Le "siècle des Lumières" : la marche vers la liberté
La société du XVIII° siècle
Le contraste s'accentue entre les privilégiés, qui, à Versailles mais, de plus en plus, dans la capitale, Paris, vivent dans le luxe et la misère du tiers-état, dans les campagnes, écrasé par les impôts. Les revendications, insatisfaites, conduisent à la révolution de 1789.
A. Lemonnier, Lecture de la tragédie de L'Orphelin de la Chine de Voltaire dans le salon de Madame Geoffrin, 1814. Huile sur toile, 129 x 196. Musée national du Château de Malmaison, Rueil-Malmaison.
J. Vernet, Vue du port de Bordeaux, 1758. Huile sur toile, 263 x 165. Musée de la marine, Paris.
"Taille, impôts, corvées", 1789. Gravure anonyme..Musée Carnavalet, Paris.
Une société prospère...
Au XVIII° siècle, sous la Régence comme sous Louis XV, la noblesse héréditaire reste au sommet de la hiérarchie sociale, mais elle se coupe de plus en plus des réalités de la société. A Versailles, les courtisans vivent dans une sorte de "bulle", dans l'inconscience de la situation réelle du pays, au milieu des plaisirs et des divertissements. En province, les nobles tentent de préserver à tout prix leurs privilèges, en freinant tous les essais de réforme. Mais le pouvoir et la réelle influence appartiennent, en fait, à une nouvelle noblesse, composée de parvenus enrichis, par le commerce, parfois par la spéculation, qui ont pu s'acheter une charge et un titre, et à une riche bourgeoisie, plus cultivée souvent, et plus libérale.
Cela explique que Paris remplace peu à peu Versailles. Certains quartiers, comme le Palais Royal, les Tuileries, les Boulevards, sont embellis, et de superbes hôtels particuliers sont construits. Les théâtres, Opéra, Théâtre des Italiens, Théâtre Français, sont animés, les clubs, les cafés se multiplient. On vient de l'Europe entière admirer l'urbanisme parisien et la vie élégante qu'y mènent les plus fortunés. Les salons, eux aussi, témoignent de ce siècle, où s'échangent, entre artistes, philosophes, savants, financiers, les idées les plus audacieuses. On s'y montre souvent fort critique des pouvoirs institutionnels, et les livres interdits y circulent.
Pendant la première moitié du siècle, la province aussi se développe grâce au commerce encouragé par Fleury : certaines régions prospèrent, notamment autour des grands ports, Bordeaux, Nantes, Brest, qui s'enrichissent par le commerce triangulaire, la Traite des Noirs. On construit alors des routes, l'argent circule et cela favorise aussi l'essor de l'artisanat.
Décor intérieur de style rocaille pour l'hôtel de Soubise à Paris. architecte Boffrand, 1709-1720.
J.-F. de Troy, Déjeuner d'huîtres au château de Chantilly, 1735. Huile sur toile, 180 x 126. Musée Condé, Chantilly.
L. N. de Lespinasse, Jardin du Palais Royal, fin du XVIII° siècle, dessin, Musée du Louvre, Paris.
La salle du Théâtre-Français au XVIII° siècle.
... mais de nombreuses injustices.
Cependant, les écrits des philosophes des Lumières mettent en évidence des injustices qui pèsent lourd sur le peuple.
Abus judiciaires d'abord : la police est sévère et brutale, les révoltes et émeutes sont réprimées dans le sang. La torture n'est vraiment abolie qu'en 1788, la déportation est de mise pour les "filles" publiques, et les châtiments publics subsistent, dont celui du régicide Damiens donne un exemple particulièrement cruel. Cette même cruauté accable aussi les esclaves, dont les conditions de vie sont terribles. Elles commencent à être dénoncées, mais il faut attendre la fondation de la "Société des Amis des Noirs", en 1788, pour qu'une véritable lutte contre l'esclavage se concrétise.
Enfin, les pires injustices viennent de la fiscalité, qu'aucun ministre n'a réussi à corriger : elles deviennent insupportables dans les campagnes avec les mauvaises récoltes sous le règne de Louis XVI. Le nombre de mendiants s'accroît, et, de ce fait, la criminalité. De nombreux témoignages nous restent, et tout particulièrement les "Cahiers de Doléances" rédigés pour la réunion des Etats Généraux de 1789.
Un exemple, le "Cahier de doléances" du Tiers Etat de Cérilly (Allier) : cliquer sur l'image.
22 décembre 1751
De ma campagne, à dix lieues de Paris, je retrouve le spectacle de la misère et les plaintes continuelles bien redoublées. Dans les bourgs où je me suis arrêté sur la route et dans le village voisin de ma maison, on crie avec raison sur la cherté du pain, qui est excessive ; les pauvres gens n'en peuvent plus manger pour leur nourriture. Mon curé m'a dit que huit familles qui vivaient de leur travail avant mon départ mendiaient aujourd'hui leur pain. On ne trouve point à travailler, les gens riches se retranchent à proportion comme les pauvres. Avec cela, ô comble d'horreur ! on lève la taille avec une rigueur plus que militaire : les collecteurs avec les huissiers des receveurs des tailles, suivis de serruriers, ouvrent les portes, enlèvent les meubles et vendent tout pour le quart de ce qu'il vaut, et les frais surpassent la taille.
Le Marquis d'Argenson, Journal et Mémoires
10 juin 1787
Traversé Payrac et vu beaucoup de mendiants, ce qui ne nous était pas encore arrivé. Dans tout le pays, les filles et les femmes de paysans ne portent ni chaussures, ni bas ; les laboureurs, à leur travail, n'ont ni sabots, ni chaussettes. C'est une misère qui frappe à sa racine la prospérité nationale, une large consommation des pauvres ayant bien plus de conséquence que celle des riches.
30 juin 1789
Il me donna un aperçu effrayant de la misère du peuple : des familles entières, dans la plus complète détresse ; ceux qui travaillent n'ont qu'un salaire insuffisant pour se nourrir et beaucoup ont bien de la peine à en trouver du tout. [...] Le peuple se dispute avec les boulangers, prétendant que les prix qu'ils demandent pour le pain sont hors de proportion avec ceux du blé ; des injures on passe aux coups ; c'est l'émeute, et l'on se sauve avec du pain et du blé sans rien payer.
Young, Voyages en France, 1787-1788-1789
Une remarquable exposition sur la traite négrière au port de La Rochelle : cliquer sur l'image.
Sciences et techniques
Ce siècle, avec les recherches expérimentales, réalise d'importants progrès dans les sciences, celles de la nature, mais aussi la chimie, l'électricité, la médecine..., qui transforment la vie quotidienne.
"Le tarsier" in Collection des animaux quadrupèdes de Buffon, 1790. Estampe du XVIII° siècle. BnF.
Le laboratoire Lavoisier, Musée des Arts et Métiers, Paris.
N.-A. Monsiau, Louis XVI donnant ses instructions au capitaine de vaisseau La Pérouse pour son voyage d'exploration autour du monde, le 26 juin 1785 à Versailles, 1817. Huile sur toile, 172 x 227. Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
De nouvelles sciences
Les progrès scientifiques poursuivent leur avancée au XVIII° siècle : la recherche expérimentale complète la réflexion théorique. Ainsi, des sciences nouvelles naissent, par exemple la science juridique et politique, avec L'Esprit des lois de Montesquieu, l'Histoire avec les écrits de Voltaire, ou la psychologie avec les traités de Condillac sur le sensualisme. Enfin, les théories économiques s'affrontent. Turgot tente de mettre en application la doctrine des physiocrates : il libère le commerce des grains, abolit les frontières entre les provinces pour le favoriser, et réforme les corporations professionnelles, tout en cherchant à diminuer les dépenses publiques. Il échoue dans ses réformes, mais elles révèlent une réflexion nouvelle sur l'économie politique.
De nouvelles sciences
Parallèlement, les sciences déjà connues continuent à progresser, à commencer par celles abstraites, avec l'analyse mathématique de D'Alembert, les travaux de Lagrange et Monge en géométrie, et de Laplace en algèbre. De même, les sciences expérimentales poursuivent leurs découvertes : celles de Coulomb en électricité, et celles de Lavoisier qui fonde la chimie moderne, par exemple en découvrant le rôle de l'oxygène dans la respiration. La médecine, quant à elle, s'améliore grâce aux progrès de l'anatomie et de la physiologie dus à Bichat, Broussais, Bordeu et Réaumur.
Mais ce sont surtout les sciences de la nature qui connaissent le plus grand essor : Linné précise la notion d'espèce en biologie, Lamarck pose les principes du transformisme. Ces premiers travaux s'associent aux recherches actives menées par l'Académie des Sciences, et aux apports des nombreux voyages d'exploration, par exemple ceux de La Pérouse et de Bougainville.
Buffon
Le plus représentatif dans ce domaine est Buffon (1707-1788), nommé en 1739, après sa publication d'ouvrages de mathématiques et de physique, intendant du jardin et du cabinet du roi. A partir de 1744, il se consacre à son immense Histoire naturelle en 36 volumes, dans laquelle il pose les étapes de l'évolution du globe terrestre, en sept étapes, puis l'apparition de l'homme, lui aussi à travers une lente évolution.
Les inventions techniques
Les conséquences de ces progrès scientifiques sont de multiples inventions, par exemple en mécanique, avec les automates de Vaucanson, le "chariot de feu" de Cugnot, ou la "montgolfière". Ces progrès sont particulièrement flagrants dans la marine : les longitudes peuvent être calculées grâce aux acquis de l'astronomie, et une cartographie plus précise améliore la navigation. Enfin c'est la vie quotidienne elle-même qui bénéficie de ces progrès, avec un confort accrû, un urbanisme enrichi et des transports perfectionnés.
Les arts
Si la première moitié du siècle recherche une exubérance luxueuse, le goût devient ensuite plus sobre. La recherche de l'élégance s'unit à une nouvelle sensibilité, qui se rapproche du naturel et de la nature.
La place Stanislas à Nancy, 1751-1755. Architecte : Héré - Grille de fer forgé de Lamour.
Le Hameau de la Reine, dans son parc à l'anglaise, 1783-1787. Architecte : Mique.
Le Petit Trianon, 1762-1769. Architecte : Gabriel ; sculpteur : Guibert.
L'architecture : extérieurs et intérieurs
L'essor urbain stimule l'architecture. A Paris, des quartiers entiers sont construits, avec de magnifiques hôtels particuliers : les faubourgs Saint-Germain et Saint-Honoré, le Marais. Les façades s'humanisent : les lignes courbes remplacent les droites, elles se couvrent de sculptures ornementales, les formes des fenêtres et des lucarnes se diversifient. La place Stanislas, à Nancy, créée par Héré (cf. image supra), donne un exemple de cette tendance nouvelle, avec son plan imprévu et sa décoration de fer forgé doré, imaginée par Jean Lamour. Cette volonté de privilégier le décor donne naissance au style dit "rocaille", qui rejette toute symétrie, ainsi nommé parce qu'il emprunte ses motifs à la nature, géologie et botanique. L'ensemble, y compris la décoration intérieure et le mobilier, recherche l'élégance et le raffinement, en mariant les couleurs pastels au brillant des dorures. Même la mode vestimentaire va suivre cette tendance qui, poussée jusqu'à l'exagération, devient le style "rococo".
Au milieu du siècle, la tendance s'inverse. En réaction contre cette exubérance et ces fioritures, renouveau du baroque, le goût du public revient à une forme de classicisme. Des architectes comme Ledoux et Victor Louis, pour le Grand Théâtre de Bordeaux, en 1780, ou pour les Galeries du Palais Royal, illustrent ce retour au monumental et à une rigoureuse symétrie, plus sobre donc. La décoration intérieure suit ce mouvement, qui triomphe sous Louis XVI, avec des emprunts aux formes géométriques grecques, romaines, étrusques...
Enfin, à côté des hôtels particuliers, les riches privilégiés se font construire de petits pavillons, des "folies", dissimulés dans des parcs dits "à l'anglaise", savamment organisés pour imiter la nature sauvage que Rousseau a mise à la mode : celui du Comte d'Artois, à Bagatelle, créé en 1777-1778, en donne un exemple. Le "Hameau de la Reine" Marie-Antoinette, à Versailles (cf. image supra), imite même l'aspect rustique d'un village normand, avec ses toits de chaume, son moulin à eau... et ses fermes.
Du décor "rocaille" (Louis XV) au néo-classique (Louis XVI) : observer pour comparer.
Le Cabinet Doré de Marie-Antoinette à Versailles.
Le Bureau de Louis XV à Versailles.
La sculpture
Les sculptures monumentales ne disparaissent pas au XVIII° siècle, mais un goût bien différent triomphe dans ce domaine aussi.
D'une part, en écho à l'individualisme naissant, la sculpture se fait portrait : les bustes deviennent une mode. Le maître en la matière est Jean-Antoine Houdon (1741-1828), qui a représenté toute la société de son temps, des plus connus, écrivains, artistes, princes, financiers et grandes dames..., aux plus modestes, amis et membres de sa famille (cf. image ci-contre). Sa reprise fidèle des détails anatomiques réussit parfaitement à faire ressortir la personnalité, voire l'émotion, du modèle.
J.-A. Houdon, Buste de la femme de l'artiste, 1770. Marbre. Musée du Louvre.
La Fée Urgèle, 1767. Biscuit de la Manufacture de Sèvres.
Clodion, Nymphe et Satyre, 1780-90. Terre cuite, 59,1. Metropolitan Museum, New York.
D'autre part, pour décorer les nouveaux intérieurs, plus intimistes, sont appréciés de petites sculptures, groupes ou sujets mythologiques, de terre cuite ou de biscuit. Ainsi Clodion (1738-1814), avec ses statuettes de nymphes ou de bacchantes (cf. image ci-dessus), décore les "folies" de scènes galantes, parfois osées. De même la valeur d'Etienne Falconet (1716-1791) lui vaut son poste de directeur de la Manufacture royale de Sèvres, de 1757 à 1766, où il inaugure des statuettes élégantes et raffinées en biscuit (cf. image ci-dessus), sorte de porcelaine sans glaçure et unie, qui prend l'apparence du marbre.
La musique
L'évolution de l'opéra
Avec l'enrichissement des privilégiés, les concerts et les orchestres privés se multiplient. Aux instruments à cordes s'ajoutent ceux à vent, flûte, basson, cor, hautbois et clarinette, révélés par la musique de chambre allemande. Trois genres se partagent les compositions. La forme de la sonate se fixe sous l'influence italienne : une introduction lente, suivie de trois mouvements, vif, lent, vif. Le concerto, opposant l'instrument soliste à l'orchestre, est apprécié car il permet aux virtuoses de briller, comme dans ceux du violoniste Jean-Marie Leclair (1697-1764), à l'expression lyrique passionnée. Enfin, l'époque fait naître une première ébauche de la symphonie.
J.-P. Rameau, Les Indes galantes. Rondeau interprété en version concert par "Les Musiciens du Louvre", direction de M. Minkowski.
A. Grétry, Zémire et Azor, interprété à l'Opéra royal de Wallonie, direction de G. van Waas, 2014.
C. von Gluck, Orphée et Eurydice. Ouverture interprétée par l'Ensemble et le Choeur Baroques de Toulouse, direction Brun.
Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure, ni harmonie dans la musique française, parce que la langue n'en est pas susceptible ; que le chant français n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue ; que l'harmonie en est brute, sans expression et sentant uniquement son remplissage d'écolier ; que les airs français ne sont point des airs ; que le récitatif français n'est point du récitatif. D'où je conclus que les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir ou que, si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux.
Rousseau, Lettre sur la musique française, 1753
Il faudrait donc que la musique la plus harmonieuse fût en même temps la plus touchante. Mais le public a assez appris le contraire. Considérons les Italiens, nos contemporains, dont la musique est la meilleure, ou plutôt la seule bonne, de l'univers, au jugement unanime de tous les peuples, excepté les Français qui lui préfèrent la leur. Voyez quelle sobriété dans les accords, quel choix dans l'harmonie ! Ces gens-là ne s'avisent pas de mesurer au nombre des parties l'estime qu'ils font d'une musique ; proprement leurs opéras ne sont que des duos et toute l'Europe les admire et les imite. [...]
Il n'est pas nécessaire d'être connaisseur pour goûter du plaisir lorsqu'on entend de la bonne musique, il suffit d'être sensible ; la connaissance et l'amour, ou le goût qui les suivent de près, peuvent augmenter ce plaisir mais ne le font pas tout : dans bien des cas, au contraire, ils le diminuent ; l'art nuit à la nature.
Diderot, Encyclopédie, XXII, article "Musique"
Mais la grande nouveauté du XVIII° siècle est la place prise par l'opéra. Alors qu'auparavant l'essentiel était le "livret", donc l'action et la dimension visuelle, Jean-Philippe Rameau (1683-1764), veut accorder un rôle primordial à la musique. Pour cela, il réclame que les airs s'appuient sur une véritable science de l'harmonie. C'est ce qui fait l'originalité de ses opéras, sérieux comme Hippolyte et Aricie (1733), opéras-comiques, comme La Princesse de Navarre (1745) ou opéras-ballets, telles Les Indes galantes (1735). Mais un conflit, appelé la "Querelle des Bouffons", provoque des débats enflammés de 1752 à 1754 entre ses partisans et ceux qui défendent l'opéra à l'talienne, c'est-à-dire une musique plus passionnée, propre à exprimer l'exaltation des âmes. C'est ce genre d'opéra que souhaite, par exemple Diderot (cf. extrait ci-contre), ou dont Rousseau fait l'éloge, en 1753, dans sa Lettre sur la musique française (cf. extrait ci-contre). Les opéras-comiques d'André Grétry (1741-1813) répondent à cette volonté d'insérer la passion italienne dans l'opéra français.
La musique se plie, en fait, à évolution des goûts du public qui lui demande de l'émotion. Il lui faut, dans l'opéra, une musique plus simple, qui, à côté du chant, laisse une place à la parole pour soutenir les rebondissements d'intrigues vécues par des personnages ordinaires. Finalement un "drame bourgeois", mais mis en musique. C'est ce qui explique le succès de l'Opéra-Comique, auquel une nouvelle salle est consacrée, en 1781, sous la direction de Favart. L'allemand Christopher von Gluck (1714-1787), qui séjourne à Paris de 1774 à 1779, contribue lui aussi à cette "réforme" de l'opéra visant à lui donner plus de force dramatique et plus de naturel.
J.-H. Fragonard, Les Hasards de l'escarpolette ,
entre 1767-1769. Huile sur toile, 81 x 64.
Wallace Collection, Londres.
C. J. Vernet, Paysage avec personnages et chute d'eau ,
1768. Huile sur toile, 176,2 x 135,2.
Walters Art Museum, Baltimore, Etats-Unis.
J.-B. Chardin, La Ratisseuse de navets,
1738. Huile sur toile, 46,2 x 37,5.
National Gallery of Art, Washington, Etats-Unis.
La peinture
Comme les autres arts, la peinture connaît une importante évolution, d'abord due à celle du public : on porte un intérêt accru aux questions esthétiques, et Diderot, avec ses Salons, nous offre un premier témoignage d'une véritable critique d'art. La subjectivité triomphe en se donnant le droit de discuter de l'oeuvre d'art, de la juger. La couleur prend une importance nouvelle aux dépens de l'exactitude réaliste, l'essentiel étant l'harmonie d'ensemble et l'effet produit sur le spectateur. Apparaît ainsi ce que l'on peut appeler "l'amateur d'art", éclairé, avec deux corollaires, la naissance d'un commerce de l'art, et l'ouverture de musées. Les artistes se libèrent des dogmes académiques, dans le désir aussi de plaire à ce public qui veut que l'art devienne l'expression de la sensibilité. Trois grandes tendances se distinguent alors.
Les "fêtes galantes"
Pendant la première moitié du siècle, la peinture reflète le goût des plaisirs et des divertissements d'une société frivole. Ainsi se multiplient les "fêtes galantes", scènes de bal, de mascarades, de séduction dans les bosquets des parcs à l'anglaise. Antoine Watteau (1684-1721) est le peintre emblématique de cette époque, avec ses personnages qui se dissimulent en s'amusant, que l'on voit souvent de dos, dans une atmosphère de poésie empreinte de flou, comme pour souligner ce que ce monde comporte d'illusions. De même la peinture de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) représente un univers baigné dans des couleurs pastels, où tout est réuni pour chanter les séductions promises par l'amour. Enfin, de nombreux tableaux de François Boucher (1703-1770) illustrent ces scènes galantes, de la coquetterie des parties champêtres jusqu'à ces femmes dénudées qui semblent s'offrir à l'amour.
A. Watteau, Fête galante avec joueur de guitare et sculpture d'enfants jouant avec une chèvre, vers 1717-1719. Huile sur toile, 115 x 167. Staattliche Museen zu Berlin, Allemagne.
F. Boucher, Les Charmes de la vie champêtre, vers 1735-1740.
Huile sur toile, 100 x 146.
Musée du Louvre, Paris.
Le portrait
Certes, le portrait d'apparat, posé, subsiste, mais, de plus en plus, les portraitistes cherchent davantage à donner une image intimiste de leur modèle, à faire ressortir sa psychologie, en montrant un moment de vie. C'est aussi ce qui explique la mode croissante du portrait du seul visage, qui met en valeur l'expression de la sensibilité. Les pastels de Maurice Quentin de La Tour (1704-1788), qui affirme vouloir "descendre au fond" de ses modèles, témoignent tout particulièrement de cette double exigence : il saisit l'intensité des regards et les jeux d'expression. Le portrait répond aussi à la mode de l'exotisme, avec des modèles travestis en persans, ou des serviteurs noirs, par exemple chez Carle van Loo (1705-1765).
Mais Jean Siméon Chardin (1699-1779) est le plus novateur dans cette volonté intimiste, déjà par le choix de ses sujets. S'il commence par des natures mortes, déjà originales par sa façon de les mettre en scène dans un cadre familier, à partir de 1733 il prend ses modèles parmi des gens simples et humbles, qu'il peint dans leurs occupations quotidiennes les plus ordinaires.
Allant plus loin, à la fin du siècle, en écho au drame bourgeois et conformément aux exigences de Diderot, "fais de la morale en peinture", le portrait s'inscrit dans une scène de genre moralisatrice, notamment chez Jean-Baptiste Greuze (1725-1805)
M. Quentin de La Tour, Le jeune buveur espagnol, XVIII° s. Pastel sur papier brun, 32 x 40. Musée Antoine-Lécuyer, Saint-Quentin.
C. van Loo, Sultane prenant le café que lui présente une négresse, 1747. Huile sur toile, 132 x 162. Musée des Arts décoratifs, Paris.
J.-B. Greuze, La Piété filiale, 1761.
Huile sur toile, 115 x 146.
Musée de l'Ermitage, Saint-Péterbourg.
Le paysage
Jusque dans la seconde partie du XVIII° siècle, le paysage n'a qu'un rôle secondaire dans le tableau : il sert de cadre aux personnages, qu'il s'agisse d'une scène mythologique ou d'une "fête galante". Mais avec le développement des voyages, avec le goût croissant pour la nature, la découverte de la montagne ou de la campagne, le paysage commence à avoir une existence autonome. Joseph Vernet (1714-1789), est, en France, l'initiateur de ce changement. Il découvre, à l'occasion d'un voyage en Italie, la mer, et inaugure, avec ses "vues de port", les marines. Il peint aussi les escarpements des paysages italiens, et des "tempêtes". Ses tableaux cherchent à la fois à représenter une nature plus authentique, sa luminosité, sa force, ses mouvements, et à mettre en valeur les sentiments qu'elle suscite : c'est ce que Diderot admire en lui, les émotions qu'il fait naître. Les tableaux de Louis-Gabriel Moreau "l'aîné" (1740-1806), gouache ou aquarelle, sont plus apaisés. Ils donnent une impression de sérénité, avec une touche de mélancolie. Comme Rousseau dans la littérature, ces peintres sont des pré-romantiques.
J. Vernet, Les quatre parties du jour : le midi ou la tempête, 1762. Huile sur toile, 85 x 138.
Musée National des châteaux de Versailles et de Trianon.
L.-G. Moreau l'Aîné, Paysage à la tour carrée, XVIII° siècle. Gouache, 19,5 x 26,7.
Galerie Tarrades, Paris.
S'il suscite une tempête, vous entendez siffler les vents et mugir les flots ; vous les voyez s'élever contre les rochers et les blanchir de leur écume. Les matelots crient ; les flancs du bâtiment s'entrouvrent, les uns se précipitent dans les autres, les autres, moribonds, sont étendus sur le rivage. [...]
C'est Vernet qui sait rassembler les orages, ouvrir les cataractes du ciel et inonder la terre ; c'est lui qui sait aussi, quand il lui plaît, dissiper la tempête et rendre le calme à la mer, la sérénité aux cieux. Alos toute la nature, sortant comme du chaos, s'éclaire d'une manière enchanteresse et reprend tous ses charmes.
Diderot, Salon de 1763