance.

Pour en savoir plus sur Michel Foucault : cliquer sur le lien. 

Les "nouveaux philosophes"

 

Mais la critique ne tarde guère à surgir contre ces « maîtres penseurs » : leur est reprochée une forme de terrorisme intellectuel qui vise à imposer une pensée politique marxiste post-68.

C’est ainsi que naissent les « nouveaux philosophes », selon l’appellation d’un dossier des Nouvelles littéraires élaboré par Bernard-Henri Lévy, qui expriment leur volonté de briser ce dogmatisme. L’émission de Bernard  Pivot « Apostrophes », en mai 1977, place notamment sur le devant de la scène Bernard-Henri Lévy, qui vient de publier La Barbarie à visage humain, et André Glucksmann, qui a déjà publié, en 1975, La cuisinière et la mangeur d’hommes, réflexions sur l’État, le marxisme et les camps de concentration, où il compare le nazisme et le communisme, critique reprise dans Les Maîtres penseurs (1977). À cette remise en cause s’associent Maurice Clavel, Christian Jambet (né en 1949), spécialiste de la mystique islamique, et Guy Lardreau (1947-2008), qui s’en éloignent rapidement, Jean-Paul Dollé (1939-2011), par exemple dans Haine de la pensée (1976), ou Jean-Marie Benoist (1942-1990), à qui l’on doit la formule « Marx est mort », pour ne citer que quelques-uns d’entre eux. Tous se rejoignent dans une remise au centre de la réflexion la notion de « sujet » dans une perspective humaniste et universaliste.

Les "nouveaux philosophes" à "Apostrophes", mai 1977. 

Pour en savoir plus sur Dollé : cliquer sur le lien. 

Ces jeunes gens, dont certains en colère, interprètent l'échec de la révolution de mai 68 (à laquelle ils ont cru) comme le glas définitif des illusions. La Société, disent-ils, sera toujours ce qu'elle est : injuste, oppressive, lamentable. Marx est faux prophète, le socialisme un voeu pieux ou un leurre, l'âge d'or une imposture. Lucides, méfiants ou écorchés, ils bercent leur dépit tout neuf en des propos désabusés de vieux routiers.

Télérama, 1977.

Dans la même mouvance, mais avec leur propre personnalité, se situent d’autres philosophes qui, comme Maurice Clavel (1920-1878), leur quasi-parrain, posent la volonté de revaloriser la religiosité, comme une réponse à la mort de la « foi » marxiste. Marcel Gauchet (né en 1946), rédacteur en chef Le Débat, revue fondée en 1980 par Pierre Nora, cherche, pour sa part, à redéfinir la démocratie, d’abord négativement comme une sortie de la religion, dans La Pratique de l’esprit humain (1980) et Le Désenchantement du monde (1985), puis positivement comme une reconstruction de « l’être-ensemble » dans L’Avènement de la démocratie (2007). 

Enfin, la critique se poursuit, vingt ans après mai 68, dans La Pensée 68 : essai sur l’antihumanisme contemporain, ouvrage de Luc Ferry (né en 1951) et Alain Renaut (né en 1948) : tous deux s’emploient à démonter la pensée de Pierre Bourdieu, Jacques Lacan, Jacques Derrida et Michel Foucault, en en révélant les contradictions et les conséquences, selon eux désastreuses. Même tentative dans La Sagesse des Modernes, essai conjoint de Ferry et André-Comte-Sponville (né en 1952). Pour tous ces penseurs, la page du marxisme est tournée… pour poser le retour à la conscience morale et prôner la quête du « sens » dans sa totalité, sans se limiter à la philosophie politique, même si leurs conceptions sont différentes.

Pour découvrir l'essai de Ferry et Renaut : cliquer sur l'image. 

Face à la science

La science, avec ses développements nouveaux fascinants, mais qui se fait de plus en plus hermétique aux non-initiés, ouvre un vaste champ de réflexion, aussi bien aux scientifiques eux-mêmes qu’aux philosophes.

Science et éthique

 

D’abord, les perspectives qu’elle ouvre font peur. Par exemple, si la génétique cherche à prévoir, soigner, prévenir, ses recherches sur l’embryon ne pourraient-elles pas conduire à l’eugénisme, à un « meilleur des mondes » effrayant ? Évoquons aussi les questions juridiques, avec toutes sortes de trafics, et surtout éthiques que soulève l’existence possible de trois mères, la mère biologique, la mère « porteuse » et la mère sociale. Face à ces questions, on assiste à deux types de réactions

- D’une part, certains se réfugient dans des sciences parallèles, qui, sous l’enveloppe scientifique qui leur sert de caution, font appel aux instincts les plus irrationnels de l’homme. De l’instinctothérapie, fondée sur l’ingestion d’aliments crus choisis instinctivement par l’odorat, à la numérologie, en passant par « la médecine par les plantes », la sophrologie et autres techniques plus ou moins sérieuses, guérisseurs et sorciers en tout genre prospèrent. Le plus souvent, ces « sciences »se contentent d’exploiter les terreurs enracinées de longue date en l’homme, comme le souligne Robert Debré dans Ce que je crois, essai de 1976. 

Voici qu'à présent, il est de bon ton de ne pas accepter les justes méthodes, les démonstrations rationnelles et les expériences valables de la science « officielle », c'est-à-dire de la vraie science, mais de lui opposer les succès de ceux qui guérissent des maux incurables par l'imposition des mains ou l'ingestion d'une tisane bien composée. L'hypnotisme et le somnambulisme renaissent. Aux efforts difficiles de la psychologie pour acquérir les caractères d'une science, on oppose la parapsychologie et ses fantaisies. Des chimères se mêlent aux sottises. La radio et la télévision prédisent à chacun son avenir personnel, ses difficultés d'argent, ses peines de cœur et toutes les aventures de sa vie en lui rappelant qu'il est né sous l'influence d'une constellation ou d'un astre. [...]

On nous dit que jamais les magnétiseurs, les radiesthésistes, les diseuses de l’avenir n’ont eu tant de succès. Que penser du masque scientifique dont se couvrent la parapsychologie et la psycho-cinétique pour nous raconter des histoires de cuillers ou de fourchettes qui se tordent sous l’influence d’un regard !

Comme dans toutes les basses époques, c'est la diffusion de cette crédulité qui manifeste la défaite du bon sens et de la raison. Même chez certains qui se disent ou se croient éclairés, cet appel à l'irrationnel se propage. Point d'effort pour comprendre — il n'est pas toujours simple d'y parvenir —, mais plutôt la recherche d'un refuge vers les mystères ou l'abri que procure une crédibilité qui va souvent jusqu'à la sottise.

Robert Debré, Ce que je crois, 1976.

- D’autre part, la multiplication des comités d’éthique traduit une claire prise de conscience de la gravité du débat.

Ainsi, créé en 1974 à l’issue d’un colloque international sur la biologie et le devenir de l’homme, le MURS, Mouvement universel de la responsabilité scientifique, présidé de 1984 à 2001 par Jean Dausset, cherche à harmoniser le savoir scientifique, le pouvoir des gouvernants et des acteurs de la société, en insistant sur la conscience morale individuelle ou collective. La formule de Dausset, « L’homme ne doit plus subir son sort car il peut désormais orienter sa destinée vers un avenir réfléchi », résume l’essentiel de la mission. D’un côté « il ne saurait être question d’arrêter, voire de ralentir cet élan vers la connaissance qui constitue l’honneur de l’homme », précise-t-il, de l’autre, ce dernier doit « réfléchir » à cet « avenir », être conscient qu’ « [à] nouveaux pouvoirs de la science, nouveaux devoirs de l’homme », comme le déclare le professeur Jean Bernard. La France a d’ailleurs été le premier pays à créer, en 1983, un Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé, dont le rôle est de soulever les enjeux des avancées de la connaissance scientifique dans le domaine du vivant et de susciter une réflexion de la part de la société.

Repenser les concepts

 

Mais la réflexion des scientifiques conduit également à repenser certains concepts. Par exemple, la génétique repose la question de l’intuition, du hasard, comme le fait Jacques Monod dans Le Hasard et la Nécessité, Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne (1970), ou de la finalité, par exemple dans La Logique du vivant, une histoire de l’hérédité (1970) de François Jacob.

Pour lire un extrait de l'essai de Jacob : cliquer sur l'image. 

Il nous faut toujours être en garde contre ce sentiment si puissant du destin. La science moderne ignore toute immanence. Le destin s’écrit à mesure qu’il s’accomplit, pas avant. Le nôtre ne l’était pas avant que n’émerge l’espèce humaine, seule dans la biosphère à utiliser un système logique de communication symbolique. Autre événement unique qui devrait, par cela même, nous prévenir contre tout anthropocentrisme. S’il fut unique, comme peut-être le fut l’apparition de la vie elle-même, c’est qu’avant de paraître, ses chances étaient quasi nulles. L’univers n’était pas gros de vie, ni la biosphère de l’homme. Notre numéro est sorti de Monte Carlo. Quoi d’étonnant à ce que, tel celui qui vient d’y gagner un milliard, nous éprouvons l’étrangeté de notre condition ?

Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité, 1970.

Pour leur part, les philosophes, face à cette approche de la part des scientifiques, revendiquent leur rôle spécifique, non du côté des choses, mais du côté de la conscience, ce qui les amène, par exemple, comme Kostas Axelos (1924-2010), à s’interroger sur le fondement même, et la validité, de ce renouveau de l’éthique

Ni les visées, ni les méthodes, ni les contenus de l’activité technoscientifique – à l’exception peut-être de la sphère mathématique pure – ne sont neutres : ils véhiculent une orientation, des « partis pris » initiaux, des intérêts, des idéologies. de plus, là où cette société ne croit viser que l’efficacité pratique, elle continue à être mue par une curiosité et une inquiétude qui la propulsent toujours vers l’exploration et l’exploitation de tout ce qui est, que ce soit de manière intéressée ou gratuite – si l’on peut maintenir cette distinction –, que cela rapporte et transforme dans le présent ou que cela prépare un lointain avenir. Les recherches et les enquêtes spatiales, par exemple, ont moins de justification pratique immédiate – elles n’en sont pas tout à fait dépourvues – que d’intérêt apparemment gratuit, tendant à remplir le « vide », tant cosmique qu’humain. Elles obéissent à la philosophique théorique et pratique de la modernité : devenir maître et possesseur de tout ce qui est, transférer vers le haut les problèmes insolubles d’ici-bas, affronter le néant. L’éthique de la volonté de puissance et de la volonté de volonté qui régit l’homme moderne et la technique planétaire se manifeste dans toutes les branches du savoir et de la science, théoriquement et pratiquement, pendant que sciences et techniques veulent prendre en charge l’éthique, la constituer, la réglementer. Que devient dans cette configuration le problème éthique ? Quel est le lieu à partir d’où rayonne cette question ? Ce problème et ce lieu subsistent-ils encore, ou sont-ils d’ores et déjà organisés et administrés technoscientifiquement ?

Kostas Axelos, Pour une éthique problématique, 1972.

Michel Serres (né en 1930)​

Dans ce domaine, Michel Serres se distingue par son approche épistémologique originale. Dans Le Parasite (1980), Genèse (1982) ou Les cinq Sens (1985), pour ne citer que quelques-uns de ses ouvrages, il étudie systématiquement les relations entre les sciences qu’il appelle « dures » (géométrie, physique, biologie…) puis celles qui les unissent – ou les séparent – des sciences humaines, histoire, anthropologique, politique… Pour prendre du recul par rapport aux sujets d’actualité, souvent brûlants, il choisit de développer ses analyses à partir des mythes antiques, des tableaux de Carpaccio, des œuvres de La Fontaine, Balzac, Zola… , tentant ainsi de concilier la rigueur philosophique et la poésie : « Je crois que la vraie philosophie, celle qui m’importe, dit ces deux choses à la fois. C’est une exploitation très précise de la rationalité dans sa rigueur, mais c’est aussi une reconnaissance du tissu le plus épais de la langue. L’un sans l’autre, ce n’est rien », et il ajoute lors d’un entretien : « Le XXIème siècle sera le siècle où on coudra, où on soudera enfin les sciences dures et les sciences humaines ». Mais les analyses épistémologiques qu’il propose sont autant de méditations sur les questions fondamentales de la philosophie, la vérité, le savoir, la violence et la mort.

Pour lire M. Serres, "L'incandescent" , Cahiers du MURS, n°42,  2ème sem. 2003 : cliquer sur le lien.

"Visages inattendus de personnalités", KTOTV  : M. Serres.

Sur la mort.... Je me suis posé le problème de la mort deux fois, et c'est à cause du problème de la mort que je suis devenu philosophe, parce qu'il est arrivé un événement dans ma jeunesse qui a fait de moi un philosophe, alors que j'étais scientifique à l'origine, qui a été l'explosion de la bombe atomique à Hiroshima. Hiroshima a pour moi été le moment décisif où j'ai changé ma vie. Le problème de la mort se posait d'une nouvelle manière. Depuis Épicure, et même avant Épicure, jusqu'à nos jours, la mort était considérée comme la mort de monsieur Luc-André Abraham, personnage dont l'identité est parfaitement connue, ou la mort de Michel Serres, c'est-à-dire moi, moi «je». Je vais disparaître et entrer dans le néant. Et tout d'un coup, cette mort-là, méditée jusqu'à la philosophie la plus récente, devenait subitement la mort globale, de la totalité, du genre humain. Ce pourquoi d'ailleurs les problèmes de philosophie des sciences sont devenus des problèmes très intéressants. Depuis quelque temps, notre pouvoir, notre puissance à la fois scientifique et technique est arrivée à une sorte de limite, où on pouvait mettre en bascule l'existence humaine de l'humanité globale. Par conséquent, si Épicure a raison — et d'une certaine manière, cet argument de type logique — «quand je ne serai plus là, je ne souffrirai plus; je suis là, donc je ne suis pas encore...» — m'apparut tout d'un coup assez léger, dans la mesure où ma disparition compte pour moi, de façon tout à fait décisive, mais elle n'est rien par rapport à la mort globale. Le problème philosophique à partir d'un certain jour de 1945 devenait un tout autre problème, et il y a mort individuelle et il y a mort collective.

Luc Abraham, « Un entretien avec Michel Serres », Horizons philosophiques, vol. 10, n° 2, 2000, p. 97-116.

Pour Serres, en effet, « la science a reconnu qu’il lui fallait se priver des questions :  pourquoi ? se limiter aux questions comment ? ». La conséquence en est qu’elle se prive de projet, ce qui la livre aux mains de ceux qui possèdent le pouvoir : « Connaître, c’est pratiquer un exercice involué dans l’idéologie du commandement et de l’obéissance. Or la domination, ce n’est jamais autre chose que l’appropriation de la mort et de la destruction légitime » (Hermès III, "La traduction", 1974). D’où l’incessant appel de Michel Serres à une perception globale de la philosophie, qui n’exclut aucun champ social, aucune question, dont témoigne, par exemple Le contrat naturel (1990), appel à un nouveau « contrat » pour assurer la survie de l’humanité : « il est urgent que l’humanité contracte avec la terre en inventant pour elle, à l’instar du contrat social, un contrat naturel où justice sera faite à la nature désormais comptable d’une déclaration universelle de droits de la nature. »

Pour en savoir plus sur Le contrat naturel : cliquer sur le lien.

Un thème philosophique : l'altérité
"Altérité intérieure"

 

Depuis la psychanalyse, est admise l’idée que le « moi » est étranger à lui-même, que « Je est un autre », pour reprendre la formule de Rimbaud. Mais L’Anti-Œdipe (1972), le premier des deux essais de Gilles Deleuze et Félix Guattari  sous-titrés "Capitalisme et schizophrénie", pose les limites des théories freudiennes, qui définissent le désir comme « manque » et réduisent l’inconscient à la cellule familiale. Pour eux, au contraire, l’altérité est inhérente à la personne, et le désir, sans cesse rejaillissant, est un dynamisme qui met en mouvement l’individu, au sein de l’Histoire. Ainsi, ces auteurs rejoignent à leur façon Michel Foucault dans les deuxième et troisième tomes de son Histoire de la sexualité, L’Usage des plaisirs et Le Souci de soi (1984).

Mais psychanalyse ou schizanalyse, pour reprendre le terme de Deleuze, dans les deux cas se trouve contesté le « cogito » de Descartes, c’est-à-dire la stabilité et la vérité de la coïncidence de soi, et détruite toute propension de confiance en le « for intérieur ». Entre aliénation, trahison de soi, inversion d’une raison scientifique et technicienne qui, alliée au politique, entraîne guerres, révolutions et massacres, l’ancien humaniste, fondé  sur la conception de l’homme comme « animal raisonnable », s’effondre.

Pour feuilleter ces essais : cliquer sur l'image correspondante.

Moi et autrui

 

Parallèlement, la sortie du « cogito », de la centration sur le sujet  ne posant l’existence d’autrui que dans un second temps, conduit à reposer la question des rapports entre « moi » et « autrui ». Cette tendance se trouve renforcée par la pression sociale – et les analyses de la sociologie en témoignent – qui, de plus en plus, contraint l’individu à s’insérer dans un groupe alors même que, paradoxalement, il affirme sa solitude originelle… et originale. De nombreuses études sont alors menées sur le fonctionnement des groupes, et plus particulièrement sur les phénomènes de rejet dont est victime celui qui est « autre ». Les questions concernant l’altérité se multiplient alors. Par exemple, avec l’essor du féminisme, comment poser les rapports entre l’homme et la femme ? Faut-il concevoir, comme le fait Elisabeth Badinter qu’après avoir été « l’un et l’autre », puis dressés par le patriarcat « l’un contre l’autre », on en arrive à l’époque actuelle où « l’un est l’autre » ? De façon plus générale, autrui me demeure-t-il irrémédiablement étranger, voire ennemi et objet de haine ? Ou bien, inversement, faut-il suivre la pensée de Marcel Gauchet et déplorer la croissance, après 68, d’un individualisme qui tend à une diminution progressive de l’altérité ? Peut-on imaginer un monde sans « autrui » ? Autrui n’est-il pas, comme le suggère Deleuze, « l’expression d’un monde possible » ?

La fin du siècle marque donc à la fois la fin des certitudes, notamment idéologiques, et la quête d’une pensée cohérente, le désir d’élaborer à nouveau de véritables « systèmes ». En cela, Vladimir Jankélévitch (1903-1985) ouvre la voie. Plaçant comme essentielle la contingence, il montre que le devenir de l’être est insaisissable, suspendu entre le « pas encore » et, après, dans le « jamais plus », dans cet instant où il s’accomplit… mais si brièvement, instant « presque rien », mais dont il subsiste pourtant un « je-ne-sais-quoi », car rien ne sera plus comme avant. Autre « je-ne-sais-quoi », la fragilité de l’intention morale, constamment menacée de chute, ce qui le conduit à poser le don de soi pour conférer une valeur et un sens à l’être et à la mort. Lui seul permet de vivre en plénitude. Les rapports avec les autres sont donc essentiels : il faut passer par l’autre pour fonder sa propre existence, son identité. 

Pour en savoir plus sur la pensée de Vladimir Jankélévitch : cliquer sur l'image correspondante.

Les arts

Arts

Les remises en cause sociales rejaillissent sur les arts : ils réaffirment leur liberté et se combinent souvent entre eux. Mais si certains artistes s'autorisent encore bien des audaces, d'autres refusent les excès du modernisme.

L'Atelier populaire des Beaux-Arts et ses affiches.

Les artistes participent activement au mouvement de Mai 68, notamment au sein de l’ « Atelier populaire des Beaux-Arts » qui offre à l’affiche ses lettres de noblesse grâce à l’utilisation d’une technique encore largement méconnue, la sérigraphie. La première affiche, destinée à soutenir le mouvement, avec son slogan « U-sines, U-niversités, U-nion », devient le sigle du groupe. Avec plus de  300 000 affiches produites, également par l’École des Arts décoratifs de Paris, l’art descend des ateliers dans la rue ! Le refus de tous les embrigadements dans un mouvement, dans une école s’affirme, et les frontières entre les arts s’estompent, voire s’abolissent. Depuis cette époque, jamais les artistes n’ont été aussi libres : ils poursuivent leurs recherches, souvent éloignées des goûts du grand public.

Pour en sur l' "Atelier populaire"savoir plus : cliquer sur l'image.

Mais, paradoxalement, jamais ils n’ont autant subi les pressions de l’économie capitaliste, avec la progression constante d’un grand « marché de l’art ». L’art est, en effet, devenu un produit de consommation comme les autres ;  les œuvres d’artistes « reconnus » atteignent des prix exorbitants lors des ventes aux enchères, et ses nouvelles vedettes sont lancées sur le marché à grand renfort de publicité médiatique. Enfin, la prolifération de musées, avec leur boutique, de fondations et de centres de créations, publics ou privés, de biennales… ne contribue-t-elle pas à installer dans l’esprit du public que l’art est un bien de consommation avec une étiquette de valeur et non plus une œuvre singulière porteuse de la vision de son auteur ?

Autre paradoxe que souligne le critique Yves Michaud dans L’Art à l’état gazeux (2003) : « tandis que triomphe l’esthétique, jusque dans les objets les plus quotidiens et les plus triviaux, le monde de l’art se détourne des œuvres, pour proposer des démarches, des installations, des performances. » Le « design », de nature industrielle, au mieux artisanale,  remplacerait alors l’art qui s’emploierait à détruire sa dimension « sacralisée », symbolique et signifiante, pour ne plus chercher à produire que des expériences particulières, des instantanés de création sans souci esthétique.

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Joué-lès-Tours, un exemple du plan "Banlieue 89".

Evry, ville nouvelle : la cité des Pyramides.

Le Centre national d'art et de  culture de Beaubourg, architectes : R. Piano et R. Rogers, 1970-77.

L'architecture
Mieux vivre en ville

La première ambition a été de donner aux banlieues, défigurées par l’abus du béton, « cités-dortoirs » aux vastes espaces ouverts sans âme, sans centres d’activités, une identité qui en fasse des villes à part entière et non pas de simples satellites. Ainsi, dans un premier temps, il s’agit de détruire, et les explosions abattent les « barres » et les « tours », depuis celle qui, en 1986, a fait disparaître un des immeubles de la « Cité des 4000 » à La Courneuve (Cf. Vidéo ci-contre). Puis, dans le respect de « l’environnement », terme qui apparaît alors, les architectes et les urbanistes travaillent ensemble pour rendre les villes plus humaines et plus belles, soit en les rénovant, soit en bâtissant de nouveaux lieux de vie. Les urbanistes, tels Antoine Grumbach (né en 1942), s’inspirent donc de la structure d’un quartier traditionnelle, rendent la rue aux piétons et cachent ce qui peut enlaidir, hypermarchés, parkings… S’ils laissent aux citadins des repères, tels les avenues, les places, les parcs, les pièces d’eau, ils tentent de rompre la rigueur des lignes en aménageant des parcours sinueux, des rues plus étroites, des passages, destinés à être animés par des commerces traditionnels.

La destruction d'un des immeubles de la "Cité des 4000".

Les architectes de leur côté, comme Henri Gaudin (né en 1933), Roland Castro (né en 1940), Henri Ciriani (né en 1936), Christian de Portzamparc (né en 1944), travaillent sur les formes des bâtiments, peu élevés, dont les lignes s’assouplissent. Des arches, des poutres, des portiques relient les bâtiments entre eux et rompent avec la rigidité précédemment en vigueur ; coursives, escaliers extérieurs, décrochements, terrasses en épi ou courbes contribuent aussi à briser la symétrie. Les façades s’éclairent par le jeu des couleurs dans des fresques, des mosaïques, des tubulures peintes, et par celui de la lumière sur les verrières ou les miroirs. Le projet « Banlieue 89 » (Cf. Image ci-dessus), encadré entre autres par Roland Castro, tient compte de ces données déjà mises en œuvre dans les villes d’Évry, de Marne-la-Vallée ou de Saint-Quentin-en-Yvelines. On les retrouve aussi dans les choix de Christian de Portzamparc pour réaliser l’ensemble des « Hautes formes » (1978-79) dans le XIII° arrondissement de Paris. Dans tous ces cas, l’objectif est de mieux insérer les volumes et les matériaux dans le paysage urbain.

Pour en savoir plus sur H. Ciriani et  C. de

Portzamparc : cliquer sur le lien correspondant.

Les grands travaux

On a beaucoup critiqué les grands travaux lancés à Paris dès 1969 par le président Pompidou. Certes, on peut lui reprocher d’avoir privilégié les voitures, en particulier par l’ouverture d’une voir express sur la rive droite de la Seine, et d’avoir abusé de la construction de « tours » à l’américaine, telles la tour Montparnasse ou celles du quartier de La Défense. Mais il a inauguré une ère industrielle qui a ouvert Paris à l’avenir, lui a rendu sa place de métropole mondiale et a stimulé la créativité des jeunes architectes français qui doivent se mesurer aux étrangers dans des concours internationaux. En témoignent la silhouette futuriste du Centre national d’art et de culture de Beaubourg (Cf. Image ci-dessus) avec son architecture métallique apparente et ses tubulures, imaginée par l’italien Renzo Piano et le britannique Richard Rogers, qui lui a valu, à ses débuts, le surnom méprisant de « raffinerie », ou le forum des Halles, créé par les architectes français Claude Vasconi (1940-2009) et Georges Pencreac’h (né en 1941). Ces deux réalisations font aujourd’hui partie intégrante d’une ville modernisée. Les présidents suivants auront à coeur de continuer dans cette voie.

Les tours du quartier de La Défense.

Le forum des Halles.

Pour un panorama des grands travaux : cliquer sur le lien.

Giscard d’Estaing lance, pour sa part, de grands projets, notamment le musée d’Orsay, en remplacement de l’ancienne gare, aménagement réalisé par Pierre Colboc (né en 1940), Renaud Bardon (1942-2011) et Jean-Paul Philippon (né en 1945), la « Cité des sciences et de l’industrie », dans le cadre des anciens abattoirs de La Villette, avec sa « Géode », ensemble conçu par les architectes Adrien Fainsilber (né en 1932) et Gérard Chamayou (né en 1932), et sa Halle, transformée en salle d’exposition par Bernard Reichen et Philippe Roberts. Enfin l’Institut du monde arabe, réalisé par l’architecte Jean Nouvel (né en 1945) et l’agence Architecture-Studio, est original par sa façade qui unit les moucharabiehs, ouvertures typiques des constructions arabes, à la modernité du verre.

Ces projets ont été menés à terme et inaugurés en 1986 par le président Mitterand, qui a lui-même poursuivi cette politique de grands travaux. Il a, par exemple, amplifié le projet de La Villette pour en faire le parc du XXI° siècle : Bernard Tschumi (né en 1944) y dispose ses pavillons ou « folies » et Portzamparc y construit une « Cité de la musique », inaugurée en 1995. La musique est aussi honorée par le vaste opéra à La Bastille, qui, sous l’égide de l’architecte uruguayen Carlos Ott, tient compte de toutes les exigences technologiques actuelles. Deux réalisations traduisent cette volonté d’inscrire Paris dans le modernisme, toutes deux controversées par le choc qu’elles représentent par rapport au patrimoine traditionnel. D’une part, la cour du palais du Louvre voit s’installer en son centre une pyramide de verre, qui couronne l’entrée des visiteurs du musée par un impressionnant ensemble souterrain, le tout créé par l’architecte chinois Ming Peï. D’autre part, pour faire écho à l’Arc de triomphe, la perspective des Champs-Élysées se ferme dans le quartier de La Défense par une énorme arche, cube évidé de 110 mètres de haut, imaginée par l’architecte danois Johann Otto von Spreckelsen.

La fin du siècle promeut encore bien des projets novateurs : dans le nouveau quartier de Bercy la « Cité de la finance », le stade omnisport, la « grande bibliothèque de France » dont l’érection est confiée, en 1989, à Dominique Perrault (né en 1947). A total, 16 projets à Paris, 22 en province… dont le dernier du siècle sur Paris est le « musée des arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques », installé sur le quai Branly, voulu par le président Chirac, dont il prend le nom, et confié, en 1999, à Jean Nouvel. Réhabilitations d’ouvrages anciens ou créations novatrices, la formule du secrétaire d’État de Mitterand,  Émile Biasani (1922-2011), définit parfaitement l’ambition de tous les présidents de cette fin de siècle : « Les ‘‘grands chantiers’’ du Président donnent à l’architecture une importance symbolique et nationale ; une ambition pour la France du XX° siècle. »

La "Cité des sciences et de l'industrie" et sa "Géode".

La pyramide dans la cour du Louvre.

La "Grande Arche" de La Défense.

Découvrir la "Grande Bibliothèque": cliquer sur le lien.

"Les Hautes Formes", ensemble H.L.M., Paris XIII°.

Le groupe BMPT :  Manifestation 4. De g. dr., de haut en bas, oeuvres de Buren,  Mosset, Parmentier,  Toroni

Noël Dolla, Sans titre, 1967. Technique mixte, 116 x 80.

Gérard Garouste, 3 pieds, 2 mains, 1 chien, 1995-1996.  Huile sur toile, 88 x 168.

La peinture et la sculpture
L'art minimal et conceptuel

Pour les artistes « minimalistes », le moins  d’élaboration, par exemple l’absence de couleur, est le moyen de dire le plus : le spectateur est alors conduit à observer les nuances d’un pigment, son mode d’application sur le support, ou même la forme du tableau, la façon dont il est accroché… . Prolongeant cette approche, pour le peintre « conceptuel »,  ce qui importe est  l’idée qui a présidé à la création, les esquisses, schémas, repentirs… ayant finalement plus de valeur même que la création ultime.

Même si la France n’a pas connu avec la même ampleur que les États-Unis le développement de l’art minimal, qui ouvre la porte  à l’art conceptuel, les recherches entreprises par  plusieurs artistes peuvent lui être rattachées. Ils veulent rejeter la subjectivité, utiliser des formes simplifiées à l’extrême, inviter le spectateur à se concentrer sur l’art seul.

Le groupe BMPT

Puisque peindre c’est…

 

Puisque peindre c’est un jeu.

 Puisque peindre c’est accorder et désaccorder des couleurs.

Puisque peindre c’est appliquer (consciemment ou non) des règles de composition.

Puisque peindre c’est valoriser le geste.

Puisque peindre c’est représenter l’extérieur (ou interpréter, ou se l’approprier, ou le contester, ou le présenter).

Puisque peindre c’est proposer un tremplin pour l’imagination.

Puisque peindre c’est illustrer l’intériorité.

Puisque peindre c’est la justification.

Puisque peindre sert à quelque chose.

Puisque peindre c’est peindre en fonction de l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de psychanalyse, de la guerre du Vietnam.

 

NOUS NE SOMMES PAS DES PEINTRES.

 

Constatez-le, le 3 janvier 1967, 11 avenue du Président-Wilson.

Paris, le 1er janvier 1967

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Buren, Mosset, Parmentier, Toroni, Tract d'invitation au Salon de la Jeune Peinture, 1967.

Ce groupe porte les initiales de ses créateurs : les Français Daniel Buren (né en 1938), et Michel Parmentier(1938-2000), les Suisses Olivier Mosset (né en 44) et Niele Toroni (né en 1937). Fondé en décembre 1966, ils se font connaître par 5 « manifestations ».

Lors de ces manifestations, ils peignent en public, mais les œuvres, sitôt achevées, sont remplacées par des affiches : « on n’expose pas ». Frustration du public assurée… L’œuvre, elle, s’appuie sur un motif répété : pour Buren des rayures rouges verticales alternant avec des bandes blanches, pour Mosset un cercle noir de 15,6 millimètres sur une toile blanche, pour Parmentier, en bombant sur les reliefs la toile pliée, une alternance de rayures et de toile brute,  et pour Toroni, une toile cirée peinte en laissant l’empreinte d’un pinceau tous les 30 centimètres. La troisième manifestation, en juin 1967, au Musée des Arts décoratifs, est parfaitement révélatrice de leurs refus : en fait de « conférence », annoncée, un tract est distribué, et les œuvres sont quatre toiles, accrochées en carré, avec leur seul nom, bandes verticales, cercle noir sur fond blanc, bandes horizontales, empreintes régulières de pinceau, qui signale un acte répétitif. La peinture, comme le dit Parmentier n’est qu’ « une trace... vide de message, d’images, vide de cette communication qui rend complices habituellement artistes et amateurs. » Le programme « minimal » du groupe vise à ne faire exprimer à la peinture rien d’autre que sa seule existence : « ni discours […], ni silence […], mais plutôt la répétition indéfinie du neutre », comme l’explique l’historien de l’art Jean Clair. Mais la répétition se condamne d’elle-même, et le groupe se dissout un an plus tard.

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Après avoir cessé de peindre de 1968 à 1983, Parmentier réduit sa peinture à la plus simple expression, des traits monochromes lancés sur la toile. Mosset produit plus de 200 toiles avec pour motif un cercle noir sur fond blanc, de même Toroni poursuit ses alignements de points monochromes ou bichromes sur fond blanc, ce qu’il nomme « degré zéro » de la peinture.

Buren, lui, tout en conservant ses bandes et rayures de couleur, fait sortir sa peinture du cadre du tableau, pour l’apposer sur des murs, des escaliers, des drapeaux, des espaces parfois incongrus, puis rapproche la peinture de la sculpture, en la réalisant sur des objets, telles, en 1984, les « cabanes éclatées », toiles tendues sur des châssis, découpés et réagencés sur les murs, ou les fameuses « colonnes » réalisées avec Patrick Bouchain installées en 1986 dans la cour d’honneur du Palais-Royal à Paris.

Pour découvrir une interview du groupe BMPT, 1967 : cliquer sur l'image.

Le Groupe BMPT, 1967.

Les "colonnes "de Buren, 1986.

D. Buren, Les trois cabanes éclatées en une, plexiglas colorés en rouge, jaune et bleu, vinyle auto-adhésif blanc de 8,7 cm de large, décembre 1999 - janvier 2000,  Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut.

"Supports/Surfaces"

Dans la même optique, le groupe « Supports/Surfaces » veut révéler, dans la peinture ou  la sculpture, les procédés de construction et de travail, l’aspect matériel de l’œuvre. Sous cette appellation, trouvée en 1970 par Vincent Bioulès (né en 1938) pour une exposition à l’ARC (section Animation-Recherche-Confrontation du Musée d’Art moderne de Paris) se regroupent, outre Bioulès et Louis Cane (né en 1943), qui fonde avec Marc Devade (1943-1983), en 1971, un magazine important, Peinture, cahiers théoriques, neuf autres artistes, peintres comme François Arnal (1924-2012), Daniel Deuzeuze(né en 1942), Noël Dolla (né en 1945), Patrick Saytour (né en 1935), André Valensi (1947-1999), Claude Viallat (né en 1936), puis, en septembre 1971, Jean-Pierre Pincemin (1944-2005) ou sculpteurs, Toni Grand (1935-2005), Bernard Pagès (né en 1940)… , parfois associant ces deux arts. Tous, que ce soit à travers la peinture ou la sculpture, pourraient se reconnaître dans l’affirmation de Jean-Paul Aron dans Les Modernes (1984) : « La toile se définit par sa constitution. Souple, s'enroulant, se pliant, se pressant. Sans envers ni endroit, se traitant d'après son tissage, sa trame, son grain, sa capillarité, sa diffusion. Moins toile que voile moins peinte que teinte. Se contestant par d'autres matériaux, le bois, le métal. Répétitive, pour marquer l'inanité de l'inspiration ».

Pour en savoir

plus sur "Supports/Surfaces": cliquer sur l'image et sur le lien.

Ces peintres rompent catégoriquement avec l’art traditionnel dont ils dénoncent les enjeux économiques et idéologiques pour affirmer que leur seule réalité est le châssis, la toile, les pigments, l’éventuelle empreinte du pinceau, du tampon, du pochoir… Ainsi Viallat utilise des matériaux de récupération, bâches, cordes, tissus divers, trempés dans la couleur et pressés pour prendre forme ; Dolla réalise des œuvres sur de la tarlatane, ce qui permet à la toile d’être aussi bien exposée enroulée que tendue.  Claude Viallat résume bien leurs travaux : « Dezeuze peignait des châssis sans toile, moi je peignais des toiles sans châssis et Saytour l'image du châssis sur la toile. »

Pour découvrir l'oeuvre de Cane, Dezeuze et Dolla : cliquer sur le lien correspondant.

C. Viallat, Bâche kaki, 1981. Eléments d'une tente militaire kaki. Peinture acrylique sur toile de bâche, 320 x 475 cm

En 1972, le groupe se dissout, mais il influence durablement toute son époque, en particulier par sa volonté de sortir de la salle d’exposition, du musée, pour échapper à l’emprise du « marché de l’art ». Ainsi, ils organisent des « actions artistiques », telles celles de Dezeuze, Pagès, Saytour et Viallat dans le village provençal de Coaraze, ou de Valensi, en pleine nature : draps et bannières extensibles, bâches, parasols, restructurent  le paysage par le moyen de cordes tressées, de filets, d’échelles souples. Annonçant déjà ce que les Américains nommeront « Land Art », ils modèlent le site naturel lui-même, en agissant sur le sol, sur les pierres. Tout peut devenir support, matériau à peindre : l’art impose son empreinte à la nature.

B. Pagès, Le tas de paille, 1969, IPN 100 mm et paille en vrac, 80 x 180 x 180.

Exposition "Supports/Surfaces", ARC, Musée d’art moderne, Paris, 1970 (Bioulès, Devade, Dezeuze, Saytour, Valensi, Viallat)

La figuration

Tandis que l’ « hyperréalisme », avec Aillaud, Arroyo, Rancillac, Chambas… poursuit sa route dans les années 1970-73, certains artistes, en cette période d’incertitude où la liberté conquise prend une dimension extrême, un peu effrayante, recherchent la voie d’une nouvelle figuration, qui s’écarte peu à peu de son approche première, narrative et politiquement engagée. La peinture fait alors son autocritique, renie ses excès.

[La peinture] ne peut s'articuler qu'à la vérité vécue, au corps, à la respiration de chaque individu : à son expérience quotidienne, à la vitesse qu'il prend à moto sur l'autoroute, au journal qu'il lit, aux rues dans lesquelles il rêve toujours de rencontrer quelqu'un, à la femme qui attend dans un appartement où l'on ne sait jamais à quoi elle pense. [...] L'idée que les peintres accomplissent à leur manière une "révolution du regard" a été acceptée. Mais les peintres qui se soucient plus lucidement du renouvellement et de l'approfondissement du langage figuratif vont maintenant s'approcher d'une autre idée, celle-là toujours considérée comme utopique : la mise en espace de la révolution individuelle dans la révolution collective ? Il m'arrive d'y croire.  

Alain Jouffroy, Guillotine et peinture, Topino-Lebrun et ses amis, 1977.

Deux tendances se font jour en cette fin de siècle, en opposition très nette à l’art minimal ou conceptuel.

Pour moi, l' "art moderne" est une notion dépassée, caduque. L'art moderne conçu comme quelque chose de plus en plus moderne, de futuriste, l'idée de "progrès" en peinture, d'évolution formelle obligée, tout cela a chassé la thématique picturale, ce qui fait la saveur de la peinture, la profondeur, les rapports de couleurs, l'expression, le charme et le plaisir de la peinture. Tout cela a conduit à une espèce d'entropie de la dépense et de la sublimation que je rejette à présent. Depuis trois, quatre ans, je suis entré dans la solitude de la peinture... [...] Ma conviction est : il faut remettre de la loi. Dans un même tableau, il y a la figure extrêmement "bien faite" et de la figure interprétée. Cette femme assise est pratiquement cubiste, celle-ci fauviste, cette autre, non. Je joue aussi sur les registres formels et culturels de la peinture et je réintroduis des effets de loi.

Louis Cane, « La peinture et la loi", entretien avec Michel Braudeau, Art Press , n° 70, mai 1983.

Le groupe "Figuration libre"

C’est le critique d’art Bernard Lamarche-Vadel qui baptise ainsi, en 1981, alors que Ben, artiste du mouvement Fluxus, a organisé à Nice une exposition des œuvres de Robert Combas et d’Hervé Di Rosa, ce mouvement naissant, auquel s’associent des peintres comme François Boisrond (né en 1959) ou Rémi Blanchard (1958-1993), puis Loïc Le Groumellec (né en 1957), Jean-Charles Blais (né en 1956), le sculpteur Richard Di Rosa (dit Buddy, né en 1963. Tous ont en commun leurs sources d’inspiration, bande dessinée, dessins d’enfants, rock et post-punk, télévision, graffiti… Sans renoncer à la liberté de « faire moche » ni à la provocation désinvolte, ils veulent retrouver l’expression subjective de l’homme moderne, en qui un fond de culture classique se mêle aux apports d’une nouvelle forme de culture. Ils s’autorisent tous les matériaux, parfois les plus hétéroclites, les couleurs les plus discordantes, pour créer une image où les sujets prolifèrent, et ils laissent libre-cours à l’humour.

Pour en savoir plus sur le groupe "Figuration libre", un dossier et une vidéo : cliquer sur l'image.

Robert Combas (né en 1957)

Adoptant tous les sujets d’actualité des années 80, Combas associe la peinture de son temps à une libération de tous les codes de la figuration, notamment dans ses portraits. Pour exprimer la violence, la sexualité, la souffrance ou les joies populaires, l’humanité dans sa grandeur ou sa petitesse, il puise dans les images du rock, les livres d’enfance ou les manuels scolaires, tout ce qui transmet une culture populaire.

R. Combas, Enée descend aux enfers, 1988. Acrylique sur toile, 270 x 202 cm, Centre national des arts plastiques.

Pour découvrir Combas et son oeuvre, son site officiel : cliquer sur le lien.

Moi, je travaille des fois abstrait par jets de peinture, une sorte d’expressionnisme abstrait. Le figuratif, c'est le côté amusant, pied sur terre ; au départ c'était une réaction dérisoire contre les peintures intellectuelles du milieu de l'art des années 70. Moi je viens du milieu populaire, je vivais dans deux mondes différents. Il y a quand même des messages dans ma peinture : au départ c'est une certaine énergie, j'ai voulu peindre ce que je voulais. Dans la B.D on est coincé par les personnages, tandis que, dans cette peinture, je suis libre complètement libre, même par le format.   

R. Combas.

Hervé Di Rosa

(né en 1959)

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Pour découvrir Di Rosa et son oeuvre, son site officiel : cliquer sur le lien.

H. Di Rosa, Tous en bateau, 1988. Acrylique sur toile, 700 x 500, Musée d'art moderne, Paris

L’œuvre d’Hervé di Rosa, originaire de Sète comme Combas, avec lequel il a fondé la revue Bato, « œuvre d’art assemblagiste et collective », marque aussi ce mouvement. Son originalité, outre son goût pour les monstres, ou les personnages déformés, pour les robots, est de jouer avec tous les styles, toutes les esthétiques – ou le refus de toute esthétique : « Mon style, c’est d’avoir tous les styles, de n’avoir par conséquent aucun style ».

Pour lui, « tout est art », pour reprendre le titre d’une exposition de Ben, même les plus modestes objets qui constituent l’œuvre.

Unir  le présent au passé

D'autres artistes souhaitent nouer plus fortement les liens entre les références du passé et celles du présent. Mais il ne s’agit pas d’un retour au passé, plutôt d’un retour du passé, de « tenir à l’histoire », pour reprendre le titre d’un tableau d’Alberola, c’est-à-dire à la fois de brasser tous les styles de la peinture et d’insérer dans le tableau des sujets, tels les mythes, les légendes, qui renvoient à un héritage culturel.

Gérard Garouste (né en 1946)

C’est comme peintre que Garouste se fait connaître en 1980, mais il est aussi sculpteur, avec, par exemple, ses œuvres pour la cathédrale d’Évry, créateur d’installations, comme Ellipse (2001), ensemble de toiles sur une architecture qu’il a créée, et il s’intéresse au théâtre en tant que décorateur, tel le rideau de scène du théâtre du Châtelet en 1989, mais aussi auteur et acteur. Vitraux, plafond, maquette de tapisserie, ou l’œuvre monumentale, mêlant fer forgé et peinture réalisée, en 1996, pour la Grande Bibliothèque de France, aucun champ de la création ne lui est étranger. De même, il peut brasser, dans une même toile, tous les styles, et des techniques diverses, tel le glacis à l’ancienne avec les touches modernes.

G. Garouste, L'étudiant et l'Autre lui-même, 2006. Huile sur toile, 200 x 260.

Un entretien avec Garouste.

Ce qui m’intéresse, c’est de chercher de quoi nous sommes faits, de tenter de décrypter de quels symboles les images sont porteuses, où réside leur puissance et comment j’en use. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu étudier les mythes. C’est ce que je recherche aussi au travers des portraits.   

G. Garouste.

Mes toiles n’affirment rien, elles sont une invitation à relire » revendique l’artiste qui explique : « la peinture a enchanté mes doigts, ce sont les livres qui ont nettoyé ma tête. C’est avec La Divine comédie de Dante que ça a commencé. La suite est une succession de livres et de mots. Ils m’ont fait peindre ».

G. Garouste.

Si je peins armé des textes qui ont irrigué les siècles, fabriqué la pensée de nos aïeux et conditionné la nôtre à notre insu, si je fais de la peinture à l’huile (…), c’est pour regarder en nous, révéler notre culture, notre pensée dominante, notre inconscient. Je veux être un ver dans le fruit. 

G. Garouste.

Il emprunte donc aux grands textes de la littérature, au Don Quichotte de Cervantès, au Gargantua de Rabelais, au Faust de Goethe, mais aussi aux mythes, aux contes, à Tintin comme aux fables de La Fontaine, ainsi qu’aux textes religieux, la Bible, le Talmud hébraïque, non pour une plate illustration, mais pour les réinterpréter en en faisant ressortir l’énigme, pour explorer les archétypes de l’humanité. Il multiplie également les évocations picturales, clins d’œil aux paysages romantiques, par exemple, sujets traités par Le Gréco, bestiaire fantastique, ou étranges anamorphoses dans de nombreux autoportraits : il s’y représente à la fois homme et animal, avec des membres désarticulés, étirés, des mains aux doigts maigres et torturés ou des pieds inversés, un corps recouvert d’yeux… Des sujets souvent inquiétants, sans doute révélateurs des obsessions qui l’ont conduit, à plusieurs reprises, aux frontières de la folie, mais non dépourvus d’ironie ou d’humour, un chaos parfois pour égarer le regard, et, surtout pour « savoir ce qu’il y a à l’intérieur des couleurs, des livres, des autres, de [s]a tête surtout ». Le choix de la figuration ne relève pas, pour lui, d’un désir de reproduction, mais d’une façon de briser, par l’imagination qui les transfigure, les conventions de l’héritage culturel, d’une volonté de réapprendre, en quelque sorte, à lire, à voir.

Jean-Michel Alberola (né en 1953)

Avant tout peintre, Alberola pratique aussi le collage, la sculpture, l’installation d’objets, une œuvre dans laquelle l’écriture tient une place essentielle. Il n’hésite pas à exposer côté à côte un tableau figuratif, un tableau abstrait, mais utilise aussi des objets trouvés, des photographies, des cartes postales, des films…

J.-M. Alberola, Suzanne et les vieillards : l'échange, 1986. Huile sur toile, 194 x 162.

Dans ses œuvres s’entrecroisent aussi bien des références culturelles, à la Bible, comme dans Suzanne et les vieillards, à la mythologie antique, pour Le Bain de Diane, La Mort d’Actéon ou Diane et Actéon, par exemple, que des emprunts à l’histoire de l’art occidentale comme aux cultures africaines, ou des souvenirs de la bande dessinée… Il s’agit, pour lui, de s’approprier toutes les mémoires, individuelles et collectives, toute œuvre se définissant comme un puzzle pour dire le monde.

Pour découvrir Alberola et son oeuvre : cliquer sur le lien.

Denis Laget (né en 1958)

D. Laget, L'Ange déchu, 1984. Huile et mine de plomb sur papier, 55 x 77.

Même si, dans les œuvres de Laget, le sujet reste parfois plus flou, encore proche de l’abstraction, lui aussi refuse d’annuler le passé pour  être moderne à tout prix. Il s’empare donc d’un stéréotype, tel « l’ange », d’un poncif, par exemple un vase de fleurs, pour unir harmonieusement le tracé propre à la peinture figurative, la dislocation de l’abstraction, la couleur et la matière.

Il en transfigure ainsi le sens. Ses premiers tableaux, exposés en 1984, frappent par leur thème, des anges ailés, mais aux ailes coupées, traités comme pour annoncer leur chute telle celle d’Icare. Ce trouble d’un monde menacé de dissolution se retrouve dans une série de portraits aux yeux fermés, comme saisis d'une extase mortelle, ou dans les crânes de ses « vanités », ses fleurs semi fanées ou ses paysages flous. Fin du monde ? ou bien naissance d’un nouvel univers, sorti de la pâte épaisse de la peinture ?

Les sculpteurs Anne (née en 1941) et Patrick (née en 1942) Poirier, lors de leur séjour à la Villa Médicis à Rome de 1967 à 1972 découvrent dans les ruines archéologiques les échos à leur propre confrontation à la violence destructrice de la 2nde guerre mondiale. Leurs maquettes miniaturisées de sites archéologiques fictifs, telle celle, en terre cuite et en grand format (6 mètres sur 12) de la ville antique d’Ostia,  comme leurs gigantesques marbres brisés, leurs colonnes qui paraissent exhumées d’un gigantesque cataclysme recréent des cités et des civilisations imaginaires. Ils traduisent ainsi l’épreuve que le temps inflige aux civilisations, la fragilité des créations humaines, mais aussi la puissance des traces laissées en héritage.

A. et P. Poirier, Ostia antica, détail de la maquette, terre cuite, 6 x 12 m.

L'art urbain

L’art urbain (« street art » lors de son origine new yorkaise) désigne toutes les formes d’art réalisées dans la rue, sur tout support, murs, matériel urbain, mais aussi bus, train…, au moyen de techniques diversifiées : graffiti, pochoir, mosaïque, stickers, ou même installations. Né à la fois de l’affiche et de la bande dessinée, il naît en France avec le mouvement de mai 68. Mais il faut attendre les années 80, notamment le ministère de Jack Lang, pour que les tenants  « officiels » de la culture lui consacrent des expositions, comme le fait la styliste Agnès B. dans la galerie parisienne qu’elle ouvre en 1984. Est ainsi apportée une caution – et une forme de pérennité à un art, par définition éphémère – à ce que l’on a longtemps considéré comme de la simple dégradation de la ville et des biens publics, condamnée par la loi.

Pour découvrir le street art, un panorama très complet : cliquer sur l'image.

Jeff Aérosol, Chuuuttt.  Fresque au pochoir, réalisée avec Blek le Rat, C125, MIss Tic, Kris Tappeniers et Vhils. 350m2, 22 x 14 m. Derrière la fontaine Stravinsky, Paris.

Chacun de ces artistes a sa technique propre (et sa signature), parmi les premiers avec leur bombe et leur pochoir Blek le Rat (pseudonyme de Xavier Prou, né en 1951) ou Ernest Pignon-Ernest (né en 1942) qui, pour sa part, rappelle dans ses œuvres qu’à l’origine l’art urbain se veut transgressif et violent, comme l’explique Miss Tic : « Une nuit au pied du mur, j’ai refusé les yeux ouverts ce que d’autres acceptent les yeux fermés ».

E. Pignon-Ernest, Expulsions, Paris, 1978. Fresque, 678 x 592.

Blek le Rat, Les Rats, Paris, 1985.

Fresque , 800 x 568.

Le groupe Banlieue-banlieue œuvre, lui, armé de pinceaux ou simplement avec les doigts, tandis que Jérôme Mesnager lance, en 1983, son « Homme en blanc » ou « Corps blanc », silhouette désarticulée semblant bondir sur les murs. Enfin, même s’il a vite abandonné l’art urbain, qu’il pratiquait au sein du groupe « Les Frères Ripoulin », Jean Faucheur est un nom important car l’association qu’il a fondée, le M.U.R., a grandement participé à soutenir ces artistes.

En 1985, un grand rassemblement le long du canal de l’Ourcq leur est dédié, organisé par la mairie de Bondy, regroupant les plus célèbres graffistes, œuvrant individuellement, tel Jef Aérosol ou Speedy Graphito, ou au sein d’un groupe, comme Kim Prisu, Kriki, Etherno, formant les « Nuklé-art », Mosko et associés, ou "Les Musulmans fumants". Ils couvrent des kilomètres de murs, de ponts, de palissades, mêlant les inspirations, certains plutôt proches du pop art et de l’hyperréalisme, beaucoup d’autres se réclamant de « Figuration Libre ». Certaines de leurs productions sont de véritables fresques, structurées, aux formes élaborées et aux couleurs multiples, à la force esthétique indéniable, comme le dit Jeff Aérosol : "Je pense que le street art doit magnifier la fibre urbaine et non pas la scarifier. Mon travail est d’ordre poétique."

Pour en savoir plus sur les oeuvres de Blek le Rat, Mesnager et Speedy Graffito : cliquer sur le lien.

Alain Campos et le groupe "Banlieue-Banlieue".

Photo, n°2, juillet-août 1969, hors-série.

Guy Bourdin, Walking legs, campagne publicitaire pour  Charles Jourdan, automne 1979.

Jean-Jacques Beineix, La lune dans le caniveau, 1979. Bande-annonce.

Maurice Pialat, Nous ne vieillirons pas ensemble, 1972. Bande-annonce.

La photographie et le cinéma
La photographie

Les « Rencontres de la photo », initiées à Arles en 1969 par le photographe Lucien Clergue (1934-2014) et l’écrivain Michel Tournier, marquent officiellement la volonté d’élever cet art déjà ancien au rang de la peinture, en l’offrant davantage aux yeux du public. Clergue, célèbre pour ses portraits  de Picasso, pour ses photos sur la tauromachie et les gitans, mais aussi pour ses nus féminins, tout en courbes, est d’ailleurs le premier photographe à être élu, en 2006, à l’Académie des Beaux-Arts.  Suit, toujours en 1969, la même année, la création du magazine bimestriel Photo (cf. Image ci-dessus), internationalement reconnu, qui aborde la technique photographique, rend compte des grandes tendances,  et donne la parole aux photographes. En 1975, l’ouverture à Paris par Agathe Gaillard de la première galerie française traduit la consécration de la photo en tant qu’art. Les expositions se multiplient, par exemple celle de Cartier-Bresson au Musée d’art moderne de Paris en 1980, comme les rétrospectives, telle, la même année, celle consacrée à Henri Lartigue.

La photographie, en dépassant ce quelle était à l’origine, un moyen de fixer un instant éphémère, transfigure ce qu’elle donne à voir  en se construisant comme un tableau. Par exemple, il y a loin de la photographie de mode, née au milieu du XIX° siècle, simple reproduction d’une toilette portée lors d’une soirée, et ce qu’elle devient dans les années 1970-80, à travers l’œil d’un photographe comme Guy Bourdin (1928-1991) quand il met en scène les modèles des couturiers célèbres, tels les chaussures de Charles Jourdan (cf. Image supra). La photo vise à transmettre une atmosphère, représentative souvent de la libération des mœurs de l’après 68, dans laquelle le vêtement ou l’accessoire ne joue plus qu’un rôle secondaire.

Mais cette caractéristique pourrait s’appliquer à tous les domaines dans lequel exerce le photographe, du reportage d’actualité au portrait, en passant par les paysages ou les objets mis en scène.

 

La photo-reportage

Même si Christian Boltanski fait montre de mépris en déclarant : « la photographie, c'est le photo-journalisme, le reste, c'est de la peinture », le photo-reporter affirme lui aussi sa volonté esthétique, comme le fait Claude Dityvon, lauréat du prix Niepce, devenu célèbre pour son illustration des événements de Mai 68, dont l’engagement ne s’est jamais démenti : bidonvilles, mineurs, monde paysan, hommes au travail, sportifs, nuit urbaine… c’est toujours l’homme qu’il illustre, dans ses luttes et dans ses grandeurs. Citons aussi Raymond Depardon (né en 1942), reporter lors des guerres d’Algérie et du Vietnam, qui co-crée en 1966 l’agence  Gamma, Luc Choquer (né en 1952) qui effectue de remarquables reportages, tel celui sur le syndicat « Solidarité » en Pologne, utilisant progressivement la couleur et le flash.

Pour en savoir plus sur les oeuvres de Claude Dityvon : cliquer sur le lien.

La photo-tableau

Mais, dans les années 80, la photographie affiche encore davantage sa volonté de dépasser le simple enregistrement d’un événement, ou la restitution d’un regard porté sur le monde, pour devenir œuvre d’art, tableau digne d’exposition.

​Le paysage

Pour certains, l’intérêt se porte sur les paysages, comme pour Gérard Rondeau (1953-2016) qui dépeint, par exemple, les traces laissées dans les campagnes autour de la Marne par la 1ère guerre mondiale, dont il recrée la dimension tragique, ou pour Yann Arthus-Bertrand (né en 1946) qui se « spécialise », pour soutenir son action en faveur de la sauvegarde de la nature, dans les photographies aériennes, telles celles, impressionnantes, réalisées au Kenya de 1976 à 1978. Jean-Marc Bustamante (né en 1952) n’hésite pas, pour sa part, à intituler Tableaux sa série de paysages des alentours de Barcelone, végétation torturée ou fragments d’habitations où l’humanité semble effacée et qui donnent l’impression d’un temps arrêté.

J.-M. Bustamante, Lumière, 110 x 185, 1991. Sérigraphie sur résine acrylique.

Pour découvrir les oeuvres de Yann Arthus-Bertrand : cliquer sur le lien.

Le portrait

D’autres privilégient, même si ce n’est pas un choix exclusif, l’art du portrait, de stars ou d’hommes célèbres comme d’anonymes au hasard d’une rencontre, dans la lignée de Jacques Henri Lartigue (1894-1986) ou d’Henri Cartier-Bresson (1908-2004). C’est le cas de Patrick Faigenbaum (né en 1954) qui réalise tantôt des instantanés intimistes, tantôt des portraits posés, organisés avec soin jusqu’au moindre geste ou objet, pour que ressorte, par le travail aussi sur la lumière, le lien entre le modèle et le cadre, à la façon des peintres portraitistes du siècle classique. En témoigne l’importante série sur l’aristocratie italienne réalisée à Florence (1984-85), à Rome (1985-87) et à Naples (1990-91), où les personnages semblent comme figés dans le temps, écrasés par le poids des décors, des objets, de la tradition.

P. Faigenbaum, La famille Niccolini, 39 x 40, 1985. Tirage argentique.

Pour lire une conversation avec Faigenbaum : cliquer sur le lien.

Plus transgressifs avec leurs couleurs violentes, les décors kitsch qu’ils dessinent d’abord puis construisent eux-mêmes, comme les costumes, révélant leur goût pour le travestissement, et les poses surjouées, Pierre Commoy (né en 1950) et Gilles Blanchard (né en 1954), associés sous le nom de Pierre et Gilles, et dont les créations, baroques, souvent érotiques, qui influenceront la culture gay, rappellent le temps anciens des studios photos et leurs artifices.

Pierre et Gilles, Le fumeur de narguilé, 88 x 117, 1996. Photographie peinte, marouflée sur aluminium.

La photo "minimaliste" : Patrick Tosani

Héritier de l’avant-garde conceptualiste en peinture, Patrick Tosani (né en 1954) s’impose, dans les années 80, en l’expérimentant dans l’art photographique, qu’il définit d’ailleurs comme « enregistrement puis témoignage d’une expérimentation ». À la façon d’un sculpteur, il procède à une « installation », qu’il photographie ensuite en couleur et en gros plan, tantôt pour agrandir démesurément son support, des objets, banalement quotidiens, une cuillère, le talon d’une chaussure de femme… , tantôt, à l’inverse, il met en scène une figurine miniaturisée enfermées dans un glaçon.

P. Tosani, Twist ( série Glaçons ), 120 x 170, 1983. Photographie couleur C-print.
 

P. Tosani, Talon réf. 408/38 (série Talon), 130 x 123, 1987. Photographie couleur Cibachrome.

Pour découvrir l'oeuvre de Tosani, un site très complet : cliquer sur le lien.

S’intéressant ensuite au corps, là encore il le reproduit de façon originale, par fragments, comme sa série sur les ongles, ou à demi masqués. Qu’elles intriguent, qu’elles provoquent le dégoût ou, au contraire, le sourire, les photographies créatives de Tosani, avec leur grand format, parfois dégoûtent, ou parfois font sourire, mais ne laissent jamais indifférent !

Le cinéma

Un site très complet sur le cinéma : cliquer sur le logo.

L’essor de la télévision, qui entre progressivement dans tous les foyers, entraîne une crise du cinéma : il est envahi de films d’aventures, fantastiques ou policiers, de comédies fades… Mais un redressement s’opère dans les années 80, grâce à l’appui de l’État, même si la part du cinéma américain reste prépondérante dans les productions. On y distingue deux grandes tendances :

La veine intimiste

Comme dans la littérature, le cinéma français continue à se pencher sur le passé, notamment la seconde guerre mondiale, mais non plus en en reproduisant les actions militaires. Si le regard de Claude Lanzmann (né en 1925) dans Shoah (1985) recherche d’abord la vérité documentaire, déroulée pendant les 10 heures du film, Jacques Doillon (né en 1944) dans Un sac de billes (1975), adaptation du roman de Joseph Joffo, François Truffaut (né en 1932), dans Le dernier Métro (1980), ou Louis Malle (né en 1932) dans Au revoir les enfants (1987), qui raconte l’arrestation et le départ vers la mort de deux enfants juifs, cherchent plutôt à en exorciser le traumatisme, à travers des images du quotidien le plus humble.

Cette place accordée à l’intime est une caractéristique de cette fin de siècle, soit à travers la dimension autobiographique, comme pour Diane Kurys (née en 1948) dans Diabolo-menthe (1977) ou Coup de foudre (1983), soit en explorant les mutations sociales au sein de la famille, du couple, ou en montrant les nouveaux rapports des adolescents avec le monde adulte. C’est le cas de cinéastes comme Jean-Charles Tacchella (né en 1925) avec Cousin, Cousine (1975), Claude Pinoteau (1925-2012), avec La Gifle (1974), qui lui vaut le prix Louis-Delluc, ou La Boum (1980), qui révèle Sophie Marceau. Citons aussi, parmi d’autres, les succès obtenus par les films de Claude Miller (1942-2012), L’Effrontée (1985) et La petite voleuse (1988), premiers rôles de Charlotte Gainsbourg, et de Coline Serreau, avec, par exemple, Trois hommes et un couffin.

Le générique

musical de Diabolo-menthe.

L'esthétisme

Les « anciens » de la Nouvelle Vague continuent à donner du cinéma français l’image d’une recherche esthétique, tels Éric Rohmer avec  les six films d’un cycle intitulé Comédies et Proverbes, dans les années 80, ou un autre cycle, Contes des quatre saisons, dans les années 90. Jean-Luc Godard renouvelle son inspiration en s’appuyant sur des célébrités, Johny Hallyday dans Détective (1985), Alain Delon dans Nouvelle Vague (1990) ou Gérard Depardieu dans Hélas pour moi (1993).  Jacques Rivette fait découvrir de nouvelles jeunes actrices, Emmanuelle Béart dans La Belle Noiseuse (1995), adaptation réussie de Balzac, ou Sandrine Bonnaire dans Jeanne la Pucelle (1994). Enfin Alain Resnais (1922-2014), Maurice Pialat (1925-2003) et Claude Chabrol (1930-2010) réussissent à toucher un large public, sans sacrifier l’esthétisme, le premier dans, par exemple Mélo (1985) ou Smoking/No Smoking (1993), le second avec, notamment, Police (1985), sa remarquable adaptation du roman de Bernanos, Sous le soleil de Satan (1985), ou sa biographie, Van Gogh (1990), Chabrol à travers de très nombreux films, dans le genre policier, comme dans Poulet au vinaigre (1985), ou avec Isabelle Huppert dans Violette Nozière (1978), Madame Bovary (1991), La Cérémonie (1995).

Mais de jeunes réalisateurs viennent donner un élan nouveau à cette volonté de garder au cinéma sa dimension esthétique. Diva (1981), premier film de Jean-Jacques Beineix (né en 1946), à moitié policier, à moitié romance, reçoit quatre César, qui récompensent l’esthétisme raffiné qui imprègne une atmosphère trouble, étrange, où le fantasme se mêle à l’humour, comme dans La lune dans le caniveau (1983), titre éloquent, ou 37°2 le matin (1986), adaptation d’un roman de Philippe Djian, nominé à l’Oscar du meilleur film étranger. Il serait trop long d’évoquer toute cette nouvelle génération, très active, Alain Corneau (1943-2010) avec l’exceptionnelle atmosphère de Fort Saganne (1984) ou Tous les matins du monde (1991), sept Césars dont celui de la meilleure musique, celle de la viole dans ce film d’époque, et du meilleur film.  Citons encore Bertrand Blier, Alain Cavalier, Jean-Pierre Mocky, André Téchiné… sans oublier Luc Besson avec Subway (1985), Kamikaze (1987) et les plongées fascinantes dans Le grand Bleu.

Pour découvrir Besson, son site officiel : cliquer sur l'image.

A. Corneau, Tous les matins du monde : extrait.

Enfin Jean-Jacques Annaud (né en 1943), avec ses adaptations de romans, la large fresque préhistorique, La Guerre du feu (1981), la grandiose épopée médiévale de la connaissance, Le Nom de la Rose (1982), ou la peinture du monde animal sauvage dans L’Ours (1988), retrouve la double force du cinéma : raconter des histoires passionnantes tout en faisant rêver grâce à son esthétisme poétique.

Jean-Michel Jarre, Oxygène, 1ère partie, 1977.

Jean-Claude Eloy, Yo in, acte I, "Aube- appel- rituel d'imploration, 1980.

MC Solaar, Qui sème le vent récolte le tempo,  1991.

Karine Saporta, Carmen,  1992. Théâtre de la Ville, Paris.

Jean -Claude Gallotta, Les aventures d'Ivan  Vaffan,  1984.

La musique et la danse

Ces deux arts se développent dans la continuité de la période précédente. Cependant, quelques tendances nouvelles se font jour.

La recherche musicale

Le groupe G.R.M. (Groupe de Recherche musicale) travaille, dans la lignée de la musique concrète sur la musique dite « acousmatique ». A L’IRCAM (Institut de recherche et de coordination acoustique-musique), les recherches en électronique ont permis de mettre au point le « 4X » qui analyse et synthétise le son en temps réel et dont Pierre Boulez démontre l’usage artistique dans Répons (1980-84). L’UPIC, synthétiseur réalisé par Yannis Xenakis, ouvre, lui, l’art de la composition aux non-initiés. Mais le grand public se tient un peu à l’écart de ces expériences, même si elles lui sont rendues plus accessibles par les œuvres et les spectacles de Jean-Michel Jarre (né en 1948), tels Oxygène, en 1977 (cf. Extrait ci-dessus), ou Équinoxe (1978).

Une tendance apparaît pourtant, en réaction contre la musique sérielle et les excès de l’électronique. Jean-Claude Éloy (né en 1938), par exemple, après une période « sérielle », est influencé, dans les années 70, par ses rencontres, en Californie, avec des musiciens d’Inde. Il tente alors, dans Kâmakâlâ (1971) ce qu’il nomme une « hybridation » entre la musique orientale, avec son « sens très fort de la continuité des événements sonores » et l’aspect discontinu de la musique sérielle, tout en entreprenant un retour aux sons naturels, aux instruments en bois. De même, en 1983, il compose À l’approche du feu méditant pour 27 instrumentistes de l’orchestre du « Gagaku », deux chœurs de moines-chanteurs bouddhistes et 5 danseurs. Un séjour au Japon le conduit à approfondir cette  voie, dans Anâhata (1984-86), morceau composé pour cinq musiciens traditionnels japonais.

Pour en savoir plus sur Anâhata, l'analyse de J.-C. Eloy : cliquer sur l'image.

​Les années 70 voient la confirmation des chanteurs de variétés vedettes des années 60, les anciens « yéyés », Sylvie Vartan, Sheila, le rocker Johny Hallyday, Claude François, qui meurt accidentellement en plein succès en 1978, mais aussi Dalida, Michel Sardou, Serge Lama, Mireille Mathieu… De nouveaux talents naissent aussi, soit puisant leur inspiration dans la mode anglo-saxonne du pop, comme Michel Polnareff, ou du folk pour Francis Cabrel, soit dans une veine plus traditionnelle pour Alain Souchon, Laurent Voulzy, Michel Delpech, Véronique Sanson, parfois engagée comme Renaud.

La fin du siècle confirme l’influence exercée par les modes anglo-saxonnes sur la chanson française, notamment sur des groupes : le rock pour Téléphone ou Noir Désir, la new Wave pour Indochine , le hard rock et le punk pour Trust. Mais même des chanteurs « à textes » comme Alain Bashung, Jean-Jacques Goldman, Daniel Balavoine, mort dans un accident en 1982, ou  Mylène Farmer n’échappent pas à cette influence.

La chanson

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Mais la grande nouveauté, dans les années 80, favorisée par la multiplication des radios libres et de nouvelles émissions télévisuelles comme « Hip-Hop » sur TF1, est l’arrivée du rap en France. Il devient un véritable phénomène musical dans la décennie suivante. Même si l’existence de beaucoup de groupes est éphémère, avec des succès commerciaux sans grande valeur, ce style musical, tantôt violemment contestataire, attaquant les pouvoirs institutionnels, tantôt plus positivement engagé, fait aussi naître quelques talents reconnus comme IAM, avatar du groupe Akhenaton né à Marseille en 1986, Assassin, Suprême NTM…  MC Solaar (né en 1969) est sans doute l’artiste le plus complet, avec des textes plus élaborés (cf. Extrait ci-dessus), plus poétiques, mêlant la scansion particulière du rap à des échos musicaux de Serge Gainsbourg, comme dans Nouveau Western, du jazz et des rythmes africains.

La chanson

Mai 68 confirme la liberté déjà bien implantée dans la danse contemporaine, qui s’autorise de plus en plus d’audace, mais elle reste encore prisonnière de l’influence des chorégraphes étrangers, par exemple l’Américaine Carolyn Carlson, chorégraphe à l’Opéra de Paris de 1975 à 1980, l’Allemande Pina Bausch, ou les ballets japonais.

Nourrie de ces influences, apparaît, dans les années 80, sous l’impulsion du Centre National de la Danse contemporaine, fondé en 1978 et dirigé par Alwin Nikolais, une « danse d’auteur », qui met en scène un imaginaire narratif original, souvent poétique.

Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, Texane, créé en 1988. La closerie de Montreuil-Bellay, 1992.

Ce renouveau est illustré par un chorégraphe comme Claude Brumachon (né en 1959), mais bien d’autres pourraient être cités : Dominique Bagouet, Philippe Decouflé, Jean-Claude Gallotta (cf. Vidéo ci-dessus), Angelin Preljocaj... Entre violence, extrême accélérations brutales, et,  à l’inverse, extrême lenteur du geste, obsédante langueur, et toujours dans la volonté de construire une harmonie, Karine Saporta (née en 1950) est une parfaite représentante des caractéristiques de cette « nouvelle danse française ».

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