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Bernard Le Bouyer de Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686-1687

Louis Galloche, Portrait de Bernard Le Bouyer de Fontenelle, 1723. Huile sur toile, 128 x 96. Musée du château de Versailles

Bernard Le Bouyer de Fontenelle (1657-1757) :  au confluent de deux siècles 

Cent ans… une longévité impressionnante à cette époque, et qui fait de Fontenelle un représentant, à la fois du siècle "classique", dont il épouse le double objectif comme il l’affirme dans sa Préface aux Entretiens sur la pluralité des mondes, parus en 1686, « J’avertis ceux à qui ces matières sont nouvelles, que j’ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble », et du "siècle des Lumières", par son approche philosophique et scientifique.

Des débuts littéraires diversifiés

Neveu par sa mère de deux auteurs dramatiques, Pierre Corneille et son frère Thomas, il rejoint à Paris Thomas, alors rédacteur de la revue littéraire Le Mercure galant, où il fait paraître d’abord quelques poèmes, avant de et se lancer dans le théâtre. Mais ses premières œuvres, la tragédie, Psyché (1678), puis la tragédie lyrique, Bellérophon (1679), ne connaissent pas un grand succès, pas plus qu’Aspar (1680) qui ne reçoit que des sifflets et n’a jamais été imprimée. Ses essais dans l’opéra, par exemple avec Thétis et Pélée, en 1689, n’ont pas été plus réussis…  

Louis Galloche, Portrait de Bernard Le Bouyer de Fontenelle, 1723. Huile sur toile, 128 x 96. Musée du château de Versailles

Cette approche de "touche à tout" lui a valu bien des critiques, telles celles de La Bruyère qui fait de lui, dans ses Caractères, le modèle du « bel esprit » : « Prose, vers, que voulez-vous ? Il réussit également en l’un et en l’autre. Demandez-lui des lettres de consolation, ou sur une absence, il les entreprendra ; prenez-les toutes faites et entrez dans son magasin, il y a à choisir. » (« De la Société et de la Conversation ») Mais dans la Querelle des Anciens et des Modernes, il a aussi pris parti nettement pour les Modernes, leur reconnaissant une valeur égale à celle des auteurs grecs et latins ce qui lui vaut, entre autres, les reproches de Racine et de Boileau, quatre refus à son entrée à l’Académie française où il n’est admis qu’en 1691.

L'homme de science

Mais Fontenelle est aussi, comme bien de ses contemporains, un homme qui fréquente les salons mondains de son époque, notamment celui ouvert en 1712 par Alexandrine Guérin de Tencin (1726-1749), modèle de libertinage, dont il fut un des amants. Dans ce salon circulent les idées des Lumières, aussi bien en matière politique qu’économique ou scientifique, et il accueille de nombreux invités prestigieux, tels Montesquieu ou Marivaux, la marquise de Pompadour ou le peintre Boucher. Dans les Entretiens, l’interlocutrice du philosophe, restée anonyme, est identifiée à Madame de la Mésangère, fille de la marquise de La Sablière qui tenait elle aussi un salon où se rencontrent hommes de lettres, tels Boileau, Molière, La Fontaine, Perrault, Racine, mais aussi des scientifiques, comme le mathématicien et astronome Gassendi.

Jean-François de Troy, Lecture de Molière, vers 1728. Huile sur toile, 74 x 93. Collection particulière

Jean-François de Troy, Lecture de Molière, vers 1728

Le tournant dans la carrière de Fontenelle intervient après la publication des Entretiens sur la pluralité des mondes, ouvrage auquel Pierre Flourens, historien des sciences, rend hommage : il « a le double mérite d’éclaircir ce qu’il peut y avoir d’obscur dans les travaux de ceux qu’il loue, et de généraliser ce qu’ils ont de technique ; et celui de louer toujours chacun d’eux par ce qu’il nous a laissé de plus important et de plus durable. », « Homme d’esprit, il connaît suffisamment les sciences pour en parler agréablement et exactement, mais il n’entre pas assez profondément dans son sujet au point de devenir abstrait et obscur ». Un an plus tard, Fontenelle fait paraître Histoire des oracles, qui, en repartant de l’antique oracle de Delphes, affirme à nouveau son approche scientifique et son rationalisme. Il devient secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des ciences de 1697 à 1740, et, à ce titre, rédige régulièrement la partie « Histoire » d’Histoire et Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, recueil annuel des travaux les plus importants qui vise à vulgariser les travaux scientifiques de plus en plus complexes pour des lecteurs cultivés, curieux de tout ce qui relève de la science, de la biologie à la botanique et à la physique.

C’était le discret Fontenelle,
Qui, par les beaux-arts entouré,
Répandait sur eux à son gré
Une clarté vive et nouvelle.
D’une planète, à tire-d’aile,
En ce moment il revenait

Dans ces lieux où le goût tenait
Le siège heureux de son empire.
Avec Mairan il raisonnait,
Avec Quinault il badinait ;
D’une main légère il prenait
Le compas, la plume et la lyre.

Ainsi Voltaire propose, dans Le Temple du goût (1733), un portrait de Fontenelle, rendant rend compte de la diversité de son œuvre et fait de lui un parfait représentant de ces écrivains des "Lumières" qui, comme les Encyclopédistes, s’intéressent à tous les domaines de la connaissance dans leur volonté d’"éclairer" leurs contemporains

Le contexte socio-historique et culturel 

L'évolution de la société  

Sous le règne de Louis XIV

Les Entretiens de Fontenelle paraissent à la fin du XVIIème siècle, sous le règne de Louis XIV, qui va de son apogée du règne de Louis XIV, marquée par l’installation de la cour à Versailles, en mai 1682, à son déclin, en raison, notamment, des guerres qui ruinent le trésor royal et des conflits religieux, entre Jésuites et jansénistes et surtout entre catholiques et protestants, relancé par la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. L’Église continue à exercer une censure stricte, qui explique la prudence de Fontenelle pour évoquer l’idée que puissent exister des habitants sur d’autres planètes…

Contexte
En savoir plus sur le règne de Louis XIV
Nicolas Robert, La Guirlande de Julie, XVII° siècle, miniature

À cette même époque se développe la Préciosité dans les salons tenus par des femmes cultivées, tels ceux de Madame de Rambouillet, de Mesdemoiselles de Montpensier ou de Scudéry. Elles réunissent de "beaux esprits", pour pratiquer l'art de la conversation, lire des poèmes, écouter de la musique... L'amour est leur thème de prédilection, objet des analyses les plus subtiles mais un amour raffiné, épuré de toute dimension sensuelle, sublimé. Ce courant s'oppose à la nature brute, aux instincts, en réclamant des comportements, des manières et un langage plus raffinés. La galanterie devient alors le mode relationnel entre un homme et une femme, comme on peut le constater à plusieurs reprises dans la conversation de Fontenelle avec sa destinatrice, à laquelle il adresse de fréquents compliments et des discours flatteurs.

Nicolas Robert, La Guirlande de Julie, XVII° siècle, miniature

Le temps de la Régence et le règne de Louis XV

À la mort de Louis XIV, en 1715, la Régence de Philippe d’Orléans connaît un important essor économique, donc une époque fastueuse pour les privilégiés qui donnent alors libre-cours au libertinage. L’arrivée au pouvoir de Louis XV, en 1723, rend ce libertinage plus discret, mais poursuit le développement économique. Paris remplace peu à peu Versailles, et le pouvoir passe progressivement de la noblesse ancienne à une nouvelle noblesse, des parvenus enrichis, par le commerce, parfois par la spéculation, qui ont pu s'acheter une charge et un titre, et à une riche bourgeoisie, plus cultivée souvent, et plus libérale. La vie élégante se poursuit pour les privilégiés, et les salons mondains, comme ceux de Mme Du Deffand, de Mme de Tencin ou de Mme Geoffrin, témoignent de la vitalité des idées. 

Ainsi les salons, eux aussi, témoignent de ce siècle, où s'échangent, entre artistes, philosophes, savants, financiers, les idées les plus audacieuses. On s'y montre souvent fort critique des pouvoirs institutionnels, et les livres interdits y circulent.  Quoique'écrit à la fin du XVIIème siècle, l'ouvrage de Fontenelle, par son choix de conversations entre lui et son élégante destinatrice, désireuse de s’instruire et capable de formuler des commentaires pertinents, voire parfois des objections, annonce ce qu’on nommera "l’esprit des Lumières". Il illustre la volonté de sortir la population des "ténèbres" de l'ignorance, donc de diffuser largement les connaissances afin d'"éclairer", y compris sur les questions les plus complexes, notamment scientifiques.

Le frontispice de l'Encyclopédie, gravure de Prévost, 1751. BnF

Le frontispice de l'Encyclopédie, gravure de Prévost, 1751. BnF

L'évolution de la science 

En savoir plus sur les " Lumières"

Un nouvel élan

H. Testelin, Colbert présente à Louis XIV les membres de l'Académie royale des sciences créée en 1667, vers 1670. Huile sur toile, 348 x 590. Châteaux de Versailles et de Trianon.

H. Testelin, Colbert présente à Louis XIV les membres de l'Académie royale des sciences créée en 1667, vers 1670. Huile sur toile, 348 x 590. Châteaux de Versailles et de Trianon

Au XVII° siècle, la circulation des idées scientifiques s'accentue, notamment grâce aux traductions, telle celle des textes de Galilée par Marin Marsenne. Le pouvoir royal soutient l'activité scientifique, par la création de l'Académie royale des sciences, dans laquelle Fontenelle va jouer un rôle important pour en diffuser les travaux, et celle de l'Observatoire. Colbert, en effet, a très vite compris le profit à tirer de ces avancées scientifiques dans le domaine technique, par exemple pour le fonctionnement des manufactures, dans l'amélioration des transports, de la marine et, bien sûr, dans l'art militaire.

L'expérience de Pascal sur la mesure de la pression atmosphérique au sommet du Puy de Dôme en 1718 in L. Figuier, Les Merveilles de la science, 1867-1869

L'expérience de Pascal sur la mesure de la pression atmosphérique au sommet du Puy de Dôme en 1718 in L. Figuier, Les Merveilles de la science, 1867-1869

De plus, l'approche scientifique se modifie : au lieu de professer des théories, de se limiter à la description des phénomènes, on les mesure, on les compare, on observe la nature, inanimée ou animée, de l'homme aux micro-organismes. L'expérimentation s'impose, puis on lui applique des calculs. Les mathématiques, en effet, progressent : Fermat fonde l'arithmétique moderne, renouvelle l'algèbre, et pose la théorie des nombres, complétée par Descartes et Roberval, plus connu pour son invention de la balance. De la correspondance entre Pascal et Fermat naissent le calcul infinitésimal et le calcul des probabilités. Desargues, lui, étudie la géométrie pure. Ces travaux entraînent les progrès de la physique, dont l’ouvrage de Fontenelle montre toute l’importance. Descartes, Pascal, avec ses mesures de la pression atmosphérique, Roberval, Mariotte, Denis Papin, l'enrichissent en étudiant, entre autres, la dynamique, l'astronomie, l'optique... 

L'astronomie au XVIIème siècle

Les Entretiens de Fontenelle débutent par le rappel de la théorie de Copernic qui détruit le géocentrisme hérité du système de Ptolémée. Avec les premières observations de Galilée, en 1610, l’astronomie optique reprend son essor et les astronomes partent à la découverte du système solaire, grâce au perfectionnement des instruments, en particulier des lunettes. Dans les Entretiens, pour soutenir ses affirmations, l’auteur prend d'ailleurs soin de toujours s’appuyer sur les observations permettant des mesures précises. 

Ainsi, à partir d’une expédition en Guyane, décidée en 1672 par l’Académie des Sciences à la demande de l’astronome Giovanni Cassini et dirigée par l’astronome Jean Richer, il relate une avancée importante, la mesure de la distance entre la Terre et le Soleil jusqu’alors évaluée de façon variable, sans certitude. La publication du rapport officiel de Richer, en 1679, Observations astronomiques et physiques faites en l’isle de Caienne, avait, en effet, apporté à Cassini les informations qui lui ont permis de réaliser les calculs et d’annoncer, en 1684, que le Soleil se trouvait à 140 millions de kilomètres de la terre, très proche donc de la véritable distance d’environ 150 millions ultérieurement prouvée. Par les questions et la curiosité de l'interlocutrice, la conversation entre elle et l’auteur apporte la preuve que ces découvertes sur le système solaire passionnent alors le public cultivé.

Thomassin, L'observatoire de Paris et la tour de Marly au temps de Cassini, vers 1705. Gravure 

Pour en savoir plus
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Présentation des Entretiens sur la pluralité des mondes 

Pour lire l’œuvre

La genèse de  l’œuvre 

Lieve Verschuler, Comète au-dessus de Rotterdam, 1680. Huile sur panneau, 25,5 x 32,5. Musée de Rotterdam

Lieve Verschuler, Comète au-dessus de Rotterdam, 1680. Huile sur panneau, 25,5 x 32,5. Musée de Rotterdam

L’œuvre paraît en deux temps : en 1687, Fontenelle ajoute un sixième entretien au cinq qui constituent l’édition initiale en 1686. Il effectue quelques changements et introduit un sous-titre pour chaque entretien.

Fontenelle a certainement eu plusieurs sources d’inspiration, à commencer par l’intérêt mais aussi la peur suscités par l’apparition d’une comète en 1686, phénomène auquel il consacre un long passage dans l’entretien du « cinquième soir ». Deux ouvrages ont soutenu son choix :

         De John Wilkins, Discovery of a New Word (1638) et Discours lending to prove that is probable our Earth is one of the Planets (1640), regroupés et librement traduits en français et publié à Rouen en 1655. Fontenelle lui emprunte sa démarche, ses scrupules pour se prémunir d’une censure religieuse, et un bon nombre de ses arguments, par exemple pour souligner la similitude entre la Terre et la Lune ou son approche des planètes.

Présentation

         De Pierre Borel, Discours nouveau prouvant la pluralité des mondes, paru en 1657 à Genève, qui dresse un bilan de tous les arguments en faveur de cette thèse. Il ironise ainsi sur l’orgueil des humains « qui imaginent que le monde infini des corps célestes soit créé pour le globe terrestre », ce que reprend Fontanelle : « notre folie à nous autres est de croire que toute la nature est destinée à nos usages ».

À cela s’ajoute sa connaissance de Descartes aux théories duquel il adhère, au-delà du rationalisme, notamment à celle des « tourbillons » : excluant l’existence du vide, Descartes considère que le mouvement des planètes est dû à de grands tourbillons d’éther, qui les meuvent et déterminent. Cette théorie, qui nie pourtant la pesanteur affirmée par Galilée, est longuement reprise dans le quatrième entretien, et il faudra attendre la loi de gravitation de Newton pour qu’elle soit remise en cause.

Le titre 

Des "entretiens"

Quoique partisan des « Modernes », Fontenelle, par ses études de philosophie, a une parfaite connaissance des auteurs antiques, dont les œuvres prennent souvent la forme d’un dialogue, tels ceux de Platon qui met en pratique ce qu’il nomme la "maïeutique". Le dialogue, chez Platon, est, en effet, destiné à "accoucher" les esprits par le jeu des questions-réponses entre le philosophe et son interlocuteur. Les réactions de l’interlocuteur, et notamment ses objections, doivent lui permettre de construire lui-même la vérité, guidé progressivement par le philosophe. Il est ainsi plus vivant qu’un exposé théorique imposé.

De plus, ce genre littéraire correspond tout à fait à la pratique de la conversation à la mode dans les salons mondains où les idées les plus diverses s’échangent avec animation, et comme le fait Fontenelle avec son interlocutrice, sur le ton d’un badinage galant, propre à amuser le lecteur alors même que le sujet scientifique peut apparaître difficile.

Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686

La notion de "pluralité"

Dès l’antiquité l’idée de « pluralité des mondes » est introduite par Épicure (vers 341-270 av. J.-C.) dans sa Lettre à Hérodote : en posant sa théorie physique, atomiste, il considère que l'univers est infini avec des mondes en nombres infinis qui naissent et périssent.

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Cette théorie est reprise au XVIème siècle par Giordano Bruno (1548-1600), qui, dans L’Infini, l’Univers et les Mondes, publié en 1584, reprend et développe l’héliocentrisme de Copernic et tente de démontrer l’existence d’un univers infini : « Il n'existe dans l'univers ni centre, ni circonférence, mais, si vous voulez, tout est central et chaque point peut être considéré comme une partie d'une circonférence par rapport à quelque autre point central. » Théorie doublement dangereuse à cette époque. Elle contredit, en effet, la cosmologie d’Aristote qui affirme que le cosmos est formé de sphères centrées sur une Terre immobile, composée de deux régions distinctes : le monde sublunaire, formé de quatre éléments susceptibles de changements, et le monde supralunaire, entre la sphère lunaire et les étoiles fixes, formé d’un cinquième élément immuable, l’éther, et où se déplacent le Soleil et les planètes. Or Aristote, fondement de l'enseignement universitaire, offrait aussi l’avantage d’être conciliable avec la création relatée dans la Genèse biblique. Ainsi Giordano Bruno, arrêté par l’Inquisition en 1592, est accusé d’hérésie et de blasphème, torturé durant huit ans de procès, et condamné à mourir brûlé vif. D'où les précautions multipliées par Fontenelle dans sa Préface.

Johann Georg Mentzel, Portrait de Giordano Bruno, 1ère moitié du XVIIIème siècle. Gravure

Quels "mondes" ?

Il est évident qu’y ajouter l’idée que ces « mondes » puissent être habités est encore plus une hérésie religieuse, car cela remet en cause la création d’Adam et Ève. Pourtant, cette théorie remonte elle aussi à la lointaine antiquité, depuis un fragment attribué à Orphée : « Comme elles s'agitent dans l'immense univers, comme elles tourbillonnent et se cherchent, ces âmes innombrables qui jaillissent de la grande âme du Monde ! Elles tombent de planète en planète », jusqu’aux disciples de Thalès, comme Anaximandre, qui pense la Lune semblable à la Terre, suivi par Xénophane qui y fait vivre ses habitants dans de profondes vallées, puis par Pythagore et ses disciples dont Héraclite.

Démocrite, lui, considère que les mondes naissent et meurent et Anaxagore (500-428 av.J.-C.) imagine « d’autres terres qui produisent la subsistance nécessaire aux habitants ». À Rome, l’épicurien Lucrèce, dans son long poème De Natura Rerum, au Ier siècle av. J.-C., écrit à son tour : « il était incroyable au plus haut degré que cette Terre et le ciel soient les seuls qui aient été créés »…

La fiction s’est alors emparée de cette idée, mise au service de la satire :  dans ses Histoires vraies, Lucien de Samosate (vers 120-180) raconte un voyage imaginaire sur la Lune. Cet intérêt est relancé,  à la même époque que Fontenelle, par les deux publications posthumes des deux récits satiriques de Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655) : Histoire comique des États et Empires de la Lune (1657), suivi d’Histoire comique des États et Empires du Soleil (1662).

Frontispice d’Histoire comique des États et Empires de la Lune, Tome II de l’édition de 1709 à Amsterdam

La structure 

Frontispice d’Histoire comique des États et Empires de la Lune, Tome II de l’édition de 1709 à Amsterdam
Structure

La deuxième édition, en 1687, comporte six « soirs », six entretiens numérotés, un parcours dans l’univers dont les titres montrent la progression :

         Premier soir : Que la Terre est une Planète qui tourne sur elle-même, et autour du Soleil.

Il est logique de partir du lieu même où se déroule le dialogue, la Terre, ce qui permet de poser d’emblée l’opposition qui a modifié la conception même de l’univers, l’opposition entre le géocentrisme de Ptolémée et l’héliocentrisme de Copernic :

Figurez-vous un Allemand nommé Copernic, qui fait main basse sur tous ces cercles différents, et sur tous ces cieux solides qui avoient été imaginés par l’Antiquité. Il détruit les uns, il met les autres en pièces. Saisi d’une noble fureur d’astronome, il prend la Terre et l’envoie bien loin du centre de l’univers, où elle s’était placée, et dans ce centre, il y met le Soleil, à qui cet honneur était bien mieux dû.

Il annonce alors le sujet même de la conversation : « Mais, Madame, continuai-je, vous êtes si bien disposée à entrer dans tout ce que je veux vous dire, que je crois que je n’ai qu’à tirer le rideau et à vous montrer le monde.

         Second soir : Que la Lune est une Terre habitée

Le dialogue glisse, dans la logique de la situation des deux personnages, de la terre à l’observation de la lune, dont les rayons les éclairent. S’introduit alors l’idée qu’elle peut être habitée…

         Troisième soir : Particularités du Monde de la Lune. Que les autres Planètes sont habitées aussi.

Un élargissement progressif est annoncé : « Mais, Madame, continuons le voyage que nous avions entrepris de faire de planète en planète, nous avons assez exactement visité la Lune. » L’affirmation que « tout est vivant, tout est animé », conduit à s’interroger : pourquoi pas aussi les planètes ?

         Quatrième soir : Particularités des mondes de Vénus, de Mercure, de Mars, de Jupiter et de Saturne.

L’observation de l’univers se poursuit par la présentation des planètes l’une après l’autre, dans l’ordre annoncé. Elles sont dépeintes avec les « satellites » qui les entourent, grâce à la reprise de la théorie des « tourbillons » de Descartes.

         Cinquième soir : Que les étoiles fixes sont autant de Soleils, dont chacun éclaire un monde.

Il en arrive aux éléments les plus petits, les « étoiles », en soulignant les changements incessants dans l’univers, des disparitions mais aussi des créations. Il donne ainsi l’impression d’un univers infini, ce qui explique la conclusion de son interlocutrice : 

Mais, reprit-elle, voilà l’univers si grand que je m’y perds, je ne sais plus où je suis, je ne suis plus rien. Quoi, tout sera divisé en tourbillons jetés confusément les uns parmi les autres ? Chaque étoile sera le centre d’un tourbillon, peut-être aussi grand que celui où nous sommes ? Tout cet espace immense qui comprend notre Soleil et nos planètes, ne sera qu’une petite parcelle de l’univers ? Autant d’espaces pareils que d’étoiles fixes ? Cela me confond, me trouble, m’épouvante. 

Ainsi se terminait la première édition, mais l’auteur annonçait une suite : « Puisque j’ai rendu compte de ces Entretiens au public, je crois ne lui devoir plus rien cacher sur cette matière. Je publierai un nouvel Entretien qui vint longtemps après les autres, mais qui fut précisément de la même espèce. Il portera le nom de Soir, puisque les autres l’ont porté ; il vaut mieux que tout soit sous le même titre. »

         Sixième soir : Nouvelles pensées qui confirment celles des Entretiens précédents. Dernières découvertes qui ont été faites dans le Ciel.

Le titre insiste sur la volonté de prolonger les connaissances – malgré la difficulté de lutter contre les préjugés - mais aussi de les actualiser car « tout est en branle perpétuel, tout change », sur terre comme pour toutes les planètes. Il apporte donc de nouvelles preuves de l’irrégularité des mouvements célestes, avant de conclure : « Je viens de vous dire, répondis-je, toutes les nouvelles que je sais du ciel, et je ne crois pas qu’il y en ait de plus fraîches. »

Les titres mettent tous l’accent sur les connaissances scientifiques que Fontenelle, annonçant en cela le XVIIIème siècle, entreprend de transmettre. 

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Gustave Doré, Astolphe conduit dans la lune par saint Jean, 1879. Estampe in l’Arioste,  Roland furieux. BnF

Mais, dans chaque « soir », on observe de nombreuses digressions, tantôt littéraires comme le long commentaire sur le Roland furieux de l’Arioste à propos du voyage d’Astolphe sur la lune, dans le « second soir », tantôt biologiques comme le long passage sur les « abeilles », dans le « troisième », ou encore les multiples comparaisons qui, pour renforcer le raisonnement, transportent le lecteur d’un lieu à un autre, de Saint-Denis à la Chine, d’un animal à un autre, tel l’oiseau lumineux ou les éléphants… Il s’agit donc de d’offrir aussi au lecteur une lecture divertissante, afin de ne pas le lasser par une approche théorique.

Le cadre spatio-temporel 

Les lieux des rencontres

Dans son œuvre, Fontenelle préserve l’anonymat de son interlocutrice, dont il mentionne seulement le statut social de « marquise », qui explique le lieu de la rencontre, présenté rapidement dans la « Dédicace » à M. de L. : « Je sais bien qu’avant que d’entrer dans le détail des conversations que j’ai eues avec la Marquise, je serais en droit de vous décrire le château où elle était allée passer l’automne. On a souvent décrit des châteaux pour de moindres occasions ; mais je vous ferai grâce sur cela. » 

L’anonymat, en guise de protection, soutient l’effet de réel, mais sans doute s’agit-il de la marquise de La Mésangère (16, 58-1714), jeune veuve de Rouen, qui avait demandé à Fontenelle d’être le tuteur de ses enfants et qui passait chaque année l’été dans son château familial dans l’Eure, où Fontenelle a rédigé ses Entretiens. Il offrait, notamment, un vaste parc très probablement tracé par André Le Nôtre, évoqué au début du « premier soir » : « Nous allâmes donc un soir après souper nous promener dans le parc. Il faisait un frais délicieux, qui nous récompensait d’une journée fort chaude que nous avions essuyée. La lune était levée il y avait peut-être une heure et ses rayons, qui ne venaient à nous qu’entre les branches des arbres, faisaient un agréable mélange d’un blanc fort vif, avec tout ce vert qui paraissait noir. » Mais ce lieu, traditionnellement propice aux promenades galantes, favorise aussi le ton de badinage fréquent lors de cet échange. 

Le château de La Mésangère et son parc

Le château de La Mésangère et son parc

Le contraste est alors marqué avec le sixième entretien, ajouté : il ramène les deux personnages en ville, « j’allai un jour chez elle », rappelant ainsi le cadre des salons mondains.

La temporalité

Des "nocturnes"

De la même façon on note la différence entre le « sixième soir » où la conversation se déroule de jour – l’appellation « soir » n’étant là que par cohérence avec les titres précédents –, tandis que tous les autres sont des nocturnes, là encore comme pour évoquer une promenade sentimentale. « Nous n’eûmes les entretiens que le soir », précise-t-il dans la dédicace, et le premier entretien s’ouvre sur une description de ce décor, dont la clarté est propice à aborder le sujet, la nature du monde céleste :

Bernard Picart, un entretien nocturne, pour illustrer l’édition de 1729, La Haye 

Il n’y avait pas un nuage qui dérobât ou qui obscurcît la moindre étoile, elles étaient toutes d’un or pur et éclatant, et qui était encore relevé par le fond bleu où elles sont attachées. Ce spectacle me fit rêver ; et peut-être sans la Marquise eussé-je rêvé assez longtemps ; mais la présence d’une si aimable Dame ne me permit pas de m’abandonner à la Lune et aux étoiles. Ne trouvez-vous pas, lui dis-je, que le jour même n’est pas si beau qu’une belle nuit ? Oui, me répondit-elle, la beauté du jour est comme une beauté blonde qui a plus de brillant ; mais la beauté de la nuit est une beauté brune qui est plus touchante.

Bernard Picart, un entretien nocturne, pour illustrer l’édition de 1729, La Haye

Ce paysage nocturne permet, lui aussi, des élans poétiques qui tranchent avec la rigueur scientifique du sujet. Mais l’insistance, lors du dernier entretien sur la confidentialité à garder, « Contentons-nous d’être une petite troupe choisie qui les croyons, et ne divulguons pas nos mystères dans le peuple », explique aussi de choix de la nuit, particulièrement propice au secret : de telles connaissances peuvent rester incomprises du commun des hommes, et parfois même entraîner la censure.

Les enchaînements

Sans être précisée, la durée du laps de temps qui sépare le sixième soir des précédents est nettement marquée : « Il y avait longtemps que nous ne parlions plus des mondes, Madame L.M.D.G. et moi, et nous commencions même à oublier que nous en eussions jamais parlé ».

En revanche, les précédents entretiens se déroulent jour après jour, comme l’indiquent les transitions, par exemple à la fin du premier, « Demain nous reviendrons ici, vous avec vos systèmes, et moi avec mon ignorance. », ce que rappelle le début du deuxième : « Ainsi la Marquise et moi nous nous retrouvâmes libres le soir. Nous allâmes encore dans le parc, et la conversation ne manqua pas de tourner aussitôt sur nos systèmes. » De même, le début du troisième souligne à quel point la marquise est impatiente de poursuivre l'échange : elle « voulut m’engager pendant le jour à poursuivre nos entretiens, mais je lui représentai que nous ne devions confier de telles rêveries qu’à la lune et aux étoiles, puisqu’aussi bien elles en étaient l’objet. Nous ne manquâmes pas d’aller le soir dans le Parc, qui devenait un lieu consacré à nos conversations savantes. » En cela, elle représente le lecteur que Fontenelle cherche à intéresser. Cet intérêt semble aller croissant, car les enchaînements sont plus rapides ensuite, en lien avec les « songes » pour le « quatrième soir », qui crée un horizon d’attente à la fin : « faites que la philosophie me fournisse toujours des plaisirs nouveaux. Du moins pour demain, répondis-je, j’espère qu’ils ne vous manqueront pas. J’ai des étoiles fixes, qui passent tout ce que vous avez vu jusqu’ici. » Tout enchaînement disparaît pour le « cinquième soir ».

Une dernière question peut se poser : pourquoi « cinq soirs », dont certains auraient pu être scindés d’ailleurs, puis l’ajout d’un « sixième » ? Est-ce dû à l’épuisement du sujet ? Ou plutôt peut-on y voir une façon de reproduire la Genèse, la création du monde en six jours : « Le septième jour, Dieu avait achevé l'œuvre qu'il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l'œuvre qu'il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour : il le sanctifia puisque, ce jour-là, il se reposa de toute l'œuvre de création qu'il avait faite » (Genèse 2, 2-3). Audacieuse comparaison... le philosophe ayant, lui, achevé sa création…

Le philosophe et son rôle 

Philosophe

La Préface comme, ensuite, la dédicace « À Monsieur L… », confirme le choix de Fontenelle indiqué dans le titre : il s’agit d’« entretiens », donc d’un dialogue, genre littéraire à part entière, hérité de l’antiquité où il s’affirme comme une pratique philosophique à côte des exposés purement didactiques. C’est un genre argumentatif, qui progresse souvent selon la démarche de la "maïeutique", un jeu de questions-réponses, mais en suivant le rythme d’une conversation entre des interlocuteurs qui réagissent entre eux, tantôt en formulant des objections, tantôt pour être d’accord. Il est donc important d’étudier leur portrait, ce que le dialogue révèle de leur psychologie, et de la relation qui les unit.

Un maître à penser 

Christoffer Wilhelm Eckersberg, Socrate et Alcibiade, 1813-1816. Huile sur toile, 32,7 x 24,1. Musée Thorvaldsens, Copenhague, Danemark

Une pédagogie élaborée

L’emploi du « je » invite le lecteur à voir dans le locuteur un double de l’auteur, surtout après ses affirmations dans la préface et la dédicace : il s’y affirme comme le "maître" qui va guider l’apprentissage par des choix pédagogiques adaptés à son interlocutrice, telle qu’il la dépeint lors du premier soir : « J’en revenais toujours à lui dire qu’il aurait mieux valu s’entretenir de bagatelles, comme toute personne raisonnable aurait fait en notre place. À la fin cependant, pour lui donner une idée générale de la philosophie, voici par où je commençai. »

Christoffer Wilhelm Eckersberg, Socrate et Alcibiade, 1813-1816. Huile sur toile, 32,7 x 24,1. Musée Thorvaldsens, Copenhague, Danemark

Il s’agit donc bien d’instruire, et c’est lui qui choisit la démarche, soir après soir, en se posant d’emblée comme un guide vers le savoir : « avec une personne comme elle, qui ne savait rien en matière de physique, il fallait prendre les choses de bien loin, pour lui prouver que la Terre pouvait être une planète, et les planètes autant de terres, et toutes les étoiles autant de soleils qui éclairaient des mondes. » Il se montre attentif à son « élève » afin de s’adapter à son ignorance initiale, puis à ses progrès, affirmés lors du « sixième soir » : « Je suis sûr que vous ne croyez pas le mouvement de la Terre autant qu’il devrait être cru, en êtes-vous beaucoup à plaindre ? Oh ! pour cela, reprit-elle, j’en fais bien mon devoir, vous n’avez rien à me reprocher, je crois fermement que la Terre tourne. » Or, la réaction de son guide entraîne une protestation de son amour-propre blessé : « Je ne vous ai pourtant pas dit la meilleure raison qui le prouve, répliquai-je. Ah ! s’écria-t- elle. C’est une trahison de m’avoir fait croire les choses avec de faibles preuves. Vous ne me jugiez donc pas digne de croire sur de bonnes raisons ? » La réponse du philosophe confirme la  pédagogie adoptée dans son enseignement, et sa progression à présent réalisée : «  Je ne vous prouvais les choses, répondis-je, qu’avec de petits raisonnements doux, et accommodés à votre usage ; en eussé-je employé d’aussi solides et d’aussi robustes que si j’avais eu à attaquer un Docteur ? Oui, dit-elle, prenez-moi présentement pour un Docteur, et voyons cette nouvelle preuve du mouvement de la Terre. »

Mais est-ce là un auto-portrait ? Ou bien Fontenelle nous propose-t-il un modèle de "philosophe" en mettant en valeur les qualités attendues de celui qui adopte ce rôle ?

Le cartésianisme

Fontenelle est un partisan fervent de Descartes, dont toute la méthode philosophique se fonde sur un « doute » systématique, qui porte aussi bien sur nos perceptions, car nos sens ne sont que sources d’illusions, que sur toutes les vérités intelligibles, y compris sur ce qui relève de la science. Comme Descartes donc, il manifeste à plusieurs reprises ses doutes, par exemple, lors du « troisième soir », en revenant sur ce qu’il a précédemment affirmé : « J’ai bien des nouvelles à vous apprendre, lui dis-je ; la lune que je vous disais hier, qui selon toutes les apparences était habitée, pourrait bien ne l’être point ; j’ai pensé à une chose qui met ses habitants en péril. » Face à la protestation de son interlocutrice, il insiste sur l’importance d’accepter le doute, gage de la liberté intellectuelle qui ouvre l'esprit aux idées nouvelles : « il faut ne donner que la moitié de son esprit aux choses de cette espèce que l’on croit, et en réserver une autre moitié libre, où le contraire puisse être admis, s’il en est besoin. » 

Portrait de René Descartes. Gravure anonyme

Portrait de René Descartes. Gravure anonyme

C’est pourquoi, dès le deuxième entretien, il souligne toutes les erreurs dans le domaine scientifique : « Ce n’est qu’une conjecture, répondis-je, j’en suis bien fâché ; ces endroits obscurs, qu’on prend pour des mers, ne sont peut-être que de grandes cavités. De la distance où nous sommes, il est permis de ne pas deviner tout à fait juste. » Et il invite, comme Descartes, à généraliser ce doute, propre à la nature humaine : « Nous voulons juger de tout, et nous sommes toujours dans un mauvais point de vue. Nous voulons juger de nous, nous en sommes trop près ; nous voulons juger des autres, nous en sommes trop loin. » Ce doute offre un double avantage, formulé dans le quatrième entretien :

  • Il permet de lutter contre les préjugés, dont les philosophes eux-mêmes se rendent coupables : « les philosophes, dont cela détruit les opinions, forment le dessein de n’en rien croire ; il n’y a que les gens très raisonnables qui en veulent bien douter. »

  • Il amène un scepticisme, fécond car source de tolérance, auquel il invite son interlocutrice : « Ah ! vraiment, répliquai-je, si vous vous mêliez de philosophie plus que vous ne faites, il faudrait bien que vous vous accoutumassiez à voir des exceptions dans les meilleurs systèmes. Il y a toujours quelque chose qui y convient le plus juste du monde, et puis quelque chose aussi qu’on y fait convenir comme on peut, ou qu’on laisse là, si on désespère d’en pouvoir venir à bout. Usons-en de même pour Mars, puisqu’il ne nous est point favorable, et ne parlons point de lui. »

Cependant, cette méfiance face à des certitudes posées comme absolues n’empêche pas la foi dans la possibilité de progresser dans le savoir : « En fait des découvertes nouvelles, il ne se faut pas trop presser de raisonner, quoiqu’on en ait toujours assez d’envie, et les vrais philosophes sont comme les éléphants, qui en marchant ne posent jamais le second pied à terre, que le premier n’y soit bien affermi. »

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Une preuve frappante, pour le lecteur d’aujourd’hui, est la prescience des progrès dans la découverte de l’univers, déjà avec l’imagination qu’un jour l’homme saura réaliser son rêve ancien, voler : « L’art de voler ne fait encore que de naître, il se perfectionnera, et quelque jour on ira jusqu’à la lune. Prétendons-nous avoir découvert toutes choses, ou les avoir mises à un point qu’on n’y puisse rien ajouter ? Eh, de grâce, consentons qu’il y ait encore quelque chose à faire pour les siècles à venir. »

Il va même plus loin en imaginant un voyage humain dans la lune, qu’il s’emploie à justifier à partir de l’exemple de la découverte du Nouveau Monde :

Je gage que je vais vous réduire à avouer, contre toute raison, qu’il pourra y avoir un jour du commerce entre la terre et la lune. Remettez-vous dans l’esprit l’état où était l’Amérique avant qu’elle eût été découverte par Christophe Colomb. […] Après cela je ne veux plus jurer qu’il ne puisse y avoir commerce quelque jour entre la lune et la terre. Les Américains eussent-ils cru qu’il eût dû y en avoir entre l’Amérique et l’Europe qu’ils ne connaissaient seulement pas ? Il est vrai qu’il faudra traverser ce grand espace d’air et de ciel qui est entre la terre et la lune ; mais ces grandes mers paraissaient-elles aux Américains plus propres à être traversées ?

Icare et Dédale, Ier siècle. Fresque, villa impériale, Pompéi

Gustave Doré, Les Aventures du Baron de Münchausen, 1862. Gravure sur bois, BnF

Gustave Doré, Les Aventures du Baron de Münchausen, 1862. Gravure sur bois, BnF

Le philosophe affirme donc sa confiance dans le progrès humain, tant au niveau individuel – celui de la marquise – que sur le plan collectif.

La fonction critique

Le philosophe est aussi – et en cela Fontenelle annonce les Encyclopédistes des « Lumières » – celui qui se charge d’une fonction critique, en tant que moraliste, mais aussi par le regard sévère qu’il jette sur sa société. Ainsi, dès le premier entretien en évoquant le rejet du système de Copernic, il fait preuve d’ironie envers l’orgueil des hommes, « inclination qui fait qu’on veut avoir la place la plus honorable dans une cérémonie », en prenant l’exemple de la jalousie suscitée par la préséance sociale, « Mon Dieu, Madame, repris-je, je sais bien qu’on sera moins jaloux du rang qu’on tient dans l’univers, que de celui qu’on croit devoir tenir dans une chambre, et que la préséance de deux planètes ne sera jamais une si grande affaire, que celle de deux ambassadeurs ». Ce portrait critique s’accentue encore dans le deuxième entretien, où il dépeint toutes les contradictions humaines, mélange de qualités mais aussi de défauts :

Pourrions-nous bien nous figurer quelque chose qui eût des passions si folles, et des réflexions si sages ; une durée si courte, et des vues si longues, tant de science sur des choses presque inutiles, et tant d’ignorance sur les plus importantes ; tant d’ardeur pour la liberté, et tant d’inclination à la servitude ; une si forte envie d’être heureux, et une si grande incapacité de l’être ? Il faudrait que les gens de la lune eussent bien de l’esprit, s’ils devinaient tout cela. Nous nous voyons incessamment nous-mêmes, et nous en sommes encore à deviner comment nous sommes faits. On a été réduit à dire que les dieux étaient ivres de nectar lorsqu’ils firent les hommes, et que, quand ils vinrent à regarder leur ouvrage de sang-froid, ils ne purent s’empêcher d’en rire. 

Bernard Picart, Frontispice d’Histoire des oracles de Fontenelle, in Œuvres diverses,1728. Estampe, 18,4 x 27,2. Bibliothèque municipale de Versailles

Enfin, Fontenelle annonce son Histoire des oracles (1687) dans sa critique de la superstition en parcourant les diverses croyances à propos des éclipses dans les pays lointains, « Indes Orientales » comme en Amérique, mais l’Occident n’est pas exempt de croyances absurdes, héritage de l’antiquité, « les Grecs, qui étaient si raffinés, n’ont-ils pas cru longtemps que la Lune était ensorcelée, et que des magiciennes la faisaient descendre du ciel pour jeter sur les herbes une certaine écume malfaisante ? », mais toujours actuel au XVIIème siècle, pour preuve la réaction provoquée par l’éclipse de 1654 : «  Et nous, n’eûmes-nous pas belle peur il n’y a que trente-deux ans, à une certaine éclipse de soleil, qui à la vérité fut totale ? Une infinité de gens ne se tinrent-ils pas enfermés dans des caves, et les philosophes qui écrivent pour nous rassurer n’écrivirent-ils pas en vain ou à peu près ? »

Bernard Picart, Frontispice d’Histoire des oracles de Fontenelle, in Œuvres diverses,1728. Estampe, 18,4 x 27,2. Bibliothèque municipale de Versailles

Mais cette fonction critique, loin de conduire au rejet des opinions adverses, incite le philosophe à la tolérance, exprimée dans son deuxième entretien : « Je ne prends parti dans ces choses-là que comme on en prend dans les guerres civiles, où l’incertitude de ce qui peut arriver fait qu’on entretient toujours des intelligences dans le parti opposé, et qu’on a des ménagements avec ses ennemis mêmes. Pour moi, quoique je croie la lune habitée, je ne laisse pas de vivre civilement avec ceux qui ne le croient pas, et je me tiens toujours en état de me pouvoir ranger à leur opinion avec honneur, si elle avait le dessus ». Cette attitude n’est-elle pas le seul moyen de vivre harmonieusement en société ? Finalement, cette tolérance, sur laquelle s’ouvre le dernier entretien est une des vertus de "l’honnête homme", qui ne cherche pas à entrer en conflit quand il sait que cela sera inutile : « c’est, ce me semble, un ordre très bien établi que chaque espèce méprise ce qui lui manque. Il faudrait, s’il était possible, s’accommoder à chacune ; il eût bien mieux valu plaisanter des habitants des planètes avec ces deux hommes que vous venez de voir, puisqu’ils savent plaisanter, que d’en raisonner, puisqu’ils ne le savent pas faire. » Et face à la protestation de la Marquise désireuse de défendre son savoir scientifique et qui s’indigne de « trahir la vérité », le philosophe sait faire preuve d’une forme de sage  mesure : « Je vous avoue, répondis-je, que je n’ai pas un grand zèle pour ces vérités-là, et que je les sacrifie volontiers aux moindres commodités de la société. »

L'homme du monde 

Mais, aussi bien dans sa Préface que dans la dédicace, Fontenelle a insisté sur l’importance, pour réussir à « instruire », donc à transmettre des connaissances parfois ardues, de savoir les présenter de façon à retenir l’attention, donc de « plaire », de séduire, ce à quoi sa fréquentation des salons mondains l’a préparé.

Le discours galant

Le choix d’une femme comme « élève » a un double intérêt. D’une part, il répond à la place croissante que prennent les femmes dans la vie culturelle de la seconde moitié du XVIIème siècle, sous l’influence de la Préciosité, ce qui fait d’elles des lectrices curieuses et passionnées. D’autre part, cela lui permet de satisfaire à la galanterie qui se donne alors libre cours, comme Fontenelle l’avoue dès le début de l’œuvre : « Ce spectacle me fit rêver ; et peut-être sans la Marquise eussé-je rêvé assez longtemps ; mais la présence d’une si aimable Dame ne me permit pas de m’abandonner à la Lune et aux étoiles ». Ainsi, la comparaison de la marquise, « la beauté du jour est comme une beauté blonde qui a plus de brillant ; mais la beauté de la nuit est une beauté brune qui est plus touchante », lui permet aussitôt de développer un discours galant en poursuivant l’image : « Vous êtes bien généreuse, repris-je, de donner cet avantage aux brunes, vous qui ne l’êtes pas. Il est pourtant vrai que le jour est ce qu’il y a de plus beau dans la nature, et que les héroïnes de Roman, qui sont ce qu’il y a de plus beau dans l’imagination, sont presque toujours blondes. […] une blonde comme vous me ferait encore mieux rêver que la plus belle nuit du monde, avec toute sa beauté brune. » Ainsi, ce philosophe saisit toutes les occasions qui lui permettent un tel badinage, par exemple quand elle refuse que soit dessiné un « Zodiaque » sur le sable du parc, par sa riposte : « Il vaut mieux en effet, répondis-je, qu’on n’y voie que des pas d’amants, c’est-à-dire, votre nom et vos chiffres, gravés sur l’écorce des arbres par la main de vos adorateurs ».

De même, il profite de l’allusion à l’Arioste pour souligner la séduction de la marquise : « Pour les soupirs des amants, interrompit la Marquise, je ne sais pas si du temps de l’Arioste ils étaient perdus ; mais en ce temps-ci, je n’en connais point qui aillent dans la lune. N’y eût-il que vous, Madame, repris-je, vous y en avez fait aller un assez bon nombre. » Enfin, il est plaisant de voir comment, lors du « cinquième soir », il met la connaissance de son interlocutrice en matière d’amour au service de l’instruction :

Écoutez, Madame, répondis-je, puisque nous sommes en humeur de mêler toujours des folies de galanterie à nos discours les plus sérieux, les raisonnements de mathématique sont faits comme l’amour. Vous ne sauriez accorder si peu de chose à un amant que bientôt après il ne faille lui en accorder davantage, et à la fin cela va loin. De même accordez à un mathématicien le moindre principe, il va vous en tirer une conséquence, qu’il faudra que vous lui accordiez aussi, et de cette conséquence encore une autre ; et, malgré vous-même, il vous mène si loin, qu’à peine le pouvez- vous croire. Ces deux sortes de gens-là prennent toujours plus qu’on ne leur donne. 

Sebastiano Ricci, Médor et Angélique (l’Arioste), vers 1720. Huile sur toile, 87,5 x 110. Brukenthal National Museum, Sibiu, Roumanie

Sebastiano Ricci, Médor et Angélique (l’Arioste), vers 1720. Huile sur toile, 87,5 x 110. Brukenthal National Museum, Sibiu, Roumanie

L'art du conteur

Dans sa Préface, Fontenelle a aussi signalé son recours à des digressions, elles aussi destinées à rendre le discours plus plaisant. Bien sûr, elles font écho aux connaissances qu’il veut transmettre, mais elles lui permettent de mettre en œuvre toutes les qualités propres à un conteur, à commencer par la variation des tonalités. Par exemple, au début de la conversation, dans son éloge de la nuit, il sait se faire poète pour dépeindre sa rêverie, invitant ainsi sa destinatrice à partager son « plaisir » : « On s’imagine que les étoiles marchent avec plus de silence que le soleil, les objets que le ciel présente sont plus doux, la vue s’y arrête plus aisément ; enfin on en rêve mieux, parce qu’on se flatte d’être alors dans toute la nature la seule personne occupée à rêver. Peut-être aussi que le spectacle du jour est trop uniforme, ce n’est qu’un soleil, et une voûte bleue, mais il se peut que la vue de toutes ces étoiles semées confusément, et disposées au hasard en mille figures différentes, favorise la rêverie, et un certain désordre de pensées où l’on ne tombe point sans plaisir. » Rien ne laisse alors penser à la volonté de mettre en place un enseignement scientifique.

Il sait aussi faire sourire par des images cocasses, comme lorsqu’il présente l’héliocentrisme de Copernic, en évoquant sa propre façon de tourner, « Quelquefois, par exemple, je me figure que je suis suspendu en l’air, et que j’y demeure sans mouvement pendant que la Terre tourne sous moi en vingt-quatre heures », ce qui amène à un défilé de tous les spectacles et de tous les habitants terrestres, autant de peintures plaisantes :

Je vois passer sous mes yeux tous ces visages différents, les uns blancs, les autres noirs, les autres basanés, les autres olivâtres. D’abord ce sont des chapeaux, et puis des turbans, et puis des têtes chevelues, et puis des têtes rases ; tantôt des villes à clochers, tantôt des villes à longues aiguilles qui ont des croissants, tantôt des villes à tours de porcelaine, tantôt de grands pays qui n’ont que des cabanes ; ici des vastes mers ; là des déserts épouvantables ; enfin toute cette variété infinie qui est sur la surface de la Terre. 

Enfin, certains passages fonctionnent comme des apologues : un court récit plaisant sert de métaphore pour illustrer une donnée scientifique. C’est le cas dans le troisième entretien, où, pour lui prouver à quel point la nature ouvre de multiples possibilités – et pourquoi pas des planètes habitées par des êtres étranges ? – il se lance dans un récit imagé : « Il y a dans une planète, que je ne vous nommerai pas encore, des habitants très vifs, très laborieux, très adroits ; ils ne vivent que de pillage, comme quelques-uns de nos Arabes, et c’est là leur unique vice. Du reste, ils sont entre eux d’une intelligence parfaite, travaillant sans cesse de concert et avec zèle au bien de l’état, et surtout leur chasteté est incomparable ; il est vrai qu’ils n’y ont pas beaucoup de mérite, ils sont tous stériles, point de sexe chez eux. » Ce n’est qu’à la fin de cette description, qualifiée d’ailleurs de « roman » par la marquise, qu’il en donne la clé, levant ainsi le mystère : « Tout cela se passe ici, sur notre terre, sous nos yeux. Vous voilà bien étonnée, Oui, sous nos yeux, mes Arabes ne sont que des abeilles, puisqu’il faut vous le dire. »

De même, pour illustrer les « tourbillons » dans le cinquième entretien, il s’amuse à personnifier les comètes, « Non, non, repris-je, ce n’est pas le seul. Les mondes voisins nous envoient quelquefois visiter, et même assez magnifiquement. Il nous en vient des comètes, qui sont ornées, ou d’une chevelure éclatante, ou d’une barbe vénérable, ou d’une queue majestueuse. »

Un visage dans la lune, « Autour du ciel », blog de Guillaume Cannat, in Le Monde du 14 février 2014

Un visage dans la lune, « Autour du ciel », blog de Guillaume Cannat, in Le Monde du 14 février 2014

Dans le dernier entretien, pour prouver que « tout est dans un branle perpétuel, et par conséquent tout change », il raconte longuement la croyance une présence dans la lune, « une certaine demoiselle que l’on a vue dans la Lune avec des lunettes, il y a peut-être quarante ans », dont il relate plaisamment le vieillissement : « Elle avait un assez beau visage ; ses joues se sont enfoncées, son nez s’est allongé, son front et son menton se sont avancés, de sorte que tous ses agréments sont évanouis, et que l’on craint même pour ses jours. » Et, à nouveau, il inverse plaisamment  la situation en se mettant à la place des habitants de la lune, en y joignant le badinage amoureux

Peut-être qu’en récompense, répliquai-je, les changements qui arrivent sur notre Terre embellissent quelque visage que les gens de la Lune y voient ; j’entends quelque visage à la manière de la Lune, car chacun transporte sur les objets les idées dont il est rempli. Nos Astronomes voient sur la Lune des visages de demoiselles, il pourrait être que des femmes, qui observeraient, y verraient de beaux visages d’hommes. Moi, Madame, je ne sais si je ne vous y verrais point. 

POUR CONCLURE

Même si, par son cartésianisme et une morale qui rappelle les valeurs de « l’honnête homme », Fontenelle reste un homme du XVIIème siècle, l’approche choisie dans ce dialogue le rapproche des écrivains des « Lumières », dont il énonce la démarche : « Selon moi, il n’y a pas jusqu’aux vérités auxquelles l’agrément ne soit nécessaire. » Ainsi, il cherche à transmettre des connaissances scientifiques exactes, donc à détruire les préjugés, et, pour ce faire, il adopte un ton mondain et galant, multipliant les anecdotes, les images plaisantes, les traits d’esprit, souvent de l’ironie, bien éloigné donc des exposés scientifiques arides.

L'interlocutrice : la Marquise 

Dans la dédicace, Fontenelle a déjà brossé un portrait mélioratif de la marquise, dotée non seulement de beauté mais aussi de sagesse, d’une « vivacité d’intelligence » qui en fait une interlocutrice idéale, puisqu’il conclut : « Pour moi, je la tiens savante, à cause de l’extrême facilité qu’elle aurait à le devenir. » Elle représente donc l’élève que tout philosophe cherche à convaincre et à persuader pour en faire un disciple ; mais pour cela, il doit aussi tenir compte de son statut de femme du monde, ce dont ses réactions et ses commentaires donnent la preuve.

Marquise

Une "élève" active 

Peter van der Krogt, L’Âge d’or de la cartographie néerlandaise, in Weltvermesser

Son questionnement

Conformément à son portrait initial, « une femme que l’on instruit, et qui n’a jamais ouï parler de ces choses-là », la Marquise se comporte comme une élève, mais de façon active en multipliant les questions, preuve de son intérêt. C’est d’ailleurs elle qui ouvre le sujet dans le premier entretien, « Qu’appelez-vous tous ces mondes ? me dit-elle, en me regardant, et en se tournant vers moi. », et elle doit même dépasser les réticences du philosophe : « apprenez-moi vos étoiles. Non, répliquai-je, il ne me sera point reproché que dans un bois, à dix heures du soir, j’aie parlé de philosophie à la plus aimable personne que je connaisse. Cherchez ailleurs vos philosophes. J’eus beau me défendre encore quelque temps sur ce ton-là, il fallut céder. »

Peter van der Krogt, L’Âge d’or de la cartographie néerlandaise, in Weltvermesser

Elle manifeste un véritable désir d’apprendre, refusant d’en rester à la conversation de salon proposée autour de l’amour, « Voyez si c’est à cela que les gens de l’Astrée passent leur temps. », pour réclamer une approche scientifique : «  Oh ! répondit-elle, cette sorte de bergerie-là est trop dangereuse. J’aime mieux celles de ces Chaldéens dont vous me parliez. Recommencez un peu, s’il vous plaît, à me parler Chaldéen. Quand on eut reconnu cette disposition des cieux que vous m’avez dite, de quoi fut-il question ? »

Dès le premier soir, sa curiosité est incessante, par exemple à propos de l’héliocentrisme : « Attendez un peu, dit la Marquise, il vient de vous prendre un enthousiasme qui vous a fait expliquer les choses si pompeusement, que je ne crois pas les avoir entendues. Le Soleil est au centre de l’univers, et là il est immobile, après lui, qu’est-ce qui suit ? […] J’entends bien comment nous nous imaginons qu’il décrit le cercle que nous décrivons nous-mêmes ; mais ce tour ne s’achève qu’en un an, et celui que le soleil fait tous les jours sur notre tête, comment se fait-il ? » Cela se poursuit dans tous les entretiens, et elle fait même souvent preuve d’ « impatience », terme récurrent, notamment au sujet des « habitants » de la lune, « Quelles sortes de gens seraient-ce donc ? reprit la Marquise avec un air d’impatience », ou au début du « cinquième soir » : « La Marquise sentit une vraie impatience de savoir ce que les étoiles fixes deviendraient. Seront-elles habitées comme les planètes ? me dit-elle. Ne le seront-elles pas ? Enfin qu’en ferons-nous ? »

Jusqu’à la fin du dialogue, elle reste modestement consciente de son ignorance et de ses limites : « Je suis bien aise, dit la Marquise, d’avoir appris cette généalogie des sciences, et je vois bien qu’il faut que je m’en tienne à l’astronomie. La géométrie, selon ce que vous me dites, demanderait une âme plus intéressée que je ne l’ai, et la poésie en demanderait une plus tendre, mais j’ai autant de loisir que l’astronomie en peut demander. » C’est elle aussi qui relance un sujet : « « Eh bien, dit-elle, faisons le voyage des planètes comme nous pourrons, qui nous en empêche ? Allons nous placer dans tous ces différents points de vue, et de là considérons l’univers. N’avons-nous plus rien à voir dans la lune ? » Et jusque dans le dernier entretien, elle cherche à en savoir davantage, par exemple, « mais je retourne à ce que vous me disiez tout à l’heure ; arrive-t-il sur la Terre des changements considérables ? », ou à propos de Jupiter : « Comment une lumière fait-elle pour se cacher ? dit-elle. Il faut pour cela une adresse singulière. »

Réticences et objections

Mais, en élève vigilante, elle ne se contente pas d’une approche superficielle et ne se prive pas de critiquer son "maître" : « Mais, pour achever de m’ôter le mien, dites-moi, et dites-moi bien sérieusement, si vous croyez qu’il y ait des hommes dans la lune ; car jusqu’à présent vous ne m’en avez pas parlé d’une manière assez positive ».

Petrus Apianus, Le système de Ptolémée, in Cosmographia, 1539. BnF

C’est pourquoi, dès le premier soir, elle exprime ses réticences pour défendre le géocentrisme par exemple, « Mais je ne sais pas, interrompit la Marquise, pourquoi vous semblez n’approuver pas cet ordre-là dans l’univers ; il me paraît assez net, et assez intelligible, et pour moi je vous déclare que je m’en contente », ou encore « Mais il me vient une difficulté sérieuse. Si la Terre tourne, nous changeons d’air à chaque moment, et nous respirons toujours celui d’un autre pays. » Elle formule aussi des objections à l’héliocentrisme : «  Écoutez, dit la Marquise, il faut rendre justice à tout le monde. Il est sûr qu’on a de la peine à s’imaginer qu’on tourne autour du Soleil ; car enfin on ne change point de place, et on se retrouve toujours le matin où l’on s’était couché le soir. Je vois, ce me semble, à votre air, que vous m’allez dire que comme la Terre tout entière marche....... », en n’hésitant pas à répliquer au raisonnement qu’on lui oppose :

Petrus Apianus, Le système de Ptolémée, in Cosmographia, 1539. BnF

c’est la même chose que si vous vous endormiez dans un bateau qui allât sur la rivière, vous vous retrouveriez à votre réveil dans la même place et dans la même situation à l’égard de toutes les parties du bateau. Oui, mais, répliqua-t-elle, voici une différence, je trouverais à mon réveil le rivage changé, et cela me ferait bien voir que mon bateau aurait changé de place. Mais il n’en va pas de même de la Terre, j’y retrouve toutes choses comme je les avAis laissées. Non pas, Madame, répondis-je, non pas ; le rivage a changé aussi.

Plus le dialogue progresse, plus elle s’emploie à formuler des objections, indices de son attention et d’un solide bon sens : « Oh ! répliqua la Marquise, le Soleil et les astres sont tout de feu, le mouvement ne leur coûte rien ; mais la Terre ne paraît guère portative », « Mais, répliqua-t-elle encore, comment la terre avec tout son poids se soutient-elle sur votre matière céleste qui doit être bien légère, puisqu’elle est si fluide ? », « Vous me surprenez, reprit-elle. Je conçois bien qu’on peut découvrir sur la Lune des montagnes et des abîmes, cela se reconnaît apparemment à des inégalités remarquables ; mais comment distinguer des terres et des mers ? » 

Cet esprit critique se traduit notamment par la forme donnée à ses objections. Elle s’appuie toujours sur le discours explicatif précédent, parfois rejeté par exemple dans le quatrième entretien à propos du soleil, « Vous n’y songez pas, dit la Marquise. Qui serait dans le Soleil ne verrait rien, ni planètes, ni étoiles fixes. Le Soleil n’efface-t-il pas tout ? Ce seraient ses habitants qui seraient bien fondés à se croire seuls dans toute la nature ».

Il en est de même pour le mouvement des planètes : « Mais, interrompit la Marquise, pourquoi y a-t-il des planètes qui tournent autour d’autres planètes qui ne valent pas mieux qu’elles ? Sérieusement il me paraîtrait plus régulier et plus uniforme que toutes les planètes, et grandes et petites, n’eussent que le même mouvement autour du Soleil », « Et qui nous assure, dit la Marquise, que nous demeurerons toujours où nous sommes ? [...] il me paraît que dans ce grand mouvement, où vous dites qu’est la matière céleste, elle devrait agiter les planètes irrégulièrement, tantôt les approcher, tantôt les éloigner les unes des autres. »

Le mouvement des planètes

Le mouvement des planètes

Le chemin de la connaissance 

Le progrès du questionnement

Mais cette élève, ignorante au point, comme le constate le philosophe dans le troisième soir, qu’« elle ne connaissait guère que le nom » des abeilles, progresse au fil des rencontres, car, même si elle « n’a nulle teinture de science », elle a l’intelligence nécessaire pour assimiler le savoir : elle « ne laisse pas d’entendre ce qu’on lui dit, et de ranger dans sa tête, sans confusion, les Tourbillons et les Mondes ».  

Ainsi, ses questions gagnent en pertinence puisqu’elle est capable de préciser ses objections, de façon simple d’abord comme à propos du système de Ptolémée, « Et pourquoi ne les faisait-on que de cristal, dit la Marquise ? N’eussent-ils pas été bons de quelque autre matière ? », puis d'interroger en reformulant avec justesse les théories avancées, « À ce compte, dit la Marquise, la philosophie est devenue bien mécanique ? », jusqu’à une remise en cause plus élaborée dans le cinquième entretien.

Mais aussi parlez-moi franchement, votre système est-il bien vrai ? Ne me déguisez rien, je vous garderai le secret. Il me semble qu’il n’est appuyé que sur une petite convenance bien légère. Une étoile fixe est lumineuse d’elle-même comme le Soleil, par conséquent il faut qu’elle soit comme le Soleil le centre et l’âme d’un monde, et qu’elle ait ses planètes qui tournent autour d’elle. Cela est-il d’une nécessité bien absolue ?

Le philosophe lui-même approuve alors les questions posées, qui prouvent à quel point elle suit son enseignement : « Ne faut-il pas pourtant, reprit-elle, que les mondes, malgré cette égalité, diffèrent en mille choses, car un fond de ressemblance ne laisse de porter des différences infinies ? Assurément, repris-je ; Assurément, repris-je ». Elle progresse, en effet, puisque ses questions anticipent même le savoir à venir, ce qui lui vaut une plaisante félicitation :

Ne me trompai-je point, s’écria la Marquise, ou si je vois où vous me voulez mener ? M’allez-vous dire : Les étoiles fixes sont autant de Soleils, notre Soleil est le centre d’un tourbillon qui tourne autour de lui ; pourquoi chaque étoile fixe ne sera-t-elle pas aussi le centre d’un tourbillon qui aura un mouvement autour d’elle ? Notre Soleil a des planètes qu’il éclaire, pourquoi chaque étoile fixe n’en aura-t-elle pas aussi qu’elle éclairera ? Je n’ai à vous répondre, lui dis- je, que ce que répondit Phèdre à Œnone : C’est toi qui l’as nommé.

Une "disciple"

De la même façon, ses réactions permettent d’observer sa compréhension, par exemple quand elle concrétise, par une comparaison, son savoir sur l’univers selon l'héliocentrisme, « Et moi, répliqua-t-elle, je l’en estime beaucoup plus, depuis que je sais qu’il ressemble à une montre. Il est surprenant que l’ordre de la nature, tout admirable qu’il est, ne roule que sur des choses si simples. », recevant alors l’approbation de son « maître » : « Je ne sais pas, lui répondis-je, qui vous a donné des idées si saines ; mais en vérité, il n’est pas trop commun de les avoir. » Ainsi, en concluant le premier entretien, Fontenelle récapitule le savoir déjà acquis en félicitant déjà son « élève » :  

Mais la Marquise qui a le discernement vif et prompt, jugea qu’il y avait trop d’affectation à exempter la Terre de tourner autour du Soleil, puisqu’on n’en pouvait pas exempter tant d’autres grands corps ; que le soleil n’était plus si propre à tourner autour de la Terre, depuis que toutes les planètes tournaient autour de lui ; que ce système ne pouvait être propre tout au plus qu’à soutenir l’immobilité de la Terre, quand on avait bien envie de la soutenir, et nullement à la persuader ; et enfin il fut résolu que nous nous en tiendrions à celui de Copernic, qui est plus uniforme et plus riant, et n’a aucun mélange de préjugé. En effet, la simplicité dont il est persuadé, et sa hardiesse, font plaisir.

Dès le troisième soir, elle accepte le savoir transmis¸ mais se révolte encore contre les doutes exprimés par le philosophe, disciple de Descartes :

J’ai bien des nouvelles à vous apprendre, lui dis-je ; la lune que je vous disais hier, qui selon toutes les apparences était habitée, pourrait bien ne l’être point ; j’ai pensé à une chose qui met ses habitants en péril. Je ne souffrirai point cela, répondit-elle. Hier vous m’aviez préparée à voir ces gens-là venir ici au premier jour, et aujourd’hui ils ne seraient seulement pas au monde ? Vous ne vous jouerez point ainsi de moi, vous m’avez fait croire les habitants de la lune, j’ai surmonté la peine que j’y avais, je les croirai. »

Puis, progressivement, elle se montre capable de nuancer cette compréhension, en distinguant l’acceptation par la « raison » de la conviction absolue qui amènerait à concrétiser le savoir, d’où sa demande : « Êtes-vous contente, Madame ? ajoutai-je. Vous ai-je ouvert un assez grand champ à exercer votre imagination ? Voyez-vous déjà quelques habitants de planètes ? Hélas ! non, répondit-elle. Tout ce que vous me dites là est merveilleusement vain et vague, je ne vois qu’un grand je ne sais quoi où je ne vois rien. Il me faudrait quelque chose de plus déterminé, de plus marqué ». Ce désir se fait d’ailleurs insistant :

Ma raison est assez bien convaincue, dit la Marquise, mais mon imagination est accablée de la multitude infinie des habitants de toutes ces planètes, et embarrassée de la diversité qu’il faut établir entre eux ; car je vois bien que la nature, selon qu’elle est ennemie des répétitions, les aura tous faits différents ; mais comment se représenter tout cela ? Ce n’est pas à l’imagination à prétendre se le représenter, répondis-je, elle ne peut aller plus loin que les yeux.

La réponse du philosophe est donc peu à peu acceptée¸ jusqu’au moment où elle arrive à partager avec lui ce « doute » systématique propre au cartésianisme, et son aveu d’aporie à nouveau l’approbation du philosophe :

Je ne vous demande pas, dit la Marquise, s’il y a des Lunes dans les mondes de la Voie de lait ; je vois bien qu’elles n’y seraient de nul usage aux planètes principales qui n’ont point de nuit, et qui d’ailleurs marchent dans des espaces trop étroits pour s’embarrasser de cet attirail de planètes subalternes. Mais savez-vous bien qu’à force de me multiplier les mondes si libéralement, vous me faites naître une véritable difficulté ? Les tourbillons dont nous voyons les Soleils touchent le tourbillon où nous sommes. Les tourbillons sont ronds, n’est-il pas vrai ? Et comment tant de boules en peuvent-elles toucher une seule ? Je veux m’imaginer cela, et je sens bien que je ne le puis.

Il y a beaucoup d’esprit, répondis-je, à avoir cette difficulté-là, et même à ne la pouvoir résoudre ; car elle est très bonne en soi, et de la manière dont vous la concevez, elle est sans réponse, et c’est avoir bien peu d’esprit que de trouver des réponses à ce qui n’en a point.

C’est ce qui explique le début du dernier entretien, où elle raconte comment, à son tour, elle a voulu transmettre ce savoir, et s’est attirée la moquerie d’un de ses interlocuteurs. Quand le philosophe lui explique que cela est vain, et qu’un tel savoir doit rester réservé à une « petite troupe », il provoque une indignation révélatrice de sa ferveur de disciple, convaincue de l’importance d’« éclairer » ses concitoyens : « Trahir la vérité ! dit la Marquise. Vous n’avez point de conscience. »

Une femme du monde 

Mais il convient de ne pas oublier le contexte social dans lequel s’inscrit ce dialogue : l’interlocutrice est une marquise, qui représente les femmes cultivées animant les salons mondains de la fin du XVIIème siècle, dans lesquels commencent à se diffuser les idées des "Lumières". Fontenelle les fréquente, et prête à son interlocutrice les principales caractéristiques observées.

Les traits d'esprit

Ces femmes sont capables de faire de l’esprit à partir de toute affirmation de son interlocuteur, par une comparaison par exemple, « Il semblerait, interrompit la Marquise, que votre philosophie est une espèce d’enchère, où ceux qui offrent de faire les choses à moins de frais l’emportent sur les autres », ou à propos des comètes : « Il me vient à l’esprit, dit la Marquise, que de ce pays-là dans l’autre il se fait des espèces de pèlerinages pour venir nous considérer, et qu’il y a des honneurs et des privilèges pour ceux qui ont vu une fois en leur vie la grosse planète. » Ainsi, elle multiplie les images légères : « Cela est assez plaisant, dit-elle, la terre prend tout sur soi, et ce soleil ne fait rien. »

Ses commentaires sont toujours des traits d’esprit, tel son jugement plaisant sur Copernic, « « Je vous entends, répondit-elle, et j’aime la Lune, de nous être restée lorsque toutes les autres planètes nous abandonnent. Avouez que si votre Allemand eût pu nous la faire perdre, il l’aurait fait volontiers ; car je vois dans tout son procédé qu’il était bien mal intentionné pour la Terre », ou sa comparaison à propos des comètes : « Nous ne leur permettons pas d’entrer jusque dans le cœur de notre tourbillon, et de se mêler avec nos planètes, nous les recevons comme le Grand Seigneur reçoit les ambassadeurs qu’on lui envoie. Il ne leur fait pas l’honneur de les loger à Constantinople, mais seulement dans un faubourg de la ville. »

Une forme de coquetterie

Face à une théorie, elle se l’approprie affectivement, en une sorte de coquetterie comme si l’univers devait se mettre à son service :

Je ne me contente, reprit-elle, ni de vos rochers, ni de vos oiseaux. Cela ne laisserait pas d’être joli ; mais, puisque la nature a donné tant de lunes à Saturne et à Jupiter, c’est une marque qu’il faut des lunes. J’eusse été bien aise que tous les mondes éloignés du Soleil en eussent eu, si Mars ne nous fut point venu faire une exception désagréable.

Cette coquetterie, celle d’une femme habituée à être au centre de l’intérêt, se traduit par l’usage du pronom personnel, dans une question telle « Mais, interrompit la Marquise, en disant toujours, pourquoi non ? vous m’allez mettre des habitants dans toutes les planètes ? », ou dans son refus d’un univers « sans Soleil » : « Cette idée est trop funeste, reprit-elle. N’y aurait-il pas moyen de me l’épargner ? » Elle n’hésite pas à vouloir choisir la marche de l’univers, afin de choisir ses fréquentations, comme elle a l’habitude de le faire dans son salon.

Nicolas Régnier, Jeune femme à sa toilette, vers 1626. Huile sur toile,  130 x 105. Musée des Beaux-Arts de Lyon

Nicolas Régnier, Jeune femme à sa toilette, vers 1626. Huile sur toile,  130 x 105. Musée des Beaux-Arts de Lyon

Il est assez plaisant, dit la Marquise, d’imaginer ce que vous venez de me dire ; mais si je voyais tout cela d’en haut, je voudrais avoir la liberté de hâter ou d’arrêter le mouvement de la Terre, selon que les objets me plairaient plus ou moins, et je vous assure que je ferais passer bien vite ceux qui s’embarrassent de politique, ou qui mangent leurs ennemis ; mais il y en a d’autres pour qui j’aurais de la curiosité. J’en aurais pour ces belles Circassiennes, par exemple, qui ont un usage si particulier.

Même son acceptation d’une théorie reste autocentrée, telle celle des tourbillons dans le cinquième entretien : « J’aime fort toutes ces idées-là, dit la Marquise. J’aime ces ballons qui s’enflent et se désenflent à chaque moment, et ces mondes qui se combattent toujours, et surtout j’aime à voir comment ce combat fait entre eux un commerce de lumière qui apparemment est le seul qu’ils puissent avoir. »

Comment ne pas sourire de ses souhaits, quand elle veut à tout prix que l’univers se conforme à son bon plaisir ? Elle se comporte en femme habituée à régner sur son domaine, comme dans le troisième entretien, « Fixez-moi promptement à une opinion sur les habitants de la lune ; conservons-les, ou anéantissons-les pour jamais, et qu’il n’en soit plus parlé ; mais conservons-les plutôt, s’il se peut, j’ai pris pour eux une inclination que j’aurais de la peine à perdre. Je ne laisserai donc pas la lune déserte, repris-je, repeuplons-la pour vous faire plaisir », ou dans le quatrième : « Je voudrais donc, reprit-elle, que les habitants des quatre lunes de Jupiter fussent comme des colonies de Jupiter ; qu’elles eussent reçu de lui, s’il était possible, leurs lois et leurs coutumes ; que, par conséquent, elles lui rendissent quelque sorte d’hommage, et ne regardassent la grande planète qu’avec respect. »

Elle va jusqu’à imaginer une intervention possible sur l’univers : « Je ne suis pas si touchée, dit la Marquise, de cette perte-là que font les habitants de Mercure, que de l’incommodité qu’ils reçoivent de l’excès de chaleur. Je voudrais bien que nous les soulageassions un peu. Donnons à Mercure de longues et d’abondantes pluies qui le rafraîchissent, comme on dit qu’il en tombe ici dans les pays chauds pendant des quatre mois entiers, justement dans les saisons les plus chaudes. »

Une connivence

Parfaitement conscient de cette nature féminine, le philosophe entre dans son jeu et il se crée entre eux une véritable connivence dans le choix d’images plaisantes, dès le premier entretien à propos de la terre qui tourne :

La terre soutenue par quatre éléphants

Eh bien, lui répondis je, faisons porter la terre par quatre éléphants, comme font les Indiens. Voici bien un autre système, s’écria-t-elle. Du moins j’aime ces gens-là d’avoir pourvu à leur sûreté, et fait de bons fondements, au lieu que nous autres Coperniciens, nous sommes assez inconsidérés pour vouloir bien nager à l’aventure dans cette matière céleste. Je gage que si les Indiens savaient que la Terre fût le moins du monde en péril de se mouvoir, ils doubleraient les éléphants.

Cela le mériterait bien, repris-je, en riant de sa pensée, il ne faut point s’épargner les éléphants pour dormir en assurance, et si vous en avez besoin pour cette nuit, nous en mettrons dans notre système autant qu’il vous plaira, ensuite nous les retrancherons peu à peu, à mesure que vous vous rassurerez. Sérieusement, reprit-elle, je ne crois pas dès à présent qu’ils me soient fort nécessaires, et je me sens assez de courage pour oser tourner.

La terre soutenue par quatre éléphants

Il s’emploie ainsi à se faire complice de ses désirs, signe d’une plaisante galanterie qu’elle ne peut qu’apprécier, puisqu’elle-même entre aussi volontiers dans ce badinage amoureux, par exemple dans sa réponse au philosophe qui affirme que Vénus « est grosse comme la Terre, et par conséquent la Terre paraît à Vénus de la même grandeur dont Vénus nous paraît » : « J’en suis bien aise, dit la Marquise, la Terre pourra être pour Vénus l’étoile du berger, et la mère des amours, comme Vénus l’est pour nous. Ces noms-là ne peuvent convenir qu’à une petite planète, qui soit jolie, claire, brillante, et qui ait un air galant. » De même pour sa façon d’imaginer ses habitants, héritage des romans précieux : « ces gens-là doivent bien entendre la galanterie », confortée par son interlocuteur qui se place à son niveau : « Oh ! sans doute, répondis-je, le menu peuple de Vénus n’est composé que de Céladons et de Silvandres, et leurs conversations les plus communes valent les plus belles de Clélie. Le climat est très favorable aux amours ».

En même temps, pour répondre au stéréotype féminin alors en vigueur, elle sait jouer d’une prétendue faiblesse pour solliciter son interlocuteur, déjà en formulant ses peurs, par exemple lors du quatrième soir : « éclaircissez-moi, je vous prie, une autre difficulté qui m’occupe depuis quelques moments. Si la Terre est si petite à l’égard de Jupiter, Jupiter nous voit-il ? Je crains que nous ne lui soyons inconnus ». Elle est donc sûre du pouvoir qu’elle peut exercer de cette façon, et y recourt volontiers encore dans le cinquième entretien : « Mais, reprit-elle, voilà l’univers si grand que je m’y perds, je ne sais plus où je suis, je ne suis plus rien. Quoi, tout sera divisé en tourbillons jetés confusément les uns parmi les autres ? Chaque étoile sera le centre d’un tourbillon, peut-être aussi grand que celui où nous sommes ? Tout cet espace immense qui comprend notre Soleil et nos planètes, ne sera qu’une petite parcelle de l’univers ? Autant d’espaces pareils que d’étoiles fixes ? Cela me confond, me trouble, m’épouvante. » Le philosophe ne peut alors que la rassurer en la flattant, rôle entre autres du dernier entretien : « Ah ! Madame, répliquai-je, ne vous découragez pas. Les horloges les plus communes et les plus grossières marquent les heures, il n’y a que celles qui sont travaillées avec plus d’art qui marquent les minutes. De même les esprits ordinaires sentent bien la différence d’une simple vraisemblance à une certitude entière ; mais il n’y a que les esprits fins qui sentent le plus ou le moins de certitude ou de vraisemblance, et qui en marquent, pour ainsi dire, les minutes par leur sentiment. »

Pour conclure

En imaginant ce face-à-face, Fontenelle s’est montré très habile, car tout est fait pour séduire son public, et tout particulièrement les lectrices. Ces femmes cultivées peuvent se reconnaître dans les réactions de la Marquise, accompagner ses questions et ses réticences, et la relation entre elle et le philosophe reproduit les échanges qui peuvent alors avoir lieu dans les salons. C’est ainsi que Fontenelle peut atteindre l’objectif qu’il s’est fixé, transmettre un savoir scientifique souvent complexe en divertissant par la légèreté de la conversation, pleine de l’esprit galant du siècle.

Corneille lisant Polyeucte chez madame de Rambouillet,  vers 1640-41. Gravure anonyme colorisée

précieuse2.jpgCorneille lisant Polyeucte chez madame de Rambouillet,  vers 1640-41. Gravure anonyme colorisée

Ce double aspect de leur relation ressort de l’exclamation joyeuse de la marquise, fière de l'instruction reçue, « Quoi, s’écria-t-elle, j’ai dans la tête tout le système de l’univers ! Je suis savante ! », tandis que le philosophe lui rend toute sa liberté, en accompagnant son discours d’un trait de galanterie : « Oui, répliquai-je, vous l’êtes assez raisonnablement, et vous l’êtes avec la commodité de pouvoir ne rien croire de tout ce que je vous ai dit dès que l’envie vous en prendra. Je vous demande seulement pour récompense de mes peines, de ne voir jamais le Soleil, ni le ciel, ni les étoiles, sans songer à moi. »

Le discours sur la science 

Science

La Renaissance a marqué un tournant important dans le domaine des sciences, notamment avec la remise en cause des théories posées dans l’antiquité. Même si les découvertes nouvelles ont donné lieu à une importante résistance de l’Église, contre Copernic, puis Galilée, condamné en 1533 à la prison à vie, elles se diffusent durant le XVIIème siècle tout particulièrement grâce à Descartes avec la parution du Discours de la méthode, en 1637, malgré son interdiction dans de nombreuses universités encore sous contrôle religieux. Un nouvel esprit scientifique se met en place, fondé sur l’expérimentation, car toute théorie scientifique doit, à présent, se fonder sur des preuves. Les premières revues scientifiques apparaissent dans la seconde moitié du siècle, tel Le Journal des savants en 1665, et cet intérêt se confirme par la création de l’Académie des sciences par Colbert en 1666. Mais encore faut-il que la science pénètre les esprits, et, pour cela, il est nécessaire de toucher un public cultivé, dont celui des salons, et c’est à cela que s’emploie Fontenelle en choisissant une femme comme interlocutrice, ce qui l’oblige à adopter le ton propre à séduire alors même que l’enseignement est complexe.

La démarche scientifique 

Le refus de la superstition

L’objectif de Fontenelle est de transmettre des connaissances scientifiques, ce qui implique qu’elles soient fondées sur la raison, donc le rejet de toutes les croyances antérieures, superstitions ou, tout simplement, préjugés. Dans sa Préface il affirme, « Le vrai et le faux sont mêlés ici, mais ils y sont toujours aisés à distinguer », et cette distinction est nette dès le premier entretien où la longue comparaison de l’univers à une scène d’opéra, oppose les croyances antiques, et la mythologie qui l’accompagne, à la rationalité du XVIIème siècle :

Jan Carel van Eyck, La Chute de Phaéton, fin du XVIIème siècle. Huile sur toile, 197 x 180. Musée du Prado, Madrid

on a été longtemps à deviner ce qui causait les mouvements de l’univers. Car représentez-vous tous les sages à l’opéra, ces Pythagore, ces Platon, ces Aristote, et tous ces gens dont le nom fait aujourd’hui tant de bruit à nos oreilles ; supposons qu’ils voyaient le vol de Phaéton que les vents enlèvent, qu’ils ne pouvaient découvrir les cordes, et qu’ils ne savaient point comment le derrière du théâtre était disposé. L’un d’eux disait : C’est une certaine vertu secrète qui enlève Phaéton. L’autre, Phaéton est composé de certains nombres qui le font monter. L’autre, Phaéton a une certaine amitié pour le haut du théâtre ; il n’est point à son aise quand il n’y est pas. L’autre, Phaéton n’est pas fait pour voler, mais il aime mieux voler, que de laisser le haut du théâtre vide ; et cent autres rêveries que je m’étonne qui n’aient perdu de réputation toute l’Antiquité. À la fin Descartes, et quelques autres modernes sont venus, qui ont dit : Phaéton monte, parce qu’il est tiré par des cordes, et qu’un poids plus pesant que lui descend. Ainsi on ne croit plus qu’un corps se remue, s’il n’est tiré, ou plutôt poussé par un autre corps ; on ne croit plus qu’il monte ou qu’il descende, si ce n’est par l’effet d’un contrepoids ou d’un ressort.

Jan Carel van Eyck, La Chute de Phaéton, fin du XVIIème siècle. Huile sur toile, 197 x 180. Musée du Prado, Madrid

À plusieurs reprises, il ridiculise les anciennes superstitions qui ont pour cause l’ignorance, par exemple à propos des éclipses dans le deuxième entretien :  

on a été longtemps à deviner ce qui causait les mouvements de l’univers. Car représentez-vous tous les sages à l’opéra, ces Pythagore, ces Platon, ces Aristote, et tous ces gens dont le nom fait aujourd’hui tant de bruit à nos oreilles ; supposons qu’ils voyaient le vol de Phaéton que les vents enlèvent, qu’ils ne pouvaient découvrir les cordes, et qu’ils ne savaient point comment le derrière du théâtre était disposé. L’un d’eux disait : C’est une certaine vertu secrète qui enlève Phaéton. L’autre, Phaéton est composé de certains nombres qui le font monter. L’autre, Phaéton a une certaine amitié pour le haut du théâtre ; il n’est point à son aise quand il n’y est pas. L’autre, Phaéton n’est pas fait pour voler, mais il aime mieux voler, que de laisser le haut du théâtre vide ; et cent autres rêveries que je m’étonne qui n’aient perdu de réputation toute l’Antiquité. À la fin Descartes, et quelques autres modernes sont venus, qui ont dit : Phaéton monte, parce qu’il est tiré par des cordes, et qu’un poids plus pesant que lui descend. Ainsi on ne croit plus qu’un corps se remue, s’il n’est tiré, ou plutôt poussé par un autre corps ; on ne croit plus qu’il monte ou qu’il descende, si ce n’est par l’effet d’un contrepoids ou d’un ressort.

Dans le dernier entretien, il s’efforce donc de détruire les superstitions, mais en acceptant l’idée qu’il appartient aux scientifiques de chercher la vérité scientifique qu’elles peuvent dissimuler, par exemple un perpétuel changement géologique :

Les fables disent qu’Hercule sépara avec ses deux mains deux montagnes nommées Calpé et Abyla, qui étant situées entre l’Afrique et l’Espagne, arrêtaient l’océan, et qu’aussitôt la mer entra avec violence dans les terres, et fit ce grand golfe qu’on appelle la Méditerranée. Les fables ne sont point tout à fait des fables, ce sont des histoires des temps reculés, mais qui ont été défigurées, ou par l’ignorance des peuples, ou par l’amour qu’ils avoient pour le merveilleux, très anciennes maladies des hommes. Qu’Hercule ait séparé deux montagnes avec ses deux mains, cela n’est pas trop croyable ; mais que du temps de quelque Hercule, car il y en a cinquante, l’Océan ait enfoncé deux montagnes plus faibles que les autres, peut-être à l’aide de quelque tremblement de terre, et se soit jeté entre l’Europe et l’Afrique, je le croirais sans beaucoup de peine.

Francisco de Zurbarán, Hercule séparant les monts Calpé et Abyla, 1634. Huile sur toile, 136 x 167. Musée du Prado, Madrid

Francisco de Zurbarán, Hercule séparant les monts Calpé et Abyla, 1634. Huile sur toile, 136 x 167. Musée du Prado, Madrid

La critique de l'héritage antique

Ses critiques n’épargnent donc pas l’héritage antique, ironiquement dénoncé : « un grand philosophe de l’antiquité a fait de la lune le séjour des âmes qui ont mérité ici d’être bienheureuses. Toute leur félicité consiste en ce qu’elles y entendent l’harmonie que les corps célestes font par leurs mouvements ; mais comme il prétend que, quand la lune tombe dans l’ombre de la terre, elles ne peuvent plus entendre cette harmonie, alors, dit-il, ces âmes crient comme des désespérées, et la lune se hâte le plus qu’elle peut de les tirer d’un endroit si fâcheux. »

Au premier rang dans cette dénonciation figure Aristote, visé par une parenthèse ironique lors du cinquième soir : « (comment une vérité eût-elle échappé à Aristote ?) » Sur ce philosophe, en effet, repose encore tout l’enseignement universitaire, comme pour sa conception de la matière de tous les corps, y compris célestes : « il fallait qu’ils fussent solides. Il le fallait absolument ; car Aristote avait trouvé que la solidité était une chose attachée à la noblesse de leur nature, et puisqu’il l’avait dit, on n’avait garde d’en douter. » Mais cette conception s’est finalement écroulée, souligne le philosophe : « Mais on a vu des comètes qui, étant plus élevées qu’on ne croyait autrefois, briseraient tout le cristal des cieux par où elles passent, et casseraient tout l’univers ; et il a fallu se résoudre à faire les cieux d’une matière fluide, telle que l’air. »

Les progrès de la connaissance

De cette façon, il fait peu à peu accepter l’idée qu’il faut dépasser les croyances scientifiques anciennes, autant d’erreurs dues aux limites de l’observation, transmises au fil des siècles :

Les Anciens étaient plaisants de s’imaginer que les corps célestes étaient de nature à ne changer jamais, parce qu’ils ne les avoient pas encore vus changer. Avaient-ils eu le loisir de s’en assurer par l’expérience ? Les Anciens étaient jeunes auprès de nous. Si les roses, qui ne durent qu’un jour, faisaient des histoires, et se laissent des mémoires les unes aux autres, les premières auraient fait le portrait de leur jardinier d’une certaine façon et, de plus de quinze mille âges de roses, les autres qui l’auraient encore laissé à celles qui les devaient suivre, n’y auraient rien changé. Sur cela, elles diraient : Nous avons toujours vu le même jardinier, de mémoire de rose on n’a vu que lui, il a toujours été fait comme il est, assurément il ne meurt point comme nous, il ne change seulement pas. Le raisonnement des roses serait-il bon ?

La carte du monde héritée de l’antiquité, 1493, in Chronique de Nuremberg, BnF

La carte du monde héritée de l’antiquité, 1493, in Chronique de Nuremberg, BnF

Autant de théories donc, dont l’erreur a pu être démontrée par les découvertes successives comme il l’explique dans le quatrième entretien :

Remarquez que le monde se développe peu à peu. Les Anciens se tenaient bien sûrs que la Zone torride et les Zones glaciales ne pouvaient être habitées à cause de l’excès ou du chaud ou du froid ; et du temps des Romains, la carte générale de la terre n’était guère plus étendue que la carte de leur empire, ce qui avait de la grandeur en un sens, et marquait beaucoup d’ignorance en un autre. Cependant il ne laissa pas de se trouver des hommes, et dans des pays très-chauds, et dans des pays très-froids ; voilà déjà le monde augmenté. Ensuite on jugea que l’Océan couvrait toute la terre, hormis ce qui était connu alors, et qu’il n’y avait point d’antipodes, car on n’en avait jamais ouï parler, et puis, auraient-ils eu les pieds en haut, et la tête en bas ? Après ce beau raisonnement on découvre les antipodes. Nouvelle réformation à la carte, nouvelle moitié de la terre. Vous m’entendez bien, Madame, ces antipodes-là qu’on a trouvés contre toute espérance, devraient nous apprendre à être retenus dans nos jugements. 

Est ainsi posée l’idée de progrès, qui a pour corollaire une invitation à la prudence : « En fait des découvertes nouvelles, il ne se faut pas trop presser de raisonner, quoiqu’on en ait toujours assez d’envie, et les vrais philosophes sont comme les éléphants, qui en marchant ne posent jamais le second pied à terre, que le premier n’y soit bien affermi. »

Les connaissances transmises 

Du géocentrisme à l'héliocentrisme

Fontenelle mesure la difficulté de la tâche entreprise : « je vis que je ne savais pas où commencer mon discours : car avec une personne comme elle, qui ne savait rien en matière de physique, il fallait prendre les choses de bien loin, pour lui prouver que la Terre pouvait être une planète, et les planètes autant de terres, et toutes les étoiles autant de soleils qui éclairaient des mondes ». C’est ce qui explique que, pour détruire ce qui peut exister dans les esprits, il remonte à ce qui est la source même de la conception de l’univers, l’ancien système de Ptolémée, bien enraciné, qu’il rappelle au début du dialogue en dénonçant ce qui l’a justifié, un orgueil de l’homme qui ne peut accepter de ne pas être au centre de la création :

Notre folie à nous autres, est de croire aussi que toute la nature, sans exception, est destinée à nos usages ; et quand on demande à nos philosophes, à quoi sert ce nombre prodigieux d’étoiles fixes, dont une partie suffirait pour faire ce qu’elles font toutes, ils vous répondent froidement qu’elles servent à leur réjouir la vue. Sur ce principe on ne manqua pas d’abord de s’imaginer qu’il fallait que la terre fût en repos au centre de l’univers, tandis que tous les corps célestes qui étaient faits pour elle, prendraient la peine de tourner alentour pour l’éclairer. Ce fut donc au-dessus de la Terre qu’on plaça la Lune ; et au-dessus de la Lune on plaça Mercure, ensuite Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne. Au-dessus de tout cela était le ciel des étoiles fixes. La Terre se trouvait justement au milieu des cercles que décrivent ces planètes, et ils étaient d’autant plus grands qu’ils étaient plus éloignés de la Terre, et par conséquent les planètes plus éloignées employaient plus de temps à faire leur cours, ce qui effectivement est vrai.

Les réticences de la marquise soulignent à quel point cette conception, soutenue par l’Église, est ancrée dans les esprits, d’où les preuves multipliées pour la convaincre d’adopter le système de l’astronome polonais Copernic, popularisé par l’Italien Galilée (1564-1642), qui fut obligé d’abjurer pour ne pas être condamné à mort. 

Il est précisément décrit dans le premier entretien, et la démonstration précise réussit à convaincre la marquise :

Le Soleil est au centre de l’univers, et là il est immobile, après lui, qu’est-ce qui suit ? C’est Mercure, répondis-je, il tourne autour du Soleil, en sorte que le Soleil est à peu près le centre du cercle que Mercure décrit. Au-dessus de Mercure est Vénus, qui tourne de même autour du Soleil. Ensuite vient la Terre qui, étant plus élevée que Mercure et Vénus, décrit autour du Soleil un plus grand cercle que ces planètes. Enfin suivent Mars, Jupiter, Saturne, selon l’ordre où je vous les nomme ; et vous voyez bien que Saturne doit décrire autour du Soleil le plus grand cercle de tous ; aussi emploie-t-il plus de temps qu’aucune autre planète à faire sa révolution. Et la Lune, vous l’oubliez, interrompit-elle. Je la retrouverai bien repris-je. La Lune tourne autour de la Terre et ne l’abandonne point ; mais comme la Terre avance toujours dans le cercle qu’elle décrit autour du Soleil, la Lune la suit, en tournant toujours autour d’elle ; et si elle tourne autour du Soleil, ce n’est que pour ne point quitter la Terre. 

Andreas Cellarius, Le système de Copernic, in Harmonia macrocosmia, Atlas universalis et novus, 1660. BnF

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De là découle tout le reste du dialogue, selon un plan logique ; après la terre, la lune est étudiée dans le deuxième entretien, puis l’ordre est annoncé dans le troisième entretien à la façon d’un voyage par étapes : « Mais, Madame, continuons le voyage que nous avions entrepris de faire de planète en planète, nous avons assez exactement visité la Lune. Au sortir de la lune, en tirant vers le soleil, on trouve vénus. » Ces étapes sont indiquées dans les titres de chaque entretien.

Les moyens de la connaissance

Les instruments

Pour convaincre son interlocutrice, le philosophe insiste sur ce qui a pu permettre un tel progrès, en montrant le rôle qu’ont pu jouer les instruments, notamment d’optique, qui permettent d’améliorer l’observation : « depuis près de cent ans […] l’on voit avec les lunettes un ciel tout nouveau, et inconnu aux Anciens ». Cela va du plus petit, avec les premiers microscopes, grâce auxquels on a vu « de très petites gouttes d’eau de pluie, ou de vinaigre, ou d’autres liqueurs, remplies de petits poissons ou de petits serpents que l’on n’aurait jamais soupçonnés d’y habiter » (troisième entretien), jusqu’au plus grand, avec la lunette astronomique ou le télescope, comme il l’explique pour Vénus dans le quatrième entretien : « mais savez-vous ce qui rend Vénus si jolie de loin ? C’est qu’elle est fort affreuse de près. On a vu avec les lunettes d’approche que ce n’était qu’un amas de montagnes beaucoup plus hautes que les nôtres, fort pointues, et apparemment fort sèches ; et par cette disposition la surface d’une planète est la plus propre qu’il se puisse à renvoyer la lumière avec beaucoup d’éclat et de vivacité. »

Louis Cossin, Jean Dominique Cassini et l’Observatoire royal, 1712. Gravure. BnF

D’où, à la demande de la marquise, « Et quelles sont ces nouvelles sûres ? », sa réponse catégorique sur le paysage lunaire : « Ce sont celles, répondis-je, qui nous sont rapportées par ces savants qui y voyagent tous les jours avec des lunettes d’approche. Ils vous diront qu’ils y ont découvert des terres, des mers, des lacs, de très hautes montagnes, des abîmes très profonds. » Ainsi, les expériences multiplient les observations qui permettent ensuite les calculs pour arriver à des mesures exactes, comme le fit, en 1673, l’astronome Cassini qui a pu calculer précisément la distance de la Terre au Soleil grâce à la mesure de la parallaxe de Mars déduite des observations réalisées par Jean Richer lors d’une expédition en Guyane.

Louis Cossin, Jean Dominique Cassini et l’Observatoire royal, 1712. Gravure. BnF

Observation et expérience

C’est ce qui explique la stratégie adoptée pour convaincre la marquise, faire appel à ce qu’elle peut observer elle-même, par exemple lors du « premier soir » à propos du mouvement de la terre : 

Avez-vous remarqué, lui répondis-je, qu’une boule qui roulerait sur cette allée aurait deux mouvements ? Elle irait vers le bout de l’allée, et en même temps elle tournerait plusieurs fois sur elle-même, en sorte que la partie de cette boule qui est en haut, descendrait en bas, et que celle d’en bas monterait en haut. La terre fait la même chose. Dans le temps qu’elle avance sur le cercle qu’elle décrit en un an autour du soleil, elle tourne sur elle-même en vingt-quatre heures ; ainsi en vingt-quatre heures chaque partie de la terre perd le soleil, et le recouvre ; et à mesure qu’en tournant on va vers le côté où est le soleil, il semble qu’il s’élève ; et quand on commence à s’en éloigner, en continuant le tour, il semble qu’il s’abaisse. 

De même, dans le quatrième entretien, il l’amène à reconnaître un constat irréfutable : 

Vous savez bien que, quand on met de l’huile avec de l’eau, l’huile surnage. Qu’on mette sur ces deux liqueurs un corps extrêmement léger, l’huile le soutiendra, et il n’ira pas jusqu’à l’eau. Qu’on y mette un autre corps plus pesant, et qui soit justement d’une certaine pesanteur, il passera au travers de l’huile, qui sera trop faible pour l’arrêter, et tombera jusqu’à ce qu’il rencontre l’eau qui aura la force de le soutenir. Ainsi dans cette liqueur, composée de deux liqueurs qui ne se mêlent point, deux corps inégalement pesants se mettent naturellement à deux places différentes, et jamais l’un ne montera, ni l’autre ne descendra.

Cela lui permet, ensuite, d’appliquer ce constat à la position des planètes : « Représentez-vous que la matière céleste, qui remplit ce grand tourbillon, a différentes couches qui s’enveloppent les unes les autres, et dont les pesanteurs sont différentes, comme celles de l’huile et de l’eau, et des autres liqueurs. Les planètes ont aussi différentes pesanteurs, chacune d’elles par conséquent s’arrête dans la couche qui a précisément la force nécessaire pour la soutenir, et qui lui fait équilibre, et vous voyez bien qu’il n’est pas possible qu’elle en sorte jamais. » Au-delà des connaissances, c’est donc à la démarche scientifique elle-même qu’il initie son interlocutrice., une démarche expérimentale qui s'imposera au XVIIIème siècle dans tous les domaines.

Les limites du savoir

Mais, à toutes les époques, le savoir reste en formation, des débats ont lieu entre les scientifiques, et les connaissances sont susceptibles d’évoluer, ce que reconnaît le philosophe en concluant l’entretien ajouté : « Je viens de vous dire, répondis-je, toutes les nouvelles que je sais du ciel, et je ne crois pas qu’il y en ait de plus fraîches. »

Au XVIIème siècle, deux débats divisent les savants, l’un sur la lumière, l’autre sur l’existence du vide.

          En optique, les savants, tels l’Allemand Kepler, le Néerlandais Huygens ou l’Anglais Newton s’interrogent sur la nature de la lumière, en cherchant comment expliquer les couleurs. Le troisième entretien y consacre un long passage, qui multiplie les questions dont les réponses restent encore très incertaines, uniquement des suites d’hypothèses :

Je crois, par exemple, qu’il faut qu’on y voie le ciel, le soleil, et les autres d’une autre couleur que nous ne les voyons. Tous ces objets ne nous paraissent qu’au travers d’une espèce de lunette naturelle qui nous les change. Cette lunette, c’est notre air, mêlé comme il est de vapeurs et d’exhalaisons, et qui ne s’étend pas bien haut. Quelques modernes prétendent que de lui-même il est bleu aussi bien que l’eau de la mer, et que cette couleur ne paraît dans l’un et dans l’autre qu’à une grande profondeur. Le ciel, disent-ils, où sont attachées les étoiles fixes, n’a de lui-même aucune lumière, et par conséquent il devrait paraître noir ; mais on le voit au travers de l’air qui est bleu, et il paraît bleu. Si cela est, les rayons du soleil et des étoiles ne peuvent passer au travers de l’air sans se teindre un peu de sa couleur, et prendre autant de celle qui leur est naturelle. Mais quand même l’air ne serait pas coloré de lui-même, il est certain qu’au travers d’un gros brouillard, la lumière d’un flambeau qu’on voit un peu de loin paraît toute rougeâtre, quoique ce ne soit pas sa vraie couleur ; et notre air n’est non plus qu’un gros brouillard qui nous doit altérer la vraie couleur, et du ciel, et du soleil, et des étoiles.

Isaac Newton et le prisme, in Encyclopédie Universalis Junior

Isaac Newton et le prisme, in Encyclopédie Universalis Junior

           L’existence du vide est un débat encore plus virulent, animé par la théorie des « tourbillons de Descartes », notion définie dans le quatrième entretien, « Ce qu’on appelle un tourbillon, c’est un amas de matière dont les parties sont détachées les unes des autres, et se meuvent toutes en un même sens ; permis à elles d’avoir pendant ce temps-là quelques petites mouvements particuliers, pourvu qu’elles suivent toujours le mouvement général », puis la conception cartésienne est longuement développée :

Voilà quel est le grand tourbillon dont le Soleil est comme le maître ; mais en même temps, les planètes se composent de petits tourbillons particuliers à l’imitation de celui du Soleil. Chacune d’elles, en tournant autour du Soleil, ne laisse pas de tourner autour d’elle-même, et fait tourner aussi autour d’elle en même sens une certaine quantité de cette matière céleste, qui est toujours prête à suivre tous les mouvements qu’on lui veut donner, s’ils ne la détournent pas de son mouvement général. C’est là le tourbillon particulier de la planète, et elle le pousse aussi loin que la force de son mouvement se peut étendre. S’il faut qu’il tombe dans ce petit tourbillon quelque planète moindre que celle qui y domine, la voilà emportée par la grande et forcée indispensablement à tourner autour d’elle, et le tout ensemble, la grande planète, la petite, et le tourbillon qui les renferme n’en tourne pas moins autour du Soleil. des étoiles.

Frontispice de l'ouvrage de Fontenelle face aux « Figure des tourbillons célestes », in L’usage des globes céleste et terrestre (1703) de Nicolas Bion

Or, Isaac Newton, dans Philosophiae naturalis principia mathematica, publié à Londres en 1687, démontre l’erreur de Descartes en introduisant la notion de gravitation universelle. Pourtant, jusqu’à la parution de Théorie des tourbillons cartésiens, en 1752, et malgré le sous-titre « Avec des réflexions sur l’attraction », Fontenelle reste fidèle à cette théorie. 

Frontispice de l'ouvrage de Fontenelle face aux « Figure des tourbillons célestes », in L’usage des globes céleste et terrestre (1703) de Nicolas Bion

Finalement, il s’applique à lui-même le conseil prudent donné à la marquise dans le dernier entretien : « En fait des découvertes nouvelles, il ne se faut pas trop presser de raisonner, quoiqu’on en ait toujours assez d’envie ». D’ailleurs, dans l’entretien ajouté il reconnaît que la connaissance reste encore incomplète et incertaine : « De plus, il est sûr que les planètes ont des mouvements sur leurs propres centres, ces mouvements sont encore inégaux, on ne sait pas bien sur quoi se règle cette inégalité, si c’est ou sur la différente grosseur des planètes, ou sur leur différente solidité, ou sur la différente vitesse des tourbillons particuliers qui les enferment, et des matières liquides où elles sont portées ».

L'intérêt de la science 

La réflexion sociale

Le fonctionnement de l’univers, si vaste et si ordonné, ramène l’homme aux réalités de sa société, qui paraît alors véritablement dérisoire, comme le souligne le philosophe face à la remarque de la marquise dès le premier soir :

Mais le dialogue dépasse le seul désir de mieux connaître l’univers, car, pour Fontenelle, la science joue un rôle bien plus vaste, qu’il met en évidence. Elle touche à toutes les dimensions humaines.

Vous me présentez la Terre sous des idées bien méprisables, dit la Marquise. C’est pourtant sur cette coque de ver à soie qu’il se fait de si grands travaux, de si grandes guerres, et qu’il règne de tous côtés une si grande agitation. Oui, répondis-je, et pendant ce temps-là la nature, qui n’entre point en connaissance de tous ces petits mouvements particuliers, nous emporte tous ensemble d’un mouvement général, et se joue de la petite boule.

Ainsi, elle conclut elle-même, « Il me semble, reprit-elle, qu’il est ridicule d’être sur quelque chose qui tourne, et de se tourmenter tant ». De même, face aux incertitudes de la science, l’homme est invité à plus de modération dans sa société, à plus de tolérance, à l’image de ce que déclare le philosophe dans le deuxième entretien :

Je ne prends parti dans ces choses-là que comme on en prend dans les guerres civiles, où l’incertitude de ce qui peut arriver fait qu’on entretient toujours des intelligences dans le parti opposé, et qu’on a des ménagements avec ses ennemis mêmes. Pour moi, quoique je croie la lune habitée, je ne laisse pas de vivre civilement avec ceux qui ne le croient pas, et je me tiens toujours en état de me pouvoir ranger à leur opinion avec honneur, si elle avait le dessus. 

Dans cette fin de XVIIème siècle où les conflits sont nombreux, tant à l’intérieur entre les courants religieux, qu’à l’extérieur avec des guerres, la science devrait donc amener à comprendre qu’ils n’ont aucun sens à l’échelle de l’univers. Il faut donc, à partir de la diversité des planètes posée dans le troisième entretien, conclure en faveur de la tolérance, et accepter la diversité qui règne entre les différentes sociétés :

Cette planète-ci jouit des douceurs de l’amour, mais elle est toujours désolée en plusieurs de ses parties par les fureurs de la guerre. Dans une autre planète on jouit d’une paix éternelle, mais au milieu de cette paix on ne connaît point l’amour, et on s’ennuie. Enfin ce que la nature pratique en petit entre les hommes pour la distribution du bonheur ou des talents, elle l’aura sans doute pratiqué en grand entre les mondes, et elle se sera bien souvenue de mettre en usage ce secret merveilleux qu’elle a de diversifier toutes choses, et de les égaler en même temps que les compensations.

La réflexion morale

Comme la plupart des auteurs du XVIIème siècle, Fontenelle associe aussi son discours à des valeurs morales : dès que l’on adopte une démarche scientifique, celle-ci amène l’homme, en effet, à réfléchir sur lui-même, sur la façon dont il raisonne, et sur ses défauts, au premier rang desquels, comme le dénonçait La Rochefoucauld, l’amour-propre, pour expliquer le refus de l’héliocentrisme : « Les mouvements les plus naturels, répondis-je, et les plus ordinaires, sont ceux qui se font le moins sentir, cela est vrai jusque dans la morale. Le mouvement de l’amour-propre nous est si naturel, que le plus souvent nous ne le sentons pas, et que nous croyons agir par d’autres principes. » C’est aussi ce qu’illustre le discours plaisamment imaginé par la marquise : « Toutes ces planètes, dit la Marquise, sont faites comme nous, qui rejetons toujours sur les autres ce qui est en nous-mêmes. La terre dit : Ce n’est pas moi qui tourne, c’est le soleil. La Lune dit : Ce n’est pas moi qui tremble, c’est la terre. Il y a bien de l’erreur partout ».

Les limites que la science conduit à constater renvoient donc l’homme à ses propres limites, celles qu’il doit à sa nature même :

On dit qu’il pourrait bien nous manquer un sixième sens naturel, qui nous apprendrait beaucoup de choses que nous ignorons. Ce sixième sens est apparemment dans quelque autre monde, où il manque quelqu’un des cinq que nous possédons. Peut-être même y a-t-il effectivement un grand nombre de sens naturels ; mais dans le partage que nous avons fait avec les habitants des autres planètes, il ne nous en est échu que cinq, dont nous nous contentons faute d’en connaître d’autres. Nos sciences ont de certaines bornes que l’esprit humain n’a jamais pu passer, il y a un point où elles nous manquent tout à coup ; le reste est pour d’autres mondes où quelque chose de ce que nous savons est inconnu.

Comment ne pas penser ici aux Pensées de Pascal sur la place de l’homme dans l’univers ?

La puissance de l'imagination

Le point de départ de la première conversation, sous la clarté de la lune et des étoiles, ouvre également un autre espace à la science, celui du rêve :

On s’imagine que les étoiles marchent avec plus de silence que le soleil, les objets que le ciel présente sont plus doux, la vue s’y arrête plus aisément ; enfin on en rêve mieux, parce qu’on se flatte d’être alors dans toute la nature la seule personne occupée à rêver. Peut-être aussi que le spectacle du jour est trop uniforme, ce n’est qu’un soleil, et une voûte bleue, mais il se peut que la vue de toutes ces étoiles semées confusément, et disposées au hasard en mille figures différentes, favorise la rêverie, et un certain désordre de pensées où l’on ne tombe point sans plaisir.

Même si la raison élabore et défend des théories, elle n’empêche en rien que l’univers reste largement mystérieux, ce qui stimule l’imagination. C’est, notamment tout ce qui ressort de l’intérêt porté à des « habitants » sur la lune ou d’autres planètes, comme le constate la marquise dans le troisième entretien : « Ma raison est assez bien convaincue, dit la Marquise, mais mon imagination est accablée de la multitude infinie des habitants de toutes ces planètes, et embarrassée de la diversité qu’il faut établir entre eux ; car je vois bien que la nature, selon qu’elle est ennemie des répétitions, les aura tous faits différents ; mais comment se représenter tout cela ? »

La réaction peut alors s’inverser ; loin de l’enfermer dans des limites étroites, la science ouvre à l’homme un espace infini. Les questions de la marquise, en effet, montrent qu’elle s’effraie de se sentir engloutie dans l’univers : « Quoi, tout sera divisé en tourbillons jetés confusément les uns parmi les autres ? Chaque étoile sera le centre d’un tourbillon, peut-être aussi grand que celui où nous sommes ? Tout cet espace immense qui comprend notre Soleil et nos planètes, ne sera qu’une petite parcelle de l’univers ? Autant d’espaces pareils que d’étoiles fixes ? Cela me confond, me trouble, m’épouvante. » Mais, face à elle, le philosophe, au contraire, se sent libéré car son imagination se donne libre cours :  

Le mystère de l’univers, in National Geographic

Le mystère de l’univers, "National Geographic"

Et moi, répondis-je, cela me met à mon aise. Quand le ciel n’était que cette voûte bleue, où les étoiles étaient clouées, l’univers me paraissait petit et étroit, je m’y sentais comme oppressé ; présentement qu’on a donné infiniment plus d’étendue et de profondeur à cette voûte en la partageant en mille et mille tourbillons, il me semble que je respire avec plus de liberté, et que je suis dans un plus grand air, et assurément l’univers a toute une autre magnificence. La nature n’a rien épargné en le produisant, elle a fait une profusion de richesses tout à fait digne d’elle. Rien n’est si beau à se représenter que ce nombre prodigieux de tourbillons, dont le milieu est occupé par un Soleil qui fait tourner des planètes autour de lui.

D’où les questions qui interpellent la marquise en mettant l’accent sur ce rôle de l’imagination, cheville ouvrière de la science qui progresse en posant des hypothèses : « Êtes-vous contente, Madame ? ajoutai-je. Vous ai-je ouvert un assez grand champ à exercer votre imagination ? » La plus belle preuve de ce rôle de la science est la façon dont elle nourrit la littérature, depuis les poèmes qui chantent la mélancolie des nuits étoilées, la beauté de la création, jusqu'aux ouvrages qui imaginent des voyages dans la lune, par exemple ceux de Cyrano de Bergerac.

POUR CONCLURE

Le sujet choisi, la cosmologie, est, bien évidemment, complexe, d’autant plus que le philosophe s’adresse à une femme que rien n’a préparée à recevoir un tel enseignement. Fontenelle a donc refusé la rigueur d’un exposé didactique, pour adopter un ton léger, nourri d’images évocatrices, propre à séduire son interlocutrice. Il réussit ainsi à la faire voyager de la terre à la lune, des planètes aux étoiles, tout en conservant une démarche scientifique, passant des hypothèses à l’observation, faisant appel à l’expérience et répondant aux objections sans, cependant, masquer les incertitudes qui subsistent car la science ne cesse de progresser à partir des découvertes nouvelles. En cela, il traduit la révolution qui s’opère dans les esprits, et qui s’incarnera dans l’Encyclopédie au siècle des Lumières : la démarche scientifique finit par s’appliquer à tous les domaines de la société, politique, économie, religion, à la morale et à la philosophie aussi, avant de de fonder, au XIXème siècle, un nouveau genre littéraire, la science-fiction.

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