Émile Zola, Naïs Micoulin, "Nantas", 1884
Édouard Manet, Le Portrait d'Émile Zola, 1868. Huile sur toile, 146 x 114. Musée d’Orsay, Paris
L'auteur (1840-1902) : témoin d’un siècle
La formation de l'écrivain
Pour en savoir plus sur "Les Rougon-Macquart"
Provincial comme beaucoup de ses héros, Zola passe sa jeunesse à Aix-en-Provence, avant de "monter" à Paris, en 1857, dans l’espoir d’une ascension sociale. Mais la réussite tarde à arriver, la vie est difficile et un double échec au baccalauréat l’amène à arrêter ses études pour travailler comme employé sur les docks, tout en commençant à écrire.
C’est en 1862 que sa vie change quand l’éditeur Louis Hachette l’embauche comme commis de librairie, au service de la publicité, et parallèlement, il se lance dans le journalisme. Il publie alors plusieurs articles, par exemple dans L’Événement et dans L’Illustration, des chroniques, des critiques littéraires (Mes Haines) et artistiques (Mes Salons), mais aussi ses premiers récits, regroupés ensuite dans Les Contes à Ninon, recueil paru en 1864. Déjà, dans ses articles, transparaissent ses choix politiques, notamment ses idées républicaines, ses critiques violentes contre la vie politique et la société de son époque, les amitiés nouées avec des peintres, tels Manet et les impressionnistes.
Le « maître » du naturalisme
Il a alors l’idée d’un vaste cycle romanesque, intitulé « Les Rougon-Macquart », sous-titré « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire », pour concurrencer « La Comédie humaine » de Balzac. Ses personnages récurrents, tous issus d’une même ancêtre, Adélaïde Fouque à laquelle ils doivent leur hérédité génétique, se déploient en deux branches, les Rougon, la branche légitime, et les Macquart, la branche bâtarde. Zola vise ainsi un double objectif :sous l’influence des théories scientifiques de son temps, notamment du biologiste Claude Bernard, du naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire et du Traité philosophique et physiologique de l’hérédité naturelle (1847-1850) du docteur Prosper Lucas, il veut montrer comment se traduit une double hérédité, la folie d’une part, sous des formes diverses, le vice, en particulier l’alcoolisme, d’autre part, certains personnages y échappant, d’autres y sombrant, selon les circonstances de leur vie, et le milieu social dans lequel ils évoluent. C’est le succès de L’Assommoir, en 1877, qui fait de lui une sorte de « maître » pour de nombreux jeunes écrivains, Huysmans, Maupassant, Céard, Alexis, Hennique… : ils se réunissent dans sa propriété de Médan, publient un recueil collectif de nouvelles sur le thème de la guerre, Les Soirées de Médan (1880), et fondent ainsi le mouvement naturaliste. Même s’ils se détachent de Zola en 1887, ce mouvement imprime sa marque sur toute la fin du siècle, dans les romans comme au théâtre.
Mais, parallèlement à l’écriture des vingt-cinq romans des « Rougon-Macquart », Zola continue à publier dans la presse des récits courts et des nouvelles, qu’il réunit, notamment, en 1874, dans Nouveaux Contes à Ninon, puis dans Naïs Micoulin, en 1884.
L'engagement
Le regard critique que Zola jette sur son époque explique ses deux autres cycles romanesques, « Les trois Villes » (1894-1898), Lourdes, Rome et Paris, trilogie où il veut faire « le bilan religieux, philosophique et social du siècle », et une tétralogie, « Les quatre Évangiles », Fécondité (1899), Travail (1901), Vérité et Justice, restés inachevés, où il imagine la société future. Mais c’est l’affaire Dreyfus qui pousse à son apogée son cet engagement politique, par son combat depuis l’article « J’accuse » publié dans L’Aurore le 13 janvier 1898, en faveur du capitaine Dreyfus et contre l’antisémitisme.
Le contexte de « Nantas »
Le contexte historique
L'essor économique
L’injonction du ministre Guizot (1784-1874) « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne », lancée sous la Monarchie de Juillet qui amène au pouvoir le roi Louis-Philippe après l’insurrection des « Trois glorieuses » en 1830, reste le mot d’ordre du XIXème siècle. Ni la révolution de 1848, qui établit la IIème République, ni l’épisode de La Commune de Paris, après la défaite de Sedan qui met fin au Second Empire, ne freinent l’expansion du pays.
Émile Théodore Therond, Exposition universelle de 1855, in Paris illustré, nouveau guide de l’étranger et du Parisien, 1867 d’A. Joanne
Le matérialisme triomphe, car le Second Empire, après le coup d’État du 2 décembre 1851, a poursuivi cet essor, célébré par l’exposition universelle de 1855, la première en France après celle de Londres en 1851: il s’accélère avec les conquêtes coloniales, avec le développement des sciences et des techniques, et l’amélioration des transports, notamment ferroviaires. Cet essor se retrouve dans la nouvelle de Zola : « c’était un bruit d’or continu, des sacs ouverts et coulant sur les tables, la musique toujours sonnante d’une caisse dont le flot semblait devoir noyer les rues. » Cela se concrétise, à Paris, par la transformation : de l’urbanisme : en 1853, Napoléon III confie au baron Haussmann la charge de coordonner les grands travaux destinés à moderniser la capitale et sa proche couronne, les rues et les boulevards, les parcs et jardins, l’aménagement du réseau d’eau et d’égouts, les monuments publics, et jusqu’aux façades des immeubles.
Cette métamorphose de la ville est soutenue par l’action des banques, qui interviennent pour racheter des terrains, en spéculant sur les expropriations. Paris prend alors son appellation de "ville-lumière", dans tous les sens du terme, devenue, grâce à l’éclairage qui permet une intense vie nocturne, le lieu de tous les plaisirs, et phare qui attire vers elle ceux qui cherchent la fortune, tel le personnage de la nouvelle Nantas, qui a quitté Marseille et se compare, dans sa mansarde, à un général « devant la ville riche et immense, qu’il doit prendre le lendemain. » Et au bout de dix ans, cette promesse est remplie : il « venait de conquérir une des plus hautes situations financières et industrielles. Mêlé à toutes les grandes entreprises de chemins de fer, lancé dans toutes les spéculations sur les terrains qui signalèrent les premières années de l’Empire, il avait réalisé rapidement une fortune immense. »
À l’époque où paraît le recueil, on entre ainsi dans la période qui sera nommée plus tard, "La Belle Époque", en raison d’abord de l’absence de guerre sur le territoire français, entre 1870 et 1914, mais surtout de cette prospérité accrue offerte à la bourgeoisie, qui voit s’imposer le capitalisme, avec ses financiers, investisseurs, entrepreneurs : ils s'enrichissent, tandis qu’un prolétariat ouvrier, exploité, vit sans protection sociale, souvent dans une profonde misère.
La vie politique
La Constitution de 1875, destinée à fonder les institutions de la Troisième République, ne réussit pas à garantir un équilibre politique : le fonctionnement parlementaire provoque, au contraire, l’instabilité ministérielle.
La nouvelle « Nantas » n’est pas précisément datée. Mais le troisième chapitre nous apprend que le récit se déroule au Second Empire, alors qu’il a déjà évolué. Moins autoritaire qu’à ses débuts, après le coup d’État du futur Napoléon III le 2 décembre 1851, le pouvoir a évolué vers le parlementarisme puisque les députés, élus pour six ans, ont obtenu l’initiative des lois et peuvent interpeller le gouvernement. Mais, comme les candidats sont le plus souvent soutenus par les préfets, nommés eux par l’empereur, il est important pour eux d’avoir l’appui du pouvoir. C'est ce qui ressort de l'évolution du héros de « Nantas ».
Mais son ambition ne se bornait pas là, il voulait jouer un rôle politique, et il avait réussi à se faire nommer député, dans un département où il possédait plusieurs fermes. Dès son arrivée au Corps législatif, il s’était posé en futur ministre des Finances. Par ses connaissances spéciales et sa facilité de parole, il y prenait de jour en jour une place plus importante. Du reste, il montrait adroitement un dévouement absolu à l’Empire, tout en ayant en matière de finances des théories personnelles, qui faisaient grand bruit et qu’il savait préoccuper beaucoup l’empereur.
Cela entraîne une autre conséquence, qui prépare les dysfonctionnements de la IIIème République, l'influence croissante des financiers en lien avec les députés, qui ouvre la voie à la corruption.
Le contexte littéraire
La nouvelle
Même si la nouvelle apparaît, en France, sous la Renaissance, avec L’Heptameron (1558) de Marguerite de Navarre, à l’imitation du Decameron (1349-1353) de l’Italien Boccace, et est pratiquée par Sorel, Segrais, Donneau de Visé au XVIIème siècle, ou par Diderot au XVIIIème siècle, c'est au XIXème siècle qu’elle acquiert sa reconnaissance, parallèlement au roman, avec le mouvement romantique et le développement de la parution dans des revues.
La nouvelle est définie comme un "récit court", mais, plus que sa longueur, qui peut varier d’une page à une centaine pour les plus longues, elle se caractérise par sa concentration, qui réduit le nombre des personnages et des descriptions, et par la structure qui ne multiplie pas les péripéties, mais utilise tous les procédés qui accélèrent le récit – par exemple le résumé ou l’ellipse – afin d’en souligner la tension, et, surtout, propose une "chute", c’est-à-dire un dénouement rapide et, souvent, inattendu, provoquant la surprise.
Le choix, par Zola, de « cycles », avec la récurrence de personnages, et des romans qui, parfois, se font suite, comme Au Bonheur des dames après Pot-Bouille, peut rendre surprenant sa publication parallèle de nouvelles. Mais ce choix est lié à ses débuts en tant que journaliste : rappelons la publication des Contes à Ninon, à l’âge de 24 ans. Puis, alors qu’il élabore ses grands romans, les nouvelles alors publiées constituent comme un arrière-plan des « Rougon-Macquart », par exemple avec des scènes qui se déroulent différents quartiers parisiens ou des personnages qui annoncent ceux des romans, une famille vivant dans la misère dans Le Chômage (1870), ou bien un ouvrier agricole, un étudiant ambitieux…
Un tournant s’accomplit, quand, grâce à son ami, l’écrivain russe, Ivan Tourgueniev, il commence à collaborer avec Le Messager de l’Europe, revue mensuelle depuis 1869, cosmopolite et libérale, qui paraît à Saint-Pétersbourg mais est ouverte à l’international. Au lieu de courtes chroniques, il dispose alors de vingt pages, ce qui lui permet, tout en profitant de la concentration narrative propre à la nouvelle, de l’enrichir par des scènes plus saisissantes et des personnages plus significatifs. Écoutons d’ailleurs ce que Zola lui-même déclare, dans son discours aux funérailles de Maupassant, le 9 juillet 1893, à propos de la nouvelle, alors même qu’il vient d’achever « Les Rougon-Macquart » :
« Je suis parfois pris d'une inquiétude mélancolique devant les grosses productions de notre époque. Oui, ce sont de longues et consciencieuses besognes, beaucoup de livres accumulés, un bel exemple d'obstination et de travail. Seulement ce sont là aussi des bagages bien lourds pour la gloire, et la mémoire des hommes n'aime pas à se charger d'un pareil poids. De ces grandes œuvres cycliques, il n'est jamais resté que quelques pages. Qui sait si l'immortalité n'est pas plutôt une nouvelle en trois cents lignes, la fable ou le conte que les écoliers des siècles futurs se transmettront, comme l'exemple inattaquable de la perfection classique. »
Une nouvelle de Zola dans Le Messager de l'Europe, édition polonaise
Le naturalisme
Le XIXème siècle connaît une évolution artistique continue dans le domaine littéraire, avec la rupture importante que marque, au cœur du siècle, le passage du romantisme – même s’il reste un héritage pour de nombreux auteurs de la fin du siècle – au réalisme.
Le naturalisme, dont Zola s’affirme comme le chef de file, pousse à l'extrême les critères retenus par les écrivains réalistes, en s'appuyant encore davantage sur les théories et les pratiques scientifiques. Ainsi, il emprunte aux travaux sur l'hérédité de Claude Bernard l'idée que l'être humain est déterminé par ses origines, non plus seulement sociales, mais d'abord physiologiques. Ce poids de l’hérédité, même brièvement évoqué dans « Nantas », une nouvelle, reste déterminant cependant pour le héros : il fait preuve d'« une ambition entêtée de fortune, qu’il tenait de sa mère. » De ce fait, un écrivain naturaliste s'attache à dépeindre tout ce qui relève des corps, d'où le scandale que provoquent alors les œuvres rattachées à ce courant, jugées trop vulgaires. Dans « Nantas », c’est bien la grossesse illégitime de Flavie qui détermine l’évolution du héros, et le fait qu’il ne soit son mari « que de nom » détermine le désir et la rage qui conduisent au dénouement. Ainsi, comme on le ferait dans un laboratoire, il suffit de faire varier les circonstances et les milieux fréquentés par le personnage pour mesurer son évolution.
« Le triomphe du naturalisme », La Caricature, 7 février 1880
Présentation de la nouvelle
Pour lire "Nantas"
La genèse de l’œuvre
La nouvelle paraît dans Le Messager de l’Europe en octobre 1878, sous le titre « La Vie contemporaine », puis dans le journal Le Voltaire en juillet 1879. Mais, comme souvent chez Zola, le récit se situe au confluent de deux œuvres.
En 1871 est paru le deuxième roman des « Rougon-Macquart », La Curée, dont l’héroïne, Renée, a un parcours qui annonce celui de Flavie dans la nouvelle : enceinte après avoir été violée, elle trouve, grâce à l’intervention auprès de son père de Sidonie, sœur d’Aristide Saccard, un époux car celui-ci accepte la reconnaissance de cette paternité. Il peut ainsi profiter du nom et de la fortune de sa femme pour accéder au sommet de la fortune.
Le 16 avril 1887, sur le théâtre du Vaudeville, il fait jouer Renée, un drame en cinq actes, en reprenant le même contexte, mais avec l’intervention de sa fidèle domestique, Mlle Chuin, déjà présente dans la nouvelle, qui permet le mariage avec Saccard, qui, dix ans après, a acquis une fortune considérable. Zola considère donc son drame comme « une combinaison de La Curée et de Nantas. »
Mais il y a une différence fondamentale entre ces deux œuvres et la nouvelle. D’un premier mariage, Saccard a eu un fils, Maxime, dont Renée tombe amoureuse. Elle devient sa maîtresse, mais, quand il se fiance avec Louise, son profond chagrin l’accable, elle s’adonne au jeu et meurt d’une méningite. Dénouement exactement inverse donc de celui de la nouvelle, dont la concision a amené l’écrivain à simplifier les péripéties en supprimant le personnage de Maxime.
Marthe Brandes joue Renée, 1887. Album Reutlinger de portraits divers, vol. 20. BnF
La nouvelle « Nantas » suit la première, « Naïs Micoulin », qui donne son titre au recueil, paru en 1884. Elle introduit d’emblée un contraste :
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Dans «Naîs Micoulin », entre Naïs, la fille des métayers et Frédéric, le fils des Rostand, les riches bourgeois propriétaires, la mésalliance ne se réalise pas, car le jeune homme rejette vite l’amour sincère de celle qu’il a séduite. Pour ne pas tomber dans la misère, Naïs épousera, sans amour, Toine « le bossu ».
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Dans « Nantas », au contraire, la mésalliance est acceptée pour sauver l’honneur de Flavie, enceinte d’un séducteur déjà marié,amant, mais l’amour n’existe pas, puisque le héros ne sera époux que « de nom ». Mais, alors qu’il se désespère de ne pas être aimé de celle qu’il a voulu séduire en conquérant la fortune et le pouvoir politique, au point de préparer son suicide, la chute de la nouvelle lui apporte l’aveu de Flavie : « Je t’aime parce que tu es fort ! »
Le titre
Le titre de bien des romans, depuis la naissance de ce genre littéraire, renvoie au personnage principal de l’œuvre, mis ainsi en exergue. Mais Zola laisse ici planer une ambiguïté car s’agit-il du nom ou du prénom du héros ? Si l’on admet, ce qui est plus vraisemblable, que c’est bien son nom, pourquoi son prénom n’est-il à aucune moment mentionné, contrairement à celui de l’héroïne ? Si le nom est générique, renvoyant à la famille, le prénom, lui, particularise, car associé plus directement à la personnalité du personnage, comme celui de Flavie qui, par son étymologie, le latin "flavus", fait référence à la chevelure blonde de cette jeune fille, signalée d’ailleurs dès que le héros l’aperçoit. Ne pas attribuer de prénom au héros de « Nantas », « fils d’un maçon », traduirait davantage son ascension sociale par rapport à son statut familial d’origine.
La structure
Le schéma narratif
Comme les cinq actes d’une pièce de théâtre classique, la nouvelle est divisée en cinq chapitres, qui reprennent, dans une progression linéaire, le schéma narratif traditionnel dans un récit, notamment dans les romans d’apprentissage :
Le chapitre I pose la situation initiale : la misère dans laquelle vit Nantas, alors qu’il espérait réussir socialement en montant de Marseille à Paris. Il exprime alors un double souhait, propre aux « jeunes hommes [qui] rêvent, dans les mansardes, que des demoiselles du monde viennent leur apporter de grandes passions et de grandes fortunes. » : obtenir l'amour et l'argent.
Vient ensuite l’élément perturbateur : alors qu’il a décidé de se suicider, l’intervention de Mlle Chuin l’amène à accepter le pacte proposé : un riche mariage avec Flavie, la fille du baron Danvilliers, enceinte de M. des Fondettes, en échange de cette paternité illégitime endossée, à l’insu du père.
Le cœur de la nouvelle relate les péripéties, la quête du héros pour combler ce manque initial, dans un mouvement inversé, de la réussite à l’échec :
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Le chapitre II relate les conditions de ce pacte face au père, le baron Danvilliers, puis à Flavie, sa future épouse : la voie du succès est ouverte au héros, mais sans amour.
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Le chapitre III relate l’accomplissement du pacte. Le héros conquiert fortune et pouvoir politique. Mais il lui manque l’amour, d’où sa jalousie et son aveu à Flavie, qui décide de le quitter, après avoir avoué la vérité à son père.
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Le chapitre IV poursuit la péripétie précédente. Le retour de Flavie n’empêche en rien la jalousie de Nantas, qui sollicite la surveillance de Mlle Chuin. Mais celle-ci joue double jeu, et, après avoir dénoncé ce rendez-vous, introduit M. des Fondettes dans la chambre de Flavie, à l’insu de celle-ci.
Le chapitre V est le plus bref. Alors que, désespéré, Nantas a décidé de se tuer, un coup de théâtre forme l’élément de résolution : Flavie lui avoue son amour. Le lecteur mesure ainsi la situation finale. La quête est achevée, le double souhait du héros est exaucé car le manque a disparu : il a à la fois la fortune et l’amour.
Les échos narratifs
Malgré la concentration exigée par la nouvelle, Zola recourt, dans « Nantas », à une caractéristique narrative qui lui donne de l’ampleur : des scènes en miroir, temps forts du récit, qui forment des doublons tout en soulignant la progression de l’intrigue.
Le double entretien avec le baron Danvilliers
La première rencontre, au chapitre II, entre le père de Flavie et Nantas forge le mensonge sur lequel repose le mariage : il le croit amant de sa fille, prêt à réparer le déshonneur de la grossesse. Leur deuxième entretien, au chapitre IV, brise ce mensonge en révélant la vérité : Nantas « s’est vendu pour de l’argent ».
La double intervention de Mlle Chuin
C’est elle qui, à la fin du chapitre I, sauve Nantas du suicide par le pacte qu’elle lui propose, pour elle une « affaire » : « elle finit par demander vingt mille francs » sur l’argent que ce mariage rapportera au héros. Nous la retrouvons au chapitre IV, mais, pour obtenir la même somme de « vingt mille francs » dont elle a besoin pour acheter la « maison du notaire » dont elle rêve, elle joue sur un double tableau : « dix mille francs » de Nantas pour exercer la surveillance de son épouse, et « dix mille francs » de M. des Fondettes, pour satisfaire son désir en le faisant entrer dans la chambre de Flavie. Redoublement du profit financier, mais aussi de la tromperie : ce n’est plus baron Danvilliers, qu’elle trompe, mais, à présent, à la fois Nantas, qui croit à cet adultère, et Flavie, qui ignore tout de la présence de son soi-disant amant dans sa chambre.
La double tentative de suicide du héros
Dans le premier chapitre, réfugié dans sa misérable mansarde, Nantas, désespéré de ne trouver aucun emploi, envisage le suicide, la seule question restant le « comment ». Nous retrouvons cette volonté à la fin du chapitre IV, encore plus précise : « il marcha droit à un tiroir où il cachait un revolver ». Geste arrêté par l’intervention de Mlle Chuin qui lui apporte la fortune. Parallèlement, c’est dans cette même mansarde, conservée, qu’il s’apprête à commettre son suicide, à nouveau arrêté par une autre intervention, celle de Flavie, qui comble sa quête d’amour. C’est ce qu’illustre la couverture de l’édition Flammarion, pour la collection Étonnants Classiques, en 2013 qui montre le héros, braquant le pistolet sur sa tempe. La silhouette de femme, qui semble marcher sur le pistolet, traduit à la fois la raison du désespoir du héros, le rejet de son amour, et l’intervention de son épouse qui arrête ce geste. De même, le rouge du fond de l’image peut faire référence aussi bien au sang, qui s’apprête à couler, qu’à la passion qui anime le héros.
Le cadre spatio-temporel
Les lieux
Marseille, point de départ de la quête du héros, n’est que très rapidement mentionnée, car la nouvelle s’ouvre sur une vue générale de Paris, lieu où cette quête doit se dérouler : « on voyait la trouée de la Seine, les Tuileries, le Louvre, l’enfilade des quais, toute une mer de toitures, jusqu’aux lointains perdus du Père-Lachaise », ce dernier lieu étant comme une allusion à celui où se trouve, dans Le Père Goriot, Le héros Rastignac lançant son défi, « À nous deux, Paris ! »
La nouvelle se construit ensuite sur l’opposition entre deux lieux :
La misère dans une mansarde. Gravure, XIX° siècle
la mansarde, qui illustre la misère avec « [l]e papier sali, le plafond noir, la misère et la nudité de ce cabinet où il n’y avait pas de cheminée ». Il l’a conservée comme un témoignage de son ascension, souligné par le parallélisme : « C’était là qu’il avait souffert, c’était là qu’il voulait triompher. » La nouvelle forme donc une boucle spatiale.
l’hôtel Danvilliers qui jouxte la mansarde, avec deux gros plans symboliques :
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Le « cabinet » du baron, où se déroule le chapitre II, symbolise le pouvoir que celui-ci doit à sa fortune et à son titre. Mais, au chapitre IV, ce pouvoir et cette fortune appartiennent au chapitre III à Nantas : il « se trouvait dans le cabinet où le baron Danvilliers l’avait autrefois si rudement accueilli, lors de leur première entrevue. Maintenant, ce cabinet était le sien. »
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La chambre de Flavie est présentée, au chapitre II, comme un lieu interdit dans leur première conversation : « Nos vies resteront complètement distinctes et séparées. Vous abandonnerez tous vos droits sur moi », liberté proclamée et accordée en échange de la promesse de respecter l’honneur de son époux. Or, cette chambre est le lieu de la scène terrible du chapitre IV, où l’interdit est transgressé doublement, par l’entrée de Nantas et la présence de M. des Fondettes.
La temporalité
La jeunesse du héros, à Marseille, est très rapidement évoquée, conformément à l’usage dans une nouvelle : il y a le temps de « ses études au lycée », puis « un petit emploi chez un négociant, où il traîna pendant douze années une vie dont la monotonie l’exaspérait. » Tout s’accélère avec la mort du père : « Trois jours plus part, […] Il partait vers Paris, avec deux cents francs dans sa poche. » C’est alors qu’est donné l’âge du personnage : « il n’était encore rien à trente ans. »
Le chapitre I, avant la conclusion du pacte, occupe une durée de deux mois : Nantas va d’échec en échec, avant d’envisager le suicide.
Comme le veut la brièveté de la nouvelle, une longue ellipse narrative sépare les chapitres II et III : « Dix années s’étaient écoulées. » Le chapitre dépeint la réussite du personnage : « En dix ans, Nantas venait de conquérir une des plus hautes situations financières et industrielles. » Mais deux indices temporels mettent en évidence un contraste dans le moment relaté, « ce matin-là » :
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Un discours prononcé « [l]a veille » ouvre à Nantas une perspective de poursuivre son ascension sociale, en obtenant le poste de ministre des Finances. C’est ce que lui confirme la lettre à la fin du chapitre III.
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Mais la scène est coupée par la longue attente du retour de sa femme, « Deux heures s’étaient passées, et Flavie n’avait pas encore paru », qui exacerbe sa jalousie. La scène qui se déroule alors conduit au départ de Flavie.
Une nouvelle ellipse intervient entre les chapitres III et IV, qui a permis de rétablir une sorte d’équilibre : « Depuis dix-huit mois que Nantas était ministre des Finances, il semblait s’étourdir par un travail surhumain. {…] Mais les époux ne s’adressaient plus la parole, en dehors de la comédie qu’ils devaient jouer devant le monde. » La durée devient alors beaucoup plus floue :
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On ignore combien de temps il a fallu avant la demande adressée par Nantas à Mlle Chuin, « un matin » ; un délai de « trois mois » intervient avant qu'elle exécute cette demande, grâce à sa rencontre « un jour » avec M. des Fondettes.
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Son intervention occupe un léger délai : « Au bout de huit jours, après une grande dépense de sensibilité et de scrupules, l’affaire était faite : il donnerait dix mille francs, et elle, un soir, le cacherait dans la chambre ».
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Puis tout s’accélère : « Le matin » Nantas reçoit l'alerte, et « à minuit » il intervient pour surprendre le flagrant délit d’adultère. Entre les deux, le héros reste attaché à son travail de ministre, le projet de budget. De même, après la terrible scène, il reprend ce travail : « Deux heures plus tard, lorsque Flavie, qui avait chassé M. des Fondettes, descendit pieds nus pour écouter à la porte du cabinet, elle n’entendit que le petit bruit de la plume craquant sur le papier. »
Le dernier chapitre poursuit cette accélération : le travail s’achève « vers huit heures », puis « Neuf heures sonnèrent », heure du paiement de Mlle Chuin, et tout est très rapide ensuite jusqu’à l’intervention de Flavie.
Le portrait de Nantas
La couverture choisie pour l’édition Nathan met l’accent sur le personnage, dont la position centrale, prêt à atteindre la plus haute marche d’un escalier, fait le héros d’un roman d’apprentissage. Malgré la brièveté de la nouvelle, il offre des points communs avec des personnages comme le Rastignac de Balzac dans Le Père Goriot ou tel que Maupassant, en 1885, dépeindra son Bel-Ami. Le décor autour du personnage pose le contexte de cette ascension, symbolisée par le grossissement progressif des lettres de son nom et l'élégant costume du héros : Paris, la capitale en pleine transformation au XIXème siècle, avec ses immeubles haussmanniens, et ses monuments emblématiques, comme la chambre des députés ou la colonne Vendôme, avec ses progrès aussi, les transports avec les diligences, le train, la montgolfière…
La première phrase de la nouvelle, à travers les deux lieux mentionnés, « La chambre que Nantas habitait depuis son arrivée de Marseille se trouvait au dernier étage d’une maison de la rue de Lille, à côté de l’hôtel du baron Danvilliers, membre du Conseil d’État », résume le parcours de cette ascension, de cette « chambre » miséreuse à un luxueux « hôtel ». Elle annonce aussi les deux pôles qui vont construire l’apprentissage : la fonction du baron « membre du Conseil d’État » renvoie au pôle social, ici une carrière politique à construire, tandis que le mariage avec sa fille introduira le pôle affectif, le sentiment amoureux.
L'ambition
L’ambition représente la première caractéristique du personnage, dont, conformément à la théorie naturaliste, Zola fait un héritage génétique, sur lequel il insiste : il est « poussé par l’ambitieuse tendresse de sa mère, qui rêvait de faire de lui un monsieur », « Il y avait, chez Nantas, une ambition entêtée de fortune, qu’il tenait de sa mère. » Elle sous-tend son parcours.
La notion de force
Cette ambition repose sur une donnée fondamentale de la personnalité du héros : une « force » au plus profond de lui, que le récit met en valeur par la répétition, d’abord au discours indirect, « Tout jeune, il disait être une force », puis direct, « Je suis une force », enfin par la métaphore : « Peu à peu, il s’était ainsi fait une religion de la force, ne voyant qu’elle dans le monde, convaincu que les forts sont quand même les victorieux. » Mais comment ne pas reconnaître, dans la phrase rapportée, le souvenir du drame de Victor Hugo, Hernani, emblématique du mouvement romantique en 1830, où, dans son long monologue de la scène 2 de l’acte III le héros lance : « Je suis une force qui va ! » ? Le romantisme a multiplié les exemples de héros animés de cette volonté d'ascension sociale, pensons à Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir (1830) de Stendhal, et à tant de personnages balzaciens. De même, l’affirmation prêtée à Nantas, « Selon lui, il suffisait de vouloir et de pouvoir » semble un souvenir direct de La Peau de chagrin de Balzac, roman de 1831, une reprise de la formule du vieil antiquaire dans son discours à Raphaël, mais inversée. Là où le vieillard fait de ces verbes « deux causes de mort » en affirmant, « Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit », pour Nantas, ce sont les deux voies de la réussite qu’il ambitionne.
Il se sentait du génie ; au fond de son être, il y avait comme une impulsion instinctive qui le jetait en avant ; et il rentrait manger quelque platée de pommes de terre avec son père infirme, en se disant qu’un jour il saurait bien se tailler sa part, dans cette société où il n’était rien encore à trente ans. Ce n’était point une envie basse, un appétit des jouissances vulgaires ; c’était le sentiment très net d’une intelligence et d’une volonté qui, n’étant pas à leur place, entendaient monter tranquillement à cette place, par un besoin naturel de logique.
Mais, chez Zola, c’est encore le naturalisme qui s’exprime quand il qualifie cette force d’« impulsion instinctive » : elle traduit alors la physiologie du personnage, sa dimension quasi animale, suggérée par l’expression « se tailler sa part », qui rappelle le fauve prêt à dévorer sa proie. Même au moment où, devant son échec parisien, il a décidé de se suicider, cette notion de force reste présente en lui, « Être une force, sentir en soi une puissance, et ne pas trouver une personne qui vous devine, qui vous donne le premier écu dont vous avez besoin ! », d’où sa colère devant les rejets subis : « Eh bien ! il était cet homme, il apportait en lui une force nouvelle, un mécanisme rare d’intelligence et de volonté, et il allait détruire cette machine, en se brisant le crâne sur le pavé de la rue. »
Le pacte proposé
La comparaison à La Peau de chagrin se poursuit par le choix de l’élément perturbateur, l’apparition de mademoiselle Chuin, avec sa « figure blanche de vieille dévote », qui, comme le vieil antiquaire chez Balzac, surgit devant le héros aklors même qu’il a décidé de se tuer pour lui offrir un pacte. Mais, là où il relevait d’un objet magique, la peau de chagrin, qui représente « le pouvoir et le vouloir réunis », pour Zola, le pacte découle du fonctionnement d’une société où l’honneur perdu d’une fille séduite et enceinte exige d’être racheté par un mariage.
C’est bien, en effet, d’achat qu’il s’agit, d’un pacte digne de celui de Faust avec Méphistophélès, le diable, qui lui offre le pouvoir de réaliser tous ses désirs en échange de son âme : « quel est le marché ? », demande Nantas à Mlle Chuin. La proposition apparaît, en effet, comme une réponse au désir qu’il a précédemment formulé :
« Oh ! je me vendrais, je me vendrais, si l’on me donnait les premiers cent sous de ma fortune future ! »
Cette idée de se vendre l’occupa un moment. S’il y avait eu quelque part un Mont-de-Piété où l’on prêtât sur la volonté et l’énergie, il serait allé s’y engager. Il imaginait des marchés, un homme politique venait l’acheter pour faire de lui un instrument, un banquier le prenait pour user à toute heure de son intelligence ; et il acceptait, ayant le dédain de l’honneur, se disant qu’il suffisait d’être fort et de triompher un jour.
Georg Friedrich Kersting, Faust dans son cabinet d’étude, 1829. Huile sur toile, 68 x 53. Coll° privée, Berlin
Ce « dédain de l’honneur » s’observe dans son échange avec Mlle Chuin. Son premier mouvement, « jeter l’entremetteuse à la porte », en traitant d’« infamie » sa proposition, traduit, certes, un premier élan de dignité, une expression d’orgueil. Mais ce sursaut moral ne dure guère, car l’ambition est plus puissante, comme l'accentue le monologue au discours indirect libre :
Pourquoi donc refuserait-il ? Ne demandait-il pas à se vendre tout à l’heure ? Eh bien ! on venait l’acheter. Donnant, donnant. Il donnait son nom, on lui donnait une situation. C’était un contrat comme un autre. Il regarda son pantalon crotté par la boue de Paris, il sentit qu’il n’avait pas mangé depuis la veille, toute la colère de ses deux mois de recherches et d’humiliations lui revint au cœur. Enfin ! il allait donc mettre le pied sur ce monde qui le repoussait et le jetait au suicide !
Les conditions du pacte
Le chapitre II développe longuement la façon dont le pacte est conclu, avec le père, puis avec sa fille.
Face au baron, Nantas, malgré son acceptation, se sent atteint dans sa dignité : il « était devenu très pâle. Il avait accepté là un rôle bien lourd. », « Il trompait ce vieillard, il se sentait petit et sans force devant lui » Mais c’est bien à nouveau le désir d’ascension sociale qui l’emporte.
Face à Flavie, le pacte se conclut autour du terme « marché », qu’elle emploie la première mais que Nantas cautionne :
Vous avez besoin d’un nom pour cacher une faute que je ne me permets pas de juger, et je vous donne le mien. De mon côté, j’ai besoin d’une mise de fonds, d’une certaine position sociale, pour mener à bien de grandes entreprises, et vous m’apportez ces fonds. Nous sommes dès aujourd’hui deux associés dont les apports se balancent, nous avons seulement à nous remercier pour le service que nous nous rendons mutuellement.
Cependant, ce pacte implique une condition, fermement imposée par Flavie : « Vous ne serez jamais que mon mari de nom. Nos vies resteront complètement distinctes et séparées. Vous abandonnerez tous vos droits sur moi, et je n’aurai aucun devoir envers vous. » Cette condition, le refus du sentiment amoureux, est acceptée par le héros, et le chapitre se conclut sur son ambition réaffirmée : « Elle était très belle, il valait mieux qu’il n’y eût rien de commun entre eux, car elle pouvait le gêner dans la vie. »
De la force à la faiblesse
La négation de l'amour
Dans les romans de la première moitié du XIXème siècle, le désir d’ascension d’un jeune homme dans la société s’associe le plus souvent à la conquête de la femme désirée : l’obtention de l’amour serait un gage de réussite.
Or, la présentation du héros souligne sa différence par rapport au romantisme : « Souvent, entre les masses des feuillages, au détour d’une allée, il avait aperçu une jeune fille blonde, très grande, marchant avec un orgueil princier. Il n’était point romanesque, il avait passé l’âge où les jeunes hommes rêvent, dans les mansardes, que des demoiselles du monde viennent leur apporter de grandes passions et de grandes fortunes. » Cette affirmation explique son acceptation du pacte, qui fait ressortir, à la fin du premier chapitre, seulement le désir de conquérir la fortune : « Ainsi, c’était cette grande fille blonde, qui marchait d’un pas de reine et qui ne daignait point l’apercevoir. Elle ou une autre, qu’importait d’ailleurs ! La femme n’entrait pas dans le marché. »
Son premier entretien avec Flavie traduit ce peu d’importance accordé à l’amour. Le portrait qu’il fait de lui ne met l’accent, en effet, que sur sa volonté de puissance. En affirmant, « Je serais fort, je serais heureux », il ne lie ce succès qu’à la fortune de son épouse : « Je ne prends votre argent que comme le moyen de monter très haut. »
Gustave Caillebotte, Jeune Homme à sa fenêtre, 1876. Huile sur toile, 117 x 82. Getty Museum, Los Angeles
Le manque d'amour
À l’issue du pacte, à la fin du chapitre II, son aveu à Flavie exprime clairement sa seule attente, voir sa femme conforter l’ascension réalisée en partageant sa réussite : « Ah ! si vous saviez tout ce qui gronde en moi, si vous saviez les nuits ardentes que j’ai passées à refaire toujours le même rêve, sans cesse emporté par la réalité du lendemain, vous me comprendriez, vous seriez peut-être fière de vous appuyer à mon bras, en vous disant que vous me fournissez enfin les moyens d’être quelqu’un ! » L’ellipse de « dix années » qui sépare les chapitres II et III permet de montrer la réussite de Nantas : il « réalisait enfin son rêve de force » Or, si rien n’évoque au début la place prise par Flavie pendant toutes ses années, le récit introduit des indications qui révèlent que l’amour est devenu un manque. Ce sont, d’abord, les questions à l’huissier, puis à la femme de chambre, pour connaître l’emploi du temps de sa femme. Puis, comme souvent dans le naturalisme, le sentiment se traduit par des manifestations physiques : il est « redevenu blême », puis « il balbutia ». Enfin le narrateur omniscient avoue le manque ressenti par son personnage :
C’était le triomphe, sa personnalité développée outre mesure devenait le centre autour duquel tournait un monde. Et il ne goûtait point ce triomphe, ainsi qu’il se l’était promis. Il éprouvait une lassitude, l’esprit autre part, tressaillant au moindre bruit. Lorsqu’une flamme, une fièvre d’ambition satisfaite montait à ses joues, il se sentait tout de suite pâlir comme si par-derrière, brusquement, une main froide l’eût touché à la nuque.
C’est ce manque qui conduit le héros, poussé par la jalousie, à un aveu d’amour, transgression donc du pacte initial : « Je vous aime, Flavie, je vous aime comme un fou... Cela est venu je ne sais comment. Il y a des années déjà. Et peu à peu cela m’a pris tout entier. Oh ! j’ai lutté, je trouvais cette passion indigne de moi, je me rappelais notre premier entretien... Mais, aujourd’hui, je souffre trop, il faut que je vous parle... »
La force s’est donc changée en faiblesse, sur laquelle insiste le commentaire du narrateur :
Cet homme qui avait mis sa foi dans la force, qui soutenait que la volonté est le seul levier capable de soulever le monde, tombait anéanti, faible comme un enfant, désarmé devant une femme. Et son rêve de fortune réalisé, sa haute situation conquise, il eût tout donné, pour que cette femme le relevât d’un baiser au front. Elle lui gâtait son triomphe. Il n’entendait plus l’or qui sonnait dans ses bureaux, il ne songeait plus au défilé des courtisans qui venaient de le saluer, il oubliait que l’empereur, en ce moment, l’appelait peut-être au pouvoir. Ces choses n’existaient pas. Il avait tout, et il ne voulait que Flavie. Si Flavie se refusait, il n’avait rien.
L'amour : une quête douloureuse
Cet aveu révèle l’inversion établie par le héros. L’amour est passé au premier plan, et sa force s’est mise à son service : « Je me disais que je devais monter le plus haut possible, afin de vous mériter. J’espérais vous fléchir, le jour où je mettrais à vos pieds ma puissance. » En fait, obtenir l’amour effacerait l’indignité morale du pacte, en donnant un sens à la fortune ainsi acquise. C’est pourquoi, le rejet méprisant de Flavie et la scène violente qui s’ensuit, révélant à son père le mensonge initial, plonge Nantas dans un profond chagrin :
C’était le triomphe, sa personnalité développée outre mesure devenait le centre autour duquel tournait un monde. Et il ne goûtait point ce triomphe, ainsi qu’il se l’était promis. Il éprouvait une lassitude, l’esprit autre part, tressaillant au moindre bruit. Lorsqu’une flamme, une fièvre d’ambition satisfaite montait à ses joues, il se sentait tout de suite pâlir comme si par-derrière, brusquement, une main froide l’eût touché à la nuque.
Et lui, au milieu de ce labeur colossal qui était son œuvre, dans l’apogée de sa puissance, les yeux stupidement fixés sur l’écriture de l’empereur, poussa cette plainte d’enfant, qui était la négation de sa vie entière :
« Je ne suis pas heureux... Je ne suis pas heureux... »
Il pleurait, la tête tombée sur son bureau, et ses larmes chaudes effaçaient la lettre qui le nommait ministre.
Cependant, sa personnalité profonde n’a pas changé, et il reprend la même attitude, soutenu par l’espoir de conquérir l’amour de Flavie : « ‘‘Allons ! je ne suis point assez haut pour elle, il faut monter encore, monter sans cesse.’’ Il entendait forcer le bonheur, comme il avait forcé la fortune. Toute sa croyance en sa force lui revenait, il n’admettait pas d’autre levier en ce monde, car c’est la volonté de la vie qui a fait l’humanité. »
Et lui, au milieu de ce labeur colossal qui était son œuvre, dans l’apogée de sa puissance, les yeux stupidement fixés sur l’écriture de l’empereur, poussa cette plainte d’enfant, qui était la négation de sa vie entière :
« Je ne suis pas heureux... Je ne suis pas heureux... »
Il pleurait, la tête tombée sur son bureau, et ses larmes chaudes effaçaient la lettre qui le nommait ministre.
Mais, comme rien ne modifie l’attitude de son épouse, il vit alors pleinement la souffrance de la passion : « La jalousie le dévorait. Ne pas réussir à se faire aimer de Flavie, était un supplice. » D’où sa décision de la faire surveiller, et la terrible scène relatée dans le chapitre IV, quand il constate le prétendu adultère combiné par Mlle Chuin à l’insu de Flavie, qui, aux yeux du héros, signe un échec définitif. Il ne peut alors qu’aller jusqu’au choix extrême, celui du suicide, un renoncement à ce qui avait fondé sa personnalité : « À quoi bon cette dépense de volonté, à quoi bon tant de force produite, puisque, décidément, la volonté et la force n’étaient pas tout ? », « Et sa dernière pensée était un grand dédain de la force, puisque la force, qui devait tout lui donner, n’avait pu lui donner Flavie. »
La chute de la nouvelle suscite donc la surprise du lecteur, puisque c’est précisément ce renoncement qui lui vaut l’aveu tant attendu : « je t’aime parce que tu es fort ! »
Couverture de « Nantas » pour une édition néerlandaise, début du XXème siècle
CONCLUSION
À la fin de la nouvelle, le lecteur est donc conduit à s’interroger sur l’évolution que Zola a prêtée à son personnage. Nantas est, certes, très représentatif d’une époque où la réussite matérielle est considérée comme le signe d’une valeur personnelle, d’une « force » estimable, et qui place donc l’amour au second plan, contrairement à ce qu’illustrent les jeunes héros romantiques mis en scène par Hugo, Stendhal, Balzac, Dumas… Mais, après avoir si longtemps nié l’amour dans la nouvelle, Zola inverse le sens même de la réussite de son héros, qui, née d’un pacte moralement indigne, est réhabilitée quand, précisément, elle est mise au service de l’amour. La souffrance de Nantas est une sorte de rachat de son ambition aveugle. Ainsi, la chute de la nouvelle traduit, paradoxalement, une réconciliation des deux courants du siècle, en déplaçant la dénonciation : ce n’est plus la « force » qui est blâmée, mais l’orgueil qui la sous-tend puisque c’est au moment même où Nantas renonce à son orgueil qu’à son tour Flavie lui accorde son amour, « arrachant cet aveu à son orgueil ».
L'image de la société
Malgré la brièveté de la nouvelle Zola suit ce que le courant réaliste, qui s’est imposé dans la seconde moitié du XIXème siècle, a considéré comme essentiel : rendre compte des réalités sociales dans plusieurs composantes : la hiérarchie qui structure la société, la dimension historique qui construit la vie politique et économique, enfin, de façon plus réduite, le fonctionnement de la famille.
Les classes sociales
Bertall, "Les cinq étages du monde parisien", 1845, in L’Illustration, 11 janvier 1845. Gravure colorisée
La nouvelle ne parcourt pas toutes les classes sociales du Second Empire, mais elle fait ressortir le contraste entre pauvreté et richesse.
La pauvreté
Au début, c’est la misère qui ressort de la description du logis de Nantas, « une étroite chambre mansardée, avec une fenêtre taillée dans les ardoises […] simplement meublée d’un lit, d’une table et d’une chaise. » Le décor est sinistre, avec le « papier sali, le plafond noir, la misère et la nudité de ce cabinet », où règne le froid puisqu’« il n’y avait pas de cheminée, ne le blessaient point. » Il suffit d’un mois à Paris pour que, sur les « deux cents francs » d’économie avec lesquels il a quitté Marseille, il ne reste plus que « vingt francs » pour « vivre un mois entier, ne mangeant que du pain battant Paris du matin au soir, et revenant se coucher sans lumière, brisé de fatigue, toujours les mains vides. » À travers son personnage, ainsi réduit au désespoir, c’est toute une jeunesse en recherche d’emploi que Zola dépeint.
Légende : “Monsieur baille et madame dort en attendant les visites... Au second la floraison des vertus domestiques : le père, la mère, les enfants et les joujoux... Au troisième le propriétaire qui vient réclamer le terme échu ; sur le même palier un célibataire, vieux rentier retraité... au quatrième l’ouvrier sans argent, sa femme en pleurs et ses enfants sans feu ; l’artiste qui bat la semelle pour réchauffer l’inspiration ; le philosophe qui médite un ouvrage entre ses draps, son parapluie tout grand ouvert.”
J. Grigny, Les anciens hôtels de la rue de Beaune, XIXème siècle. Dessin, 35,3 x 35,2. Musée Carnavalet
La richesse
Si douloureuse, cette misère est d’autant plus insupportable qu’elle côtoie la richesse parisienne, puisque cette mansarde se trouve « au dernier étage » d’une maison qui « appartenait au baron », et que, de sa fenêtre, la vue de Nantas plonge sur « un coin du jardin de l’hôtel, où des arbres superbes jetaient leur ombre ». L’hôtel particulier du baron, situé rue de Lille, tandis que le jardin, lui, donne sur la rue de Beaune, est proche des quais de la Seine, sur la rive gauche, où réside la noblesse de l’Ancien Régime. Cet hôtel place donc sous ses yeux l’image d’un luxe solide et digne, illustré par le salon où le baron Danvilliers reçoit le héros, « une haute pièce sévère, tendue de cuir, garnie de meubles antiques ». Leur conversation pose nettement la fortune que lui apporte le mariage prévu, « un apport de deux cent mille francs ».
Le rôle de l'argent
Dans cette société, chacun aspire à s’enrichir afin de monter dans la hiérarchie sociale, comme en témoigne le personnage de Mlle Chuin. Son statut de « gouvernante » chez les Danvilliers lui permet de jouer un rôle d’entremetteuse, en échange d’une « somme de vingt mille francs », et son avidité se confirme quand elle intervient au chapitre IV, en obtenant « dix mille francs » en échange d’une « preuve formelle de la bonne ou de la mauvaise conduite » de son épouse, tandis qu’elle extorque encore « dix mille francs » à M. des Fondettes pour introduire dans la chambre de Flavie, « ayant fait le calcul qu’il lui fallait encore une vingtaine de mille francs, si elle voulait acheter à Roinville, son pays, la maison du notaire, qui avait fait l’admiration de sa jeunesse. » Dans ces conditions, la société devient une sorte de jungle où, sans scrupules, chacun cherche la fortune quitte, pour reprendre l’expression prêtée à Mlle Chuin, à « pêcher en eau trouble » : elle est convaincue que « les vices des maîtres sont la fortune des valets. »
La vie politique
L'ascension du héros
L’ascension du héros, résumée au début du chapitre III, marque nettement le lien entre l’essor économique et la vie politique :
Mêlé à toutes les grandes entreprises de chemins de fer, lancé dans toutes les spéculations sur les terrains qui signalèrent les premières années de l’Empire, il avait réalisé rapidement une fortune immense. Mais son ambition ne se bornait pas là, il voulait jouer un rôle politique, et il avait réussi à se faire nommer député, dans un département où il possédait plusieurs fermes.
À nouveau, la brièveté de la nouvelle empêche Zola de décrire longuement le parcours de son héros, comme il l’a fait dans ses romans, La Curée, paru 1871 ou, plus tard, en 1891, dans L’Argent. Mais il nous suggère un chemin soigneusement construit, l’argent obtenu par son mariage lui a permis de devenir député, mais avec une ambition plus haute, être nommé « ministre des Finances ». Pour cela, quelques qualités sont nécessaires, une « facilité de parole », « en matière de finances des théories personnelles connaissances spéciales » et, surtout, « un dévouement absolu à l’Empire ».
La fonctionnement politique
Le chapitre III met en évidence le lien entre le monde de la finance et le pouvoir politique par la description des bureaux où travaille Nantas. Dans un premier temps, une double métaphore accentue la puissance de l’argent : « c’était un bruit d’or continu, des sacs ouverts et coulant sur les tables, la musique toujours sonnante d’une caisse dont le flot semblait devoir noyer les rues. » Cette image est renforcée encore par sa reprise : « Le bruit de l’or continuait dans les bureaux voisins, une trépidation d’usine faisait trembler les murs, comme si on eût fabriqué là tout cet or qui sonnait. »
L'Assemblée sous le Second Empire
Cette richesse crée, autour du pouvoir, tout un monde qui espère en tirer un bénéfice : « Puis, dans l’antichambre, une cohue se pressait, des solliciteurs, des hommes d’affaires, des hommes politiques, tout Paris à genoux devant la puissance. Souvent, de grands personnages attendaient là patiemment pendant une heure. », « Un ingénieur avait à lui présenter un rapport qui annonçait des bénéfices énormes dans une exploitation de mine », comme une annonce du roman L’Argent, publié en 1891, « Un diplomate l’entretint d’un emprunt qu’une puissance voisine voulait ouvrir à Paris. Des créatures défilèrent, lui rendirent des comptes sur vingt affaires considérables. » Le Second Empire a donc ses courtisans, comme jadis la monarchie absolue. Ainsi, le discours prononcé par Nantas produit aussitôt un effet : « il reçut un grand nombre de ses collègues de la Chambre ; tous se répandaient en éloges outrés sur son discours de la veille. » Chacun espère que cet « encens » leur vaudra un appui, un poste.
Mais Zola n’attribue pas ces défauts à son personnage, puisqu’il a supprimé ce qui aurait pu évoquer une ascension par corruption. Au contraire, il met sans cesse en évidence ses qualités, notamment sa « grande intelligence », comme s’il était, tel un artiste, doté de génie : « Une voix lui soufflait des inspirations hautes et fécondes. Sur son passage, un murmure de sympathie et d’admiration s’élevait. Mais lui restait insensible aux éloges. » Il souligne aussi, à plusieurs reprises, sa force de travail, « Il veillait des nuits entières », « On eût dit qu’il travaillait sans espoir de récompense, avec la pensée d’entasser les œuvres dans le but unique de tenter l’impossible », que même la terrible scène avec Flavie n’arrête pas : il passe la nuit à terminer son projet de budget.
Le pouvoir de l'Empire
Parallèlement, Zola montre, à travers l’image de son héros, la façon dont l’Empire exerce sa puissance, en France mais aussi à l’étranger : « Et lui, assis à son bureau, en correspondance avec la province et l’étranger, pouvant de ses bras étendus étreindre le monde, réalisait enfin son ancien rêve de force, se sentait le moteur intelligent d’une colossale machine qui remuait les royaumes et les empires. » L’importance de son rôle est soulignée : « Il n’avait qu’à prendre une plume pour expédier des dépêches dont l’arrivée aurait réjoui ou consterné les marchés de l’Europe ; il pouvait empêcher ou précipiter la guerre, en appuyant ou en combattant l’emprunt dont on lui avait parlé. » Il est possible de voir, dans cette peinture, une allusion à un fait historique, la dépêche d’Ems, télégramme forgé par le chancelier allemand Bismarck et envoyé dans toutes les ambassades, qui, en rapportant un prétendu incident diplomatique frappant la France, est une provocation, destinée à ce que la guerre soit déclarée à la Prusse, qui pourrait alors se dire victime d’agression.
La vie familiale
Le patriarcat
Sur ce fond politique et économique, la nouvelle représente aussi les relations au sein de la famille et du couple. La vie familiale est encore fondée sur le patriarcat, le père exerçant une autorité absolue sur sa fille, avec pour premier souci de lui assurer une dot et un mariage digne de son milieu familial. Il s’agit donc d’abord de préserver l’honneur de la famille, d’où l’accablement du baron Danvilliers quand la grossesse de Flavie le contraint à accepter un mariage jugé indigne, comme le montre le discours indirect libre : « Le fils d’un maçon, un meurt-de-faim qui n’avait aucune situation avouable ! […] que de honte dans une famille où il n’y avait pas eu une tâche jusque là ! » L’essentiel est donc, avant tout, de sauver les apparences, et sa fille n’a pas d’autre choix, ce qui explique la violence du discours adressé à Nantas ! « Vous m’avez outragé. Voyez cette maison, notre famille y a vécu pendant plus de trois siècles sans une souillure ; n’y sentez-vous pas un honneur séculaire, une tradition de dignité et de respect ? Eh bien ! monsieur, vous avez souffleté tout cela. » Enfin, alors même que sa fille est mariée, il continue à exercer son autorité sur elle, toujours pour préserver l’honneur de son nom : « Lorsque Nantas accusa Flavie d’avoir un amant, le baron, qui traitait encore sa fille mariée avec la sévérité qu’il avait pour elle à dix ans, s’avança de son pas de vieillard solennel. »
Le couple
Le couple formé par Nantas et Flavie est le résultat du pacte conclu, et notons que, même si dix ans s’écoulent entre les chapitres II et III, aucune mention n’est faite de l’enfant dont le héros a endossé la paternité. Tout se passe comme si le mariage avait permis un retour à la normalité, approuvé d’ailleurs par le baron : « Il croyait le ménage uni, il approuvait les rapports cérémonieux des deux époux, pensant qu’il n’y avait là qu’une tenue de convenance. » L’amour passe donc au second plan, et le couple n’est plus qu’une fiction, où chacun doit jouer son rôle en public : « sur les conseils de son père, Flavie avait consenti à rentrer au domicile conjugal. Mais les époux ne s’adressaient plus la parole, en dehors de la comédie qu’ils devaient jouer devant le monde ».
L’absence d’amour explique la place importante prise par l’adultère dans les romans. La jalousie, certes, existe même quand l’amour est sincère, mais, dès lors que règne le mensonge, elle ne peut qu’être amplifiée car c’est alors l’amour-propre qui entre en jeu : « Jamais il ne permettrait à sa femme de compromettre sa situation, en le rendant la moquerie de tous. Et sa force l’abandonnait, ce sentiment de mari qui veut simplement être respecté l’envahissait d’un tel trouble, qu’il n’en avait pas éprouvé de pareil ». Cette crainte explique la surveillance qui demande à Mlle Chruin d’exercer sur sa femme, et la colère qui le conduit à une terrible scène quand il croit la surprendre en flagrant délit d’adultère avec M. des Fondettes.
CONCLUSION
Chacun des romans de Zola s’inscrit dans un contexte social précis, l’ensemble des "Rougon-Macquart" offrant une image complète de la société de son temps. Il en va de même dans les recueils de nouvelles, par exemple celles de Comment on se marie, composé en 1875, ou de Comment on meurt, en 1883, parcourent, du plus haut au plus bas, la société parisienne en s’achevant sur la vie paysanne, tout comme « Nantas » se déroule à Paris, après la première nouvelle du recueil « Naïs Micoulin » qui oppose la riche bourgeoisie de Provence au monde agricole. Les six nouvelles du recueil nous font passer de la province à Paris, du Second Empire à la République, avec des personnages de tout niveau social, jusqu’au communard déporté en Nouvelle-Calédonie dans « Jacques Damour », évadé et de retour en France.
En cela, Zola suit, mais sous une forme réduite, concentrée, les exigences du naturalisme, réaliser des sortes d’expériences de laboratoire qui, en en faisant varier les conditions et l'environnement, permettent d’analyser les comportements humains en fonction de leur nature même, de leur hérédité, de leurs passions, de leurs désirs dans lesquels le corps l’emporte sur la raison. Ainsi, Nantas, qui a tout conquis, n’a « plus qu’un désir », un amour qui relève en fait, selon le commentaire du narrateur, « des faiblesses de la chair ». Et, en proie au désespoir à la fin du chapitre IV, c’est à nouveau le corps qui décide du suicide et lui fait saisir son revolver : « En lui, quelque chose venait de se casser ; seul, le mécanisme des muscles et des os fonctionnait encore. »