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Le poète du Moyen Âge au XVIIIème siècle : de la satire à l'engagement 
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Présentation du corpus

La séquence intègre les quatre éléments figurant au programme :
- le "parcours littéraire", organisé autour de sept poèmes donnant lieu à une explication ;
- les "documents complémentaires" : abordés en lecture cursive, certains permettent de compléter l’étude d’un extrait, autres éclairent et approfondissent les enjeux littéraires.
- le "prolongement artistique et culturel": plusieurs documents complémentaires présentent l’héritage antique, le contexte, historique et culturel – par exemple pour expliquer la poésie des troubadours, la condition du poète ou un mouvement littéraire comme celui de la Pléiade –mais aussi élargissent la perspective en abordant l'histoire des arts. 
- une "lecture cursive", personnelle, peut être reprise collectivement ou être librement insérée dans un "carnet de lecture", être guidée ou en totale autonomie, éventuellement être le support d'un travail d'écriture spécifique.

Plusieurs activités, écrites ou orales, sont suggérées qui peuvent faire l'objet d'une séance collective, ou d'un travail personnel destiné, soit à nourrir le "carnet de lecture", soit à donner lieu à un exposé oral.

Mais, outre celles précédant ou suivant l'explication d'un texte,  d'autres pourraient être envisagées afin de solliciter la créativité des élèves et d'accroître leur participation : table ronde, mise en voix, illustration d’un poème, constitution d’une anthologie... 

La séquence ne mentionne qu'un devoir, pour s'entraîner à l'épreuve écrite de dissertation du Baccalauréat. Mais un autre devoir peut être élaboré, soit pour une évaluation formative, notamment à partir d'un ou plusieurs documents complémentaires, soit pour une évaluation sommative, en fin de séquence.

Il convient de ne négliger ni l'introduction, ni la conclusion. L'introduction permet à la fois de réactiver les apprentissages antérieurs et de prendre la mesure des enjeux de la séquence, en posant une problématique. La conclusion doit, en permettant aux élèves d'exercer leur esprit critique et en fixant les acquis, donner sens à l'étude effectuée par une réponse à la problématique. Il est intéressant aussi de proposer une recherche en élargissant le questionnement à notre époque actuelle.

Introduction : l'héritage antique 

Pour poser les enjeux de la séquence, nous choisissons de partir de l’héritage de l’Antiquité grecque et romaine, lexical, mythique et littéraire, dans le domaine de la poésie. Cela permettra de poser la problématique qui guidera le parcours, autour de deux notions : comment distinguer, dans la poésie, la "satire" de "l'engagement" ?

Introduction

LE POÈTE DANS L'ANTIQUITÉ 

Étymologie

Le mot "poésie" vient du verbe grec "poïeïn" qui signifie "faire", dans le sens de "fabriquer". Ainsi, le poète peut être comparé à un artisan : avec son matériau, les mots, et ses techniques propres - pendant longtemps, la versification, par exemple - il fabrique un objet, le poème, à la fois unique, beau et utile. Cette origine souligne déjà le travail exigé par la création poétique.

Le mythe d'Orphée

Mais, à travers le mythe d'Orphée, l'antiquité grecque donne au poète des rôles plus complexes, et contradictoires, qui se reflètent dans sa place au sein de la cité. D'un côté, en effet, le poète est honoré, élevé à la hauteur des plus nobles héros quand il se voit couronné de lauriers à l'occasion des concours dramatiques par exemple. En offre aussi un témoignage l'importance accordée à Homère, à Hésiode... dans l'éducation des plus jeunes. C'est à lui enfin qu'il est fait appel pour chanter la gloire des grands hommes de la cité : à Rome, certains jouent ainsi un rôle officiel aux côtés des empereurs. Mais un tel rôle peut, à l'inverse, faire son malheur : Ovide, par exemple, se trouve exilé par l'empereur Auguste dont il avait longtemps chanté les louanges.

Jean-Baptiste Corot, Orphée ramenant Eurydice des enfers, 1861. Huile sur toile, 112 x 137 . Museum of fine arts, Houston

Pour voir une vidéo d'analyse du tableau

Jean-Baptiste Corot, Orphée ramenant Eurydice des enfers, 1861. Huile sur toile, 112 x 137. Museum of fine arts, Houston

Les jugements de Platon

Des êtres inspirés : Ion, 534a-534d

​Dans Ion, nous retrouvons la dimension sacrée du poète héritée du mythe. Dans ce passage, Platon emploie à quatre reprises le terme « délire » pour qualifier l’état du poète quand il compose ses vers, qu’il s’agisse de « poètes lyriques » ou « épiques ». Ce terme est confirmé par d’autres formules, telles « après avoir perdu la raison », « en leur ôtant la raison » ou « hors de leur bon sens », et par les comparaisons aux états de transe qui s’emparent des « corybantes » ou des « bacchantes ». Ainsi, il fait du poète un « être léger, ailé et sacré », qui n’est pas lui-même artisan de ses vers, mais objet d’une « inspiration divine » : « ils doivent tout à l’inspiration, et rien à l’art », conclut Platon, semblables donc aux « prophètes » et aux « devins ». Nous pouvons donc considérer, en rapportant ces réflexions à la poésie satirique, que la critique des poètes peut avoir une utilité en corrigeant les abus et en guidant la société.

Pour lire les extraits de Platon

Buste de Platon. Marbre, copie romaine d'un original grec du IVe siècle av. J.- C. Musée du Vatican.

Buste de Platon. Marbre, copie romaine d'un original grec du IVe siècle av. J.- C. Musée du Vatican.

Des êtres dangereux : Apologie de Socrate

Pourtant, c’est précisément cette puissance sacrée, ce « délire » qui rend les poètes dangereux, aux yeux de Platon, car ils ne cultivent pas la raison, ne respectent pas le juste et le bon, sont en dehors des vertus morales. Ils peuvent ainsi nuire à l’éducation des jeunes gens, donc aux valeurs utiles à la cité. C’est ce qu’il souligne dans l’Apologie de Socrate, ouvrage datant de 399 avant Jésus-Christ.

Tout en reprenant sa comparaison au « prophète » et au « devin », il fait de cet état de « délire » le fondement même de sa critique : « ce n’est pas la raison qui dirige le poète », incapable d’ailleurs de « rendre compte » de sa création. L’accusation est grave, car Platon oppose la valeur esthétique à l’absence de rationalité, valeur première aux yeux du philosophe : ils « disent tous de fort belles choses, mais sans rien comprendre à ce qu’ils disent. » Mais à cela s’ajoute un autre défaut : « à cause de leur talent pour la poésie, ils se croyaient sur tout le reste les plus sages des hommes ; ce qu’ils n’étaient en aucune manière. »

Un jugement contrasté : La République, livre III

L’extrait confirme leur dangerosité, qui, vient de leur influence sur la jeunesse. Par exemple, quand ils prêtent aux héros un excès d’orgueil ou les plongent « dans le deuil et dans les larmes, ou, pire encore, quand ils représentent « des hommes méchants et lâches », « qui se rabaissent et se raillent les uns les autres », ils incitent les plus jeunes à les imiter. Ils les amollissent ainsi, leur enlèvent toute scrupule, toute morale. La poésie éloigne la jeunesse des plus nobles vertus.

Platon appelle donc à la vigilance. Tout en reconnaissant la valeur supérieure du poète, « être sacré » qu’il convient d’honorer, il formule clairement son rejet : « nous l'enverrions dans une autre ville, après avoir versé de la myrrhe sur sa tête et l'avoir couronné de bandelettes. » Il appartient aux philosophes, eux qui sont dotés de raison, d’être gardiens de la cité, et donc de trier parmi les poètes, en ne retenant que celui qui « imitera pour nous le ton de l'honnête homme et se conformera, dans son langage, aux règles que nous avons établies dès le début ». La poésie peut charmer, mais le poète ne doit pas, pour autant, être pris pour guide !

LA SATIRE DANS L'ANTIQUITÉ 

Dans la Grèce antique

C’est au théâtre d’abord que la satire se donne libre cours, notamment dans les comédies d’Aristophane. Mais les quelques rares extraits subsistant des œuvres des premiers poètes satiriques, Archiloque et Hipponax, donnent une idée du ton adopté, souvent violent, ne reculant pas devant l’insulte et l’invective.

Un extrait d’Archiloque, après l’échec de son mariage avec Néoboulè, la fille de Lycambe. Il tente alors de séduire sa sœur :

En ce qui concerne Néoboulè, abandonnons-la à quelque autre homme. Pouah ! Elle est bien trop mûre, a deux fois votre âge, et la fleur de sa jeunesse a perdu tout son éclat, tout comme d’ailleurs son charme qui lui était autrefois rattaché. Parce qu’insatiable, cette obsédée sexuelle nous a enfin révélé toute l’étendue de son engouement. Que le diable l’emporte ! N’invitons personne à penser que je puisse avoir épousé une telle femme et devenir ainsi la risée de mes voisins.

De même Hipponax donne libre cours à l’insulte personnelle dans son attaque d’un peintre, Mimnès :

Mimnès, toi qui bâilles à t’en décrocher la mâchoire, ne peins plus sur le côté à plusieurs bancs d’un trirème un serpent qui va de la rame au timonier ; car c’est là un mauvais présage pour le timonier, toi esclave né d’une esclave, si le serpent le mord au tibia.

Ces extraits conduisent immédiatement à réfléchir sur la portée de la satire, quand elle vise des individus précis. Si, en effet, la moquerie est immédiatement perceptible par le public contemporain qui peut alors en rire, garde-t-elle cette même efficacité dans les époques ultérieures, quand les individus pris pour cibles ont disparu ? Comment alors garantir le maintien du rire  au-delà du temps de l'écriture ?

La satire à Rome : son origine

Si la tonalité satirique se reconnaît déjà dans la littérature grecque, c’est à Rome que naît véritablement la satire en tant que genre littéraire. Le terme viendrait du féminin de l’adjectif "satur", soit "rassasié", et renvoie à une préparation culinaire, "satura lanx", un plat garni en abondance de différents aliments que l’on offrait aux dieux, une sorte de "farci".

D’où un double symbolisme :

  • l’idée d’un mélange, permettant à la satire littéraire d’aborder des thèmes variés, de les entremêler, en variant également les procédés de style ;

  • l’idée que la parole, ici pour se moquer, voire pour blâmer, possède un réel pouvoir d’action.

Deux caractéristiques s’imposent alors.

         D’une part, la satire exige une implication personnelle de l’auteur, ce que nous nommerons plus tard un « engagement », qui, de ce fait, court un risque, s'il bascule de l’ironie plaisante à la tonalité polémique.

        D’autre part, la satire abordant des thèmes particuliers, elle ne vise pas à réunir le public autour d’une valeur admise de tous, mais vise plutôt des individus ou des groupes en mettant l’accent sur leurs défauts ou leurs abus.

Explication n°1 : HORACE, Satires, II, 6, vers 29 av. J.-C., "Le rat de ville et le rat des champs", vers 79 à la fin 

Pour lire la satire

LECTURE CURSIVE PRÉALABLE 

Horace

Fils d’un modeste affranchi, Horace (65 – 8 av. J.-C.) reçoit cependant une éducation soignée, qu’il termine à Athènes parmi de jeunes nobles qui, à la mort de César, s’enrôlent aux côtés de Brutus pour restaurer la République. Pendant la guerre civile, il combat donc comme tribun militaire, mais, après les batailles de Philippes, en 42 av. J.-C. et la défaite, il obtient de rentrer en grâce et revient à Rome, dans une situation matérielle difficile : il achète une modeste charge de scribe.

C’est l’intervention de Virgile, qui modifie totalement le cours de l’existence d’Horace. Il le présente à Mécène, protecteur des artistes, qui, en 38, le reçoit dans son « cercle » de fidèles, et lui assure ainsi une aisance qui lui permet d’écrire en toute liberté. Il partage alors sa vie entre Rome, la grande ville, et la propriété offerte par Mécène dans la Sabine, sur laquelle s’ouvre la sixième satire du Livre II.

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Le début de la satire, du vers 1 au vers 78, oppose deux lieux, bien différents.

        Le centre du passage, des vers 20 à 59, est consacré à une satire de la vie à Rome où, dès le matin, le poète est absorbé par de multiples obligations, qui l’obligent à courir de part et d’autre de la ville. Il doit ainsi subir les contraintes de « la foule », et, surtout, les sollicitations qui l’accablent, en raison de sa proximité avec Mécène : « cent affaires, pour moi sans intérêt, viennent de toutes parts m'assaillir. » Et il conclut : « Ainsi se perd cependant ma pauvre journée, ma vie ». 

Anton von Werner, Portrait imaginaire d’Horace, in  Bibliothek des allgemeinen und praktischen Wissens, 1905

       De part et d’autre, des vers 1 à 19, puis 60 à 78, la description est bien différente. C’est celle de son domaine à la campagne, qui comble tous ses désirs : « C'étaient là tous mes vœux : un bien de médiocre étendue, avec jardin, source d'eau vive près de la maison et même un peu de bois ». Il chante alors les joies de l’ « otium », ce temps de loisirs qui lui permet de se consacrer à l’écriture en jouissant de sa liberté retrouvée : « Chère campagne, quand te reverrai-je ? quand pourrai-je, tantôt lisant les anciens, tantôt donnant au sommeil ou aux jeux mes heures paresseuses, savourer le doux oubli d'une vie inquiète ? »

Ce début de la satire est un habile remerciement à Mécène. Horace ne s’y livre pas à une louange, qui pourrait paraître excessive. Il prend soin, au contraire, de montrer que ce don correspond à ses désirs les plus profonds. Il veille aussi à se présenter lui-même sous un jour favorable, comme un ami sûr, qui ne trahira aucun secret : : « on m'admire comme un homme unique pour la discrétion », « ces secrets enfin que l'on verse sans danger dans l'oreille la plus fêlée », dit-il en parlant de sa fidélité à Mécène.

Introduction de l'explication

Comme pour illustrer le contenu qui précède, le contraste entre ce « petit coin de terre » paisible et les tracas de la ville, et jouer son rôle d’artiste, distraire son illustre protecteur, la satire se ferme sur un plaisant apologue, emprunté au fabuliste Ésope, mais considérablement enrichi. Nous l’analysons dans la traduction de Jules Janin, qui a mérite d’être fidèle au texte latin, mais, malheureusement, sans avoir cherché à restituer le rôle de la versification. 

Comment l'art de la fable soutient-elle la satire et l'engagement du poète ?

La situation initiale (vers 79 à 83) 

La fable s’ouvre sur l’animal « des champs »,  celui qui, comme vient de l’évoquer Horace à propos de son choix d'existence, vit à la campagne. La présentation en est contrastée, car son lieu de vie, un « pauvre trou », suggère une vie plutôt miséreuse, ce que confirme le portrait rapide, « Dur à lui-même et ménager de son bien péniblement amassé », et la mention de « ses habitudes étroites ». En revanche, c’est lui qui invite celui qui est qualifié de « vieil ami », pour lui rendre sa politesse, puisqu’il fut « un ancien hôte ». Sa vie retirée ne l’empêche donc pas de savoir faire preuve d’une généreuse hospitalité : « il savait cependant, quand il traitait, se relâcher ». Dans le passage précédent, Horace se représentait lui-même en train de passer de joyeux « soupers , entouré de ses amis...

Le repas chez le rat des champs (vers 83 à 97) 

Gustave Doré, « Le rat de ville et le rat des champs », 1867. Gravure sur bois. BnF

Un régal ? (vers 83 à 89)

Vient alors le menu, qui traduit le souci obligeant du rat des champs pour satisfaire son invité, à la fois par l’abondance et par la « variété » : « il ne ménagea ni sa provision de pois chiches, ni ses longs grains d'avoine ; il alla même chercher quelques raisins secs, un peu de lard à moitié rongé ». Il offre ainsi ce qu’il a de plus précieux, mais sans grand raffinement. Il sacrifie même son propre plaisir : « le maître du logis, sur de la paille fraîche, se contentait d'orge et d'ivraie, sans toucher au meilleur du repas. »

Gustave Doré, « Le rat de ville et le rat des champs », 1867. Gravure sur bois. BnF

Mais, au cœur du récit ressort l’inutilité de ses efforts, qui ne lui valent que le mépris de son hôte, mis en valeur par l’opposition : « il cherchait à vaincre les dégoûts d'un convive, effleurant à peine chaque morceau d'une dent dédaigneuse ». 

Le discours du « rat de ville » (vers 90 à 97)

Son discours renforce encore ce mépris, avec les interrogations rhétoriques multipliées. Il dépeint de façon particulièrement dévalorisante le lieu où vit son hôte, comparé à un prisonnier qui a choisi de se « condamner à végéter sur ce sommet, parmi ces rocs et ces bois », dans ce qu’il qualifie de « désert ».  

Cela explique son invitation, redoublée et rendue insistante par les incitations multipliées à « vivre heureux ». Pour justifier cette invitation, il pose un argument directement hérité de la philosophie hédoniste, prônée par Aristippe de Cyrène. Comme l’épicurisme - mais de façon bien moins ascétique - , elle repose sur le rappel de la nature mortelle de tout être : « Nous tous, habitants de cette terre, n'avons reçu on partage qu'une âme périssable ; nul ne peut, ni grand, ni petit, se dérober à la mort. » C’est aussi une allusion au « memento mori », cette phrase qu’un esclave prononce à l’oreille du général triomphant pour l’empêcher de se croire tout-puissant, ici martelée par les négations qui renvoient les êtres vivants au néant. La conséquence est le principe de plaisir, considéré comme le bien ultime à rechercher : « Il faut donc, mon cher, que tu songes, tandis que tu le peux encore, à connaître les plaisirs, à vivre heureux. Jouis de la vie, en songeant combien elle est courte. » Ce discours fait écho à la formule latine du « carpe diem », « cueille le jour », tirée d’une ode d’Horace.

 

Cette première partie de la fable reprend donc, mais en l’inversant, l’opposition précédente dans la satire : la vie rurale est dénigrée pour prôner la vie en ville.

Le repas chez le rat de ville (vers 97 à 115) 

Vers la ville (vers 97 à 102)

Quelques vers de transition montrent que ce discours a produit un effet, dont l’immédiateté est marquée par les verbes de mouvement, pour lesquels le traducteur choisit le présent de narration pour restituer l’infinitif du texte latin, et les adverbes : « il s’élance lestement de sa demeure et tous deux se mettent à l'instant en route ». La satire joue plaisamment sur le contraste entre la nature des animaux, qui doivent se montrer prudents, « souhaitant se glisser de nuit encore sous les murailles de la ville », et l’image empruntée à la mythologie qui les transforme en de nobles héros dignes de l’épopée : « Déjà la nuit avait parcouru dans le ciel la moitié de sa carrière, quand, l'un et l'autre, ils portent leurs pas dans une riche maison ».

Un festin (vers 102 à 111)

C’est alors le luxe qui s’impose dans la description. Le cadre déjà est bien différent du « trou » où vit le rat des champs : « sur des lits d'ivoire, brillaient des étoffes écarlates », et, au lieu de « paille », le convive s’installe « sur un tapis de pourpre ».

La description, par le choix des verbes et des adjectifs, met aussi en valeur la richesse du repas offert : « s'étalaient, non loin de là, les abondants reliefs d'un splendide souper, amoncelés la veille au soir dans des corbeilles. » Comme le veut la tradition de la fable, Horace s’amuse à mêler les caractéristiques animales, ici le pas du rat qui « s’empresse », restitué par l’allitération, « toujours trottant », et les réalités humaines

Louis-Maurice Boutet de Monvel, in Fables choisies pour les enfants et illustrées, 1888.  Gustave Doré, « Le rat de ville et le rat des champs », 1867. Gravure sur bois. BnF

Louis-Maurice Boutet de Monvel, in Fables choisies pour les enfants et illustrées, 1888.  

Le rat fait preuve, en effet, de la politesse attendue d’un hôte : « il ne néglige pas, cependant, le devoir d'un serviteur de bonne maison, et goûte d'abord, le premier, à tout ce qu'il apporte ». Horace nous rappelle ici une pratique courante dans l’antiquité romaine, l’emploi de « goûteurs » qui doivent éviter tout risque d’empoisonnement… mais peut-être s’y mêle-t-il la gourmandise propre à l’animal.

La réaction du rat « paysan » contraste avec celle de son hôte à la campagne, et confirme le discours hédoniste alors tenu : « L'autre, à l'aise, jouissait de son changement de fortune, et, dans cette prospérité, se comportait en joyeux convive ».

Milo Winter, « The town mouse and the country mouse », in The Aesop for children, 1919

Un coup de théâtre (vers 111 à 115)

C’est dans le cours même de la phrase que les réjouissances sont brutalement interrompues, ce que met en valeur la locution adverbiale lancée en tête de la subordonnée, comme dans le texte latin : « quand, tout à coup, un grand bruit de portes les fait sauter ensemble à bas du lit ». L’effet de surprise est rendu, dans la traduction, par le présent de narration qui remplace les verbes à l’infinitif en latin, renforcé par le présentatif « les voilà les voilà qui courent par la chambre hors d'haleine et mourant de peur». Cela met la scène sous les yeux du lecteur, en accentuant l’effroi des deux rats. La péripétie est complétée par le vacarme causé par les « aboiements de gros chiens molosses ».

Milo Winter, « The town mouse and the country mouse », in The Aesop for children, 1919

La morale (vers 115 à 117)

Au discours du rat de ville qui fermait le premier repas répond celui du « rustique », qui conclut l’apologue en lui apportant sa morale, un rejet catégorique de la ville et de ses troubles : « Ce n'est pas cette vie-là qu'il me faut. Adieu ! Dans ma forêt, dans mon trou, à l'abri des embûches, je me consolerai avec mes humbles légumes. » L’ordre syntaxique met en évidence le cadre de la campagne, avec la reprise du mot « trou », qui devient ici un avantage par opposition à l’image péjorative de la ville avec ses « embûches ». À travers la nourriture citée, d'« humbles légumes », l'éloge d'une vie modeste rejoint donc le début de la satire, celui du « bien de médiocre étendue » qui permettait à Horace de proclamer : « ce que j’ai me suffit, me contente ».

CONCLUSION

Ce texte permet de mesurer deux formes de satire. D’abord, un engagement direct  permet au poète d’exprimer plus fortement son rejet des tracas de Rome, en posant un idéal de bonheur  inspiré par l’épicurisme. Il dépeint une vie paisible et modeste à la campagne, entouré de quelques amis, éloge aussi de la liberté : « Quand reparaîtront sur ma table la fève, noble parente de Pythagore, et ces légumes que je relève d'un succulent morceau de lard. Ô soirées, ô soupers dignes des dieux, où je me traite avec mes amis, devant des Pénates qui sont à moi. » Horace célèbre ce que le monde antique nomme l’« otium », la paix intérieure obtenue en se tenant à l’écart des turbulences publiques.

L’apologue qui termine la satire reprend cette même double image, mais en faisant davantage sourire par la mise en scène d’animaux, qui mêle leurs traits particuliers à ceux des humains. Horace cherche donc ici autant à plaire qu’à instruire en reprenant à son compte la sagesse déjà formulée dans la fable d’Ésope : « Cette fable montre qu’il vaut mieux mener une existence simple et paisible que de nager dans les délices en souffrant de la peur. »

Juvénal

LECTURE CURSIVE : JUVÉNAL, Satires, III 

Né en 45 (ou 65) et mort vers 130 à l’étranger (peut-être en exil), l’âpreté de la satire de Juvénal s’explique par l’évolution de Rome sous l’empire, de Claude, de Néron, de Domitien : « Il est difficile de ne pas écrire la satire », écrit-il devant le spectacle de tant de corruptions. Les Satires sont son œuvre unique, seize poèmes composés entre 90 et 127, ici dans la traduction de Jean Dusaulx, en 1770. Enseignant l’art de la déclamation, il put acquérir une ferme à Tibur (aujourd’hui Tivoli), et rejoint ainsi Horace dans son opposition entre la vie à Rome et la paix d’une retraite à la campagne.

Pour mettre en place la problématique qui guide l’étude de ce parcours, il est utile de comparer la satire d’Horace, au ton satirique, plus enjoué, pour dénoncer des ridicules, à celle de Juvénal, qui adopte, lui, une tonalité polémique pour exprimer plus violemment son indignation.

Pour lire les extraits

Wolgemut et Wilhelm Pleydenwurff, Juvénal. Gravure sur bois in Chroniques de Nuremberg, XIVème siècle

Wolgemut et Wilhelm Pleydenwurff, Juvénal. Gravure sur bois in Chroniques de Nuremberg, XIVème siècle

1ère partie : vers 41-48

La question oratoire, « Que ferais-je à Rome ? », entraîne une série de négations, autant de rejets par lesquels Juvénal se sépare de ses contemporains. Leur portrait accumule les critiques, en associant un comportement à un vice : pour le mensonge, l’éloge hypocrite d’un « livre […] mauvais », l’astrologie a comme premier usage une promesse d’héritage, la magie règne pour tuer à l’aide de « poisons », et « l’adultère » est aidé par de complaisants complices. Il donne ainsi l’image d’une ville où triomphe l’immoralité, et, par contrepoint, son autoportrait est mélioratif, celui d’un homme honnête. Mais,  de ce fait, il n’a comme solution que de fuir la ville, de se replier dans une orgueilleuse solitude, mais les comparaisons, « comme un manchot, un perclus », révèlent toute son amertume.

Juvénal fuit Rome, illustration de Louis Moreau, pour la satire III

Juvénal fuit Rome, illustration de Louis Moreau, pour la satire III

2ème partie : vers 236-262

Comme son prédécesseur, Horace, Juvénal oppose la vie à la campagne aux tracas de la ville.

  • C’est la même image de la campagne qu’il donne, « un petit jardin et une source », celle d’une vie paisible et modeste, où l’on peut vivre du « travail des champs », dans une indépendance totale : « C'est quelque chose de pouvoir se dire le maître du moindre coin de terre ».

  • Par contraste, que de troubles dans Rome, à commencer par le bruit, cause d’« insomnie », avec la question qui interpelle le lecteur : « où trouver un asile favorable au sommeil ? » La description montre une ville encombrée, avec « ces chars embarrassés dans un passage étroit », où la violence explose facilement, telles « les imprécations de ce muletier ».

Mais Juvénal va plus loin encore car, en évoquant son expérience personnelle, il l’oppose à la situation de ceux auxquels leur richesse épargne bien des inconvénients. Le riche, lui, n’a pas à affronter les inconvénients de la ville : dans sa « litière fermée », « il lit, il écrit, il dort ». Le poète, en revanche, perdu au milieu de la « foule », est alors victime de toutes sortes de dommages : « L'un me heurte du coude, l'autre d'un ais qu'il porte ; ma tête, frappée par une solive, va donner contre une amphore ; on m'éclabousse jusqu'à la ceinture, et bientôt mes pieds, écrasés par des pieds énormes, sont encore déchirés par les clous de la chaussure d'un soldat. » L’humour de ce portrait ne masque pas le sentiment d’injustice qu’il éprouve.

Une litière à Rome, dessin

Une litière à Rome, dessin
Moyen-âge

DEUX TONALITÉS : le satirique, le polémique 

Le genre littéraire de la satire peut recourir à deux tonalités. Soit en reprenant le terme, on parle de tonalité satirique, soit, quand la violence s’exprime plus directement, de tonalité polémique, qui, si l’on se réfère à l’étymologie grecque, « polemos », une guerre avec les mots.

  • La tonalité satirique se rattache à une tonalité plus générale, le comique, quand il a pour fonction de se moquer d'une personne, d'un comportement, d'une institution.  Elle repose sur le décalage introduit entre la peinture, qui peut aller jusqu’à la caricature ou à l’absurde, et le jugement du narrateur, un blâme moral le plus souvent, voire philosophique. Nous y retrouvons donc les formes et les procédés du comique.

  • Dans la tonalité polémique, l’auteur s’implique souvent davantage, et utilise les procédés qui lui permettent de mettre en valeur sa colère.

Pour voir une analyse précise

Explication n°2 : Thibaut DE CHAMPAGNE, Chansons, "Au temps plein de félonie", XIIIème siècle 

Pour lire le poème

Portrait de Thibaut de Champagne, portrait espagnol avant son départ pour la "croisade des barons"

Le Moyen-Âge ne s’est pas privé de se livrer à la satire, aussi bien dans les soties, au théâtre, que dans les farces, ou dans des œuvres comme Le Roman de Renart, et, bien sûr, dans les poèmes des troubadours et des trouvères. C’est le cas dans cette chanson de Thibaut, comte de Champagne et roi de Navarre, « Au temps plein de félonie », qui s’inscrit dans ce que l’on nomme alors les « sirventès », chansons où les troubadours de Provence s’attaquaient aux vices de leur époque. Le poème date du premier quart du XIIIème siècle, bien avant que Thibaut ne parte diriger la sixième croisade, « croisade des barrons », avec le duc de Bourgogne et Richard de Cornouailles.

Comment le poète justifie-t-il son refus de participer à une croisade ?

Portrait de Thibaut de Champagne, portrait espagnol avant son départ pour la "croisade des barons"

Une introduction (vers 1 à 9) 

Les premiers vers lancent immédiatement une critique morale, dans une énumération qui reste encore très générale : « En ce temps plein de félonie / D’envie et de trahison, / D’injustice et de méfaits, / Sans  bien et sans courtoisie ». Le reproche renvoie aux valeurs propres à la chevalerie médiévale, qui exige du vassal une fidélité envers son suzerain, à laquelle s’opposent les termes synonymes, « félonie » et « trahison ». S’y ajoutent des rivalités, avec l’« envie », un des sept péchés capitaux, et des termes négatifs, « injustice », « méfaits ». La phrase se termine sur une double négation, avec une nouvelle reprise d’une qualité essentielle dans la chevalerie, la « courtoisie », code de politesse qui régit les rapports humains.

Mais Thibaut de Champagne ne s’exclut pas de la satire, avec le pronom « nous », reprochant à ses pairs, les « barons », leur comportement. L’accusation n’est pas précisée – peut-être par prudence – mais elle devient compréhensible par l’allusion à l’excommunication qui a visé Frédéric II, empereur du Saint-Empire de 1215 à 1250. Le pape Grégoire IX lui avait, en effet, reproché, de ne pas avoir respecté sa promesse de lancer la sixième croisade. Or, il est ici qualifié par un superlatif mélioratif, sous le masque du pluriel : « ceux qui se montrent les plus sensés ». La critique s’éclaire ainsi : aller à la croisade est blâmé, cela ne fait « qu’empirer les choses », semer la guerre et la mort, souvent pour des motifs bien peu religieux.

L’affirmation, « Je veux dire une chanson », traduit donc le rôle que veut remplir le poète, celui d’un moraliste qui doit ramener la vertu et le bon sens.

Frédéric II, autoportrait avec son faucon, in De arte venandi cum avibus (De l'art de chasser au moyen des oiseaux), 1241-1248

L'image de la croisade (vers 10 à 26) 

Frédéric II, autoportrait avec son faucon, in De arte venandi cum avibus (De l'art de chasser au moyen des oiseaux), 1241-1248
Robert Vinaigrier, Départ de Saint Louis pour la croisade, XVIème siècle. Vitrail de la Chapelle du Château de Champigny en Indre-et-Loire

Le refus de la croisade

Le trouvère recourt à une brève prosopopée en prêtant le discours moral au « royaume de Syrie », alors dirigé par le sultan de Damas, que menace son frère, le sultan d’Égypte. Celui-ci, se sentant trop faible, en arrive à souhaiter une croisade, qui assurerait son pouvoir s’il offrait Jérusalem aux croisés… La Syrie ne peut donc que redouter cette croisade, d’où la recommandation : « Mieux vaut ne pas se croiser / Car nous n’y ferions que du mal ». Comment approuver, en effet, une croisade qui serait faite pour de telles raisons, et par des hommes sans morale ? L’urgence est tout autre, aux yeux du satiriste, elle est de s’« amender », car « Dieu aime les cœurs qui sont droits ».

Le rejet est donc catégorique, « Encore vaut-il mieux que tout cela / Demeurer en son Pays », et le rythme binaire souligne l’inutilité de la croisade, qui n’a rien de bon à offrir : « Plutôt qu’aller, pauvre et malheureux, / Là où il n’y a ni joie, ni bonheur ».

Robert Vinaigrier, Départ de Saint Louis pour la croisade, XVIème siècle. Vitrail de la Chapelle du Château de Champigny en Indre-et-Loire

Le message religieux

Ce refus s’appuie sur un appel à la morale. Pour Thibaut de Champagne, la croisade n’offre pas automatiquement l’entrée dans le paradis, car « Dieu aime les cœurs qui sont droits » : « Et ceux là exhausseront son nom / Et conquerront son paradis. » Le fait que certaines versions aient supprimé ce paragraphe s’explique alors par une forme de prudence, car cette conception contredit le message officiel de l’Église catholique. Il est cependant renouvelé dans l’adresse à l’un de ses compagnons, Philippe de Nanteuil, avec la reprise du verbe « conquérir », à connotation militaire, appliqué ici à un combat moral : « Philippe, on doit conquérir le paradis, / par les privations ». Il confirme ainsi le blâme lancé au début de la chanson, celui d’une vie relâchée, fondée sur le principe de plaisir. Il nie ainsi la vision du paradis, qui en ferait un lieu de réjouissances, à l’image des plaisirs terrestres : « car vous n’y trouverez pas / Bien-être, jeux et rires / Dont vous aviez pris l’habitude. » L’accès au paradis repose donc, à ses yeux, sur une conversion profonde.

Une déclaration d'amour (vers 27 à 44) 

L’amour courtois, in Codex Manese, vers 1305-1340

L'amour courtois

L’amour courtois, ou fin’amor, reprend les codes de la chevalerie, puisque l’amant se présente en vassal respectueux de la « dame » aimée, à laquelle, sans la nommer, il rend un vibrant hommage : « Dame, à la  beauté si grande ». Aucun témoignage ne permet d’identifier cette dame, mais le sentiment exprimé renvoie aux valeurs de la « courtoisie ». Le poète insiste sur la vérité de son amour, « Jamais je n’ai pu feindre  / De vous aimer et vous servir », et comme un vassal, il est prêt à se sacrifier pour elle : « j’y mourrai en ami loyal », « Et pourtant, il vaut bien un « mourir » / L’amour qui, si souvent, m’assaille. » Le devoir envers la « dame », placé dans la seconde partie du poème, l’emporte donc sur le devoir de se croiser pour servir son suzerain et la chrétienté.

L’amour courtois, in Codex Manese, vers 1305-1340

Le mal d'aimer

Mais cet amour est aussi une douleur, mise en évidence par l’allégorie qui transforme l’amant en victime : « L’amour a poursuivi sa proie / et il m’emmène captif » Le verbe « assaille » confirme l’image d’une guerre, dans laquelle le poète se montre par avance vaincu, semblable à l’ennemi abattu qui implore la pitié : « Sans cesse j’attends votre  merci / Car bien ne me peut venir / Si ce n’est par votre plaisir. »

Cependant, de même que le croisé accepte de souffrir dans l’espoir de gagner ainsi le paradis, l’amant est une victime consentante, qui accepte son emprisonnement : « Je ne chercherai pas à sortir, / S’il ne dépendait que de moi. », « Je ne sortirai jamais vivant de cette prison ». Le futur affirme sa certitude, même s’il s’en remet au bon vouloir de la dame, qui est encore renforcée par l’injonction catégorique : « Dame, il me faut rester, / Car je ne puis me séparer de vous. »

Pour conclure (vers 45 à la fin) 

Les derniers vers, par l’interpellation de la « chanson », personnifiée en porte-parole du poète, reviennent au thème initial, celui de la croisade, avec un rejet réitéré : « Chanson, va pour moi dire à Laurent / Qu’il se garde autant qu’il peut / D’entreprendre de grandes folies ». Le poème repose, en fait, sur l’opposition de deux formes de « martyre » : celui qu’impose l’amour, véritable et accepté, car c’est un noble service à la dame, et celui que réclame la croisade, qualifié de « faux martyre » car accompli pour de mauvaises raisons et dégradant moralement.

CONCLUSION

On sait que Thibaut de Champagne, obligé de servir les rois de France, a participé à la croisade dire « des Albigeois », dirigée congre l’hérésie cathare, ravageant et brûlant sans pitié. En 1226, lui-même se retire, de nuit, du camp royal, pour ne plus participer aux massacres, ce qui lui vaut une rupture avec le roi. Plus généralement, les récits des croisades ne font plus vraiment preuve de l’enthousiasme initial, et les critiques se multiplient sur le comportement des croisés.

Cette « chanson » réaffirme son refus, fondé à la fois sur l’affirmation des valeurs de la chevalerie, donc moralisateur, et sur une raison plus personnelle, la volonté de ne pas se séparer de la « dame » aimée. Le ton adopté, plus que la raillerie propre à la satire, traduit surtout un engagement du poète. Cependant, au moment où, en 1239, il est appelé à participer à la « croisade des barons », il va même la diriger… mais elle se termine par un échec total.

EXPOSÉ : Troubadours et trouvères 

Pour soutenir une recherche

Les troubadours, en langue d’oc au sud de la France, et les trouvères, en langue d’oïl au nord, allient la composition poétique à la musique, encore monodique au XII° siècle, c’est-à-dire à une seule voix. De ce fait, ils doivent effectuer un travail pour adapter le rythme au vers. L’accompagnement se fait avec des instruments à cordes principalement, mais le rythme peut être scandé par des instruments frappés, et la ligne mélodique soutenue par un instrument à bec. 

On proposera une recherche, présentée ensuite sous forme d'exposé oral.

Illustration pour les Cantigas de Santa Maria, 1270-1284

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LECTURE CURSIVE : Peire VIDAL, "Il s'en faut peu pour que je renonce à chanter", fin XIIème siècle 

Pour lire la chanson

Peire Vidal, enluminure du XIII° siècle, BnF

Peire Vidal (1175-1205), originaire d’une famille aisée de Toulouse, illustre le double rôle des troubadours par ses poèmes qui, tout en chantant l’amour, offrent aussi une image de la vie de cour. Sa chanson comporte de nombreuses allusions politiques : l’emprisonnement de Richard Cœur de Lion, de 1192 à 1194, à la fin de la troisième croisade, les conflits qui opposent les chefs des États européens, et la question religieuse, à cette époque la montée du mouvement cathare, hérésie aux yeux de l’Église catholique. Comme Thibaut de Champagne, il se montre sévère envers les mœurs de son temps.

Peire Vidal, enluminure du XIII° siècle, BnF

La critique

Il dénonce, lui aussi, la disparition des valeurs morales, que tous « repoussent et rejettent », tandis que triomphe « la vilenie », c'est-à-dire la bassesse et la médiocrité. Si le reproche est général, l’accent est mis sur l’Église, « À Rome, le pape et les faux docteurs », accusée pour ses vices : « ce sont eux qui ont commencé à pécher ».

Passant en revue les chefs des États alors puissants en Europe, il n’épargne pas le roi de France, placé en tête de cette liste : « le roi n’est ni fiable ni sincère / Envers l’honneur, ni envers notre Seigneur », car la croisade n’est, en fait, que prétexte à s’enrichir : « il achète, vend et fait commerce / Tel un serf ou un bourgeois ».

En réponse : la fin'amor

Comme Thibaut de Champagne également, il oppose à cette condamnation morale, aux fausses valeurs et aux trahisons, la seule vérité qui vaille, celle de l’amour courtois. Tout en faisant un éloge hyperbolique de la « dame » aimée – dont il cache respectueusement le nom –, il chante le bonheur d’aimer : « Car une joie pure en moi me guide / Qui me réjouit en grande douceur ».

La satire reste donc toujours le moyen, comme lors de sa naissance dans l'Antiquité, de porter un jugement moral sur une époque, en opposant la critique, parfois sévère, à un idéal de vie, l’amour courtois au Moyen-Âge remplaçant le rêve d'une retraite paisible à la campagne.

HISTOIRE DES ARTS : la musique médiévale 

Pour en savoir plus sur la musique médiévale

Est proposée l'écoute des deux morceaux correspondant aux poèmes étudiés :

  • celui de Thibaut de Champagne, interprété par l'ensemble "Alla Francesca", permet de mieux percevoir la ligne monodique du chant ;

  • celui de Peire Vidal, interprété par Jordi Savall, avec la Capella reial de Catalunya, offre l'occasion de mesurer le rôle rythmique des différents instruments.

Explication n°3 : Joachim DU BELLAY, Les Regrets, LXXX, "Si je monte au palais...", 1558 

Pour lire le poème

Du Bellay

Après avoir achevé, de 1547 à 1549, ses études classiques au collège de Coqueret, sous la direction de l’humaniste Jean Dorat, Du Bellay publie La Défense et l’Illustration de la langue française. Il rejoint le groupe de la Pléiade, dont cet ouvrage constitue le manifeste : il fait du poète un élu des dieux, qui s’élève ainsi au-dessus de l’humanité ordinaire.

Du Bellay, Les Regrets, 1558

Quand son oncle, le cardinal Jean du Bellay, l’invite, en 1553, à l’accompagner à Rome en tant qu’intendant, Du Bellay part avec enthousiasme à l’idée de découvrir la ville éternelle, symbole de la grandeur antique et patrie originelle de la Renaissance. Mais il est vite déçu, à la fois par les ruines, par son travail, et par la médiocrité qui règne à la cour du Vatican. Malade, et souffrant de surdité, il rentre en France en 1557, pour s’y débattre dans des difficultés matérielles. C’est à Rome qu’il compose la plus grande partie des Regrets, recueil au titre évocateur de 191 sonnets, genre mis à la mode par le poète italien Pétrarque, publiés en 1558.

Comment la description de Rome permet-elle à Du Bellay de formuler une satire sévère ?

Ce sonnet en alexandrins est construit en quatre étapes, suivant les strophes, qui reproduisent un parcours du poète dans la ville.

Premier quatrain 

La précision des « rouges habits », portés par les cardinaux, et le verbe introducteur, « Si je monte », nous permettent d’identifier le « Palais », celui du Quirinal, situé sur une des sept collines de Rome. Il est resté longtemps la résidence principale des papes, avant l’agrandissement du Vatican, voulu par le pape Sixte V à partir de 1585. La négation restrictive, « n’… que », introduit une énumération péjorative, dont le rythme marque une gradation. La première accusation vise un des sept péchés capitaux, « l'orgueil », sentiment excessif de sa supériorité, et elle est reprise dans le dernier vers par l’adjectif « superbe » qui qualifie « l’appareil » des cardinaux, leur tenue au sens large, c’est-à-dire aussi leurs accessoires, leurs appartements, voire leur escorte, tout ce qui traduit le luxe… L’orgueil conduit au mépris des autres, et nous comprenons que c’est bien ce mépris qui a blessé Du Bellay, souffrant d’être réduit à une activité subalterne.

Giovanni Battista Piranesi, La place de Monte Cavallo et le palais du Quirinal, 1773. Gravure

Giovanni Battista Piranesi, La place de Monte Cavallo et le palais du Quirinal, 1773. Gravure

Au cœur du quatrain, unis par la rime embrassée, deux vers, séparés par la césure, posent quatre dénonciations, qui toutes soulignent la contradiction entre les valeurs morales que prône l’Église et la réalité des comportements, d’où l’hypocrisie mise en valeur : « vice déguisé ». Les reproches suivants donnent l’impression qu’en ce lieu triomphe la fête, évoquant même des réunions joyeuses inattendues par rapport à la rigueur attendue en ce lieu de la part de religieux : « une cérémonie », « un bruit de tambourins », « une étrange harmonie ».

Le lieu emblématique de la  vie religieuse, spirituelle, apparaît donc comme profondément corrompu.

Second quatrain 

Le second quatrain s’ouvre sur le mouvement inverse, symbolique car il nous fait passer du haut, du lieu de la vie spirituelle, au bas, à celui de la vie matérielle : « Si je descends en banque ». Du Bellay nous rappelle ainsi que Rome n’est pas seulement, à cette époque, un centre religieux, mais le cœur de la vie politique et financière de l’Europe. La structure énumérative, reprise en chiasme, « un amas et recueil / De nouvelles je trouve », met en valeur ce rôle, mais le terme « amas » suggère aussi que les informations qui circulent sont confuses, peu fiables, donc dépeint une atmosphère d’intrigues.

La critique porte ensuite sur un sujet qui fait débat au sein du catholicisme au XVIème siècle : « une usure infinie ». Ce terme renvoie au fait d’exiger un intérêt lors du remboursement d’un prêt, considéré comme une pratique injuste et longtemps condamnée, en tant que péché, notamment à partir d’un texte dans l’Évangile de Saint-Luc : « prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande. » (chapitre 6, verset 35) Mais, dès la fin du Moyen-Âge et surtout au XVIème siècle, naissent des discussions théologiques autour de l’usure, dans la volonté de s’adapter aux exigences de l’économie, et elle finit par être approuvée, en 1515, lors du concile de Latran dont les conseils de modération sont vite oubliés.

Enfin, le parallélisme syntaxique des vers 7 et 8 souligne les rivalités qui règnent alors en Italie. Ainsi, dès le XIVème siècle, Florence a connu un tel essor économique qu’elle s’est posée en rivale de la puissance romaine et a voulu conquérir un plus vaste territoire. Or, même si, après les guerres qui ont déchiré l’Italie, de 1494 à 1530, la paix a été rétablie, les conflits couvent. La ville de Sienne, par exemple, y prend sa part, avant d’être vaincue en 1555, de se rendre et d’être intégrée au duché de Florence. Les expressions choisies par Du Bellay, « troupe bannie » pour les « riches Florentins », ou « lamentable deuil » pour les « pauvres Siennois », montrent la volonté de puissance de l’État romain, qui reste un lieu de tensions.

Premier tercet 

Le premier tercet généralise la satire, « Si je vais plus avant, quelque part où j’arrive », la progression du parcours s’associant à une progression du vice, illustrée par une périphrase métaphorique : « Je trouve de Vénus la grand bande lascive ». Le mot « bande » est déjà, à lui seul, péjoratif, car il s’applique d’ordinaire à des hors-la-loi, et, en effet, l’adjectif « lascive », qui renvoie à la sensualité et à la luxure,  représentée également par la déesse de l’amour, Vénus, est, en principe, condamnée par la loi de l’Église. Or, l’hyperbole qui ferme ce tercet, « Dressant de tous côtés mille appas amoureux », donne l’image d’une ville où chacun donne libre cours à ses désirs charnels, et où les courtisanes et les « mignons » étalent ouvertement leurs charmes. La liste serait d’ailleurs longue des papes qui, alors qu’ils doivent respecter le célibat, ont des maîtresses, des enfants illégitimes, voire des relations homosexuelles, donnant ainsi un triste exemple à ceux qu’ils sont censés guider vers la morale.

Étienne du Pérac, Le Forum romain et la Curie, 1575, in Le Forum romain-Histoire et Monuments de Christian Hulsen, 1905

Étienne du Pérac, Le Forum romain et la Curie, 1575, in Le Forum romain-Histoire et Monuments de Christian Hulsen, 1905

Second tercet 

Le dernier tercet sert de conclusion, en marquant le point d’apogée de la satire, par le chiasme, « la Rome neuve » et « la vieille Rome », qui, plaçant les adjectifs au centre, nous renvoie au fondement même de la Renaissance. Le poète y détruit, en effet, l’image que les humanistes donnaient du monde antique, posé comme un modèle idéal. La négation restrictive, « je ne treuve / Que… » introduit un enjambement, qui insiste sur la destruction de la Rome antique. L’antéposition, « de vieux monuments », et le lexique péjoratif renforcé par l’accumulation des adjectifs, « un grand monceau pierreux », ôtent toute la dimension esthétique à ce dont les humanistes avaient loué la grandeur et la beauté.

CONCLUSION

Comme il est de tradition dans la poésie satirique, Du Bellay dénonce tout particulièrement les formes prises par la décadence morale, en contradiction totale avec les dogmes et les valeurs de l’Église que la ville, capitale de la chrétienté, devait être la première à respecter. Il montre ainsi, à travers ce trajet dans la ville, un monde qui fonctionne à l’envers.

Mais, derrière cette critique, se ressent toute la déception de l’humaniste qui, parti avec enthousiasme pour découvrir ce berceau de la Renaissance, n’y trouve que corruption, et toute son amertume devant les vestiges du monde antique, réduits à un tas de ruines sans prestige.

Hubert Robert, Roman ruins, vers 1760. Huile sur toile, 74,2 x 62,2. Worcester Art Museum

Hubert Robert, Roman ruins, vers 1760. Huile sur toile, 74,2 x 62,2. Worcester Art Museum

LECTURE CURSIVE : Joachim DU BELLAY, Les Regrets, 1558, LXXXVI, "Marcher d'un grave pas..." 

Pour lire le poème

Pinturiccio, La vie de Pie X, 1502-1509. Fresque, « Libreria Piccolomini », dôme de Sienne

Comparer ce sonnet, « Marcher d’un  grave pas… », à celui précédemment étudié, conduit à deux constatations.

        Nous y retrouvons deux accusations dans le domaine de la morale : celle d’orgueil, ici traduit par le comportement des courtisans, leur démarche solennelle, leurs attitudes…, et le reproche d’hypocrisie, qui les conduit à déguiser systématiquement leur pensée.

       En revanche, le ton est différent, car la satire s’effectue ici par une caricature poussée à l’extrême : les personnages dépeints sont transformés en des sortes d’automates sans âme, et nous pensons aux analyses de Bergson dans Le Rire (1900) montrant qu’il naît du « mécanique plaqué sur du vivant ».

Mais, comme dans le poème précédent, ressort l’idée d’un monde où, par l’antiphrase hyperbolique, « la plus grande vertu », tout est montré comme factice, ironie soutenue par l’amertume du poète, à peine masquée, dans le dernier tercet, par le pronom « on ».

Pinturiccio, La vie de Pie X, 1502-1509. Fresque, « Libreria Piccolomini », dôme de Sienne

Pour voir une explication détaillée

RECHERCHE : La condition du poète 

Le poète de Cour

Avec Horace, dans l’antiquité romaine, a déjà été évoqué le rôle de son protecteur Mécène, auquel il rend hommage. De ce nom propre dérive le nom commun « un mécène », pour désigner tout protecteur des artistes. Le Moyen-Âge a montré aussi comment les troubadours et trouvères dépendaient des seigneurs qui les accueillaient dans leurs châteaux et dont ils chantaient alors les louanges et les exploits.

Aucun poète ne peut, en fait, vivre de son art, et cette situation de dépendance se poursuit avec ceux que l’on nomme « les rhétoriqueurs », tel le père du poète Marot, « valet de chambre » auprès du roi Louis XII et de François Ier, qui introduit son fils à la Cour. 

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Charles-Florian Jalabert, Virgile, Horace et Varius (de gauche à droite) avec Mécène (assis), XIX° siècle. Gravure

Le jeune Marot gagne rapidement les faveurs du roi, qui le recommande à sa sœur, Marguerite d’Alençon, future reine de Navarre. Le poète accompagne alors les déplacements de la cour, et compose des poèmes de circonstances, et ses premières épîtres pour quémander l’aide royale, d’abord financière, puis, à deux reprises, pour obtenir sa grâce alors que son comportement, jugé proche des idées réformatrices, l’a conduit en prison.

En exemple : un poème de Marot, analysé

Le mouvement de la Pléiade

Face à cette condition du « poète de Cour », le mouvement littéraire de la Pléiade, novateur au XVIème, entend bien redonner au poète sa supériorité et sa valeur sacrée. Ces jeunes humanistes, parmi lesquels plusieurs poètes Dorat, principal du collège de Coqueret, où ils se sont formés, Pontus de Tyard, Baïf, Ronsard, Jodelle, Belleau et du Bellay, proclament, par le titre qu’ils se donnent, leur volonté de briller, telles les constellations de la Pléiade, au firmament de la littérature, en rendant ainsi leur nom immortel. C’est ce qu’affirme le texte fondateur du mouvement, rédigé en 1549 par Du Bellay, La Défense et l'illustration de la langue française

Dans le Livre II, il développe une conception élevée de la poésie. Elle doit renoncer à n'être qu'un simple divertissement, un jeu sur les légères formes fixes médiévales, lais, virelais, rondeaux..., pour atteindre l’objectif formulé dans le titre du chapitre III, « celui qui en poésie veut faire œuvre d’immortalité » doit chercher à s'anoblir en renouvelant les genres antiques, odes, élégies, ou en empruntant à la Renaissance italienne, par exemple le sonnet pratiqué par Pétrarque. Enfin, s’il rejoint Platon en faisant du poète un être inspiré, le manifeste lui accorde la confiance, la sagesse et la valeur morale que lui refusait ce philosophe, avec le devoir de guider les princes.

Du Bellay, frontispice de La Défense et l'illustration de la langue française, 1549

Joachim du Bellay, frontispice de La Défense et l'illustration de la langue française, 1549

Explication n°4 : Théodore AGRIPPA  D'AUBIGNÉ, Les Tragiques, 1616, livre I, "Misères", vers 97-131 

Pour lire l'extrait

Le recueil de Théodore Agrippa d’Aubigné (1552-1630), Les Tragiques, nous donne le point de vue d’un protestant, calviniste, sur les guerres qui déchirent le pays. Engagé dès seize ans dans l’armée du prince de Condé, puis d’Henri de Navarre, futur Henri IV, l’écrivain a vu de près les dégâts causés par le violent conflit, et ne pardonnera pas au roi sa conversion au catholicisme. Après s’être battu avec les armes, il se bat alors avec sa plume.

Publié en 1616, longtemps après les combats, ce long recueil de 9000 vers  en est cependant nourri, et est condamné, avant une seconde publication à Genève en 1623. Il est divisé en sept livres, qui mêlent les registres épique, tragique et polémique : "Misères", Princes", Chambre dorée", "Feux", "Fers", "Vengeances", "Jugement".

Comment, à travers la scène décrite, se manifeste l’engagement critique du poète ?

Portrait d' Agrippa d'Aubigné. Musée du protestantisme 

Après deux vers d’introduction, le poète dépeint le combat des enfants, en 18 vers qui en marquent les étapes successives, avant de prêter la parole à leur mère, dont il dresse un portrait pitoyable.

Portrait d'Agrippa d'Aubigné, musée du protestantisme

Andrea del Sarto, La Charité, 1518. Huile sur bois transférée sur toile, 185 x 137. Musée du Louvre

Introduction : vers 1-2 

Le verbe « peindre », employé par un poète qui dit « je », traduit sa volonté de recourir à l’hypotypose, c’est-à-dire de placer la scène sous les yeux de son lecteur. Il pose aussi d’emblée la dimension allégorique du texte, en identifiant un des personnages, « la France une mère affligée » : la clé de l'allégorie sera donc l’identification des enfants. Enfin, la première image souligne la dimension nourricière de cette « mère », à la fois protectrice, tendre, mais aussi consciente de sa responsabilité : elle « est, entre ses bras, de deux enfants chargée ». Mais en précisant préalablement à ce portrait qu'elle est « affligée », terme qui a alors un double sens, concret en signifiant "frappée d'une blessure", et psychologique, pour évoquer une douleur intense, il donne le ton d’ensemble, en écho  aux titres du recueil, Les Tragiques, et du livre I, « Misères »

Andrea del Sarto, La Charité, 1518. Huile sur bois transférée sur toile, 185 x 137. Musée du Louvre

La violence du combat : vers 3 à 20 

L'agressivité d'Esaü (vers 3 à 10)

Le premier geste, avec la force du verbe « empoigne », traduit immédiatement la violence de celui qui n’est nommé qu’au vers 7, « Esaü », mais dont le portrait est nettement péjoratif, avec le superlatif, « Le plus fort », et l’adjectif mis en valeur par sa mise en apposition : « orgueilleux ». L’agression est renforcée par l’enjambement et l’énumération en gradation, scandée par le martèlement sonore : « à force de coups / D’ongles, de poings, de pieds, il brise le partage ». En liant ce droit d’aînesse au contexte des guerres de religion, le lecteur comprend qu’Esaü représente le catholicisme qui, fort de son ancienneté, veut réprimer le parti « réformé », le protestantisme, alors que ces deux branches du christianisme, donc par « nature » jumelles, auraient dû vivre en paix, avec des droits égaux au « doux lait  qui doit nourrir les deux ».

Cette présentation révèle immédiatement le parti pris d’Agrippa d’Aubigné : sous les traits d’Esaü, qualifié de « voleur acharné », ou de « malheureux », à prendre dans son sens vieilli d’insensé, de maudit, il blâme fortement le parti catholique. Cependant, il signale déjà l’erreur commise par l’agresseur, parce que, dans son désir d’anéantir le camp adverse, c’est en fait sa propre survie qu’il met en péril : « pour arracher à son frère la vie, / Il méprise la sienne et n'en a plus d'envie. » L’allitération de la dentale, « Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux », contraste avec la douceur de l’aliment nourricier des bébés, et montre que ce combat nuit aussi à celui qui est coupable d’en avoir pris l’initiative.

Agrippa d'Aubigné

La riposte de Jacob (vers 11 à 14)

Aux 8 vers qui représentent l’attaque répondent 4 vers pour la riposte, qui confirment l’engagement du poète en faveur des protestants, ici Jacob. Les indices temporels accentuent, en effet, la patience de Jacob, qui, « pressé d'avoir jeûné meshui, / Ayant dompté longtemps en son cœur son ennui / À la fin se défend ». Le terme « ennui » est à prendre dans son sens, aujourd’hui vieilli, de profonde douleur. De plus, le poète présente sa résistance comme une « juste colère », qui n’est que l’exercice de son droit à riposter, à « rend[re] à l’autre un combat », dont il annonce déjà le résultat. Si « le champ est la mère », c’est donc la France qui se transforme en un champ de bataille dévasté.

Siméon Solomon, Esaü et Jacob, vers 1862. Gravure, Bible éd. Dalziel, 1881, British Museum

Le combat fait rage (vers 15 à 20)

La tonalité tragique s’accentue lorsque le combat s’enflamme, en mettant d’abord l’accent sur l’état de la mère, en gradation avec ses « soupirs ardents », ses « pitoyables cris » et ses « pleurs réchauffés », c’est-à-dire redoublés. La violence du combat est amplifiée par la diérèse sur l’adjectif « fu/ri/eux », qui exprime la folie, par la force du lexique, « rage », « poison », et les échos sonores. Le [r] durcit encore l’allitération des consonnes gutturales ([K] et [g]) et dentale ([d] et [t], et l’assonance du [ou] semble imiter le bruit des coups échangés : « Mais leur rage les guide et leur poison les trouble, / Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble. » L’issue en est horrible, mise en relief par l’inversion syntaxique : « d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux. » Cette image finale remet les deux adversaires à égalité : ils partagent le même malheur, symbolique de leur aveuglement mental.

Siméon Solomon, "Esaü et Jacob", vers 1862. Gravure, Bible éd. Dalziel, 1881, British Museum

L'image de la mère : vers 21 à la fin 

Un combat sanglant

Dans la dernière partie du poème, dans un premier temps, les deux jumeaux sont réunis dans le blâme par le terme « mutins », qui désigne ceux qui se révoltent contre leur maître donc remettent en cause l’ordre établi, et leur portrait insiste sur leur état pitoyable : « tout déchirés, sanglants ». Mais l’antéposition et la périphrase verbale soulignent la violence de leur combat fratricide : « ainsi que du cœur, des mains se vont cherchant. »

Mais, dans un second temps, le poète engagé renouvelle son accusation contre le parti catholique, en redoublant son jugement au vers 13, « sa juste colère » : « Celui qui a le droit et la juste querelle ». La réaction de la mère, qui tente de protéger l’enfant agressé, vient confirmer ce jugement par son geste, le « pressant à son sein d'une amour maternelle » : elle « veut le sauver » en lui offrant « l’asile de ses bras ». Or, à ce terme, chargé d’une connotation religieuse car un « asile » a une valeur sacrée, s’oppose le verbe « viole », qui dénonce la violence du coupable. 

Un portrait tragique

Cette violence est soulignée par le portrait de la mère, dont le poète  met en valeur la « douleur », répétée en gradation : « Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte, / Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ». Ainsi le tragique s’accentue, mis en valeur par la diérèse : « aux abois de sa proche ru/ine ». Cette diérèse nous ramène au sens de l’allégorie, car, plus que d’un être humain, le terme qualifie le pays, la France, ravagé par les guerres de religion. Le poète, en effet, insiste sur le coût pour le pays, première victime du combat à travers l’image du « lait », « Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine », formule qui accentue la fonction nourricière de la mère.

Le discours rapporté direct que lui prête le poète conclut le texte sur un blâme rendu particulièrement violent par le lexique, mais qui vise à égalité les deux camps, réunis dans l’interpellation, « félons » pour exprimer leur déloyauté, leur trahison. Le contre- rejet,  « Vous avez, félons, ensanglanté / Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté », pose un contraste expressif avec le liquide nourricier qu’offre « [l]e sein », au début de l’enjambement. Ainsi, le tragique envahit ce discours par la répétition lexicale : « ensanglanté », « sanglante géniture », « Je n’ai plus que du sang ». Le rejet est accentué par l’écho sonore de l’injonction, « Vivez de venin », et le ton indigné de l’exclamation.

CONCLUSION

En recourant à cette allégorie et en entrecroisant à la fois les procédés du tragique et ceux de l’épopée pour amplifier le combat,  Agrippa d’Aubigné met sous les yeux du lecteur la violence des frères ennemis et l’état pitoyable de leur mère. Le poème devient ainsi un véritable réquisitoire. La satire a totalement perdu, dans ce passage, son ton railleur, ironique, pour se transformer en une condamnation violente, marque de l’engagement du poète. Celui-ci, qui a participé aux combats des guerres de religion aux côtés des protestants – et ce sont bien les catholiques qu’il désigne comme premiers coupables – en constate ici l’horreur et l’échec, puisque c’est finalement l’ensemble du pays qui se trouve ruiné, plongé dans les « misères ».

Franz Hogenbergh, Le Massacre de Tours en juillet 1562, fin XVI° s. Gravure, Musée du château de Pau

Franz Hogenbergh, Le Massacre de Tours en juillet 1562,   fin XVI° s. Gravure, Musée du château de Pau 

LECTURE CURSIVE : Pierre de RONSARD, Discours des misères de ce temps, 1562, vers 159 à 188

Pour lire l'extrait

Le Discours des misères de ce temps, paru en 1562, reflète le contexte historique de la seconde moitié du XVI° siècle. Il est constitué d’une suite de satires morales et religieuses, où Pierre de Ronsard  (1524-1586), un des sept poètes du mouvement de la Pléiade, fait écho à Agrippa d’Aubigné, en se rangeant dans le camp des catholiquesEn quoi cet extrait est-il représentatif de l’engagement du poète ?

Luther brûle la bulle du Pape, 10 décembre 1520  

Les luttes au sein des familles (vers 159-166)

Les protestants, réclamant le droit de se dégager de l’emprise du pape et des docteurs de l’Église catholique, pour revenir à une lecture critique des textes sacrés, notamment de la Bible, dont la traduction doit être revue pour être davantage conforme au texte originel, sont, pour le poète, à l’origine de la destruction des familles. L’énumération, en gradation, souligne l’horreur de ces désunions, où toutes les valeurs sont piétinées, et l’engagement du poète ressort de  l’incise au ton tragique : « ô malheur ». 

Luther brûle la bulle du Pape, 10 décembre 1520 

L'économie détruite (vers 167-174)

La destruction s’élargit ensuite à l’ensemble de la société, car, comme chacun abandonne son travail, c’est toute l’économie qui ne peut plus fonctionner. Les objets du temps de paix deviennent alors des armes redoutables, et tout suggère le sang qui s’apprête à couler. 

La perte des valeurs morales (vers 175 à la fin)

Déjà signalée pour « l’écolier » et le « prud’homme », la fin du passage met en valeur la perte des valeurs morales qui organisent la société, au premier rang desquelles « l’autorité » : « Morte est l’autorité ». Une allégorie développe une série d’images qui illustrent cette disparition des valeurs : « Au ciel est revolée et Justice et Raison ». L’accusation se fait encore plus solennelle quand elle touche la monarchie absolue, dite alors « de droit divin » et dont le roi, depuis le baptême de Clovis, est considéré comme le « fils aîné de l’Église » catholique, ce que remet forcément en cause le courant de la Réforme : « le sujet a brisé / Le serment qu'il devait à son Roi méprisé ».

Ces valeurs sont remplacées par une série de défauts, en tête desquels la liberté sans limites : « Au vice déréglé la licence est permise ». Puis vient une énumération qui accuse ce qui a provoqué la Réforme : « Le désir, l’avarice et l’erreur insensé », l’adjectif qualifiant les trois termes. « Le désir », blâmé par Ronsard, était, pour les Protestants, la volonté de se libérer des contraintes imposées par le pape, « l’avarice » est l’interprétation que donne Ronsard au refus des Protestants de participer à toute l’organisation financière de l’Église catholique, et « l’erreur » qualifie de façon péjorative le rejet de plusieurs dogmes, tels le culte de la Vierge ou celui des saints.

Franz Hogenbergh, Le Massacre de Tours en juillet 1562, fin XVI° s. Gravure, Musée du château de Pau

Franz Hogenbergh, Calvinistes détruisant les images des églises, fin XVI° s. Gravure, BPU 

La conséquence en est le désordre, car tous ces refus « [o]nt sens dessus-dessous le monde renversé », et une suite de comparaisons péjoratives exprime le dégoût du poète. La fin  du poème accentue la violence, en gradation et avec le recours à une allégorie mythologique, met en scène la guerre civile qui se déchaîne. L’interjection marquée à la césure, « Hélas ! », inscrit le tableau dans le tragique, et montre qu’au-delà de son choix partisan, Ronsard déplore avant tout l’état du pays, en essayant d’unir tous ses concitoyens par le possessif au pluriel : « notre France ».

CONCLUSION

Le texte correspond à la première des guerres de religion de 1562-1563, mais, même si à aucun moment, le protestantisme n’est directement nommé, les valeurs prônées par Ronsard révèlent parfaitement son choix, puisqu’il reprend les trois termes du catholicisme : « un roi, une foi, une loi ». Comme Agrippa d’Aubigné, Ronsard assume ici le rôle que les humanistes souhaitent voir tenu par le poète, un penseur, le conseiller des princes, engagé dans les combats de son temps, auteur d’une poésie militante qui mêle le réquisitoire polémique et la tonalité tragique

DEVOIR : dissertation 

Pour voir le corrigé proposé

SUJET : En évoquant son prédécesseur Horace dans la sixième de ses Satires, publiées en 1666, Nicolas Boileau fait l’éloge ce poète qui « vengeant la vertu par des traits éclatants,/ Allait ôter le masque aux vices de son temps ».

En quoi cette formule définit-elle les poètes qui se sont livrés à la satire, parfois en s’engageant directement ?  

Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les auteurs étudiés dans ce parcours.

 

La question posée par ce sujet, introduite par « En quoi », ne demande pas un débat, mais une justification de la citation : c’est une dissertation dite « analytique ». Des restrictions peuvent cependant être introduites, soit ponctuellement, pour nuancer l’analyse, soit dans la conclusion.

Il est donc essentiel, avant même d’entreprendre cette analyse, de poser avec précision le sens de la citation :

-    Une opposition ressort entre deux termes, les « vices », accusation violente d’immoralité, et la « vertu », image de perfection morale. Le poète serait alors celui qui représenterait la « vertu », la « vengeant », c’est-à-dire combattant pour elle contre « les vices ». Une partie de l’analyse s’interrogera donc sur les cibles de la satire, qualifiées de « vice »

-     Il est alors possible d’opposer cela aux objectifs attribués au poète : « venger la vertu », ce qui implique qu’il pose des valeurs morales, et « ôter le masque », c’est-à-dire dépasser les apparences pour rétablir une vérité. Nous nous interrogerons alors sur les valeurs, l'idéal que prône le poète.

-      Enfin, la citation porte également sur le travail même du poète, car le verbe « venger » sous-entend une forme de violence, tandis que « traits éclatants » est une formule plus large, qui peut, certes, impliquer elle aussi un combat (les « traits » sont, à l’origine, des flèches), mais suggère aussi le fait d’éclairer, ce qui peut se faire sans recourir à la violence, par bien d’autres procédés. Cette réflexion rejoint les deux mots de notre problématique repris dans la question du sujet : « la satire » et « en s’engageant directement ». Nous nous interrogerons donc sur les ressources dont dispose le poète et sur les moyens qu'il met en œuvre. 

Explication n°5 : Nicolas BOILEAU, Les Satires, 1666, "Les embarras de Paris", vers 31-62

Pour lire l'extrait

Boileau
Frontispice des œuvres de Boileau, édition de 1779

Nicolas Boileau (1636-1711) est considéré comme un théoricien du classicisme, notamment avec son Art Poétique, où il pose les règles de la versification et du « bon goût » à travers l’analyse des différents registres littéraires. Mais il met lui-même en pratique ces recommandations dans ses poèmes, telles Les Satires. Les sept premières satires, parues en 1666, obtinrent un succès prodigieux, qu’accrut encore la haine maladroite des auteurs que le jeune poète avait critiqués.

Dans cette sixième satire, composée en 1660, Boileau, qui vit dans une petite chambre sous les toits et connaît bien sa ville, s’inspire aussi, en digne partisan des « Anciens » de la description de Rome faite par les satiristes latins, Horace et surtout Juvénal.

Comment Boileau critique-t-il Paris et la vie qu’on y mène ?

Frontispice des œuvres de Boileau, édition de 1779

La description de Paris 

Au XVII° siècle, Paris connaît un important essor même si le Roi a commencé à aménager Versailles où il séjourne, délaissant le Louvre. La ville s’agrandit pour atteindre 400000 habitants, de nombreux couvents sont construits, des hôpitaux, et l’île Saint-Louis est aménagée. En même temps, les journées des barricades pendant la Fronde (1648) conduisent le ministre Colbert à élargir les rues pour les sécuriser, tandis que des embellissements se font pour célébrer la gloire du Roi-Soleil. Ces réalités historiques expliquent la description faite par Boileau, selon le procédé de l’hypotypose, qui consiste à peindre une scène de façon si précise qu’on croirait la vivre.

Une ville en chantier

L’extrait reproduit l’agitation intense d’une ville en chantier, à travers l’évocation des métiers du bâtiment, « des couvreurs », « des paveurs », et de leurs matériaux : « un ais », « une poutre », « l’ardoise et la tuile ». Mais les rues restent encore étroites, ce qui ressort de la comparaison militaire : « cent chevaux […] ferment les défilés ». À cela s’ajoute le manque d’hygiène, puisqu’il n’y pas d’égout pour évacuer les eaux usées : « le pavé glissant », « un grand tas de boue ».

Monde humain et monde animal

De plus, Boileau mêle dans son poème le monde humain et le monde animal, comme c'est encore le cas en ville.

        Toutes les classes sociales y sont représentées : le clergé, avec « un enterrement », les serviteurs, « les laquais », les privilégiés, dans leurs « carrosses », et bien sûr le petit peuple parisien, artisans, commerçants avec leurs « charrette[s] ». Les révoltes sont même évoquées par la rime entre « brigades » et « barricades », souvenirs sans doute de la Fronde.

          Les animaux, eux, vont des plus courants, les « chiens », « les chevaux », jusqu’aux plus inattendus, « un grand troupeau de bœufs », peut-être promis aux abattoirs, et « des mulets ». 

Un marché à Paris au XVII° siècle, in Le siècle de Louis XIV

Un marché à Paris au XVII° siècle, in Le siècle de Louis XIV

Boileau s’emploie à confondre ces deux mondes, en créant des parallélismes : « Font aboyer les chiens et jurer les passants »,   « Chacun prétend passer ; l’un mugit, l’autre jure ». 

Le désordre

Le poème nous montre ainsi une ville en proie à un total désordre, envahie par le bruit et l’agitation. Tous les bruits se mélangent, en effet, pour créer un vacarme infernal que résument les deux dernier vers : « On n’entend que des cris poussés confusément. / Dieu, pour s’y faire ouïr, tonnerait vainement ». Cette impression de désordre est renforcée par l’actualisation spatio-temporelle :

É. Jeaurat, Le Carnaval des rues de Paris, 1757. Huile sur toile, 65 x 82. Musée Carnavalet, Paris

É. Jeaurat, Le Carnaval des rues de Paris, 1757. Huile sur toile, 65 x 82. Musée Carnavalet, Paris

La satire 

       Pour le temps : Le temps de base est le présent, ce qui place les actions sous nos yeux. De plus, les participes présents qui s’accumulent (« l’un l’autre s’agaçants », « en tournant », « s’efforçant de passer », « arrivant à la file ») juxtaposent les actions en les rendant simultanées, ce qui ajoute à la confusion. Les indices temporels en accélérant le rythme reproduisent l’agitation : « sans cesse », « à l’instant », bientôt », « en moins de rien », « Aussitôt »

           Pour l’espace : Le poème s’ouvre et se ferme sur une généralisation : « En quelque endroit que j’aille », « partout ». Mais en son centre, les lieux sont distingués, d’abord par un parallélisme avec l’anaphore de « là » qui suggère qu’aucun endroit n’échappe à cette agitation. Puis la description se focalise sur un seul lieu (« en cet endroit ») qui rassemble en lui la confusion la plus totale.

Des rues encombrées, un gigantesque embouteillage, un bruit incessant et une foule dense, telle est donc l’image de Paris que nous propose Boileau.

Le narrateur

La dénonciation est prise en charge par le narrateur, qui est à la fois témoin (« Je vois », « Je trouve »), acteur (« En quelque endroit que j’aille, il faut fendre la foule », v. 1), mais aussi victime puisque de sujet, il devient objet : « L’un me heurte », « Des paveurs […] me bouchent le passage ». L’enjambement entre les deux premiers vers fait ressortir le contraste entre cet homme, seul, et la foule, amplifiée par les choix lexicaux qui forment un pléonasme : « la presse / D’un peuple d’importuns qui fourmillent sans cesse ». Puis le « je » s’efface dans la suite du texte, comme si le bruit ne lui permettait plus de faire entendre sa voix : « on n’entend que des cris » (v. 31) forme une généralisation qui ôte à la ville tout visage humain.

La dénonciation

Mais, outre son désordre, ses embouteillages, la ville revêt un aspect dangereux.

       Au début du passage, le narrateur se présente lui-même en victime de bien des désagréments qui, en s’enchaînant rapidement et avec leurs sonorités brutales [ d ], [ t ], [ R ], semblent illustrer les coups reçus : « L’un me heurte d’un ais dont je suis tout froissé ; / Je vois d’un autre coup mon chapeau renversé ».

          Il y a également les risques potentiels. Les deux vers,  « Et des couvreurs grimpés au toit d’une maison / En font pleuvoir l’ardoise et la tuile à foison », scandés par des sonorités rudes, semblent transformer les hommes en soldats défendant une citadelle assiégée. Mais le risque est évident pour les passants… Un enjambement, soutenu par l’allitération en [ R ] (« sur une charrette une poutre branlante »), comme pour imiter la vibration menaçante,  avec la formule verbale, « Vient menaçant de loin la foule » poursuit cette image militaire, comme s’il s’agissait de l’arrivée solennelle des canons, sur un rythme ralenti. Enfin, il semble que nous assistions à un combat de chars, ici encore avec les sonorités imitatives, [ k ] et [ R ], pour reproduire le fracas de l’accident : « D’un carrosse en tournant il accroche une roue,/Et du choc le renverse en un grand tas de boue ».

        De cela ressort l’image d’une violence, dont les habitants de Paris ne peuvent qu’être les victimes. La fin de l’extrait, avec l’arrivée des « cent chevaux dans la foule appelés », amplifie même cette violence toujours prête à surgir. Il s’agit sans doute de l’arrivée de la police, alors appelée le « guet », pour mettre fin au désordre et rétablir le calme : ils « ferment les défilés », c’est-à-dire empêchent l’accès au lieu des troubles. Mais, loin de calmer le peuple, cette arrivée provoque la révolte et Boileau se souvient peut-être des émeutes de la Fronde : des « barricades » surgissent.

 

Tout se passe donc comme si la capitale vivait une perpétuelle tension, comme un état de guerre permanent.

Le comique

La tonalité satirique se rattache à une autre tonalité, plus large, le comique. Ici on en reconnaît deux formes : l’humour et le burlesque.

L’humour

Il consiste à rire de soi-même, et c’est bien ce que fait Boileau, lui aussi passant dans ces rues, transformé en une sorte d’objet lorsqu’il reçoit des coups successifs.

Le burlesque

Il procède d’un décalage entre grandeur et petitesse : il consiste à traiter, par exemple, sur un ton noble, un sujet familier, voire vulgaire, tels les embouteillages représentés ici. On notera, en effet, le contraste entre le tragique et la caricature.

  • Le tragique apparaît dans la vision de l’ « enterrement », dont la solennité est imagée par le rythme lent de l’enjambement des vers 5 et 6, les sonorités nasales associées au [ l ], la présence d’une « croix » qui, au lieu d’être salvatrice, est « de funeste présage », et l’allusion à une véritable fatalité dans « le sort malencontreux ». 

  • La caricature, quant à elle, est caractérisée par l’excès qui imprègne l’ensemble du texte, depuis le pléonasme au début (« fourmillent sans cesse ») jusqu’à la gradation des chiffres : nous avons d’abord « une charrette » avec « six chevaux », puis « un carrosse » est suivi d’« un autre », puis de « vingt autres », puis de « plus de mille ». De même à « un grand troupeau de bœufs » vont se joindre « des mulets », puis « cent chevaux »…

Nous avons ainsi le sentiment que Boileau raconte une nouvelle épopée, celle que vit tout passant, véritable « héros » quand il affronte les dangers de la ville.

CONCLUSION

Ce passage ne comporte ni thèse, ni argument : Boileau ne cherche pas à imposer un idéal d’urbanisme, ni à expliquer les causes de cet état de fait. Mais, à travers le tableau pittoresque qu’il peint de la capitale, le texte accumule tant d’exemples qu’il finit par prendre une dimension critique.

Car là est bien l’intérêt de la satire : en tournant en dérision des défauts, elle parvient à discréditer, dans ce passage ceux qui sont en charge de la ville et de son bon fonctionnement. Pourtant, il ne s’agit pas ici d’une œuvre « engagée » : la quasi épopée, vécue par un héros qui reste, tout de même, fort ridicule quand il se trouve malmené, bousculé, est trop dérisoire. Boileau cherche plutôt à appliquer ses principes d’« imitation » des Anciens. Il est d’ailleurs frappant que, dans la satire VII, datant de 1663, Boileau commence par prendre du recul sur l’intérêt de la satire en tant que genre littéraire.

Muse, changeons de style, et quittons la satire ; 
C’est un méchant métier que celui de médire ; 
À l’auteur qui l’embrasse il est toujours fatal : 
Le mal qu’on dit d’autrui ne produit que du mal. 
Maint poète, aveuglé d’une telle manie, 
En courant à l’honneur, trouve l’ignominie ; 
Et tel mot, pour avoir réjoui le lecteur, 
A coûté bien souvent des larmes à l’auteur. 

LECTURE CURSIVE : Nicolas BOILEAU, Satires, VI, 1666

Pour lire la satire VI

Pour aborder cette lecture cursive, il est utile d’observer sa structure, en boucle puisqu’elle commence et se termine sur les « nuits », donnant ainsi l’impression que le poète nous fait parcourir tous les moments d’une journée.

Le poème, recourant au procédé de l’hypotypose, juxtapose, en effet, en suivant la chronologie, plusieurs petites scènes pittoresques qui donnent à entendre tous les bruits, jusqu’aux cris rapportés directement, « Au meurtre ! On m’assassine ! » .

Nous y voyons aussi les personnages en mouvement, jusqu’à la caricature – à commencer par le narrateur lui-même – et tous les obstacles sur le chemin. Pour restituer ces « embarras », Boileau multiplie les énumérations, les hyperboles, jusqu’à parodier l’épopée : « Car le feu, dont la flamme en ondes se déploie. / Fait de notre quartier une seconde Troie, / Où maint Grec affamé, maint avide Argien, / Au travers des charbons va piller le Troyen. / Enfin sous mille crocs la maison abîmée / Entraîne aussi le feu qui se perd en fumée. »

Les dangers se multiplient, parfois liés à l’urbanisme ou au climat, mais aussi à une insécurité générale : « Les voleurs à  l’instant s’emparent de la ville ». Mais la conclusion met l’accent sur une réalité sociale, qui sépare riches et pauvres, et le poète se range parmi ces derniers : « Ce n’est qu’à prix d’argent qu’on dort en cette ville. », tandis que « Paris est pour un riche un pays de cocagne ».

Jacques Lagniet, Le « grand Coësre », 1663. Gravure in Recueil des plus illustres proverbes divisés en trois livres

acques Lagniet, Le « grand Coësre », 1663. Gravure in Recueil des plus illustres proverbes divisés en trois livres

Explication n°6 : Jean de LA FONTAINE, Fables, 1668, I, 9, "Le Rat de ville et le Rat des champs" 

Pour lire la fable

La Fontaine

À l’époque où il publie son premier recueil de Fables, en 1668, La Fontaine est déjà connu pour ses contes libertins. Il a perdu son protecteur Fouquet, arrêté et emprisonné sur ordre du roi en 1661, et il est devenu « gentilhomme servant » de la duchesse d’Orléans. Ce recueil lui offre l’occasion de tenter de rentrer dans les bonnes grâces du roi, notamment par la dédicace à "Monseigneur le Dauphin". Les premières des 22 fables du Livre I mettent en scène des animaux, selon la tradition de la fable. Pour « Le Rat de ville et le Rat des champs », le poète puise son inspiration chez Horace, lui-même ayant repris Ésope, tout en répondant à la volonté classique d'associer « plaire et instruire ». L'histoire est racontée en 7 quatrains d'heptasyllabes, le récit suit trois étapes : l’invitation, la péripétie et la réaction des rats, qui pose la morale.

Comment la satire est-elle mise en œuvre dans cette fable, représentative de l’art de l’apologue ?

Fables.jpg

Fables de La Fontaine, illustration. Image d'Épinal. BnF

L'invitation (vers 1 à 11) 

Chez Horace, modèle de La Fontaine, l’invitation est formulée par le rat des champs, et, de ce fait, la fable dépeint les deux repas, en soulignant la différence de menu, et en mettant l’accent sur le dégoût du rat de ville invité.

La Fontaine, lui, raconte immédiatement l’invitation du « Rat de ville », et quelques mots suffisent à poser la situation, la politesse propre à la ville urbaine, « d’une façon fort civile », et le menu, « des reliefs d’ortolans ». Les rimes croisées mettent en valeur à quel point ces « ortolans », oiseaux très appréciés pour leur chair délicate, peuvent représenter un festin pour celui qui ne connaît que la vie rustique des « champs ».

Le second quatrain illustre ce luxe par le décor, « un tapis de Turquie », et la précision, « le couvert se trouva mis », qui imite les dîners que donnent les privilégiés au XVIIème siècle, alors que, dans les campagnes, on mange encore dans une écuelle et avec les doigts. Même si, pour l’œil, La Fontaine respecte la règle d’alternance des rimes féminines et masculines, la sonorité dominante, la voyelle aiguë [ i ], s’accorde bien à l’impression joyeuse sur laquelle insiste le fabuliste, qui s’adresse lui-même à son lecteur pour commenter son récit : « Je laisse à penser la vie / Que firent ces deux amis. »

Les vers 9 et 10 complètent cet éloge, illustré par le lexique mélioratif, « régal », « festin », l’hyperbole, « fort honnête », et la reprise de l’affirmation sous forme négative, « Rien ne manquait ».

La péripétie (vers 12 à 16) 

La brutalité de la péripétie se marque dans la structure même de la fable, puisque, soulignée par le connecteur « Mais », elle intervient au cœur même du troisième quatrain, avant d’être précisée dans le quatrain suivant. Notons que le choix de l’heptasyllabe, tout au long de la fable, un vert impair, plutôt rare, et si court, convient particulièrement bien à cette mise en scène, pour en reproduire la vitesse et la démarche de ces animaux, scandée également par le [ Ə ] prononcé : « À la porte de la salle / Ils entendirent du bruit ; / Le Rat de ville détale, / Son camarade le suit. »

La réaction des deux rats (vers 17 à la fin) 

La fin du récit

La péripétie n’a guère duré, et l’élision du [ Ə ] sur la césure du vers 17 contribue à imiter la disparition du danger. L’expression de la phrase nominale, « Rats en campagne aussitôt », avec sa connotation militaire, renforce cette impression que les rats sont sous la menace d’une guerre, et qu’ils doivent donc reprendre leur opération d’attaque, pour eux contre la nourriture. C’est d’ailleurs ce à quoi le Rat de ville, par une brève injonction introduite par l’infinitif de narration, invite son ami : « Et le Citadin de dire : / Achevons tout notre rôt. »

Gustave Doré, Le rat de ville et le rat des champs, 1867. Dessin, gravé sur bois par Adolphe Pannemaker, 24 x 19. BnF

Gustave Doré, Le rat de ville et le rat des champs, 1867. Dessin, gravé sur bois par Adolphe Pannemaker, 24 x 19. BnF

La morale

Au quatrain qui ferme le récit s’opposent les deux quatrains,  dans lesquels, par le discours rapporté direct, le fabuliste confie au rat des champs la morale.

La Fontaine inverse donc la situation posée par Horace – dont il reprend les termes – puisque c’est à présent le « Rustique » qui invite « le Citadin » : « Demain vous viendrez chez moi. » Les rimes croisées mettent en évidence l’opposition entre les deux, la modestie du premier, le locuteur représenté par le pronom personnel « moi », face à celui qui peut se comparer à un « roi », avec l’allusion à son mode de vie par la reprise généralisée, « tous vos festins de roi ».

Le dernier quatrain pose la morale, en deux temps :

  • D’abord, elle  est affirmée par le rat, à partir de son expérience personnelle, que déjà le présent pose comme une vérité absolue : « Mais rien ne vient m'interrompre ; / Je mange tout à loisir. »

  • Les deux derniers vers généralisent l’idée, que la force du rejet, avec le salut brutal, « Adieu donc », l’interjection de mépris, « Fi », et l’exclamation renforcent.

Le changement des rimes, ici embrassées donc regroupant « loisir » et « plaisir », met en valeur le sens de la morale, qui rejoint totalement celle d’Ésope, éloge d’une vie modeste, reprise par Horace : « Cette fable montre qu’il vaut mieux mener une existence simple et paisible que de nager dans les délices en souffrant de la peur. »

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Mais cette morale prend un sens particulier si nous la rapportons au contexte dans lequel écrit La Fontaine. Rappelons que Louis XIV fait tout pour imposer son pouvoir absolu, et que La Fontaine a vécu de près l’arrestation de son protecteur, Nicolas Fouquet, surintendant des finances, intervenant lui-même auprès du Roi, ce qui lui valut une solide inimitié. Fouquet a, en effet, payé cher le luxe dont il a fait preuve, notamment à l’occasion de la fête donnée dans son château de Vaux, le 17 août 1661. Arrêté le 5 septembre, il échappe certes à la peine de mort, mais meurt après dix-neuf ans de prison, en 1680.

Nicolas de Poilly, La disgrâce de Fouquet, 17 août 1661. Gravure en couleur. BnF

CONCLUSION

En réduisant la fable à un seul repas, le « festin » offert par le Rat de ville à son congénère, La Fontaine resserre son récit, dont il accélère aussi le rythme par ses choix de versification, et que le discours direct rend également plus vivant. Le fabuliste cherche ainsi à « plaire » à son lecteur, tout en mettant en relief le sens de sa fable, car il veut aussi « instruire », mais de façon plus plaisante que ne l’est le ton didactique d’Ésope.

Cependant, sa morale est polysémique, et dépasse de loin la conception, très générale, d’Ésope pour rejoindre davantage l’«  otium » cher à Horace, son épicurisme, philosophie à laquelle renvoie l’union du mot « plaisir » à l’expression « à loisir ». Mais le lecteur contemporain de La Fontaine ne peut pas ne pas percevoir la satire masquée, l’allusion à celui dont le « festin » a été troublé par l’intervention royale. Nous comprenons mieux alors ce qui a pu pousser La Fontaine à prôner sans cesse, dans ses fables, la liberté, la prudence, son choix de se tenir à l’écart du « lion » tout-puissant et des intrigues de la Cour.

HISTOIRE DES ARTS : pour illustrer "Le Rat de ville et le Rat des champs" 

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Le diaporama propose l'analyse de cinq gravures :

- La première, gravure sur cuivre de François Chauveau, conservée à la bibliothèque municipale centrale de Versailles, date de la parution du recueil, en 1668.

- La deuxième, également sur cuivre, a été réalisée en 1755 par Jean-Baptiste Oudry, est conservée à la BnF. 

Pour voir le diaporama

- Puis nous avons trois gravures sur bois du XIXème siècle, une de Grandville, produite entre 1837 et 1847, qui se trouve à la bibliothèque "L'Heure joyeuse" à Paris, et deux de Gustave Doré, en 1867 et 1876, toutes deux à la BnF. 

Le diaporama présente une analyse construite de ces illustrations, de façon à comparer leur structure, et la représentation du décor et des personnages, afin de dégager les différentes interprétations de cette fable.

LECTURE PERSONNELLE : Jean de LA FONTAINE, Fables, livre I, 1668 

Le parcours propose la lecture du premier livre des Fables, avec une double approche :

- une étude de la dimension satirique : quelles sont les cibles de La Fontaine et les critiques qu'il leur adresse ? 

- une étude des procédés mis en œuvre pour soutenir la satire : quelle sont les qualités du récit, les tonalités choisies, quelle place occupe la morale ? On mesurera notamment la représentation du monde animal.

Un écrit d'appropriation peut être proposé :

  • soit l'écriture d'une fable "animale" pour illustrer un défaut, ou un comportement représentatif de notre époque ; 

  • soit l'écriture d'une préface, destinée aux parents de jeunes enfants, futurs lecteurs d'une édition actuelle de ce livre. 

Pour effectuer une recherche

Explication n°7 : VOLTAIRE, Épître à Uranie, ou Le Pour et le Contre, 1722, vers 17 à 45 

Pour lire les passages étudiés

L’Épître à Uranie a été composée en 1722, sous un premier titre Épître à Julie, à l’occasion d’un voyage où Voltaire avait accompagné la destinatrice, Madame de Rupelmonde, à Bruxelles et en Hollande. Mais le poème n’a été imprimé qu’en 1732, et intégré en 1772 seulement dans les Œuvres de Voltaire, puis, en 1775 mais sous un autre titre, Le Pour et le Contre. En 1777, le libraire Panckoucke, en visite à Ferney, obtient l’accord de Voltaire pour réaliser une édition complète et revue de ses œuvres. Pour des raisons financières, elle ne paraît qu’en 1787, grâce à l’intervention et à l’appui de Beaumarchais. Elle offre l’intérêt de faire précéder le poème d’un « Avertissement » qui en souligne l’importance : 

Voltaire
Nicolas de Largillière, Voltaire, après 1724-1725. Huile sur toile, 80 x 65. Musée Carnavalet, Paris

Nicolas de Largillière, Voltaire, après 1724-1725. Huile sur toile, 80 x 65. Musée Carnavalet, Paris

« Ce petit poëme est un des premiers ouvrages où M. de Voltaire ait fait connaître ouvertement ses opinions sur la religion et la morale. [...] Au reste, cet ouvrage a le mérite singulier de renfermer dans quelques pages, et en très-beaux vers, les objections les plus fortes contre la religion chrétienne, les réponses que font à ces objections les dévots persuadés et les dévots politiques, et enfin le plus sage conseil qu’on puisse donner à un homme raisonnable qui ne veut connaître sur ces objets que ce qui est nécessaire pour se bien conduire. »

LECTURE CURSIVE PRÉALABLE : vers 1 à 16 

Les premiers vers sont une adresse à la destinataire, mentionnée sous son nom, Madame de Rupelmonde », mais nommée « Uranie »,  après avoir figuré sous le prénom de « Julie » dans une première version. Nous pouvons reconnaître, dans ces prénoms, la pratique des femmes dans les salons, héritée des Précieuses, de se doter de prénoms « à l’antique ». Cette jeune femme, que Voltaire avait accompagnée lors d’un voyage en Hollande, lui avait communiqué ses doutes sur les questions religieuses, en ce début du XVIIIème siècle où, sous la Régence, le libertinage se donne libre cours. Si l’on en croit un commentaire de Saint-Simon dans ses Mémoires, elle-même avait tout d’une libertine : elle avait « de l’esprit et de l’intrigue, mais avec une effronterie sans pareille, se fourra à la cour, où avec les sobriquets de la blonde et de vaque-à-tout, parce qu’elle était de toutes foires et marchés, elle s’initia dans beaucoup de choses, fort peu contrainte par la vertu et jouant le plus gros jeu du monde… »

Nicolas de Larguillière, Marie-Marguerite d’Allègre, comtesse de Rupelmonde, 1707. Huile sur toile, Château de Versailles

Nicolas de Largillière, Voltaire, après 1724-1725. Huile sur toile, 80 x 65. Musée Carnavalet, Paris

Si l’on en croit  les premiers  vers du poème, elle attendait de Voltaire, se comparant ici au poète latin Lucrèce, qui avait proclamé son rejet du pouvoir des dieux sur les hommes, qu’il conforte son rejet « [d]es mensonges sacrés dont la terre est remplie ». Mais – conviction profonde ou prudence – Voltaire refuse d’emblée cette profession d’athéisme, et l’invite à un adopter un « pas respectueux », accusant, non pas Dieu, mais une conception qui déforme son image.​

Introduction de l'explication

Après cette adresse à sa destinatrice débute l’extrait étudié, avec deux vers d’introduction. Ensuite Voltaire suit le déroulement du texte biblique de  la Genèse, en évoquant Adam et Ève chassés du paradis, puis le déluge et la descendance de Noé, avant d’inverser l’image divine à la fin. Comment Voltaire met-il en œuvre sa critique religieuse ?

Introduction (vers 16 et 17)

Les deux premiers vers sont construits sur une opposition des pronoms, le « Je » du poète et le « on » de ses adversaires, qui permet à Voltaire de poser sa thèse. Ils sont distincts des précédents par leur rime pauvre, sur la seule consonne [ R ], et la structure en chiasme soutient cette opposition : « Je veux aimer ce Dieu, je cherche en lui mon père : / On me montre un tyran que nous devons haïr. »

Au cœur du chiasme, se mettent en place deux images opposées de Dieu :

        D’un côté, l’image d’un « père », donc d’un Dieu protecteur et aimant ses enfants. Dans chaque hémistiche, les deux verbes, « Je veux » et « je cherche », soulignent l’attente religieuse du poète, qui, loin de refuser la foi, affirme son désir de trouver en elle l’amour parfait.

         Mais, de l’autre, il accuse ce « on », qui désigne implicitement les hommes d’Église, ceux qui imposent à l’ensemble des fidèles, inclus dans le pronom « nous », une autre image, celle d’un dieu sévère, qui fait preuve d’une autorité, voire d’une cruauté excessives. De ce fait, ils empêchent les hommes d’adhérer à la religion, puisqu’un tel Dieu fait peur, ne peut donc qu’être détesté : « un tyran que nous devons haïr. »

La création de l'homme (vers 18 à 29) 

La question du mal

Débute alors le récit de la Genèse, premier livre de la Bible, dont Voltaire reprend les épisodes significatifs, à commencer par la création d’Adam et Ève : « Puis Dieu dit: « Faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance ! » » Mais Voltaire utilise cette phrase biblique, reprise aux vers 17, « Il créa des humains à lui-même semblables », et 25, « créer un homme à son image », pour introduire un premier argument, fondement même de la critique religieuse.

Face à la solennité des alexandrins pour évoquer la création, les octosyllabes portent l’accusation lancée contre un Dieu injuste, qui s’attaque à ses propres créatures : «  Afin de les mieux avilir ; / Il nous donna des cœurs coupables. / Pour avoir droit de nous punir, / Il nous fit aimer le plaisir. » Voltaire pose ici la question de l’existence du mal en l’homme, en rejetant la responsabilité sur Dieu lui-même, ce que renforce l’alternance des rimes : à « semblables » répond « coupables », « avilir » fait écho à « punir ». Le raisonnement par syllogisme ressort ainsi : les hommes ont été créés « semblables » à Dieu ; or, les hommes ont des « cœurs coupables » ; donc Dieu lui-même a un cœur coupable. Il est responsable du mal qui existe en l’homme, accusation directe ensuite : « Il nous fit aimer le plaisir ». La conclusion du raisonnement n'est pas formulée, mais se comprend implicitement : comment accuser un humain qui laisse libre cours à son "plaisir" ? 

La dénonciation

Voltaire donne ainsi l’image d’un Dieu sans logique, cruel même, et les deux alexandrins des vers 24 et 25 amplifient cette cruauté : « Pour nous mieux tourmenter par des maux effroyables, / Qu’un miracle éternel empêche de finir. » En qualifiant de « miracle », terme encore prolongé par l’adjectif « éternel », Voltaire retourne ironiquement cette notion chrétienne puisque, loin d’être un bienfait, admirable, il en fait la preuve des « maux effroyables », peinture hyperbolique, du malheur « éternel » que Dieu impose à l’homme, depuis qu’il l’a chassé du paradis.

Des vers 26 à 29, un dernier quatrain, aux rimes embrassées, faisant alterner l’alexandrin et l’octosyllabe, met en évidence la remise en cause du récit biblique par Voltaire. L’adverbe « soudain », l’hypothèse « Comme si », et la comparaison avec la reprise lexicale, « ouvrier », « ouvrage », soutiennent l’ironie de Voltaire, qui représente ainsi un dieu illogique, inconséquent, et même aveugle.

Charles-Joseph Natoire, Adam et Ève chassés du paradis, 1740. Huile sur toile, 67,9 x 50,2. Metropolitan Museum of Art, New York

Charles-Joseph Natoire, Adam et Ève chassés du paradis, 1740. Huile sur toile, 67,9 x 50,2. Metropolitan Museum of Art, New York

Voltaire se souvient ici du chapitre VI de la Genèse, et des paroles mêmes de Dieu : « L'Éternel vit que les hommes commettaient beaucoup de mal sur la terre et que toutes les pensées de leur cœur se portaient constamment et uniquement vers le mal. L'Éternel regretta d'avoir fait l'homme sur la terre et eut le cœur peiné. » Nous sommes loin ici de l’image d’un Dieu qui ne serait que justice et perfection.

Les débuts de l'homme sur terre (vers 29 à 38) 

Le récit du déluge

En poursuivant le récit biblique de la Genèse, Voltaire poursuit aussi une accusation, mise en valeur par le parallélisme du vers 29 : « Aveugle en ses bienfaits, aveugle en son courroux ». L’image d’un dieu irrationnel est également accentuée par les indices temporels, « À peine » et le futur immédiat « il va », qui accélèrent le récit en rapprochant le moment de la création de celui de la destruction, l’épisode du déluge

Léon Comerre, Le Déluge, 1911. Huile sur toile,345 x 448. Musée des Beaux-Arts de Nantes

Voltaire se fait l’écho ici du discours divin, « L'Éternel dit: « J'exterminerai de la surface de la terre l'homme que j'ai créé, depuis l'homme jusqu'au bétail, aux reptiles et aux oiseaux, car je regrette de les avoir faits.», répété à Noé : « J'exterminerai ainsi de la surface du sol tous les êtres que j'ai créés.» Le choix du pronom, « il va nous perdre tous », est habile, car Voltaire s’inclut ainsi – et ses lecteurs avec lui – dans ce récit de temps si lointains, comme s’ils étaient encore actuels. En évoquant le déluge, dramatisé par le recours à l’anadiplose, reprise du dernier mot du vers 32, « monde », à l’initiale du vers suivant, Voltaire reprend la même critique de la décision divine, absurde, qui consiste à détruire ce que Dieu a lui-même créé : « Il ordonne à la mer de submerger le monde, / Ce monde qu’en six jours il forma du néant. »

Léon Comerre, Le Déluge, 1911. Huile sur toile,345 x 448. Musée des Beaux-Arts de Nantes

Après le déluge

Voltaire entreprend ensuite une sorte de dialogue fictif avec un « on » dans lequel peuvent s’inscrire sa destinatrice et ses lecteurs, en jouant sur la feinte ignorance d’un récit qu’il connaît parfaitement : « Peut-être qu’on verra sa sagesse profonde / Faire un autre univers plus pur, plus innocent ». Cette hypothèse, chargée d'espoir, avance l’idée que le déluge pourrait ne plus être absurde s’il conduisait à une réelle amélioration, suggérée par les deux comparatifs.

Avec la négation lancée en tête de vers, « Non », le dialogue fictif détruit cette hypothèse, avec une vivacité accentuée par les octosyllabes du quatrain, dont le centre de la rime embrassée entre « brigands » et « tyrans » met en valeur la vision péjorative de l’humanité. Nouvelle accusation d’un Dieu absurde, qui crée lui-même le mal, amplifié par les qualificatifs dans l’énumération, « affreux », puis « sans honneur » et « cruels », chiasme au cœur de l’alexandrin, plus ample, et qui se termine sur la gradation : « Plus méchante que la première. » Voltaire n’entre pas ici dans le détail de la descendance de Noé, mais un lecteur averti peut se rappeler le conflit entre ses trois fils, Sem, Cham et Japhet, l’épisode de la tour de Babel ou la terrible destruction des villes de Sodome et Gomorrhe, en fait tous les personnages de l’Ancien  Testament dont la conduite n’a pas respecté les lois divines.

Le déluge apparaît donc comme une destruction cruelle, totalement inutile puisqu'elle n'a rien permis de corriger.

Jacob Jacobsz de Wet, Sodome et Gomorrhe en feu, 1680. Huile sur toile. Hessisches Landesmuseum, Darmstadt

Jacob Jacobsz de WetSodome et Gomorrhe en feu, 1680. Huile sur toile. Hessisches Landesmuseum, Darmstadt

Une image inversée (vers 39 à 45) 

Une interrogation

Voltaire continue ce dialogue fictif, en posant à ses lecteurs deux questions, et, à nouveau, en faisant intervenir la logique. Les « mains sévères » de ce dieu qui a puni sa création lors du déluge ne devraient-elles pas, s’il reste logique, renouveler ses châtiments contre les coupables ? Cependant, notons qu’il les qualifie, lui de « malheureux », puisqu’à ses yeux la responsabilité incombe au dieu qui les a créés. Il rapproche aussi, le dieu biblique de la mythologie antique en évoquant le « chaos » et en lui prêtant, dans le contre enjambement, l’image traditionnelle de Zeus : « quels foudres dévorants / Vont sur ces malheureux lancer ses mains sévères ? » Il manifeste ainsi son irrespect.

Une réponse surprenante

Le passage se conclut sur une réponse surprenante, renforcée par l’injonction, « Écoutez », et le rythme ternaire des exclamations mélioratives : « ô prodige ! ô tendresse ! ô mystères ! » Au centre de cette énumération, le mot « tendresse » fait écho au désir d’amour affirmé dans le premier vers de cet extrait : « Je veux aimer ce Dieu ». Les deux derniers octosyllabes, opposant le passé, « venait », au futur « Il va », le châtiment, « noyer » au sacrifice, preuve d’amour : « mourir pour les enfants ». Voltaire met ainsi en avant ainsi le contraste entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, dans le premier un dieu père sévère qui châtie, dans le second, un père à présent généreux, qui envoie son fils, le Christ, pour racheter l’humanité.

CONCLUSION

Ce passage dépasse, de loin, le ton de la satire railleuse, pour, à travers une approche philosophique qui fait appel à la raison pour convaincre, montrer l’engagement de Voltaire, encore jeune alors, dans sa lutte contre une conception de la religion qu’il rejette avec violence. Ses attaques sont virulentes, car il ne s’en prend pas seulement à l’action des hommes d’Église, mais au texte biblique lui-même. S’il incitait au début sa destinatrice à adopter un « pas respectueux » pour aborder les questions religieuses, il n’hésite pas lui-même à proposer une image bien irrespectueuse du Dieu de l’Ancien Testament, que contrebalance fort peu son appel à un dieu qui, lui, témoignerait de sagesse et d’amour. 

Voltaire fait ici le premier pas dans l’engagement contre ce qu'il considère comme des abus religieux, que toute son œuvre poursuit, aussi bien dans son Dictionnaire philosophique (1764) que dans Questions sur les miracles (1765), dans tous ses contes philosophiques ou dans La Bible enfin expliquée, en 1776, un de ses derniers ouvrages.

LECTURE CURSIVE : deux extraits de la suite du poème 

Vers 65 à 77

Entre l’extrait étudié et ce passage, Voltaire développe la naissance du Christ et son acte suprême : « Dieu voulut mourir pour le salut de tous. » Mais la suite insiste sur une déploration : « Et son trépas est inutile ! »

L’accusation est ainsi redoublée, avec le même reproche : « Ce Dieu poursuit encore, aveugle en sa colère. / Sur ses derniers enfants l’erreur d’un premier père ». Une notion fondamentale dans le christianisme est dénoncée, celle du péché originel, qui fait de l’homme un coupable par nature, nouvelle contradiction que le poète souligne : « Ayant versé son sang pour expier nos crimes. / Il nous punit de ceux que nous n’avons point faits ! » Voltaire revient donc à cette image d’un dieu terrible et injuste qui « reprend son courroux », « demande compte » et « punit », verbe répété. À cela il ajoute, en philosophe du « siècle des Lumières », une autre accusation, le maintien de l’homme dans « [l]’ignorance invincible où lui-même il les plonge ».

Vers 116 à la fin

Le dernier passage, avec les impératifs, notamment l’anaphore ternaire de « Crois », invite la destinatrice à une nouvelle croyance, idéal religieux que prône Voltaire, cette « Religi/on naturelle » qui ressort dans l’octosyllabe et est accentuée par la diérèse. Au Dieu biblique, qu’il a longuement critiqué, il oppose « la sagesse éternelle » d’un créateur qui a laissé à tout homme la liberté de croire en lui, sans peur d’un châtiment. Ce n’est donc pas dans un livre sacré que l’homme peut puiser la foi, mais, tout simplement, « dans le fond de [s]on cœur ».

Estampe anonyme, Être suprême. Peuple souverain. République française, 1794. BnF

Nous trouvons dans cette fin du poème plusieurs des caractéristiques du déisme, une religion universelle, valable « en tout temps, en tous lieux », puisque sa seule exigence est la pratique des « vertus », idée mise en valeur dans les deux derniers octosyllabes, et soulignée par la diérèse sur l’adjectif, « Le cœur du juste est préci/eux » et l’opposition à la rime entre « un dervis charitable », serviteur de l’islam, et « un janséniste impitoyable », auquel Voltaire reproche un fanatisme intransigeant.  Son exclamation indignée suivie d’une interrogation rhétorique rejette tout dogme, « Eh ! qu’importe en effet sous quel titre on l’implore ? », et tout rituel : « Un Dieu n’a pas besoin de nos soins assidus ». Voltaire s’engage déjà dans le combat contre tout ce qui, à ses yeux, provoque toutes les intolérances, et il annonce le "culte de l'Être suprême" que mettra en place la Révolution.

Estampe anonyme, Être suprême. Peuple souverain. République française, 1794. BnF

HISTOIRE DES ARTS : autour de la caricature 

Comment ne pas envisager, dans une étude sur la satire, une étude de cet art particulier qu’est la caricature ? Elle aussi, déjà par son étymologie latine « caricare », signifiant « exagérer, charger », affirme son intention de se moquer, de railler sa cible. Cependant, si elle se veut souvent, avant tout, plaisante et vise d’abord à faire sourire, elle peut parfois, en attaquant les pouvoirs politiques ou religieux, traduire un engagement plus critique de son auteur.

Ainsi, elle prend son essor au XVIIIème siècle, au moment où la satire se développe et où de nombreux auteurs, tels Voltaire, s'engagent de façon plus polémique.

Caricature.jpg

Pour voir le diaporama

C’est d’ailleurs ce qui explique qu’au XIXème siècle elle a pu entraîner la censure de certains journaux, par exemple La Caricature morale, religieuse, littéraire et scénique, créé en novembre 1830 sous le règne de Louis-Philippe, cesse sa publication suite aux lois de septembre 1835 qui rétablissent la censure. De même, le Second Empire oblige à obtenir une autorisation avant toute publication de caricature. C’est ce qui vaut au journal Lune, créé en 1865 par André Gill son interdiction et l’hebdomadaire qui le remplace en 1868, sous le titre L’Éclipse, subit lui aussi la censure. Il faut attendre la loi sur la liberté de la presse, en 1881, pour voir fleurir à nouveau une presse satirique.

Conclusion 

Synthèse et réponse à la problématique : comment distinguer, dans la poésie,  la satire de l'engagement ? 

Conclusion

Un genre littéraire

Le parcours permet d’identifier la satire en tant que genre littéraire, depuis son origine antique, chez Horace ou Juvénal, jusqu’à sa reprise par Boileau, qui lui conserve son étymologie, l’idée d’un mélange dans lequel le poète peut entremêler tous les sujets pour railler, se moquer, pour critiquer.

Elle dispose alors,

  • d’une part, des ressources que lui offre la versification, notamment le choix des vers, le jeu sur les rythmes, les rimes,  et les sonorités pour mettre en valeur tel ou tel aspect,

  • d’autre part, de tous les procédés caractéristiques du comique. Elle peut ainsi ridiculiser un geste ou un discours, par exemple par la parodie, ironiser sur le caractère d’un personnage, délibérément exagéré, ou mettre en place une situation cocasse.

La tonalité satirique

Mais l’expression « faire la satire de » élargit le sens du mot, qui s’éloigne de la notion de genre pour devenir une tonalité, un registre, le satirique. La satire peut alors s’inscrire dans d’autres genres poétiques, comme le sonnet, chez Du Bellay, la fable, chez La Fontaine par exemple, ou l’épigramme, tel celui que Voltaire compose contre un confrère, Fréron : « L'autre jour, au fond d'un vallon,/Un serpent piqua Jean Fréron. /Que pensez-vous qu'il arriva? / Ce fut le serpent qui creva. »

Outre les procédés comiques déjà signalés, une œuvre satirique met en œuvre trois techniques spécifiques :

  • le grossissement, exagération qui caractérise aussi une forme artistique, la caricature ;

  • inversement, l’amoindrissement, qui diminue un élément dénoncé jusqu’à le rendre dérisoire ;

  • la juxtaposition, qui associe des éléments hétéroclites, de taille et de sens tellement différents que tout se confond, l’important et le dérisoire.

Enfin, deux tonalités particulières peuvent soutenir la satire : le burlesque, qui consiste à traiter sur un ton familier un sujet noble, et son contraire, l’héroï-comique, qui traite un sujet familier sur un ton noble.

De la satire à l'engagement

Quand un poète entreprend une satire, il est rare qu’il s’exclue lui-même de sa production. Nous avons vu que les œuvres d’Horace et de Juvénal, comme les « chansons » médiévales, les sonnets de Du Bellay ou les fables de La Fontaine se rattachent à la vie même de leurs auteurs, qui ne cachent pas leurs sentiments personnels.

L’écrivain prenant parti dans son texte, nous pouvons donc aisément glisser de l’idée de satire à celle d’engagement. Mais l’œuvre s’éloigne alors de la seule intention de moquerie pour se changer en un véritable combat, et la tonalité se modifie, devient plus acerbe, plus violente. C’est notamment le cas quand sont visés, non plus des personnes, des comportements ou des mœurs, mais des pouvoirs, politiques ou religieux. Le comique disparaît, remplacé par la tonalité polémique, comme nous avons pu le voir chez Agrippa d’Aubigné et Ronsard dans le contexte des guerres de religion, ou au siècle des Lumières, chez Voltaire.

Ouverture sur le monde actuel 

Pour prolonger ce parcours, il est possible de le rapporter à l’époque actuelle : existe-t-il encore aujourd’hui des satiristes, des polémistes recourant à la poésie ? Trois pistes de recherche peuvent être proposées, qui donneraient lieu à un exposé oral, ou à un enrichissement du « carnet de lecture » :

             la poésie de la Résistance,

 

             la poésie de la Négritude,

 

             le rap, une poésie engagée ?

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