top of page

Parcours associé à Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut
"Personnages en marge, plaisirs du romanesque"

Prévost-Parcours-Tableau3.jpg
Enjeu

Observation du corpus 

Une introduction, s'appuyant sur une recherche lexicale, définit l'enjeu du parcours proposé dans le programme de l'EAF, et présente la problématique. Elle est étudiée à partir de cinq extraits donnant lieu à une explication, souvent prolongés par des lectures complémentaires, qui leur font écho. Une étude d’ensemble enrichit l’approche du thème retenu dans le roman,  les « personnages en marge » et leurs rôles, à travers la peinture des "exclus" de la société. 

À partir de ces études, est reprise l'énonciation dans le récit, et plus particulièrement la focalisation. Enfin, l’approche tient compte également de l’histoire de l’art, avec l'analyse d'un tableau, et présente deux activités : un devoir de commentaire, et un exposé sur la lecture personnelle du Diable au corps de Radiguer. La réponse à la problématique forme la conclusion. 

Introduction 

L'enjeu du parcours 

La formulation de l’enjeu  juxtapose deux expressions, ce qui permet d'établir un lien de cause à conséquence : la présence de « personnages en marge » serait le moyen de susciter les « plaisirs du romanesque », autant de termes à définir. 

Prévost-Parcours-Tableau4.jpg

Des "personnages" au cœur du roman

L’étymologie latine du mot « personnage », "persona" de * per-sonum, évoque le masque alors porté par les acteurs au théâtre, dont la voix gagne en puissance, mais qui complète aussi un déguisement, ce qui marque d’emblée la dimension fictive du personnage. Pendant longtemps réservé au théâtre, il fait pendant au mot "héros", initialement demi-dieu dans la mythologie, qu’on retrouve dans l’épopée ou dans la tragédie qui en reprend les figures les plus illustres, donc plutôt réservé à un être d’exception. Ainsi, c’est seulement en 1754, dans Quelques réflexions sur les Lettres persanes, que Montesquieu, pour répondre à la censure, nomme ses Persans, « personnages ». Il se masque ainsi sous leur personnalité propre, celle d’étrangers, pour justifier leur critique de la société française.

Le terme se banalise avec le développement du « roman » pour désigner ces êtres fictifs, qui n’ont plus la grandeur des "héros", n’accomplissent plus d’exploits remarquables et ne représentent plus forcément les valeurs collectives d’une société mais seulement un parcours personnel. Ponctué parfois d’échecs, ce parcours témoigne en tout cas des propres choix du personnage – voire de ses défauts – qui peuvent l’amener à transgresser les codes sociaux. D’où une première question :  Quels rôles le personnage joue-t-il pour le lecteur, à travers le plaisir qu’il suscite, qu’il soit teinté de sympathie ou de rejet ?

La notion de "marge"

Du latin *margo-marginis, signifiant "le bord, la bordure", la marge est un terme emprunté à l’imprimerie : il désigne l’espace vierge laissé entre le pourtour de ce qui est imprimé, texte ou gravure, et le bord de la page. Le sens s’élargit ensuite pour s’appliquer au pourtour externe de quelque chose, prenant enfin un sens figuré : c’est l’espace qui reste vierge, disponible entre des limites qui sont imposées. Le mot s’emploie alors pour les personnes, et donne lieu à un champ lexical : on parle d’un « marginal », et les sociologues étudient le concept de « marginalité ».

La question amène à rechercher qui impose ces limites et quelles elles sont, de façon à mesurer le dépassement effectué par un personnage, qui se met ainsi à l’écart d’un centre. D’où une autre interrogation : pourquoi ce refus de la part du personnage, et pourquoi cela peut-il procurer un plaisir aux lecteurs ?

Le "romanesque"

L’adjectif « romanesque » est formé sur le nom « roman », comme le rappelle  Furetière, dans son Dictionnaire universel, paru en Hollande en 1690 qui le définit comme « qui tient du Roman, qui est extraordinaire, peu vraisemblable ». Il convient, en effet, de se reporter à l’origine de ce genre narratif, dès le Ier siècle dans la Grèce antique. Une œuvre comme le récit, en dix livres des Éthiopiques d’Héliodore d’Émèse, aux IIIème-IVeme siècles, en pose déjà le modèle en multipliant les intrigues amoureuses, les péripéties de toutes natures vécues par les personnages et les retournements de situation, sans grand souci de vraisemblance.

C’est au moyen-âge, dans le contexte de la chevalerie féodale, que s’impose le mot « roman » pour qualifier un récit en prose, écrit en langue « romane », la langue vulgaire par rapport au latin. Ainsi Chrétien de Troyes ouvre Lancelot ou Le Chevalier de la charrette, écrit  entre 1176 et 1181, par cette déclaration : « puisque ma dame de Champagne veut que j'entreprenne un roman, je l'entreprendrai très volontiers ».

Le genre se développe et se diversifie au XVIème et au XVIIème siècle, mais en prolongeant cet héritage, qu’il s’agisse, par exemple, de La vie très horrifique du grand Gargantua (1534) de Rabelais ou des nombreux romans précieux, tels L’Astrée (1607-1627) d’Honoré d’Urfé ou les dix volumes de Clélie, histoire romaine (1654-1660), de Madeleine de Scudéry.

 Atelier d’Évrard d’Espinques, Lancelot passant le pont de l'Épée, vers 1475. Enluminure d’un manuscrit destiné au duc de Nemours

Atelier d’Évrard d’Espinques, Lancelot passant le pont de l'Épée, vers 1475. Enluminure d’un manuscrit destiné au duc de Nemours

Cela explique qu’en étant substantivé, le terme « romanesque » qualifie une forme de narration fondée sur deux critères principaux :

  • Il implique une suite d’événements, des péripéties inattendues, conduisant à des conséquences contrastées, tantôt l’échec, tantôt le succès, mais toujours perçues comme excessives. 

  • Il met en scène des personnages au destin exceptionnel, originaux par leur façon de plonger dans le rêve, dans l’imaginaire, emportés par leurs élans sentimentaux. Dans des lieux souvent pittoresques, leurs actes s’écartent de la banalité du réel, en faisant la preuve de leurs qualités supérieures.

L’objectif du romancier est donc de toujours surprendre le lecteur, de le captiver par une lecture divertissante, source de plaisirs. Mais cette nature initiale du personnage entraîne une dernière question : restera-t-elle pertinente quand  celui-ci se définira comme « en marge » ?

Mise en place de la problématique 

Cette analyse de l’enjeu du parcours explique la problématique retenue pour guider l’étude : En quoi le choix de personnages en marge soutient-il le plaisir de la lecture des romans ?

Cela oblige à ne pas perdre de vue les réactions du lecteur, dans toute leur diversité, qu’il s’agisse de la sympathie – ou du rejet – face aux personnages, ou bien de ce que lui apporte sa lecture, un moment divertissant, qui fasse sourire, rêver, ou qui émeuve, parfois une sorte de compensation à la banalité de sa vie quotidienne,  ou bien une découverte susceptible de le faire réfléchir...

Paul Scarron, Le Roman comique, 1651, 2nde partie, chapitre X, d" On desservit… " à "... elle était morte." 

Pour lire l'extrait 
Scarron.jpg

Anonyme, Paul Scarron, XVIIème s. Huile sur toile, Musée du Tessé, Le Mans

Paul Scarron (1610-1660), malgré la maladie qui le paralyse progressivement, est devenu célèbre par le salon qu’il anime, dès le milieu du siècle, couru par les gens de Cour, et il connaît le succès grâce à de nombreuses comédies et surtout au Roman comique, dont la première partie, qui compte vingt-trois chapitres, paraît en 1651 et la seconde, de vingt chapitres, en 1657. L’oxymore de ce titre signale sa volonté de parodier les romans héroïques alors à la mode, en multipliant les aventures vécues par ses personnages, une troupe de comédiens, et de nombreuses histoires insérées dans cette trame générale.

J. Veenhieysen, Frontispice du Roman comique de Paul Scarron, édition de 1668, BnF

Parmi ces comédiens, Le Destin, homme de qualité qui a rejoint la troupe pour échapper à des persécuteurs, occupe une place importante dans le roman. Amoureux de la belle Léonore, il se retrouve mêlé à des bagarres et à bien des situations ridicules, telle celle vécue dans une hôtellerie avec Madame Bouvillon qui entreprend de le séduire, malgré l’ambiguïté du titre du chapitre qui n’indique pas qu’elle est l’instigatrice de cette scène. Mais la tonalité en est d’emblée indiquée, d’abord par le nom du personnage, qui renvoie à l’image d’un jeune bœuf, et surtout par l’issue de la scène, bien loin de la blessure reçue après un combat héroïque, « une grosse bosse au front ». Comment cette scène renouvelle-t-elle le plaisir que le romanesque peut provoquer au lecteur ?

J. Veenhieysen, Frontispice du Roman comique de Paul Scarron, édition de 1668, BnF
TX1-Scarron

1ère partie : Un jeu de scène comique (des lignes 1 à 19) 

Un combat ridicule

Madame Bouvillon, mère de la mariée qui vient d’arriver dans l’hôtellerie, a convié Le Destin dans sa chambre, où un dîner leur est servi. La banalité de ce décor est renforcée par le jeu comique autour de la porte, fermée par la servante en se retirant. Le point de départ en est le quiproquo, qui provoque la première réplique de Madame Bouvillon : celle-ci, « qui crut peut-être que le Destin y avait pris garde, lui dit : « Voyez un peu cette étourdie qui a fermé la porte sur nous ! » S’ensuit alors une lutte entre celle-ci, qui souhaite que la porte reste fermée pour pouvoir arriver à sa conquête, et le jeune homme qui, lui, souhaite préserver les bienséances : « Je l'irai ouvrir s'il vous plaît, lui répondit le Destin. » Scarron crée ainsi un jeu de scène comique autour de cette porte, avec une triple répétition mécanique de la protestation avancée par Mme Bouvillon dans son effort pour empêcher Le Destin de rouvrir cette porte : « Je ne dis pas cela, répondit la Bouvillon en l'arrêtant. » Peut-être est-ce d’ailleurs en se souvenant de cette dérobade que Molière prête à Alceste, dans Le Misanthrope, cette même répétition de « Je ne dis pas cela ».

Une parodie du roman précieux

Dans ce combat, l’initiative revient à Madame Bouvillon, en rupture de la retenue vertueuse propre à toute héroïne de roman précieux. Les deux verbes qui se font écho, « plaira » et « voudra », soutiennent son premier argument, qui, tout en suggérant son propre désir, renforcé par l’anacoluthe qui place en tête de phrase son souhait, feint de mépriser les médisances : « vous savez bien que deux personnes seules enfermées ensemble, comme ils peuvent faire ce qu'il leur plaira, on en peut aussi croire ce que l'on voudra. »

Scarron prête à son personnage, dans sa tentative de résister héroïquement à l’insistance de la Bouvillon, le langage de la galanterie précieuse, avec une double flatterie : « Ce n'est pas des personnes qui vous ressemblent que l'on fait des jugements téméraires », « pour ce qui est de vous et de moi, l'on sait bien le peu de proportion qu'il y a entre un pauvre comédien et une femme de votre condition. » Mais, en niant à son tour la possibilité de médisance, il arrive au résultat inverse car ce combat verbal - mais dont nous pouvons imaginer aussi la gestuelle, comme dans une comédie - se termine par la victoire de Madame Bouvillon, qui triomphe : « Je ne dis pas cela, dit la Bouvillon en l'allant fermer au verrou : car, ajouta-t-elle, peut-être qu'on ne prendra pas garde si elle est fermée ou non, et, fermée pour fermée, il vaut mieux qu'elle ne se puisse ouvrir que de notre consentement. »

2ème partie : Une scène de farce (des lignes 19 à 34) 

Un combat ridicule

Ce sont ensuite ses personnages que Scarron caricature, en premier lieu celle qu’il appelle de façon populaire « la Bouvillon », et qu’il désigne par la formule « la grosse sensuelle », associant son embonpoint à son caractère. Il commence par un gros plan sur son visage avec le parallélisme insistant « son gros visage fort enflammé et ses petits yeux fort étincelants », met en évidence son désir sexuel, et l’opposition des adjectifs nous éloigne de la métaphore du « feu » qui dépeint d’ordinaire le charme du regard féminin. S’y ajoute la représentation cocasse de son poids, à la façon dont s’effectuerait la pesée d’un animal de foire : « dix livres de tétons pour le moins, c'est-à-dire la troisième partie de son sein, le reste étant distribué à poids égal sous ses deux aisselles. » Scarron sexualise ainsi une héroïne qui a perdu toute noblesse féminine.

Face à elle, le héros n’est pas moins ridicule, réduit à l’impuissance. Là où les romans montrent d’ordinaire un héros séduit par les charmes féminins, Scarron s’amuse à inverser la relation, par la précision qu’il prend soin d’apporter dans la parenthèse : « (qui n'y prenait pas grand plaisir) ».

Enfin la comparaison insiste sur la rougeur en contraste avec la blancheur du teint propre aux héroïnes traditionnelles : « sa gorge n'avait pas moins de rouge que son visage, et l'un et l'autre ensemble auraient été pris de loin pour un tapabor d'écarlate. » Ici, la rougeur n’a pas l’excuse de la pudeur, mais révèle un désir en dehors de toute limite morale, ce que souligne la parenthèse explicative du narrateur : « (car elles rougissent aussi, les dévergondées) » En jouant sur le parallélisme de la rougeur entre Le Destin et elle, Scarron intervient à nouveau, encore plus directement, pour prendre à témoin son lecteur : « Le Destin rougissait aussi, mais de pudeur, au lieu que la Bouvillon, qui n'en avait plus, rougissait je vous laisse à penser de quoi. » Il fait ainsi de son lecteur le spectateur de cette scène

Un combat ridicule

Ce double portrait conduit à une scène inscrite dans la tradition de la farce, héritée des pièces antiques grossières, les atellanes, et  qui se retrouve fréquemment dans les fabliaux médiévaux. Scarron met en évidence un érotisme comique, qui détourne les codes de la séduction, déjà parce que c’est la femme qui met tout en œuvre pour séduire l’homme, en adoptant un comportement parfaitement inconvenant : après avoir approché de lui son visage, elle « ôta son mouchoir de col et étala aux yeux du Destin » ses appâts.

Jean-Baptiste Pater,  Mme Bouvillon pour tenter le Destin le prie de lui chercher une puce, entre 1729-1733. Huile sur toile, 28 x 38. Château de Potsdam-Sans Souci, Berlin

Après le combat autour de la porte, ouverte ou fermée, c’est à présent le corps du Destin qui devient l’enjeu du combat, poursuivant ainsi la parodie héroïque, marquée par le lexique : elle « lui donna bien à penser de quelle façon il se tirerait à son honneur de la bataille que vraisemblablement elle lui allait présenter. » Mais de quel combat s’agit-il ? Un combat ridiculisé d’abord par le stratagème mis en place : « Elle s'écria qu'elle avait quelque petite bête dans le dos, et, se remuant en son harnais, comme quand on y sent quelque démangeaison, elle pria le Destin d'y fourrer la main. » L’animalisation se poursuit par la transformation du corset en « harnais » et cette image de la recherche d’une puce, rendue encore plus grossière par le verbe « fourrer ». 

Jean-Baptiste Pater,  Mme Bouvillon pour tenter le Destin le prie de lui chercher une puce, entre 1729-1733. Huile sur toile, 28 x 38. Château de Potsdam-Sans Souci, Berlin

Enfin, la parodie atteint son comble par la faiblesse du héros, pris en pitié par le narrateur, « Le pauvre garçon le fit en tremblant », car transformé en animal de foire par le geste qu’il subit : « la Bouvillon, lui tâtant les flancs au défaut du pourpoint, lui demanda s'il n'était point chatouilleux. » Lui aussi n’a plus rien d’un noble combattant, et la gestuelle détruit la séduction raffinée et le discours lyrique habituels dans le roman.

3ème partie : Une issue cocasse (de la ligne 34 à la fin) 

Un "deus ex machina"

La parodie héroïque se poursuit par la formule impersonnelle qui en dramatise l’issue : « Il fallait combattre ou se rendre ». Mais, comme dans une noble tragédie, un coup de théâtre vient sauver le héros, l’arrivée d’un autre comédien, Ragotin, qui joue ici le rôle du "deus ex machina", mais dépourvu lui aussi de noblesse : « Ragotin se fit ouïr de l'autre côté de la porte, frappant des pieds et des mains comme s'il l'eût voulu rompre et criant au Destin qu'il ouvrît promptement. » La description lui ôte d’ailleurs toute dimension divine : il « faisait un bruit de diable ». La farce s’interrompt alors, mais avec un geste qui renforce le portrait répugnant de la femme : « Le Destin tira sa main du dos suant de la Bouvillon pour aller ouvrir à Ragotin ».

Des combattants sans gloire

Cependant les combattants, loin d’être sauvés par cette intervention, se retrouvent tous deux blessés de façon ridicule. Scarron, par le contraste entre la longue phrase, qui multiplie les précisions, et l’accélération du mouvement de son personnage, dans son désir d’échapper à cette agression, met en évidence le manque de gloire de ce héros : « et voulant passer entre elle et la table assez adroitement pour ne la pas toucher, il rencontra du pied quelque chose qui le fit broncher et se choqua la tête contre un banc assez rudement pour en être quelque temps étourdi. »

Mais aucune gloire non plus pour la Bouvillon, dont la blessure est encore plus cocasse : « ayant repris son mouchoir à la hâte, [elle] alla ouvrir à l'impétueux Ragotin, qui en même temps, poussant la porte de l'autre côté de toute sa force, la fit donner si rudement contre le visage de la pauvre dame qu'elle en eut le nez écaché et de plus une bosse au front grosse comme le poing. » Le comique est accentué par le contraste entre cette longue phrase, qui se termine par ce « nez » écrasé et cette « bosse », et la brièveté du discours rapporté qui se veut tragique : « Elle cria qu'elle était morte. »

Jean-Baptiste Pater,  La bosse de Madame Bouvillon, entre 1729-1733. Huile sur toile, 28 x 38. Château de Potsdam-Sans Souci, Berlin

Jean-Baptiste Pater,  La bosse de Madame Bouvillon, entre 1729-1733. Huile sur toile, 28 x 38. Château de Potsdam-Sans Souci, Berlin

CONCLUSION

Le plaisir du lecteur vient du fait que cet extrait brise totalement les codes du roman de cette époque, empreint de noblesse, soit héroïque, soit galante, en mettant en place une scène digne du comique le plus grossier de la farce. Aucune grandeur, aucune élégance, aucune noblesse…, d’où un effet de surprise qui provoque le rire. Scarron retrouve ainsi les ressources des romans antiques, en se souvenant sans doute d’auteurs comme le grec Lucien, ou les romains, Apulée avec L’Âne d’or, ou Pétrone avec Le Satiricon, mais aussi des fabliaux et des romans picaresques. Il met, en effet, en scène des personnages ridicules, qui se livrent à une pantomime cocasse, en marge des convenances sociales et morales de son temps, et, en inscrivant le romanesque dans le burlesque, Scarron se met lui-même en marge des conventions suivies par les romanciers qu’il parodie.

Lecture cursive : Paul Scarron, Le Roman comique, 1651-1657, 1ère partie, ch. XII 

Ce début de chapitre est une intervention directe du romancier, qui s’adresse directement à son lecteur, qualifié de « bénévole », c’est-à-dire qu’il juge par avance bienveillant. 

Je suis trop homme d'honneur pour n'avertir pas le lecteur bénévole que, s'il est scandalisé de toutes les badineries qu'il a vues jusqu'ici dans le présent livre, il fera fort bien de n'en lire pas davantage : car, en conscience, il n'y verra pas d'autre chose, quand le livre serait aussi gros que le Cyrus; et si, par ce qu'il a déjà vu, il a de la peine à se douter de ce qu'il verra, peut-être que j'en suis logé là aussi bien que lui, qu'un chapitre attire l'autre, et que je fais dans mon livre comme ceux qui mettent la bride sur le col de leurs chevaux et les laissent aller sur leur bonne foi. Peut-être aussi que j'ai un dessein arrêté, et que, sans emplir mon livre d'exemples à imiter, par des peintures d'actions et de choses tantôt ridicules, tantôt blâmables, j'instruirai en divertissant de la même façon qu'un ivrogne donne de l'aversion pour son vice, et peut quelquefois donner du plaisir par les impertinences que lui fait faire son ivrognerie.

Sous couvert de son « honneur » de romancier, il l’invite – paradoxe par rapport à ce que fait d’habitude un auteur, mais rappel de l'adresse de Montaigne à son lecteur au début de ses Essais – à cesser sa lecture : « s'il est scandalisé de toutes les badineries qu'il a vues jusqu'ici dans le présent livre, il fera fort bien de n'en lire pas davantage : car, en conscience, il n'y verra pas d'autre chose. » En feignant de partager la réaction d’un lecteur indigné, il maintient cependant son choix de « badineries », bel euphémisme pour des scènes très souvent audacieuses et dont la grossièreté s’oppose aux bienséances. Il donne ainsi du sens à ce qu’il admet être « des peintures d'actions et de choses tantôt ridicules, tantôt blâmables » par sa comparaison à un « ivrogne ». En expliquant que celui-ci « donne de l'aversion pour son vice, et peut quelquefois donner du plaisir par les impertinences que lui fait faire son ivrognerie. », il rejoint en fait l’objectif même propre à tous les écrivains du XVIIème siècle classique : « « j’instruirai en divertissant »

TX2-Lesage

Alain-René Lesage, Histoire de Gil Blas de Santillane, 1ère Partie, ch. VIII, 1715-1747, de « Mais, mon père… » à la fin 

Pour lire l'extrait 

Après des études de droit, Lesage a abandonné rapidement sa profession d’avocat pour se consacrer à la littérature, d’abord avec des traductions et des adaptations, pour le théâtre, de la littérature espagnole, par exemple en imaginant une suite de Don Quichotte. Mais il subit des difficultés avec sa pièce Turcaret, jouée en 1709, qui critique le poids pris par l’argent parfois malhonnêtement acquis : la pièce sera supprimée après quelques représentations.

Lesage, Gil Blas de Santillane

Son Histoire de Gil Blas de Santillane est publiée en plusieurs étapes : les livres I à VI en 1715, puis VII à IX en 1724, un dernier tome en 1736, et un ultime complément posthume. Son récit  est précédé d’une « Déclaration de l’auteur » qui précise son objectif : « Je ne me suis proposé que de représenter la vie des hommes telle qu’elle est. ». Il se pose ainsi en précurseur d’une forme de réalisme, puisque les multiples péripéties vécues par Gil Blas, le héros éponyme, lui font traverser toutes les classes sociales. Son roman prend la forme d’une autobiographie avec le recours au « je », et rejoint ainsi l’objectif qui reste celui du XVIII° siècle : chaque expérience vécue par Gil Blas le conduit – et avec lui le lecteur – à une réflexion morale.

Le jeune Gil Blas, devenu orphelin, est envoyé par son oncle tuteur à l’université de Salamanque pour y poursuivre ses études. Sur la route, il se fait dépouiller de sa bourse. Puis, en traversant une forêt, il rencontre des brigands, qui l’enlèvent et le retiennent prisonnier dans un souterrain.

Après l’échec d’une première tentative de fuite, Gil Blas décide de feindre le désir de participer aux expéditions des voleurs pour profiter de cette occasion de sortir pour s’enfuir : nous assistons ici à sa première expérience de voleur. Quelle image le récit donne-t-il du héros pour provoquer le plaisir du lecteur ?

1ère partie : Un voleur audacieux (des lignes 1 à 13) 

Un exploit héroïque

La comparaison faite par Gil Blas de la « mule » du moine à « celle de [s]on oncle », en la jugeant « pas meilleure », rappelle au lecteur qu’il dispose à présent d’un cheval, monture noble réservée aux héros des romans de chevalerie, qui illustre aussi son pouvoir sur sa victime. Cet anoblissement explique le ton de sa demande, un acte d’autorité souligné par les impératifs, « finissons », « jetez », et la menace redoublée.

         D’une part, il mentionne la présence de ses compagnons voleurs, déjà signalée dans le titre du chapitre, dangereuse pour sa victime, mais aussi importante pour lui car, comme le public lors d’un tournoi, ils surveillent la façon dont il accomplit son exploit : « Mes camarades, qui sont dans ce bois, s’impatientent. »

        D’autre part, il reprend la phrase traditionnelle des bandits, « La bourse ou la vie », mais accentuée par l’indice temporel et martelée par son implication directe : « Jetez tout à l’heure votre bourse à terre, ou bien je vous tue. »

Il fait ainsi preuve d’une autorité annoncée dans le récit qui lui reconnaît cette attitude martiale : « ces mots, que je prononçais d’un ton menaçant ». Mais cela contraste avec la situation car ce noble héros, monté sur un destrier, est face à un adversaire bien dérisoire  sur sa « mule »…

La victoire

La réaction du moine lui reconnaît cette puissance : « le religieux sembla craindre pour sa vie. » Alors qu’il s’était employé précédemment à plaider sa cause, il cède au jeune voleur, « Attendez, me dit-il, je vais donc vous satisfaire, puisqu’il le faut absolument. Je vois bien qu’avec vous autres, les figures de rhétorique sont inutiles. » Ce discours confirme pleinement le triomphe du jeune voleur, avec le pronom qui le hausse à la hauteur de ses compagnons, ce qui représente pour lui une sorte de promotion. Comme dans les romans de chevalerie, au cœur de l’exploit figure l’objet symbolique de la quête, la « bourse », réclamée, puis obtenue, avec une amplification de sa valeur, « une grosse bourse de peau de chamois », même si le verbe dans le commentaire qui suit, « qui me parut pesante », laisse déjà supposer une faille dans cet exploit. Mais cette réserve est vite effacée par la fuite accélérée du moine, apeuré, qui signe sa victoire : « je lui dis qu’il pouvait continuer son chemin, ce qu’il ne me donna pas la peine de répéter. Il pressa les flancs de sa mule, qui […] prit tout à coup un assez bon train. »

Clément Marillier, L’exploit de Gil Blas, XVIIIème siècle. Dessin à la plume et au lavis

Clément Marillier, L’exploit de Gil Blas, XVIIIème siècle. Dessin à la plume et au lavis

2ème partie : La reconnaissance du héros (des lignes 12 à 22) 

Un récit parodique

Dans la tradition des récits héroïque vient le moment où le héros, triomphant dans l’épreuve, vit son épiphanie, c’est-à-dire est reconnu comme tel pour son « exploit », annoncé dans le titre du chapitre. Ainsi le récit souligne la réussite de l’épreuve imposée : « les voleurs m’attendaient avec impatience, pour me féliciter de ma victoire. » L’accélération temporelle soutient l’hyperbole qui amplifie cette victoire : « À peine me donnèrent-ils le temps de descendre de cheval, tant ils s’empressaient de m’embrasser. » Cette grandeur reconnue se traduit aussi dans le récit autobiographique, le héros assumant respectueusement sa nouvelle fonction en marge de la loi : « Je les remerciai de la haute idée qu’ils avaient de moi et leur promis de faire tous mes efforts pour la soutenir. »

Le discours élogieux

Le discours direct y ajoute des félicitations, elles aussi hyperboliques : « Courage, Gil Blas, me dit Rolando, tu viens de faire des merveilles. J’ai eu les yeux sur toi pendant ton expédition. J’ai observé ta contenance. Je te prédis que tu deviendras un excellent voleur de grand chemin. » Cette déclaration est renforcée encore par l’approbation générale qui consacre la valeur de l’exploit : « Le lieutenant et les autres applaudirent à la prédiction et m’assurèrent que je ne pouvais manquer de l’accomplir quelque jour. » 

3ème partie : Un anti-héros (de la ligne 23 à la fin) 

Un coup de théâtre

Le dernier paragraphe inverse totalement la situation, produisant ainsi un coup de théâtre comique, fondé sur le décalage entre la joie et la désillusion.

         D’un côté, l’impatience des brigands est soulignée par le redoublement de l’impératif, « Voyons, dirent-ils, voyons ce qu’il y a dans la bourse du religieux », et l’hypothèse pleine d’espoir : « Elle doit être bien garnie, continua l’un d’entre eux, car ces bons pères ne voyagent pas en pèlerins ».

         De l’autre, la réalité, bien différente, insiste sur l’absence de valeur du contenu, qualifié de « butin », ce qui déjà rappelle la situation hors-la-loi : « Le capitaine délia la bourse, l’ouvrit, et en tira deux ou trois poignées de petites médailles de cuivre, entremêlées d’Agnus Dei, avec quelques scapulaires. » Le peu de valeur est mis en valeur aussi bien par la quantité, « deux ou trois poignées », « quelques scapulaires », que par la nature même du contenu, de « petites médailles de cuivre ». La nature religieuse de ce contenu fait aussi sourire car il est pour le moins inadapté pour ceux qui volent et peuvent tuer…

Nous sommes ici dans le dénouement d’une scène de farce, fondée sur le proverbe bien connu, « Tel est pris qui croyait prendre. » 

Un héros ridicule

Le récit lui-même confirme cet effet comique : « À la vue d’un larcin si nouveau, tous les voleurs éclatèrent en ris immodérés. » Le personnage héroïque devient ainsi ridicule en concentrant sur lui l’ironie des voleurs, d’abord par antiphrase dans le discours rapporté direct du lieutenant : « Vive Dieu ! s’écria le lieutenant, nous avons bien de l’obligation à Gil Blas. » L’exclamation d’ouverture salut plaisamment la nature religieuse de ce contenu, en jouant ensuite sur le sens de l’adjectif : « Il vient, pour son coup d’essai, de faire un vol fort salutaire à la compagnie. » Il ne s’agit plus ici d’une utilité matérielle pour la bande de voleurs, mais du salut de leur âme de pécheurs. La suite insiste sur la démythification du héros, en multipliant les rires : « cette plaisanterie en attira d’autres », ils « commencèrent à s’égayer sur la matière », « il leur échappa mille traits », « en se réjouissant aussi à mes dépens ». 

L'auto-dérision

Le récit homodiégétique, avec le recours au « je » propre à l’autobiographie, permet de jouer sur la temporalité, en permettant au narrateur de prendre du recul sur son « exploit » en tant que personnage. Son regard critique est donc la première façon de démasquer sa fonction de héros, avec l’antithèse entre les deux adverbes : « Après qu’ils m’eurent d’autant plus loué que je le méritais moins » Sa lucidité ressort, car il est parfaitement conscient de la dimension immorale de son acte, voler, et qui plus est, un homme d’Église, d’où son lexique péjoratif : « ces scélérats, et particulièrement celui qui avait apostasié », « le dérèglement de leurs mœurs. » Nous sommes donc très loin des récits héroïques, qui mettent en scène de nobles chevaliers au service de Dieu et du Roi.

Sa propre réaction est brièvement rapportée : « Moi seul je ne riais point. » La raison, cependant, en reste ambiguë : « Il est vrai que les railleurs m’en ôtaient l’envie en se réjouissant aussi à mes dépens. » Est-ce la nature même de ces « railleurs » qui provoque sa honte, l’idée que ce sont des voleurs, auxquels il a choisi de s’associer pour retrouver sa liberté, qui le ridiculisent ainsi ? Ou bien serait-il seulement vexé face aux moqueries provoquées par son propre échec, la honte donc de son humiliation ? La dernière phrase ironique du « capitaine » met d’ailleurs en valeur sa naïveté : « ma foi, Gil Blas, je te conseille, en ami, de ne te plus jouer aux moines. Ce sont des gens trop fins et trop rusés pour toi. »

CONCLUSION

En fait de réussite, les trois étapes de ce passage mettent en valeur l’échec du héros dans son exploit : il ressemble alors à ces personnages traditionnels dans les fabliaux du moyen âge, dans les farces – souvent aux dépens des hommes d’Église – et encore dans la comédie classique, si nous pensons, par exemple, aux Fourberies de Scapin de Molière : le voleur volé, le trompeur trompé. Le modèle héroïque, pris en charge par les romans de chevalerie, se trouve détruit, comme l’avait déjà fait Cervantès dans son Don Quichotte (1615), que Lesage admirait beaucoup : Gil Blas est ridiculisé, la fonction satirique ne s’exerce plus aux dépens de la société, mais aux dépens du « héros » lui-même, puni à la fois de sa naïveté et de sa vanité, puisqu’il avait cru fièrement en sa réussite. Le récit ne propose plus, à travers son personnage, de modèle de conduite.

 Un exemple de « picaro », le Lazarillo de Tormès. Monument au cœur de Salamanque

Ce récit offre aussi un exemple de cette forme d’anti-héros, en marge de la société, nommé le "picaro", terme espagnol péjoratif qui désigne un aventurier, coquin et voleur, le plus souvent de basse naissance. À partir de ce personnage, marginal sans scrupules, prêt à tout pour subsister et pour s’élever socialement, se crée le "roman picaresque", autobiographie fictive qui, en réaction contre l’idéalisme des romans de chevalerie, met en scène de multiples aventures, autant d’épreuves qui plongent le lecteur dans les réalités les plus concrètes, voire les plus basses, de la société. Tantôt elles conduisent au succès, tantôt à l’échec, mais toujours en opposition aux valeurs morales, car, même quand il affiche son désir de se diriger vers le bien, le "picaro" retombe sans cesse dans l’immoralité. Ainsi la dernière phrase de cette scène comique pourrait jouer le rôle d’une anti-morale : n'incite-t-elle pas Gil Blas à devenir plus « rusé » pour mieux réussir socialement ? Il n’est donc pas certain que le plaisir du lecteur l’amène à cette instruction que Lesage, conformément à l’objectif du classicisme, place dans son adresse de « Gil Blas au lecteur » : « Si tu lis mes aventures sans prendre garde aux instructions morales qu’elles renferment, tu ne tireras aucun fruit de cet ouvrage ; mais, si tu le lis avec attention, tu y trouveras, suivant le précepte d’Horace, l’utile mêlé avec l’agréable. »

 Un exemple de « picaro », le Lazarillo de Tormès. Monument au cœur de Salamanque

Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, 1782, CVI, de "Vous voilà donc absolument..." à "... des machines à plaisir."  

Pour lire l'extrait 

Le roman épistolaire de Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803, Les Liaisons dangereuses, paraît à Amsterdam en 1782, alors que le libertinage s’est développé après la mort de Louis XIV, sous la Régence. Il compte cent soixante-quinze lettres, prétendument authentiques et remaniées par un "rédacteur", échangées entre deux protagonistes principaux, la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, et les victimes de leur libertinage.

TX3-Laclos

Pour se venger du comte de Gercourt, son ancien amant, qui s’apprête à épouser Cécile de Volanges, jeune fille « pure », tout juste sortie du couvent, la marquise a, en effet, demandé à Valmont, son ancien amant auquel la lie encore une complicité libertine, de séduire Cécile. Ainsi, celui-ci l’informe régulièrement de ses progrès dans cette entreprise de corruption tandis que, de son côté, Cécile transmet ingénument ses émois à la marquise. Valmont, lui, est parti à la conquête de la Présidente de Tourvel, difficile car c’est une épouse vertueuse, mais d’autant plus excitante. Il a cru obtenir une double victoire, en trouvant la Présidente toute prête à lui avouer son amour lors de sa dernière visite, et auprès de la jeune Cécile de Volanges qui lui a accordé de passer la nuit dans sa chambre. Mais, le lendemain, il apprend le départ de la première, et la seconde lui ferme sa porte…  Il informe de sa défaite la Marquise de Merteuil, qui lui répond. Quelle conception de l’amour la peinture des personnages dans cette lettre illustre-t-elle ?

Le trio formé par la Marquise, Valmont et Cécile, film de Stephen Frears, 1988

Le trio formé par la Marquise, Valmont et Cécile, film de Stephen Frears, 1988

1ère partie : Un voleur audacieux (des lignes 1 à 13) 

Une critique ironique

Les deux exclamations qui ouvrent cet extrait traduisent le mépris ironique de la marquise pour Valmont, dont elle souligne l’échec : « Vous voilà donc absolument réduit à rien ! » Un échec d’autant plus ridicule, à ses yeux, que sa victoire semblait assurée : « et cela entre deux femmes, dont l’une était déjà au lendemain, et l’autre ne demandait pas mieux que d’y être ! » Ainsi, par le lexique choisi, elle minimise l’importance de ce double échec, à ses yeux tout provisoire : « Enfin un enfantillage d’une part, de l’autre un retour de pruderie, parce qu’on ne les éprouve pas tous les jours, suffisent pour vous déconcerter ». C’est ce qui explique sa critique de Valmont, avec l’accumulation des négations en gradation : « C’est que réellement vous n’avez pas le génie de votre état ; vous n’en savez que ce que vous en avez appris, et vous n’inventez rien. » Sa comparaison renforce encore cette critique : « Aussi, dès que les circonstances ne se prêtent plus à vos formules d’usage, et qu’il vous faut sortir de la route ordinaire, vous restez court comme un écolier. » Il n’est donc qu’un apprenti en matière de séduction amoureuse, un séducteur incapable de s’assumer, incapable de faire preuve d’initiative, incapable de construire un plan d’action face à des résistances : « et vous ne savez ni les prévenir, ni y remédier. » Son ironie s’accentue enfin dans la prédiction qu’elle lance, sous couvert d’un discours rapporté : « et bientôt, il faudra dire de vous : Il fut brave un tel jour. » Cette adresse de la marquise multiplie les références militaires, comme si l’amour devenait un combat à gagner, exigeant des qualités de stratège.

Le rôle de la marquise

En même temps qu’elle se moque de Valmont, la marquise lui oppose ses propres compétences : « Hé bien ! vous allez croire que je me vante, et dire qu’il est facile de prophétiser après l’événement : mais je peux vous jurer que je m’y attendais. » Introduite par l’interjection familière, l’antithèse affirme, en effet, sa supériorité puisqu’elle se montre certaine de la faiblesse de son complice. Elle va jusqu’à généraliser d’ailleurs son mépris dans son interpellation redoublée : « Ah ! Vicomte, Vicomte, vous m’apprenez à ne pas juger les hommes par leurs succès ». Dans son exclamation, et par le lexique qui le rabaisse à l’état d’un enfant, elle lui confirme ainsi son propre rôle prédominant dans l’intrigue : « Et quand vous avez fait sottise sur sottise, vous recourez à moi ! » La conclusion de cette critique révèle son implication, « Il semble que je n’aie rien autre chose à faire qu’à les réparer. », mais tout prouve qu’elle y est disposée : « Il est vrai que ce serait bien assez d’ouvrage. » Elle contemple ainsi avec un réel plaisir sa propre puissance.

2ème partie : Le plan d’action (des lignes 16 à 24) 

Une puissance affirmée

Le second paragraphe apporte la preuve de cette puissance, puisqu’elle y dresse un plan d’action. Elle rappelle sa part dans l’intrigue ; Valmont a décidé seul de conquérir la Présidente de Tourvel, il lui appartient d’arriver seul à ses fins : « Quoi qu’il en soit, de ces deux aventures, l’une est entreprise contre mon gré, et je ne m’en mêle point » En revanche, l’intrigue se fonde sur sa demande à Valmont de l’aider à se venger du comte de Germont en corrompant sa fiancée, la jeune Cécile de Volanges : « pour l’autre, comme vous y avez mis quelque complaisance pour moi, j’en fais mon affaire. » C’est pourquoi son affirmation de puissance est très catégorique, réaffirmée par le comparatif qui assure la réussite d’une manœuvre « plus que suffisante pour vous la ramener ».  

Laclos-marquise-Cécile.jpg

La Marquise, conseillère de Cécile, film de Stephen Frears, 1988

Un plan cynique

Dans ce roman épistolaire, les lettres sont, certes, échangées entre les deux complices, mais elles servent aussi au plan d’ensemble, d’où l’évocation de celle que la marquise fait parvenir à Cécile, pour l’inciter à ne pas résister à Valmont : « La lettre que je joins ici, que vous lirez d’abord, et que vous remettrez ensuite à la petite Volanges, est plus que suffisante pour vous la ramener ». La manipulation est évidente puisque la lettre à Cécile n’a rien de secret. Son conseil, masqué sous la forme d’une prière, « mais, je vous en prie, donnez quelques soins à cet enfant », est, en effet, particulièrement cynique, car, en fait de « soins », il s’agit de faire croire à la jeune fille à un amour sincère, et son ajout, « Il n’y a pas à craindre de forcer les doses. » 

Cécile n’est donc qu’un pion entre les mains de la marquise, au service de son objectif de vengeance, partagé avec son complice : « faisons-en, de concert, le désespoir de sa mère et de Gercourt. » Aux yeux de la marquise, l’inexpérience de Cécile, dont le portrait traduit son mépris, « Je vois clairement que la petite personne n’en sera pas effrayée », garantit le succès de son plan, et peu lui importe qu’il puisse blesser une jeune fille innocente : « et nos vues sur elle une fois remplies, elle deviendra ce qu’elle pourra. » Aucun souci moral dans l’élaboration de ce plan

3ème partie : Une double image de la femme (de la ligne 25 à la fin) 

L'art du libertinage

Cela se confirme dans le dernier paragraphe à travers le mépris dont témoigne le rejet cynique de Cécile par la marquise : « Je me désintéresse entièrement sur son compte. » À travers la critique qu’elle lance, « elle a une sotte ingénuité », c’est, en effet, son propre portrait que dépeint la marquise. Pour elle,  l’innocence d’une jeune fille à peine sortie du couvent, ignorante donc des réalités de la société, est un défaut, auquel elle a tenté de remédier en initiant la jeune fille. Mais à quoi ? À perdre ses valeurs morales, enseignées par la religion, pour devenir comme elle, une libertine, d’un niveau inférieur, certes, car la marquise reste fière de sa puissance, mais qui aurait pu essayer de l’imiter dans son art de la manipulation : « J’avais eu quelque envie d’en faire au moins une intrigante subalterne et de la prendre pour jouer les seconds sous moi : mais je n’y vois pas d’étoffe ». 

La marquis de Merteuil, experte dans l'art de la manipulation, film de Stephen Frears, 1988

La marquis de Merteuil, experte dans l'art de la manipulation, film de Stephen Frears, 1988

Cécile n’a donc pas été capable de dépasser sa naïveté, malgré les efforts de la marquise et ceux mis en œuvre par Valmont, dont elle finit par reconnaître qu’il s’est comporté, lui, en digne émule : elle « n’a pas cédé même au spécifique que vous avez employé, et qui pourtant n’en manque guère », le pronom renvoyant à cette « étoffe », cette aptitude à l’intrigue.

Une image péjorative des femmes

Accentuée par le superlatif, sa critique s’élargit ensuite à toutes les femmes dotées de cette même « sotte ingénuité » : « et c’est, selon moi, la maladie la plus dangereuse que femme puisse avoir. » Loin d’en reconnaître la valeur morale, elle la compare même à une maladie grave : « Elle dénote, surtout, une faiblesse de caractère presque toujours incurable, et qui s’oppose à tout ». Dans ce pronom indéfini « tout », elle englobe tous les conseils de libertinage qu’elle pourrait donner, qui échoueraient en raison de la faiblesse de la femme, prête à céder sans combattre : «  de sorte que, tandis que nous nous occuperions à former cette petite fille pour l’intrigue, nous n’en ferions qu’une femme facile. » Cependant, loin de viser l’absence de morale qui amène une femme à céder, son blâme, soutenu par la négation, porte sur l’absence de ce plaisir qu’une femme peut tirer d’une séduction présentée comme un combat : « Or, je ne connais rien de  plus plat que cette facilité de bêtise, qui se rend sans savoir ni comment ni pourquoi, uniquement parce qu’on l’attaque et qu’elle ne sait pas résister. » Ainsi, l’image péjorative de sa conclusion, « Ces sortes de femmes ne sont absolument que des machines à plaisir », témoigne d'un mépris violent qui va bien au-delà du simple libertinage.    

Le frontispice des Liaisons dangereuses

CONCLUSION

Là où le roman picaresque fait parcourir au lecteur les bas-fonds de la société, le roman libertin l’emmène, lui, dans les boudoirs, les salons et les chambres de l’aristocratie. Mais, dans les deux cas, la morale n’a plus de poids réel, la vertu et les valeurs chrétiennes ne sont présentées que comme des obstacles au plaisir et aux ambitions de l’individu. Ainsi, dans cette lettre, l’ironie de la marquise multiplie les cibles. Elle s’en prend à Valmont, séducteur sans pouvoir, mais aussi à Cécile, type de la jeune ingénue naïve, et, plus généralement, aux femmes « faciles » à vaincre. Au-delà du libertinage, qui donne le droit d’agir sans limites morales, elle illustre aussi une puissance manipulatrice redoutable...    

Or, le frontispice de l’édition des Liaisons dangereuses comporte un sous-titre : « Lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres », ainsi qu’une phrase de Rousseau présentant son roman épistolaire, La Nouvelle Héloïse, parue en 1761 : « J’ai vu les mœurs de mon temps et j’ai publié ces lettres. ». Par ce terme d’« instruction » et cette citation, Choderlos de Laclos indique le genre choisi, affirme la volonté de réalisme et fixe à son roman un objectif  moral. Mais est-ce vraiment le cas ? Si nous observons le sort des personnages dans ce roman, certes les méchants se retrouvent punis, sévèrement : Valmont meurt, et la marquise est à la fois défigurée par la petite vérole, et déshonorée socialement. Mais leurs victimes, coupables de leur seule naïveté, ne s’en sortent pas mieux ! Cécile doit finalement entrer au couvent, et l’autre victime de Valmont, la Présidente de Tourvel, meurt de honte et de désespoir.

Le frontispice des Liaisons dangereuses

Lectures cursives : Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, 1782, Lettres XCVII et CV 

Pour lire les deux extraits 

Lettre XCVII

La première lettre, écrite par Cécile à la marquise après sa nuit avec Valmont, traduit dès son ouverture, par la multiplication de ses exclamations, son désespoir et sa « honte », sentiment sur lequel elle insiste : « Ah ! mon Dieu, Madame, que je suis affligée ! que je suis malheureuse ! Qui me consolera dans ma peine ? qui me conseillera dans l’embarras où je me trouve ? »

Mais elle confirme surtout le portrait que fait de sa « sotte ingénuité » la marquise.

         D’un côté, alors qu’elle doit être mariée au comte de Gercourt, l’amour romanesque qu’elle éprouve pour Danceny l’a fait tomber entre les mains de la marquise et de Valmont, tous deux prétendant l’aider dans cette relation. Elle déplore donc ce qu’elle voit comme une trahison de sa part : « C’est surtout Danceny qui me faisait de la peine ! toutes les fois que je songeais à lui, mes pleurs redoublaient que j’en étais suffoquée, et j’y songeais toujours ». 

         De l’autre, elle est totalement inconsciente de la manipulation dont elle est la victime, et apporte la preuve de sa naïveté. Elle croit aveuglément ce que lui dit Valmont : « Vous saurez donc que M. de Valmont, qui m’a remis jusqu’à présent les lettres de M. Danceny, a trouvé tout d’un coup que c’était trop difficile ; il a voulu avoir une clef de ma chambre. Je puis bien vous assurer que je ne le voulais pas : mais il a été en écrire à Danceny, et Danceny l’a voulu aussi ; et moi, ça me fait tant de peine quand je lui refuse quelque chose, surtout depuis mon absence qui le rend si malheureux, que j’ai fini par y consentir. Je ne prévoyais pas le malheur qui en arriverait. »

Elle en arrive donc à subir ce que nous nommerions aujourd’hui un viol, car Valmont a abusé de sa faiblesse, en retournant la faute contre elle-même : « Vous jugez bien que ça ne m’empêchait pas de lui dire toujours que non ; mais je sentais bien que je ne faisais pas comme je disais ; et ça, c’était comme malgré moi ; et puis aussi, j’étais bien troublée ! » Elle apporte ainsi la preuve de la critique que la marquise adresse aux femmes « faciles », qui cèdent à un homme sans combattre parce qu’elles sont incapables de contrôler leur propre sensualité pour préserver leur liberté et leur pouvoir.

Enfin, elle confirme le triomphe de la marquise dans son art de la manipulation, par son aveu, sa demande d’aide qui révèle une confiance totale : « Il faut que je parle à quelqu’un, et vous êtes la seule à qui je puisse, à qui j’ose me confier. Vous avez tant de bonté pour moi ! », « si vous n’avez pas la bonté de me conseiller, je mourrai de chagrin. », « Je vous en supplie, Madame, écrivez-moi le plus tôt que vous pourrez, et dites-moi ce que je dois faire. »

Lettre CV

L'ironie de la marquise

À cette lettre datée du 1er octobre, la marquise répond aussitôt, en faisant preuve, comme avec Valmont, d’une ironie railleuse envers la jeune fille, à laquelle elle parle comme à une enfant en multipliant ses antiphrases : « Hé bien ! Petite, vous voilà donc bien fâchée, bien honteuse, et ce M. de Valmont est un méchant homme, n’est-ce pas ? », « En vérité, ces procédés-là sont impardonnables », « Voyez donc, la pauvre enfant, comme elle est à plaindre ! » En faisant l’éloge du comportement de Valmont, « Comment ! il ose vous traiter comme la femme qu’il aimerait le mieux ! », elle retourne la critique contre Cécile, accusée d’hypocrisie. Elle  souligne, en effet, la contradiction entre la vertu affichée et la curiosité de toute jeune fille pour les réalités sexuelles : « Il vous apprend ce que vous mouriez d’envie de savoir ! »

Elle se moque ainsi à la fois de son amour romanesque pour Danceny, et de sa honte, qu’elle ridiculise : « Et puis ne plus oser lever ces yeux-là ! Oh ! par exemple, vous avez eu bien raison ; tout le monde y aurait lu votre aventure. »

L'éloge du libertinage

Mais cette lettre développe aussi une habile argumentation en faveur du libertinage.

  • Son premier argument est une invitation à profiter du plaisir reçu avant que l’« amant » n’aille le chercher ailleurs, ce que révéleraient alors ses « yeux battus » : « Et que direz-vous donc, quand ce seront ceux de votre amant ? »

  • Puis, elle met en avant l’importance de la sensualité, donc la qualité même de l’amant qu’il faut savoir apprécier, sous-entendant que les bons amants sont rares : « tous les hommes ne sont pas des Valmont. »

  • Ensuite, en la flattant habilement, elle pose l’idée que l’amour est le prix de la beauté, dont il faut savoir tirer profit : « Et puis ne plus oser lever ces yeux-là ! »

  • Enfin, elle détruit l’hypothèse de Cécile, sa peur que sa faute se lise sur son visage : « Croyez-moi cependant, s’il en était ainsi, nos femmes et même nos demoiselles auraient le regard plus modeste. »

Elle fait ainsi du libertinage une réalité omniprésente dans la société : la vertu, qu’on enseigne aux jeunes filles au couvent, y a perdu toute valeur, et toutes les femmes, y compris les « demoiselles » qui sont censées rester vierges jusqu’au mariage, profitent des plaisirs du libertinage.

POUR CONCLURE

Choderlos de Laclos a, fort prudemment, fait publier son roman à Amsterdam, avec ses seules initiales, prévoyant le scandale qu’il pourrait provoquer, prouvé d'ailleurs par cette déclaration du comte Alexandre de Tilly dans ses Mémoires (1828) : « En un mot c'est l'ouvrage d'une tête de premier ordre, d'un cœur pourri et du génie du mal. »

Mais ces reproches n’ont pas empêché le succès de l’ouvrage, signalé par exemple par la romancière Madame de Riccoboni, « Tout Paris s'empresse à vous lire, tout Paris s'entretient de vous. » ou dans La Correspondance littéraire, philosophique et critique, revue littéraire, en avril 1782 : « Il n'y a point d'ouvrage, en effet, sans excepter ceux de Crébillon et de ses imitateurs, où le désordre des principes et des mœurs de ce qu'on appelle la bonne compagnie et de ce qu'on ne peut guère se dispenser d'appeler ainsi soit peint avec plus de naturel, de hardiesse et d'esprit : on ne s'étonnera donc point que peu de nouveautés aient été reçues avec autant d'empressement. »

Ces commentaires insistent donc sur le plaisir pris par les lecteurs, mais sans doute davantage lié à la transgression qu’il met en valeur et non pas à son instruction morale… Le libertin, en effet, refuse la morale sociale et religieuse : il n’accepte pas qu’il lui soit imposé de maîtriser des désirs naturels, ceux du corps, pour privilégier la vie spirituelle. Sa seule règle est son plaisir immédiat, dont il considère qu’il ne doit connaître aucune entrave.    

Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835, 3ème partie, de "Le bagne avec ses mœurs..." à "... mettait les menottes."  

C’est avec Le Père Goriot, publié en 1835, que Balzac met en forme son projet, en ajoutant aux "Études de mœurs" les "Scènes de la province", "de la vie parisienne", "de la vie politique", "de la vie militaire", "de la vie de campagne", en complétant les "Études philosophiques" par les "Études analytiques". Et, surtout, il conçoit l’idée du "retour des personnages", en y reprenant Rastignac, héros de La Peau de chagrin, mais lors de son arrivée à Paris. Ainsi se construit une immense fresque, sous le titre « La Comédie humaine », à la fois une réorganisation des romans et nouvelles déjà écrites, et de nouvelles parutions, avec un contrat qui, en 1841, prévoit dix-sept volumes. Une lecture cursive de la première étape de l'arrestation de Vautrin précédera l'explication linéaire de la seconde étape.

TX4-Balzac

Lecture cursive : Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835, 3ème partie, "L'arrestation de Vautrin" 

Pour lire l'extrait 

Le roman est construit en quatre parties, « Une pension bourgeoise », « L’entrée dans le monde », « Trompe-la-mort » et « La mort  du père » : la première présente la pension tenue par Madame Vauquer et ses pensionnaires, la deuxième le personnage central, Rastignac, la troisième est centrée sur le personnage de « Trompe-la-Mort », avant que le roman ne trouve son dénouement avec la mort du père Goriot.   

Trompe-la-Mort est le surnom de Jacques Collin, évadé du bagne de Toulon, qui s’est installé à Paris, dans la pension Vauquer, sous le nom de Vautrin. Mais une des pensionnaires, Mlle Michonneau, découvre les initiales « T.F. », travaux forcés, gravés au fer rouge sur son épaule, comme le veut la loi, et le dénonce au chef de la police. Balzac nous fait alors assister à son arrestation, récit en deux temps.

Honoré Daumier, Le personnage de Vautrin, pour illustrer Le Père Goriot, 1843. Lithographie, BnF

Honoré Daumier, Le personnage de Vautrin, pour illustrer Le Père Goriot, 1843. Lithographie, BnF

Le portrait physique de Vautrin

Le récit de cette arrestation prend une dimension épique, car le portrait de Vautrin met en valeur une force surhumaine, qui le transforme en un être démoniaque : « Accompagnées de cheveux rouge brique et courts qui leur donnaient un épouvantable caractère de force mêlée de ruse, cette tête et cette face, en harmonie avec le buste, furent intelligemment illuminées comme si les feux de l’enfer les eussent éclairées ». Balzac multiplie les comparaisons animales qui accentuent la puissance de ce personnage, d’abord « ses yeux brillèrent comme ceux d’un char sauvage », « il rugit », « ce geste de lion », auxquelles il ajoute de nombreuses hyperboles, à l’aide de l’adverbe intensif, « si », ou du superlatif : il « donna tout à coup la preuve de la plus haute puissance humaine. » 

Un hors-la-loi terrible

Tout est fait pour mettre en valeur l’effroi que suscite un tel homme, qui « arracha des cris de terreur à tous les pensionnaires. » Mais à cette terreur, soutenue par la métaphore filée qui le compare à un volcan en pleine explosion, « sa physionomie présenta un phénomène qui ne peut être comparé qu’à celui de la chaudière pleine de cette vapeur fumeuse qui soulèverait des montagnes », se mêle l'admiration pour l’aspect exceptionnel de cet homme totalement maître de lui : « Un murmure admiratif, arraché par la promptitude avec laquelle la lave et le feu sortirent et rentrèrent dans ce volcan humain. »

Le narrateur lui-même, par l’antithèse dans l’exclamation, « Horrible et majestueux spectacle ! », s’associe, par ce commentaire, à l’impression produite. L’énumération en gradation de ce narrateur omniscient résume le caractère d’un personnage qui a fondé son existence sur sa seule loi, en rejetant toute valeur morale et tout respect social : « Chacun comprit tout Vautrin, son passé, son présent, son avenir, ses doctrines implacables, la religion de son bon plaisir, la royauté que lui donnaient le cynisme de ses pensées, de ses actes, et la force d’une organisation faite à tout. »

Eugène Lampsonius, L’arrestation de Vautrin, in Oeuvres illustrées de Balzac, 1852. Gravure sur cuivre. BnF

Le discours rapporté

La scène se termine par l’échange entre Vautrin et le chef de la police, chargé d’une raillerie qui révèle tout le mépris du hors-la-loi : « Tu n’es pas dans tes jours de politesse ». En acceptant de se rendre sans résister, Vautrin adopte un comportement contraire à celui que la police attendait de lui, une façon de la narguer que le récit souligne : « Ça te la coupe, monsieur l’enfonceur, reprit le forçat en regardant le célèbre directeur de la police judiciaire. » Il ne perd donc à aucun moment sa dignité, refusant toute humiliation, et menant le jeu du début à la fin, depuis son ordre, « Messieurs les gendarmes, mettez-moi les menottes ou les poucettes. », jusqu’à sa déclaration finale où c’est lui qui dicte le contenu du procès-verbal. Ce discours, dont Balzac souligne par avance la solennité par sa comparaison à « un orateur qui va dire des choses surprenantes », est empreint de tout l’orgueil de l’homme sûr d’être plus fort que la loi, et plus fort même que la mort : « Je reconnais être Jacques Collin, dit Trompe-la-Mort, condamné à vingt ans de fers ; et je viens de prouver que je n’ai pas volé mon surnom. »

Eugène Lampsonius, L’arrestation de Vautrin, in Oeuvres illustrées de Balzac, 1852. Gravure sur cuivre. BnF

Pour conclure

Ce passage est révélateur de l’écriture de Balzac, sa volonté de réalisme, qui se traduit notamment ici par les termes empruntés à l’argot des bas-fonds parisiens, qui se mêle à un souffle qui donne à ses personnages une dimension exceptionnelle, ici dans le rejet de toute soumission à l’ordre social. Dans le roman, d’autres personnages seront, eux, exceptionnels dans leur ambition, comme Rastignac, ou dans leur dévouement paternel, comme le père Goriot qui se sacrifie pour ses deux filles.

Ce second extrait, que nous allons expliquer, suit immédiatement le moment de l’arrestation, qu’il commente et prolonge par le discours de Vautrin. Comment la mise en scène du personnage soutient-elle l’intérêt du lecteur ?

1ère partie : Un bagnard (des lignes 1 à 9) 

Pour lire l'extrait expliqué 

Image du bagne

Balzac poursuit son récit avec un jugement plus général sur le bagne, une réalité de la société du XIXème siècle, puisque son personnage s’est évadé de celui de Toulon. Il en fait un pays à part, « avec ses mœurs et son langage » qu’illustre son personnage.

Dans son énumération, il joue sur les contrastes pour mettre en valeur les raisons de la fascination que Vautrin peut exercer : « ses brusques transitions du plaisant à l'horrible, son épouvantable grandeur, sa familiarité, sa bassesse ses brusques transitions du plaisant à l'horrible, son épouvantable grandeur, sa familiarité, sa bassesse ». Les adjectifs substantivés s’opposent, le « plaisant », car il s’agit d’y faire respecter la loi, et « l’horrible », car les bagnards sont des criminels, de même que l’oxymore, « épouvantable grandeur » oppose la force de ces hommes endurcis à leurs crimes terribles. Les termes « familiarité » et « bassesse » renvoient, eux, à ces hommes issus des bas-fonds du peuple et qui en ont le langage. Ce sont ces caractéristiques qui se retrouvent en Vautrin , dont Balzac fait ainsi « le type de toute une nation dégénérée, d'un peuple sauvage et logique, brutal et souple. » Le blâme ressort avec force du lexique, mais Balzac reprend le contraste entre la critique, avec les adjectifs « sauvage » et « brutal », mais aussi les qualités, intellectuelles et physiques, mises au service du crime : « logique » et « souple ».

Jules Noël, Condamnés à perpétuité, 1800-1850. Dessin d’un prisonnier au bagne de Toulon. Musée du bagne, Fort Balaguier, Toulon

Jules Noël, Condamnés à perpétuité, 1800-1850. Dessin d’un prisonnier au bagne de Toulon. Musée du bagne, Fort Balaguier, Toulon

Le jugement sur Vautrin

Cette fascination contrastée se retrouve dans la métaphore qui dépeint le personnage : « En un moment Collin devint un poème infernal où se peignirent tous les sentiments humains, moins un seul, celui du repentir. » L’expression de cette métamorphose traduit, en effet, à la fois une admiration pour une forme de grandeur, et le blâme, renforcé. L’image de l’enfer se poursuit dans le gros plan sur le « regard » de Vautrin, « celui de l'archange déchu qui veut toujours la guerre », référence à Lucifer, donc à la lutte du démon contre Dieu, du mal absolu contre le bien. En intercalant dans son récit la réaction d’un des assistants à cette scène, Rastignac, sa honte qui l’amène à « baiss[er] les yeux », Balzac, narrateur omniscient, rappelle la puissance de Vautrin. Si Rastignac voit en cet homme un « cousinage criminel », c’est parce que lui-même n’a pas eu la force de s’opposer au plan de Vautrin, qui a fait tuer en duel le frère de Victorine Taillefer, afin de lui offrir la possibilité de la conquérir et de faire un riche mariage. Lui aussi a donc eu de « mauvaises pensées », et c’est pourquoi l’arrestation de son mauvais génie est vécue « comme une expiation », comme un châtiment personnel.

2ème partie : Le discours de Vautrin (de la ligne 10 à la fin) 

Un discours menaçant

Le long discours de Vautrin s’ouvre sur une question qui traduit sa colère car il sait très bien que son arrestation a été préparée. D’où ses menaces, soutenu par « son terrible regard ».

James Henry Lynch, Mlle Michonneau, Poiret et le chef de la police, 1885. Pour illustrer Le Père Goriot. Gravure sur cuivre, BnF

         La première menace vise Mlle Michonneau, intuition juste  puisque c’est bien elle qui l’a dénoncé au chef de la police, et a tenté de l’endormir par une drogue versée dans son vin. L’insulte qu’il lui lance, « vieille cagnotte », révèle qu’il a parfaitement mesuré l’avidité de la vieille fille, prête à tout pour une récompense, et a aussi compris sa manœuvre, qui a provoqué son malaise : « tu m'as donné un faux coup de sang, curieuse ! » Il affirme sa puissance, en jouant avec elle, faisant suivre sa menace violente d’une généreuse indulgence : « En disant deux mots, je pourrais te faire scier le cou dans huit jours. Je te pardonne, je suis chrétien. » Mais cette indulgence ne vient certainement pas d’un retour à la religion, mais de son constat en entendant les policiers qui fouillent sa chambre : « D'ailleurs ce n'est pas toi qui m'as vendu. Mais qui ? — Ah ! ah ! vous fouillez là-haut, s'écria-t-il en entendant les officiers de la police judiciaire qui ouvraient ses armoires et s'emparaient de ses effets. »

James Henry Lynch, Mlle Michonneau, Poiret et le chef de la police, 1885. Pour illustrer Le Père Goriot. Gravure sur cuivre, BnF

          Ainsi, sa seconde menace porte sur Fil-de-Soie, un de ses compagnons, membre comme lui de deux sociétés secrètes, les « Dix Mille » et les « Grands Fanandels », qui gèrent la fortune des malfaiteurs, dont Vautrin est le trésorier. La fouille prouve, en effet, que la police a un autre informateur, au courant de son rôle de « banquier du bagne » : « Je sais qui m'a vendu maintenant. Ce ne peut être que ce gredin de Fil-de-Soie. Pas vrai, père l'empoigneur ? dit-il au chef de police. », qu'il interpelle avec mépris. Et pour lui, pas la moindre indulgence, la menace de mort est encore plus directe : « Quant à Fil-de-Soie, il sera terré sous quinze jours, lors même que vous le feriez garder par toute votre gendarmerie. »

Le pouvoir de l'argent

Dans la société décrite par Balzac, l’argent est omniprésent, et même pour les bagnards, qui ont soin de préserver le produit de leurs vols. C’est cet argent, recherché par la police, qui permet à Vautrin de se moquer d'elle, en affirmant ainsi sa puissance, de façon provocatrice. Son langage imagé, « Dénichés les oiseaux, envolés d'hier. », fait sourire par sa façon de transformer les « billets de banque » en « oiseaux » ayant fui leur nid, et il raille ainsi ceux qui l’ont arrêté : « Et vous ne saurez rien. Mes livres de commerce sont là, dit-il en se frappant le front. » La brièveté familière  de ses phrases affirme ironiquement son triomphe : « Plus rien, mes petits mouchards. »

Son ironie provoque ensuite Mlle Michonneau, qu’il ridiculise par l’appellation en forme de diminutif, « cette Michonnette », puis par ses insultes qui appliquent à cette vieille fille des oxymores méprisantes  : « Ninon cariée » renvoie à Ninon de Lenclos, courtisane célèbre au XVIIIème siècle pour sa beauté, ici qualifiée de « cariée », comme une dent pourrie ; de même, il en fait une « Pompadour, superbe favorite de Louis XV, mais « en loques », image de misère ; enfin, son assimilation à « Vénus », déesse de la beauté et de l’amour dans la mythologie antique, est réduite à néant par le lieu cité, le Père-Lachaise, un cimetière, allusion à sa vieillesse. Son dernière qualificatif, « vieille vendeuse de chair », est une référence à l’argent qu’elle a reçu pour aider à son arrestation.

Ainsi, même arrêté, il renforce orgueilleusement son triomphe précisément en faisant appel à l’avidité de la traîtresse : « Que lui avez-vous donné, à cette Michonnette ? dit-il aux gens de la police, quelque millier d'écus ? Je valais mieux que ça. » Il se venge ainsi en lui faisant miroiter avec insistance l'argent qu’elle a perdu : « Si tu m'avais prévenu, tu aurais eu six mille francs. Ah ! tu ne t'en doutais pas, vieille vendeuse de chair, sans quoi j'aurais eu la préférence. Oui, je les aurais donnés » Sa réaction est rendue encore plus frappante par sa désinvolture finale et son absence de résistance. Il ne montre aucune inquiétude devant la perspective d’un nouvel envoi au bagne, présenté seulement comme « un voyage qui me contrarie et qui me fait perdre de l’argent », en y voyant uniquement la dimension financière.

CONCLUSION

Balzac met en scène un personnage, dont il fait le « type » du bagnard, en ne cachant pas le mélange d’horreur et de fascination qu’il exerce, sur son entourage mais aussi, semble-t-il, sur le narrateur, par sa façon de défier la loi, de provoquer la police, sans la moindre limite dans ses provocations. La vivacité de cette arrestation, le dialogue direct qui reproduit le langage populaire, tout en accentuant le réalisme, soutiennent l’intérêt suscité par un personnage, comme si le lecteur vivait, à travers lui, le plaisir de la transgression de toutes les valeurs sociales et morales. Pour créer ce personnage, Balzac se serait inspiré d’Eugène-François Vidocq, lui aussi bagnard évadé, puis indicateur de la police, avant d’être amnistié par Louis XVIII, et de devenir chef de la « brigade de sûreté » à la Préfecture de police.

Eugène Lampsonius, Vautrin, un homme puissant, in Œuvres illustrées de Balzac, 1852. Gravure sur cuivre. BnF

Vautrin-portrait.jpg

Parallèlement, le romancier crée un horizon d’attente, car comment expliquer sa désinvolture et son ton triomphant sinon par sa certitude de pouvoir à nouveau s’évader ? C'est là une part de l'intérêt de cette innovation de Balzac, le retour des personnages, qui leur prête un destin. Cette impression de puissance du personnage est ainsi confirmée dans Splendeurs et misères des courtisanes, paru de 1838 à 1847, qui ramène Vautrin au premier plan sous les traits d’un prêtre espagnol, dans une confrontation victorieuse avec la police. Balzac reprend aussi son héros dans une pièce de théâtre, Vautrin, jouée le 14 mars 1840, qui déroule tout son parcours. Mais la pièce est interdite le lendemain car jugée attentatoire à la monarchie et à la morale, comme l’explique un article de la Revue et Gazette des théâtres, bien plus tard, en 1850 : « Il a créé pour la scène un type dont la hardiesse a provoqué une ardente polémique, beaucoup de bruit et de scandale : Vautrin, ce forçat philosophe qui faisait le bien à sa manière. »

Stylistique : Le point de vue narratif - la focalisation 

L'étude d'extraits de romans invite à réactiver les connaissances sur le point de point de vue narratif, pour comparer les différents choix de l'écrivain, ce qui permet d'interpréter ses intentions. L'étude repose sur la distinction entre

- le récit homodiégétique, fondé sur l'emploi de la première personne, "je" ou "nous", parfois remplacé par le pronom "on" familier;

- le récit hétérodiégétique, avec une énonciation à la troisième personne dont la perspective varie selon que le narrateur st omniscient, externe ou interne, alors confondu avec un des personnages.

Pour se reporter à une fiche d'analyse 
Stylistique
Marginalité

Un thème littéraire : la marginalité  

Nous avons rappelé dans l’introduction que la notion de « marge » se définit par rapport à un centre, c’est-à-dire, quand il s’agit de « personnages », à une culture dominante dans la société, qui définit des normes. Celles-ci posent des limites, qui tiennent à l’écart toute personne ne s’y inscrivant pas.

Le personnage marginal est donc dans une position ambiguë, conscient que ces normes collectives imposent des contraintes à sa liberté individuelle, mais aussi désireux de s'intégrer dans cette collectivité. Cela fait de lui un sujet particulièrement intéressant pour un romancier, car il est souvent en proie à une lutte, à la fois intérieure, par son désir de « normalité » et ses propres choix, contraires, et extérieure, par le rejet qu'il subit  ou le refus.

Les raisons de la marginalité du personnage

La marginalité s’explique toujours par la conscience d’une différence entre la façon dont le personnage se perçoit, et perçoit sa coexistence avec les autres, et la façon dont les autres se comportent envers lui. Ces différences sont liées au contexte dans lequel vit le personnage, politique, économique, religieux, car c’est dans ces domaines que se construisent les normes.

Les contraintes de l'Ancien Régime

Ainsi, sous la monarchie absolue dite « de droit divin », où la hiérarchie sociale fixe chacun dans un statut et fait des dogmes et de la morale catholiques une règle intangible, le libertin devient un « marginal » par ses refus. C’est ce qui explique la place qu’il occupe dans de nombreux romans du XVIIIème siècle, dont donne un exemple Sade dans Justine ou les Malheurs de la Vertu, paru en 1791, à travers ce discours adressé par Juliette à son amie Justine à leur sortie du couvent :

[…] elle lui dit avec une philosophie très au-dessus de son âge, qu’il ne fallait s’affliger dans ce monde-ci que de ce qui nous affectait personnellement ; qu’il était possible de trouver en soi-même des sensations physiques d’une assez piquante volupté pour éteindre toutes les affections morales dont le choc pourrait être douloureux ; que ce procédé devenait d’autant plus essentiel à mettre en usage, que la véritable sagesse consistait infiniment plus à doubler la somme de ses plaisirs, qu’à multiplier celle de ces peines ; qu’il n’y avait rien, en un mot, qu’on ne dût faire pour émousser dans soi cette perfide sensibilité, dont il n’y avait que les autres qui profitassent, tandis qu’elle ne nous apportait que des chagrins. 

Frontispice de Justine ou les Malheurs de la vertu, 1791, de Sade

Frontispice de Justine ou les Malheurs de la vertu, 1791, de Sade

Mais nous pourrions citer aussi la menace que fait poser sur l'ordre établi les mariages entre statuts sociaux différents, d'où vient la limite qui pèse sur l'amour entre le chevalier des Grieux et Manon Lescaut, inacceptable aux yeux de son père, et qui réduit le couple à vivre dans l'illégalité. 

Dame aux camélias.jpg

L'exclusion sociale au XIXème siècle

Quand, au XIXème siècle, l’essor économique modifie les valeurs politiques et sociales, se modifie, en parallèle, l’image du personnage marginal, davantage lié au manque de fortune ou à l’impossibilité de cautionner des choix politiques.

Apparaissent alors au premier plan dans les romans des figures symboliques, au premier rang desquelles la prostituée, notamment chez Balzac,  qui s’élève parfois au statut de courtisane – pensons à Marguerite Gautier dans La Dame aux camélias (1848) de Gautier ou à Nana dans le roman éponyme de Zola, en 1879 –, l’exilé ou le banni, ou même le vagabond, ou le bagnard, tel Jean Valjean dans Les Misérables (1862) de Victor Hugo. Ainsi, ce portrait de Marguerite Gautier fait par un des hommes qui la fréquentent met en évidence le mépris  réservé à ces femmes en marge :

[…] seulement ne faites pas à ces filles l’honneur de les prendre au sérieux. Elles ne savent pas ce que c’est que l’élégance et la politesse ; c’est comme les chiens auxquels on met des parfums, ils trouvent que cela sent mauvais et vont se rouler dans le ruisseau.

Louis Icart, La Dame aux camélias, 1938. Eau-forte couleurs, 28,9 x 22,9

Les nouveaux marginaux contemporains

Les réalités politiques du XXème siècle, notamment les guerres qui le ponctuent, les nécessités de la reconstruction des pays détruits, la décolonisation et des échanges mondiaux accrus, amènent de nouvelles figures de personnages marginaux, mais toujours fondées sur leurs différences par rapport à une normalité. Au premier rang se situe l’immigré, contraint de quitter sa patrie et sa culture pour fuir des combats ou pour assurer sa survie matérielle. S’il est reçu dans des pays d’accueil, il se trouve souvent rejeté dans la périphérie des villes, et se trouve stigmatisé pour sa couleur de peau ou sa religion, à la fois fasciné par le pays qu’il découvre, comme Idriss dans La Goutte d’or de Michel Tournier, publié en 1985, et incapable de s’y intégrer véritablement, n’ayant comme refuge que de se retrouver dans la communauté des autres immigrés. Les exemples abondent de tels personnages, Aziz qui, dans les premiers chapitres d’Un Aller simple (1994) de Didier van Cauwelaert, partage la vie des gitans à Marseille, ou la jeune Laïla dans Poisson d’or (1997) de Jean-Marie Gustave Le Clézio, qui dépeint son existence dans la banlieue de Nice :  

Au début, ça a été un peu difficile au camp. C'était loin de tout, au nord, dans la vallée, plus loin que la banlieue, plus loin que les piliers de l'autoroute. C'était comme le Douar Tabriket, sauf que c'était dans les collines, loin de la mer, des collines âpres, nues, où le vent soufflait en rafales, où la poussière avait le goût de ciment. La cité était construite en contrebas de la décharge, des pavillons de parpaing crépis en rose, avec des toits de tuile, style provençal. […]  Mais au bout de quelques années, c'était devenu un bidonville comme les autres. La suie des incinérateurs s'était déposée sur les murs, et les papiers et les sacs de plastique faisaient une garniture sur l'enceinte de fil de fer, et les rues étaient devenues des chemins crevassés, des ornières boueuses.

La banlieue, un lieu "en marge" : les quartiers nord de Marseille

Marseille.jpg

Mais cette évolution n’empêche pas les anciennes exclusions de se poursuivre, parfois en raison de handicaps, physiques ou mentaux, ou bien pour défendre des normes morales, comme celles qui ont longtemps visé les « filles-mères » ou visent encore les homosexuels.

Les signes de la marginalité 

L’écart du marginal face à la norme induit des signes différents de marginalité, fondés, tantôt sur un rejet social, donc sur la volonté de maintenir sa différence, tantôt sur le désir inverse de ne plus être exclu

Le repli dans la solitude

Puisque le marginal est rejeté, son premier choix est de se cacher, de se replier dans la solitude dans un mouvement d’auto-protection. Comme Jean Valjean, le héros des Misérables, qui, pour échapper au policier Javert, se cache avec Cosette dans une maison isolée, comme Armand Duval qui fuit Paris avec Marguerite Gautier, la "dame aux camélias",  pour vivre sa relation amoureuse hors-norme, le marginal se protège en fuyant tout lieu collectif. La marginalité amène donc à choisir des lieux eux-aussi en marge, loin des centres, risqués pour eux. C’est ce qu’explique Adam, le héros du Procès-verbal (1963) de Le Clézio :

Pour habiter, en ville, il y a deux sortes de maisons différentes : il y a les unes, et puis il y a les asiles. Dans les asiles, il y a deux catégories : les asiles de fous et ceux de nuit. Parmi les asiles de nuit, il y a ceux pour les riches et ceux pour les autres. Dans ceux pour les autres, il y a ceux avec chambre et ceux avec dortoirs. Dans ceux avec dortoirs, il y en a de bon marché et d’autres qui ne coûtent rien. Dans ceux qui ne coûtent rien, il y a l’Armée du Salut. Et à l’Armée du Salut, on n’est pas toujours pris. Voilà pourquoi, en fin de compte, c’était bon d’habiter tout seul une villa abandonnée, en haut d’une colline.

Sans racines, sans familles pour le protéger, néantisé par la société, le marginal répond à son tour par une néantisation choisie : il s’efface, il disparaît, il se tait, il tente de passer inaperçu aux yeux des autres, comme Laïla, l’héroïne de Poisson d’or de Le Clézio :

Pour gagner un peu d'argent, je m'étais fait engager par une association de sourds-muets, pour poser une carte sur les tables des restaurants, avec un porte-clefs, et ramasser les oboles. Je faisais très attention quand j'allais placer mes porte-clefs dans les restaurants du centre commercial, ou quand j'allais écouter la musique du métro Réaumur. Je ne passais jamais deux fois par le même endroit, j'évitais les corridors déserts, les portes cochères, je ne regardais personne dans les yeux.

Le masque

Pour éviter le rejet, et parce que cette norme rejetée lui paraît aussi, paradoxalement, attractive, le marginal peut, au contraire, chercher à s’en rapprocher. Pour cela, il peut accepter de céder, en feignant de dissimuler sa différence : il adopte, par exemple, un comportement de victime afin d’éveiller la pitié. C’est l’attitude que choisit à plusieurs reprises des Grieux, aussi bien face à son père que face au Père supérieur de Saint-Lazare, au capitaine du bateau qui l’emmène avec Manon vers la Louisiane, ou au gouverneur de la Nouvelle-Orléans.

Il peut aussi feindre d’approuver ce qu’intérieurement il rejette, en tirant parti de cette séduction. Par exemple, les libertins, dans les romans du XVIIIème siècle, tels Valmont ou la marquise de Merteuil,  sont particulièrement habiles à se jouer ainsi de ceux qu’en réalité ils méprisent.

La révolte

Enfin, de nombreux personnages marginaux préfèrent retourner le rejet subi contre ceux qui le leur imposent. Ils les défient alors, n’acceptent aucun compromis, et vont jusqu’à risquer la provocation solitaire, à l’image de Vautrin défiant la police. Ils ne veulent rendre de comptes à personne, et affirment leur choix, libérés alors de leur crainte, telle Laïla dans Poisson d’or :

Je me sentais très vieille maintenant, pas réellement très vieille, mais différente, plus lourde, avec de l'expérience. Maintenant, je n'avais plus peur des mêmes choses. Je pouvais regarder les gens droit dans les yeux et leur mentir, même les affronter. Je pouvais lire leurs pensées dans leurs yeux, les deviner, et répondre avant qu'ils aient le temps de poser une question. Je pouvais même aboyer, comme ils savent si bien faire.

Parfois, par sécurité, ils rejoignent un groupe de marginaux, qui deviennent alors de précieux complices dont ils s’efforcent d’être acceptés. Ainsi Gil Blas accepte de se mettre au service des voleurs, Vautrin est le « banquier des bagnards », Laïla trouve un apaisement dans le squat où se sont regroupés d’autres marginaux, et Idriss, héros de La Goutte d’or de Tournier, retrouve une forme d’apaisement dans foyer de la Sonacotra qui héberge d’autres immigrés comme lui.

Intérêt romanesque du personnage marginal 

Les romanciers ont fréquemment mis en scène des personnages marginaux. Ils leur permettent, en effet, tout en représentant de façon réaliste la société dans laquelle ceux-ci se meuvent, d’inverser leur image : ils font un sujet visible et central de celui qui, dans la société, est invisible et tenu à l’écart. Ils cherchent ainsi à plaire à leurs lecteurs, en jouant sur deux ressorts.

Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo

Les péripéties

L'errance

Dans la mesure où le marginal n’appartient pas au cœur de la société, il est souvent contraint à une itinérance, qu’elle soit solitaire comme pour les vagabonds ou parcoure plusieurs cercles périphériques, comme les salons des courtisanes au XIXème siècle. Or, cette errance offre précisément au romancier d’abord la possibilité de divertir le lecteur en multipliant les péripéties. C’est le cas dans Le Roman comique de Scarron, où le choix d’une troupe de comédiens fait passer le lecteur de ville en ville, et amène à des rencontres divertissantes, tel ce combat héroï-comique du Destin contre la grosse Bouvillon à laquelle il a bien du mal à résister. Exils, voyages, fuites…, emprisonnements et libérations, autant de moyens de captiver le lecteur, quand il suit, par exemple, l’itinéraire d’Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-Cristo de Dumas, paru à partir de 1844.

Des situations contrastées

De plus, la diversité des comportements adoptés par les marginaux soutient aussi l’intérêt du lecteur, sans cesse surpris par des retournements de situation. Le romancier joue sur sa curiosité, en créant un horizon d’attente comme quand, après son évasion de la prison de Saint-Lazare, le chevalier des Grieux décide de faire échapper Manon de l’Hôpital, ou quand il paie une troupe pour attaquer le convoi qui l’emmène vers Le Havre avec ses compagnes déportées vers la Louisiane. L’attaque échoue… Le couple d’amants parviendra-t-il enfin à vivre heureux à la Nouvelle-Orléans ? Une nouvelle péripétie, le duel avec Synneret, le neveu du gouverneur qui entend bien épouser Manon, amène une nouvelle fuite… Entre adjuvants et opposants, au fil des rencontres, le marginal ne connaît jamais de repos, tenant ainsi le lecteur en haleine.

La dramatisation

Enfin, comme la société doit se protéger du marginal qui menace ses codes et ses lois, ce personnage permet au romancier de dramatiser sa situation. Rares sont les marginaux qui connaissent le triomphe. Le plus souvent, ils sont conduits à un dénouement tragique, propre à susciter l’émotion du lecteur, comme la mort de Manon chez Prévost ou celle de Marguerite dans La Dame aux camélias, qui laissent leurs amants plongés dans le désespoir que transcrit leur récit.

L'approfondissement de l'analyse psychologique

L'ambivalence du marginal

Le marginal n’est que rarement un être complètement asocial : il entretient des rapports ambigus avec la société et ses normes, faits tantôt d’attraction, tantôt de rejet, toujours en frôlant la normalité. C’est ce qui permet au romancier de le doter d’une richesse psychologique propre à intéresser son lecteur, car son héros vit de nombreux dilemmes.

C’est le cas, comme nous avons pu l’étudier, pour le chevalier des Grieux, héros de Prévost, mais aussi du personnage principal du Diable au corps, roman de Radiguet publié en 1923. Jacques, jeune adolescent de quinze ans, rebelle aux codes que lui impose sa famille, se retrouve entraîné dans une relation d’adultère avec Marthe, épouse d’un soldat parti au front. Ainsi, parfois il adopte un comportement délibérément provocateur, par exemple face à des voisins qui ne peuvent que condamner cette liaison scandaleuse, parfois, au contraire, il feint de plier face aux résistances rencontrées, parfois encore il rejette Marthe pour jouer l’adulte responsable et se revaloriser à ses propres yeux. Le choix d’une fiction autobiographique permet au romancier de mettre en valeur les multiples revirements de son héros.

Raymond Radiguet, Le Diable au corps, 1923

La réhabilitation du marginal

Mais la marginalité permet également au romancier de porter un regard critique sur les institutions et les mœurs qui, dans une société, conduisent à exclure les marginaux. C’est pourquoi, plusieurs choisissent de prendre le contrepied de ce rejet pour adopter le parti du marginal en le réhabilitant.

C’est, par exemple, le choix de Victor Hugo dans l’itinéraire prêté, dans Les Misérables, à Jean Valjean, l’ex-bagnard qui s’emploie, après son évasion, touché par sa rencontre avec l’évêque Myriel l'ayant sauvé d’une arrestation pour vol, à faire le bien autour de lui sous l’identité de « Monsieur Madeleine », puis qui, sous sa nouvelle identité de Fauchelevent, s’efforce de faire le bonheur de Cosette en lui faisant épouser Marius. La même volonté se retrouve dans tous les romans qui, au XIXème siècle, cherchent à réhabiliter les prostituées et les courtisanes, comme Gautier dans La Dame aux camélias, où Marguerite se  sacrifie en renonçant à son amour pour Armand Duval afin de répondre à la demande du père de celui-ci qui fait de cette liaison immorale un obstacle au mariage de la sœur d’Armand. Le romancier prête à son héroïne bien des excuses à son choix d’existence, et une dignité qui la rend supérieure à bien des femmes dites "honnêtes".

CONCLUSION

Selon les époques, le marginal est plus ou moins toléré, par exemple la société actuelle n’excommunie plus les comédiens comme au XVIIème siècle, bien au contraire. Ainsi, face à lui les réactions de la société varient, selon aussi les types de marginalité, tantôt un rejet violent, emprisonnement, voire mise à mort, tantôt simple méfiance, parfois de la pitié et même de l’admiration devant la révolte qu’il peut incarner. Le marginal est même parfois idéalisé, car il représente le refus d’une société dont, à travers lui, le romancier dénonce les abus et les injustices.

Le lecteur peut ainsi ressentir à coup sûr un plaisir. S’il s’indigne et rejette le marginal, il se donne bonne conscience en se rangeant du côté de l’ordre et de la morale ; s’il le plaint ou même l’admire, il se donne le plaisir d’être lui aussi subversif… mais sans risque d’exclusion.

Enfin, n'oublions pas que les choix des romanciers les ont parfois conduits à se retrouver, eux aussi, marginalisés, soit parce qu'ils ont subi la censure - ou ont cherché à l'éviter en publiant à l'étranger, et anonymement, comme fréquemment au XVIIIème siècle - soit parce que leurs œuvres ont été jugées indignes d'une reconnaissance littéraire par des critiques qui, pour leur part, ne valorisaient que certaines formes de romans, rejet, par exemple, d'un auteur comme Zola pour son naturalisme trop cru ou des auteurs de romans policiers, genre considéré comme inférieur.

TX5-Céline

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932, de "Moi d’abord la campagne…" à "… c’était arrivé."

Pour lire l'extrait

Louis-Ferdinand Destouches, romancier sous le pseudonyme de Céline, s’est d’abord inscrit dans la "normalité" de son époque : il devance l’appel et s’engage dès 1913, est blessé à la guerre et décoré. Puis il devient médecin. Mais, peu à peu, il adopte les thèses de la propagande nazie, notamment son antisémitisme violent, et, pendant la seconde guerre mondiale, il collabore aux journaux nazis et soutient ouvertement l’Occupation allemande, ce qui lui vaut, à la Libération, l’exil puis une condamnation par contumace avant d’obtenir obtient son amnistie en 1951. Il se retrouve ainsi lui-même marginalisé.

Voyage au bout de la nuit, roman publié en 1932, obtient le Prix Renaudot, mais suscite de vives réactions critiques en raison à la fois de la personnalité de son héros, Ferdinand Bardamu, et du style de Céline, double preuve de la marginalité de ce romancier. En quoi le récit du héros fait-il de lui un personnage en marge ?

Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932

1ère partie : La description du décor (des lignes 1 à 8) 

Un paysage sinistre

Le pronom lancé en tête de l’extrait signale la dimension autobiographique, fictive même si le personnage peut être rapproché du romancier par son prénom, ce qui permet de créer un effet de réel. Le personnage-narrateur se pose, en effet, comme témoin, tout en affichant sa subjectivité, dans un langage qui reproduit l’oralité avec l’antéposition du complément d’objet direct et l’irrespect de la syntaxe, due à l’absence du pronom « il » sujet, à la négation incomplète et au lexique familier : « Moi d’abord la campagne, faut que je le dise tout de suite, j’ai jamais pu la sentir, je l’ai toujours trouvée triste ». Il impose ainsi sa vision au lecteur.

La description met en valeur l’aspect sinistre de cette région des Flandres où se déroule alors la guerre, d’abord avec la mention des « bourbiers », souvent évoqués dans la représentation des tranchées de la 1ère guerre mondiale, puis avec l’accumulation des négations : « ses bourbiers qui n’en finissent pas, ses maisons où les gens n’y sont jamais et ses chemins qui ne vont nulle part. » À cela s’ajoute l’atmosphère dans laquelle baigne ce paysage, avec l’adjectif mis en valeur par l’apposition : « Le vent s’était levé, brutal, de chaque côté des talus ». Cette description plonge ainsi le lecteur dans un lieu en dehors de toute civilisation, déserté par toute vie humaine.

Soldats français dans les tranchées en Flandres en 1917

Soldats français dans les tranchées en Flandres en 1917

Le jugement du personnage-narrateur

La description établit un parallélisme entre ce décor et les réalités de la guerre, en introduisant le jugement du narrateur, un violent rejet lancé sur un ton familier : « Mais quand on y ajoute la guerre en plus, c’est à pas y tenir. » Ainsi l’image des arbres agités par le « vent » imite les tirs des armes, reproduit aussi par la multiplication des monosyllabes : « les peupliers mêlaient leurs rafales de feuilles aux petits bruits secs qui venaient de là-bas sur nous. » La nature semble ainsi contribuer à l’œuvre accomplie par la guerre et le dégoût de la « campagne » se confond avec celui de la guerre qui fait peser ses menaces sur les soldats. La comparaison souligne le risque incessant, car même les vivants ressemblent à des morts : « Ces soldats inconnus nous rataient sans cesse, mais tout en nous entourant de mille morts, on s’en trouvait comme habillés ». Mais c’est déjà l’absurdité que traduit l’antithèse, car les hommes se tirent dessus, mais cela semble n’avoir aucun sens, et la mort relève alors du hasard. Le seul sentiment possible est donc la peur, qui paralyse le narrateur : « Je n’osais plus remuer. »

2ème partie : La déshumanisation (des lignes 9 à 17) 

En 1915, le général Joffre passe en revue les troupes en Champagne

L'absurdité de l'héroïsme

Dans cette situation, où la mort peut arriver à tout moment, ne pas la redouter est absurde, et, pire encore, est exclu de l’humanité celui qui la brave. Cela explique les violentes exclamations qui dénoncent le commandement en l’animalisant avec mépris : « Le colonel, c’était donc un monstre ! À présent, j’en étais assuré, pire qu’un chien, il n’imaginait pas son trépas ! » 

En 1915, le général Joffre passe en revue les troupes en Champagne

La critique s’élargit ensuite, car l’absurdité de l’héroïsme devient générale : « il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l’armée d’en face » Cette réflexion, avec l’oralité qui met en évidence l’héroïsme par la reprise de « des comme lui » par « des braves » entre virgules, s’oppose à sa vision critique, soutenue par la périphrase péjorative : « Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait continuer indéfiniment... » Les deux brèves questions amplifient encore l’absurdité par le nombre cité : « Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? »

En marge de l'héroïsme

L’observation de l’énonciation permet de situer le narrateur en marge de ces combattants héroïques. S’il emploie la première personne du pluriel, en parlant de « notre armée », langage attendu du patriote, le pronom « ils » dans sa question, « Pourquoi s’arrêteraient-ils ? », montre qu’il refuse de s’identifier à eux. D’où la prédominance du « je ». Dans un premier temps, le personnage se différencie par son aptitude à la réflexion, prise de recul pour justifier son refus d’accepter les implications de la guerre : « j’en étais assuré », « Je conçus », «  pensais-je » Son constat, accentué par l’antéposition de la négation et par l’adverbe d’intensité, traduit ainsi son refus de perdre le libre-arbitre qui caractérise l’homme pour accepter une obéissance passive : « Jamais je n’avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses. »

Le seul sentiment naturel pour rester humain ne peut donc être que la peur, exprimée sans la moindre culpabilité, d’abord dans un lexique familier qui la rend normale, puis amplifiée, « Dès lors, ma frousse devint panique. » C’est ce qui conduit logiquement le personnage à envisager de renoncer au modèle héroïque, se plaçant ainsi en marge du patriotisme, mais les modalités expressives, interrogation puis exclamation, prolongées par les points de suspension, insistent sur la difficulté d’un tel choix : « Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? pensais-je. Et avec quel effroi !... »

3ème partie : Une vision cauchemardesque (des lignes 17 à 26) 

Un douloureux constat

La seconde partie du paragraphe est encadrée par deux jugements du narrateur qui donnent le ton à sa description.

        La première, une phrase interrogative non verbale, révèle son désarroi. Le participe, lancé en tête, qui souligne sa solitude, s’oppose au chiffre qui accompagne la vision de l’armée : « Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? » Il se sent minuscule, emporté dans une véritable folie que mettent en valeur l’oxymore dénonciatrice, « fous héroïques », et la polysyndète insistante qui dépeint ces soldats.

        Ce constat le ramène à une douloureuse lucidité sur lui-même, exclamation familièrement chargée d’ironie, mais il s’associe ici à tous ses compagnons, eux aussi victimes : « Nous étions jolis ! » D’où la conclusion où il admet, avec amertume, son erreur, avec une hyperbole qui accentue l’horreur de la guerre : « Décidément, je le concevais, je m’étais embarqué dans une croisade apocalyptique. »

Une image de folie

Cela conduit tout naturellement le narrateur à développer cette vision d’apocalypse, illustrée par le rythme même de cette longue énumération, sans verbe conjugué et exclamative. Plusieurs procédés se combinent pour donner l’impression d’une confusion générale :

  • l’antithèse en ouverture : « Avec casques, sans casques » ;

  • l’accumulation des modes de déplacements variés, « sans chevaux, sur motos », « en autos », « volants », qui se termine par « à genoux », renforçant ainsi à la fois l’acharnement et l’image de victimes implorantes ;

  • les homéotéleutes, jeux sonores sur les finales des mots : « tirailleurs, comploteurs » où un terme militaire est associé à une désignation péjorative, puis « hurlants », « sifflants », « caracolant », « pétaradant ». Ici s’observe un glissement des participes présents pris comme adjectifs pour qualifier ces bruits, d’où l’accord au pluriel, à des participes fonctionnant comme des verbes, donc sans accord, qui traduisent, eux, des actions. Ces participes marquent aussi le contraste entre ces attitudes de guerriers héroïques, manifestant ouvertement leur présence, et même leur force, et les attitudes de fuite, de refus du combat : « creusant, se défilant », pour échapper à la mort.

  • Une première comparaison à la cellule dans laquelle on gardait les fous dangereux élargit cette vision d’horreur : « enfermés sur la terre, comme dans un cabanon ». Une seconde comparaison à des « chiens » est encore plus péjorative : « plus enragés que les chiens, […] cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux ». Elle est, en effet, renforcée par l’hyperbole, en gradation par les chiffres et les comparatifs, et surtout par la remarque glissée entre parenthèse : « adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas) ». Le verbe « adorer » est également le signe de la condamnation de ceux que leur pouvoir de donner la mort transforme en des dieux, idolâtres donc de leur propre puissance.

L’image d’une apocalypse est confirmée par la reprise du verbe à l’infinitif, « détruire », qui marque l’objectif ultime, avec un triple complément en gradation, « Allemagne, France et Continents », prolongé par l’infinitif en écho qui oppose cette mort générale à la vie : « tout ce qui respire ».

4ème partie : Une réflexion en conclusion (de la ligne 27 à la fin) 

Une terrible initiation

Toute la noblesse de la guerre est donc effacée par cette peinture empreinte de la colère du narrateur, qui, par un recul temporel, avoue la naïveté de son engagement patriotique à travers ses questions : « Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? », « Qui aurait pu prévoir avant d’entrer vraiment dans la guerre […] ? » Cette croyance aveugle, due à toute une propagande, s’oppose à la réalité, amplifiée par le rythme, tandis que l’aposiopèse suggère un prolongement qui ne peut être que la mort : « À présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu... »

Ce regret est justifié par une métaphore, à laquelle le pronom indéfini « on » donne la forme d’un proverbe : « On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. » Cette comparaison traduit un douloureux réveil, une perte de virginité, tandis que la majuscule transforme la guerre en une monstrueuse allégorie de la prostitution.

Une vision de l'homme

Mais ce jugement accuse directement l’humanité, portant en elle ces forces de mort : la guerre illustre, en fait, « tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ». Les adjectifs associent la valeur – rejetée par le narrateur – de l’héroïsme, à des adjectifs qui la démythifient, « sale », et surtout « fainéante », car l’homme préfère céder au pouvoir que de lui résister, que d’accomplir ce qui serait le véritable effort, choisir de vivre. Comment résister d’ailleurs quand cette pulsion de mort n’est que la remontée à la surface de ce qui est présent au plus profond de l’inconscient humain : « Ça venait des profondeurs et c’était arrivé. » ?

Otto Dix, La Guerre, 1929-1932. Triptyque à prédelle. Galerie Neue Meister, Dresde

Otto Dix, La Guerre, 1929-1932. Triptyque à prédelle. Galerie Neue Meister, Dresde

CONCLUSION

Cet extrait représente donc la guerre comme l’aboutissement d’une nouvelle forme d’initiation, inversée, puisqu’il ne s’agit plus, pour le personnage, d’une épiphanie lui permettant de devenir héros, mais d’une expérience horrible le conduisant à s’affirmer anti-héros, en se mettant en marge des valeurs de son temps, le patriotisme, l’héroïsme. La première guerre mondiale a installé un doute sur la capacité de l’homme à maîtriser le monde et à réaliser de réels progrès sur lui-même. Il est donc tout naturel que la littérature reflète ces doutes, et que le romancier place devant les yeux de son lecteur un anti-héros pour remplacer le modèle héroïque, démythifié. Le dégoût de la guerre semble avoir entraîné un dégoût de l’homme pour lui-même. Plus rien n’a de valeur, plus rien n’a de sens, sauf le désir de rester en vie à tout pris, d’où la lâcheté que le personnage découvre en lui.

Cette destruction du héros s’accompagne d’une destruction du langage qui donne toute sa force à la dénonciation de Céline. Il choisit l'oralité, un parler direct et vrai, qui reproduit les réflexions qui auraient pu être celles de n’importe quel soldat participant à cette guerre, mais en même temps, un élan polémique par l’élaboration des images et du rythme. C’est cette force que le critique littéraire, Gaétan Picon reconnaît à ce roman de Céline, « l'un des cris les plus insoutenables que l'homme ait jamais poussé ».

Lectures cursives : Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932, deux portraits du héros 

Pour lire les deux extraits

1er extrait : les réalités des combats

Soldats morts à Verdun

Soldats morts à Verdun

L'image de la guerre

Le dialogue confirme l’image critique du commandement militaire, précédemment donnée. Le colonel est, en effet, totalement indifférent à la mort du maréchal des logis, sa seule préoccupation étant la livraison du « pain ».

Est ensuite décrite l’horreur de la guerre avec le « feu », puis l’hyperbole, « un de ces bruits comme on ne croirait jamais qu’il en existe », qui entraîne une peur panique du personnage-narrateur, ressentie physiquement : « les bras et les jambes qui tremblaient comme si quelqu’un vous les secouait de par-derrière. » Cette horreur est amplifiée par l’image terrible des deux cadavres, répugnants : « le cavalier n’avait plus sa tête, rien qu’une ouverture au-dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre ouvert, il en faisait une sale grimace. » Les soldats sont ainsi totalement déshumanisés : « Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble. »

Un personnage en marge

Dans cette situation, alors que la guerre fait appel à des valeurs telles l’héroïsme et le patriotisme, la réaction du narrateur le place totalement en marge. Aucune compassion pour le maréchal des logis tué, il se réjouit même de ce qu’il prend comme une sorte de vengeance personnelle, en multipliant les insultes : « C’était une bonne nouvelle. Tant mieux ! que je pensais tout de suite ainsi : « C’est une bien grande charogne en moins dans le régiment ! » Il avait voulu me faire passer au Conseil pour une boîte de conserve. » Il se désolidarise ainsi totalement de la collectivité dans laquelle il se trouve inclus contre son gré, jusqu’à souhaiter cyniquement la mort de ses supérieurs : « J’en connaissais bien encore trois ou quatre dans le régiment, de sacrés ordures que j’aurais aidés bien volontiers à trouver un obus comme Barousse. » C’est ce refus violent de participer à ce qui apparaît comme une boucherie qui explique sa décision finale, ultime refus, la désertion : « J’ai quitté ces lieux sans insister, joliment heureux d’avoir un aussi beau prétexte pour foutre le camp. »

2nd extrait : autour de l'héroïsme

La peur de la mort

Le début du dialogue explique la situation du héros, hospitalisé car il est considéré comme « fou », une folie née de sa peur, qu’il présente comme incurable : « On ne soigne pas la peur, Lola. » Cette peur est directement liée à ce qu’il a vécu sur le front, le sentiment de pouvoir être atteint à chaque instant, dans un corps qui peut totalement disparaître. D’où son souhait, fortement souligné, qu’on le « laisse en terre » après sa mort, pour préserver jusqu’au bout ce corps précieux, en lui conservant même l’espoir de revivre : « Un squelette, malgré tout, ça ressemble encore un peu à un homme... C’est toujours plus prêt à revivre que des cendres... Des cendres c’est fini !... ».

Bardamu face à la mort. Illustration de Jacques Tardi pour Voyage au bout de la nuit, 1988. Édition Folio, Gallimard

Bardamu face à la mort. Illustration de Jacques Tardi pour Voyage au bout de la nuit. Édition Folio, Gallimard

Une argumentation contradictoire

         La réaction de Lola

Aux yeux de la jeune fille, cette peur est une fuite, et elle s’indigne de ce qu’elle considère comme une lâcheté, avec une violence traduite par sa comparaison méprisante : « Oh ! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes répugnant comme un rat... » Elle adhère, en effet, aux valeurs patriotiques soutenues par tous les pays en guerre : « Mais c’est impossible de refuser la guerre, Ferdinand ! Il n’y a que les fous et les lâches qui refusent la guerre quand leur Patrie est en danger... » À la fin de l’extrait, rejetant le « honteux état » de Bardamu, avec l’antéposition qui met en valeur son sentiment, « Méprisable elle me jugea, définitivement », la rupture entre eux est consommée : « Elle résolut de me quitter sur-le-champ. »

         Les arguments de Bardamu

Son opposition à la guerre est catégorique, « Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu’elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle », et il n’hésite pas à assumer le fait de se retrouver ainsi exclu de sa société, ce que met en valeur le chiffre cité : « Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c’est eux qui ont tort, Lola, et c’est moi qui ai raison ».

  • Son premier argument est l’affirmation de son libre-arbitre, sa volonté de vivre à tout prix : « je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir. »

Cadavres.jpg

Les morts anonymes de la guerre. Illustration de Jacques Tardi pour Voyage au bout de la nuit, 1988. Édition Folio, Gallimard

  • Ce prix de la vie est ensuite justifié par ses questions rhétoriques qui mettent en valeur l’idée que les morts de la guerre sont oubliés dès que celle-ci est finie : « Avez-vous jamais cherché à en connaître un seul de ces noms ? » Cette disparition, qui rend leur mort absurde, inutile, est rendue insistante par l’énumération en gradation et la comparaison grossière : « Ils vous sont aussi anonymes, indifférents et plus inconnus que le dernier atome de ce presse-papier devant nous, que votre crotte du matin... »

  • Il renforce cet argument en démythifiant la valeur des guerres – donc de l’héroïsme demandé aux combattants et de l’appel au patriotisme –, réduites à des débats stériles entre historiens : « À peine si une douzaine d’érudits se chamailleront encore par-ci, par-là, à son occasion et à propos des dates des principales hécatombes dont elle fut illustrée.. »

Devoirs : deux sujets proposés, au choix 

Le commentaire

Albert Camus, L’Étranger, 1942, 1ère Partie, chapitre V

Pour voir les sujets
Pour se reporter à un corrigé
Devoirs

La contraction de texte, suivie d'un essai

Texte : Frédéric Deloffre et Raymond Picard, « Signification de Manon Lescaut », introduction à l’édition Garnier, 1965

Contraction de texte : Vous résumerez ce texte en 179 mots. Une tolérance de +/- 10 % est admise : votre travail comptera au moins 161 et au plus 195 mots. Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de la contraction, le nombre total de mots utilisés.

Pour se reporter à un corrigé
Conclusion

Conclusion du parcours associé 

Les formes de marginalité : les réactions du lecteur

Ce parcours nous a conduit, en allant du XVIIe  siècle au XXe  siècle, à observer les différents portraits de personnages « en marge ».

            Comme Le Destin chez Scarron ou Gil Blas chez Lesage, certains personnages font sourire. Le premier, confronté au comportement marginal de La Bouvillon, qui rompt avec tous les codes de la bienséance exigée des femmes, devient une parodie de héros chevaleresque, ce qui le ridiculise. Le second, adoptant lui-même le comportement d’un voleur de grands chemins, de plus en s’en prenant à un représentant de l’Église, est confronté aux rires de ses compagnons devant son butin dérisoire, et perd ainsi le statut héroïque auquel il avait cru accéder, devenant ainsi le "type" même du picaro.

       En revanche, le lecteur ne rit pas des personnages de Laclos au XVIIIe  siècle ni de Balzac au XIXe  siècle, plutôt inquiétants, les premiers par leur libertinage, le second, Vautrin, par sa violence de hors-la-loi face à la police. Valmont, comme la comtesse de Merteuil sont des êtres sans scrupules, qui trouvent leur plaisir dans le pouvoir qu’ils exercent sur leurs victimes, telle la jeune Cécile. Leur irrespect de toutes les valeurs morales peut aussi choquer le lecteur, même s’ils peuvent aussi fasciner par leur aptitude à transgresser les limites pour aller jusqu’à l’extrême cynisme. Cette fascination est d'ailleurs celle que semble éprouver le narrateur dans son portrait de Vautrin, un criminel, certes, mais dont il met en valeur la force exceptionnelle, qui le hausse à une dimension bien supérieure à la médiocrité de ceux qui l’entourent, policiers comme résidents de la pension Vauquer.

          Enfin, l’extrait de Voyage au bout de la nuit de Céline nous offre une double marginalité. C'est d'abord celle du héros, Bardamu, qui, par son tableau de la guerre, ses jugements et sa propre lâcheté, s’oppose avec force au patriotisme. Un lecteur pacifiste pourra alors l’approuver, tandis qu’un autre, adhérant aux valeurs collectives, aura tendance à s’indigner. Mais la marginalité relève aussi du style même de Céline : son recours au langage oral, irrespectueux des règles grammaticales, ne reculant pas devant le rythme brisé, devant le lexique familier, voire vulgaire, ou la brutalité des discours, autant d’éléments qui peuvent choquer.

Le "personnage en marge" et le romanesque

La diversité des formes que peut prendre le « personnage en marge », en lien avec l’époque dans laquelle il s’inscrit, explique la place qu’il a pu prendre dans le genre romanesque. Pour répondre aux critiques qui leur sont adressées, plusieurs de ces romanciers insistent sur leur volonté d’utiliser la marginalité de leur personnage pour « instruire » le lecteur, lui rappeler l’importance des valeurs morales en lui montrant les risques alors encourus. Mais cet objectif, certes louable, n’est sans doute pas la principale source du plaisir pris à la lecture.

En fait, dans la mesure où il s’oppose aux valeurs de sa société, le personnage « en marge » est sans cesse amené à rencontrer des obstacles, à vivre des péripéties, conduit tantôt à l’échec, tantôt à la réussite. L’intérêt du lecteur est donc sans cesse renouvelé, dans l’attente aussi d’un dénouement : le « marginal » pourra-t-il échapper au châtiment que devrait lui valoir sa révolte ? Le rejet qu’il subit est-il mérité ? Choisira-t-il de revenir dans la « norme », le pourra-t-il d’ailleurs ? Que le lecteur soit choqué et le rejette, ou, au contraire, qu’il approuve les raisons qui ont poussé le personnage à la marginalité, en éprouvant même parfois pour lui une forme de sympathie, il tire son plaisir de cette attente, de ce destin et de ce caractère exceptionnels.

Radiguet

Lecture personnelle : Raymond Radiguet, Le Diable au corps, 1923 

Un couple "en marge"

Les deux héros du roman de Radiguet, le narrateur, François, jeune adolescent de quinze ans, et Marthe, fiancée puis jeune mariée d’un soldat combattant sur le front, représentent deux formes de marginalité. Jacques est, en effet, rebelle aux codes que lui impose sa famille, et sa relation adultérine avec Marthe est d’autant plus scandaleuse qu’elle brise les valeurs patriotiques. Les conditions de cette relation, le secret qu’elle exige multiplient donc les épreuves à traverser et les péripéties, feintes ou mensonges, que met en valeur la fiction autobiographique. Elle permet aussi de souligner les revirements psychologiques du narrateur.

Pour aborder le roman

Dans la perspective de la seconde partie de l’oral de l’EAF, il sera utile de présenter rapidement l’auteur et le roman, notamment l’accueil lors de sa parution.

Pour justifier le choix de cette œuvre, on s’attachera ensuite à relier le titre au sens d’ensemble du roman et à l’image du couple, en s’appuyant sur quelques exemples précis. Il est possible notamment de mettre en valeur un passage particulièrement marquant, de comparer la scène de première rencontre à celle étudiée dans Manon Lescaut, pour en expliquer la dimension transgressive, ou encore de porter un jugement sur l’adaptation filmique du roman par Claude Autant-Lara, en 1947, si ce film a pu être vu.

Radiguet, Le Diable au corps, 1923
Pour se reporter à une étude du roman
bottom of page