Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour, 1834 : parcours pédagogique
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d'ensemble
Une introduction pose la biographie de Musset, puis le contexte culturel, le romantisme à partir de documents complémentaires et d’un exposé rappelant aussi l’héritage antique et mettant ensuite l’accent sur le genre romantique particulier, le drame. Elle est suivie d’une présentation de la pièce, qui conduit à une analyse de la problématique retenue. L’observation de sa structure justifie le choix de six extraits supports d'une explication détaillée, associés à des lectures complémentaires qui les précèdent ou les prolongent en leur faisant écho. Trois études d’ensemble permettent d’approfondir des aspects essentiels, l’image des personnages "grotesques", qui conduit à élaborer une fiche de synthèse sur « le comique », le portrait du héros, Perdican, et le thème de l’amour, ce qui amène aussi à comparer aussi les deux héroïnes, Camille et Rosette.
À partir de ces études, des extraits de vidéo conduisent à analyser les composantes de la mise en scène, acquis mis en pratique à travers une mise en jeu à réaliser. Des activités sont proposées, tant à l’oral, avec la présentation de recherches, qu’à l’écrit : un écrit d’appropriation sur le monologue et un sujet de dissertation littéraire.
Introduction
Musset dans son temps
Pour se reporter à la biographie
Pour découvrir la vie de Musset, on se reportera à la présentation de deux dimensions essentielles : ses liens avec le mouvement romantique, dont il fréquente le Cénacle qui en regroupe les artistes partisans, et la place qu’il accorde à l’amour. Ces deux aspects ressortent de l’ensemble de son œuvre, qu’il s’agisse d’un roman comme La Confession d’un enfant du siècle (1836), de ses poèmes ou de ses pièces, telles Les Caprices de Marianne (1833) et On ne badine pas avec l’amour (1834). L’étude biographique s’accompagnera donc d’une approche des caractéristiques du mouvement romantique.
Lectures cursives
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Victor Hugo, préface de Cromwell, 1827
La préface de Cromwell est considérée comme le manifeste fondateur du drame romantique, dont elle met en évidence les exigences principales.
Paragraphes 1 à 3
La première est le refus de « la distinction des genres », établie dans l’antiquité, entre comédie et tragédie, jugée « arbitraire dans la mesure où l’être humain est mû par un « double agent », son corps et son âme. Ainsi, si l’on veut le montrer dans toute sa réalité, ces deux dimensions doivent s’unir : « le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création. » Cela explique la présence dans On ne badine pas avec l’amour de personnages grotesques, tels Blazius, Bridaine, Dame Pluche ou même le Baron, face à des héros en quête d’idéal, comme Perdican, Camille ou la jeune paysanne Rosette.
Paragraphes 4 à 6
Hugo conteste ensuite deux des règles imposées par les théoriciens du théâtre classique, les unités de lieu et de temps.
Il rejette d’abord l’unité de lieu : « Quoi de plus invraisemblable et de plus absurde », que de choisir un lieu unique pour toutes les situations mises en scène. Cela a, en effet, une conséquence : « Au lieu de scènes, nous avons des récits ; au lieu de tableaux, des descriptions. » L’étude des lieux dans On ne badine pas avec l’amour, nous montrera l’alternance de lieux extérieurs et intérieurs, tellement variée que la mise en scène de la pièce en devient complexe. Musset s’est d’ailleurs libéré de cette contrainte en n’envisageant que la lecture de ses pièces, parues dans son « Spectacle dans un fauteuil »
De même, il critique l’unité de temps : « L’action, encadrée de force dans les vingt-quatre heures, est aussi ridicule qu’encadrée dans le vestibule. » Il insiste donc sur la nécessité de laisser les faits se dérouler à un rythme vraisemblable. Ainsi même le drame intime que présente On ne badine pas avec l’amour a besoin de plusieurs jours pour se nouer et s’accomplir.
George Sand, lettre à Musset, 12 mai 1834
Dès son début, cette longue lettre, écrite alors que Musset est revenu à Paris, laissant George Sand à Venise avec son nouvel amant, introduit un thème essentiel : celui du souvenir : « Que mon souvenir n’empoisonne aucune des jouissances de ta vie, mais ne laisse pas ces jouissances détruire et mépriser mon souvenir. »
Mais elle insiste sur la perspective d’un nouvel amour, qu’elle lui souhaite : « Aime donc, mon Alfred, aime pour tout de bon. » Avoir souffert de l’amour ne doit pas, selon elle, empêcher d’aimer à nouveau, mais cela doit, en tout cas, inciter à ne pas faire souffrir l’être qu’on dit aimer, d’où son affirmation : « Il n’y a au monde que l’amour qui soit quelque chose. »
La fin de la lettre amène George Sand à évoquer sa propre existence, apaisée : « Pour la première fois de ma vie j’aime sans passion. » Mais sa nature profonde, prompte à s’émouvoir, ne s’est pas effacée pour autant : « « Mon cœur reste encore et restera toujours sensible et irritable, prêt à saigner abondamment au moindre coup d’épingle. » Elle invite alors Musset à l’imiter, à ne pas avoir peur d'aimer, donc de souffrir, car c'est ce qui donne sens à une vie : « qu’un jour tu puisses regarder en arrière et dire comme moi : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » Cette phrase a marqué Musset au point qu’il l’a placée dans la bouche de Perdican lors de son échange avec Camille.
Histoire littéraire
RECHERCHE : autour du théâtre
Dans le prolongement de la lecture de la Préface de Cromwell, un exposé peut être construit en trois temps.
Le rappel de l’héritage antique du théâtre, un lieu de représentation, en s’attachant à la structure et aux caractéristiques de la comédie. Il est important d’attirer l’attention sur le rôle du chœur, puisque Musset le fait intervenir dans On ne badine pas avec l’amour : lui conserve-t-il son rôle originel ?
Puis, pour comprendre les critiques de Victor Hugo, on réactivera les connaissances sur le théâtre classique et ses règles. Il est important, en effet, de mesurer la façon dont, même s’il reprend la structure traditionnelle de l’action, Musset se libère des contraintes, qu’il s’agisse de la « distinction des genres », des unités de lieu et de temps, et de la règle de respect des « bienséances ». Il serait impensable, au XVIIème siècle, de montrer sur scène la mort, comme celle de Rosette lors du dénouement.
Cela conduit à la présentation du drame romantique, en résumant ses caractéristiques.
ÉCOUTE : « La bataille d’Hernani », présentée par Frédéric Lewino
Après une rapide présentation de Victor Hugo en tant que « chef de file » du mouvement romantique, donc de son refus des règles du théâtre classique, le journaliste qualifie la pièce de « sombre drame » et rappelle comment la représentation a été montée, contre « l’avis des comédiens ». Il raconte alors comment, conscient de la résistance du public, habitué aux œuvres classiques, Hugo et ses amis ont prévu une "claque", c’est-à-dire ont rassemblé tous les jeunes romantiques, chargés de manifester leur appui. Le récit d’Adèle, la fille de Victor Hugo, restitue l’atmosphère de cette première représentation, dans tout son pittoresque. Dès la première réplique, la « désapprobation » des spectateurs « habitués » explose, mais cette lutte n’empêche pas, à la fin, le succès de la pièce et le triomphe de Victor Hugo, malgré une « lutte » jusqu’à la trente-neuvième et dernière représentation.
Jean-Jacques Grandville, « Les Romains échevelés à la 1ère représentation d'Hernani », 1846 ; Estampe in Louis Reybaud, Jérôme Paturot, à la recherche d'une position sociale. Maison de Victor Hugo, Paris Musées
Pour écouter le document
Présentation d'On ne badine pas avec l'amour
Pour lire la pièce
Quatre points sont à approfondir (à partir de l'étude d'ensemble)
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les conditions de la création, en mettant l’accent sur ce que Musset a nommé « Un spectacle dans un fauteuil » ;
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le titre, en observant sa forme négative et ses implications ;
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la structure de la pièce : après lecture de la liste de « personnages », on fera repérer, notamment, les scènes dans lesquelles intervient le chœur, puis celles où figurent maître Blazius, le curé Bridaine et Dame Pluche, enfin les conversations entre les trois protagonistes, Perdican, Camille et Rosette
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le cadre spatio-temporel : en observant les didascalies en tête de chaque scène, on dégagera les différents lieux, en mesurant leur rôle, et la lecture des répliques qui ferment les actes I et II permettra de fixer la durée de l’action.
Mise en place de la problématique
Ces analyses conduisent à mettre en place une problématique pour guider notre parcours : En quoi cette pièce illustre-t-elle le romantisme de Musset ? Cette problématique pose une affirmation non contestée : « le romantisme de Musset » Mais le pronom introducteur de cette question, « En quoi cette pièce illustre-t-elle... » invite à approfondir la réflexion sur la façon dont le « romantisme » se traduit au théâtre, afin de nous interroger sur la pertinence de cette affirmation..
La pièce est sous-titrée « Comédie », mais ne serait-il pas plus exact de la rattacher au drame romantique ? En reprend-elle les exigences, telles que les a formulées Hugo dans sa préface de Cromwell ? Y retrouvons-nous, notamment, l’irrespect des règles classiques, et le mélange du « sublime » et du « grotesque » ?
Le romantisme porte, en son cœur, la notion de "mal du siècle", celui de jeunes gens qui ne se reconnaissent pas dans la société de leur temps, matérialiste, qu’ils rejettent pour privilégier les sentiments, les élans de l’âme. Retrouverons-nous ce conflit, ce rejet, dans la pièce de Musset ?
Parmi les sentiments, l’amour prend une place essentielle, d’ailleurs inscrite dans le titre même de la pièce de Musset. Mais le romantisme donne à l’amour une dimension particulière : il est posé comme un idéal, la fusion de deux "âmes sœurs", mais, parallèlement, il est aussi vécu comme une quête d’absolu impossible, source d’une profonde souffrance. La pièce de Musset propose-t-elle ce double aspect ?
Enfin, par opposition à la rationalité prônée depuis Descartes et mise au premier plan aux XVIIème et XVIIIème siècles, le romantisme naît du courant sensible de Locke et Condillac, qui a modifié aussi l’écriture : la tonalité lyrique a pris une place prépondérante pour exprimer les élans de l’âme, et pas seulement dans la poésie. Est-ce le cas dans cette pièce de Musset. ?
Lectures cursives : de la poésie au roman
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Alfred de Musset, Les Nuits, 1835-1837 : « La nuit d’août »
Les quatre poèmes qui composent Les Nuits sont un dialogue entre le poète souffrant et la Muse qui tente de l’apaiser. Après « La nuit de mai », où il reste enfermé dans sa douleur, incapable de créer, au cours de « La nuit de décembre » il voit apparaître son double, qui témoigne de sa solitude.
Dans « La nuit d’août », la tonalité s’inverse et rejoint la conclusion de la lettre de George Sand, avec l’espoir de vivre de nouvelles amours même s’il faut en souffrir. C’est ce que soulignent la répétition, « J'aime, et je veux pâlir ; j'aime et je veux souffrir », et le chiasme qui encadre les deux quintils : « Ȏ Muse ! que m'importe ou la mort ou la vie ? » et « J'ai fait serment de vivre et de mourir d'amour. » Au cœur du chiasme, la « joie », proclamée, semble l’emporter sur la douleur, et l’amour affirme sa puissance : « Après avoir souffert, il faut souffrir encore ; / Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé. »
Luc Olivier Merson, Les Nuits, couverture de l’édition de 1911
Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836 : partie I, chapitre 3
Cet « enfant du siècle », le personnage d’Octave dans le roman, est une sorte d’incarnation de Musset : il en relate l’existence, en la rattachant aux caractéristiques de son époque.
Premier paragraphe
Cette anecdote le présente dans toute l’exaltation d’un jeune romantique, sa quête d’idéal, « avec toutes les espérances et un cœur débordant » et son goût pour le libertinage, le plaisir qu’il attend par avance de sa maîtresse.
Paragraphes 2 et 3
Intervient alors la péripétie, bien banale, la chute d’une fourchette qui lui fait découvrir la trahison de sa maîtresse : « J’aperçus alors sous la table le pied de ma maîtresse qui était posé sur celui d’un jeune homme assis à côté d’elle ». Trahison d’autant plus terrible qu’elle est parfaitement dissimulée : « je ne vis ni dans leurs gestes, ni sur leurs visages rien qui pût les trahir. »
Paragraphes 4 et 5
La comparaison traduit son total bouleversement : « je demeurais comme étourdi d’un coup de massue ». Mais, au-delà de cette infidélité, c’est le monde même qui lui semble s’effondrer : « voyant une étoile filer, je saluai cette apparence fugitive, où les poètes voient un monde détruit, et lui ôtai gravement mon chapeau. » ». Si son premier geste illustre une forme de désinvolture, la fin souligne la violence suscitée par la jalousie : « les esprits de la vengeance me saisirent avec une telle force, que je me redressai tout à coup contre la muraille, comme si tous les muscles de mon corps fussent devenus de bois. »
Cette scène lui a donc fait perdre son innocence ; autour de lui, toute transparence est perdue. Il a ainsi découvert la profondeur de l’amour et la souffrance qu’il peut susciter, violente et irrésistible : « Ce fut le premier accès de colère que j’éprouvai. »
Explication : acte I, scène 1
Pour lire la scène
Cette première scène d’On ne badine pas avec l’amour, pièce de Musset parue en 1834, dite d’exposition, est traditionnellement destinée à informer le lecteur en lui donnant les éléments nécessaires à sa compréhension de l’intrigue. Mais elle doit aussi lui donner envie de découvrir la suite, le séduire avant même que ne débute l’action. En quoi cette scène d'exposition joue-t-elle ce double rôle de façon originale ?
Pour répondre à cette problématique, nous suivrons sa construction, en doublon, puisque la présentation faite par le chœur met en parallèle les deux personnages. Leur succession, Blazius sortant quand entre Dame Pluche, conduit déjà à un premier constat : Musset ne respecte pas la règle classique, chaque scène devant correspondre à une entrée ou sortie de personnage. Une même scène peut donc être formée de plusieurs "tableaux", comme celle-ci.
1ère partie : L’arrivée de Maître Blazius, du début à la ligne 29
Le chœur
Musset retrouve ici une tradition du théâtre antique : un chœur, dirigé par un coryphée, intervenait dans l’intrigue, comme ici où, tel un maître de cérémonie, il présente les personnages, qui, eux-mêmes, en présentent d'autres.
Le cadre spatio-temporel
Musset, dans la liste des personnages a mentionné sa composition, « paysans, valets, etc. », d’où le cadre de cette scène précisé dans la didascalie initiale : « Une place devant le château ». Ces personnages ne peuvent se tenir qu’à l’extérieur, et s’inscrivent dans le contexte social de ce début du XIXème siècle : l’aristocratie. La première réplique donne aussi une indication sur le moment de l’action, le « temps de la vendange ».
Le personnage présenté
Quelques détails annoncent la fonction du personnage. L’interpellation, « Salut, maître Blazius », avec le suffixe latin de son nom, la mention du « pater noster », ainsi que son « écritoire au côté », le rattachent à la tradition des précepteurs, chargés d’éduquer les fils des familles nobles avant leur entrée au collège.
Mais cette présentation en fait d’emblée un personnage comique, déjà par le ridicule de son entrée en scène : les précisions, « Doucement bercé sur sa mule fringante » et « il se ballote sur son ventre rebondi », forment un contraste cocasse avec la comparaison « Comme un poupon sur son oreiller », et avec l’appellation qui solennise sa fonction, « messer », synonyme plaisant de « messire ». « Vêtu de neuf » confirme l’importance qu’il accorde à son statut social.
Son portrait physique achève de le ridiculiser : « son triple menton », mis en évidence, signale son amour de la bonne chère, renforcé par celui de la boisson que suggère la comparaison finale : « pareil à une amphore antique » associe plaisamment sa fonction de précepteur et son amour du vin.
Louis Monzies, « L’arrivée de Blazius », édition Lemerre, 1878
Le portrait de Blazius
Sa première réplique illustre cette présentation : l’annonce d’une « nouvelle d’importance » qu’il s’apprête à donner montre à quel point il est fier de son statut qui lui donne ce rôle de messager, mais sa demande de boire « premièrement un verre de vin frais » confirme ce goût de la boisson, qui retarde ainsi son annonce.
Sa tirade est ainsi encadrée par sa demande réitérée à la fin : « je ne serais pas fâché de boire encore une gorgée avant d’entrer. » Le terme de « gorgée » fait sourire, car le chœur l’a servi dans leur « plus grande écuelle », prestement vidée : « Ma foi, l’écuelle est vide, je ne croyais pas avoir tout bu. » La gestuelle ajoute encore à cette caricature : « apportez une chaise, que je descende un peu de cette mule-ci sans me casser le cou ; la bête est tant soit peu rétive ». Le lecteur peut imaginer sa descente de l'animal, laborieuse.
Quant à sa vanité, elle ressort de la façon dont il s’approprie le mérite du jeune Perdican, « Vous sentez que cela me fait quelque honneur, à moi, qui suis son gouverneur depuis l’âge de quatre ans. », mais aussi de son désir de se mettre en valeur masqué par sa fausse modestie : « j’ai préparé, en trottant sur la route, deux ou trois phrases sans prétention qui plairont à monseigneur ».
Pour représenter Blazius, édition Classiques Hatier
La présentation de Perdican
Ce portrait fait par Blazius apprend au lecteur des éléments indispensables sur Perdican, son statut social, son âge, et ses études : « le jeune Perdican, fils de notre seigneur, vient d’atteindre à sa majorité, et […] il est reçu docteur à Paris. » Il déroule alors un éloge dithyrambique du savoir de Perdican, depuis son langage, « la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries, qu’on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps. », aveu plaisant d’ailleurs de l’ignorance de ce maître. La métaphore, « Toute sa gracieuse personne est un livre d’or », insiste sur ses connaissances, dont il donne quelques exemples : « il ne voit pas un brin d’herbe à terre, qu’il ne vous dise comment cela s’appelle en latin », qualité amplifiée par la litote, ou, pour l’exemple suivant, par l’adverbe renforcé, « et quand il fait du vent ou qu’il pleut, il vous dit tout clairement pourquoi. » C’est à nouveau par sa propre ignorance, attribuée au chœur, que Blazius présente l’art de l’écriture de Perdican, une écriture dont il ne mentionne que ce qu’il peut en comprendre, les couleurs : « Vous ouvrirez des yeux grands comme la porte que voilà, de le voir dérouler un des parchemins qu’il a coloriés d’encres de toutes couleurs, de ses propres mains et sans en rien dire à personne. » Une ultime métaphore, hyperbolique, conclut cet éloge : « Enfin c’est un diamant fin des pieds à la tête ».
2ème partie : L’arrivée de Dame Pluche, de la ligne 30 à la fin
Le chœur
La construction de la présentation de Dame Pluche par le chœur est exactement symétrique à celle de Blazius : sa façon d’entrée en scène, puis son comportement sur sa monture, enfin son portrait physique associé à son caractère. Mais c’est son opposition à Blazius qui ressort de chaque étape de cette présentation :
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Là où Blazius était « [d]oucement ballotée » sur une « mule fringante », à l’inverse elle est « {d]urement cahotée sur son âne essoufflé ».
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À l’inverse de l’image de l’animal, au « ventre rebondi » de Blazius, qui se laissait transporter comme « un « poupon », le chœur dépeint « le pauvre animal qui hoche la tête, un chardon entre les dents », et, surtout, maltraité » par son escorte qui le « gourdine à tour de bras ». Comme elle le laisse faire, cela suggère la dureté de cette femme.
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De même, alors que Blazius était semi endormi, comme confit dans sa graisse, et se contentait de « marmonne[r] » une prière, Dame Pluche n’est que maigreur, aigreur, et d’une dévotion qui contredit son comportement coléreux : « Ses longues jambes maigres trépignent de colère, tandis que de ses mains osseuses elle égratigne son chapelet. »
Nous retrouvons aussi deux des procédés employés précédemment. La salutation marque un contraste entre l’appellation « dame », qui rehausse son statut social, et son nom, « Pluche », formé sur le verbe « plucher », qui renvoie à des déchets, et s’y ajoute son appellation cocasse par le chœur, « ma mie ». Enfin, là où l’allusion à « la vendange », évoquait le plaisir du vin, ici le lexique péjoratif de la comparaison l'associe à la destruction : « vous arrivez comme la fièvre, avec le vent qui fait jaunir les bois. »
Le portrait de Dame Pluche
L’opposition se poursuit dans sa demande : « Un verre d’eau, canaille que vous êtes ! un verre d’eau et un peu de vinaigre ! » Au paternalisme de Blazius, à son interpellation, « mes enfants », à la rondeur de sa demande de vin, s’oppose le mépris insultant de dame Pluche pour ceux qu’elle juge inférieurs, redoublé par son injonction brutale : « Sachez, manants » et par sa conclusion : « Rangez-vous, canaille ». Pas de vin pour elle, bien sûr, mais de l’eau acidulée par le vinaigre, comme pour faire écho à son caractère.
Pour représenter Dame Pluche, édition Classiques Hatier
Cependant, la caricature est davantage accentuée, son physique, peu soigné au contraire de celui de Blazius, et contrastant avec la dévotion plaisamment mise en valeur : « Vos faux cheveux sont couverts de poussière ; voilà un toupet de gâté, et votre chaste robe est retroussée jusqu’à vos vénérables jarretières. » Ce même contraste se retrouve dans le conseil que lui lance le chœur, « Défripez-vous », et sa demande de prière qui, face à la plainte de dame Pluche, « il me semble que j’ai les jambes enflées », rappelle à la fois sa maigreur et sa dévotion : « quand vous prierez Dieu, demandez de la pluie ; nos blés sont secs comme vos tibias. » Mais cette dévotion ne s’accorde guère avec son agressivité grossière et méprisante : « Vous m’avez apporté de l’eau dans une écuelle qui sent la cuisine ; donnez-moi la main pour descendre ; vous êtes des butors et des malappris. »
La présentation de Camille
Comme Blazius pour Perdican, Dame Pluche fait découvrir au lecteur « la belle Camille » par son éloge de « la nièce » du « maître », donc la cousine de Perdican, dont elle annonce l’arrivée. Nous apprenons que, comme il est de règle à cette époque pour les jeunes filles de bonne famille, elle a été éduquée au « couvent ». L’accent est mis sur la fortune de la jeune fille, sa dot : elle vient « en son temps et lieu recueillir, comme faire se doit, le bon bien qu’elle a de sa mère. » En multipliant les formules religieuses, « Dieu merci », « que le seigneur Dieu du ciel la conduise ! Ainsi soit-il ! », elle fait elle aussi un éloge dithyrambique. Mais elle met l’accent sur la dévotion de la jeune fille d’abord par sa métaphore initiale : « ceux qui la verront auront la joie de respirer une glorieuse fleur de sagesse et de dévotion ». L’éloge s’accentue ensuite, avec l’antéposition de la négation, l’énumération des images hyperboliques et des comparaisons animales : « Jamais il n’y a rien eu de si pur, de si ange, de si agneau et de si colombe que cette chère nonnain ». L’innocence de la jeune fille est accentuée par la connotation religieuse du lexique et du choix de ces animaux, et il est significatif que celle-ci soit qualifiée de « nonnain », comme si elle avait déjà pris le voile.
CONCLUSION
Cette scène d’exposition séduit le lecteur par sa mise en scène : la symétrie de l’arrivée et du discours des deux personnages alors même que tout les oppose confirment le sous-titre de la pièce, "comédie"». Leurs gestes, déduits du texte en l’absence de didascalies et leur langage, avec le jeu des contrastes et des images, soulignent cette caricature cocasse. Tous deux annoncent ainsi un des thèmes de la pièce, la contradiction entre l’apparence et la vérité, mais de façon inverse : maître Blazius, par son éloge du savoir, affiche une gravité que dément son physique de bon vivant, tandis que le physique ascétique et la dévotion de Dame Pluche sont démentis par son comportement, bien peu charitable. Musset joue ainsi sur les décalages, propres à provoquer le rire, tout en créant un autre décalage par l’opposition entre le comique qui rabaisse les deux précepteurs et l’éloge des deux jeunes gens, qui les rehausse.
L’originalité de cette exposition vient également du rôle accordé au chœur : il conduit l’action qu’il commente, dirige la prise de parole des personnages, qui permet d'informer le lecteur, en créant aussi un horizon d’attente : l’arrivée simultanée des deux jeunes gens et le double éloge suggèrent d’heureuses retrouvailles, annoncée par sa réplique finale : « Mettons nos habits du dimanche, et attendons que le baron nous fasse appeler. Ou je me trompe fort, ou quelque joyeuse bombance est dans l’air d’aujourd’hui. » Perdican et Camille ne sont-ils pas destinés à tomber amoureux ? Un mariage, issue traditionnelle d’une comédie, ne sera-t-il pas conclu ?
Pour voir l'extrait
Visionnages : deux mises en scène
Film de Philippe Ducrest, 1967, réalisé pour l'ORTF
La réalisation filmique permet de concrétiser l’arrivée de Blazius présentée par le chœur, en voix off : au théâtre, il serait impossible de faire monter une mule sur scène… N’oublions pas que le choix de composer des pièces à lire « dans un fauteuil », une œuvre qui ne soit « ni un roman ni une pièce » comme l’explique le représentant du chœur, dans un ajout du réalisateur du film, a libéré Mussset de contraintes que le cinéma, lui, surmonte aisément.
Le comique est mis en valeur par l’intonation ironique du chœur dans sa présentation de Blazius, et mise en évidence par le jeu de l’acteur qui incarne Blazius : le contraste entre l’importance qu’il se donne en tant que messager et sa demande de vin, et son plaisir pris à faire l’éloge de Perdican, qui lui permet d’en tirer une gloire personnelle.
On notera la liberté prise avec le texte, avec l’introduction d’un commentaire du chœur, qui correspond, en réalité, à son monologue dans la scène 3 : il s’agit de garder au dialogue toute sa spontanéité et sa vraisemblance.
Mise en scène de Simon Eine, 1978, Comédie-Française
Le décor
Avec son arbre au centre, le décor est champêtre, mais la stèle, devant laquelle le premier personnage en scène ôte son chapeau et dépose un bouquet introduit le contexte religieux.
Les effets techniques
Ils jouent un rôle important, à commencer par l’éclairage, un lever de soleil qui marque l’ouverture de la première journée de l’intrigue.
Cette dimension champêtre est soutenue par le rôle accordé à la musique : le pipeau et le tambour accompagnent la triple fonction de la danse joyeuse des jeunes campagnards : d’abord une farandole, elle réunit ensuite les couples, comme pour mettre en place le thème de l’amour, rappelant ainsi les pastorales à la mode aux XVIIème et XVIIIème siècles. Enfin, la ronde autour de dame Pluche en accentue la caricature.
Le metteur en scène dépasse aussi l’obstacle scénique par la projection de la silhouette de maître Blazius sur sa mule qui concrétise ainsi l’annonce de son arrivée.
Le jeu des comédiens
Le metteur en scène retrouve le rôle du chœur dans le théâtre antique, en confiant ses répliques à un personnage qui, tel le coryphée, en incarne la prise de parole. En même temps, cet acteur aux cheveux blanc montre qu’il représente aussi la voix de la sagesse, les autres participants, plus jeunes, entourant à ses pieds le siège où il s’est assis ; de plus, en lui faisant lire son texte dans un livre, il en fait aussi le porte-parole de l’auteur, celui qui a créé les personnages de sa pièce. Mais cette lecture n’empêche pas les gestes, les regards, les mimiques qui soulignent ces portraits caricaturaux, d’autant plus cocasses qu’ils sont ponctués par les rires des assistants au moment où il met en relief les traits physiques de Blazius ou ceux de dame Pluche. Lors de la danse, il marche en arrière-plan aux côtés d’une jeune paysanne, comme pour la protéger, dans laquelle on reconnaîtra plus tard Rosette.
La structure modifiée
Nous observons très vite une intéressante modification de la construction de la scène. D’abord, le chœur enchaîne les portraits de Blazius et de dame Pluche, ce qui met davantage en évidence leur opposition cocasse. De même, l’entrée en scène de Blazius, le ton solennel adopté pour annoncer la « nouvelle », qui contraste plaisamment avec sa demande de « vin » et son empressement à le boire, est immédiatement suivie de celle de dame Pluche, agitée et agressive, accentuant l’écart entre ces deux personnages. Cette modification se poursuit par le portrait de Camille qui précède celui de Perdican, alors même qu’il apparaît en arrière-plan. Il se trouve ainsi mis en valeur, d’autant qu’est supprimée la dernière réplique du chœur, annonce des réjouissances à venir, pour la remplacer par le commentaire qui concluait cette tirade avant l’arrivée de dame Pluche : « Nous avons vu naître le petit Perdican, et il n’était pas besoin, du moment qu’il arrive, de nous en dire si long. Puissions-nous retrouver l’enfant dans le cœur de l’homme ! » La scène se ferme ainsi sur Perdican, en posant un des traits qui le caractérisera, sa nostalgie de l’enfance.
Lecture cursive : acte I, scène 3, le monologue du chœur
Pour lire l'extrait
Comme déjà constaté, il s’agit d’un premier "tableau" dans la scène 3, un monologue du chœur, dont le représentant, comme le ferait le narrateur dans un roman, interpelle peut-être ses compagnons, mais, en réalité, le lecteur : « N’avez-vous pas fait une remarque ? »
À travers les sentiments exprimés, la première phrase du chœur, « Plusieurs choses me divertissent et excitent ma curiosité », souligne le double objectif du monologue : faire sourire et créer un horizon d’attente.
Le comique
Le sourire naît du portrait critique des personnages déjà introduits, d’abord les deux précepteurs, maître Blazius et le curé Bridaine, autre doublon : « deux hommes peu près pareils, également gros, également sots, ayant les mêmes vices et les mêmes passions ». Tout au long du monologue, ils sont mis en parallèle par la répétition de « tous deux », la reprise de « l’un… l’autre ». Soutenu par l’anaphore de l’adverbe « item », ce portrait présente une énumération de défauts, qui complète ceux déjà observés chez Blazius dans la scène d’exposition : la gloutonnerie, le bavardage vaniteux, l’ignorance, enfin la gloire qu’ils tirent de leur statut social : « Item, ils sont prêtres tous deux ; l’un se targuera de sa cure, l’autre se rengorgera dans sa charge de gouverneur. »
À cela s’ajoute, à la fin du monologue, le décalage cocasse entre eux et dame Pluche : « pour comble de malheur, entre les deux ivrognes s’agite dame Pluche, qui les repousse l’un et l’autre de ses coudes affilés. »
L'horizon d'attente
Le chœur est aussi le représentant de la sagesse populaire, plein de bon sens dans ses observations : « lorsque deux hommes à peu près pareils […] viennent par hasard à se rencontrer, il faut nécessairement qu’ils s’adorent ou qu’ils s’exècrent. » Cette sagesse l’amène à annoncer le conflit futur : « je prévois une lutte secrète entre le gouverneur et le curé. » L’emploi du futur permet d’en donner des exemples, en lien avec les défauts, pour leur goinfrerie, « tous deux se disputeront, à dîner, non seulement la quantité, mais la qualité », comme pour leur vanité : « l’un se targuera de sa cure, l’autre se rengorgera dans sa charge de gouverneur ».
Pour renforcer cet horizon d’attente, la fin du monologue glisse au présent pour passer de l’imaginaire à la réalité : « Déjà je les vois accoudés sur la table ». Alors même que le chœur n’est pas présent à ce dîner, le conflit est ainsi concrétisé, amplifié à la façon d’un combat épique : il les montre « les joues enflammées, les yeux à fleur de tête, secouer pleins de haine leurs triples mentons. Ils se regardent de la tête aux pieds, ils préludent par de légères escarmouches ; bientôt la guerre se déclare ; les cuistreries de toute espèce se croisent et s’échangent ».
Étude d’ensemble : les "grotesques"
Pour se reporter à l'étude détaillée
Dans un premier temps, en partant de l’onomastique, on présentera les traits principaux de ces « grotesques », depuis leur portrait physique jusqu’aux contradictions entre leur statut social, source de leur vanité, et leur comportement empreint d’un matérialisme excessif qui en fait des bouffons ridicules et sots.
Dans un second temps, on s’intéressera à leur fonction, triple.
On montrera d’abord qu’ils illustrent toutes les formes du comique, par leur caractère, leurs gestes, en tenant compte des situations dans lesquelles ils sont placées, notamment leurs conflits absurdes, et, surtout, de la façon dont leur langage, en rupture avec la logique, soutient la caricature.
Mais ils sont aussi des agents du drame par les soupçons que Blazius, Bridaine et dame Pluche éveillent chez le Baron, qui, lui-même, contribue au dénouement par son impuissance à agir, donc en laissant Camille seule pour empêcher le mariage de Perdican et Rosette.
Philippe Ducrest, Blazius et Bridaine, film ORTF, 1967
Enfin, ils portent la satire de Musset, contre la religion d’une part, dont ils trahissent les valeurs spirituelles par leur comportement, contre ceux qui dominent dans la société monarchique, d’autre part : à travers le Baron, Musset dénonce les mœurs d’une aristocratie, mue uniquement par l’argent et par le prix accordé au statut social.
Lectures cursives : les "grotesques", quatre extraits
Pour lire les textes
1er extrait : acte I, scène 5
La dénonciation de maître Blazius
Maître Blazius, obsédé par son statut social qui lui accorde la première place à table, vient dénoncer au baron son rival, le curé Bridaine, d’être « un ivrogne » et un goinfre. Cette dénonciation est rendue doublement cocasse :
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par les réactions du Baron : il ne s’attache qu’aux détails, comme « marcher sur les plates-bandes », et est incapable de rattacher la dénonciation d’ivresse aux preuves avancées par Blazius. En fait, il ne réagit que pour souligner son propre statut social, se sentant lui-même accusé : « Je ne suis point un majordome », « Il y a de bon vin dans mes caves. »
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par le retournement de situation, comique, dans les apartés : le dénonciateur se retrouve lui-même coupable du défaut qu’il dénonce, ayant lui-même déjà été accusé auprès du baron par le curé : « Le Baron, à part. – Je commence à croire que Bridaine avait raison ce matin. Ce Blazius sent le vin d’une manière horrible. »
La dénonciation de maître Bridaine
Elle révèle le rôle dangereux que peut jouer un grotesque, qui sait se servir du point faible du baron, son orgueil d’aristocrate, pour dénoncer Perdican, tout en mettant en cause l mauvaise éducation donnée par Blazius, son gouverneur : il se mêle à « tous les polissons du village », s’amuse à « faire des ricochets », et, pire encore, « il tient sous le bras une jeune paysanne ». Mais, de la même façon que pour Blazius, il se retrouve lui-même pris au piège car son ivresse est confirmée : « Le Baron, à part. – Ô ciel ! Blazius a raison ; Bridaine va de travers. »
De même, les réactions du Baron confirment son ridicule, des dénis, un bouleversement excessif par la généralisation dans sa dernière réplique où toutes les dénonciations se mêlent : « Tout est perdu ! — perdu sans ressource ! — Je suis perdu ; Bridaine va de travers, Blazius sent le vin à faire horreur, et mon fils séduit toutes les filles du village en faisant des ricochets. »
2ème extrait : acte II, scène 2
Cette scène, située le lendemain de l’arrivée des deux jeunes gens – car Musset n’hésite pas à briser la règle classique des 24 heures – est un monologue de Bridaine, toujours en lutte contre Blazius, son rival dans l’importance auprès du Baron : « Cela est certain, on lui donnera encore aujourd’hui la place d’honneur. Cette chaise que j’ai occupée si longtemps à la droite du baron sera la proie du gouverneur. » La didascalie initiale, en soulignant la liberté prise par Musset par rapport à la règle classique de l’unité de lieu, précise le contexte de la scène, le repas qui s’annonce : « La salle à manger. — On met le couvert. »
Le comique vient d’un double décalage :
entre la fonction du curé, marqué par son invocation, « Ô sainte Église catholique ! », qui implique une vie tournée vers les valeurs spirituelles, qui recherche la perfection de l’âme, et la raison de sa plainte, un corps moins copieusement nourri et abreuvé ; « Le majordome lui versera le premier verre de malaga, et lorsque les plats arriveront à moi, ils seront à moitié froids, et les meilleurs morceaux déjà avalés ».
entre la tonalité qui se fait tragique, pour exprimer sa douleur, et la trivialité des exemples : « il ne restera plus autour des perdreaux ni choux ni carottes. », « Non, rien ne me restera que des os et des pattes de poulet. » La parodie multiplie ces contrastes comiques, encore renforcés par les exclamations : « Ô malheureux que je suis ! Un âne bâté, un ivrogne sans pudeur, me relègue au bas bout de la table ! » À la fin du monologue, il se hausse même à la dimension d’un noble héros tragique, victime d’une terrible fatalité, « Adieu, bouteilles cachetées, fumet sans pareil de venaisons cuites à point ! Adieu, table splendide, noble salle à manger, je ne dirai plus le bénédicité ! », et condamné à un douloureux exil pour préserver sa noble dignité : « Je retourne à ma cure ; on ne me verra pas confondu parmi la foule des convives, et j’aime mieux, comme César, être le premier au village que le second dans Rome. »
3ème extrait : acte II, scène 4
Cette scène, une conversation entre maître Blazius et le Baron, confirme la triple fonction du « grotesque ».
Agent du drame
Blazius vient faire une nouvelle dénonciation, retardée jusqu’à la fin de la scène : un comportement de dame Pluche et de Camille, étrange et, surtout, scandaleux pour une jeune fille : « Votre nièce a une correspondance secrète. » Sa présentation amplifie le scandale qu’il vient révéler : « À qui était adressée cette lettre ? À un homme qui fait la cour à une gardeuse de dindons. Or, un homme qui recherche en public une gardeuse de dindons peut être soupçonné violemment d’être né pour les garder lui-même. Cependant il est impossible que votre nièce, avec l’éducation qu’elle a reçue, soit éprise d’un tel homme ». Il réussit ainsi à faire naître la méfiance du Baron, effrayé du scandale possible : « Ô ciel ! ma nièce m’a déclaré ce matin même qu’elle refusait son cousin Perdican. Aimerait-elle un gardeur de dindons ? »
Source du comique
Cet échange présente toutes les formes du comique, d’abord la gestuelle des deux personnages. Les exclamations ou les interrogations suggèrent le jeu des acteurs pour les ridiculiser, de même que nous imaginons la scène rapportée : Camille « rouge de colère […] frappait avec son éventail sur le coude de dame Pluche, qui faisait un soubresaut dans la luzerne à chaque exclamation. » Le comique de la situation comme celui de caractère viennent, eux, essentiellement du langage, dès la première réplique de Blazius, qui peine à masquer la vérité pour rapporter cette « chose singulière » à grand renfort de circonvolutions : « Quelle insupportable manière de parler vous avez adoptée, Blazius ! Vos discours sont inexplicables. » Mais son reproche met en évidence la sottise du baron. Il ne réagit qu’en fonction de son propre intérêt, notamment de son statut social, dans le souci de le préserver, comme le révèle, alors que Blazius insiste, « Il y va de l’’honneur de la famille », sa réponse absurde et grandiloquente : « De la famille ! Voilà qui est incompréhensible. De l’honneur de la famille, Blazius ! Savez-vous que nous sommes trente-sept mâles, et presque autant de femmes, tant à Paris qu’en province ? » De même, ses questions multipliées à propos de la scène entre Camille et dame Pluche dépeinte par Blazius conduisent à un aveu qui témoigne de sa sottise, avec une double négation absurde puisque seul un « motif » pourrait amener une « excuse » : « Non, en vérité, non, mon ami, je n’y comprends absolument rien. Tout cela me paraît une conduite désordonnée, il est vrai, mais sans motif comme sans excuse. »
Porteur de la satire
Ici la caricature prend pour cible la vanité tirée du statut social.
Blazius s’appplique à masquer une ivresse qui ne s’accorde pas avec sa fonction de gouverneur : « Tout à l’heure, j’étais par hasard dans l’office, je veux dire dans la galerie : qu’aurais-je été faire dans l’office ? J’étais donc dans la galerie. J’avais trouvé par accident une bouteille, je veux dire une carafe d’eau : comment aurais-je trouvé une bouteille dans la galerie ? J’étais donc en train de boire un coup de vin, je veux dire un verre d’eau, pour passer le temps… », « Tandis que je buvais un coup de vin, je veux dire un verre d’eau, pour chasser la digestion tardive… »
Quant au Baron, sa surprise répétée, accentuée par les hyperboles multipliées, « Ceci est insolite », « Cela est inouï », « Je n’y comprends rien ; mes idées s’embrouillent tout à fait », « Je ne puis ajouter foi à de pareilles monstruosités », « je n’y comprends absolument rien », efface tout le mérite que son appartenance à l’aristocratie pourrait lui valoir.
Acte III, scène 4
Ponctuée d’entrée et de sorties, cette scène compte cinq tableaux, les premiers avec les trois "grotesques", rejoints par Perdican à la fin.
Un bref monologue
Ce début fait écho au monologue de l’acte II, le curé Bridaine reprenant ici ses lamentations, parodie du tragique avec sa double interrogation, « Que mangent-ils ? que ne mangent-ils pas ? », mais ridiculisées par la cause de sa douleur : « J’ai vu la cuisinière traverser le village avec un énorme dindon. L’aide portait les truffes, avec un panier de raisin. »
Mise en scène de Gérard Gelas, Création du Chêne noir, 2005
L'échange entre Blazius et Bridaine
L’entrée en scène de Blazius crée une situation comique, car, à partir de l’illusion – ils sont censés ne pas se voir –, ses lamentations sont parallèles à celles de Bridaine, symétrie mise en évidence par la syntaxe : à « Je ne boirai plus le vin de l’office » répond « Je ne verrai plus fumer les plats », de même que les deux « Pourquoi… ? » ou les deux « Hélas ! » se font écho. Cela confirme qu’ils sont des doubles, porteurs des mêmes défauts que ceux dénoncés par le chœur dans l’acte I.
Soudainement, ils se voient, toujours parallèlement, « Il me semble que voilà le curé », « C’est le gouverneur en personne », et intervient alors un coup de théâtre comique. Alors que leur détestation réciproque laisse présager un conflit, Blazius adresse une humble et pathétique prière à son rival : « Hélas ! maître Bridaine, intercédez pour moi ; le baron m’a chassé. J’ai accusé faussement Mlle Camille d’avoir une correspondance secrète, et cependant Dieu m’est témoin que j’ai vu ou que j’ai cru voir dame Pluche dans la luzerne. »
Il perd ainsi toute sa dignité, d’autant plus que ses explications sont sans la moindre logique, donc incompréhensibles, et que sa supplication reste vaine. La dernière réplique de Bridaine confirme son défaut, donc la satire de Musset démasquant l’hypocrisie religieuse : « Si le baron se plaint de vous, c’est votre affaire. Je n’intercède point pour un ivrogne. (À part.) Vite, volons à la grille ; et toi, mon ventre, arrondis-toi. »etrouve lui-même pris au piège car son ivresse est confirmée : « Le Baron, à part. – Ô ciel ! Blazius a raison ; Bridaine va de travers. »
Second monologue de maître Blazius
Devant ce refus, la colère de Bridaine se retourne contre celle qu’il accuse de son renvoi à la suite de sa dénonciation de la « correspondance secrète ». Mais, de façon absurde, sa vengeance est aveugle, uniquement dirigée contre dame Pluche : « Misérable Pluche ! c’est toi qui payeras pour tous ; oui, c’est toi qui es la cause de ma ruine, femme déhontée, vile entremetteuse, c’est à toi que je dois cette disgrâce. »
Raymond Peynet, Un conflit comique, illustration de l’édition de 1946
le conflit entre maître Blazius et dame Pluche
Le conflit est immédiatement porté à l’extrême avec la menace de mort répétée, et la didascalie qui précise : « Ils se battent. »
l'intervention de Perdican
Si l’entrée en scène de Perdican interrompt le combat, il n’arrête pas pour autant le conflit. Le comique est même renforcé par les justifications invoquées, jusqu’à l’affirmation absurde de Blazius : « C’est un billet doux à un gardeur de dindons. »
Mais cette intervention met aussi en valeur le contraste entre les grotesques, leur matérialisme, leur sottise aussi, et un héros comme Perdican, en qui les sentiments dominent, ici une « curiosité » née, en fait, de son dépit d’avoir été rejeté par Camille, et qui, lui, fait preuve d’une sensibilité manifeste : « Mon cœur bat avec force, et je ne sais ce que j’éprouve. »
Fiche : une tonalité, le comique
Pour se reporter à une analyse détaillée
L'explication précédente, l'étude d'ensemble sur les "grotesques", et les lectures qui la soutiennent permettent d'élaborer une fiche de synthèse sur les quatre formes du comique et leurs fonctions. On insistera particulièrement sur les contrastes, sur la notion de décalage qui provoque le rire, et sur la satire que permet le comique.
Explication : acte I, scène 3, de "Vénérable Pluche, je suis peiné." à la fin
Après l’exposition qui informe sur la situation et sur l’arrivée simultanée de Perdican, fils du baron, et Camille, sa cousine, en ouvrant un horizon d’attente, leur mariage, la scène de retrouvailles crée une rupture : à la joie de Perdican de se retrouver dans le château de son enfance et d’y retrouver sa cousine répond la froideur de celle-ci qui refuse de l’embrasser. Un détail révèle l’écart entre eux : tandis que Perdican s’émeut en contemplant une fleur, Camille admire le tableau d’une de ses aïeules en costume de religieuse. Les tableaux qui ferment cette rencontre confirment cet écart, déploré d’abord par le baron, puis par Perdican lui-même. Quelles en sont les raisons ?
Louis Morin, la famille réunie. Illustration pour l’édition de 1904
Pour lire l'extrait
1ère partie : L'échec d'un projet ? (lignes 1 à 14)
Un mariage arrangé
Comme le veut encore la règle au XIXème siècle, les pères arrangent le mariage de leurs enfants, comme le déclare ici le baron : « mon dessein était de marier mon fils avec ma nièce ». Les enfants étaient, certes, informés du choix paternel, « Je leur en ai touché quelques mots en particulier », mais leur obéissance était attendue : il fallait d’abord satisfaire l’intérêt familial.
C’est pourquoi, le baron exprime son chagrin, « je suis peiné », puis insiste sur l’importance de ce choix pour lui. Le rythme de sa réplique, scandée par les tirets, met en évidence la satisfaction égoïste de sa propre volonté, par l’indice temporel, l’adverbe « même » et les redoublements, jusqu’à la répétition hyperbolique : « J’avais compté depuis longtemps, — j’avais même écrit, noté, — sur mes tablettes de poche, — que ce jour devait être le plus agréable de mes jours, — oui bonne dame, le plus agréable […] ; cela était résolu, — convenu ». »
Deux "grotesques"
Mais ce bref échange permet à Musset de faire ressortir le contraste entre les personnages de sa pièce, d’un côté Perdican et Camille, qui s’inscrivent dans le monde des sentiments, de l’autre les grotesques, reflets ridicules d’une société condamnée par Musset. Ils représentent, en effet, la place exagérée accordée au statut social par la façon dont ils s’interpellent : l’appellation « monseigneur » anoblit encore le « baron », tandis que « Vénérable Pluche », adresse du baron, qui la qualifie ensuite de « bonne dame », contredit totalement, en le sanctifiant, le comportement peu respectable dont elle a fait preuve dans les premières scènes.
Louis Morin, la douleur du baron. Illustration pour l’édition de 1904
Le ridicule ressort aussi de leur langage. À la déclaration du baron, « je suis peiné », la question de dame Pluche, « Est-il possible, monseigneur ? », fait sourire par sa mise en doute de la possibilité pour cet homme de ne pas s’affirmer tout puissant, et encore plus la réponse absurdement sérieuse du baron : « Oui, Pluche, cela est possible. » Tout aussi absurde est juxtaposition insistante de deux constats contradictoires : « et je vois, je crois voir, que ces enfants se parlent froidement ; ils ne se sont pas dit un mot. »
2ème partie : Perdican et Camille face à face (de la ligne 15 à la fin)
Un premier rejet
C’est Perdican qui prend l’initiative de cette conversation, et qui mène le dialogue en multipliant les questions. La première est un reproche, la froideur de Camille, « Sais-tu que cela n’a rien de beau, Camille, de m’avoir refusé un baiser ? », qui l’amène ensuite à tenter un rapprochement, « Veux-tu mon bras pour faire un tour dans le village ? ». Ce premier effort se heurte à un rejet brutal : elle ne prend pas la peine de répondre au reproche, « « Je suis comme cela ; c’est ma manière. », puis formule un refus catégorique, qu’elle justifie par un alibi physique : « « Non, je suis lasse ».
Louis Morin, un tête à tête distant. Illustration pour l’édition de 1904
Le portrait de Perdican
Devant ce premier refus, par ses questions Perdican essaie de faire partager à la jeune fille ce que lui-même ressent, sa joie de retrouver les lieux de son enfance : « Cela ne te ferait pas plaisir de revoir la prairie ? » C’est ce qui explique que le « nous » s’impose ensuite, quand il tente de ranimer ses souvenirs : « Te souviens-tu de nos parties sur le bateau ? » Sa proposition est une façon de faire revivre l’enfance, en recréant leur complicité d’autrefois : « Viens, nous descendrons jusqu’aux moulins ; je tiendrai les rames, et toi le gouvernail. »
Le second refus de Camille est plus violent car, par sa négation absolue, « Je n’en ai nulle envie », elle refuse de recréer ce couple. À sa froideur s’oppose la sensibilité exprimée avec émotion par Perdican : « Tu me fends l’âme. Quoi ! pas un souvenir, Camille ? » Sa question dévoile alors son propre portrait : « pas un battement de cœur pour notre enfance, pour tout ce pauvre temps passé, si bon, si doux, si plein de niaiseries délicieuses ? » Perdican porte en lui la nostalgie d’une enfance qui, décrite par le rythme ternaire hyperbolique, montre à quel point il l’idéalise en en faisant le symbole d’une innocence insouciante. Idéalisation dangereuse car, parallèlement, elle sous-entend sa difficulté à entrer dans le monde adulte.
Deux personnalités contrastées
C’est ce que confirme son ultime proposition, « Tu ne veux pas venir voir le sentier par où nous allions à la ferme ? », qui, devant un refus réitéré, « Non, pas ce soir », permet de mesurer la distance qui les sépare. En protestant avec force, « Pas ce soir ! et quand donc ? Toute notre vie est là. », Perdican confirme le rôle fondateur qu’il accorde à l’enfance. Mais, pour Camille, il ne s’agit là que d’une fuite, d’un refus de s’inscrire dans la vérité du présent : « Je ne suis pas assez jeune pour m’amuser de mes poupées, ni assez vieille pour aimer le passé. »
Louis Morin, la prise de distance. Illustration pour l’édition de 1904
L’écart entre eux s’accentue encore par l'insistance, « Je dis que les souvenirs d’enfance ne sont pas de mon goût », avec une riposte qui en arrive à une forme de mépris de la part de Camille : « Perdican. – Cela t’ennuie ? - Camille. – Oui, cela m’ennuie. » Mais la réponse de Perdican lui renvoie ce mépris, car par sa pitié il affiche sa propre supériorité, sa certitude d’avoir raison : « Pauvre enfant ! je te plains sincèrement. » La précision dans la didascalie finale, « Ils sortent chacun de leur côté », achève de nouer l'action : l’intrigue amoureuse semble impossible.
CONCLUSION
Traditionnellement, – comme chez Molière, par exemple – une "comédie" se dénoue par un mariage qui, même imposé par un père, finit par correspondre aux sentiments des deux jeunes gens. Au contraire, l’action qui s’est nouée dans cette scène semble écarter une telle issue. La conversation entre les deux jeunes gens, en effet, la froideur de Camille face à cette nostalgie que Perdican essaie de partager avec elle montre à quel point leurs personnalités sont opposées. Le désir de renouer le couple de l’enfance est rejeté par Camille, quête illusoire à ses yeux : elle ne serait qu’un idéal interdit par le déroulement même du temps. Ainsi s'ouvre un horizon d'attente : ce mariage pourra-t-il se faire ?
Lecture cursive : acte II, scène 1, Perdican et Camille
Pour lire l'extrait
Confronté au rejet de Camille, à la fin de l’acte I Perdican exprime la nostalgie de son enfance au chœur, moment auquel semble faire écho sa rencontre de Rosette, une jeune paysanne sœur de lait de Camille. La tension de cette fin de l’acte I est rompue par le dialogue entre les grotesques, Blazius et Bridaine, qui éveille l’inquiétude du baron sur le comportement de son fils. L’acte II s’ouvre sur un nouveau face à face entre Perdican et Camille, qui confirme la distance entre eux.
L'annonce de Camille
En s’adressant à Perdican, elle prend le parti de la franchise, « je ne veux pas marier », et annonce sa décision : « « je retourne demain au couvent. » Alors que Perdican tente de ranimer leur amitié passée par son injonction, « touche là et soyons bons amis », il se heurte à un nouveau rejet : « Je n’aime pas les attouchements ».
Deux orgueilleux
Mais cet échange révèle un trait commun de leur personnalité, l’orgueil.
Pour Perdican, sa première réaction, « Tant pis pour moi si je vous déplais », est interprétée par Camille comme un signe d’orgueil, défaut qu'elle relève en exprimant son refus du mariage : « Pas plus qu’un autre, je ne veux pas me marier : il n’y a rien là dont votre orgueil puisse souffrir. » Reproche qui touche assurément Perdican vu sa façon de s'en défendre : « L’orgueil n’est pas mon fait ; je n’en estime ni les joies ni les peines. » Cependant, sa question, « En aimes-tu un autre que moi ? », révèle une jalousie latente, autre indice d’un orgueil blessé.
Mais Camille n’est pas non plus dépourvue d’orgueil, vu l’interprétation qu’elle formule après la longue tirade dans laquelle Perdican sollicite le maintien de leur amitié : « Tu ne veux pas qu’on nous marie ? eh bien ! ne nous marions pas ; est-ce une raison pour nous haïr ? ne sommes-nous pas le frère et la sœur ? » Sa brève riposte, « Je suis bien aise que mon refus vous soit indifférent » sonne plutôt comme un regret de ne pas être assez importante aux yeux de Perdican pour le faire souffrir en l’amenant à des protestations d’amour.
Le "badinage" amoureux
Les trois répliques de Perdican illustrent le « badinage » amoureux qui soutient la pièce.
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D’un côté, en effet, il avoue la profondeur de son sentiment réel : « Ton amour m’eût donné la vie » .
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De l'autre, en l’exprimant par un irréel du passé, il l’efface pour le remplacer par le terme d’« amitié », répété : « mais ton amitié m’en consolera », « J’aurais voulu m’asseoir avec toi sous les marronniers du petit bois et causer de bonne amitié une heure ou deux ».
Sa demande repose toujours sur ce même trait fondateur de sa personnalité : l’importance accordée à leur enfance partagée, à leur « vie passée », une union qu’il idéalise en lui prêtant une connotation religieuse et pour qu’elles restent unies : « voilà ta main et voilà la mienne, et pour qu’elles restent unies ainsi jusqu’au dernier soupir, crois-tu qu’il nous faille un prêtre ? Nous n’avons besoin que de Dieu. »
Explication : acte II, scène 5, de "Sais-tu ce que c'est..." à la fin
Pour lire l'extrait
Comme dans l’acte I, la conversation entre Camille et Perdican qui ouvre l’acte II est suivie d’une intervention comique des "grotesques", puis d’un rapprochement entre Perdican et Rosette, et les baisers qu’il lui donne laissent supposer que, ne se dérobant pas, elle est un substitut de Camille. Une nouvelle conversation, certes cocasse, entre Blazius et le baron, introduit une nouvelle péripétie : une lettre de Camille remise à dame Pluche…
Lecture cursive préalable : le début de l'acte II, scène 5
Pour se reporter à la scène
La scène s’ouvre sur une nouvelle annonce de Camille à Perdican, « je vais prendre le voile », qui, suivie d’une question, « Trouvez-vous que j’aie raison de me faire religieuse ? », amène une longue conversation où s’échangent les arguments contradictoires.
L’argumentation de Camille progresse à partir de ses questions sur les pratiques amoureuses de Perdican : elle fait de l’infidélité masculine, du libertinage en général, la raison principale de son refus du mariage et de son choix d’entrer au couvent. Pour soutenir cet argument, elle prend un exemple, une « amie, une sœur qui n’a que trente ans », et qui a cru au mariage mais « [s]on mari l’a trompée ; elle a aimé un autre homme, et elle se meurt de désespoir. » Ensuite, elle généralise cet exemple à de très nombreuses sœurs au couvent.
Si Perdican écoute, et répond d’abord à ses questions, le long développement de Camille le conduit à changer de comportement, en se dérobant à ses reproches. Il l’accuse, en effet, de s’être laissée influencer par l’image de ces femmes désespérées : « ; je ne crois pas que ce soit toi qui parles. » Devant la violence croissante de Camille et les reproches qu’elle lui adresse, il lance à son tour un argument : « Tu me parles d’une religieuse qui me paraît avoir eu sur toi une influence funeste ; tu dis qu’elle a été trompée, qu’elle a trompé elle-même et qu’elle est désespérée. Es-tu sûre que si son mari ou son amant revenait lui tendre la main à travers la grille du parloir, elle ne lui tendrait pas la sienne ? » La souffrance n'empêcherait donc pas l'amour, toujours prêt à renaître...
Perdican et Camille. Mise en scène de la compagnie Maana, 2008. Centre culturel français, Bamako, Mali
La réponse affirmative de Camille, « Je le crois », inverse la prise de parole. Si, au début de la scène, Camille argumente en de longues tirades, à présent deux tirades de Perdican concluent ce débat. En quoi les deux temps de cette argumentation complètent-ils l’image de la relation amoureuse mise en scène par Musset ?
1ère partie : Un réquisitoire (lignes 1 à 13)
Les questions rhétoriques qui ouvrent la tirade, suivies d’exclamations expressives, introduites par l’interjection « Ah ! », l’inscrivent dans la tonalité polémique, signe de la colère de Perdican. Le glissement du reproche à Camille, interpellée, « Sais-tu ce que c’est que des nonnes, malheureuse fille ? », à la critique généralisée aux nonnes avec la répétition en anaphore de « savent-elles », soutient la formulation d’un double reproche, que la tirade va développer.
La religion dénoncée
La première question, qui vise à définir « des nonnes », s’en prend directement à la religion : « Elles qui te représentent l’amour des hommes comme un mensonge, savent-elles qu’il y a pis encore, le mensonge de l’amour divin ? » Le chiasme, qui place en son centre le reproche de « mensonge », met en parallèle l’argument précédemment invoqué par Camille, « l’amour des hommes » considéré comme « un mensonge », et celui sur lequel insiste Perdican, « le mensonge de l’amour divin », dont la gravité est amplifiée par l’article défini. Sa conclusion n’est donc contradictoire qu’en apparence, en fait empreinte d’une amère ironie : « Eh bien ! Camille, ces femmes ont bien parlé ; elles t’ont mise dans le vrai chemin ». Ce discours religieux, en effet, le prive de la possibilité d’être aimé de Camille, « il pourra m’en coûter le bonheur de ma vie », mais il conclut en contredisant ce « vrai chemin », en démasquant ce mensonge : « mais dis-leur cela de ma part : le ciel n’est pas pour elles. » En niant l’amour humain, ne nient-elles pas la parole même du Christ ?
L'endoctrinement
La dernière question, « Savent-elles que c’est un crime qu’elles font, de venir chuchoter à une vierge des paroles de femme ? », pose un autre reproche, dont le terme « crime » souligne la gravité : l’endoctrinement des jeunes filles au couvent, encore innocentes car elles n’ont rien vécu, par des femmes qui, elles, ont connu l’amour. Le choix du verbe « chuchoter » est déjà une façon de démasquer leur manipulation mentale, car elles disent ces « paroles » à l’oreille, en cachette, comme l’on avouerait un péché. Ce reproche parcourt la fin de cette tirade, avec sa reprise exclamative familière, « comme elles t’ont fait la leçon ! », mais aussi à travers l’image : « le masque de plâtre que les nonnes t’ont plaqué sur les joues ».
Mise en scène de Jean-Pierre Vincent, 1993. Théâtre des Amandiers, Nanterre
Il accumule ensuite les exemples du résultat de cet endoctrinement, d’abord l’attitude de Camille lors de leurs retrouvailles, son admiration du tableau d’une aïeule en costume de religieuse : « Comme j’avais prévu tout cela quand tu t’es arrêtée devant le portrait de notre vieille tante ! ». Les phrases négatives rappellent ensuite ses refus successifs pendant leurs échanges suivants : « Tu voulais partir sans me serrer la main ; tu ne voulais revoir ni ce bois, ni cette pauvre petite fontaine qui nous regarde tout en larmes ». Cette personnification du décor, qui partage le chagrin de Perdican, souligne à quel point les choix de Camille, ses rejets, sont "contre nature" : « tu reniais les jours de ton enfance, et le masque de plâtre que les nonnes t’ont plaqué sur les joues, me refusait un baiser de frère ».
Le masque enlevé
Ce double reproche est soutenu par un dernier argument, qui fait tomber ce masque. Introduit par le connecteur « mais », Perdican oppose la croyance inculquée à la vérité qui lui appartient en propre : « mais ton cœur a battu ; il a oublié sa leçon, lui qui ne sait pas lire ». Cette personnification insiste sur la sensibilité naturelle de Camille, qui l’a donc emporté sur la rationalité acquise, faisant revivre la vraie valeur, le partage possible : « et tu es revenue t’asseoir sur l’herbe où nous voilà. »
2ème partie : Un plaidoyer (de la ligne 14 à la fin)
La réaction de Camille, sa question « Ni pour moi, n’est-ce pas ? », est ambiguë : a-t-elle été touchée par ce reproche de ne faire que réciter le discours d’autrui, blessée dans son orgueil ? Ou bien, cette question révèle-t-elle une amertume désabusée devant l’incompréhension de Perdican ? Ou bien encore cherche-t-elle à enfin obtenir une réponse tranchée à sa question initiale : doit-elle, on non, prendre le voile ? Perdican change alors de ton, et se lance dans un plaidoyer lyrique en faveur de l’amour, rigoureusement construit.
Une concession
Il s’ouvre, en exorde, par une rupture qui feint d’accepter le choix de Camille, « Adieu, Camille, retourne à ton couvent », mais le lexique, violemment péjoratif dans l’hypallage qui personnifie les « récits » prenant la place des « nonnes », reprend la critique pour lui dicter, à son tour, une leçon : « et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire ».
Ce discours adopte, dans un premier temps, le pessimisme du discours religieux porté par Camille, à travers deux énumérations qui généralisent, la première de neuf adjectifs dressant un bien sombre portrait des hommes, puis de six adjectifs qui n’épargnent pas les femmes : « Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ». Cette vision s’accentue encore par des images, toutes destinées à susciter un dégoût croissant de l'humanité : « le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ». Autant de termes fréquents d’ailleurs dans les prêches religieux pour dénoncer les réalités terrestres.
Mise en scène de Jean Vilar, 1959, TNP
L'éloge de l'amour
Le connecteur « mais » introduit la contradiction, un éloge de l’amour, du couple, mis en valeur par les oppositions lexicales des termes mélioratifs, en réponse aux hyperboles péjoratives : « mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. » S’ensuit une généralisation dans une phrase à nouveau antithétique. Musset reprend la concession pessimiste sur un rythme ternaire, souligné par l’anaphore de l’adverbe : « On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ». La seconde partie de la phrase, elle, reprend l’éloge, dans une perspective temporelle qui introduit le discours rapporté directement : « mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » Musset reprend ici à l’identique, avec le pronom « je », le sentiment exprimé par George Sand dans la lettre qu’elle lui a écrite le 12 mai 1834, indice du rôle qu’a pu jouer leur relation amoureuse dans l’élaboration de sa pièce.
CONCLUSION
Au cœur de la pièce, cette scène est la plus longue conversation entre les deux protagonistes. Camille, après avoir demandé à Perdican son avis sur sa décision de rester au couvent pour devenir religieuse, est amenée à la justifier par une violente critique de l’infidélité masculine, suivie d’une argumentation qu’elle soutient par le portrait des souffrances de son amie religieuse. Elle entraîne ainsi la réaction de Perdican, ici porte-parole de Musset. Dans un premier temps, comme de nombreux auteurs romantiques, son argumentation critique violemment l’éducation donnée aux jeunes filles dans les couvents, où les religieuses leur peignent sous les couleurs les plus terribles l’amour terrestre. Cependant, cela ne l’empêche pas de présenter une sombre vision de la société, mais qui le conduit à faire, dans un élan lyrique, un vibrant éloge de l’amour, sans en nier les souffrances : il est la seule force qui donne sens à la vie.
Visionnage : mise en scène de Gérard Gelas, 2006, théâtre du Chêne noir
Cette mise en scène de Gérard Gelas en 2006 à Avignon rapproche la pièce de notre époque contemporaine d'abord par les costumes choisis. Le décor stylisé joue un rôle symbolique : le pont, signe parfois de l’union amoureuse, peut se séparer en deux (parfois trois) éléments quand les personnages eux-mêmes s’écartent l’un de l’autre. Il choisit aussi de marquer la fin de la scène par un temps sonore.
L’extrait met en valeur l’importance accordé au jeu des acteurs, dont, cependant, le choix peut surprendre car tous deux paraissent plus âgés que les vingt et un ans de Perdican et les dix-huit ans de Camille. De ce fait, leur jeunesse est atténuée, remplacée par une dramatisation. Ainsi, cette scène repose sur la violence de Perdican, exprimée tant par son ton de voix que par sa gestuelle puisqu’il va jusqu’à lever la main sur Camille. Il dénonce, avec des intonations qui marquent son dégoût, le comportement des religieuses, accusées de corrompre l’âme des jeunes filles qu’elles doivent éduquer. Cela permet de souligner le contraste introduit par « mais ton cœur a battu » : la douceur du discours, presque chuchoté, se charge alors d’une tendresse interrompue par le brusque éloignement qui recrée une rupture. La dernière tirade ramène Perdican près de Camille, et un temps de silence prépare la tirade lyrique finale. Si le comédien scande son portrait péjoratif de l’humanité, jusqu’à l’animalisation qu’il semble cracher avec dégoût, à nouveau le connecteur « mais » introduit un changement à la fois de ton, mais surtout avec la gestuelle qui rapproche les deux protagonistes : Perdican étreint Camille, étreinte que celle-ci accepte, en y répondant même par son attitude.
Lecture cursive préalable : acte III, scène 1, le monologue de Perdican
Entre l’adieu de Perdican à Camille, à la fin de l’acte II, et l'acte III, une nuit s’est écoulée. L’acte III s’ouvre sur un bref intermède entre le baron et le curé Bridaine, renvoyé pour son « ivrognerie », mais surtout pour avoir accusé Camille « d’une correspondance secrète ». Entre alors en scène Perdican : son monologue permet au lecteur de découvrir l’évolution de ses sentiments.
PERDICAN. – Je voudrais bien savoir si je suis amoureux. D’un côté, cette manière d’interroger tant soit peu cavalière, pour une fille de dix-huit ans ; d’un autre, les idées que ces nonnes lui ont fourrées dans la tête auront de la peine à se corriger. De plus, elle doit partir aujourd’hui. Diable ! je l’aime, cela est sûr. Après tout, qui sait ? peut-être elle répétait une leçon, et d’ailleurs il est clair qu’elle ne se soucie pas de moi. D’une autre part, elle a beau être jolie, cela n’empêche pas qu’elle n’ait des manières beaucoup trop décidées, et un ton trop brusque. Je n’ai qu’à n’y plus penser ; il est clair que je ne l’aime pas. Cela est certain qu’elle est jolie ; mais pourquoi cette conversation d’hier ne veut-elle pas me sortir de la tête ? En vérité, j’ai passé la nuit à radoter. Où vais-je donc ? — Ah ! je vais au village. (Il sort.)
Francis Huster dans le rôle de Perdican. Mise en scène de Simon Eine, 1978, à la Comédie-Française
Les troubles du cœur
Le monologue commence par une interrogation qui révèle le bouleversement de Perdican, « Je voudrais bien savoir si je suis amoureux », qui amène deux aveux, dont le contraste fait sourire. Après avoir lancé « Diable ! je l’aime, cela est sûr », il affirme le contraire avec la même conviction : « il est clair que je ne l’aime pas. »
La fin du monologue le laisse irrésolu, comme égaré, perdu dans l’espace comme dans son cœur : « Où vais-je donc ? – Ah ! je vais au village. »
L'image de Camille
Pour résoudre son dilemme, il tente de s’appuyer sur deux représentations de Camille, contrastées.
Il fait d’elle un portrait critique, blâmant « cette manière d’interroger tant soit peu cavalière, pour une fille de dix-huit ans », et ses « manières beaucoup trop décidées, et un ton trop brusque ». Il s’est, en effet, senti dominé lors de leur dialogue par une jeune fille qui ne correspond pas à l’image de douceur et de fragilité qui est alors une norme de comportement. Le refus du mariage par Camille, son refus du mariage, même s’il reconnaît que « peut-être elle répétait une leçon », est ressenti comme un rejet personnel qu’il accepte mal : « d’ailleurs il est clair qu’elle ne se soucie pas de moi. » Ce portrait traduit à quel point Camille a blessé son orgueil, d’où sa décision en réponse : « Je n’ai qu’à n’y plus penser ».
Mais, dès qu’il revient à la réalité, « elle doit partir aujourd’hui », sa réaction s’inverse ; Après avoir tenté d’effacer le fait qu’elle soit « jolie » par la critique de son comportement, sa beauté s’impose plus fortement : « Cela est certain qu’elle est jolie ». Il est alors obligé de reconnaître que l’oubli s’avère impossible : « mais pourquoi cette conversation d’hier ne veut-elle pas me sortir de la tête ? En vérité, j’ai passé la nuit à radoter. » Même s’il s’y refuse, c’est bien l’amour qui s’exprime.
Explication : acte III, scène 2, de "PERDICAN, seul. - Que ce soit un crime... " à "... (Il écrit.)"
Pour lire l'extrait
Après sa ridicule querelle avec Bridaine, Blazius reporte sa colère contre dame Pluche et, pour rentrer en grâce auprès du baron, il entreprend de lui prouver le bien-fondé de sa dénonciation de la correspondance secrète de Camille en arrachant à dame Pluche la lettre qu’elle doit porter à la poste. Arrivant pendant leur dispute, Perdican s’empare de la lettre, et découvre sa destinataire « À la sœur Louise, au couvent de ***. » Que révèle ce monologue des sentiments des deux protagonistes ?
1ère partie : Les hésitations (lignes 1 à 6)
Les hésitations de Perdican au début du monologue révèlent les troubles que l’amour produit dans son esprit.
D’un côté, les valeurs morales restent présentes en lui, mises en valeur par l’antéposition de la subordonnée conjonctive et l’adverbe hyperbolique : « Que ce soit un crime d’ouvrir une lettre, je le sais trop bien pour le faire. »
Un amour obsessionnel. Mise en scène d’Anne Schwaller, 2023, théâtre Kléber-Méleau
Mais, les trois questions qui suivent contredisent ce premier mouvement, en révélant son réel désir : lire cette lettre. Si la première ne traduit que sa curiosité, « Que peut dire Camille à cette sœur ? », la seconde formule déjà un aveu : « Suis-je donc amoureux ? » Mais la troisième va plus loin en faisant apparaître sa lutte intérieure. Son intérêt pour Camille est évident, car sa résistance en fait une « singulière fille », bien différente de celles qu’il a pu fréquenter.
Mais son orgueil combat cet intérêt, car il se sent en position de faiblesse, jusqu’à éprouver un trouble qui se marque physiquement : « Quel empire a donc pris sur moi cette singulière fille, pour que les trois mots écrits sur cette adresse me fassent trembler la main ? »
Cependant, il se refuse à ouvrir les yeux sur la vérité de son cœur : la réponse à ses questions, « Cela est singulier », remet au premier plan sa curiosité. Son premier mouvement s’inverse alors, et il trouve un prétexte pour la satisfaire : « Blazius, en se débattant avec la dame Pluche, a fait sauter le cachet. » Ainsi, l’assurance que son acte ne sera pas constaté, efface la morale posée initialement : « Est-ce un crime de rompre le pli ? Bon, je n’y changerai rien. »
2ème partie : La lettre de Camille (des lignes 6 à 13)
Ce monologue est très habile, car Musset, en y insérant le contenu même de la lettre, éclaire la personnalité de Camille.
Elle montre, comme le lui avait reproché Perdican, l’influence exercée sur elle par cette religieuse à laquelle elle s’adresse comme à sa plus « chère » amie, en adoptant le langage de la foi : « Priez pour moi ; nous nous reverrons demain et pour toujours. Toute à vous du meilleur de mon âme. »
Mais, en même temps, son ton souligne son triomphe : « C’est une terrible chose ; mais ce pauvre jeune homme a le poignard dans le cœur ; il ne se consolera pas de m’avoir perdue. » En se réjouissant de l’état de Perdican, « réduit au désespoir par [s]on refus », amplifié par le lexique tragique et l’image expressive, elle se présente, avec orgueil, comme la seule qui, au contraire de toutes celles qui sont devenues religieuses par désespoir amoureux, a su résister, les venger en quelque sorte. Elle embellit même son image en insistant sur sa généreuse grandeur d’âme, et en protestant de son innocence : « Cependant j’ai fait tout au monde pour le dégoûter de moi. Dieu me pardonnera », « Hélas ! ma chère, que pouvais-je y faire ? »
3ème partie : Une révolte (des lignes 13 à 24)
La colère de Perdican
La multiplication des questions et des exclamations traduit la violence des réactions de Perdican, une colère dirigée d’abord contre Camille : « Est-il possible ? Camille écrit cela ? » En reprenant les expressions mêmes de la lettre et par la répétition du pronom tonique « moi » en anaphore, il montre à quel point son orgueil a été blessé : « C’est de moi qu’elle parle ainsi ! Moi au désespoir de son refus ! […] Elle a fait tout au monde pour me dégoûter, dit-elle, et j’ai le poignard dans le cœur ? » C’est donc cet orgueil qui l’amène, avec une force soutenue par l’interjection et le blasphème, à nier ses propres sentiments, son amour, « Eh ! bon Dieu ! si cela était vrai, on le verrait bien », comme les arguments avancés par Camille dans leur longue conversation pour justifier son refus de l’amour : « quelle honte peut-il y avoir à aimer ? »
La critique de la religion
Dans un second temps, la colère va s’élargir à une critique générale de ce que l’éducation au couvent transmet aux jeunes filles. Ses deux questions, en effet, « Quel intérêt peut-elle avoir à inventer un roman pareil ? Cette pensée que j’avais cette nuit est-elle donc vraie ? », renvoient au monologue précédent, l’idée que Camille ne fait que répéter « les idées que les nonnes lui ont fourrées dans la tête ».
4ème partie : La riposte de Perdican (de la ligne 24 à la fin)
Ainsi, l’exclamation, « Ô femmes ! », reporte son accusation de Camille à ces nonnes. Il excuse donc Camille en admettant sa foi réelle, « cette pauvre Camille a peut-être une grande piété ! c’est de bon cœur qu’elle se donne à Dieu ». En revanche, il attribue son comportement à l’influence pernicieuse des nonnes : « mais elle a résolu et décrété qu’elle me laisserait au désespoir. Cela était convenu entre les bonnes amies avant de partir du couvent. On a décidé que Camille allait revoir son cousin, qu’on le lui voudrait faire épouser, qu’elle refuserait, et que le cousin serait désolé. » Son ironie par antiphrase, quand il nomme « les bonnes amies », la reprise du pronom indéfini « on », et l’énumération des quatre subordonnées conjonctives mettent en évidence la façon dont les nonnes ont habilement manipulé l’esprit de la jeune fille, lui dictant chacune de ses réactions, étape par étape. L’exclamation finale, « Cela est si intéressant, une jeune fille qui fait à Dieu le sacrifice du bonheur d’un cousin ! », dénonce, avec amertume, une véritable perversité cynique des religieuses : elles utiliseraient une jeune fille pour, finalement, donner sens à leur propre choix…
La manipulation religieuse. Mise en scène d’Anne Schwaller, 2023, théâtre Kléber-Méleau
Blessé dans son orgueil d’avoir servi d’objet à cette manipulation, c’est ce même orgueil qui dicte à Perdican ses protestations finales, multipliant les négations pour répondre au refus par le refus : « Non, non, Camille, je ne t’aime pas, je ne suis pas au désespoir, je n’ai pas le poignard dans le cœur, et je te le prouverai. » Pour répondre aussi au « désespoir » qu’elle prétend lui avoir infligé, il choisit donc de la blesser à son tour : « Oui, tu sauras que j’en aime une autre avant de partir d’ici. »
CONCLUSION
Les deux monologues de Perdican prouvent la fonction essentielle de cette forme d’expression, une des conventions du théâtre, qui, comme l’aparté, en révèle l’invraisemblance.
Son premier rôle est lié à l’intrigue même : il en souligne le déroulement, comme la nuit évoquée dans le premier en lien avec l’acte précédent ; mais il éclaire également l’action – ici en faisant découvrir le contenu de la lettre de Camille – et même l’anticipe, comme quand Perdican annonce sa décision de répondre au rejet de Camille en en courtisant « une autre », en l’occurrence Rosette. Il crée ainsi un horizon d'attente : il jette un jour inquiétant la relation future entre Perdican et Rosette, cette « autre » qui apparaît plus comme un remède à son orgueil blessé que comme l’objet d’un amour sincère.
Il remplit aussi le rôle du narrateur dans un roman, en dévoilant au public les sentiments des personnages. L'insertion des termes de la lettre, commentés par Perdican, offre l'avantage de mettre en relation ceux des deux protagonistes. Ainsi, le public découvre les raisons de l'action de Camille et le dilemme de Perdican, qui s’interroge par exemple sur la force de son amour, délibère sur la lecture – ou non – de la lettre, et décide d'une vengeance.
Le public devient alors à la fois témoin et juge du bouleversement du héros, et il comprend en quoi consiste ce "badinage" dans lequel l’orgueil joue, de part et d’autre, un rôle essentiel.
Écrit d'appropriation : le monologue
Sujet : Avant d’écrire sa lettre à son amie Louise, au couvent, Camille hésite et s’interroge. Imaginez son monologue.
Consignes : Pour cet écrit, il sera important de tenir compte des fonctions habituelles du monologue :
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son lien avec l’action, antérieure, comme sa longue conversation avec Perdican, et anticipée, par exemple en envisageant les réactions de Perdican.
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l’expression des sentiments : les siens, mais aussi ceux de Perdican, éventuellement de son oncle et de sa destinatrice. On fera ressortir le dilemme vécu.
La modalisation jouera un rôle essentiel : les modalités expressives, questions rhétoriques, exclamations, injonctions, un lexique insistant, des figures de style évocatrices, et un rythme propre à accentuer le bouleversement intérieur.
Étude d’ensemble : le portrait de Perdican
Pour se reporter à une étude détaillée
À partir des scènes précédemment étudiées et lues, sera proposée une synthèse sur le personnage de Perdican. On se reportera à la présentation des traits de sa personnalité qui le rattachent à l’image des jeunes romantiques des années 1830 qui, en proie au "mal du siècle", privilégient les valeurs du cœur. On insistera particulièrement sur la place qu’il accorde à l’enfance, témoignage d’une innocence perdue, et sur son idéal d'un amour absolu.
Mais il sera important d’observer aussi les défauts dont il fait preuve, notamment en faisant de Rosette une arme contre le rejet de Camille qui a blessé son orgueil. Libertinage dont le chœur souligne la dimension dramatique : « « Mais je crois que le seigneur son cousin s’est consolé avec Rosette. Hélas ! la pauvre fille ne sait pas quel danger elle court en écoutant les discours d’un jeune et galant seigneur. »
Explication : acte III, scène 3, de "(Entrent Perdican et Rosette)..." à la fin
Camille, témoin caché. Mise en scène de Claude Poissant, 2023. Théâtre Denise-Pelletier, Montréal
Pour lire l'extrait
Après les péripéties de l’acte II, qui se termine sur la rupture entre Perdican et Camille, Perdican découvre la lettre de Camille à son amie religieuse : son regret d’avoir réduit son cousin au « désespoir » masque peu l’orgueil d’avoir pu imposer sa volonté. Perdican, pour prendre sa revanche, décide de blesser à son tour Camille : « J’ai demandé un nouveau rendez-vous à Camille, et je suis sûr qu’elle y viendra ; mais, par le ciel, elle n’y trouvera pas ce qu’elle compte y trouver. Je veux faire la cour à Rosette devant Camille elle-même. » Il retrouve Rosette dans « le petit bois » sachant que Camille est le témoin caché de cette rencontre. En quoi cette scène illustre-t-elle le titre de la pièce ?
1ère partie : La mise en place de la stratégie (lignes 1 à 10)
Le témoin caché
Ce procédé est fréquent au théâtre, et suscite l’intérêt du spectateur, placé dans une position de supériorité puisqu’il sait ce que ce témoin caché ignore : les spectateurs sont au courant de la décision de Perdican, prise pour blesser Camille. Si, parfois, ce témoin caché reste muet, Musset, ici, prête à Camille un aparté qui permet de découvrir ses sentiments. Ses trois questions, dans un rythme en gradation, font ressortir son émotion, dramatisant ainsi la scène : « Que veut dire cela ? Il la fait asseoir près de lui ? Me demande-t-il un rendez-vous pour y venir causer avec une autre ? » En exprimant sa surprise, elle révèle indirectement ce qu’elle espérait : un rendez-vous où Perdican lui exprimerait amour et souffrance, ce qui conforterait le triomphe manifesté dans sa lettre. L’aparté se conclut sur une affirmation « Je suis curieuse de savoir ce qu’il lui dit. », ambiguë car sa curiosité masque, en fait, une forme de dépit. D’ailleurs, elle ne nomme même pas Rosette… , rejetée par « une autre », comme en écho aux conseils que lui avait donnés Perdican, en prônant le libertinage. S’est ainsi créée une tension dramatique, le public partageant le double spectacle mis en place : le face à face entre le couple et le regard de Camille.
Le rôle de Perdican
La didascalie, « à haute voix, de manière que Camille l’entende », confirme le stratagème élaboré par Perdican, en soulignant aussi son objectif : toucher l’orgueil de Camille, première destinatrice de son discours, ce qui réduit ainsi Rosette au rôle d’instrument de sa vengeance. Il se livre ainsi à une manipulation cruelle, en jouant sur une double énonciation. L’élan de sa déclaration, nommant la jeune paysanne, « Je t’aime, Rosette ! », est donc mensonger, ce que souligne l’anaphore qui l’oppose à Camille : « toi seule au monde tu n’as rien oublié de nos beaux jours passés ; toi seule tu te souviens de la vie qui n’est plus ». Il reprend là les reproches adressés à Camille lors de leur long échange, en révélant de ce fait sa proche nostalgie de l’innocence propre à l’enfance. Le ton se fait ensuite lyrique, même si l’expression reste simple, adaptée à la jeune paysanne, en reprenant la métonymie traditionnelle du « cœur » pour demander à Rosette son amour : « prends ta part de ma vie nouvelle ; donne-moi ton cœur, chère enfant ». En l’interpellant ainsi, il cherche à donner un témoignage de son affection, tandis que le présentatif qui suit solennise le don du bijou, témoignage concret de l’union indiqué dans la didascalie : « voilà le gage de notre amour. (Il lui pose sa chaîne sur le cou.) ».
Gaston Latouche, Une double énonciation, 1913. Lithographie
Le personnage de Rosette
Sa réaction traduit à la fois son statut social et son innocence. Sœur de lait de Camille, donc fille de celle qui l’a allaitée, elle est socialement inférieure à Perdican, fils du baron, comme à Camille. Son interrogation, avec la syntaxe orale, marque déjà cet écart, de même que la mention de la valeur du bijou : « Vous me donnez votre chaîne d’or ? » Dans ce cadre du XIXème siècle, elle est forcément consciente du mariage prévu entre Camille et Perdican tandis que le discours amoureux du jeune homme, lui, ne conduirait qu’à une mésalliance. Sa surprise fait écho, à l’inverse à celle de Camille, montrant, dans les deux cas, que c’est Perdican qui mène le jeu.
2ème partie : Un séducteur (des lignes 11 à 20)
Un geste symbolique
Les impératifs multipliés accentuent ce rôle de Perdican, qui dirige complètement la scène : « Regarde à présent cette bague. Lève-toi et approchons-nous de cette fontaine. » L’objet choisi est symbolique, une bague étant, traditionnellement, un signe d’alliance, d’où le glissement du tutoiement au pronom « nous » qui les unit. La dernière injonction à la fin de sa tirade, « regarde ! c’était une bague que m’avait donnée Camille. », précise encore ce symbolisme, le plus-que-parfait rejetant Camille dans un passé révolu. Ainsi, cette tirade est nettement destinée à blesser Camille.
Un double discours
Chaque élément du discours vise, en effet, à provoquer la jalousie de Camille, à commencer par les deux questions. L’anaphore verbale, « vois-tu », invite, certes, la jeune fille, à suivre ses indications, mais surtout concrétise face à Camille son union avec Rosette, en en multipliant les signes d’une tendresse partagée : « : « Nous vois-tu tous les deux, dans la source, appuyés l’un sur l’autre ? Vois-tu tes beaux yeux près des miens, ta main dans la mienne ? »
La didascalie accompagne ce symbolisme à l’intention de Camille : « Regarde tout cela s’effacer. (Il jette sa bague dans l’eau.) » L’insistance, « Regarde comme notre image a disparu », se traduit, en fait, comme une volonté d’effacer les sentiments qui, dans l’enfance, l’avaient rapproché de Camille : il noie, au sens figuré, son souvenir comme Camille a voulu le faire. Il le remplace alors par le nouveau couple qu’il forge : « la voilà qui revient peu à peu ; l’eau qui s’était troublée reprend son équilibre ; elle tremble encore ; de grands cercles noirs courent à sa surface ; patience, nous reparaissons ». C’est donc leur reflet qui s’affirme ainsi, à travers des images qui visent à rassurer Rosette, dont le trouble est reproduit par celui de l’eau : « déjà je distingue de nouveau tes bras enlacés dans les miens ». Le présent s’est donc rapidement substitué au passé, changement symbolisé par la gestuelle. Puis, en annonçant, « encore une minute, et il n’y aura plus une ride sur ton joli visage », il passe au futur, imposant son pouvoir sur la jeune fille.
Louis Morin, Au bord de la fontaine (détail), illustration pour l'édition de 1904
La réaction de Camille
L’aparté de Camille, « Il a jeté ma bague dans l’eau » marque le succès du stratagème mis en scène par Perdican : elle a parfaitement compris le symbolisme du geste. Son constat, mélange d’amertume et de colère, rend le spectateur complice de son dépit jaloux, mais à lui de juger qui est la plus innocente victime du jeu cruel de Perdican : elle ou Rosette ?
3ème partie : Images de l’amour (de la ligne 21 à la fin)
Le romantisme de Perdican
Sa question rhétorique, « Sais-tu ce que c’est que l’amour, Rosette ? », qui encadre la réplique lyrique de Perdican, introduit une conception romantique de l’amour, qu’il lie étroitement à la nature : « Écoute ! le vent se tait ; la pluie du matin roule en perles sur les feuilles séchées que le soleil ranime. » Il identifie l’amour qu’il déclare çà Rosette à une véritable renaissance, celle de la nature indiquant la force nouvelle de l’amour qu’il proclame : « Par la lumière du ciel, par le soleil que voilà, je t’aime ! » Comme, dans l’antiquité, on prenait les dieux comme témoins des serments, Perdican invoque ici la nature même, dans sa force de vie, en un panthéisme caractéristique du romantisme.
Deux portraits opposés
Cette invocation est aussi une façon de s’opposer au dieu auquel Camille veut vouer sa vie, de même que sa question, « Tu veux bien de moi, n’est-ce pas ? », s’oppose au refus de Camille. C'est d'ailleurs à Camille que s’adresse le portrait qui souligne sa différence avec Rosette.
Il reprend, en effet, la dénonciation, faite lors de leur conversation, de la manipulation des esprits des jeunes filles éduquées au couvent par les religieuses. En les regroupant dans le pronom indéfini, sa double question leur reproche, par des images violemment péjoratives, soutenues par le parallélisme, de dessécher, en quelque sorte, les jeunes filles, encore fraîches et pleines de vie, comme pour compenser leur propre usure : « On n’a pas flétri ta jeunesse ; on n’a pas infiltré dans ton sang vermeil les restes d’un sang affadi ?
Les négations redoublées dépeignent donc Rosette comme l’antithèse de Camille, du choix même de celle -ci, « Tu ne veux pas te faire religieuse », d’où le portait mélioratif qui oppose l’amour et la vie à une mort figurée : « te voilà jeune et belle dans les bras d’un jeune homme. »
Une déclaration d'amour. Mise en scène de Jean Liermier, 2023. Théâtre de Carouge, Suisse
L'écart social
La brève réplique de Rosette, après le discours lyrique de Perdican, « Hélas ! monsieur le docteur, je vous aimerai comme je pourrai. », ouvre vers l’avenir, mais son interjection tragique, « Hélas ! » introduit une interpellation qui marque son embarras dû à la conscience de leur écart social. Leur union ne peut qu’être une mésalliance, que confirme son interpellation par son titre : « Comme vous me parlez, monseigneur ! » En même temps, cette réplique naïve révèle aussi à quel point elle est impressionnée par la déclamation de Perdican. Cette scène laisse donc pressentir les obstacles à venir, même si Perdican tente de minimiser l’importance de cet écart, « Oui, comme tu pourras ; et tu m’aimeras mieux, tout docteur que je suis et toute paysanne que tu es », en mettant l’accent sur la seule chose qui importe : la sincérité du cœur.
Un élan romantique
Les derniers discours de Perdican remettent en évidence le portrait contrasté des deux jeunes filles, illustration de la conception romantique de l’amour qui privilégie la force du sentiment.
Il reprend ainsi sa dénonciation, qui, masquée par la généralisation, vise, en réalité, le choix de Camille, dont il fait un portrait sévère par sa comparaison à « de pâles statues », afin de mettre l’accent sur la froideur insensible de son comportement. Les deux relatives qui suivent, « qui ont la tête à la place du cœur, et qui sortent des cloîtres pour venir répandre dans la vie l’atmosphère humide de leurs cellules », fait de la rationalité une donnée stérile. Les négations s’accumulent pour souligner son refus de la rationalité développée par l’instruction : « tu ne sais rien ; tu ne lirais pas dans un livre la prière que ta mère t’apprend, comme elle l’a apprise de sa mère ; tu ne comprends même pas le sens des paroles que tu répètes, quand tu t’agenouilles au pied de ton lit ».
Mais, si ce discours peut paraître méprisant envers Rosette, dépeinte comme une paysanne ignorante, le connecteur « mais » montre qu’il n’en est rien, puisqu’il est suivi d’un éloge qui pose un savoir supérieur, celui qui naît de la vérité du cœur : « mais tu comprends bien que tu pries, et c’est tout ce qu’il faut à Dieu. » À la société, à son étroitesse qui impose un savoir artificiel, la reprise du verbe « savoir », oppose donc le vrai savoir, celui qui s’inscrit dans l’univers même : « Tu ne sais pas lire ; mais tu sais ce que disent ces bois et ces prairies, ces tièdes rivières, ces beaux champs couverts de moissons, toute cette nature splendide de jeunesse. » L’énumération, en personnifiant la nature, la peuple d’êtres vivants, à la fois embellis par l’éloge mais aussi associés à la vie, là où l’éducation au couvent ne porte que le refus de vivre.
L'avenir annoncé
La tirade se termine par une représentation de l’amour comme une harmonie parfaire entre le couple et l’univers, que promet l’innocence et la pureté de Rosette : « Tu reconnais tous ces milliers de frères, et moi pour l’un d’entre eux ». Le geste marqué par l’injonction finale, « lève-toi », donne à la promesse la force d’un serment : « tu seras ma femme et nous prendrons racine ensemble dans la sève du monde tout puissant » Le futur prend toute sa force de certitude, mais ouvre sur une métaphore qui, par l’idéal de fusion absolue qu’elle pose entre le couple et l’univers, laisse pressentir une contradiction entre l’exigence sociale – le refus d’un mariage qui serait une mésalliance – et l’aspiration romantique à un idéal dépassant les contingences humaines.
Perdican et Rosette. Bibliothèque électronique du Québec
CONCLUSION
Ce dialogue est bien "amoureux", puisque les gestes de Perdican envers Rosette, ses discours lyriques, correspondent à ceux qui pourraient rapprocher deux amants. Mais, la présence de Camille dans son rôle de témoin caché, fait ressortir toute l’ambiguïté de cette scène, dont le but initial est, pour Perdican de prendre sa revanche sur le rejet de la jeune fille et sur l’orgueil dont elle a fait preuve. Le public s’interroge donc légitimement sur la sincérité de sa volonté de séduire Rosette : ne s’agit-il pas plutôt d’un "badinage", d’un stratagème élaboré par amour-propre ? Perdican semble sincère dans ses élans lyriques, mais tient-il vraiment compte des résultats possibles de ses déclarations et de ses promesses à Rosette ? Ne se joue-t-il pas de l’innocence de cette jeune paysanne, qui, malgré ses réticences, peut croire à ses promesses ? N’incite-t-il pas Camille, mue par la jalousie, à entreprendre de résister en s’élevant contre Rosette ? Enfin, l’idéal d’amour exprimé par Perdican, fondé sur le désir de retrouver les racines de son enfance, n’est-il pas, par avance, condamné ? Autant de questions auxquelles répondrait le titre : « On ne badine pas avec l’amour » car cela risque d’entraîner de dangereuses conséquences.
Visionnage : mise en scène de Simon Eine, 1978, la Comédie-Française
Le décor reste identique avec l’arbre qui permet à Camille de se dissimuler, et avec la fontaine au bord de laquelle s’assied le couple. Le monologue de Perdican au début de l’acte III indique le début d’une troisième journée, mais l’éclairage de ce duo amoureux reste sombre : le jour se lève à peine…
Camille, dans son rôle de témoin, n’apparaît qu’au début de la scène, avec une réplique abrégée, « Je veux savoir ce qu’il lui dit », et banalisée puisque la « curiosité » n’est pas mentionnée.
La gravité de Perdican soutient sa déclaration, « je t’aime », qui, de ce fait, paraît sincère. Mais, lors du don de la chaîne, il contraste avec la voix enfantine de Rosette. D’un côté, la gestuelle de Perdican témoigne d’une tendresse protectrice envers Rosette, mais le double langage est révélé au moment où il jette la bague dans l’eau : sa phrase, « c’était une bague que m’avait donnée Camille », est accompagnée de sa tête qui se tourne vers l’arbre derrière lequel se sache la jeune fille. De plus, sa critique de l’éducation reçue par Camille au couvent contrastant avec son éloge de Rosette sont empreints d’une tonalité de douleur, ce qui tranche avec une scène de duo amoureux. Mais le baiser final, accepté par Rosette, scelle de façon solennelle sa promesse de mariage.
Étude d’ensemble : autour de l'amour
Pour se reporter à l'étude détaillée
Dans les confrontations entre Perdican, Camille et Rosette, deux conceptions de l’amour s’opposent nettement, jusqu’au dénouement tragique. Cette étude d’ensemble a pour objectif de caractériser ces deux conceptions, pour mettre ensuite en évidence le contraste entre les personnalités de Camille et de Rosette.
Une reprise de la lecture de la scène 5 de l’acte II, à travers les questions de Camille et les réponses de Perdican, conduit à mesurer comment il justifie son acceptation de l’aspect éphémère de l’amour, sans vouloir y renoncer sous prétexte qu’il serait source de souffrance. En cela, il blâme Camille et son cœur qu’il juge desséché par l’influence pernicieuse des religieuses qui ne lui ont offert, comme seule perspective d’amour absolu, que l’amour « divin »
Pourtant, même Camille décèle en lui un autre idéal, romantique : celui d’un amour absolu, qui naîtrait de l’union de deux « âmes-sœurs ». C’est ce qui explique qu’il tente de faire partager à Camille sa nostalgie de l’enfance, temps d’innocence, son sentiment d’une harmonie profonde avec la nature, tout ce qu’illustre, à ses yeux, la jeune paysanne Rosette. Le statut social de cette jeune héroïne permet à Musset de rappeler les réalités de son époque : son mariage avec Perdican serait une mésalliance, inacceptable, dont la jeune fille est consciente, mais que Perdican nie. Par sincérité, ou bien pour pouvoir ainsi répondre à l’orgueil de Camille ?
Cruauté de Camille, qui se plaît à faire souffrir Perdican, puis Rosette ; cruauté de Perdican qui promet à deux reprises le mariage à Rosette, en sachant qu’il aime Camille… Face à cette double cruauté, en lutte pour savoir laquelle dominera l’autre, Rosette ne peut qu’être condamnée…
Lectures cursives : extraits de l'acte III, scènes 6 et 7
Pour lire les deux extraits
1er extrait : Acte III, scène 6, de « ROSETTE, entrant… » à la fin
Deux héroïnes face à face
Camille, à son tour, élabore un stratagème. Mue par la jalousie, pour se venger de Perdican en le détachant de Rosette, elle veut faire comprendre à la jeune paysanne que Perdican n’est pas sincère en amenant Rosette à comprendre qu’il ne l’aime pas : « il ne t’épousera pas, et la preuve, je vais te la donner ; rentre derrière ce rideau, tu n’auras qu’à prêter l’oreille et à venir quand je t’appellerai. » À l’inverse de la scène, c’est donc Rosette qui se trouve dans la position du témoin caché. Ainsi, Camille ne recrute pas devant le même jeu que celui de Perdican, d’autant plus cruel qu’elle fait preuve d’un évident mépris en soulignant l’écart social qui sépare cette jeune fille naïve du « seigneur Perdican », même si elle tente de se persuader qu’elle agit pour le bien de Rosette : « Moi qui croyais faire un acte de vengeance, ferais-je un acte d’humanité ? »
Camille et Perdican
Ce nouvel entretien entre Camille et Perdican se déroule en quatre temps, après l’aparté qui confirme le fait que Perdican sait que Camille a assisté à sa déclaration à Rosette, alors même qu’elle vient de le nier : « Voilà, sur ma vie, un petit mensonge assez gros, pour un agneau sans tache ; je l’ai vue derrière un arbre écouter la conversation. »
La conversation commence sur le ton d’un "badinage", puisque Camille remplace sa froideur habituelle par le comportement frivole d’une jeune fille coquette : « Je voudrais qu’on me fît la cour ; je ne sais si c’est que j’ai une robe neuve, mais j’ai envie de m’amuser. Vous m’avez proposé d’aller au village, allons-y, je veux bien, mettons-nous en bateau ; j’ai envie d’aller dîner sur l’herbe, ou de faire une promenade dans la forêt. »
La deuxième étape prend pour point de départ la valeur symbolique de la bague jetée dans l’eau comme preuve d’amour donnée à Rosette. En la rendant à Perdican, Camille montre le prix qu’elle lui attache et recrée leur alliance, « c’est toi qui me la mets au doigt ! », alors même qu’elle le rejetait : « c’est toi qui me la mets au doigt ! » La tirade de Camille propose une image intéressante des femmes, révélatrice du jugement de Musset, double :
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D’un côté, il y a une réelle critique de la « nature » de la femme : elle souligne son « inconstance », « sa langue ment », elle est un « être faible et violent » un « petit être sans cervelle ».
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Mais, de l’autre, elle rappelle qu’elle est victime de contraintes sociales, qui l’obligent à « souvent jouer un rôle », est jugée avec « rigueur », doit obéir « aux principes qu’on lui impose ». D’où sa pratique du mensonge : elle peut alors « y prendre plaisir, et mentir quelquefois par passe-temps, par folie, comme elle ment par nécessité ? »
Le piège de Camille se referme alors sur Perdican, qu’elle a amené à lui déclarer son amour : « Je n’entends rien à tout cela, et je ne mens jamais. Je t’aime Camille, voilà tout ce que je sais. » La cruauté de son stratagème se révèle dans la didascalie : « (Elle lève la tapisserie ; Rosette paraît dans le fond, évanouie sur une chaise.)
Quand Camille enlève son masque, sa revanche contre Perdican est complète. En le rejetant à nouveau, « Je ne vous aime pas, moi », elle satisfait son orgueil, et, surtout, elle se lance dans une violente attaque du comportement de Perdican, séducteur sans scrupules : « je n’ai pas été chercher par dépit cette malheureuse enfant au fond de sa chaumière, pour en faire un appât, un jouet » Les questions enflammées de sa dernière tirade dénoncent la cruauté de Perdican, « tu as voulu me lancer à tout prix quelque trait qui pût m’atteindre, et tu comptais pour rien que ta flèche empoisonnée traversât cette enfant, pourvu qu’elle me frappât derrière elle. », et surtout son « noble orgueil ». La seule réponse possible pour Perdican est de chercher à son tour de la blesser, en annonçant son mariage avec Rosette, « Oui, je l’épouserai », un choix sur lequel il insiste en rabaissant Camille : il fera ainsi « beaucoup mieux qu’en [l]’épousant [elle]-même. »
Cette scène crée un malaise chez le lecteur, à la fois en raison de la façon dont Camille tend son piège, ne se souciant guère elle-même de la souffrance infligée à Rosette, et de la menace que fait peser sur la jeune paysanne un mariage sans amour.
2ème extrait : acte III, scène 7, de « (Entre Perdican.) Eh bien, cousin… » à la fin
Camille a sollicité l’appui du baron pour empêcher le mariage entre son fils et Rosette, mais en vain : il se contente de proclamer son chagrin de cette mésalliance. Il lui faut donc agir elle-même pour dissuader Perdican.
Le mariage
Elle le menace d’abord du refus de son père, risque aussitôt rejeté par le jeune homme, qui met en évidence son peu de souci des convenances sociales face à la sincérité de l’amour que lui voue Rosette : « Elle est jeune et jolie, et elle m’aime ; c’est plus qu’il n’en faut pour être trois fois heureux. » Son deuxième argument est plus perfide : elle l’accuse de faire un choix « par dépit », argument balayé à nouveau par Perdican.
Enfin, elle laisse éclater son mépris pour Rosette, « une fille de rien », dont elle fait un portrait terrible pour tenter de provoquer le dégoût de Perdican : « Elle vous ennuiera avant que le notaire ait mis son habit neuf et ses souliers pour venir ici ; le cœur vous lèvera au repas de noces, et le soir de la fête vous lui ferez couper les mains et les pieds, comme dans les contes arabes, parce qu’elle sentira le ragoût. » Ses railleries révèlent à quel point son orgueil est atteint : blessée elle-même, il lui faut blesser à son tour Perdican par son « persiflage ». Mais ne s’abaisse-t-elle pas elle-même en agissant ainsi ?
Le portrait de Rosette
L’entrée de Rosette contraste avec le conflit précédent, car sa demande d’« une grâce » fait preuve d’une dignité touchante en évoquant les moqueries dont elle est victime : « Tous les gens du village à qui j’ai parlé ce matin m’ont dit que vous aimiez votre cousine, et que vous ne m’avez fait la cour que pour vous divertir tous deux ». La proposition de Camille confirme son mépris pour Rosette : « Quant à un mari, n’en sois pas embarrassée, je me charge de t’en trouver un ». Elle n’accorde donc aucun prix à la sincérité de l’amour de celle, qui n’est, à ses yeux, qu’une simple paysanne. Comment interpréter la réaction de Perdican, qui confirme sa décision d’épouser Rosette ? Est-ce parce que, choqué de l’insensibilité de Camille, il veut à la fois la rejeter et se réhabiliter à ses propres yeux en rassurant sincèrement la jeune fille ? Ou bien est-ce une façon de s’imposer face aux gens du village : « Je trouve plaisant qu’on dise que je ne t’aime pas quand je t’épouse. Pardieu ! nous les ferons bien taire. » ?
Louis Morin, La prière de Rosette, illustration pour l'édition de 1904
Le court monologue final de Camille traduit son bouleversement : « il me semble que la tête me tourne. », « Je n’en puis plus, mes pieds refusent de ne soutenir. » Mais son orgueil l’emporte encore sur la force de ses sentiments, puisqu’elle ne peut formuler à Perdican l’aveu de son amour.
Explication : acte III, scène 8
Pour lire le dénouement
L’annonce réitérée de Perdican à Camille de son mariage avec Rosette, la jeune paysanne, a bouleversé Camille, constituant ainsi l’élément de résolution qui conduit au dénouement de la pièce, en réunissant les trois protagonistes, avec la reprise du procédé dramatique du témoin caché, mais à l’inverse puisque c’est à présent Rosette qui est dans ce rôle.
En quoi la construction de ce dénouement révèle-t-elle la vérité des cœurs en illustrant le titre de la pièce ?
1ère partie : Deux monologues (des lignes 1 à 11)
Le monologue de Camille
Le lieu dans lequel se déroule la scène, « Un oratoire », correspond au portrait de Camille, qui, tout naturellement, cherche refuge auprès de ce Dieu auquel elle avait décidé de consacrer sa vie. La brutalité de la gestuelle indiquée par la didascalie qui introduit son monologue, « elle se jette au pied de l’autel », indique immédiatement son bouleversement, qui se traduit aussi par les nombreuses questions rhétoriques, les interjections, « Oh ! », « Ah ! », jusqu’à l’exclamation finale.
Ainsi s’impose la tonalité tragique, dès l’interpellation initiale, « M’avez-vous abandonnée, ô mon Dieu ? », qui rappelle, en effet, les paroles du Christ lors de la crucifixion, rapportées dans les évangiles de Marc et de Matthieu : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Pas de « pourquoi » encore chez Camille, seulement la douleur de voir disparaître les valeurs auxquelles elle avait cru, qu’elle rappelle : « Vous le savez, lorsque je suis venue, j’avais juré de vous être fidèle ; quand j’ai refusé de devenir l’épouse d’un autre que vous, j’ai cru parler sincèrement devant vous et ma conscience, vous le savez, mon père ». Son invocation, encadrée par une même formule, « Vous le savez », est une protestation, qui répond au reproche de Perdican : son choix de devenir religieuse lui appartenait réellement ; en donne la preuve son rejet de Perdican, mais le verbe « j’ai cru » introduit déjà un doute, alors qu'elle se sent injustement punie : « ne voulez-vous donc plus de moi ? »
Louis Morin, La prière dans l'oratoire, illustration pour l'édition de 1904
L’anaphore de l’adverbe interrogatif, « Pourquoi » fait alors glisser la douleur de l’incompréhension de l’épreuve subie à une incompréhension de sa propre impuissance : « Pourquoi suis-je si faible ? » Elle se dépouille ainsi de tout l’orgueil dot elle avait jusqu’alors fait preuve. Son exclamation finale, Ah ! malheureuse, je ne puis plus prier ! », donne ainsi raison à l’échec annoncé par Perdican dans sa dénonciation des religieuses : « Le ciel n’est pas pour elles. »
Le monologue de Perdican
Le bref monologue qui accompagne l’entrée de Perdican met son bouleversement à la hauteur de celui de Camille. La question rhétorique son adresse initiale au défaut ainsi personnifié, « Orgueil, le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu venu faire entre cette fille et moi ? », reconnaît leur faute mutuelle ; mais le superlatif hyperbolique impute à ce défaut une cause extérieure, tragique car accablant un couple impuissant. La vision de Camille est mise en valeur à la fois par l’hypallage et le chiasme qui associe son apparence extérieure, « son visage » qualifié de « pâle », et son bouleversement intérieur : « La voilà pâle et effrayée, qui presse sur les dalles insensibles son cœur et son visage. » Le qualificatif « insensibles », appliqué aux « dalles », renvoie à la froideur de Camille et aux reproches adressés par Perdican à son éducation au couvent. Il reconnaît ainsi la vérité de leur couple, marqué par le pronom « nous », mais le conditionnel passé souligne leur aveuglement : « Elle aurait pu m’aimer, et nous étions nés l’un pour l’autre ». La reprise de la question initiale précise, avec la mention des « lèvres » et des « mains », symbole de l’union amoureuse, le rôle destructeur de cet « orgueil », accusé de leur échec amoureux.
2ème partie : Le duo amoureux (des lignes 12 à 29)
L'aveu d'amour
En reconnaissant la voix de Perdican, Camille provoque sa tirade lyrique, qui s’ouvre et se ferme sur un intense aveu d’amour, « Insensés que nous sommes ! nous nous aimons », repris par « Ȏ insensés ! nous nous aimons », auquel répond la brève réplique de Camille : "Oui, nous nous aimons, Perdican ». Cette union, affirmée par un présent qui efface les erreurs passées, est illustrée par les deux didascalies, « Il la prend dans ses bras. », « Il l’embrasse », et marquée par son élan final : « Chère créature, tu es à moi ! »
L'union du couple. Mise en scène de Gérard Gelas, 2006, théâtre du Chêne noir
Ainsi cette scène fait disparaître ce qui les a séparés, l’opposition entre l’amour céleste, pour Dieu, et l’amour terrestre, humain. La tirade de Perdican comporte, en effet, une invocation, « Ȏ mon Dieu ! », et par deux images, il insiste sur la dimension de l’amour, don divin d’un « pêcheur céleste » et « route céleste » à suivre pour s’élever vers Dieu : elle « nous aurait conduits à toi dans un baiser ! » Ainsi, ces deux amours fusionnent, conception confirmée par Camille qui accepte l’étreinte de Perdican : « Ce Dieu qui nous regarde ne s’en offensera pas ; il veut bien que je t’aime ; il y a quinze ans qu’il le sait. »
Une image de l'existence
La tirade de Perdican illustre, par sa tonalité lyrique, la conception romantique de l’existence, dans le prolongement de la vision chrétienne qui condamne l’homme à la douleur. Ainsi, la vie terrestre se déroule dans les « profondeurs de l’abîme », des ténèbres qui ne créent que des illusions : « Hélas ! cette vie est elle-même un si pénible rêve ! »
Mais, par une première métaphore, il oppose à cette vision tragique la puissance de l’amour, embelli par le lexique mélioratif : « le bonheur est une perle si rare dans cet océan d’ici-bas ! Tu nous l’avais donné, pêcheur céleste, tu l’avais tiré pour nous des profondeurs de l’abîme, cet inestimable joyau ». Une seconde métaphore rattache cette image de l’amour à une autre caractéristique romantique, la beauté de la nature, mise en valeur : « Le vert sentier qui nous amenait l’un vers l’autre avait une pente si douce, il était entouré de buissons si fleuris, il se perdait dans un si tranquille horizon ! »
La tirade repose donc sur une antithèse : l’amour, d’abord vaincu, finit par triompher dans leur baiser.
L'accusation
L’apostrophe répétée, « insensés que nous sommes ! », lance avec force une auto-accusation, accentuée par la comparaison, « comme des enfants gâtés que nous sommes ».
Deux questions rhétoriques, scandées par l’anaphore, accumulent de violents reproches : « Quel songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles, quelles misérables folies ont passé comme un vent funeste entre nous deux ? » Il reconnaît ainsi leur faute, avoir « fait un jouet » du « bonheur » d’aimer, possible, un amusement qui fait écho au titre de la pièce. Le "badinage" devient une faute quand c’est l’orgueil qui en est la source, le désir de s’imposer : à la question, « Lequel de nous a voulu tromper l’autre ? », le déterminant possessif dans la réponse les unit dans un même aveuglement dont l’interjection souligne le tragique : « Hélas ! cette vie est elle-même un si pénible rêve ! pourquoi encore y mêler les nôtres ? »
Deux coupables. Mise en scène de Gérard Gelas, 2006, théâtre du Chêne noir
Cependant, l’image du « vent funeste », adjectif étymologiquement lié à la mort, fait penser à une fatalité tragique, comme pour les excuser. De la même façon, l’anaphore verbale renforce cette idée qu’une fatalité pèse sur l’humanité, que leurs fautes, concrétisées par l'image, s’accomplissent comme malgré eux : « Il a bien fallu que la vanité, le bavardage et la colère vinssent jeter leurs rochers informes sur cette route céleste […] ! Il a bien fallu que nous nous fissions du mal, car nous sommes des hommes. »
3ème partie : Une issue tragique (de la ligne 30 à la fin)
La violence du dénouement
Même si Musset respecte l’héritage classique, qui interdisait de montre la mort sur scène, il veille à accentuer la violence du dénouement. Déjà la juxtaposition des deux propositions dans la didascalie, « (Il l’embrasse ; on entend un grand cri derrière l’autel.), impose au public, inclus dans le pronom « on », une rupture, avec l’adjectif qui amplifie sa brutalité et suscite l’effroi, à la fois du public et des personnages. Au-delà de la surprise que manifeste Perdican, « Comment est-elle ici ? je l’avais laissée dans l’escalier, lorsque tu m’as fait rappeler. Il faut donc qu’elle m’ait suivi sans que je m’en sois aperçu. », une image concrétise alors cet effroi, comme en un souvenir des mains de Lady Macbeth souillées de sang chez Shakespeare, comme si Perdican évoquait un crime : « Je ne sais ce que j’éprouve ; il me semble que mes mains sont couvertes de sang. »
L'effet d'attente
Le déplacement de Camille crée une attente, avec une issue atténuée par sa remarque, « La pauvre enfant nous a sans doute épiés ; elle s’est encore évanouie », mais qui reste inscrite dans la tonalité tragique : « Hélas ! tout cela est cruel ».
En revanche, la tirade de Perdican accentue le tragique, déjà par sa peur et la sensation exprimée : « je sens un froid mortel qui me paralyse. » Sa prière implorante relève encore plus nettement du tragique, car il fait appel à trois reprises à la miséricorde d'un dieu, don l’humain admet la toute- puissance : « Je vous en supplie, mon Dieu ! ne faites pas de moi un meurtrier ! », « ne tuez pas Rosette, Dieu juste ! », « ne faites pas cela, ô Dieu ! », « vous pouvez bénir encore quatre de vos enfants. » Il tente ainsi une ultime justification : « Vous voyez ce qui se passe ; nous sommes deux enfants insensés, et nous avons joué avec la vie et la mort ; mais notre cœur est pur ». Il donne sens ainsi à l’image précédente du « bonheur » devenu un « jouet », et, surtout, renvoie à nouveau au titre de la pièce, en mettant l’accent sur l’interdit formulé. Mais la promesse finale, « Je lui trouverai un mari, je réparerai ma faute, elle est jeune, elle sera heureuse », témoigne encore d’une forme de légèreté : il fait bien peu de cas de la profondeur et de la sincérité des sentiments de Rosette.
La rupture finale
L’effet de suspens créé par cette prière, fait ressortir plus fortement le coup de théâtre final, la dernière réplique qui impose brutalement le tragique : « Elle est morte. Adieu, Perdican ! » Le dénouement apparaît ainsi comme un châtiment, le prix à payer pour l’orgueil qui a soutenu le « badinage » amoureux du couple en provoquant la mort d’une innocente.
Un dénouement tragique. Mise en scène de Laurent Delvert, 2021. Théâtre des Capucins, Luxembourg
CONCLUSION
Cette scène confirme le rattachement de cette pièce au drame romantique. Les grotesques, porteurs du comique, ont progressivement disparu pour laisser le tragique prendre toute sa place, avec ses deux caractéristiques posées par Aristote : susciter la terreur et la pitié.
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La terreur naît de la structure même de cette scène, de la tension créée par les coups de théâtre successifs : le couple séparé se retrouve uni, dénouement heureux traditionnellement attendu dans une "comédie", sous-titre de la pièce ; mais intervient le « grand cri », qui introduit la peur, suivi d'un temps d’attente, temps d’un espoir, qui se trouve réduit à néant par la dernière réplique.
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La pitié, elle, est provoquée par la mort de Rosette, victime innocente d’un jeu dans lequel chacun voulait affirmer sa victoire.
Enfin, comme dans la tragédie antique, c’est la transcendance qui condamne au malheur les deux héros : de simples mortels, prisonniers de leur quête d'un idéal absolu, mais égarés par leur « orgueil ».
Mise en scène : un extrait de l'acte III, scène 8
L’activité porte sur un extrait de la scène, de la didascalie, « Il l’embrasse. On entend un grand cri. », à la fin. L'objectif de cet exercice est double : concrétiser l’explication de la scène et mettre en œuvre les acquis sur les composantes de la mise en scène.
L’activité implique à la fois d'élaborer un document, par exemple sous la forme d’un PowerPoint, pour présenter le décor choisi, les costumes, et faire mention des effets techniques. Intervient ensuite la mise en jeu par les "élèves-acteurs".
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Il est important de justifier les choix, notamment l’ancrage du décor et des costumes dans le XIXème siècle ou bien une modernisation délibérée, ainsi que le choix du réalisme ou bien d’une stylisation plus symbolique.
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Pour le jeu des acteurs, on veillera aux déplacements (entrée et sortie de Camille, mais aussi rapprochement entre eux ou prise de distance), et à la gestuelle : on peut privilégier une forme de violence ou, au contraire, plus de sobriété. Enfin, il est important de travailler l’expressivité pour mettre en évidence les sentiments des personnages : regards, mimiques, intonation.
Conclusion
Réponse à la problématique
Rappelons la problématique posée au début de ce parcours : « En quoi cette pièce illustre-t-elle le romantisme de Musset ? » Les explications et les lectures ont-elles apporté des preuves de ce romantisme ?
La rupture finale
Musset ne reprend pas toutes les exigences du drame telles que les a formulées Victor Hugo, déjà en n’inscrivant pas sa pièce dans un contexte historique, donc en ne mettant pas en scène de nobles personnages. Il se contente de s'inspirer des réalités sociales de son temps. De plus, il redonne une place à l’héritage antique en introduisant le chœur, qui commente l’action, dialogue avec Perdican, et pressent le « danger » couru par Rosette.
Mais nous y avons reconnu l’irrespect des règles classiques d’unité de lieu – même si l’ensemble reste lié au cadre même du château et du village tout proche – et de temps, mais là encore en limitant tout de même la durée à trois jours. Enfin, s’il ne montre pas la mort de Rosette sur scène, il ne la relate pas par un long récit, comme Hugo le reproche aux auteurs classiques, mais lui garde son intensité par ce « grand cri » signalé dans la didascalie, et la brutale annonce de Camille : « Elle est morte. Adieu, Perdican. »
Nous avons aussi pu mesurer, par l’étude des personnages de Blazius, Bridaine, dame Pluche et du Baron, la place et le rôle des "grotesques", la façon dont leurs interventions comiques s’entrecroisent avec les face à face entre les trois protagonistes, Perdican, Camille et Rosette. Pouvons-nous, pour autant, parler de "sublime" à propos de ces héros ? Le statut social de Rosette, simple paysanne, empêche que sa sincérité ne s’exprime en ces grands élans lyriques propres au "sublime". Quant à Perdican et Camille, leur volonté de s’imposer l’un à l’autre, due à l’orgueil qui les habite, les conduit à argumenter pour défendre leur point de vue plus qu’à formuler les élans de leur cœur. Ceux-ci se limitent ainsi à de rares passages, les monologues de Perdican exposant son dilemme, ou celui de Camille lors du dénouement.
Le "mal du siècle"
En revanche, Perdican comme Camille représentent, chacun à sa façon, le "mal du siècle" qui caractérise la jeunesse romantique du début du siècle. Ni l’une ni l’autre n’acceptent les valeurs prônées par la société de leur époque, qu’ils rejettent pour privilégier les élans du cœur et de l’âme. Ainsi, Camille voit dans la religion un idéal d’amour véritable car éternel, non trompeur contrairement à l’amour terrestre, éphémère et superficiel. Elle refuse l’image du mariage que lui ont présentée les religieuses au couvent, espérant que sa foi sincère suffira à l’empêcher de souffrir. Perdican, pour sa part, même s’il a fait des études et est devenu « docteur », recherche lui aussi la vérité des sentiments, qu’il pense trouver, non pas dans la société, mais au sein de la nature, et en retrouvant l’innocence et la pureté de son enfance, quand la société ne l’avait pas encore corrompu. Mais tous deux souffrent, car, finalement, ces idéaux ainsi posés ne sont qu’une façon de fuir la réalité, qui finit par s'imposer.
Thomas Géricault, Portrait d’un artiste dans son atelier, 1820. Huile sur toile, 147 x 114. Musée du Louvre
L'amour romantique
« Hélas ! monsieur le docteur, je vous aimerai comme je pourrai », répond la jeune Rosette aux déclarations de Perdican, dans toute sa simplicité innocente. Important contraste avec la façon idéalisée dont tant Camille que Perdican conçoivent ce sentiment, la fusion de deux "âmes-sœurs". C’est, en effet, parce que cette fusion ne peut être que temporelle, le couple se séparant irrémédiablement, l’homme oubliant très vite celle qu’il disait pourtant adorer, que Camille refuse le mariage. C’est aussi en ranimant, avec Rosette, le temps de l’innocence enfantine, que Perdican tente de faire d’elle cette "âme-sœur" recherchée. Et c’est aussi ce qui explique l’élan lyrique de son aveu final à Camille : « Insensés que nous sommes ! nous nous aimons. Quel songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles, quelles misérables folies ont passé comme un vent funeste entre nous deux ? » L’amour est ainsi présenté comme une puissance qui les unissait, même si eux restaient aveugles. Camille confirme cette fusion, en lui prêtant une origine divine : « Oui, nous nous aimons, Perdican ; laisse-moi le sentir sur ton cœur. Ce Dieu qui nous regarde ne s'en offensera pas ; il veut bien que je t'aime ; il y a quinze ans qu'il le sait. »
Ainsi, comme bien des romantiques au XIXème siècle, Musset retrouve la représentation de l’amour présentée par Alcibiade dans Le Banquet (vers 380 av. J.-C.) de Platon, en relatant le mythe de l’androgyne. Il raconte comment les hommes qui, originellement, formaient un couple, ont été châtiés par Zeus qui les a séparés : « Or, quand le corps eut été ainsi divisé, chacun, regrettant sa moitié, allait à elle ; et, s’embrassant et s’enlaçant les uns les autres », ils éprouvaient « le désir de se fondre ensemble ». Mais cette image d’une absolue fusion conduit à une quête qui se conclut souvent par un irrémédiable échec, comme dans la pièce où elle ne se réalise qu'un bref instant.
L'écriture dramatique
Ces constats amènent, finalement, à s’interroger sur les caractéristiques de l’écriture dramatique de Musset. Elle revêt des aspects diversifiés, à commencer par la variété des formes de discours : dialogue faisant alterner de longues tirades ou de brèves répliques, jusqu’à la stichomythie, et monologue. L’argumentation est très présente, notamment lors des rencontres entre Perdican et Camille, mais, au-delà de la rationalité prônée depuis Descartes et mise au premier plan aux XVIIème et XVIIIème siècles, le romantisme naît du courant sensible de Locke et Condillac qui a modifié l’écriture en donnant une place prépondérante à l'expression des élans de l’âme.
Dans sa pièce, nous avons donc pu observer comment Musset mêle les tonalités, comique avec les "grotesques", lyrique pour les élans du cœur, pathétique quand les personnages expriment leur souffrance, et même tragique quand est introduite l’idée de fatalité, et notamment au dénouement.
Le comique
Les passages comiques se reconnaissent immédiatement par le rire provoqué, et cette conclusion est l’occasion de revoir la fiche déjà réalisée.
Tonalité tragique ou pathétique ?
Héritage de l'antiquité, le tragique se définit d'abord par la personnalité de son héros et par les sujets abordés, empruntés à la mythologie, à l'histoire, à la Bible... Mais il évolue en même temps que les différents mouvements littéraires, et ne reste d’ailleurs pas réservé au seul théâtre : un roman, un poème peuvent s'inscrire dans le tragique, dès le moment où ils cherchent à provoquer ce mélange de terreur et de pitié, ses deux critères retenus par Aristote, et introduisent une fatalité qui écrase le héros en lutte.
Est-il alors vraiment possible d’inscrire la pièce dans cette tonalité, ou serait-il préférable de n’y reconnaître que le pathétique, si présent dans le mélodrame, genre alors apprécié ? Le pathétique se distingue du tragique parce qu'il ne met l'accent que sur la pitié que le lecteur doit ressentir envers le personnage. Le héros n'est pas forcément noble, mais doit être une victime attendrissante, parce que totalement innocente, et faible par son statut social ou sa personnalité propre. Il ne subit pas une fatalité : son malheur, toujours injuste, est dû à un adversaire, à un ennemi. Il aurait donc pu, dans d'autres circonstances, être épargné. Comment ne pas reconnaître, dans ces caractéristiques, le personnage de Rosette, qui provoque forcément l'empathie du public ?
Un héros devient pathétique car il ne fait pas, non plus, preuve d'un courage exceptionnel face à l'épreuve, mais est souvent déchiré entre des aspirations contradictoires : ses idéaux les plus nobles se heurtent à la réalité d’une société hiérarchisée et matérialiste. Ainsi, ce sont le plus souvent ses dilemmes que les monologues mettent en scène, ses lamentations que nous entendons, ses larmes que nous voyons alors qu’il est progressivement conduit à un douloureux échec. C’est la peur de souffrir qui explique la résistance de Camille, qu’elle dépeint dans les portraits de ces femmes qui se sont réfugiées au couvent. En revanche, Perdican, lui, accepte la souffrance comme le prix à payer pour vivre pleinement une passion.
La tonalité lyrique
Très présente dans la poésie – et n’oublions pas que Musset a d’abord été célébré comme poète – la tonalité lyrique peut aussi se rencontrer dans les romans, notamment dans les autobiographies, et au théâtre, tout particulièrement dans les tirades ou les monologues, et quand il s’agit de parler d’amour. Le sentiment amoureux est ressenti avec intensité, et le personnage est alors placé dans un état d’exaltation, enfermé dans sa passion.
Pour traduire cette intensité des sentiments, le discours est fortement modalisé, multipliant les modalités expressives, comme les exclamations ou les questions rhétoriques, en une sorte de dialogue intérieur. Le lexique est hyperbolique, et souvent soutenu par des images, comparaisons et métaphores, mis en valeur aussi par le rythme des phrases, par exemple des anaphores, des énumérations ou, inversement, le choix de phrases nominales, comme pour lancer un cri. La scène entre Perdican et Rosette, avec l’évocation de la bague jetée dans la fontaine ou le rôle imparti à la nature en donne un bon exemple, comme les monologues du héros.
Devoir : dissertation littéraire
Pour lire la correction proposée
SUJET : Dans son poème, « La Nuit de mai », composé en 1835, Musset prête au poète cette affirmation : « La bouche garde le silence / Pour écouter parler le cœur ». En quoi pourrait-elle s’appliquer aux personnages mis en scène dans On ne badine pas avec l’amour en expliquant le dénouement ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur votre étude de la pièce, sur les textes abordés dans le parcours associés et sur vos lectures personnelles.