Des genres parfois dits "mineurs" qui n'ont rien d'inférieur...
L'épopée
Pour définir l'épopée
Dans la préface de son drame Cromwell (1827), Hugo situe l’épopée dans une histoire de l’humanité, comme la traduction d’une évolution après les temps « primitifs », associés eux aux textes bibliques. À partir du modèle d’Homère, l’Iliade et l’Odyssée, Hugo définit le rôle de l’épopée : « Elle chante les siècles, les peuples, les empires. »
[...] Peu à peu cependant cette adolescence du monde s’en va. Toutes les sphères s’agrandissent ; la famille devient tribu, la tribu devient nation. Chacun de ces groupes d’hommes se parque autour d’un centre commun, et voilà les royaumes. L’instinct social succède à l’instinct nomade. Le camp fait place à la cité, la tente au palais, l’arche au temple. Les chefs de ces naissants états sont bien encore pasteurs, mais pasteurs de peuples ; leur bâton pastoral a déjà forme de sceptre. Tout s’arrête et se fixe. La religion prend une forme ; les rites règlent la prière ; le dogme vient encadrer le culte. Ainsi le prêtre et le roi se partagent la paternité du peuple ; ainsi à la communauté patriarcale succède la société théocratique.
Cependant les nations commencent à être trop serrées sur le globe. Elles se gênent et se froissent ; de là les chocs d’empires, la guerre. Elles débordent les unes sur les autres ; de là les migrations de peuples, les voyages. La poésie reflète ces grands événements ; des idées elle passe aux choses. Elle chante les siècles, les peuples, les empires. Elle devient épique, elle enfante Homère.
Homère, en effet, domine la société antique. Dans cette société, tout est simple, tout est épique. La poésie est religion, la religion est loi. À la virginité du premier âge a succédé la chasteté du second. Une sorte de gravité solennelle s’est empreinte partout, dans les mœurs domestiques comme dans les mœurs publiques. Les peuples n’ont conservé de la vie errante que le respect de l’étranger et du voyageur. La famille a une patrie ; tout l’y attache ; il y a le culte du foyer, le culte des tombeaux.
Nous le répétons, l’expression d’une pareille civilisation ne peut être que l’épopée. L’épopée y prendra plusieurs formes, mais ne perdra jamais son caractère. [...]
V. Hugo, Cromwell, Préface, 1827.
Illustration pour Les Martyrs de Chateaubriand.
En lui assignant une origine, Hugo nous rappelle que l’épopée s’inscrit d’abord dans la poésie, puisqu’elle « chante » un récit, celui des faits d’armes d’un héros. Ce n’est qu’au XIX° siècle avec Les Martyrs (1809) que Chateaubriand inaugure l’épopée en prose, s’efforçant cependant d’en conserver la solennité. Après la chanson de geste médiévale, telle La Chanson de Roland, les grands poèmes des guerres de religion au XVI° siècle, La Franciade de Ronsard, avec quatre chants parus en 1572, mais restée inachevée, Les Tragiques (1615) d’Agrippa d’Aubigné, et Voltaire, dans La Henriade (1723), La Légende des siècles (1859, 1877 et 1883) de Victor Hugo lui-même est une des dernières œuvres pouvant être véritablement qualifiées d’épopée.
Pour analyser l'épopée
Les premiers vers de l’Énéide de Virgile illustrent les principales caractéristiques de ce genre, base de l’analyse :
Par l’emploi du « je », Virgile affirme son rôle de créateur. Mais l’on considère généralement que les longs récits épiques se sont formés par juxtaposition d’épisodes marquants, d’abord racontés oralement avant d’être regroupés et organisés. Dans tout récit épique, le lecteur recherchera donc, en étudiant la modalisation, une trace de la présence de ce narrateur, un jugement moral par exemple.
Je chante les combats du héros qui fuit les rivages de Troie et, prédestiné, parvint le premier en Italie, aux bords de Lavinium ;
longtemps sur terre et sur mer, la puissance des dieux d'en haut le malmena, à cause de la colère tenace de la cruelle Junon ; la guerre aussi l'éprouva beaucoup, avant qu'il pût fonder sa ville et introduire ses dieux au Latium ; c'est le berceau de la race latine, des Albains nos pères, et de Rome aux altières murailles. [...]
Virgile, Enéide, chant I, 29-19 av. J.-C.
Du récit ressort la figure du « héros », à l’origine demi-dieu, ensuite personnage d’une valeur exceptionnelle, associant qualités physiques et vertus morales, autour duquel s’est constituée une légende. Son portrait est à analyser précisément, à travers ses traits physiques, mais surtout ses comportements, ses gestes, souvent symboliques, et les paroles qu’il prononce.
Luca Girdano, Enée terrassant Turnus entre 1650
-1700. Huile sur toile, 176 x 236. Palais Corsini, Florence.
La foi, les valeurs religieuses qui soutiennent une époque, jouent un rôle essentiel dans l’épopée. C’est grâce à elles que triomphe le héros, ici qualifié de « prédestiné », et nous reconnaissons l’image des dieux de la mythologie antique, la « puissance des dieux d’en haut », représentée par « la colère de la tenace Junon ». Ainsi s’explique le merveilleux qui parcourt l’épopée, tantôt en tant que force d’opposition, tantôt comme adjuvant. Même quand celui-ci s’efface, la force de la religion – voire d’une idéologie – reste affirmée, et il convient d’en observer les contours et les fonctions.
Enfin, le héros ne se sépare pas de la collectivité, auprès de laquelle il joue un rôle salvateur, par exemple, fondateur..., devenant ainsi un modèle. C’est ainsi que Virgile, montre clairement son désir de rattacher le « Latium », « berceau de la race latine », à cet illustre ancêtre grec. N’oublions pas que Jules César se présentait comme le descendant d’Iule, le fils d’Énée. Virgile défend de ce fait la grandeur de Rome, de ses « altières murailles », de son empire, dont il rappelle le fondement religieux, l’importance des « dieux ». Autour du héros le peuple est présent, en position de spectateur, voire d’acteur pour les soldats au combat.
Outre ces thèmes principaux, comme pour tout récit, l’analyse de l’épopée s’intéressera au déroulement de l’action, depuis celle qui en constitue le cœur jusqu’aux épisodes secondaires qui s’articulent autour d’elle, péripéties militaires, amoureuses… On observera les temps de pause, où le récit laisse place à la description, par exemple celle des armes, fréquente, ou de la stratégie d’un combat. On étudiera l’actualisation spatio-temporelle. Enfin l’analyse s’appuie sur les procédés de style, lexique mélioratif – ou péjoratif, pour les ennemis –, figures d’amplification ou d’analogie, notamment, et, quand le récit prend la forme d’un poème, tous les éléments de la versification.
Le portrait
Pratiqué d’abord dans la peinture, le portrait entre dans la littérature progressivement, alors même que l’individu affirme son autonomie par rapport à sa société. Il peut être directement inspiré par un modèle, nommé ou non. Dans ce dernier cas, on parle alors de « portrait à clé », comme ceux de La Bruyère dans Les Caractères ou les mœurs de ce siècle (1688). Mais il y a aussi des portraits imaginés de toutes pièces.
Le portrait peut trouver sa place dans tous les genres littéraires. Par exemple, chez Molière Célimène brosse une série de portraits ironiques dans la scène 4 de l’acte II du Misanthrope (1666), et Madame de La Fayette effectue de nombreux portraits de ses personnages dans La Princesse de Clèves. Mais nous ne nous intéresserons ici qu’au portrait se constituant en genre littéraire à part entière à partir du XVII° siècle, sous l’influence du courant précieux. Mademoiselle de Montpensier, notamment, en fait d’ailleurs un jeu de société dans son salon, avant de publier un Recueil des portraits et éloges (1659). Et l’une des raisons du succès des portraits de La Bruyère est le plaisir pris par les lecteurs à chercher qui se cachait derrière les noms attribués aux personnages.
La structure du portrait
La rédaction d’un portrait, qu’il soit conçu comme statique, le personnage représenté étant alors immobilisé, ou mobile, s’il est dépeint en mouvement, implique le choix d’un ordre. Le personnage sera-t-il présenté progressivement, ou s’imposera-t-il immédiatement ? L’auteur montrera-t-il d’abord un détail physique pour élargir à l’ensemble du personnage, ou bien préférera-t-il aller du plus général au plus précis ? Le regard progressera-t-il du haut du corps vers le bas, ou bien l’inverse ? Accordera-t-il une place spécifique à la dimension psychologique, morale, ou bien se découvrira-t-elle à travers des gestes, des comportements, des discours rapportés éventuellement ? Les questions sont multiples. Comme dans la peinture, l’analyse littéraire doit donc distinguer les plans successifs, les couches qui constituent le personnage décrit.
Son contenu
Gravure, pour illustrer "Arrias", portrait dans Les Caractères de La Bruyère.
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La nature même du portrait implique une triple analyse
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du personnage représenté : Que le modèle soit réel ou pure fiction, le portrait se veut ressemblant. Il est donc indispensable que le lecteur recherche ces effets de réel, qui donnent au portrait sa vérité.
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de la société dans laquelle il s’inscrit : Comme dans la peinture, il est rare qu’un portrait littéraire isole le personnage de son environnement. La lecture du portrait révèle donc les caractéristiques d’une époque, depuis une mode vestimentaire, une coiffure, tel ou tel accessoire, jusqu’aux valeurs que peuvent traduire un comportement, approuvé ou blâmé, ou une forme d’expression.
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de l’auteur-peintre : Sur ce point également, le portrait est révélateur, à commencer par le choix du « modèle » qui montre les intérêts de l’écrivain. Mais le lecteur s’intéressera aussi à la façon dont l’écrivain reproduit les questions de son temps, les doutes qui le traversent, parfois même les conflits de valeurs.
Fonctions du portrait
L’ultime question à résoudre est la/les fonction/s du portrait observé, qui peuvent se combiner. Dans un premier temps, le portrait cherche à permettre au lecteur de visualiser le personnage, et quelques traits suffisent parfois. Mais, si le XVII° siècle a tellement apprécié le portrait, c’est que ce genre permettait d’’associer le désir de « plaire » et celui d’ « instruire » :
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Plaire, à la fois par les qualités esthétiques de l’écriture, et parce que souvent, il provoque une émotion : la caricature fait sourire, par exemple, mais certains traits peuvent aussi indigner. L’analyse des registres est donc essentielle, et particulièrement intéressantes sur ce point sont l’amorce, la phrase d’ouverture qui introduit le personnage, et la chute, la fermeture du portrait.
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Instruire, car le portrait se charge d’une valeur symbolique. À charge ou flatteur, le portrait est utilisé par l’auteur pour porter un jugement, psychologique, social ou moral, par exemple, au XVII° siècle le lecteur peut y reconnaître les codes et les valeurs de l’idéal de « l’honnête homme ».
Le portrait en tant que genre s’efface peu à peu de la littérature, même si l’on en trouve encore au XIX° siècle, par exemple les nombreux recueils de Portraits littéraires (de 1844 à 1878) ou les Portraits de femmes (1844 et 1870), biographies d’auteurs ou de personnages célèbres réalisées par le critique Sainte-Beuve. Il prend, en revanche, une place croissante dans les romans, chez les réalistes ou les naturalistes au XIX° siècle, en particulier, ou sous la forme de l'autoportrait au XX° siècle.
Les genres moraux
Si l’on excepte les essais, qui peuvent prendre comme thème central des réflexions morales, et les genres narratifs dont l’objectif est de soutenir une pensée morale, telles les formes variées de l’apologue, les genres moraux, dont certains, comme le bestiaire ou l’emblème, s’accompagnent d’une illustration, ont en commun leur brièveté : il s’agit d’imprimer la règle à transmettre dans l’esprit du lecteur, et d’en faciliter la mémorisation.
Longtemps, l’enseignement moral s’est confondu avec la religion, transmis notamment à travers les paraboles et les sermons. Mais, dès le moyen âge, la littérature cherche à trouver d’autres voies pour proposer une morale prescriptive, c’est-à-dire qui inclut la critique des mœurs et la volonté de les régler. Elle vise alors surtout une dimension sociale, collective. Mais la montée de l’individualisme avec l’humanisme du XVI° siècle, et encore plus au XVII° siècle, favorise une morale plus subjective, qui traduit parfois une distance de l’auteur avec les mœurs et les normes de son époque.
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L'aphorisme
L’aphorisme, dont l’étymologie grecque renvoie à l’idée de définir, de délimiter, offre un excellent exemple de cette brièveté : c’est ce qui caractérise cette courte proposition, qui cherche à s’écarter de l’idée reçue, du lieu commun. D’où la place particulière qu’il accorde au paradoxe, tel cet aphorisme de Jules Renard dans son Journal (1896), « Les absents ont toujours tort de revenir ». Il dépasse le simple proverbe (« Les absents ont toujours tort. ») en s’opposant au sentiment général qui associe l’absence au manque, donc au désir de voir « revenir » l’être perdu. Il jette ainsi un regard cruel sur les relations humaines, puisque l’absence devient un bien précieux. De même, Vauvenargues, en écrivant « Pour exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si l’on ne devait jamais mourir. », en jouant sur l’antithèse entre « vivre » et « mourir », s’oppose aux conseils de prudence habituels dans la morale traditionnelle.
L'apophtegme
De même, l’apophtegme doit frapper par la force de la pensée, brillamment résumée. Le terme a été souvent employé pour les paroles des sages dans l’antiquité, et Plutarque (vers 46-125) en donne de nombreux exemples dans Apophtegmes des rois et des capitaines célèbres, par exemple ceux attribués à Agésilas le Grand, roi de Sparte, dont les habitants étaient célèbres pour leur sens de la concision. « Si vous avez beaucoup de vin, donnez-en à chacun autant qu’il en voudra ; si vous en avez peu, partagez-le à tous également », répond-il, alors qu’il était « roi » d’un festin à l’échanson qui lui demandait quelle quantité verser à chaque convive ; il donne ainsi un bel exemple de son souci de l’équité. De même Plutarque écrit : « On louait devant lui un orateur sur son talent à amplifier de petites choses. ‘’Estimeriez-vous, dit-il, un cordonnier qui ferait de grands souliers pour de petits pieds ?’’ » Ces apophtegmes de l’antiquité ont été abondamment repris par les humanistes à la Renaissance, aussi bien quand ils rédigeaient des « guides » pour les puissants que dans des ouvrages plus personnels, comme le fait Montaigne dans ses Essais.
Plutarque, gravure du XVI° siècle.
L'axiome
À l’origine, l’axiome pose une vérité de nature scientifique, indémontrable (comme le postulat), mais tellement évidente qu’elle est irréfutable. En ce sens, l’axiome est un défi pour les chercheurs, tel celui attribué à Euclide, à savoir que par un point donné passe une unique parallèle à une droite donnée, qui sera contredit par la géométrie dite non-euclidienne.
Le sens de ce terme s’élargit ensuite au domaine moral, pour qualifier la vérité qui sert de base à une philosophie de vie, à des règles de comportement, et qui ne pourra jamais être reniée. Il reste alors subjectif, propre à celui qui l’adopte. Ainsi Barrès explique, dans Un Homme libre (1889) : « Je sais pourtant que je suis une somme infinie d'énergies en puissance, et que pour moi il n'est pas de stabilité possible. Je le sais au point que, sur cet axiome, j'ai fondé ma méthode de vie, qui est de sentir et d'analyser sans trêve. » Il ne prétend pas faire de son choix une vérité générale.
Le bestiaire
C’est le moyen âge qui inaugure ce genre littéraire, souvent illustré dans des manuscrits enluminés. Il associe le/s trait/s traditionnellement attribué/s à un animal, réel ou imaginaire, à un défaut ou à une qualité, en prenant appui sur la morale chrétienne. Mais, très vite, les bestiaires s’écartent de la religion, pour poser, par exemple, les codes de l’amour courtois. On ne confondra pas l’analyse de ce genre littéraire en tant que tel, avec l’étude du « bestiaire » de tel ou tel écrivain, par exemple celui de La Fontaine dans ses Fables, qui consiste, elle, à d’observer les animaux choisis, leur représentation, et la fonction morale que leur attribue le fabuliste.
Le bestiaire médiéval, une remarquable exposition de la BnF: cliquer sur l'image.
Les progrès scientifiques font disparaître le bestiaire en tant que genre, jusqu’à ce qu’Apollinaire se le réapproprie dans Le Bestiaire, ou Cortège d’Orphée (1911) ouvrage illustré dans lesquels de courts quatrains, prenant comme point de départ l’image d’un personnage, et surtout les sentiments qu’il évoque, pour livrer les traits de sa personnalité, ses espoirs et ses souffrances. Le ton du bestiaire devient ainsi, non plus moral, mais lyrique.
Le dauphin
Dauphins, vous jouez dans la mer,
Mais le flot est toujours amer.
Parfois, ma joie éclate-t-elle ?
La vie est encore cruelle.
Le poulpe
Jetant son encre vers les cieux,
Suçant le sang de ce qu'il aime
Et le trouvant délicieux,
Ce monstre inhumain, c'est moi-même.
La méduse
Méduses, malheureuses têtes
Aux chevelures violettes
Vous vous plaisez dans les tempêtes,
Et je m'y plais comme vous faites.
L'écrevisse
Incertitude, ô mes délices
Vous et moi nous nous en allons
Comme s'en vont les écrevisses,
À reculons, à reculons.
Apollinaire, Le Bestiaire, 1911.
Pour lire Le Bestiaire d'Apollinaire : cliquer sur le lien.
Apollinaire, Le Bestiaire, ou Cortège d'Orphée, "La Méduse", 1911.
L'emblème
L’emblème se situe, lui aussi, au confluent de l’iconographie et de l’écrit moral, puisqu’il propose une image, généralement énigmatique, associée à une courte formule morale. Importés d’Italie, l'ouvrage de Colonna, le Songe de Poliphile (1467) et la traduction, en 1505) des Hieroglyphica d’Horapollon inaugurent une mode littéraire féconde au XVI° siècle mais qui durera jusqu’au XVIII° siècle.
L’emblème comprend, le plus souvent, trois éléments à analyser :
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son titre, parfois composé par l’auteur, mais très fréquemment emprunté à un apophtegme, à un proverbe, ou à une citation biblique ;
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l’image, gravée sur bois ou métal, qui doit faciliter la mémorisation ;
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un texte, sorte d’épigramme, qui, après avoir généralement décrit « l’emblème », en explique le titre et le sens symbolique de l’image, ou du moins l'illustre.
M. Scène, Délie, objet de la plus haute vertu, "Pour le voir je perds la vie", 1544.
POUR LE VOIR JE PERDS LA VIE
Libre vivais en l’Avril de mon âge,
De cure exempt sous celle adolescence,
Où l’œil, encor non expert de dommage,
Se vit surpris de la douce présence,
Qui par sa haute, et divine excellence
M’étonna l’Âme, et le sens tellement,
Que de ses yeux l’archer tout bellement
Ma liberté lui a toute asservie:
Et dès ce jour continuellement
En sa beauté gît ma mort, et ma vie.
M. Scène, Délie, objet de la plus haute vertu, premier "emblème", 1544.
L’emblème joue donc sur le mystère, piquant la curiosité de son lecteur en fonctionnant à la façon d’une allégorie. Parmi les nombreux recueils à la Renaissance, citons celui du poète Maurice Scève, qui, dans son long recueil, Délie, objet de la plus haute vertu (1544), insère, tous les neuf dizains, un emblème, donnant son thème au dizain qui suit, au total cinquante emblèmes sont proposés. Tous, dans un registre lyrique, sont des illustrations de l'amour du poète pour Délie.
L'exemplum
C’est au moyen âge, surtout aux XIII et XIV° siècles, que l’exemplum se constitue en genre littéraire, narratif : des recueils se créent alors, destinés à nourrir d’anecdotes les sermons, mais aussi à susciter la réflexion morale du lecteur profane. Ces historiettes, qui doivent concrétiser des idées abstraites et des enseignements moraux, sont empruntées aussi bien aux textes sacrés qu’aux contes populaires, et ne reculent pas devant le merveilleux qui se mêle parfois au réalisme du quotidien. Au XV° siècle, l’exemplum en tant qu’objet littéraire unique disparaît. Il s’inscrit alors dans d’autres genres, telle la fable, servant aussi de support à ce genre alors naissant qu’est la nouvelle.
La maxime
Une vérité générale ?
Dérivé de l’adjectif latin « maxima », le terme situe la maxime comme l’expression la plus grande, la plus vaste, la plus générale. C’est donc un énoncé qui se présente comme une vérité sur l’homme, posant en même temps une règle morale, une règle d’action.
La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et Maximes morales, 1665.
Cependant, ne nous y trompons pas : derrière l’assertion catégorique que formule la maxime, il y a un homme, son auteur, qui la crée à partir de ses observations mais aussi du regard qu’il jette sur ses semblables, sur sa société. Ainsi on peut opposer le pessimisme d’un La Rochefoucauld (1613-1680) au XVII° siècle, fortement marqué par la rigueur janséniste, à la confiance en l’homme qu’exprime, au XVIII° siècle, un Vauvenargues (1715-1747), en homme des Lumières. La Rochefoucauld ne cache pas sa volonté de blâmer ses contemporains : « Voici un portrait du cœur de l’homme que je donne au public, sous le nom de Réflexions ou Maximes morales. Il court fortune de ne plaire pas à tout le monde, parce qu’on trouvera peut-être qu’il ressemble trop, et qu’il ne flatte pas assez. » Bossuet, pour sa part, agit en tant qu’homme d’Église quand, dans Maximes et réflexions sur la comédie (1694), il condamne très nettement le théâtre, conformément au rejet de ce genre littéraire par l’Église en son temps.
Pour lire les maximes de La Rochefoucauld, Chamfort, Vauvenargues : cliquer sur le lien correspondant.
Dans tous les cas, l’étude d’un recueil de maximes doit s’intéresser à l’ordre d’ensemble. Sont-elles simplement juxtaposées en toute liberté, ou bien regroupées selon le sujet moral abordé, et y a-t-il des échos entre elles, au-delà des blancs qui les séparent, comme des temps de pause pour permettre au lecteur de réfléchir ?
Pour analyser une maxime
Mais les lecteurs apprécient-ils vraiment les maximes pour l’enseignement qu’elles dispensent ? En fait, leur vogue au XVII° siècle correspond aussi au goût, dans les salons mondains, pour le « beau style », l’expression recherchée, certes concise mais brillante. La maxime cherche, en effet, à plaire, et, pour ce faire, tantôt elle recourt au paradoxe, en jouant sur les antithèses et la forme négative, comme dans cette maxime de La Rochefoucauld : « La constance des sages n’est que l’art de renfermer leur agitation dans le cœur. » Tantôt, on y dénote l’ironie, notamment parce qu’elle se termine par une « pointe » plaisante, qui peut provoquer un effet de surprise, comme dans « L’intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé », toujours chez La Rochefoucauld.
Largement oubliée comme genre littéraire, la maxime ne disparaît pas pour autant. On peut, par exemple, en découvrir dans l’essai de Balzac, intitulé Physiologie du mariage ou méditations de philosophie éclectique, sur le bonheur et le malheur conjugal (1829), souvent imprégnées de misogynie. René Char renouvelle le genre en en faisant la base de son recueil poétique, Feuillets d’Hypnos (1946) qui entrecroise des récits et des témoignages liés à la Résistance, à de courtes maximes. Char retrouve, à cette occasion, la forme impersonnelle de ce genre, tout en l’associant aux métaphores chères aux surréalistes : « On ne fait pas un lit aux larmes comme à un visiteur de passage. », « Nous sommes écartelés entre l’avidité de connaître et le désespoir d’avoir connu. »
À chaque effondrement des preuves le poète répond par une salve d'avenir.
Poètes, enfants du tocsin.
Les poèmes sont des bouts d'existence incorruptibles que nous lançons à la gueule répugnante de la mort.
La réalité sans l'énergie dislocante de la poésie, qu'est-ce?
Le poète est la partie de l'homme réfractaire aux projets calculés. Il peut-être appelé à payer n'importe quel prix ce privilège ou ce boulet. Il doit savoir que le mal vient toujours de plus loin qu'on ne croit, et ne meurt pas forcément sur la barricade qu'on lui a choisie.
En poésie, on n'habite que le lieu que l'on quitte, on ne crée que l'œuvre dont on se détache, on n'obtient la durée qu'en détruisant le temps.
R. Char, Feuillets d'Hypnos, 1946.
III.
Une femme mariée dont les faveurs sont payables n’est pas une femme honnête.
IV.
Une femme mariée qui a une voiture à elle est une femme honnête.
V.
Une femme qui fait la cuisine dans son ménage n’est pas une femme honnête.
VI.
Quand un homme a gagné vingt mille livres de rente, sa femme est une femme honnête, quel que soit le genre de commerce auquel il a dû sa fortune.
VIII.
Une femme honnête doit avoir une existence pécuniaire qui permette à son amant de penser qu’elle ne lui sera jamais à charge d’aucune manière.
IX.
Une femme logée au troisième étage (les rues de Rivoli et Castiglione exceptées) n’est pas une femme honnête.
X.
La femme d’un banquier est toujours une femme honnête ; mais une femme assise dans un comptoir ne peut l’être qu’autant que son mari fait un commerce très-étendu et qu’elle ne loge pas au-dessus de sa boutique.
H. de Balzac, Physionomie du mariage, 1829.
III.
Une femme mariée dont les faveurs sont payables n’est pas une femme honnête.
IV.
Une femme mariée qui a une voiture à elle est une femme honnête.
V.
Une femme qui fait la cuisine dans son ménage n’est pas une femme honnête.
VI.
Quand un homme a gagné vingt mille livres de rente, sa femme est une femme honnête, quel que soit le genre de commerce auquel il a dû sa fortune.
VII.
Une femme qui dit une lettre d’échange pour une lettre de change, souyer pour soulier, pierre de lierre pour pierre de liais, qui dit d’un homme : « Est-il farce monsieur un tel ! » ne peut jamais être une femme honnête, quelle que soit sa fortune.
VIII.
Une femme honnête doit avoir une existence pécuniaire qui permette à son amant de penser qu’elle ne lui sera jamais à charge d’aucune manière.
IX.
Une femme logée au troisième étage (les rues de Rivoli et Castiglione exceptées) n’est pas une femme honnête.
X.
La femme d’un banquier est toujours une femme honnête ; mais une femme assise dans un comptoir ne peut l’être qu’autant que son mari fait un commerce très-étendu et qu’elle ne loge pas au-dessus de sa boutique.
H. de Balzac, Physionomie du mariage, 1829.
Le proverbe
Oralité et anonymat
Le proverbe, parfois appelé « adage » ou « dicton », sans auteur, relève de l’oralité populaire : il formule brièvement un conseil de sagesse, posée comme vrai en tout temps en tout lieu, par exemple « Qui vole un œuf vole un bœuf », « Bien mal acquis ne profite jamais »… Dans le texte littéraire, il est souvent introduit pour soutenir ce qu’exprime le locuteur, à la façon d’une citation.
Au théâtre
Le proverbe devient d’abord le support d’un jeu dans les salons du XVII° siècle : cette société mondaine se plaît à élaborer quelques scènes destinées à illustrer un proverbe que le public devait deviner. C’est de cela que s’inspire Madame de Maintenon (1635-1719) pour composer ses Proverbes, saynètes à l’intention des Demoiselles de Saint-Cyr. Elle cherche, par ce divertissement, à leur proposer des leçons de morale, et un code de bonne conduite, tout en leur indiquant les dangers qui les guettent dans leur future vie mondaine.
Il se développe en véritable genre littéraire aux XVIII° et XIX° siècles, en prenant la forme de courtes pièces destinées à illustrer un proverbe, introduit dans les dernières répliques. Mais il est inventé par son auteur, comme le fait, par exemple, Alfred de Musset dans Il ne faut jurer de rien (1836), comédie en trois actes, ou Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée (1845), en un acte, ou dans On ne badine pas avec l’amour (1834), à rattacher au drame romantique.
Pour lire Il ne faut jurer de rien de Musset : cliquer sur l'image.
La sentence
Même si les termes « maxime » et « sentence » se confondent souvent, déjà par leur brièveté, il y a, initialement, une différence entre eux. La maxime, avec sa force expressive, se veut d’emblée vérité générale, avec une fonction morale, destinée à guider notre conduite. La sentence, elle, ne recherche pas forcément une expression originale, et elle propose davantage une observation sur l’homme, une opinion formulée sur un ton solennel. Elle n’a donc pas forcément de fonction injonctive, au lecteur de poursuivre, à partir d’elle, sa propre réflexion.
Ainsi les maximes peuvent se lire en dehors de tout contexte, tandis que les sentences sont fortement reliées à leur époque, à celui qui les formule. C’est ce qui explique qu’elles soient souvent présentes dans le théâtre, formulées par les héros qu’elles caractérisent, depuis ceux de Sophocle, comme, dans Ajax, une de ses plus anciennes tragédies, « Le noble doit bien vivre, ou alors bien mourir », jusqu’à ceux de Corneille, telle Dircé, l’héroïne d’Œdipe (1659) qui déclare : « Qui ne craint pas la mort ne crains point les tyrans ». Les sentences abondent chez Corneille, pour soutenir le code d’honneur auquel se réfèrent ses héros, et renforcer ainsi leur grandeur.
Lire la presse
Pourquoi intégrer les genres spécifiques à la presse dans un site intitulé « parcours littéraires » ? Parce que, même si certains d’entre eux n’accordent pas une place primordiale au « style », souvent en raison de leur brièveté, la plupart recourent aux procédés d’écriture qui fondent, notamment, le discours narratif, quand il s’agit d’informer, de décrire, ou argumentatif, pour analyser, commenter, poser une opinion. Dans ce cas, le texte est signé, au moins par des initiales.
Le format de presse
La presse, aussi bien dans le journal quotidien, que dans les magazines, se caractérise d’abord par la disposition typographique adoptée, pour sa « Une » comme pour les pages intérieures. Le lecteur doit y observer tout particulièrement :
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la place accordée à l’image par rapport au texte, très importante à la « Une », et les liens entre eux, parfois explicités par un titre ou par la légende de l’image ; une analyse précise de l’image permettra de dégager aussi sa relation avec le contenu du texte.
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la place du texte lui-même dans la page, en haut, en bas, ou au cœur de la page, en son « ventre », ou bien en « rivière », c’est-à-dire se déroulant sur une étroite colonne, et, bien sûr, sa longueur. Tout cela détermine son importance.
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la « titraille », ensemble des gros titres, sous-titres, titres intérieurs à l’article, et le chapeau (aussi orthographié dans la presse « chapô »), qui précède l’article ou "coiffe" les colonnes qui le composent. Ces éléments sont des « accroches » qui doivent retenir l’attention du lecteur et l’inciter à lire le contenu. Si la titraille recherche la brièveté frappante, et parfois joue sur les mots, le chapô, lui, est d’abord informatif, résumant le contenu de l’article en posant déjà des indications pour répondre aux questions : « Quoi ? Qui ? Où ? Quand ? Comment ? » auxquelles peut être parfois ajouté la question « Pourquoi ?
Les articles de presse
Chacun des genres journalistiques est adapté pour rendre un son particulier. Le reportage, c'est la vie. Le portrait, c'est l'épaisseur humaine. L'interview, c'est la riche sonorité d'une voix. L'enquête, c'est la clarté de la démonstration. Ces caractéristiques, qu'une bonne plume doit savoir rendre, aident à donner du relief à un journal. Surtout, ces caractéristiques étant très différentes les unes des autres, l’opposition sur une même page entre la sérieuse enquête et l’interview plus légère va donner au lecteur le sentiment de la variété de ce qui lui est offert.
Jacques Mouriquand, L'écriture journalistique, P.U.F., coll. « Que sais-je »? », 1997.
Ainsi chaque genre répond à des exigences spécifiques. Tantôt l’expression subjective est primordiale, individuelle, comme dans le cas du billet, souvent dit « d’humeur », ou collective, notamment pour l’éditorial qui représente la ligne du journal ; tantôt, au contraire, le lecteur attend la plus stricte objectivité. Tantôt l’article doit suivre une chronologie, ou au moins une stricte logique ; tantôt, inversement, son auteur doit faire preuve de créativité, en toute liberté.
P.-L. Debucourt, Une Marchande de journaux (détail), 1791. Almanach de 1791, BnF, Estampes et photographies.
Une passionnante histoire
de la presse :
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Les articles d'information
Le tableau ci-contre propose un classement des différents genres d'articles, répartis entre articles d'"information" et d'"opinion".
Les articles d'information, qui ont pour seule fonction de "rapporter" un fait, des événements, n'ont guère de poids littéraires, car ils se veulent neutres, même lorsque, comme dans le compte rendu, un observateur rend compte de son observation. Ce sont donc les moyens de cette neutralité qui sont à analyser. L’écho, malgré sa brièveté, a une place particulière, dans la mesure où il accompagne un autre genre d’articles, par exemple le reportage ou l’enquête, qu’il invite ainsi à lire en attirant l’attention sur un détail particulier, inattendu, voire insolite, relaté par un témoin ou par le journaliste. C’est donc sa fonction d’ « accroche » qui est étudiée, et les procédés qui la mettent en œuvre.
Plus intéressants sont les articles d'information qui visent, non seulement à relater, mais à expliquer des faits.
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L’interview cherche à obtenir des informations précises auprès de la personne interrogées. Les questions du journaliste indiquent l’orientation qu’il souhaite donner à son entretien, mais il ne fait que rapporter les réponses données, dans une stricte neutralité.
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Le reportage, en revanche, propose au lecteur toutes les caractéristiques du récit, et l’analyse porte sur tous les procédés choisis pour lui donner vie : actualisation spatio-temporelle, avec des détails suggestifs sur les lieux, sur l’atmosphère, choix de l’énonciation, avec, éventuellement, des paroles rapportées, portrait de protagonistes… Ainsi, même si le journaliste est censé rester objectif, certains détails choisis peuvent cependant indiquer sa présence, ses sentiments, voire une opinion, modalisation à étudier donc.
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Le portrait est déjà une forme d’enquête, sur une personne, narrative puisqu’il présente des éléments biographiques, des traits de personnalité, des actions, intégrant parfois des paroles rapportées. S’il peut emprunter certains de ses procédés au portrait strictement littéraire, il reste toujours lié à l’actualité, et ne prétend jamais prendre une valeur générale.
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L’enquête illustre l’appellation souvent donnée à la presse, « le quatrième pouvoir ». Tel un détective, le journaliste s’appuie sur les faits, qu’il relate, souvent des dysfonctionnements, mais qui sont des indices, des preuves de ce qu’il veut expliquer, voire dénoncer. L’analyse se rapproche donc de celle d’une argumentation : étude de la thèse, des arguments, des exemples. L’enquête construit souvent une critique, d’une institution, parfois d’une personne.
Enfin, la chronique et l’article d’analyse se situent à la frontière entre la narration, l’explication et l’argumentation.
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La chronique, en effet, revenant régulièrement dans le journal, sous le même titre, est toujours confiée au même journaliste, qui choisit librement son sujet. Il porte un regard particulier sur les faits évoqués, et sa narration ne masque pas son opinion. Il adopte aussi un style qui le rend vite reconnaissable par les lecteurs. Certains chroniqueurs sont d’ailleurs restés célèbres, tels Alphonse Allais (1854-1905), pour son humour désinvolte qui se donne libre cours, par exemple dans sa chronique « La vie drôle », qui paraît dans Le Sourire, journal de Maurice Méry, Léon Bloy (1864-1917), au ton plus pamphlétaire, ou Claude Sarraute (née en 1927), avec sa chronique hebdomadaire dans Le Monde, sous le titre « Quelle histoire ! » Dans la chronique, c’est tout particulièrement la modalisation qui doit être analysée.
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L’article d’analyse ressemble beaucoup à l’enquête, à cette différence que le journaliste n’a alors pas besoin de se rendre sur le terrain. Ce sont les documents récoltés qui lui servent de support, données objectives sur lesquelles il réfléchit, utilisés comme preuves pour soutenir son argumentation. Sa démarche se rapproche donc de celle de l’historien, mais il ne doit pas transformer son article en exposé universitaire, et il peut orienter son analyse en fonction de sa propre opinion, c’est elle qui lui donne sens.
Les articles d'opinion
Les articles regroupés sous cette appellation ont en commun la volonté affichée de convaincre le lecteur, et de le persuader par les procédés d’écriture mis en œuvre.
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Le billet, un peu comme la chronique, révèle la personnalité de son rédacteur. Concis, précis, il accompagne souvent l’information, pour l’orienter, en proposant des formules frappantes, des exemples mis en valeur, voire une anecdote. Mais l’on parle aussi de « billet d’humeur » quand l’engagement politique ou moral de l’auteur tourne à la satire, et se charge d’une ironie mordante. La fin du billet, « sa chute », est particulièrement significative pour emporter l’adhésion du lecteur.
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La critique appartient à la rubrique « Spectacle » du journal ou de la revue. En présentant une œuvre culturelle, livre, film, concert… , elle souligne sa part d’originalité, sans cependant la dévoiler : il s’agit d’inciter le lecteur à en juger par lui-même. Fondée sur le jugement personnel de son rédacteur, elle peut se faire enthousiaste, ou sévère. Dans un cas comme dans l’autre, elle doit rester attractive, elle ne formule donc pas une analyse de type universitaire, mais rend compte plutôt de ce que son rédacteur a pu ressentir lors du spectacle ou de sa lecture.
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L’éditorial est le plus engagé de tous les articles, c’est son rôle même puisqu’il doit représenter l’orientation de l’équipe de rédaction, même quand il est signé par un seul journaliste, son opinion sur tel ou tel aspect marquant de l’actualité, analysé dans une perspective générale. Il est construit en suivant une logique explicite, pose des arguments nets, soutenus par des exemples. Il ne cherche pas vraiment à briller par son style, mais plutôt par la force de la conviction exprimée.
Ajoutons que la presse peut ouvrir ses colonnes à un rédacteur extérieur. Le journal fait alors paraître une « lettre ouverte », souvent polémique, ou une « tribune », qui offre un espace à une personne ou à un groupe pour exprimer leurs opinions. Ces articles sont placés sous la responsabilité de leur auteur, mais ils supposent tout de même une acceptation de la rédaction.
Pour s'exercer...
H U M E U R
Corbeaux du soir, bonsoir
Bien sûr, en général, autour de vous, on s'indigne. On le trouve "débile", "méchant". On a tort. Pour une fois, en programmant son nouveau jeu, Le maillon faible, TF1 fait enfin tomber le masque sur tous ces jeux qui envahissent nos écrans. Prenez des candidats qui doivent, pour accumuler des gains, répondre, les uns après les autres et sans erreur, à des questions plutôt nulles. Le tout sous la direction musclée d'une animatrice qui les ridiculise et les humilie. En plus, les gentils joueurs doivent, à la fin de chaque manche, éliminer le "maillon faible", celui d'entre eux qui empêche de gagner davantage d'argent. Les candidats sont sommés de justifier oralement leur choix. On entend alors de braves dames avouer: "Je l'élimine parce qu'elle est jolie, je suis jalouse." Ou des jeunots dire froidement: "Il est trop fort." Eh oui puisque en bout de course deux candidats restent en lice. Un seul emporte la mise. Il faut donc virer les meilleurs et... place aux nuls en finale ! Bref, c'est le règne encouragé de la balance, de la délation, de l'espionnage sournois des travers (ou des qualités) des autres.
Alors, franchement, tout cela ne vaut-il pas des bravos ? N'est-il pas magnifique de nous montrer enfin que, quand on participe à ce genre de jeux télé, c'est, dans une immense majorité des cas, pour le pognon, et en se fichant d'être méprisé par ceux qui imaginent de tels programmes ? Pour le fric, on est prêt à tout. Des scrupules ? Des états d'âme ? Vous voulez rire! Justement, pour rigoler, TF1 propose d'autres émissions débiles (liste disponible sur demande: si la délation est à la mode, autant s'y mettre tout de suite). Bienvenue dans le club des maillons faibles.
Pascale Gruber, "Le Vif", L'Express, 03/08/2001
Le "billet d'humeur"
Questions :
- Reformuler la thèse soutenue par Pascale Gruber, et interpréter le titre du billet.
- Observer les instances énonciatives choisies.
- Dégager la démarche argumentative de ce billet.
- Relever et interpréter les procédés retenus dans la présentation du « Maillon faible ».
- Caractériser le ton dans le dernier paragraphe.
L'éditorial
Questions :
- Dégager la structure de cet article.
- Quels éléments permettent de reconnaître qu’il s’agit d’un éditorial ?
- À partir du contenu du texte, justifier son titre.
- Quel rôle jour le deuxième paragraphe du texte ?
- Dans quel but cet éditorial est-il écrit ?
Lire la bande dessinée
Les éléments de l'analyse
L’appellation « bande dessinée » signale l’importance, parallèlement au récit qu’elle propose, de la mise en page, à l’origine des vignettes organisées en « bandes » successives, et du graphisme, celui de l’image mais aussi des mots dans leur relation à l’image.
La planche
Christophe, Les Facéties du sapeur Camember, "Une méprise du sapeur", entre 1890-1896.
Hergé, Tintin au pays de l'or noir, 1950.
Philippe Druillet, Delirius, 1973.
L’observation de ces 3 planches montre l’évolution de la mise en page depuis les premières créations de Christophe à la fin du XIX° siècle.
Les vignettes, chez Christophe, ne comportent que le dessin, le texte étant placé en-dessous, avec une alternance de récit, pris en charge par un narrateur, et de dialogue rapporté.
Avec Hergé, auteur de Tintin, la planche est découpée en 4 strates de vignettes, nettement délimitées, dont la forme, horizontale, verticale, carrée, rectangulaire, et la taille peuvent varier en fonction du plan retenu, comme au cinéma, par exemple, plan moyen ou gros plan. Le texte s’inscrit dans une bulle, rattachée au locuteur : le récit disparaît donc au profit du discours.
Enfin, beaucoup d'auteurs de la fin du XX° siècle remettent en cause la structure même de la planche. Chez Druillet, par exemple, même si l’on identifie encore trois vignettes, l’une d’elle couvre l’espace entier de la page, tandis que les deux autres sont découpées de part et d’autres pour encadrer l’image centrale. Les bulles subsistent, mais avec des variantes, de fond – retour de la narration – et de forme.
Il est donc indispensable d’observer cette structure, pour y voir et commenter
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les effets de symétrie, ou les ruptures ;
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la régularité des vignettes et le choix de leur forme géométrique, de leur format, vertical ou horizontal ;
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la relation entre les vignettes, tel l’effet, emprunté à la technique cinématographique, de champ-contrechamp, qui reproduit deux fois la même scène sous un angle inversé, créant ainsi un jeu de symétrie ; on reconnaît même parfois des parallélismes, une antithèse, voire une opposition en chiasme.
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la présence de séquences, quand plusieurs vignettes forment une unité de sens ;
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la relation entre les images et le texte, notamment son insertion et l’espace qu’il occupe.
Le graphisme
Pour analyser l'image
Jusqu’aux années 1970 la bande dessinée pratique surtout la technique dite de « la ligne claire », qui traduit une volonté de netteté et de sobriété graphiques. Les contours sont marqués par un trait noir, aussi bien pour les décors que pour les personnages. Le dessin lui-même est net, avec une volonté de réalisme, aussi bien pour les décors, comme ici celui de la rue ou du magasin d’antiquités, que pour les personnages. La couleur est en aplats, sans effets d’ombre ou de dégradé. La seule rupture introduite par Tardi est le passage au noir et blanc, dans les 8ème et 9ème vignettes, pour marquer l’évocation du souvenir par son héroïne. Chaque vignette choisit un plan, comme au cinéma (cf. Schéma ci-contre), et un angle de vue, comme pour une photographie : frontal, si la vue se fait de face, comme dans les 6ème et 7ème vignettes de Tardi, en plongée, du haut vers le bas, ici dans les 2ème et 4ème vignette, ou contre-plongée, à l'inverse.
J. Tardi, "Le démon de la tour Eiffel", Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-sec, 1976.
Initialement cette « ligne claire », pratiquée par l’école dite « de Bruxelles », d'après le travail de Hergé dans Tintin, produit un graphisme très épuré. Mais, tout en la conservant, certains dessinateurs, tel ici Tardi, accentuent la dimension réaliste.
Cela ressort ici dans l’avant-dernière vignette avec la précision des détails architecturaux, ou le journal reproduit à l'identique, ou encore, dans la dernière vignette, pour la reproduction du contenu de la vitrine. Mais la fin du siècle voit naître un graphisme plus élaboré, qui joue davantage sur les couleurs et la lumière, comme le fait Enki Bilal.
Pour analyser l'écriture
Il est important également d’observer la calligraphie du texte. On distingue souvent nettement ce qui relève du narrateur, en haut, souvent encadré différemment, comme « Le lendemain… », sur fond rose dans la 10ème vignette de Tardi (cf. Image ci-dessus), et les « bulles » - ou phylactères – pour le discours des personnages, que certains bédéistes choisissent de supprimer d’ailleurs. On note alors
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le lien établi avec le personnage par un appendice, continu pour des paroles prononcés, ou sous forme de petits cercles pour des pensées, comme dans les deux dernières vignettes ;
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la taille de l’écriture, et le choix de la police, notamment les majuscules, les caractères gras qui correspondent à un cri, pour restituer la force du sentiment exprimé, telle la peur dans la 4ème vignette.
On remarque le recours, dans la B.D., à la ponctuation expressive, points d’interrogation ou d’exclamation, parfois seuls dans une vignette, comme c’est le cas dans la planche de Tintin (cf. Image ci-dessus) Les onomatopées y jouent aussi un rôle, en dehors de la bulle le plus souvent, tels « Wouah », aboiement lancé par Milou chez Hergé, ou « Clic » qui marque l’allumage de la lumière chez Tardi.
Du signifiant au signifié
Chaque élément observé, le signifiant, conduit à une interprétation, le signifié. Comme dans tout récit, elle s’appuie sur
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la conduite de l’intrigue, notamment son schéma narratif, y compris les analepses ou les prolepses. La B.D. exige, sur ce point, une fois déterminée la construction d’ensemble, d’étudier également le passage d’une séquence à l’autre (comme on étudierait l’enchaînement des chapitres dans un roman), puis d’une vignette à l’autre, au moyen de procédés proches de ceux du cinéma : effet de travelling, de zoom…
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l’actualisation spatio-temporelle : le contexte choisi (époque ancienne, contemporaine, futuriste), mais aussi les lieux représentés, parfois de façon réaliste, ou seulement suggérés par un détail, par un objet, et le déroulement chronologique, explicite ou signalé par un effet de lumière.
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l’étude des personnages, à travers leur rôle dans l’intrigue, suivant le schéma actanciel, ou à travers les aspects mis en valeur dans leur portrait. Comme au théâtre, le décor dans lequel ils s’inscrivent joue un rôle, ainsi que leur habillement, leur coiffure, les accessoires, et, bien sûr, leur gestuelle. Même stylisé, le visage traduit des sentiments. De cela se déduit le sens même que l’auteur imprime à son œuvre. Les paroles rapportées, pour leur part, sont toujours fortement modalisées.
Hergé, Tintin au pays de l'or noir, 1950.
Mais cette interprétation est complexe, car elle fait appel au regard sur l’image. La lecture d’une bande dessinée procède, en effet, par perception globale, souvent rapide ; c’est ce qui donne à ces œuvres leur force de suggestion. Or, l’analyse, elle, amène à décomposer, pour « traduire » le moindre détail. Par exemple, le mouvement est rendu, dans la 1ère de ces deux vignettes, par l’ombre allongée portée au sol ; les traits qui l’accompagnent soulignent à la fois la violence de la chute, et, autour de la tête du héros, l’effet de surprise. Dans la 2nde vignette, la vitesse de la course est figurée par les « traits en nuage » qui suivent Tintin et Milou, tandis que les traits en auréole laissent supposer, eux, la joie, l’impatience aussi. Mais seul un « arrêt sur image » permet cette analyse !
Enfin, il convient de ne pas oublier les divers éléments de la couverture, qui permettent déjà des hypothèses de lecture. Par exemple, celle de Radio Lucien (1982), album de Margerin, met en évidence le héros, en sur-titre majuscule et en rouge, inscrivant ainsi le personnage dans une continuité. Le nom de l’auteur s’inscrit sur le haut de l’image, en bas l’éditeur, « Fluide glacial » qui le rattache à l’histoire même de la B.D. Le titre est renforcé par l’image, qui accorde une place importante à cette « radio » et au casque. Le lecteur peut aussi identifier l’époque avec le tourne-disque porteur d’un 45 tour (on est encore dans les années 80), et se faire une idée du personnage : un rocker, reconnaissable à sa coiffure et à la guitare sur le sol, encore jeune (mais déjà fumeur !), passionné par cette radio, puisqu’il accepte de se nourrir d’un sandwich et arbore un large sourire ; ses lectures semblent se limiter aux bandes dessinées, vu le contenu de la bibliothèque. La « banane » qui forme sa coiffure, crée, comme le gros nez rond, un effet de caricature, qui inscrit déjà l’album dans le registre comique.
Margerin, Radio Lucien, 1982.