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Quand lire un texte devient une enquête...
La communication : schéma de Jakobson.
Les fonctions du langage.
Pour  fonder l'analyse : deux tableaux à connaître

(cf. leur présentation page "Lecture")

La première approche : le paratexte
paratexte

Si nous croisons l'observation de ces deux tableaux, un premier élément ressort : le "message" transmis par l'énoncé, c'est-à-dire la fonction référentielle, largement dépendante du contexte. L'auteur s'inscrit, en effet, dans un contexte, lié à sa propre existence, aux conditions socio-historiques de son époque, et c'est souvent lui qui explique le choix de son sujet, du thème et des personnes évoquées. Cela justifie le fait qu'il est indispensable de faire précéder la lecture du texte d'une réflexion sur le paratexte. C'est la 1ère étape de toute explication de texte, linéaire ou thématique, qui permet à la fois de réactiver les acquis des élèves - ou de leur fournir les connaissances indispensables à la compréhension - et de les amener à poser les enjeux de l'analyse.

Le paratexte pose, au minimum, le nom (parfois les dates de naissance et de mort)  de l'auteur, le titre et la date de publication de l'oeuvre. Quelquefois, selon les textes, quelques précisions sont ajoutées, par exemple la mention de l'acte et de la scène - il s'agit alors de théâtre -  ou bien le titre du chapitre, pour un roman, de la section pour un recueil poétique, dans lesquels se situe l'extrait ou le poème. Enfin, ces premières informations peuvent être accompagnées d'un court paragraphe, composé par l'éditeur du texte pour expliquer, notamment s'il s'agit d'un roman ou de théâtre, l'intrigue qui précède le passage, pour présenter les personnages, les conditions de production de l'énoncé, voire pour annoncer le registre dans lequel il s'inscrit.

Le lecteur se trouve alors dans la position d'un enquêteur qui dispose d'informations, mais n'a pas encore élucidé la clé du crime, ni découvert son auteur ou son mobile. C'est à partir de ces informations qu'il peut commencer à formuler les hypothèses qui guideront son enquête, c'est-à-dire son analyse.

Observons ces deux paratextes :

1. MOLIERE (1622-1673), Le Tartuffe ou l'Imposteur, I, 1, vers 1-32, 1669.

2. Nicolas BOILEAU, "Le Bûcheron et la Mort", XXVII, Fables et poésies diverses, 1664.

1. L'époque

Ces deux textes datent de la seconde moitié du XVII° siècle. Cela implique d'avoir un certain nombre de connaissances :

- sur les conditions historiques : le règne de Louis XIV, qui s'impose en monarque absolu, les questions religieuses...

- sur la société : son organisation, ses modes de vie, les idées débattues alors...

- sur le mouvement littéraire qui correspond à la date de publication : le classicisme.

 

2. Les auteurs

Sans avoir une connaissance exhaustive de leur biographie, il est utile, si l'on en a la possibilité, de rechercher les faits marquants qui précèdent la date de parution :

- Pour Molière : la protection que lui a accordée Louis XIV, mais aussi les premières difficultés rencontrées, par exemple à l'occasion des représentations de L'École des femmes, comédie jouée pour la première fois en 1661.

- Pour Boileau : son rôle de théoricien du classicisme, ses exigences dans le domaine de la poésie.

 

3. Genre et registre littéraires

- Le texte de Molière : Les deux mentions "I, 1" nous indiquent l'acte et la scène, donc le fait qu'il s'agit de théâtre et, plus précisément de ce que l'on nomme la scène d'exposition. Il est donc nécessaire de récapituler ses connaissances sur le théâtre, entre autres pour la double énonciation, pour le rôle des didascalies, donc l'importance de la mise en scène... Il convient aussi de se remémorer la double fonction d'une scène d'exposition : informer le spectateur/lecteur sur l'intrigue et les personnages, et le séduire en retenant son attention et en donnant déjà le ton de l'oeuvre. À cela s'ajoutent les limites de l'extrait proposé, indiquées en vers : il sera utile de maîtriser les principales composantes de la versification.

- Le texte de Boileau : Le titre de l'oeuvre mentionne deux genres, "fable" et "poésie". Ici aussi la connaissance de la versification s'impose, ainsi qu'une révision de la forme et du rôle des fables, forme d'apologue : un court récit fictif, souvent satirique, qui amène à une morale.

 

4. Autour du titre

- Le Tartuffe ou l'Imposteur : A priori le terme "Tartuffe" n'est pas immédiatement explicite, mais, précédé de l'article défini, on comprend qu'il s'agit du nom - ou de la caractérisation - d'un personnage, tellement remarquable qu'il devient un "type" d' "imposteur", mot plus aisé à comprendre par sa construction, avec le préfixe négatif "in-". Il s'agit donc d'un personnage qui occupe un lieu, une place, un emploi auquel il n'a pas droit, qu'il ne mérite pas réellement, parce qu'il a su tromper, adopter un comportement hypocrite.

- "Le Bûcheron et la Mort" : Ce titre place face à face deux personnages. Le "Bûcheron", avec la majuscule, représente l'homme du peuple, un travailleur, dont, vu les conditions de vie de cette époque, on peut supposer la misère. Le second, en personnifiant la mort, réalité qui attend tout être humain, la transforme en une allégorie. Le lecteur peut l'imaginer dans sa représentation traditionnelle, squelette, parfois drapé d'un suaire, porteur d'une faux.

        

                 Cette réflexion préalable, avant même de découvrir le texte lui-même, n'est pas du temps perdu, bien au contraire. Elle prépare le lecteur à lire le texte de façon plus active, elle attire déjà son attention sur les observations à faire.

- Pour le texte de Molière : La recherche biographique nous apprend les difficultés rencontrées par Molière pour Le Tartuffe : sa pièce, représentée pour la première fois en 1664, a été censurée jusqu'en 1669. Pour quelles raisons ? Peut-être les percevrons-nous dans cette scène d'exposition... Dans une exposition, nous devrons chercher les informations fournies, nécessaires pour comprendre la situation, pour découvrir les personnages. Enfin, en tenant compte également des didascalies, s'il y en a, nous nous interrogerons, puisqu'il s'agit d'une comédie, sur les formes prises par le comique, de gestes, de mots, de caractère, de situation, en les liant, le cas échéant, à une étude des indications de mise en scène, et à d'éventuels procédés de versification. Cette scène d'exposition correspondra-t-elle à nos attentes ?

- Pour le texte de Boileau : Sachant que Boileau a été un des représentants des exigences classiques d'ordre, de clarté, de respect des règles, nous accorderons une attention particulière à la forme de sa fable : la structure et le rythme des vers, les rimes et les sonorités choisies. Comment Boileau construit-il son récit ? Comment présente-t-il ses personnages ? Et quelle morale propose-t-il ?

Pour s'exercer :

Quelles réflexions suggèrent ces deux paratextes ?

1. Jean-Jacques ROUSSEAU, Émile ou De l'Éducation, II, 1762.

 

     Après avoir, dans le premier livre de son roman, présenté les deux premières années de formation de son élève imaginaire, Émile, le livre II montre l'organisation de son éducation de 2 à 12 ans, notamment à la part à accorder à la culture intellectuelle, ce qui le conduit à évoquer le rôle des fables de La Fontaine.

2. Victor HUGO (1802-1885), "Fable ou Histoire", Châtiments,  IV, 3, 1853.

 

           Exilé à la suite du coup d'État de Napoléon III, en 1851, Hugo oppose ce recueil pour dénoncer les abus de cet empereur qu'il méprise. Le livre IV est intitulé "La religion est glorifiée", titre ironique car Hugo y montre, au contraire, l'irrespect de Napoléon III pour les valeurs religieuses.

Deuxième étape : la lecture active
analyse

Après cette première approche, qui a permis, comme lors d'une enquête policière, de formuler des hypothèses, nous pouvons passer à la deuxième étape, proche, quant à elle, du travail de la police scientifique : relever des indices, les analyser précisément, ce qui nous permettra, dans une dernière étape, de confirmer - ou d'infirmer - nos hypothèses initiales.

Observons :

Jean RACINE, Iphigénie, I, 1, vers 62-89, 1674.

 

     L'absence de vent empêche la flotte grecque, regroupée en Aulide sous le commandement d'Agamemnon, de partir à Troie rechercher Hélène, enlevée par Pâris à son époux, Ménélas, frère d'Agamemnon... Un oracle exige de sacrifier "une fille du sang d'Hélène", Iphigénie, la propre fille d'Agamemnon. Le roi annonce cette nouvelle à Arcas, son confident.

 

ARCAS

Votre fille !

AGAMEMNON          

              Surpris, comme tu peux penser,

Je sentis dans mon corps tout mon sang se glacer.

Je demeurai sans voix, et n'en repris l'usage

Que par mille sanglots qui se firent passage.

Je condamnai les Dieux, et sans plus rien ouïr,

Fis voeu sur leurs autels de leur désobéir.

Que n'en croyais-je alors ma tendresse alarmée ?

Je voulais sur-le-champ congédier l'armée.

Ulysse, en apparence approuvant mes discours,

De ce premier torrent laissa passer le cours.

Mais bientôt, rappelant sa cruelle industrie (1) ,

[ Il me représenta l'honneur et la patrie,

Tout ce peuple, ces rois à mes ordres soumis,

Et l'empire d'Asie à la Grèce promis :

De quel front (2)  immolant tout l'Etat à ma fille,

Roi sans gloire, j'irais vieillir dans ma famille ! ]

Moi-même, je l'avoue avec quelque pudeur,

Charmé de mon pouvoir et plein de ma grandeur,

Ces noms de roi des rois et de chef de la Grèce

Chatouillaient de mon cœur l'orgueilleuse faiblesse.

Pour comble de malheur, les Dieux toutes les nuits,

Dès qu'un léger sommeil suspendait mes ennuis,

Vengeant de leurs autels le sanglant privilège,

Me venaient reprocher ma pitié sacrilège,

Et présentant la foudre à mon esprit confus,

Le bras déjà levé, menaçaient mes refus.

Je me rendis, Arcas ; et, vaincu par Ulysse,

De ma fille, en pleurant j'ordonnai le supplice.

(2) Avec quelle audace

dépourvue de honte.

(1) Habile façon d'agir.

Première étape : le paratexte

- L'époque : Ce texte date de la seconde moitié du XVII° siècle. Cela implique d'avoir un certain nombre de connaissances

Mais l'introduction signale que le sujet traité renvoie, lui, à l'antiquité "grecque", à la ville de "Troie" : rappelons donc la mythologie autour de la guerre de "Troie".

- L'auteur : On retient l'importance du jansénisme dans l'éducation de Racine, la protection que lui a accordée Louis XIV, sa rivalité avec Corneille dans le domaine de la tragédie.

- Genre et registre littéraires : Les deux mentions "I, 1" nous indiquent l'acte et la scène, donc le fait qu'il s'agit d'une scène d'exposition au théâtre, et, plus précisément, pour Racine, dans une tragédie. Récapitulons nos connaissances sur le théâtre, entre autres pour la double énonciation, pour le rôle des didascalies, donc l'importance de la mise en scène... , mais aussi sur les règles qui s'appliquent dans le classicisme. Rappelons aussi la double fonction d'une scène d'exposition : informer le spectateur/lecteur sur l'intrigue et les personnages, et le séduire en retenant son attention et en donnant déjà le ton de l'oeuvre. Enfin les limites de l'extrait sont indiquées en "vers", d'où une révision des principales composantes de la versification.

- Autour du titre : Il s'agit d'un prénom, celui de "la propre fille d'Agamemnon". L'introduction précise qui est Agamemnon, un "roi", à la tête de "la flotte grecque", et directement impliqué dans l'action puisque c'est l' "épouse", Hélène, de son propre "frère", Ménélas, qui a été "enlevée" par le troyen Pâris. Se montrera-t-il digne de son statut royal, de l'honneur qui doit le pousser à venger l'insulte faite à sa famille ?

- La situation du passage : L'introduction signale l'actualisation spatiale ("en Aulide" : vérifier où se trouve ce lieu), et mentionne le nom et le statut des interlocuteurs, le "roi" et son "confident", Arcas. Nous supposons donc que le texte expliquera les sentiments ressentis par Agamemnon : peut-être demandera-t-il aussi conseil à Arcas ? Nous sommes informés aussi sur ce qui précède l'extrait : l'obstacle représenté par "l'absence de vent", l'intervention divine par "l'oracle", et son exigence terrible, "sacrifier" Iphigénie. Nous pouvons alors imaginer le désespoir du père...

Cela nous conduit à rechercher, en particulier, à travers les procédés de versification :

  • les éléments caractéristiques du héros tragique : noblesse, courage, parfois "hybris", c'est-à-dire orgueil démesuré ;

  • la place prise par les deux sentiments que doit susciter le registre tragique : la terreur, notamment en raison de la fatalité qui écrase le héros, et la pitié devant son impuissance.                

Le repérage des indices

- L'extrait est un dialogue (cf. mots soulignés), puisqu'Agamemnon parle à Arcas, après l'exclamation poussée par ce dernier au début du passage, marque de son effroi face à l'annonce du sacrifice exigé. On note le statut de chacun : Arcas vouvoie le "roi", Agamemnon le tutoie. Mais il lui accorde une grande confiance, signalée par le choix du verbe, "je l'avoue".

- Cependant, l'essentiel du passage est une longue tirade, dont le premier mot, souligné par la coupe, révèle le rôle (cf. mots en rouge) : exprimer les sentiments d'Agamemnon. Les choix lexicaux montrent un contraste entre

  • la terreur éprouvée devant cette annonce, partagée par le lecteur : elle est illustrée par des notations physiques, avec la métaphore hyperbolique, "tout mon sang se glacer", renforcée par l'allitération en [s], ou la négation "sans voix", suivies d'un enjambement qui met en valeur une autre hyperbole, "mille sanglots". C'est elle qui justifie sa première réaction (en jaune), "congédier l'armée", verbe amplifié par la diérèse, c'est-à-dire renoncer à la guerre.

  • la nature traditionnelle du héros tragique : nous reconnaissons l'hybris dans le vers "Charmé de mon pouvoir et plein de ma grandeur", qu'explicite l'image créée, dans l'enjambement qui suit, par le verbe "Chatouillaient". Par le rappel de son titre, avec l'hyperbole "roi des rois", et de son rôle de "chef de la Grèce",  il reconnaît son "orgueilleuse faiblesse". C'est elle qui le conduit à une décision bien différente de la première : "j'ordonnai le supplice".

Nous pouvons alors identifier ce qu'a vécu Agamemnon : un terrible dilemme, dont l'issue a été dictée par son orgueil de roi, l'emportant sur son amour de père.

Timandre de Cythnos, Le sacrifice d'Iphigénie, entre 10 et 79.

Fresque, 138 x 140. Musée national archéologique, Naples.

Le sacrifice d'Iphigénie, fresque.
Pour en savoir plus sur l'héroïne Iphigénie, dans l'antiquité : cliquer sur l'image.

Le lexique emprunté à la guerre (le verbe "Je me rendis", le participe "vaincu"), montre que c'est une véritable guerre intérieure qu'a livrée Agamemnon, et le rythme du dernier vers, avec les inversions, met en évidence le dernier mot, "supplice", porteur de l'horreur.

- Mais cette fin de texte introduit aussi une forme d'excuse en rappelant le rôle joué, dans ce dilemme, par le héros grec précédemment évoqué, Ulysse. La mythologie grecque nous le présente comme "rusé",  et cette image traditionnelle est reprise ici (cf. passages en marron), à travers son comportement décrit : le connecteur d'opposition "Mais" traduit la contradiction entre l' "apparence" et le discours rapporté. Deux vers sont consacrés à cette "apparence", une approbation du premier choix du roi, "congédier l'armée", face à 5 vers (entre crochets marron) pour influencer la décision inverse. De plus, ces vers sont renforcés par le passage du discours narrativisé, trois vers avec une énumération d'arguments pertinents pour un héros, tels les mots "honneur" ou "patrie", et en gradation ("ce peuple", "ces rois", "l'empire d'Asie"), à une forme de discours direct, dans les deux vers exclamatifs. Agamemnon y répète l'accusation lancée par Ulysse, en changeant simplement l'emploi des personnes : "ma fille",  "j'irais", "ma famille". Avec la coupe plus forte que la césure sur "sans gloire", terme amplifié par la prononciation du [E] muet, nous  comprenons que c'est ce reproche, tellement grave qu'Ulysse l'a formulé au conditionnel, sous la forme d'une hypothèse, qui a touché profondément le roi. Ulysse a donc été habile, en laissant s'épancher la douleur du père, bien naturelle, imagée par une hyperbole, "ce premier torrent", pour ensuite trouver les arguments propres à le convaincre et le ton pour le persuader : c'est ce que le roi nomme sa "cruelle industrie", en un cri reproduit par la récurrence, dans les rimes suivies et les vers du discours rapporté,  du son vocalique aigu [i]. Même si, ensuite, Agamemnon reconnaît par "Moi-même", ses propres torts, il reprend à la fin le rôle d'Ulysse, en se plaçant lui-même en position de victime.

- Cela nous amène à la dernière analyse, à partir de nos hypothèses initiales, sur la fatalité et le rôle des dieux (cf. passages surlignés en noir). Ils sont, en effet, la cause du dilemme, mentionnés dès le début par l'image de "leurs autels", qui suggèrent déjà le sacrifice ordonné. Leur portrait, à la fin de la tirade, souligne leur cruauté, la menace étant concrètement illustrée par "la foudre" et "le bras levé", qui nous rappellent la représentation traditionnelle de Zeus. Mais le roi a commis une grave faute, marque d'hybris : lui, un mortel, a osé les "condamn[er]" et a fait le "voeu" solennel "de leur désobéir". C'est là une "piété sacrilège" aux yeux des dieux, forme d'oxymore qui souligne  cette faute... D'où leur réaction, amplifiée par l'hyperbole lexicale, "comble de malheur", et par le rythme qui antépose "toutes les nuits", avec le [E] muet prononcé, "Vengeant", en tête du vers, et l'image du "sanglant privilège" qui nous permet d'imaginer le sang du sacrifice. Ainsi, nous mesurons encore davantage la force du dilemme (cf. mots en bleu), "l'esprit confus" du roi, expression qui reprend la question évoquant précédemment sa "tendresse alarmée". Le lecteur, pris de terreur face à la toute-puissance divine, éprouve alors de de la pitié pour ce père accablé et sa fille, innocent jouet de dieux vengeurs.

Iphigénie
Le lecteur Sherlock Holmes
Repérer, analyser...
Repérer :

Les repérages sont facilités par les hypothèses, qui indiquent déjà quoi et où chercher. Mais, pour arriver à ce qu'ils soient complets, ils exigent une bonne connaissance des principaux éléments de stylistique, actualisation, énonciation, argumentation, modalisation et versification. Ce sont eux qui permettent, par une observation attentive du texte, de reconnaître les indices signifiants.

 

Analyser :

Il est essentiel d'avoir parfaitement en mémoire quelques clés qui permettront de passer du simple repérage à l'analyse. 

Par exemple, dès que l'on pense aux procédés de style, une liste est récitée : modalités expressives (interrogative, exclamative, injonctive), lexique (champ lexical, mélioratif / péjoratif), figures de style (par opposition, par analogie, par substitution, par amplification / atténuation), rythme des phrases, nominale ou période, ponctuation.  De même, pour la versification, on aura en mémoire : mesure du vers (rôle du [E] muet, diérèse / synérèse), rime (nature, disposition, richesse), rythme (césure, coupe, rejet / enjambement) et sonorités (sons vocaliques / consonantiques, assonance, allitération). Cet apprentissage, dans un premier temps contraignant, permet d'acquérir des mécanismes, et la pratique aide ensuite à approfondir plus rapidement l'analyse. 

Pour s'exercer :

TEXTE 1

TEXTE 2

     Le choix, par le roi de Castille, de Don Diègue comme gouverneur de son fils provoque la colère du comte Don Gormas, son rival pour cette fonction. Au cours de leur dispute, le comte gifle le vieillard, qui saisit son épée pour riposter. Mais il est trop faible pour lutter... Resté seul, il déplore sa vieillesse.

 

Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !

N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers

Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?

Mon bras, qu’avec respect toute l’Espagne admire,

Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,

Tant de fois affermi le trône de son roi,

Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?

Ô cruel souvenir de ma gloire passée !

Å’uvre de tant de jours en un jour effacée !

Nouvelle dignité, fatale à mon bonheur !

Précipice élevé d’où tombe mon honneur !

Faut-il de votre éclat voir triompher le comte,

Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?

Pierre Corneille, Le Cid, Acte I, scène 4, 1637.

QUESTIONS :

1. Formuler les hypothèses de lecture qui découlent du paratexte.

2. Proposer une lecture active de ces textes.

     Micromégas, géant originaire de la planète Sirius, en a été exilé. Il entreprend alors un voyage d'exploration interplanétaire : sur la planète Saturne, il trouve un compagnon, et tous deux arrivent sur la terre.

 

Après s’être reposés quelque temps, ils mangèrent à leur déjeuner deux montagnes, que leurs gens leur apprêtèrent assez proprement. Ensuite ils voulurent reconnaître le petit pays où ils étaient. Ils allèrent d’abord du nord au sud. Les pas ordinaires du Sirien et de ses gens étaient d’environ trente mille pieds de roi ; le nain de Saturne, dont la taille n’était que de mille toises, suivait de loin en haletant ; or il fallait qu’il fît environ douze pas, quand l’autre faisait une enjambée : figurez-vous (s’il est permis de faire de telles comparaisons) un très-petit chien de manchon qui suivrait un capitaine des gardes du roi de Prusse.

Comme ces étrangers-là vont assez vite, ils eurent fait le tour du globe en trente-six heures ; le soleil, à la vérité, ou plutôt la terre, fait un pareil voyage en une journée ; mais il faut songer qu’on va bien plus à son aise quand on tourne sur son axe que quand on marche sur ses pieds. Les voilà donc revenus d’où ils étaient partis, après avoir vu cette mare, presque imperceptible pour eux, qu’on nomme la Méditerranée, et cet autre petit étang qui, sous le nom du grand Océan, entoure la taupinière. Le nain n’en avait eu jamais qu’à mi-jambe, et à peine l’autre avait-il mouillé son talon. Ils firent tout ce qu’ils purent en allant et en revenant dessus et dessous pour tâcher d’apercevoir si ce globe était habité ou non. Ils se baissèrent, ils se couchèrent, ils tâtèrent partout ; mais leurs yeux et leurs mains n’étant point proportionnés aux petits êtres qui rampent ici, ils ne reçurent pas la moindre sensation qui pût leur faire soupçonner que nous et nos confrères les autres habitants de ce globe avons l’honneur d’exister.

Voltaire, Micromégas, chapitre IV, 1752.

Troisième étape : l'interprétation
interpréter
Interpréter : les intentions de l'auteur

Cependant l'analyse n'est pas une fin en soi. Dire "J'ai repéré une question, et je l'ai analysée comme oratoire", ou "J'ai vu plusieurs mots péjoratifs, et l'un d'entre eux forme une hyperbole" reste sans intérêt si nous ne rapportons pas cette analyse aux intentions de l'auteur. Dès qu'un auteur, en effet, décide de publier un texte, il espère toucher des lecteurs, les divertir, ou bien les émouvoir, les instruire parfois, voire les faire adhérer à une thèse. Il s'agit donc de ne pas rester un lecteur passif, mais d'interpréter ces intentions, et c'est à ce propos qu'interviennent les autres connaissances :

  • sur l'époque : Connaître les faits historiques principaux, l'organisation sociale, l'histoire des sciences, des techniques, des arts, et surtout les courants littéraires aide à mieux comprendre l'objectif d'un écrivain. Racine, par exemple, marqué par le jansénisme et écrivant sous le règne de Louis XIV, ne prône pas les mêmes valeurs que Corneille, qui reproduit, lui, les valeurs du temps de Louis XIII.

  • sur l'auteur : Certains auteurs ont vécu des événements qui ont marqué leur oeuvre, ils se sont, par exemple, engagés dans les combats de leur époque, d'autres ont revendiqué leur appartenance à un mouvement littéraire, ou se sont affirmés dans un genre spécifique. Avoir ces connaissances guide l'interprétation de leurs textes.

  • sur les genres littéraires : Étudier un extrait de théâtre, comme nous venons de le faire, ne fait pas appel aux mêmes connaissances que celles nécessaires pour l'étude d'un passage de roman. Certaines peuvent, certes, se recouper, tel le portrait d'un personnage ou la présence d'un discours rapporté, mais d'autres sont spécifiques au genre : un essai, par exemple, nécessite d'interpréter une thèse, d'identifier la présence - ou l'absence - d'adversaires, de mesurer la valeur des arguments, d'interpréter le choix d'un exemple... De même, pour dénoncer, le ton ne sera pas le même dans une comédie, une fable, un essai ou un pamphlet.

  • sur le registre littéraire : Les intentions d'un écrivain sont souvent à relier au registre choisi. Le comique, par exemple, s'il peut parfois être seulement un moyen de divertissement, est souvent mis au service de la satire. L'amplification du lexique peut se limiter à provoquer l'émotion du lecteur dans le registre tragique ; mais, souvent, elle est aussi un moyen pour l'auteur d'exprimer son indignation dans le registre polémique.

À partir des repérages sur l'extrait d'Iphigénie

Reprenons les repérages effectués (cf. ci-dessus) sur l'extrait d'Iphigénie. Que pouvons-nous en déduire sur les intentions de Racine ?

- Le choix du thème correspond bien à la formation janséniste de Racine. À Port-Royal, en effet, les élèves apprenaient l'histoire et la mythologie grecques : or, la cruauté des dieux grecs, leur volonté de rabaisser l'orgueil démesuré des mortels - que souligne ici Agamemnon - ont des points communs avec la sévérité du Dieu janséniste, tout-puissant et seul capable de décider de la "grâce" accordée aux croyants. Même si Racine, en décidant d'écrire pour le théâtre, a rompu avec ses maîtres jansénistes, qui rejettent ce divertissement profane, son héros, Agamemnon, illustre l'image que les jansénistes donnent de l'homme, incapable de résister à ses passions qui le mènent à sa  perte. C'est bien en raison de son propre désir de gloire, de son orgueil de chef de l'armée grecque - même s'il accuse Ulysse de l'avoir influencé - qu'Agamemnon choisit d'obéir à l'oracle.

- Cet extrait de la scène d'exposition répond aussi aux exigences du classicisme. Comme la pièce ne doit durer que 24 heures, selon la règle de l'unité de temps, elle doit commencer au moment où la crise atteint son point d'apogée. Il est donc nécessaire de donner au lecteur les informations nécessaires sur les événements antérieurs et sur les personnages, premier rôle de la tirade d'Agamemnon. En même temps, il convient de "plaire", d'où la mise en oeuvre des ressources de la versification qui font ressortir les sentiments contradictoires éprouvés par le roi.

- Enfin, ce passage est représentatif de la tragédie racinienne, cet auteur respectant parfaitement la définition de ce genre littéraire posée par Aristote, notamment pour l'image du héros, déchiré par un dilemme qui provoque, chez le lecteur, à la fois la terreur - les dieux lui imposent de sacrifier sa propre fille, et il avoue qu'il est prêt à le faire ! - et la pitié car nous mesurons sa douleur et tremblons pour la jeune fille innocente. Nous reconnaissons également les procédés d'écriture propres au registre tragique, par exemple le lexique hyperbolique, le recours à des inversions rythmiques ou à des images pour mettre en valeur les mots essentiels.

Pour s'exercer :

EXERCICE 1. Reprendre le corrigé proposé (ci-contre) pour la lecture active des extraits du Cid de Corneille et de Micromégas de Voltaire pour en dégager une interprétation des intentions de ces deux auteurs.

EXERCICE 2. Observer les repérages et lire les éléments d'analyse proposés sur l'extrait des Misérables de Victor Hugo, pour en proposer une interprétation.

     Un des personnages des Misérables est Fantine, mère de la petite Cosette, qu'elle a dû laisser en pension chez les Thénardier pour pouvoir travailler. Mais les dettes s'accumulent, elle a déjà vendu ses cheveux et ses dents...

 

Elle n’avait plus de lit, il lui restait une loque qu’elle appelait sa couverture, un matelas à terre et une chaise dépaillée. Le petit rosier qu’elle avait s’était desséché dans un coin, oublié. Dans l’autre coin, il y avait un pot à beurre à mettre l’eau, qui gelait l’hiver, et où les différents niveaux restaient longtemps marqués par des cercles de glace. // Elle avait perdu la honte, elle perdit la coquetterie. Dernier signe. Elle sortait avec des bonnets sales. Soit faute de temps, soit indifférence, elle ne raccommodait plus son linge. À mesure que les talons s’usaient, elle tirait ses bas dans ses souliers. Cela se voyait à certains plis perpendiculaires. Elle rapiéçait son corset, vieux et usé, avec des morceaux de calicot[1] qui se déchiraient au moindre mouvement.  // Les gens auxquels elle devait, lui faisaient « des scènes Â», et ne lui laissaient aucun repos. Elle les trouvait dans la rue, elle les retrouvait dans son escalier. Elle passait ses nuits à pleurer et à songer. // Elle avait les yeux très brillants, et elle sentait une douleur fixe dans l’épaule, vers le haut de l’omoplate gauche. Elle toussait beaucoup. […] Elle cousait dix-sept heures par jour ; mais un entrepreneur du travail des prisons, qui faisait travailler les prisonnières au rabais, fit tout à coup baisser les prix, ce qui réduisit la journée des ouvrières libres à neuf sous. Dix-sept heures de travail, et neuf sous par jour ! […]

Cent francs, songea Fantine ! Mais où y a-t-il un état[2] à gagner cent sous par jour ? Allons ! dit-elle, vendons le reste.

L’infortunée se fit fille publique

 

[1] Coton grossier.

[2] Une profession.

Victor Hugo, Les Misérables, 1ère Partie, Livre V, chapitre X, 1862.

1.  L'énonciation

  • Le narrateur (en vert) : omniscient et témoin ("Cela se voyait"), il sait tout de son personnage, de son mode de vie et de ses sentiments, malgré une hésitation dans son explication : "soit... soit". Mais il n'est pas neutre: phrase nominale exclamative, et lexique modalisant dans la dernière phrase. Il plaint l'héroïne.

  • les discours rapportés (en gris) : Fantine, avec les modalités expressives et la phrase nominale, exprime son désespoir, et rapporte aussi, par le terme familier, mis en valeur par les guillemets, le comportement sans pitié des créanciers.

2. L'actualisation

  • spatiale : la description du logement, avec la négation initiale, soulignée, et le lexique péjoratif, le parallélisme des lieux (en bleu : "trouvait... retrouvait") qui la montrent harcelée par ses créanciers auxquels elle "devait" de l'argent.

  • temporelle (en rose) : insistance sur la durée ("s'était desséché"), sur la saison froide ("l'hiver", "longtemps marqué par des cercles de glace"), sur la durée, avec l'imparfait, sur le temps de travail : répétition de "dix-sept" et phrase nominale exclamative qui l'amplifie à la fin du 1er paragraphe.

3. Portrait de l'héroïne

  • portrait physique (en marron) : faiblesse, maladie (tuberculose), vêtements introduits par la phrase nominale ("Dernier signe"), négation (soulignée) et lexique péjoratif, répété ("s'usaient", "usé"), mis en valeur par le rythme : "vieux et usé" entre virgules.

  • portrait social : sa misère car la couture ne lui permet pas de gagner sa vie. Elle décide de se prostituer : "fille publique".

  • portrait psychologique : "pleurer et songer".

  • portrait moral : parallélisme (en bleu) qui souligne l'absence de "honte", et de "coquetterie", forme de déchéance de sa féminité.

L'explication de texte
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L'explication de texte est une activité courante dans la classe. Elle peut être linéaire, c'est-à-dire suivre l'ordre du texte, ou thématique, c'est-à-dire organisée autour des 2-3 centres d'intérêt du texte. Ces deux modalités d'analyse ont leur intérêt spécifique : la première permet de restituer le mouvement initial de la lecture, quand la compréhension du texte se forge au fur et à mesure de sa découverte ; la seconde, en reconstruisant a posteriori l'approche du texte, est une utile préparation à l'épreuve écrite du commentaire. Leur choix dépend aussi du texte lui-même, de sa structure, plus ou moins marquée, mais aussi de sa longueur. L'élève doit être initié aux deux pratiques. 

Cependant, le nouveau programme du lycée pose l'exigence, pour l'épreuve orale du baccalauréat, en classe de 1ère, d'une explication linéaire, sur un texte court (d'une vingtaine de lignes), qu'il forme un tout ou soit extrait d'un texte plus long. 

On lira avec profit les indications données, sur le site officiel "éduscol", sur la démarche à adopter pour préparer à cette épreuve orale et sur son déroulement. 

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Pour lire la présentation sur le site "éduscol" : cliquer sur l'image.
... et pour découvrir un exemple précis : "L"isolement" de Lamartine : cliquer sur la loupe.
Vous cherchez l'analyse détaillée d'un texte littéraire, mon site "aimer-la-littérature", à découvrir : cliquer sur l'image.
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