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Parcours : Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686-1687

Présentation du corpus 

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Ce parcours pédagogique entrecroise l’étude générale du dialogue, inscrit dans son contexte générique, et socio-culturel, le XVIIème siècle, avec des exposés de synthèse, et des explications d’extraits afin de répondre, au fil du parcours et dans la conclusion, à la problématique : Comment Fontenelle illustre-t-il le désir de diffuser plus largement les connaissances scientifiques à l’aube des « Lumières » ?

Six explications linéaires sont donc proposées, donc cinq d’extraits inclus dans le dialogue, ainsi que deux études d’ensemble, l’une sur les deux interlocuteurs, l’autre sur le discours sur la science. De nombreuses lectures cursives prolongent ces analyses, soutenues par des documents iconographiques. Enfin, un approfondissement méthodologique est permis par deux activités : l’une vise à mettre en pratique les acquis stylistiques sur l’argumentation, l’autre à partir d’un travail d’écriture, la rédaction d’un essai sur le dernier entretien de l’œuvre.

Introduction 

Pour se reporter à l'étude d'ensemble

Avant d'entrer dans une étude détaillée de l’œuvre, on prendra soin de présenter Fontenelle, que sa longévité inscrit entre deux siècles, ce qui impose donc à revoir le contexte des XVIIème et XVIIIème siècles, socio-historique et culturel.

En raison du contenu scientifique, un exposé portant sur les domaines de la physique et de l'astronomie. peut être proposé pour faire le bilan de l'état de la recherche à l'époque de l'écriture.

Introduction

Présentation 

Pour se reporter à la présentation

Après une rapide présentation de la genèse de l’œuvre, on s'interrogera sur ce que suggère son titre, puis la structure sera observée, à partir des titres de chaque "soir". La lecture des débuts et fins des entretiens permettra aussi de déterminer à la fois le cadre spatial mais aussi la temporalité, notamment en s'intéressant aux enchaînements entre eux. 

Présentation

Mise en place de la problématique 

À l’issue de cette présentation, est proposée une problématique pour guider l’étude : Comment l’œuvre de Fontenelle illustre-t-elle le désir de mieux connaître l’univers ?

        Le verbe principal, « illustre », suggère que l’œuvre serait représentative de l’objectif d’un auteur, dont nous avons vu qu’il s’inscrit à la fois dans la seconde moitié du XVIIème siècle, donc dans le "classicisme", soutenu par le double objectif hérité de l'antiquité, "placere et docere", soit "plaire et instruire",mais où apparaissent déjà les prémisses des "Lumières" donc la volonté de diffuser des connaissances pour "éclairer" les lecteurs, en les sortant des "ténèbres" des erreurs, souvent liées à la superstition.

         Son complément d’objet, « le désir de mieux connaître l’univers », se place du point de vue du destinataire de l’œuvre, le lecteur, dont il présuppose la curiosité et la volonté de s’instruire. Il pose aussi le domaine de connaissances concerné, scientifique, vaste puisqu’il implique la physique appliquée à l’astronomie, qui peut aussi paraître ardu. De plus trois siècles après, alors que les connaissances ont tellement progressé, quel intérêt garde un tel sujet ?

       Enfin, l’adverbe interrogatif, « Comment », invite à s’interroger sur la forme de l’œuvre, un dialogue, donc sur les avantages qu’offre cet échange entre celui qui, utilisant le « je », se présente comme un philosophe, le double de l’auteur, et sa destinatrice. Cela implique d’étudier leur relation, en observant l’énonciation. Mais ce dialogue, qui rappelle ceux de l’antiquité, construit aussi une argumentation, d’où l’étude de la stratégie adoptée par l’émetteur pour convaincre et des procédés mis en œuvre pour persuader son interlocutrice.

L'argumentation 

Pour se reporter à une analyse détaillée

Pour présenter des connaissances scientifiques, Fontenelle est amené à en contredire certaines pour leur opposer des vérités nouvelles, donc il est obligé d'argumenter de façon à convaincre son interlocutrice en faisant appel à la raison. Mais, pour entraîner son adhésion, il met aussi en œuvre des procédés d'écriture destinés à la persuader. Pour faciliter l'explication des textes, il est donc nécessaire de maîtriser tout ce qui relève de l'argumentation, en reprenant les acquis, voire en les approfondissant.

Explication : la dédicace " À monsieur L..." 

L’étymologie du terme « dédicace », du verbe latin "dedicare", « consacrer à un culte divin », en annonce l’importance : en tête d’un ouvrage littéraire, il constitue un hommage à celui qui est nommé. Cet usage d’une dédicace précédant une œuvre remonte à l’époque où les écrivains, lettrés, certes, mais sans fortune le plus souvent, avaient besoin d’un mécène pour leur apporter un soutien financier, ou au moins d’un homme puissant qui leur permettrait de se faire connaître plus largement. Mais tel n’est pas le cas de Fontenelle qui, de plus, préserve l’anonymat de son destinataire. Il s’agit donc d’un procédé littéraire, d’où la question : quel rôle joue cette dédicace choisie par Fontenelle pour précéder la lecture de son œuvre ?

Chollet, Portrait de Fontenelle, 1836. Gravure colorisée, 24 x 17 . Collection privée

Première partie :  l'adresse au dédicataire (du début à la ligne 7) 

Pour lire le texte
Chollet, Portrait de Fontenelle, 1836. Gravure colorisée, 24 x 17 . Collection privée
Dédicace

L'image du dédicataire

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En le rendant anonyme, Fontenelle renforce, en fait, l’effet de réel comme s'il s’agissait ainsi de conserver le secret d’une correspondance en préservant son dédicataire de toute curiosité inappropriée. Mais, en feignant de répondre à une demande, cet effet de réel se renforce encore, tout en mettant en place la relation entre l’auteur et un homme proche de lui vu sa curiosité. Mais cette curiosité n’est-elle pas aussi celle de tout lecteur avant de débuter sa lecture ? Le dédicataire devient alors le double de ce lecteur imaginé par Fontenelle, qui cherche à créer avec lui une relation de complicité, dont le ton adopté apporte la preuve. L’auteur s’amuse, en effet, à refuser de répondre à ses attentes, celles d’un siècle où priment les divertissements mondains, énumérés, qu’il remplace, plaisamment par l’énumération des composantes de l’univers : « Vous vous attendez à des fêtes, à des parties de jeu ou de chasse, et vous aurez des planètes, des mondes, des tourbillons ». 

L’abbé Delille récitant La Conversation dans le salon de madame Geoffrin. Gravure in La Conversation, 1812

L’abbé Delille récitant La Conversation dans le salon de madame Geoffrin. Gravure in La Conversation, 1812

Un horizon d'attente

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Le jeu entre l’effet de réel et la fiction se confirme dans la présentation du contenu, inscrit dans un cadre précis, mais, à nouveau avec le souci de préserver l’anonymat de son hôtesse : « un compte exact de la manière dont j’ai passé mon temps à la campagne, chez Madame la Marquise de G***. » Ce cadre rattache ainsi l’écrivain à la vie mondaine, celle des salons où les femmes jouent un rôle prépondérant et il donne à son récit une temporalité réelle.

Mais, rapidement, à cette vie réelle se substitue la vie intellectuelle, puisque l’objet du récit est posé dans une question qui se charge d’ironie, nouvelle feinte car il laisse supposer la déception de son destinataire par le comparatif dans l’incise : « Savez-vous bien que ce compte exact sera un livre ; et ce qu’il y a de pis, un livre de philosophie ? » Fontenelle insiste sur sa volonté de restituer dans toute leur vérité ce qu’il présente comme des conversations sur des sujets fort sérieux par leur dimension scientifique : « il n’a presque été question que de ces choses-là. » Une derrière pirouette, la feinte de prévoir l'échec de son ouvrage, confirme la complicité entre lui et ce dédicataire : « Heureusement vous êtes philosophe, et vous ne vous en moquerez pas tant qu’un autre. » Fontenelle annonce ainsi ce qu’il attend de son lecteur, accepter d’oublier les amusements frivoles pour s’instruire en développant sa réflexion.

Deuxième partie : L’éloge de la Marquise (des lignes 7 à 22) 

Présentation de l'interlocutrice

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La connivence avec le dédicataire se poursuit pour présenter son interlocutrice dans le dialogue : « Peut-être même serez-vous bien aise que j’aie attiré Madame la Marquise dans le parti de la philosophie. » Cette formulation donne l’impression d’une conquête qu’il souhaite partager avec son ami, ce que confirme le commentaire qui suit, « Nous ne pouvions faire une acquisition plus considérable », avec un terme plus approprié à un objet qu’à une personne que choisirait plutôt un libertin. En ajoutant comme justification de son choix « car je compte que la beauté et la jeunesse sont toujours des choses d’un grand prix », il laisse ainsi supposer que la séduction a joué un rôle pour donner un ton galant à ces conversations.

Un portrait mélioratif

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Mais la question rhétorique qui appelle la confirmation du dédicataire élargit l’éloge en prêtant à la Marquise une qualité intellectuelle, jusqu’à faire d’elle une allégorie : « Ne croyez-vous pas que si la sagesse elle-même voulait se présenter aux hommes avec succès, elle ne ferait point mal de paraître sous une figure qui approchât un peu de celle de la Marquise ? » Son personnage représente ainsi ces femmes cultivées, qui, dans les salons mondains, associent la galanterie à l’approche de la « philosophie » au sens large car elle englobe toutes les connaissances. En personnifiant ensuite la « sagesse » sous les traits de la Marquise, il introduit aussi l’idée chère aux auteurs du XVIIème siècle, la nécessité de lier « plaire et instruire » : « Surtout si elle pouvait avoir dans sa conversation les mêmes agréments, je suis persuadé que tout le monde courrait après la sagesse ». Les « agréments », c’est-à-dire un discours séduisant, est important pour transmettre un savoir.

Orazio Samacchini, Allégorie de la sagesse, XVIème siècle. Huile sur panneau, 137 x 109. Église paroissiale de Jonquières

Orazio Samacchini, Allégorie de la sagesse, XVIème siècle. Huile sur panneau, 137 x 109. Église paroissiale de Jonquières

L'annonce des « entretiens »

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L’auteur répond à la bienséance dans l’avertissement lancé, une forme de modestie puisqu’il se place en position d’infériorité par rapport à la Marquise, tout en annonçant le contenu de son ouvrage, en écho au titre : « Ne vous attendez pourtant pas à entendre des merveilles, quand je vous ferai le récit des entretiens que j’ai eus avec cette dame ; il faudrait presque avoir autant d’esprit qu’elle, pour répéter ce qu’elle dit de la manière dont elle l’a dit. » Il valorise ainsi son interlocutrice, en suggérant que ce sont ses réactions qui donneront du prix au dialogue : « Vous lui verrez seulement cette vivacité d’intelligence que vous lui connaissez. » En même temps, elle représente aussi tout lecteur potentiel, pas forcément initié mais, du moins, curieux et désireux d’apprendre : « Pour moi, je la tiens savante, à cause de l’extrême facilité qu’elle aurait à le devenir. Qu’est-ce qui lui manque ? D’avoir ouvert les yeux sur des livres ; cela n’est rien, et bien des gens l’ont fait toute leur vie, à qui je refuserais, si j’osais, le nom de savants » Cette critique finale est intéressante car elle nie le savoir livresque, en usant d’une feinte prudente, pour privilégier la curiosité qui rend possibles tous les progrès intellectuels. Son personnage offre donc un modèle au lecteur, tout en le rassurant sur son aptitude à lire cet ouvrage.

Troisième partie :  présentation de l’œuvre (de la ligne 22 à la fin) 

Un effet de réel

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À la fin de cette dédicace, l’auteur reprend tout son pouvoir sur son destinataire, en lui imposant d’abord son choix de rompre avec la tradition en refusant la description du cadre de ces « entretiens » : « Au reste, Monsieur, vous m’aurez une obligation. Je sais bien qu’avant que d’entrer dans le détail des conversations que j’ai eues avec la Marquise, je serais en droit de vous décrire le château où elle était allée passer l’automne. » Paradoxalement, ce refus contribue à renforcer la réalité de son séjour, tout en mettant l’accent sur l’essentiel, le contenu des échanges avec la Marquise : « On a souvent décrit des châteaux pour de moindres occasions ; mais je vous ferai grâce sur cela. »

L'autorité de l'auteur

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Son autorité s’affirme encore plus nettement pour présenter les circonstances qui ont amené les conversations, donc la création de son ouvrage : « Il suffit que vous sachiez que quand j’arrivai chez elle, je n’y trouvai point de compagnie, et que j’en fus fort aise. » Cette satisfaction peut paraître ambiguë, leur tête-à-tête pouvant permettre ses tentatives de séduction en même temps qu’une conversation plus approfondie. L’opposition chronologique, « Les deux premiers jours n’eurent rien de remarquable ; ils se passèrent à épuiser les nouvelles de Paris d’où je venais, mais ensuite vinrent ces entretiens dont je veux vous faire part », contribue à mettre en valeur l’intérêt de ces « entretiens » par rapport à l’échange de banalités très ordinaires. Il ne reste plus qu’à indiquer le plan de l’ouvrage, mais toujours en l’inscrivant dans la réalité par l’insistance sur le cadre nocturne : « Je vous les diviserai par soirs, parce qu’effectivement nous n’eûmes de ces entretiens que les soirs. » La mention de ce cadre intimiste achève ainsi de provoquer la curiosité du lecteur.

CONCLUSION

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Cette dédicace fait suivre à la préface, avec un rôle assez semblable : annoncer le contenu de l’œuvre, donner au lecteur le désir de la découvrir. Mais l’interpellation du dédicataire offre deux avantages :

        Elle permet au lecteur de se mettre à sa place de « Monsieur L...» , donc de devenir le complice de l’auteur, prêt à partager avec cet homme le contenu sérieux du livre qu’il lui adresse.

       Elle renforce l’effet de réel, en faisant croire à ces « entretiens » et, surtout, en insistant sur la volonté de divertir une femme, dont le portrait mélioratif correspond aussi au comportement que l’auteur attend de son lecteur. Elle incarne ainsi ces femmes cultivées que Fontenelle fréquente dans les salons mondains, ignorantes certes dans le domaine de la science, mais dotées d’une curiosité et d’une ouverture d’esprit qui les prépare à tous les progrès intellectuels.

Lecture cursive :  la Préface 

Pour lire le texte

Traditionnellement, une préface a pour rôle de présenter l’œuvre, à la fois son contenu, thème/s abordé/s et personnages, et les conditions de son écriture, son contexte, le genre littéraire choisi. Mais, souvent, l’auteur répond – par avance ou a posteriori – à des objections, à des critiques, il explique ses objectifs, justifie son point de vue, et va jusqu’à guider ainsi l’interprétation de ses lecteurs.

Première partie : l’objectif de cette œuvre (paragraphes 1 à 4)

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Une œuvre novatrice

En invoquant l’objection adressée aux œuvres philosophiques du latin Cicéron, Fontenelle se place sous l’autorité d’un modèle illustre, sûr de son « succès » : « Je suis à peu près dans le même cas où se trouva Cicéron, lorsqu’il entreprit de mettre en sa langue des matières de Philosophie ». Il annonce ainsi son approche philosophique, tandis que le connecteur « mais » introduit ensuite une feinte modestie pour présenter son objectif : « mais moi, je suis bien éloigné d’avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise presque pareille à la sienne. J’ai voulu traiter la Philosophie d’une manière qui ne fût point philosophique ». Il se présente donc comme novateur, vu qu’à son époque, les savoirs figurent souvent dans des ouvrages académiques en latin, peu attractifs.

Sébastien Leclerc, L’Académie des sciences et des beaux-arts, dédiée au Roi, 1698. Estampe. BnF

Une œuvre de vulgarisation

En reprenant le reproche adressé à son modèle latin, il explique le double risque couru par sa volonté de vulgariser les connaissances : se couper des « savants », déjà instruits, sans pour autant intéresser les « gens du monde », peu curieux. Un véritable défi, donc, de satisfaire les uns et les autres, en trouvant un équilibre entre les deux objectifs traditionnels pour les auteurs classiques depuis l’auteur antique Horace, "plaire et instruire". 

Sébastien Leclerc, L’Académie des sciences et des beaux-arts, dédiée au Roi, 1698. Estampe. BnF

C’est ainsi la forme littéraire adoptée qu’il dépeint : « j’ai tâché de l’amener à un point où elle ne fût ni trop sèche pour les gens du monde, ni trop badine pour les Savants. » Tout public peut donc, selon lui, y trouver un intérêt, les initiés qu’il ne veut pas « instruire, mais seulement les divertir en leur présentant, d’une manière un peu plus agréable et plus égayée, ce qu’ils savent déjà plus solidement » et les non-initiés : « J’avertis ceux à qui ces matières sont nouvelles, que j’ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. »

Deuxième partie : le contenu de l’œuvre (paragraphes 5 à 7)

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Le choix de la science

Par prétérition, il répond à une autre objection, la « matière » choisie indiquée par le titre, « la pluralité des mondes », en posant nettement la double approche, purement physique d’abord, « rien ne devrait nous intéresser davantage, que de savoir comment est fait ce monde que nous habitons », puis ouvrant sur l’imaginaire « s’il y a d’autres mondes semblables et qui soient habités aussi ». Mais, par une nouvelle pirouette humoristique, il fait preuve d’une feinte modestie en acceptant le refus des lecteurs : « mais après tout, s’inquiète de tout cela qui veut. Ceux qui ont des pensées à perdre, les peuvent perdre sur ces sortes de sujets ; mais tout le monde n’est pas en état de faire cette dépense inutile. » Il pique ainsi la curiosité du lecteur, invité à prendre position…

Henri Bellery-Desfontaine, Fontenelle méditant sur la pluralité des mondes, 1791. Gravure par aquatinte de Jean-Baptiste Moret, 27 x 18,5. Musée Carnavalet, Paris

Henri Bellery-Desfontaine, Fontenelle méditant sur la pluralité des mondes, 1791. Gravure par aquatinte de Jean-Baptiste Moret, 27 x 18,5. Musée Carnavalet, Paris
Charles-Joseph Natoire, frontispice des Entretiens de Fontenelle, vers 1746. Estampe. Musée du Louvre

L’interlocutrice

En présentant son personnage, « une femme que l’on instruit, et qui n’a jamais ouï parler de ces choses-là », Fontenelle rend hommage à toutes les femmes qui, à son époque, animent les salons mondains en s’intéressant à de nombreux savoirs : « Pourquoi des femmes céderaient-elles à cette Marquise imaginaire, qui ne conçoit que ce qu’elle ne peut se dispenser de concevoir ? » Cette question rhétorique interpelle son public potentiel, des lectrices souvent mais auxquelles l’éducation n’offre aucune savoir scientifique, pour les inviter à s’y plonger. L’allusion à La Princesse de Clèves, qui suscite alors de très nombreux débats autour du sentiment amoureux dans les salons, pose une analogie plaisante destinée à les rassurer mais aussi à dépasser les préjugés qui limitent les esprits féminins à des sujets frivoles : « Il est vrai que les idées de ce Livre-ci sont moins familières à la plupart des femmes que celles de La Princesse de Clèves, mais elles n’en sont pas plus obscures, et je suis sûr qu’à une seconde lecture tout au plus, il ne leur en sera rien échappé. »

Charles-Joseph Natoire, frontispice des Entretiens de Fontenelle, vers 1746. Estampe. Musée du Louvre

Troisième partie : les choix d'écriture (paragraphes 8 et 9)

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La raison et l’imagination

Fontenelle passe ensuite à ses choix d’écriture, toujours en relation avec le double objectif, "plaire et instruire". D’un côté, en effet, il s’agit de transmettre des savoirs, donc de se montrer rationnel : « j’ai employé de vrais raisonnements de Physique, et j’en ai employé autant qu’il a été nécessaire. » De l’autre, pour "divertir", il met en œuvre un autre aspect de la physique : ses idées « donnent à l’imagination un spectacle ». Qui ne rêverait pas en contemplant l’infini céleste ?

Les digressions

En se protégeant de la critique par les exemples de Virgile ou d’Ovide, Fontenelle répond aussi par avance à un autre reproche : la présence de digressions, qualifiées d’« ornements étrangers », donc des écarts par rapport à la rigueur scientifique attendue. Sa réponse invoque trois arguments :

  • La première est le contexte choisi, « la liberté naturelle de la conversation », donc une volonté de garder au dialogue sa spontanéité.

  • La deuxième relève d’un choix pédagogique, une volonté d’amener progressivement sa destinatrice à la connaissance, donc son lecteur potentiel dont « l’esprit n’est pas encore assez accoutumé aux idées principales », plus complexes. D’où leur place au début des entretiens, pour retenir le lecteur en l’apprivoisant en quelque sorte.

  • La troisième concerne le choix même des digressions, pour limiter l’écart créé : « enfin je les ai prises dans mon sujet même, ou assez proches de mon sujet. »

Quatrième partie : le risque couru (paragraphes 10 et 11)

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En introduisant le contenu, il a posé la question de savoir si ces « mondes » nombreux sont « habités ». Il est évident que cette question est insoluble, car nul n'a pu vérifier cette présence, d’où sa protestation, « Je n’ai rien voulu imaginer sur les habitants des mondes, qui fût entièrement impossible et chimérique », qui insiste à nouveau sur sa volonté de mêler l’imagination à la rationalité : « J’ai tâché de dire tout ce qu’on en pouvait penser raisonnablement, et les visions même que j’ai ajoutées à cela ont quelque fondement réel. »

Mais, à l’époque où il écrit, alors que la religion garde un poids important et que l’Église conserve le pouvoir de censurer, Fontenelle est bien conscient du risque couru : « il y a du danger par rapport à la Religion, à mettre des habitants ailleurs que sur la Terre. » Pour se préserver de ce risque, il insiste sur un argument, une erreur propre au seul lecteur, « Quand on vous dit que la Lune est habitée, vous vous y représentez aussitôt des hommes faits comme nous », dont lui-même se distingue alors : « La postérité d’Adam n’a pas pu s’étendre jusque dans la Lune, ni envoyer des colonies en ce pays-là. Les hommes qui sont dans la Lune ne sont donc pas fils d’Adam ». 

Joseph Burn Smeeeton, 1875. Illustration du Voyage dans la Lune, opéra-féérie de Jacques Offenbach

Joseph Burn Smeeeton, 1875. Illustration du Voyage dans la Lune, opéra-féérie de Jacques Offenbach

​Prudemment, il souligne son respect de « la Théologie » : « moi, je n’y en mets point. J’y mets des habitants qui ne sont point du tout des hommes ; que sont-ils donc ? » Sa Préface se termine donc sans réelle réponse, sur une dérobade, « je ne les ai point vus, ce n’est pas pour les avoir vus que j’en parle, » et une adresse directe au lecteur, qui reste cependant ambiguë puisque son affirmation repose sur le remplacement du Dieu créateur par l’’idée de « nature » en mentionnant « la diversité que la nature doit avoir mise dans ses ouvrages ».

POUR CONCLURE

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Toute l’habileté de Fontenelle se révèle dans cette Préface. Elle joue, bien sûr, son rôle traditionnel, annoncer le sujet traité, le contenu de l’œuvre et sa démarche. Mais le principal intérêt est l’objectif qu’il se propose, vulgariser des savoirs scientifiques, souvent complexes, ce qui implique d’arriver à toucher un lectorat non-initié : en cela, Fontenelle montre bien qu’il est au confluent de deux siècles, le XVIIème, où les auteurs ont toujours voulu lier "plaire et instruire", et le XVIIIème qui considère que la raison étant largement partagée, chacun peut tirer profit de la diffusion de connaissances nouvelles, quelque complexes qu’elles soient. Ainsi, il invite son lecteur à découvrir la façon dont son œuvre, grâce au choix d’une conversation, pourra réaliser cet équilibre entre érudition et divertissement. En même temps, conscient des réalités de son temps – toute œuvre, pour être publiée, doit obtenir le "privilège du roi" – il reste prudent en cherchant à concilier le respect des croyances religieuses avec les nouvelles découvertes scientifiques, susceptibles de les remettre en cause.

Explication : "Premier soir", de "Toute la philosophie..." à "... le monde." 

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Pour lire l'extrait

Le premier entretien, intitulé « Que la Terre est une Planète qui tourne sur elle-même, et autour du Soleil. », débute comme un de ces dialogues galants propres à la vie mondaine du siècle de Louis XIV, dans un cadre bucolique, le parc du château de la Marquise présentée dans la dédicace à Monsieur de L… et dans la Préface, et sous une nuit étoilée qui prédispose à la rêverie

La mise en place du dialogue

1er soir

Mais une réflexion du philosophe, « je suis bien fâché qu’il faille vous l’avouer, je me suis mis dans la tête que chaque étoile pourrait bien être un monde. Je ne jurerais pourtant pas que cela fût vrai, mais je le tiens pour vrai, parce qu’il me fait plaisir à croire », amène sa compagne à réclamer des explications, avec une telle insistance qu’il entreprend son initiation, tâche difficile vu l’ignorance de son interlocutrice : « il fallait prendre les choses de bien loin, pour lui prouver que la Terre pouvait être une planète, et les planètes autant de terres, et toutes les étoiles autant de soleils qui éclairaient des mondes. » Quel intérêt offre la stratégie adoptée dans cette introduction ?

Première partie : la faiblesse de l’homme (du début à la ligne 10) 

La nature de l'homme

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Pour ouvrir son explication, Fontenelle prend pour point de départ une définition de l’homme fondée sur une ambivalence : « Toute la philosophie, lui dis-je, n’est fondée que sur deux choses, sur ce qu’on a l’esprit curieux et les yeux mauvais ». Pour soutenir cette contradiction, il s’appuie sur deux hypothèses qui les reprend en chiasme.

         La première reprend le défaut, « si vous aviez les yeux meilleurs, que vous ne les avez », la limite d’un sens qui empêche l’homme d’arriver spontanément à reconnaître la vérité, accepter ou refuser celle qui figure dans le titre de l’œuvre, « la pluralité des mondes » : « vous verriez bien si les étoiles sont des soleils qui éclairent autant de mondes, ou si elles n’en sont pas ».

          La seconde inverse ce qui est a priori une qualité, la curiosité, le désir de savoir, en un défaut : « et si d’un autre côté vous étiez moins curieuse, vous ne vous soucieriez pas de le savoir, ce qui reviendrait au même. » Finalement, cette curiosité conduit aussi à l’échec, puisqu’elle est impossible à satisfaire par la simple observation.

D’où la conclusion qui traduit la faiblesse inhérente à l’homme : « mais on veut savoir plus qu’on ne voit, c’est là la difficulté. »â€‹

La fragilité du savoir humain

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À cette faiblesse initiale s’en ajoute une autre, pire encore et amplifiée par la récurrence verbale : « Encore, si ce qu’on voit, on le voyait bien, ce serait toujours autant de connu, mais on le voit tout autrement qu’il n’est. » Outre la fragilité de sa vision, l’homme porte en lui une seconde faiblesse, son imagination qui fausse totalement toute observation. Cela conduit Fontenelle à déplacer la critique sur les philosophes : « Ainsi les vrais philosophes passent leur vie à ne point croire ce qu’ils voient, et à tâcher de deviner ce qu’ils ne voient point, et cette condition n’est pas, ce me semble, trop à envier. » Ils sont, selon lui, enfermés dans une double erreur, l'impossibilité d'établir la vérité, remplacée par des croyances subjectives et injustifiables. Il ouvre donc un horizon d’attente, annonçant l'objectif des entretiens, dépasser ce comportement erroné.​

Deuxième partie : une comparaison (des lignes 10 à 18) 

Comparant et comparé

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Cette impossibilité affirmée amène le philosophe à adopter une stratégie de contournement, une comparaison dont il reconnaît la subjectivité : « Sur cela je me figure toujours que la nature est un grand spectacle qui ressemble à celui de l’opéra. » Stratégie appropriée au statut social de son interlocutrice, puisqu’il fait appel à une réalité mondaine qu’elle connaît bien. Mais son choix permet aussi de mettre en évidence une image de « la nature » qui à la fois l’ennoblit et l’embellit, mais aussi en fait une véritable mise en scène, construite pour séduire comme un opéra.

Il s’adresse alors à son interlocutrice qu’il place dans sa position habituelle de spectatrice, ne percevant que ce qui se déroule sur la scène : « Du lieu où vous êtes à l’opéra, vous ne voyez pas le théâtre tout à fait comme il est ». La négation reprend l’idée de la vision limitée, l’opéra étant un monde créé pour fabriquer une illusion : « on a disposé les décorations et les machines, pour faire de loin un effet agréable, et on cache à votre vue ces roues et ces contrepoids qui font tous les mouvements. » Ce pronom indéfini « on » renvoie au metteur en scène, c’est-à-dire, si on l’applique à « la nature », à un créateur qui a pris soin d’en conserver le mystère pour, simplement, en offrir la beauté

La machinerie des cintres du théâtre de la Reine, château de Versailles 

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Sa conclusion, « Aussi ne vous embarrassez vous guère de deviner comment tout cela joue », achève la comparaison en insistant sur la perception limitée de la spectatrice, à laquelle échappe la construction complexe, technique, de l’opéra,  et, au-delà du « vous » personnel, Fontenelle désigne ainsi tout lecteur observant l’univers sans vraiment chercher à comprendre son organisation, qui ne l'intéresse guère, finalement.

Un personnage : le "machiniste"

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Pour développer sa comparaison, Fontenelle imagine d’y introduire un personnage, lui aussi spectateur placé dans le public, mais qui, par son métier même, chercherait à comprendre ce qu’il ne voit pas, les « roues » et les « contrepoids », c’est-à-dire les techniques mises en œuvre pour créer le spectacle : « Il n’y a peut-être guère de machiniste caché dans le parterre, qui s’inquiète d’un vol qui lui aura paru extraordinaire et qui veut absolument démêler comment ce vol a été exécuté. » Ce personnage fait donc preuve de curiosité, d’où sa ressemblance à ceux qui, eux aussi, cherchent à comprendre : « Vous voyez bien que ce machiniste-là est assez fait comme les philosophes. » Ainsi, Fontenelle invite son interlocutrice – mais aussi son lecteur, qui s'inscrit dans ce pronom « vous » – à s’interroger en allant au-delà de la seule apparence.

Troisième partie : les philosophes de l’antiquité (des lignes 18 à 37) 

Le mystère de l'univers

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Le connecteur d’opposition, « Mais », met fin à la comparaison à l’opéra, en marquant la différence entre le « machiniste » et le philosophe. Par son métier, le machiniste est, en effet, capable, de comprendre le fonctionnement technique invisible pour le spectateur, ce qui n’est pas le cas du philosophe, car, dans l’univers, le mystère subsiste : « Mais ce qui, à l’égard des philosophes, augmente la difficulté, c’est que dans les machines que la nature présente à nos yeux, les cordes sont parfaitement bien cachées ». Ainsi s’expliquent les limites du savoir, réduit à des hypothèses comme le montre le verbe  : « et elles le sont si bien qu’on a été longtemps à deviner ce qui causait les mouvements de l’univers. » L’adverbe temporel accentue la durée de cette ignorance, mais le passé composé suggère déjà qu’elle a à présent pris fin.

La critique de la philosophie antique

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Pour prouver cette ignorance, le philosophe fait appel à des exemples. Il cite les philosophes de l’antiquité, en soulignant leur renommée par la façon dont il les qualifie, en crescendo puisqu’Aristote fonde encore tout l’enseignement : « Car représentez-vous tous les sages à l’opéra, ces Pythagore, ces Platon, ces Aristote, et tous ces gens dont le nom fait aujourd’hui tant de bruit à nos oreilles ».

Agostino Veneziano, Phaéton, 1514-1536. Gravure, 21,7 x 13,7. Metropolitan museum of art, New York

Pour illustrer sa critique, il fait appel à un personnage mythologique, Phaéton, qui peut parler à son interlocutrice mondaine puisqu’il avait été mis en scène dans une tragédie en musique éponyme sur une musique de Jean-Baptiste Lully et sur un livret de Philippe Quinault, créée en 1683 à Versailles. Fils du Soleil, il conduisit son char à la place de son père, provoquant de tels incendies que son père envoya la foudre pour l’arrêter, légende illustrée dans cette pièce à machines, genre à succès depuis le milieu du siècle. Les interlocuteurs s'associent alors pour conclure cette hypothèse. Les négations marquent l’ignorance des philosophes, devenus spectateurs, sur le fonctionnement des machines : « supposons qu’ils voyaient le vol de Phaéton que les vents enlèvent, qu’ils ne pouvaient découvrir les cordes, et qu’ils ne savaient point comment le derrière du théâtre était disposé. » Ils ne voient donc que l’apparence, ce que souligne la succession des discours rapportés où chacun formule une hypothèse

Agostino Veneziano, Phaéton, 1514-1536. Gravure, 21,7 x 13,7. Metropolitan museum of art, New York 

La première est mystique, la deuxième fondée sur la numérologie, la troisième relève de l’animisme, et leur incertitude est mise en évidence par le déterminant indéfini, « L’un d’eux disait : C’est une certaine vertu secrète qui enlève Phaéton. L’autre, Phaéton est composé de certains nombres qui le font monter. L’autre, Phaéton a une certaine amitié pour le haut du théâtre ». L’animisme, propre à Aristote est encore renforcé par des interprétations subjectives de ce qu’éprouve ce héros mythique : « il n’est point à son aise quand il n’y est pas. L’autre, Phaéton n’est pas fait pour voler, mais il aime mieux voler, que de laisser le haut du théâtre vide ». La conclusion de ces discours, avec le lexique péjoratif, résume la critique lancée contre les philosophes de l’antiquité, leur incapacité à formuler des causes rationnelles : « et cent autres rêveries que je m’étonne qui n’aient perdu de réputation toute l’Antiquité. »

La philosophie contemporaine

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À ces conceptions irrationnelles, l’exposé de Fontenelle oppose le changement, qui remplace ces « rêveries » par des causes rationnelles, la notion de force qui relève des lois de la physique appliquées au mouvement des corps : « À la fin Descartes, et quelques autres modernes sont venus, qui ont dit : Phaéton monte, parce qu’il est tiré par des cordes, et qu’un poids plus pesant que lui descend. » L’anaphore souligne le progrès d’un savoir, dont la vérité vient de ce que les explications sont des actions mesurables : « Ainsi on ne croit plus qu’un corps se remue, s’il n’est tiré, ou plutôt poussé par un autre corps ; on ne croit plus qu’il monte ou qu’il descende, si ce n’est par l’effet d’un contrepoids ou d’un ressort ». Les croyances hypothétiques sont donc remplacées par des constats objectifs, des principes mécaniques, selon l’affirmation de Descartes, dans Les Principes de la Philosophie, parus en 1644 : « l’univers est une machine où il n’y a rien du tout à considérer que les figures et mouvements de ses parties. »

Descartes, Les Principes de la philosophie, 1644.jpg

Il peut alors conclure en terminant la métaphore filée par la conception de ces nouveaux philosophes-spectateurs : « et qui verrait la nature telle qu’elle est, ne verrait que le derrière du théâtre de l’opéra ». Cette hypothèse s’oppose à l’image initiale de la nature comparée à l’opéra, donc à un spectacle dont le public admire la beauté en ignorant comment les effets grandioses ont été créés : à présent le mystère, qui rendait possiblestoutes les interprétations, s’efface au profit du seul savoir scientifique qui peut se prouver. La science oblige, en fait, à renoncer à tout ce qui ressort de la métaphysique.

Troisième partie : les philosophes de l’antiquité (des lignes 18 à 37) 

Une réaction critique

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Cet exposé pourrait paraître aride à une interlocutrice qui, comme un lecteur potentiel, ignore tout de ces questions. D’où l’intérêt du dialogue qui crée une interaction entre les deux personnages, en remettant au premier plan leurs réactions plus subjectives.

Les rouages de l'univers

Les rouages de l'univers

         La première est la question de la marquise qui reformule la théorie exposée : « À ce compte, dit la Marquise, la philosophie est devenue bien mécanique ? » En qualifiant ainsi la théorie de Descartes, elle révèle ainsi ses qualités intellectuelles : elle a parfaitement compris la notion de « force » imprimant aux corps leurs mouvements. Mais l’adjectif « mécanique » peut prendre un sens péjoratif, transformant alors la surprise en une objection : tout ne fonctionnerait que par automatisme, sans la moindre intervention de la réflexion ou de la volonté, ôtant ainsi tout pouvoir à une volonté créatrice.

         C’est cette connotation péjorative qui explique la réponse du philosophe, dont la réaction formule une sorte de regret : « Si mécanique, répondis-je, que je crains qu’on en ait bientôt honte. » La négation restrictive dans la métaphore qui suit, « On veut que l’univers ne soit en grand, que ce qu’une montre est en petit », explicite ce regret : une réduction de l’univers qui, en perdant son mystère, a aussi perdu sa noblesse car tout y est organisé, ordonné, et donc prévisible : « tout s’y condui[t] par des mouvements réglés qui dépendent de l’arrangement des parties ».

L’injonction qui interpelle la marquise, « Avouez la vérité », donne de la vivacité à ce sentiment, confirmé par la double interrogation négative : « N’avez-vous pas eu quelquefois une idée plus sublime de l’univers, et ne lui avez-vous point fait plus d’honneur qu’il ne méritait ? » Il souligne ainsi un véritable désenchantement, propre à détruire toute l’admiration des hommes quand ils contemplent l’univers. L’ajout d’un témoignage personnel, « J’ai vu des gens qui l’en estimaient moins, depuis qu’ils l’avaient connu. », accentue cette désillusion.

Un double éloge

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         Mais cette comparaison amène une réaction de la marquise, qui refuse de partager cette critique, inversée en un éloge insistant : « Et moi, répliqua-t-elle, je l’en estime beaucoup plus, depuis que je sais qu’il ressemble à une montre. » Elle se montre donc capable de s’opposer à celui qui lui sert de « maître », et de soutenir son jugement par un argument solide : « Il est surprenant que l’ordre de la nature, tout admirable qu’il est, ne roule que sur des choses si simples. » Finalement, en expliquant et en organisant les mouvements de l’univers ces lois ne font, à ses yeux, qu’ajouter à sa perfection.

         Elle en arrive, en fait, à convaincre le philosophe, qui accepte de revenir sur sa critique pour approuver l’idée que le savoir scientifique est toujours préférable à l’ignorance : « Je ne sais pas, lui répondis-je, qui vous a donné des idées si saines ; mais en vérité, il n’est pas trop commun de les avoir. » Cet éloge de la marquise conforte le cartésianisme en s’opposant avec insistance à tout ce qui relève de l’irrationnel, dénoncé par le lexique péjoratif associé à une négation restrictive : « Assez de gens ont toujours dans la tête un faux merveilleux enveloppé d’une obscurité qu’ils respectent. Ils n’admirent la nature, que parce qu’ils la croient une espèce de magie où l’on n’entend rien ; et il est sûr qu’une chose est déshonorée auprès d’eux, dès qu’elle peut être conçue. » En cela, Fontenelle, en accordant à son personnage toute sa dignité intellectuelle, annonce la suite du dialogue et la volonté des philosophes des "Lumières" d’éclairer ses contemporains, avec une ultime reprise de la comparaison initiale à l’opéra qui confirme l’objectif des « entretiens » : « Mais, Madame, continuai-je, vous êtes si bien disposée à entrer dans tout ce que je veux vous dire, que je crois que je n’ai qu’à tirer le rideau et à vous montrer le monde. »

CONCLUSION

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Cette ouverture du « Premier soir » montre le double intérêt de la stratégie choisie par Fontenelle, celle du dialogue philosophique avec une interlocutrice dépourvue de connaissances scientifiques.

        D’une part, il prend soin d’adopter une pédagogie propre à ce que cette mondaine se sente concernée, d’où la métaphore du spectacle d’opéra, filée dans tout son exposé, qui met en évidence la différence entre la scène vue par seul public, et les coulisses avec les « machines » grâce auxquelles se réalisent les effets spéciaux étonnants. Ainsi, il s’assure de sa compréhension, qui illustre celle des lecteurs potentiels qu’il souhaite convaincre afin de les amener à aller au-delà des apparences.

        D’autre part, par les discours directs imaginés, il met tout en œuvre pour rendre vivant le débat entre la conception antique de l’univers, métaphysique et subjective, et le savoir posé par les contemporains, tel Descartes, rationnel et objectif.

Mais la fin de l’extrait introduit un questionnement : le savoir ne vient-il pas détruire toute la contemplation de l’homme face à la grandeur de l’univers, tout son éblouissement qu’avait montré le début de cette promenade sous le ciel étoilé ? Et même, en allant plus loin, Fontenelle ne prend-il pas déjà le risque, en imposant un savoir fondé sur les lois de la physique, de remettre en cause toute l’approche religieuse de la création, œuvre divine ?

Un genre littéraire : le dialogue 

Un héritage antique

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Le dialogue, en tant que genre, remonte à l’antiquité grecque et se rattache d’abord à une pratique philosophique, celle de Socrate, rapportée par Platon, qui renonce à l’exposé didactique pour choisir de faire jaillir la vérité à partir d’un jeu de questions-réponses avec ses disciples. C’est ce qu’il nomme la maïeutique, l’art d’accoucher les esprits. Dans le dialogue platonicien, c’est le plus souvent le philosophe, Socrate, qui pose les questions au disciple, sûr de posséder la vérité, et qui, peu à peu, l’enferme dans des contradictions jusqu’à ce qu’il reconnaisse son erreur et accepte la conception philosophique. Ainsi, le disciple, initialement ignorant, reconnaît progressivement son ignorance et finit par accéder à la connaissance.

Socrate et ses disciples : la maïeutique, 1949. Chromo, Liebig, Pays-Bas

Socrate et ses disciples : la maïeutique, 1949. Chromo, Liebig, Pays-Bas
Dialogue

Le dialogue se constitue plus tardivement en fiction, avec Lucien (125-190) qui, dans les Dialogues des morts, fait converser dieux, héros et humains, ponctuant ces échanges de procédés comiques à visée morale. Fontenelle, dans ses Nouveaux Dialogues des morts, deux tomes publiés en 1683 et 1684, reprend cette inspiration en construisant à son tour des échanges inattendus, douze entre Anciens  entre eux, ainsi que douze entre Modernes entre eux, et douze présentant un  écart chronologique, tous permettant d'aborder des thèmes variés, en ouvrant un débat, comme l'indiquent leurs titres, par exemple « Sur la comédie »,  « Qu'il y a quelque chose dans la vanité qui peut être bon » ou encore « Si l'on peut être heureux par la raison ».

L'évolution du genre

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C’est sans doute cette origine qui explique que ce genre s'est développé lors des périodes où la philosophie retrouve un nouvel élan, d’abord à la Renaissance, où l’art de dialoguer entre dans l’apprentissage de la dialectique par la "disputatio". Ainsi, chez Rabelais la lettre de Gargantua à son fils Pantagruel souligne l’importance du dialogue dans l’apprentissage : « Et je veux que rapidement tu mettes tes progrès en application, ce que tu ne pourras mieux faire qu’en soutenant des discussions publiques sur tous les sujets, envers et contre tous, et en fréquentant les gens lettrés, tant à Paris qu’ailleurs. » (Pantagruel, VIII, 1532) Le dialogue est alors un moyen de s’opposer au dogmatisme en répondant à ceux qui prétendent détenir une vérité absolue.

Carmontelle, Voltaire et Mme du Châtelet, entre 1747-1750.  Aquarelle et gouache, Coll. particulière.

Le rôle joué par les salons dès le XVIIème siècle et au XVIIIème siècle, alors que les écrivains dits « classiques » reprennent l’injonction d’Horace, la nécessité de « plaire » pour « instruire », explique la multiplication des dialogues, toujours dans l’idée que, par le doute qu’introduit l’interlocuteur, telle la marquise chez Fontenelle, suivi de l’échange d’arguments, l’on pourra parvenir à la connaissance. Il s’affirme comme un genre à part entière, en abordant directement des sujets politiques, économiques et religieux, tel L’A, B, C, ou dialogues entre A, B, C (1768) de Voltaire, prétendument – et prudemment – « traduit de l’anglais de M. Huet » (1768), ou indirectement à la façon d’un apologue dans son Dialogue du chapon et de la poularde (1763), le premier initiant la seconde au sort cruel qui l’attend, fiction qui masque une critique du fanatisme religieux.

Carmontelle, Voltaire et Mme du Châtelet, entre 1747-1750.  Aquarelle et gouache, Coll. particulière.

Pour conclure

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Le dialogue se définit donc comme un genre argumentatif, et c’est là le support de son analyse. Mais c’est une argumentation moins structurée, plus vivante car elle progresse au rythme spontané d’une conversation, d’où l’obligation de s’intéresser aux moyens de cette progression, par exemple l'association d’idées ou des mots qui rebondissent en écho, fondée aussi sur l’échange des questions et des réponses, en observant qui les prend en charge et pourquoi. Le lecteur devra aussi étudier le portrait des interlocuteurs, ce que le dialogue révèle de leur psychologie, et de la relation qui les unit. De plus, le dialogue offre souvent l’intérêt de laisser le débat ouvert : il appartient donc au lecteur de conclure.

Explication : " Second soir" de "Quelles sortes de gens..." à "...il n'y avait rien." 

Pour lire l'extrait

Après que le philosophe a convaincu la marquise, lors du « Premier soir », de l’exactitude de l’héliocentrisme, remplaçant l’ancien système de Ptolémée, la nuit interrompu leur conversation qui, en raison de la présence d’invités au château, ne reprend que le lendemain soir. L’échange passe alors de la terre à la lune, avec un titre, « Que la Lune est une Terre habitée », qui annonce le contenu affirmé dès le début : « Eh bien donc, lui dis-je, puisque le soleil, qui est présentement immobile, a cessé d’être planète, et que la terre, qui se meut autour de lui, a commencé d’en être une, vous ne serez pas si surprise d’entendre dire que la lune est une terre comme celle-ci, et qu’apparemment elle est habitée. » Ainsi, face à l’objection de la Marquise qui y voit une « folie », il entreprend de démontrer d’abord que la lune, corps solide, a une « entière ressemblance » à la terre, puis, après une analyse des phases de la lune, des éclipses, et une digression sur le Roland Furieux (1516) de l’Arioste, dont le personnage, Astolphe, a visité la lune, il revient sur l’existence de ses habitants. Comment le dialogue permet-il alors d’élargir la réflexion philosophique ?

2nd soir

Première partie : des Sélénites aux Terriens (du début à la ligne 16) 

La nature des habitants de la lune

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Par l’exposé scientifique, puis la digression empruntée à la littérature, le philosophe a retardé ce qui est le plus surprenant, l’idée que la lune est habitée par ceux nommés, dans les Histoires vraies de Lucien de Samosate au IIème siècle, les "Sélénites" : « Une alliance est faite entre les Héliotes et leurs alliés, les Sélénites, à condition que les Héliotes rasent la muraille d'interception et ne fassent plus d’irruption dans la Lune ». Cet horizon d’attente ainsi créé explique le ton de la marquise dont la question relance le sujet : « Quelles sortes de gens seraient-ce donc ? reprit la Marquise avec un air d’impatience. »

Martin van Maële, pour illustrer Les premiers Hommes dans la lune de H.G. Wells, édition de 1901

Martin van Maële, pour illustrer Les premiers Hommes dans la lune de H.G. Wells, édition de 1901

Le refus de réponse du philosophe, « De bonne foi, Madame, répliquai-je, je n’en sais rien », lui permet, en fait, d’utiliser ces Sélénites pour lui renvoyer une question provocatrice, car le connecteur d’opposition dans la double hypothèse initiale introduit clairement un reproche adressé aux humains, leur irrationalité, dans lequel il s’inclut avec son interlocutrice : « « S’il se pouvait faire que nous eussions de la raison, et que nous ne fussions pourtant pas hommes ». Comme souvent dans le dialogue, il oblige la marquise à changer de point de vue, « et si d’ailleurs nous habitions la lune », pour prendre une distance afin de mieux juger. La formulation de sa question inverse le point de vue, la surprise initiale de cette existence des Sélénites, puisque le regard ironique vise à présent les Terriens : « nous imaginerions-nous bien qu’il y eût ici-bas cette espèce bizarre de créatures qu’on appelle le genre humain ? »

La dénonciation

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Même s’il choisit à nouveau la forme interrogative, le portrait des terriens, plaisamment réifiés par « quelque chose » comme pour leur attribuer le même mystère qu’aux Sélénites, se développe ensuite à partir de l’adjectif « bizarre » en insistant, par les adverbes d’intensité, « si », « tant », sur leurs contradictions en cinq proposition binaires juxtaposées. Toutes reposent sur des antithèses lexicales entre des signes de grandeur et de petitesse. 

  • La première, « Pourrions-nous bien nous figurer quelque chose qui eût des passions si folles, et des réflexions si sages », porte sur la morale, en opposant les « passions », nocives et aliénantes, à la sagesse, valeur suprême.

  • Puis il traite de l'inscription de l'homme dans le temps en opposant la mortalité à la faculté humaine de se projeter dans l’avenir, donc à son imagination : « une durée si courte, et des vues si longues »

  • L’insistance porte ensuite sur les aptitudes intellectuelles de l’homme, qu’il n’applique pas aux questions essentielles : « tant de science sur des choses presque inutiles, et tant d’ignorance sur les plus importantes »

  • L’opposition, « tant d’ardeur pour la liberté, et tant d’inclination à la servitude » élargit alors l’approche à la vie de l’homme en société, en rappelant le titre du Discours de la servitude volontaire (1576) d’Étienne de La Boétie qui développe ce paradoxe.

  • Il termine par ce qui, depuis Aristote, est considéré comme le principal enjeu philosophique, la quête du bonheur, considéré comme « le bien suprême » : « une si forte envie d’être heureux, et une si grande incapacité de l’être »

Comment ne pas penser ici aux Pensées de Pascal, parues en 1670, qui oppose la « grandeur » de l’homme à sa « misère » ?

La satire

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La réponse à ces questions rhétoriques conclut à l’impossibilité de définir précisément l’homme : « Il faudrait que les gens de la lune eussent bien de l’esprit, s’ils devinaient tout cela. » Cet argument a fortiori justifie son refus initial de faire le portrait des Sélénites, car comment définir des êtres lointains alors même qu’il est impossible de définir ceux qui sont proches : « Nous nous voyons incessamment nous-mêmes, et nous en sommes encore à deviner comment nous sommes faits » ?

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Raphaël, Le Banquet des dieux, 1518. Peinture du plafond de la Villa Farnèse, Rome

Fontenelle accentue sa satire par sa présentation ironique d’une définition que le pronom indéfini « on » rattache à une référence mythologique : « On a été réduit à dire que les dieux étaient ivres de nectar lorsqu’ils firent les hommes, et que, quand ils vinrent à regarder leur ouvrage de sang-froid, ils ne purent s’empêcher d’en rire. » Il reprend, en effet, l’image fréquente, chez Homère notamment, des dieux de l’Olympe buvant leur nectar, l’ambroisie, en proie à l’ivresse et occupés à rire. 

Mais la mythologie grecque ne fait pas d’eux les créateurs de l’homme, attribuant cela au titan Prométhée qui, loin de « rire » de sa créature l’aide en lui offrant le feu dérobé aux dieux Olympiens. En fait, le rire des dieux grecs vise les faiblesses humaines qu’ils se plaisent à organiser : ils rient par avance de leur triomphe. C’est donc bien Fontenelle qui met ici une prétendue mythologie au service de sa satire. 

Deuxième partie : une curiosité injustifiée (des lignes 16 à 31 ) 

Le portrait de la marquise

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Un des intérêts de ce dialogue est l’interaction entre la marquise et le philosophe. Elle accepte plaisamment le portrait critique des humains, en feignant d’être rassurée par le raisonnement a fortiori. Mais elle ne renonce pas pour autant à sa curiosité, « mais je voudrais que nous les pussions deviner », qu’elle mêle à une crainte liée à un sentiment de faiblesse : « car en vérité cela inquiète, de savoir qu’ils sont là-haut, dans cette lune que nous voyons, et de ne pouvoir pas se figurer comment ils sont faits. » Reflet du statut social d’une femme habituée à voir ses désirs obligeamment satisfaits

Le refus du philosophe

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Or le philosophe persiste dans son refus de tout portrait des Sélénites, en lui renvoyant, comme dans la pratique de la maïeutique, une question destinée à lui montrer l’erreur d’une telle curiosité : « Et pourquoi, répondis-je, n’avez-vous point d’inquiétude sur les habitants de cette grande terre australe qui nous est encore entièrement inconnue ? » Il justifie cette accusation d’irrationalité par une métaphore maritime : « Nous sommes portés, eux et nous, sur un même vaisseau, dont ils occupent la proue et nous la poupe. » En filant la métaphore, il met ainsi en place une sorte d’expérience qui fait appel à son sens de l’observation : « Vous voyez que de la poupe à la proue il n’y a aucune communication, et qu’à un bout du navire on ne sait point quelles gens sont à l’autre, ni ce qu’ils y font ». L’exclamation qui la conclut, introduite par le connecteur « et » ici à valeur d’opposition, repose sur un nouvel argument a fortiori qui fait alors ressortir le reproche d’incohérence, renforcé par l’insistance sur la distance spatiale entre la terre et la lune : « et vous voudriez savoir ce qui se passe dans la lune, dans cet autre vaisseau qui flotte loin de nous par les cieux ! » 

Troisième partie : rencontrer les Sélénites (de la ligne 27 à la fin) 

Le voyage dans la lune

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Mais, cette fois, la marquise ne se laisse pas convaincre par cet argument, qu’elle rejette avec insistance : « Oh ! reprit-elle, je compte les habitants de la terre australe pour connus, parce qu’assurément ils doivent nous ressembler beaucoup ». Elle accentue cette supposition par une juxtaposition d’affirmations, avec un futur qui en fait des certitudes : « et qu’enfin on les connaîtra quand on voudra se donner la peine de les aller voir ; ils demeureront toujours là, et ne nous échapperont pas ». Par opposition, elle relance sa curiosité, avec une insistance pour obtenir une réponse : « mais ces gens de la lune, on ne les connaîtra jamais, cela est désespérant ».

En réponse, le philosophe crée un horizon d’attente, en lançant une supposition, qu’il détruit avec humour en soulignant son absurdité, avant même de la formuler clairement : « Si je vous répondais sérieusement, répliquai-je, qu’on ne sait ce qui arrivera, vous vous moqueriez de moi, et je le mériterais sans doute. » Indirectement, il refuse donc la négation « jamais » posée par la marquise, donc suggère une connaissance possible. Il maintient alors l’intérêt de sa destinatrice, en annonçant une argumentation sérieuse : « Cependant je me défendrais assez bien, si je voulais ».

Joseph Burn Smeeton, illustration pour Le Voyage dans la lune (1875), opéra-féérie de Jacques Offenbach, BnF

Joseph Burn Smeeton, illustration pour Le Voyage dans la lune (1875), opéra-féérie de Jacques Offenbach, BnF

Mais, parallèlement, il joue à se moquer de lui-même tout en insistant sur sa rationalité : « J’ai une pensée très ridicule, qui a un air de vraisemblance qui me surprend ; je ne sais où elle peut l’avoir pris, étant aussi impertinente qu’elle est. » C’est alors sous la forme d’un pari qu’il pose enfin son idée : « Je gage que je vais vous réduire à avouer, contre toute raison, qu’il pourra y avoir un jour du commerce entre la terre et la lune. »  La marquise se retrouve ainsi face à un défi, tels ceux qui soutenaient les jeux d’esprit dans les salons mondains, charades ou énigmes par exemple où il faut triompher d’un adversaire.

Théodore de Bry, La découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb, Grands voyages, 1594. Gravure, BnF

Théodore de Bry, La découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb, Grands voyages, 1594. Gravure, BnF

L'argumentation

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Pour soutenir cette idée, totalement étrangère à la science de cette époque, il procède par une comparaison au Nouveau Monde avant l’arrivée des conquistadores : « Remettez-vous dans l’esprit l’état où était l’Amérique avant qu’elle eût été découverte par Christophe Colomb ».  Aux yeux des indigènes, l’Europe était aussi totalement inconnue que la lune l’est au XVIIème siècle pour les terriens : « Ses habitants vivaient dans une ignorance extrême. » En dépeignant le mode de vie de ces indigènes, « Loin de connaître les sciences, ils ne connaissaient pas les arts les plus simples et les plus nécessaires. Ils allaient nus, ils n’avaient point d’autres armes que l’arc, ils n’avaient jamais conçu que des hommes pussent être portés par des animaux », il insiste sur leur impossibilité d’imaginer le contact à venir avec les Européens, mise en parallèle avec l’impossibilité d’imaginer un contact entre Terriens et Sélénites. 

Leur ignorance était même encore pire puisqu’« ils regardaient la mer comme un grand espace défendu aux hommes, qui se joignait au ciel, et au-delà duquel il n’y avait rien », alors que les terriens, eux, ont au moins la connaissance de l’existence et de la situation de la lune par rapport à eux. Cette analogie impose donc une déduction : qui peut dire qu’un jour le « grand espace » céleste ne sera pas traversé par les habitants d’une planète ou de l’autre ? Le contact est donc possible entre les habitants des deux planètes.

CONCLUSION

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Ce passage dépasse l’objectif initial du dialogue, transmettre à la marquise un savoir scientifique, en s’élargissant à une réflexion sur l’homme et sur sa place dans l’univers. Si, en effet, la marquise continue à manifester sa curiosité, le philosophe, lui, se dérobe en deux temps :

       D’une part, pour refuser de dépeindre les habitants imaginés dans la lune, il insiste sur une même impossibilité de définir un "terrien", en mettant en évidence sa double nature, des qualités en même temps que des défauts. Comme la plupart des écrivains du XVIIème siècle, il se comporte alors en moraliste, plutôt sévère.

       D’autre part, il dépasse la pure réalité scientifique pour défendre une vision imaginaire : celle d’habitants dans la lune, avec lesquels il serait possible d’établir un contact, dans l’avenir. Plus loin, il conclut : « Après cela je ne veux plus jurer qu’il ne puisse y avoir commerce quelque jour entre la lune et la terre. » On imagine à quel point, à l’époque de la parution de ce dialogue, une telle idée pourrait paraître une « folie »… Mais, aujourd’hui, le lecteur y voit une sorte de prémonition, qui révèle une grande confiance dans les progrès scientifiques que l’humanité peut réaliser. Le XVIIIème siècle développera encore cette confiance, qui voit naître, au XIXème siècle, le "scientisme", tandis que, dans la littérature, la science-fiction prend son essor.

Lecture cursive : Lucien de Samosate, Histoires vraies, IIème siècle : le voyage dans la lune, paragraphes 23-25 

Pour lire l'extrait

Au début de son récit, Lucien de Samosate (vers 120-après 180) dément son titre, Histoires vraies, en avertissant son lecteur qu’il n’a jamais fait le voyage qu’il va relater, alors même qu'il tente ensuite de le rendre vraisemblable. Dans la première partie, il raconte comment le navire sur lequel il a embarqué avec ses compagnons est emporté par une tempête et il se retrouve sur la lune, accueilli par le roi Endémyon et les habitants, les Sélénites. Quels rôles l’auteur prête-t-il au portrait proposé ?

Paragraphe 23

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Ce premier paragraphe s’ouvre sur une double opposition des Sélénites, d’abord aux terriens, « C'est une beauté chez eux que d'être chauve et complément dégarni de cheveux ; ils ont les chevelures en horreur », ensuite à d’autres habitants qui peuplent l’espace : « Dans les comètes, au contraire, les cheveux sont réputés beaux, au moins d'après ce que nous en dirent quelques voyageurs. » Pour donner de la vérité à ce portrait, l’écrivain s’appuie sur un témoignage. Mais derrière ce portrait plaisant, telle cette barbe interminable qui « croît un peu au-dessus du genou », il souligne surtout, par l’antithèse nettement marquée entre, d’un côté la « beauté » de l’autre l’« horreur », la relativité des jugements. Le portrait est donc le prétexte à une réflexion morale sur la diversité : à chaque peuple, ses goûts et ses coutumes, d’où une nécessaire tolérance.

La chevelure d’une comète, in Ciel et Espace, n° 587

La chevelure d’une comète, in Ciel et Espace, n° 587

Dans la suite, il ne s’agit plus de coutumes, mais d’une variété dans la nature physique même : « leurs pieds sont dépourvus d'ongles, et tous n'y ont qu'un seul doigt. Il leur pousse au-dessus des fesses une espèce de gros chou, en manière de queue, toujours vert, et ne se brisant jamais, lors même que l'individu tombe sur le dos. » Au-delà de la volonté de faire sourire, là encore comment ne pas penser à la dénonciation des raisons physiques qui, dès l’antiquité, ont amené les rejets racistes, des peuples d'Afrique par exemple ? 

Paragraphe 24

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Le comique s’accentue quand l’écrivain décrit le moyen original de leur production agricole : « De leur nez découle un miel fort âcre ; et, lorsqu'ils travaillent ou s'exercent, tout leur corps sue du lait, dont ils font des fromages, en y faisant couler un peu de ce miel. » Mais il dépeint ainsi un monde où tout se retrouve inversé, tel le « miel » qui normalement est sucré, tandis que la sueur prend la douceur du « lait », et que l’odeur de l’oignon devient précieuse : « Ils tirent de l'oignon une huile très grasse, et parfumée comme de la myrrhe. » Cette inversion se retrouve dans la production viticole : « Ils ont beaucoup de vignes qui donnent de l'eau : les grains du raisin ressemblent à des grêlons ». À partir de cette observation, le commentaire du narrateur propose alors une interprétation d’un phénomène atmosphérique, la grêle : « aussi, je crois que, quand un coup de vent agite ces vignes, alors il tombe chez, nous de la grêlé, qui n'est autre que ces raisins égrenés. » Plaisante parodie de tous les récits mythologiques qui prétendent expliquer des réalités naturelles…

Il revient sur une particularité physique, particulièrement cocasse par l’aspect utilitaire mis en évidence : « Leur ventre leur sert de poche : ils y mettent tout ce dont ils ont besoin, car il s'ouvre et se ferme à volonté. On n'y voit ni intestins, ni foie ; mais il est velu et poilu intérieurement, en sorte que les enfants s'y blottissent, quand ils ont froid. »

Paragraphe 25

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Le paragraphe suivant repose sur une autre réalité qui, au-delà de l’invraisemblance et de l’inversion des matériaux, montre que, sur la lune comme sur la terre, l’écart social existe : « L'habillement des riches est de verre, étoffe moelleuse, celui des pauvres est un tissu de cuivre ; le pays produit en grande quantité ce métal, qu'ils travaillent comme de la laine, après l'avoir mouillé. » Aux riches une « étoffe moelleuse », aux pauvres un vêtement peu coûteux vu la matière abondante, et qu’ils réalisent eux-mêmes.

En prolongeant ce portrait physique il mentionne une autre particularité, dont à nouveau il s’emploie à affirmer la vérité en jouant sur l'humour d'une feinte modestie : « Quant à leurs yeux, en vérité je n'ose dire comment ils sont faits, de peur qu'on ne me prenne pour un menteur, tant la chose est incroyable. Je me hasarderai pourtant à dire que leurs yeux sont amovibles : ils les ôtent quand ils veulent et les mettent de côté, jusqu'à ce qu'ils aient envie de voir ; alors, ils les remettent en place pour s'en servir ». Derrière cette nature biologique fantaisiste, comment ne pas voir une critique de l’aveuglement humain, si fréquent : parfois, les hommes ne savent pas se servir de leurs yeux… ? Mais le pire est qu’à nouveau la prépondérance des riches ressort car ils disposent d’un précieux privilège : « si quelques-uns d'entre eux viennent à perdre leurs yeux, ils empruntent ceux des autres et en font usage, il y a même des riches qui en gardent de rechange. »

Enfin, il termine en rappelant l’étrange génétique qui produit certains de ces habitants, relatée dans le paragraphe 22. Ils restent proches du monde végétal, et certains, nommés « dendrites », en sont même directement issus : « Leurs oreilles sont de feuilles de platane, excepté celles des hommes nés d’un gland, qui les ont de bois. » Lucien parodie ici tous les récits mythologiques, tel celui de la naissance des Thébains à partir des dents d’un dragon semés par le héros Cadmos, mais cette différence entre Sélénites ne rappelle-t-elle pas aussi celle qui sépare, à d’Athènes, les citoyens libres et les esclaves ? 

Frontispice de l’édition allemande de 1659 de L’homme dans la lune de Francis Godwin, 1638.

Pour conclure

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Cet extrait relève de la fantaisie : malgré sa prétention à la vérité, sur laquelle il insiste, Lucien laisse libre cours à son imagination et son portrait cocasse vise à amuser son lecteur. Mais, la satire est sans doute aussi le moyen de conduire un lecteur plus attentif à une réflexion morale, par exemple sur les préjugés esthétiques ou sur les écarts sociaux. Lucien ouvre ainsi la voie à tous ceux qui, tels l’Anglais Francis Godwin dans L’homme dans la lune (1638) ou Savinien de Cyrano de Bergerac dans son Histoire comique des États et Empires de la Lune, nouvelle parue à titre posthume en 1655, reprendront l’idée du voyage céleste pour amener les lecteurs à un nouveau regard sur l’univers mais aussi sur leur propre société.

Frontispice de l’édition allemande de 1659 de L’homme dans la lune de Francis Godwin, 1638

Étude d’ensemble : Les deux interlocuteurs 

Pour se reporter à l'analyse

La nature même du dialogue, ici suivant le rythme d’une conversation, oblige à étudier la relation qui unit les deux interlocuteurs, dans la double perspective que s’est fixée l’écrivain, « instruire » son lecteur et lui « plaire ».

         Pour respecter leur rôle, on étudie d’abord celui qui joue le rôle de "maître", en transmettant non seulement des connaissances scientifiques, mais aussi l’approche philosophique de Descartes, en les associant à des réflexions morales. Face à lui, la Marquise joue le rôle d’une "élève", curieuse, par ses questions multipliées, mais aussi active, capable de formuler des réticences et des objections.

           Mais le dialogue est également rendu plaisant par leur appartenance à la vie mondaine de leur temps. Ainsi, on observera comment le philosophe se montre aussi galant homme, avec toutes les qualités de conteur appréciées dans les salons, avec une interlocutrice dotée des mêmes qualités, capables des traits d’esprit et qui sait jouer de sa coquetterie.

Tout est fait par Fontenelle pour faire ressortir la connivence qui les rapproche.

Interlocuteurs

Explication : "Troisième soir" de "Présentement même..." à "...un autre air."

3ème soir

Paradoxalement, le troisième entretien, intitulé « Particularités du Monde de la Lune. Que les autres Planètes sont habitées aussi. », s’ouvre en introduisant un doute sur l'existence d'habitants dans la lune : « la lune que je vous disais hier, qui selon toutes les apparences était habitée, pourrait bien ne l’être point ». Face aux protestations de la Marquise qui exige qu’on lui rende les habitants », le philosophe entreprend un exposé scientifique sur le rôle des nuages, sur la composition de l’air, sur la lumière et les « couleurs célestes » et sur les phases de la lune. Finalement, tous deux conviennent de dépasser ce doute, et d’élargir l’existence des habitants à toutes les planètes, à partir d’un raisonnement par analogie posé par le philosophe :

Pour lire l'extrait

Nous voyons que toutes les planètes sont de la même nature, toutes des corps opaques qui ne reçoivent de la lumière que du soleil, qui se la renvoient les uns aux autres, et qui n’ont que les mêmes mouvements, jusque là tout est égal. Cependant, il faudrait concevoir que ces grands corps auraient été faits pour n’être point habités, que ce serait là leur condition naturelle, et qu’il y aurait une exception justement en faveur de la terre toute seule. Qui voudra le croire le croie ; pour moi, je ne m’y puis pas résoudre.

Pour prouver cette croyance, Fontenelle développe alors toutes les observations qui prouvent l’infinie richesse de la nature. Mais quels rôles joue un tel discours ?

Première partie : un monde invisible (premier paragraphe) 

De la raison à l'observation

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Au début de l’extrait, après que le philosophe a montré les ressemblances entre les planètes au sein de l’espace céleste, l’affirmation d'un univers entièrement habité, tout en restant formulée de façon hypothétique, est soutenue par un raisonnement par analogie : « présentement même que je suis un peu plus de sang-froid, je ne laisse pas de trouver qu’il serait bien étrange que la terre fût aussi habitée qu’elle l’est, et que les autres planètes ne le fussent point du tout ». Pour aller plus loin dans cette logique, il invite son interlocutrice à aller au-delà de ses perceptions : « car ne croyez pas que nous voyions tout ce qui habite la terre ; il y a autant d’espèces d’animaux invisibles que de visibles. » Paradoxalement, c’est donc la conscience des limites de la vision de l’homme qui permet d’aller plus loin dans la réflexion : « Nous voyons depuis l’éléphant jusqu’au ciron, là finit notre vue ». Le « ciron », ainsi nommé dès le moyen-âge, est un acarien, dont diverses espèces ont très tôt été observées par les dégâts qu’elles produisaient, malgré leur taille minuscule, dans la farine, sur le fromage, ou dans le bois, par exemple. Il a longtemps été considéré comme le plus petit animal connu.

L'avancée de la science

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Or, l’invention du microscope optique au XVIIème siècle a amélioré l’observation, d’où la plaisante comparaison : « mais au ciron commence une multitude infinie d’animaux, dont il est l’éléphant, et que nos yeux ne sauraient apercevoir sans secours. » De toute évidence, Fontenelle s’est intéressé à ces progrès dans l’optique, depuis le microscope à une seule lentille, perfectionné par Galilée, dont l’"occhiolino", en 1609, a deux lentilles, une convexe et une concave.

L’exemple suivant, « On a vu avec des lunettes de très petites gouttes d’eau de pluie, ou de vinaigre, ou d’autres liqueurs, remplies de petits poissons ou de petits serpents que l’on n’aurait jamais soupçonnés d’y habiter », renvoie aux expériences telle celle d’Antoni van Leeuwenhoek, qui, en 1668, grâce à des lentilles plus puissantes, a permis d’observer des cellules vivantes par exemple les protozoaires dans l’eau ou les spermatozoïdes. Mais il ne les nomme pas d’où la plaisante présentation faite par Fontenelle. 

Le microscope d'Antoni van Leeuwenhoek : ses découvertes

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Il met ainsi sous les yeux de la marquise un univers entièrement animé, capable d’agir, puisque « quelques philosophes croient que le goût qu’elles font sentir sont les piqûres que ces petits animaux font à la langue », et lui fait même partager une expérience qui multiplie encore ces animalcules, en une génération spontanée qui les diversifie : « Mêlez de certaines choses dans quelques-unes de ces liqueurs, ou exposez-les au soleil, ou laissez-les se corrompre, voilà aussitôt de nouvelles espèces de petits animaux. 

Deuxième partie : une argumentation rigoureuse (deuxième paragraphe) 

Un raisonnement a fortiori

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Le deuxième paragraphe impose, même si la négation restrictive et l’adverbe maintiennent une certaine prudence, cette idée d’un monde invisible et animé : « Beaucoup de corps qui paraissent solides ne sont presque que des amas de ces animaux imperceptibles, qui y trouvent pour leurs mouvements autant de liberté qu’il leur en faut. »

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Fontenelle la soutient par un exemple, plaisant parce qu’il dote ces êtres invisibles de réactions qui les rapprochent des humains quand ils considèrent l’espace : « Une feuille d’arbre est un petit monde habité par des vermisseaux invisibles, à qui elle paraît d’une étendue immense, qui y connaissent des montagnes et des abîmes, et qui, d’un côté de la feuille à l’autre, n’ont pas plus de communication avec les autres vermisseaux qui y vivent que nous avec nos antipodes. »

Une feuille vue au microscope 

La locution, « À plus forte raison », introduit à nouveau le raisonnement a fortiori : « ce me semble, une grosse planète sera-t-elle un monde habité. » Il est logique que ce qui est admis pour le plus petit le soit forcément pour le plus grand. Un nouvel exemple appuie cette logique, toujours en faisant appel aux expériences qui, à cette époque à partir des éléments fossilisés, dotaient de vie même les minéraux : « On a trouvé jusque dans des espèces de pierres très dures de petits vers sans nombre, qui y étaient logés de toutes parts dans des vides insensibles, et qui ne se nourrissaient que de la substance de ces pierres qu’ils rongeaient. » Il sollicite alors l’imagination de sa destinatrice, « Figurez-vous combien il y avait de ces petits vers, et pendant combien d’années ils subsistaient de la grosseur d’un grain de sable ». De la même façon, il est possible de déduire l'existence de Sélénites en passant du plus petit au plus grand : « et sur cet exemple, quand la lune ne serait qu’un amas de rochers, je la ferais plutôt ronger par ses habitants, que de n’y en pas mettre. »

La richesse de la nature

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La conclusion est mise en évidence par l’affirmation redoublée : « Enfin tout est vivant, tout est animé ». Pour solliciter l’imagination de son interlocutrice, il déroule alors la chronologie des progrès scientifiques, les plus récentes amenant une projection vers l’avenir corroboré par le passé : « mettez toutes ces espèces d’animaux nouvellement découvertes, et même toutes celles que l’on conçoit aisément qui sont encore à découvrir, avec celles que l’on a toujours vues ». De là, par l’emploi du futur, il lui impose un constat, la richesse de « la nature », du visible à l’invisible : « vous trouverez assurément que la terre est bien peuplée, et que la nature y a si libéralement répandu les animaux, qu’elle ne s’est pas mise en peine que l’on en vît seulement la moitié. » La question rhétorique prolonge alors le raisonnement a fortiori, en passant alors de la terre à l’ensemble des planètes, habitées elles aussi : « Croirez-vous qu’après qu’elle a poussé ici sa fécondité jusqu’à l’excès, elle a été pour toutes les autres planètes d’une stérilité à n’y rien produire de vivant ? »

Troisième partie : la diversité de la création (troisième paragraphe) 

Du visible à l'invisible

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Le raisonnement a tellement élargi la dimension de l’invisible que la marquise reconnaît son trouble : « Ma raison est assez bien convaincue, dit la Marquise, mais mon imagination est accablée de la multitude infinie des habitants de toutes ces planètes, et embarrassée de la diversité qu’il faut établir entre eux ». Par l’emploi du futur antérieur, elle cautionne donc la conception posée par l’hypothèse du philosophe, la richesse de la nature : « car je vois bien que la nature, selon qu’elle est ennemie des répétitions, les aura tous faits différents ». Cependant, loin de la rassurer, cela suscite en elle une sorte de vertige : « mais comment se représenter tout cela ? »

Une conséquence morale

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En refusant de la rassurer, « Ce n’est pas à l’imagination à prétendre se le représenter, répondis-je, elle ne peut aller plus loin que les yeux », le philosophe fait glisser le discours scientifique vers une réflexion qui relève de la morale : « On peut seulement apercevoir d’une certaine vue universelle la diversité que la nature doit avoir mise entre tous ces mondes. » Son appel à une « certaine vue universelle » conduit, en effet, à quitter toutes les vues limitées à l’espace connu, donc tous les préjugés.

C’est ce qui explique que l’exemple pris ramène aux êtres humains qui peuplent la terre, en opposant une similitude d’ensemble aux particularités qui distinguent les trois peuples qu’il nomme : « Tous les visages sont en général sur un même modèle ; mais ceux de deux grandes nations, comme des Européens, si vous voulez, et des Africains ou des Tartares, paraissent être faits sur deux modèles particuliers ». À nouveau, il élargit cet exemple, « et il faudrait encore trouver le modèle des visages de chaque famille », ce qui l’amène à une question qui traduit une véritable admiration de la création : « Quel secret doit avoir eu la nature pour varier en tant de manières une chose aussi simple qu’un visage ? » Par la restriction qui soutient sa comparaison, le philosophe en arrive ainsi à mettre tous les peuples sur le même plan, « Nous ne sommes dans l’univers que comme une petite famille, dont tous les visages se ressemblent », les différences n’étant plus que des points de détail, et il ouvre alors l’imagination à d’autres formes d’humanité : « dans une autre planète, c’est une autre famille, dont les visages ont un autre air. »

CONCLUSION

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Cet extrait est tout à fait représentatif de l’œuvre :

         Il met en évidence les progrès de la science, grâce à de nouveaux instruments, donc à des observations qui conduisent à mieux connaître la nature. Le savant voit ce que ses contemporains ne voient pas, et Fontenelle donne l’impression que ces progrès sont infinis.

       Il illustre le double aspect de ce dialogue entre le philosophe et la marquise, d’une part un appel à la raison, par la récurrence ici du raisonnement a fortiori, d’autre part un appel à l’imagination à l’aide d’exemples pour concrétiser la conception.

          Comme bien des auteurs de son époque, il fait de son discours sur la science la source d’une réflexion sur l’homme, l'invitant à plus de tolérance envers ses semblables.

Enfin, la récurrence du terme « la nature », sans jamais la moindre référence à un créateur divin ou à la notion de Providence, interroge sur la place accordée par Fontenelle à la religion. Il fait preuve, annonçant ainsi le siècle des Lumières d’une véritable audace philosophique en désacralisant la nature, à laquelle il prête une dynamique propre qui démultiplie la création à l’infini. Il prête peu d’intérêt finalement aux causes premières ou à la destination finale, pour ne s’intéresser qu’au "comment", c’est-à-dire aux mécanismes qui régissent la nature, comme il le faisait dans le premier entretien en développant la métaphore de « l’opéra » et de ses coulisses invisibles, ses « machines ».

Explication : "Quatrième soir" d' "On est bien sûr..." à "...que l'on connaisse." 

Pour lire l'extrait

Le titre du quatrième entretien, « Particularités des mondes de Vénus, de Mercure, de Mars, de Jupiter et de Saturne », élargit la perspective de l'étude céleste en annonçant l’ordre suivi : « Il fallut donc se résoudre à ignorer les figures des habitants de toutes ces planètes, et se contenter d’en deviner ce que nous pourrions, en continuant le voyage des mondes que nous avions commencé. » 

Une rare occasion, cinq planètes alignées (février 2016) : Mercure, Vénus, Saturne, Mars, Jupiter

Une rare occasion, cinq planètes alignées (février 2016) : Mercure, Vénus, Saturne, Mars, Jupiter

4ème soir

L’auteur peut ainsi exposer les connaissances de son époque, parfois précises comme les distances ou leur apparence observée par les astronomes, parfois démenties depuis, comme la théorie des « tourbillons » alors soutenue par Descartes. Mais, parallèlement, le discours ne renonce pas à formuler des hypothèses sur les habitants de ces planètes. Comment le dialogue combine-t-il l’approche scientifique et l’imagination ?

Première partie : connaître Vénus (du début à la ligne 16) 

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La surface de Vénus, observée aujourd’hui

L'approche scientifique

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Au début de son exposé, le philosophe fait preuve de la rigueur attendue d’un exposé scientifique en opposant les certitudes à ce que la science ignore encore : « On est bien sûr, dis-je à la Marquise, que Vénus tourne sur elle-même, mais on ne sait pas bien en quel temps, ni par conséquent combien ses jours durent. » De même, il en précise deux caractéristiques : « Pour ses années, elles ne sont que de près de huit mois, puisqu’elle tourne en ce temps-là autour du Soleil. Elle est grosse comme la Terre, et par conséquent la Terre paraît à Vénus de la même grandeur dont Vénus nous paraît. » 

En fait, vu sa taille et sa brillance, Vénus est la première planète à avoir attiré l’attention des astronomes qui, dès le IIème siècle av. J.-C. tel Hipparque (vers 190-120 av.J.-C.), ont étudié ses mouvements. Mais c’est à nouveau Galilée qui, grâce à l’invention de la lunette astronomique, observe Vénus, constate qu’elle présente des phases, comme la Lune, donc est en orbite autour du Soleil, ce qui l’amène à suivre Copernic pour contredire l’ancien système de Ptolémée.

La poétisation de l'univers

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Mais la science est une chose, la poésie en est une autre, et, en raison de sa fréquentation des salons précieux, la marquise adopte plus spontanément une perspective poétique. Ainsi, de la ressemblance entre la Terre et Vénus que vient d’affirmer le philosophe, elle tire une autre image en inversant l’appellation d’« étoile du berger » attribuée à Vénus : « J’en suis bien aise, dit la Marquise, la Terre pourra être pour Vénus l’étoile du berger ». Elle va plus loin encore en rappelant la mythologie grecque, le nom alors donné à la déesse grecque de l’amour et de la beauté, Aphrodite, Vénus à Rome qui rattacherait la planète à « la mère des amours ». Elle laisse alors libre cours à son imagination en imaginant la belle apparence de cette planète et en soulignant son lien avec l’amour : « Ces noms-là ne peuvent convenir qu’à une petite planète, qui soit jolie, claire, brillante, et qui ait un air galant. »

Statue d’Aphrodite, dite Vénus d’Arles, fin du Ier s. av.J.-C. Marbre, 1,94 m. Musée du Louvre

Statue d’Aphrodite, dite Vénus d’Arles, fin du Ier s. av.J.-C. Marbre, 1,94 m. Musée du Louvre

La démythification

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Le philosophe, homme du monde galant, entre dans le jeu de la Marquise, mais pour démythifier avec force sa vision poétique : « J’en conviens, répondis-je, mais savez-vous ce qui rend Vénus si jolie de loin ? C’est qu’elle est fort affreuse de près. » Il remet ainsi au premier plan la vérité scientifique : « On a vu avec les lunettes d’approche que ce n’était qu’un amas de montagnes beaucoup plus hautes que les nôtres, fort pointues, et apparemment fort sèches ». 

Vénus et la Terre, in site "Sciences et Avenir"

De même, il poursuit en justifiant la luminosité de Vénus : « et par cette disposition la surface d’une planète est la plus propre qu’il se puisse à renvoyer la lumière avec beaucoup d’éclat et de vivacité. » Pour prolonger ce refus d’une poétisation de l’univers, il l’applique par hypothèse à la Terre : « Notre Terre, dont la surface est fort unie auprès de celle de Vénus et en partie couverte de mers, pourrait bien n’être pas si agréable à voir de loin. » En lui refusant ainsi sa beauté, il lui ôte aussi la place prépondérante qui lui a longtemps été accordée par le système de Ptolémée.

Vénus et la Terre, in site "Sciences et Avenir"

Deuxième partie : les habitants de Vénus (des lignes 16 à 32) 

La Préciosité

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Pour dépeindre les habitants de Vénus, la marquise poursuit le jeu autour de son image de déesse de l’amour, en ne renonçant pas non plus à l’idée d’une domination de la terre qui reprendrait son rôle central : « Tant pis, dit la Marquise, car ce serait assurément un avantage et un agrément pour elle que de présider aux amours des habitants de Vénus, ces gens-là doivent bien entendre la galanterie. »

Le philosophe à son tour entre dans ce jeu galant par ses références aux personnages du roman pastoral le plus célèbre d’Honoré d’Urfé, L’Astrée (1610) qui illustre l’image de l’amour, sublimé dans le mouvement précieux : « Oh ! sans doute, répondis-je, le menu peuple de Vénus n’est composé que de Céladons et de Silvandres, et leurs conversations les plus communes valent les plus belles de Clélie. » Mais la négation restrictive donne une tonalité ironique à son affirmation, qui lui permet de revenir à la dimension scientifique, les distances entre les planètes, comme si la « chaleur » de Vénus pouvait intensifier les élans amoureux : « Le climat est très favorable aux amours, Vénus est plus proche que nous du Soleil, et en reçoit une lumière plus vive et plus de chaleur. Elle est à peu près aux deux tiers de la distance du Soleil à la Terre.

Céladon allant se jeter dans le Lignon. Tapisserie flamande du XVIIe siècle illustrant L'Astrée d'Honoré d'Urfé

Céladon allant se jeter dans le Lignon. Tapisserie flamande du XVIIe siècle illustrant L'Astrée d'Honoré d'Urfé

La mode espagnole

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Au XVIème siècle, la Renaissance met à la mode la langue et les arts italiens, mode rapidement suivies, en raison du rayonnement de l’Espagne, par une représentation magnifiée de l’Espagne, qui s’accompagne de traductions de romans qui, eux aussi, visent à présenter une image de l’amant chevalier fidèle tel Amadis de Gaule, surnommé « le beau Ténébreux », héros du roman éponyme de Garcia Rodriguez de Montalvo, datant de 1508. C’est ce qui explique les caractéristiques chevaleresques que la marquise attribue aux habitants de Vénus dans sa seconde tentative pour se les représenter concrètement : « Je vois présentement, interrompit la Marquise, comment sont faits les habitants de Vénus. Ils ressemblent aux Mores grenadins, un petit peuple noir, brûlé du soleil, plein d’esprit et de feu, toujours amoureux, faisant des vers, aimant la musique, inventant tous les jours des fêtes, des danses et des tournois. » En même temps, elle fait écho à la théorie qui règne alors sur l'influence du climat sur le caractère des habitants, reprise par la réplique du philosophe. Il se fait à nouveau ironique pour détruire sa comparaison, certes fort poliment, « Permettez-moi de vous dire, Madame, répliquai-je, que vous ne connaissez guère bien les habitants de Vénus », mais en essayant, par sa comparaison, de lui faire percevoir la température extrême de la planète Vénus : « Nos Mores grenadins n’auraient été auprès d’eux que des Lapons et des Groenlandais pour la froideur et pour la stupidité. »

Amadis.jpg

Amadis de Gaule, chevalier et amant héroïque

Troisième partie : la planète Mercure (de la ligne 33 à la fin) 

Les habitants de Mercure

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La chaleur de Vénus conduit à la planète suivante, Mercure, qui va plus loin encore : « Mais que sera-ce des habitants de Mercure ? Ils sont plus de deux fois plus proches du Soleil que nous. » De la même façon, cette caractéristique climatique amène à dépeindre le tempérament des habitants, poussés à l’excès par cette chaleur extrême : « Il faut qu’ils soient fous à force de vivacité. » Cette association de Mercure à la folie fait penser à une autre œuvre littéraire, le poème de Louise Labé, paru en 1555, Le Débat d’Amour et Folie, où Apollon plaide en faveur d’un amour heureux tandis que Mercure, lui, considère que la folie est indispensable à l’amour. Le philosophe accentue alors cette image d’un peuple "fou" – en reprenant d’ailleurs le stéréotype péjoratif de cette époque concernant les peuples noirs –, en en énumérant en gradation les caractéristiques, jusqu’à faire de cette planète le lieu des « Petites Maisons », nom d’un hospice d’aliénés créé à Paris en 1557 : « Je crois qu’ils n’ont point de mémoire, non plus que la plupart des nègres, qu’ils ne font jamais de réflexion sur rien, qu’ils n’agissent qu’à l’aventure, et par des mouvements subits, et qu’enfin c’est dans Mercure que sont les Petites Maisons de l’univers. »

La science imagée

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Fontenelle maintient le discours scientifique, ici la proximité de Mercure au soleil : « Ils voient le Soleil neuf fois plus grand que nous ne le voyons ». Mais il lui donne vie en amenant son interlocutrice à se mettre à la place de ses habitants : « il leur envoie une lumière si forte que s’ils étaient ici, ils ne prendraient nos plus beaux jours que pour de très faibles crépuscules, et peut-être n’y pourraient-ils pas distinguer les objets, et la chaleur à laquelle ils sont accoutumés est si excessive, que celle qu’il fait ici au fond de l’Afrique les glacerait. » Ses hypothèses visent à illustrer cet excès de chaleur, jusqu’à l’exemple extrême d’une fusion des métaux les plus solides, comparée à la neige en hiver qui peut retourner à l’état liquide sous l’effet de la chaleur : « Apparemment notre fer, notre argent, notre or se fondraient chez eux, et on ne les y verrait qu’en liqueur, comme on ne voit ici ordinairement l’eau qu’en liqueur, quoi qu’en de certains temps ce soit un corps fort solide. » Vision un peu effrayante de rivières de feu...

Le moraliste

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L’hypothèse qu’il met en valeur, « Les gens de Mercure ne soupçonneraient pas que dans un autre monde ces liqueurs-là, qui font peut-être leurs rivières, sont des corps des plus durs que l’on connaisse », rappelle ce que le philosophe cherche à montrer dans tout son discours, la relativité des jugements quand règne l’ignorance. De la science, on glisse ainsi à la morale, avec l’idée que chaque planète forme un monde, avec son climat, ses perceptions, ses jugements. L’univers céleste est donc d’une diversité extrême, ce qui, par analogie, propose une leçon morale de tolérance : de même sur terre, il faut admettre la diversité des peuples, donc des mœurs.

CONCLUSION

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Ce passage met en évidence la façon dont Fontenelle s’emploie à vulgariser la science, par la connivence entre les deux interlocuteurs dans la mesure où le philosophe s’amuse à partager les visions fantaisistes de la Marquise, qui naissent des notions scientifiques qu’il lui expose. Le discours scientifique perd alors sa rigueur dogmatique, avec un échange de répliques rendu plus vivant car il sollicite, par l’évocation plaisante des habitants des planètes, l’imagination du lecteur. Parallèlement, il invite à plus de relativisme en mettant en relation la diversité céleste et la diversité terrestre. En même temps, à chaque nouvelle planète, il relance la curiosité de sa destinatrice, donc du lecteur : il a donc relevé le défi lancé dans sa Préface, transmettre des connaissances scientifiques à une femme non initiée, donc satisfaire l’intérêt des lecteurs, du moins de ceux qui sont curieux d’en savoir plus sur l’univers.

Étude d’ensemble : Le discours sur la science 

Pour se reporter à l'étude d'ensemble

À ce stade de l’étude, il est possible, dans un premier temps, de récapituler les connaissances cosmologiques transmises par celui qui cherche à instruire sa destinatrice. Mais l’intérêt de leur dialogue va bien au-delà, d’abord parce qu’il cherche surtout à transmettre une démarche fondée sur la raison, mais surtout par les rôles qu’il assigne ainsi à la science, qui ouvre une réflexion sur la société, sur la morale. Enfin, les extraits expliqués permettent de mesurer les procédés mis en œuvre par Fontenelle pour persuader la marquise, la connivence  créée entre les deux interlocuteurs, la vivacité du dialogue, et l’alternance des exposés rigoureux et des élans de l’imagination, visionnaire voire poétique.

Science

Lecture cursive : le "Cinquième soir", de "Les mondes voisins..." à "...quand on voudra." 

Pour lire l'extrait

Dans le cinquième entretien, le philosophe poursuit son exposé en dépeignant les tourbillons, autant d’espaces stellaires, puis il s’intéresse plus précisément à la voie lactée, avant d’en arriver aux comètes. Comment leur description illustre-t-elle la double volonté de l’auteur, instruire et plaire ?

La personnification

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Pour introduire ce sujet, le philosophe personnifie l’univers, auquel il prête les relations diplomatiques qui unissent les nations : « Les mondes voisins nous envoient quelquefois visiter, et même assez magnifiquement. » Ainsi les comètes sont plaisamment transformées en ambassadeurs, dont l’équipage peut éblouir comme ce fut le cas lors de l’ambassade de Soliman Aga envoyé par le sultan de Turquie auprès de Louis XIV en 1669 : « Il nous en vient des comètes, qui sont ornées, ou d’une chevelure éclatante, ou d’une barbe vénérable, ou d’une queue majestueuse. » La marquise rentre dans ce jeu par son exclamation, « Ah ! quels députés ! dit-elle en riant. »

L’ambassade de Soliman Aga auprès de Louis XIV en 1669. Gravure, BnF

L’ambassade de Soliman Aga auprès de Louis XIV en 1669. Gravure, BnF
comete1680.jpg

Mais elle représente la croyance populaire, remontant à l’antiquité, qui fait des comètes des présages effrayants, comme ce fut le cas de la "comète de Kirch", du nom de l’astronome qui l’a observée en novembre 1680 peu avant l’écriture du dialogue, comme le rappelle la marquise : « On se passerait bien de leur visite, elle ne sert qu’à faire peur. » Le philosophe s’emploie alors à détruire cette peur superstitieuse : « Ils ne font peur qu’aux enfants, répliquai-je, à cause de leur équipage extraordinaire ; mais les enfants sont en grand nombre. »

La comète de Kirch, en 1680. Gravure allemande de 1707

De la science à l'imaginaire

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Depuis Aristote, la science a multiplié les théories sur la nature et la trajectoire des comètes, et Fontenelle, lui, suit celle développée par Descartes dans son Discours sur les comètes, paru en 1637, en lien avec sa conception des « tourbillons » : « Les comètes ne sont que des planètes qui appartiennent à un tourbillon voisin. » Par la négation restrictive, il banalise ce phénomène par l’explication scientifique qui rend totalement rationnelle la forme de la comète : « Elles avaient leur mouvement vers ses extrémités ; mais ce tourbillon étant peut-être différemment pressé par ceux qui l’environnent, est plus rond par en haut, et plus plat par en-bas, et c’est par en-bas qu’il nous regarde. »

Frontispice de Johannis Hevelii, Cometographia totam naturam cometarum, 1668 : Aristote, Keppler et Hevelius. Observatoire de Paris

Mais, par l’action prêtée au tourbillon, « il nous regarde », lui-même ne donne-t-il pas l’image d’une humanité terrestre qui serait observée par tout l’univers ? De même, en exposant sa trajectoire, il dote la comète d’une faculté de réfléchir, alors même qu’elles ne peuvent décider librement : « Ces planètes, qui auront commencé vers le haut à se mouvoir en cercle, ne prévoyaient pas qu’en bas le tourbillon leur manquerait, parce qu’il est là comme écrasé, et, pour continuer leur mouvement circulaire, il faut nécessairement qu’elles entrent dans un autre tourbillon, que je suppose qui est le nôtre, et qu’elles en coupent les extrémités. »

Frontispice de Johannis Hevelii, Cometographia totam naturam cometarum, 1668 : Aristote, Keppler et Hevelius. Observatoire de Paris 

Finalement, l’univers est régi par des lois, dont la nécessité est impérative. Mais l’homme ne les maîtrise pas totalement, d’où le maintien des hypothèses, « je suppose », ou ensuite « on peut croire » : « Aussi sont-elles toujours fort élevées à notre égard, on peut croire qu’elles marchent au-dessus de Saturne. Il est nécessaire, vu la prodigieuse distance des étoiles fixes, que, depuis Saturne jusqu’aux extrémités de notre tourbillon, il y ait un grand espace vide, et sans planètes. »

Fontenelle rappelle alors la querelle qui a animé tout le XVIIème siècle autour de la notion de "vide", dont l’existence était niée depuis Aristote, considérant que la nature a « horreur du vide », tandis que d’autres, tels Héraclite, Démocrite, ou encore Épicure, acceptaient le vide animé par les atomes. Or, plusieurs expériences, au milieu du XVIIème siècle, viennent démontrer l’existence du vide, d’où la riposte que Fontenelle lance, à la suite de Descartes : « Nos ennemis nous reprochent l’inutilité de ce grand espace. Qu’ils ne s’inquiètent plus, nous en avons trouvé l’usage, c’est l’appartement des planètes étrangères qui entrent dans notre monde. » Riposte plaisante car, à nouveau, le lexique compare l’infini spatial au monde humain : le vide serait un domicile offert à ces visiteurs que sont les comètes.

Un dialogue humoristique

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Cette présentation amène la marquise à reprendre la comparaison initiale, qui permet donc de concrétiser le discours scientifique plus abstrait : « J’entends, dit-elle. Nous ne leur permettons pas d’entrer jusque dans le cœur de notre tourbillon, et de se mêler avec nos planètes, nous les recevons comme le Grand Seigneur reçoit les ambassadeurs qu’on lui envoie. Il ne leur fait pas l’honneur de les loger à Constantinople, mais seulement dans un faubourg de la ville. » Le philosophe prolonge encore la comparaison : « Nous avons encore cela de commun avec les Ottomans, repris-je, qu’ils reçoivent des ambassadeurs sans en renvoyer, et que nous ne renvoyons point de nos planètes aux mondes voisins. » Mais, à nouveau, il personnifie la planète terre en la dotant d’un pouvoir décisionnel, d’où le commentaire de la marquise sur ce prétendu refus d’envoyer des « ambassadeurs » : « À en juger par toutes ces choses, répliqua-t-elle, nous sommes bien fiers. »

La superstition démasquée

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Mais la superstition est tenace, et la marquise reste réticente : « Cependant je ne sais pas trop encore ce que j’en dois croire. Ces planètes étrangères ont un air bien menaçant avec leurs queues et leurs barbes, et peut-être on nous les envoie pour nous insulter ». Elle maintient cette personnification, d’autant plus plaisante quand elle I’inverse, comme si chaque planète devait entrer en compétition avec ses voisines : « au lieu que les nôtres qui ne sont pas faites de la même manière, ne seraient pas si propres à se faire craindre, quand elles iraient dans les autres mondes. »

Les négations, restrictive ou absolue, dans la réponse du philosophe, « Les queues et les barbes, répondis-je, ne sont que de pures apparences. Les planètes étrangères ne diffèrent en rien des nôtres », attribuent toujours le même rôle à la science :  rassurer par les explications apportées. Mais le philosophe reconnaît que la science ne sait pas tout : « mais en entrant dans notre tourbillon elles prennent la queue ou la barbe par une certaine sorte d’illumination qu’elles reçoivent du Soleil, et qui entre nous n’a pas encore été trop bien expliquée, mais toujours on est sûr qu’il ne s’agit que d’une espèce d’illumination ». Le lexique soutient cet aveu qui a le mérite de l’honnêteté, mais le futur dans sa conclusion « on la devinera quand on pourra », montre sa confiance dans le progrès : il reste persuadé que la raison humaine peut dépasser les limites actuelles.

Pour conclure

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Cet extrait illustre parfaitement le double objectif que s’est fixé Fontenelle dans sa préface. Il cherche à instruire grâce au discours scientifique, qui, permet, de ce fait, de lutter contre les préjugés et les superstitions d’une interlocutrice qui représente l’opinion commune. Mais il doit aussi séduire, car le discours scientifique peut paraître aride, d’où les personnifications plaisantes qui donnent vie aux abstractions. Tout le dialogue progresse donc sur la connivence divertissante qui se crée ainsi entre les deux interllocuteurs, et qui entraîne le lecteur.

Explication : "Cinquième soir" de "Mais, reprit-elle,..." à "...les étoiles fixes !

Pour lire l'extrait

Dans ce cinquième entretien, après avoir présenté les planètes – et leurs habitants – et la théorie cartésienne des tourbillons, le discours en arrive aux plus "petits" des éléments célestes, comme l’indique le titre : « Que les étoiles fixes sont autant de Soleils, dont chacun éclaire un monde. » La curiosité de la marquise n’a fait que croître au cours de son voyage de planète en planète : « La Marquise sentit une vraie impatience de savoir ce que les étoiles fixes deviendraient. Seront-elles habitées comme les planètes ? me dit-elle. Ne le seront-elles pas ? Enfin qu’en ferons-nous ? » Mais cette curiosité, qui révèle sa prise de conscience de l’immensité de l’univers, encore mystérieux, provoque en elle des réactions face auxquelles le philosophe, à son tour, tente de répondre. Quelle place le dialogue attribue-t-il à l’homme dans l’univers ?

5ème soir

Première partie : le trouble de la marquise (du début à la ligne 7) 

En réponse à la curiosité de la marquise sur les « étoiles fixes », la réponse du philosophe a confirmé l’immensité de l’espace céleste : « Les voilà donc lumineuses par elles-mêmes, et toutes, en un mot, autant de Soleils. » Si les étoiles brillent par elles-mêmes et non pas par réflexion du Soleil, la conséquence logique est que chacune puisse être le centre d’un système planétaire, ce que Descartes nommait « tourbillon ». L’univers se trouve ainsi infiniment élargi, en faisant naître une multitude de mondes possibles. Il suscite ainsi un véritable vertige chez son interlocutrice, qui est comme prise d’effroi, en se sentant réduite au néant au sein de cet univers si vaste : « Mais, reprit-elle, voilà l’univers si grand que je m’y perds, je ne sais plus où je suis, je ne suis plus rien. »

Flammarion, « entre terre et ciel », Urbi et orbi, 1888. Gravure sur bois, colorisée

Flammarion, « entre terre et ciel », Urbi et orbi, 1888. Gravure sur bois, colorisée

Son trouble se traduit par l’interjection indignée et la multiplication des questions, en gradation :

  • La première, « Quoi, tout sera divisé en tourbillons jetés confusément les uns parmi les autres ? », souligne le fractionnement de l’univers, qui semble ainsi plongé dans le désordre.

  • La deuxième reprend ce fractionnement, mais en agrandissant encore l’univers en fonction des myriades d’étoiles, d’où l’hypothèse qui accentue le mystère : « Chaque étoile sera le centre d’un tourbillon, peut-être aussi grand que celui où nous sommes ? »

  • La négation restrictive dans la troisième, « Tout cet espace immense qui comprend notre Soleil et nos planètes, ne sera qu’une petite parcelle de l’univers ? », souligne l’antithèse qui introduit l’idée d’un univers au-delà encore du visible.

  • La dernière, non verbale, « Autant d’espaces pareils que d’étoiles fixes ? » ferme avec force cette hypothèse, et conduit la marquise à exprimer un bouleversement qui va jusqu’à l’effroi : « Cela me confond, me trouble, m’épouvante. »

Comment ne pas penser ici à Pascal, qui dans ses Pensées, dépeint ce même vertige de l’homme face à l’infini ?

Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui‑même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard de celui que ces astres, qui roulent dans le firmament, embrassent. Mais si notre vue s’arrête là que l’imagination passe outre, elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en approche, nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part.

Comme la marquise, c’était l’effroi que formulait alors Pascal : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ».

Deuxième partie : la réaction du philosophe (des lignes 7 à 20) 

L'exaltation

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Le philosophe riposte en s’opposant catégoriquement à cet effroi : « Et moi, répondis-je, cela me met à mon aise. » Pour se justifier, il revient sur l’opposition des deux systèmes cosmologiques, en reprenant celui de Ptolémée, avec le géocentrisme qui apportait, certes, une forme de sécurité en fixant un cadre précis. Mais la négation restrictive, comme le verbe « clouer », indique déjà une critique, un univers excessivement réduit : « Quand le ciel n’était que cette voûte bleue, où les étoiles étaient clouées, l’univers me paraissait petit et étroit, je m’y sentais comme oppressé ». D’où l’impression d’emprisonnement alors ressentie. 

Par opposition, la cosmologie de son époque, en élargissant l’univers, apporte une liberté sur laquelle les comparatifs insistent : « présentement qu’on a donné infiniment plus d’étendue et de profondeur à cette voûte en la partageant en mille et mille tourbillons, il me semble que je respire avec plus de liberté, et que je suis dans un plus grand air ». Il va même loin en remplaçant l’effroi par l’émerveillement : « et assurément l’univers a toute une autre magnificence. »

La magnificence de l'espace infini

L'émerveillement

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Le philosophe, loin de se sentir insignifiant, s’enflamme face à la grandeur de l’univers dont il fait partie : « La nature n’a rien épargné en le produisant, elle a fait une profusion de richesses tout à fait digne d’elle. » Son éloge vibrant s’accentue à la fois en raison de la diversité des éléments célestes et de l’ordre qui les organise : « Rien n’est si beau à se représenter que ce nombre prodigieux de tourbillons, dont le milieu est occupé par un Soleil qui fait tourner des planètes autour de lui. »

La magnificence de l'espace infini

De plus, en généralisant « les habitants » dans chaque planète, malgré leur vue limitée qui rend certaines planètes invisibles, celles qui, « n’ayant qu’une lumière faible, empruntée de leur Soleil, ne la poussent point au-delà de leur monde », il montre que l’invisibilité, au lieu de l’effrayer, accroît encore son admiration puisque cela prouve que, même si le mystère subsiste, l'homme est capable d’exercer sa raison et de développer son imagination pour formuler des hypothèses. C’est donc un signe de sa grandeur et non pas de sa faiblesse

Troisième partie : les limites humaines (de la ligne 21 à la fin) 

Un univers infini

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Dans ce passage, la prise de parole de la marquise s’allonge, preuve de ses progrès dans la connaissance qui la rendent capable de protester. Sa protestation repose sur la limite de sa vision, marquée par l’énumération en decrescendo, qui empêche sa raison d’adhérer à la théorie proposée : « Vous m’offrez, dit-elle, une espèce de perspective si longue, que la vue n’en peut attraper le bout. Je vois clairement les habitants de la Terre, ensuite vous me faites voir ceux de la Lune et des autres planètes de notre tourbillon, assez clairement à la vérité, mais moins que ceux de la Terre ; après eux viennent les habitants des planètes des autres tourbillons. »

Odilon Redon, « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », 1870. Dessin, 22,2 x 27,2. Musée du Petit Palais

Odilon Redon, « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », 1870. Dessin, 22,2 x 27,2. Musée du Petit Palais

L’interlocutrice contredit ici Descartes, en considérant que la raison ne suffit pas ; pour elle, les sens sont la source même de la connaissance : « Je vous avoue qu’ils sont tout à fait dans l’enfoncement, et que, quelque effort que je fasse pour les voir, je ne les aperçois presque point. » Elle se justifie par sa question rhétorique, qui accuse alors le philosophe de son incapacité à caractériser précisément tous ces êtres qui peupleraient l’univers, en leur attribuant un nom précis : « Et, en effet, ne sont-ils pas presque anéantis par l’expression même dont vous êtes obligé de vous servir en parlant d’eux ? Il faut que vous les appeliez les habitants d’une des planètes de l’un de ces tourbillons dont le nombre est infini. »

Le refus

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De ce constat, elle tire une conséquence : « Nous-mêmes, à qui la même expression convient, avouez que vous ne sauriez presque plus nous démêler au milieu de tant de mondes. » Sa conclusion la conduit à l’extrême, un refus de la connaissance, car, finalement, la connaissance fait peur : « Pour moi, je commence à voir la Terre si effroyablement petite, que je ne crois pas avoir désormais d’empressement pour aucune chose. » Elle en arrive à remettre en cause la démarche scientifique elle-même : « Assurément, si on a tant d’ardeur de s’agrandir, si on fait desseins sur desseins, si on se donne tant de peine, c’est que l’on ne connaît pas les tourbillons. » Son triple reproche souligne l’orgueil humain, qui, en fait, ne fait reposer son savoir que sur des hypothèses, pour masquer la réalité : son ignorance. Plaisamment, par un trait d’esprit, elle se met en scène dans un salon mondain et pose un ultime paradoxe : « Je prétends bien que ma paresse profite de mes nouvelles lumières, et quand on me reprochera mon indolence, je répondrai : Ah ! si vous saviez ce que c’est que les étoiles fixes ! » Le savoir acquis lui permet cette exclamation qui la place en position de supériorité face à un reproche mais, en même temps, lui sert à justifier  pleinement son refus d'en apprendre davantage, provoquant « paresse » et « indolence ». À quoi bon apprendre, si cet apprentissage reste incertain, et finit par provoquer le sentiment de son insignifiance devant l’infini ? Autant accepter l’ignorance…

CONCLUSION

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Au fur et à mesure des entretiens, la marquise progresse dans son savoir, et prend davantage la parole qu’au début, où elle se limitait souvent à de simples questions ou à une brève contestation. À présent, elle tire un bilan de son savoir en exprimant son émotion, le vertige éprouvé devant cet espace céleste infini qui la renvoie à sa petitesse : l’homme n’est pas grand-chose dans l’univers, et cette insignifiance est source d’angoisse pour elle. Face à elle, porte-parole de Fontenelle, le philosophe ressent, au contraire, une libération car son savoir accru d’une part le délivre de toutes les superstitions, telles celles sur les comètes ; d’autre part, il mesure ainsi la puissance de sa raison qui lui permet de comprendre les « mécanismes » jusqu’alors secrets. Enfin, même si, à aucun moment, Fontenelle ne fait référence à un dieu créateur, et même si l’homme n’est plus le centre de l’univers créé, cela ne l’empêche pas d’admirer la grandeur et la beauté du monde. Il illustre ainsi l’optimisme qui va s’affirmer au siècle des Lumières.

Conclusion sur le parcours 

Travail d'écriture : l'essai 

Sujet : Comment pourriez-vous justifier l’ajout du « Sixième soir » ?

L’essai est un des sujets proposés à l’écrit de l’épreuve du baccalauréat pour les sections technologiques. La formulation de ce sujet n’offre pas le choix de nier tout intérêt à ce dernier entretien ; il oblige, au contraire, à le « justifier », en cherchant les raisons qui ont pu conduire Fontenelle à cet ajout.

Un essai ressemble à une dissertation par sa construction : une introduction, un développement structuré et une conclusion. Mais il reste beaucoup plus bref tout en conservant la rigueur d’une démonstration : chaque paragraphe s’ouvre en posant l’argument, ensuite prouvé par l’analyse, ici appuyée par des exemples pris dans le texte-support.

Pour voir la proposition de rédaction 
Conclusion

Bilan sur la problématique 

Rappelons la problématique qui a guidé ce parcours dans l’œuvre : Comment Fontenelle illustre-t-il le désir de diffuser plus largement les connaissances scientifiques naissant à l’aube des « Lumières » ? Les études d’ensemble et les explications ont permis de mettre en évidence le double aspect du dialogue, fondé sur le désir d’instruire et de plaire.

Les connaissances

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L’instruction scientifique

Contrairement à l’époque de l’écriture où ces connaissances sont encore récentes, le lecteur actuel distingue très nettement celles qui sont déjà posées avec certitude, car elles peuvent être démontrées mathématiquement ou par des expériences, par exemple l’héliocentrisme pour remplacer l’ancien système géocentrique de Ptolémée, les mesures des distances et des mouvements des planètes, la théorie du « vide » ou même, dans le dernier entretien, l’idée de l’évolution des planètes, et celles qui relèvent de la pure hypothèse, tout particulièrement les habitants censés peupler les planètes, ou ont été démenties depuis lors, tels ces "tourbillons" de Descartes.

En même temps, elles offrent l’intérêt de détruire les préjugés et les superstitions, soutenus par les textes religieux, transmis aussi par les récits mythologiques et encore très présents au XVIIème siècle dans les croyances populaires. Mais Fontenelle reste fort actuel : si nous interrogeons notre propre époque, n’existe-t-il pas encore aujourd’hui des gens persuadés que la terre, non seulement est au centre de l’univers, mais est plate, et qui rejettent toute théorie évolutionniste ou relativiste ?

Une réflexion élargie

Mais nous avons pu aussi constater que, très souvent, l’apprentissage va au-delà du savoir scientifique pour amener à réfléchir sur le fonctionnement de la société et sur la nature même de l’homme : la part de sa raison, de son  imagination, la place prise par ses fantasmes et ses peurs auxquels le philosophe répond par l’optimiste de sa foi dans les progrès humains.

Les choix d’écriture pour « diffuser plus largement » le savoir

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Le choix initial est celui du dialogue, dont nous avons pu observer l’avantage : les questions, les réticences, les objections de la marquise entrecoupent l’exposé didactique en le rendant plus vivant. Ses réactions, et notamment son approche affective et émotive, obligent aussi le philosophe à mettre son discours à sa portée en le concrétisant par des comparaisons nombreuses et des exemples concrets empruntés aux réalités de cette femme du monde, telle, dans le premier entretien, celle de l’univers transformé en un spectacle d’opéra dont les « machines » restent cachées alors même qu’elles régissent tout son fonctionnement. On pense aussi aux habitants de Vénus, comparés aux héros des romans précieux, ou aux comètes qui se changent en ambassadeurs venus en visite.

Fontenelle a su créer une véritable connivence entre les deux interlocuteurs, qui échangent des traits d’esprit plaisants, ironisent et font preuve d’humour : suivant ce voyage de planète en planète, le lecteur peut ainsi sourire des portraits plaisants, par exemple des habitants de la lune.​

Parcours associé : "Le goût de la science" 

Parcours associé
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