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Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791
PARCOURS  : « Écrire et  combattre pour l’égalité ».
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Analyse des corpus  

Pour toutes les séries, le programme de français en classe de 1ère pour l’année scolaire 2021-2022, propose, pour la littérature d’idées du XVIème au XVIIIème siècle, l’œuvre d’Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, datant de 1791. À cette œuvre est associé un parcours dont l'enjeu est « Écrire et  combattre pour l’égalité ».

Contrairement à la démarche adoptée dans ce site sur d’autres composantes du programme de l’EAF, où le parcours associé a été étudié, soit après – ou avant – l'œuvre elle-même, soit en parallèle, nous avons jugé plus pertinent, pour mettre en relation l’évolution de l’idée d’égalité et la progression des droits acquis, de respecter la chronologie. Ainsi, nous commencerons par le parcours, pour aborder l’histoire des idées antérieures à l’œuvre d’Olympe de Gouges, puis nous insérerons son étude au cœur de la séquence, avant de revenir au parcours pour en étudier le prolongement jusqu’à notre époque. Cela implique que  seront élaborées deux problématiques, deux introductions et deux conclusions, les premières sur l’œuvre, les secondes sur le parcours.

Nous avons aussi choisi, pour  mieux lier le parcours à l’œuvre, de centrer la notion d’« égalité » sur celle entre les femmes et les hommes, tout en tenant compte de la comparaison à l’esclavage, établi dans son Postambule par Olympe de Gouges elle-même.

Le parcours associé

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Après un rappel de l'héritage antique, pour poser à la fois la vision traditionnelle et les premières réflexions et contestations, est construit un parcours d'étude, avec :

  • quatre explications d'extraits, dont plusieurs sont prolongées par des lectures cursives et des documents diversifiés (vidéo, image, site), permettant d’analyser l'évolution des formes de combat, des revendications et des conceptions de l’égalité ; 

  • une étude d’ensemble, afin d'approfondir l’histoire littéraire sur deux époques : le Moyen-Âge et la Renaissance ;

  • une synthèse sur l’argumentation, accompagnée d’exercices ;

  • un choix de cinq exposés, présentant un portrait de femme, sous forme de dossier ou oraux.

Olympe de Gouges, Déclaration de la femme et de la citoyenne 

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Pour l’étude de l’œuvre, sont prévues :

  • trois explications d’extraits ;

  • une étude transversale, qui permet de comparer les articles proposés par Olympe de Gouges à ceux de son « modèle », la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : elle s’appuie donc sur la lecture cursive d’extraits ;

  • des documents complémentaires afin de prolonger les explications par des lectures cursives et d'aborder l'histoire des arts ;

  • une proposition de lecture personnelle, Claudine s'en va  (1903) de Colette ;

  • deux devoirs : commentaire et dissertation pour les séries générales (essai pour les séries technologiques).

Intro. Parcours

Introduction du parcours 

Enjeu du parcours

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        Son intitulé, « Écrire et combattre pour l’égalité », est très général, puisque rien ne vient préciser entre quels termes se placerait ce signe mathématique d’égalité. Cela pourrait être entre différents peuples, différentes cultures, voire être envisagé dans le seul domaine politique, entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui se trouvent opprimés, ou se limiter à la dimension économique, entre riches et pauvres par exemple… L’observation du titre de l’œuvre d’Olympe de Gouges, mis en parallèle avec le texte initial du 26 août 1789, emblématique de la Révolution française, nous a conduite cependant à centrer le parcours sur l’égalité entre les hommes et les femmes, en privilégiant la notion de « droits », naturels ou dans leur acception sociale, politique, voire juridique.

        Les deux infinitifs , coordonnés par « et », ouvrent également la perspective. Si la coordination fait de l'écriture un combat,  l’écriture n’est pas le seul moyen de « combattre ». D’une part, d’autres arts, la peinture, la sculpture…, peuvent jouer un rôle pour prôner  l’égalité ; d’autre part, des comportements sociaux, des choix de vie, offrent aussi des modèles allant en ce sens.

       Enfin, la préposition « pour », implique que les textes, comme les autres modes de combat, sont ceux qui soutiennent cette notion d’égalité. Mais cela oblige à comprendre à qui, à quoi, à quelle tradition ou héritage fondant l’inégalité, ils entendent s’opposer. Il sera donc important, pour chacune des époques abordées, du XVIème au XVIIIème siècle, de s’interroger au préalable sur la situation antérieure, sur le contexte, sur la situation réelle des femmes dans leurs droits et leur relation aux hommes.

Mise en place de la problématique

 

L’idée de « combattre » est au cœur de l’enjeu du parcours, et « écrire » est une des armes de ce combat, qui peut prendre aussi une dimension concrète, être même parfois un épisode s’inscrivant dans l’Histoire.

        Une première question porte sur la nature même des droits revendiqués, en fonction des époques, suivant le programme qui précise « du XVIème au XVIIIème siècle ». Le tableau de séquence permet de repérer les étapes de la chronologie, en réactivant les acquis d'histoire. Mais comment ne pas mesurer les résultats de ces luttes dans les siècles suivants, afin de voir si le combat a pu atteindre son objectif ? 

       Une deuxième question concerne ceux qui mènent ce combat, les femmes elles-mêmes dans leur volonté de conquête de leurs droits, ou bien des hommes, se rangeant alors dans le camp de celles-ci. Comment seront alors restituées les revendications des femmes ? De façon directe ou par l’intermédiaire d’un porte-parole ?

        Mais la question essentielle reste la forme que prend le fait de « combattre », notamment dans la littérature. Ce verbe fait immédiatement penser à une guerre, donc à la tonalité polémique, selon son étymologie grecque, « πÏŒλεμος », signifiant la guerre. Le texte serait donc empreint de violence, à la façon d’un réquisitoire dans un tribunal. Mais d’autres stratégies seraient possibles pour attaquer l’adversaire, par exemple l’ironie qui dénoncerait ses abus, ses ridicules parfois. Enfin, si l’émetteur du discours se sent victime, il peut aussi entreprendre un plaidoyer, jouer sur l’émotion que peuvent susciter ses plaintes…

Ces questions expliquent le choix de la problématique qui guide l’étude du parcours : Quelles formes ont prises les combats en faveur du droit des femmes à l’égalité face au pouvoir des hommes ?

VISIONNAGE VIDÉO : "Filles et garçons" 

Vidéo "Filles-garçons"

Pour voir la vidéo

       La vidéo commence sur l’expression de jeunes élèves (filles et garçons) dans les années 1960. Une première écoute (40 secondes) permet de poser la notion de stéréotype, correspondant à l’héritage d’une vision traditionnelle des rôles et des relations entre femmes et hommes. Notons que ces stéréotypes sont intégrés aussi bien chez les garçons que chez les filles, suivant le modèle familial.

       Mais une seconde partie de cette vidéo (jusqu’à 1minute 22) montre que ces stéréotypes n’ont pas disparu et que, si les mères de ces enfants ne sont plus, à présent, des « femmes au foyer », ces stéréotypes pèsent encore lourd dans les choix d’orientation scolaire, avec l’idée que la série littéraire serait « réservée » aux filles, d’où les réticences formulées par ce jeune garçon  à l’idée du jugement de ses camarades s’il la choisissait.

        La dernière partie de la vidéo (à voir jusqu’à 2 minutes 35) fait intervenir trois adultes :

  • Le premier, directeur du CNRS (Centre National de Recherche scientifique) insiste sur le nombre, trop réduit selon lui, de filles qui choisissent des carrières scientifiques. Il explique cela par leurs propres doutes sur leurs aptitudes : « les filles ont plus de difficultés à s’auto-évaluer » ;

  • La deuxième, devant les réponses négatives de jeunes élèves, auxquels elle a demandé si elle-même et un collègue masculin, étaient « égaux », souligne la confusion entre « égalité » et « identité », qui conduit toujours à inférioriser la femme, comme le montre la remarque du jeune garçons qui, évoquant l’examen du permis de conduire, imagine spontanément que c’est la femme qui est susceptible de le « rater ».

  • La brève conclusion de la troisième intervenante rappelle le rôle de l’école dans la lutte contre les stéréotypes.

À l’issue de ce visionnage, la relecture de la problématique (Quelles formes ont prises les combats en faveur du droit des femmes à l’égalité face au pouvoir des hommes ?)  placera au premier plan la notion de « droit », et invitera à réactiver les acquis sur les indices du « pouvoir des hommes » : dans quels domaines s’exerce-t-il ? quels interdits ont pu peser sur les femmes ?

RECHERCHE LEXICALE 

Le visionnage conduit à une recherche lexicale (site CNRTL : cliquer sur les sous-titres) autour de trois mots, égalité, identité, mais aussi équité.

L'égalité

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Le nom se construit à partir de l’adjectif « égal », avec une double définition : deux choses  « qui ne présentent pas de différence quantitative », puis deux choses ou personnes « qui ne présentent pas de différence qualitative ». Toute l’ambiguïté vient de cette négation des « différences » alors même que, physiquement, les  « différences » sont indéniables entre femmes et hommes… Ce n’est que précédé de l’abréviation signalant un sens « spécial », qu’est précisé, à propos de personnes : « − Spéc. [Le compl. du n., explicité ou non, désigne des pers.] Fait de ne pas présenter de différence de droits. Égalité civile, fiscale, politique, sociale; égalité entre les citoyens; traiter qqn sur un pied d'égalité. »

C’est ce sens particulier, et son antonyme, « inégalité », qui guidera l’approche des textes et des documents de notre étude, et notamment, des arguments qui soutiennent la thèse.

L'identité

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Nouvelle ambiguïté, la définition pose, dans le cadre d’une comparaison, le fait d’être « semblable, tout en étant distinct ». Accompagné d’un adjectif, « identité qualitative, spécifique, abstraite », ce nom invite à dégager des similitudes entre des éléments –ou des êtres -  ayant chacun des propriétés propres. Il ne pourrait donc convenir que si on l’applique à une « identité des droits ».

L'équité

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Le préfixe, « équi- », du latin « aequus », indique à la fois l’égalité, la similitude et la justice… La définition fait de l’équité un principe impliquant « le respect absolu de ce qui est dû à chacun. » Cela ne conduit donc pas à comparer deux personnes, mais rend nécessaire un jugement de celui qui est censé « avoir le sens de l’équité ». Mais une question subsiste : qui fixe ce que doit être ce « dû » ? Un sentiment personnel – dans ce cas totalement subjectif, relatif à chacun – ou bien la loi édictée par un législateur ? Ainsi ce terme nous renvoie à la notion de « droit ».

Antiquité

IMAGES DES FEMMES DANS LA MYTHOLOGIE

L'héritage antique : du mythe à la réalité 

On s’appuiera sur une recherche pour comparer la place de la femme dans la cité d’Athènes, où, considérée comme mineure, elle reste le plus souvent, sauf pour les esclaves, dans le gynécée, et sa condition à Sparte, où elle reçoit une éducation comme les hommes et dispose des mêmes droits qu’eux en tant que citoyenne.

LA CONDITION FÉMININE DANS LA GRÈCE ANTIQUE 

Scène familiale dans le gynécée, vers 430 av. J.-C. Lébès nuptial à figures rouges. Musée national archéologique d’Athènes.

Scène familiale dans le gynécée, vers 430 av. J.-C. Lébès nuptial à figures rouges. Musée national archéologique d’Athènes

Les divinités

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Traditionnellement, dans l’Olympe de l’antiquité grecque, on compte six dieux et six déesses, parité parfaite, dirions-nous : Aphrodite, Artémis, Athéna, Déméter, Héra, Hestia. Or, si l’on observe leurs attributions, on note qu’elles portent sur des occupations traditionnellement réservées aux hommes, telles la guerre pour Athéna ou la chasse pour Artémis, mais que dominent des images plus semblables à celles de la société grecque antique, la famille, le foyer, la naissance… Il est tout particulièrement intéressant de constater le double visage d’Athéna, qui est aussi celle qui symbolise la sagesse, présentée aussi comme à l’origine du tribunal de l’Aréopage, donc liée à la justice. Justice qui va être précisément revendiquée pour les femmes dans les documents de notre séquence.

Cependant, dans les textes antiques qui les évoquent, ces déesses ne sont pas dépourvues de défauts, comme la coquetterie d’Aphrodite, la jalousie d’Héra, la perfidie aussi, autant de défauts qui soutiennent les stéréotypes sur les femmes

Léonidas Drosis, Athéna Promachos, reproduction de Phidias, 2nde moitié du XIXème siècle, Péribole de l’Académie, Athènes

Léonidas Drosis, Athéna Promachos, reproduction de Phidias, 2nde moitié du XIXème siècle, Péribole de l’Académie, Athènes

Les héroïnes de la mythologie

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La mythologie de l’antiquité gréco-romaine offre aussi de nombreuses figures féminines. Toutes possèdent un réel pouvoir, mais elles représentent toujours un danger, depuis la puissance guerrière des amazones qui éliminent impitoyablement les hommes, jusqu’aux pouvoirs magiques de Médée, criminelle, ou ceux de Circé, sans oublier les sirènes qui poussent, par leurs chants, les marins à la noyade. 

Dans la littérature

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L’éducation antique accorde aussi une place importante aux épopées homériques, l’Iliade et l’Odyssée, qui, elles aussi, construisent l’image de la femme, double.

  • D’un côté, elle est dangereuse, comme Hélène présentée comme la cause de la guerre destructrice pour Troie.

  • De l’autre, son image est méliorative : Andromaque, épouse aimante du troyen Hector, ou Pénélope, qui attend fidèlement le retour de son époux Ulysse dans son île d’Ithaque.

Hélène et Pâris, 380-370 av. J.-C.  Face A d'un cratère en cloche à figures rouges apulien, Musée du Louvre

Certes, certaines de ces héroïnes résistent, par exemple Antigone, face au roi Créon dans Œdipe-Roi, tragédie de Sophocle, ou même Pénélope, qui dupe les prétendants, ou encore Électre, qui pousse son frère à une vengeance meurtrière. Mais, dans l’ensemble, c’est la passivité de la femme qui ressort. Hélène n’est, en fait, que la victime d’Aphrodite qui l’offre au prince troyen, Pâris, Andromaque voit Hector périr sous ses yeux, comme la reine Hécube qui perd son époux, le roi Priam, et sa fille Hécube. N’oublions pas, avant même que la flotte grecque ne vogue vers Troie, le sacrifice d’Iphigénie par son père, chef de l’armée grecque, Agamemnon… Elles sont souvent, en fait, les victimes des actes des hommes, comme ces « suppliantes », les Troyennes vaincues remises aux mains des vainqueurs.

Hélène et Pâris, 380-370 av. J.-C.  Face A d'un cratère en cloche à figures rouges apulien, Musée du Louvre

LECTURES CURSIVES : Aristophane et Platon 

Pour lire l'extrait d'Aristophane

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Lisistrata, affiche du film de Francesc Bellmunt, 2004

Aristophane, Lysistrata, 411 av. J.-C.

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La comédie, représentée en 411 av. J.-C., se rattache directement au contexte de la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.), qui déchire les cités grecques. Pour exprimer ses idées pacifistes, Aristophane imagine une situation originale : les femmes s’unissent, se barricadent sur l’Acropole dont elles ferment les portes, et prêtent serment de se refuser à leurs époux tant que ceux-ci n’auront pas signé la paix. Leur révolte est menée par Lysistrata. Pour la ramener à la raison, les hommes lui envoient le magistrat, ce qui lui donne l’occasion de formuler ses revendications.

Le pouvoir masculin

Si la cité d’Athènes est considérée comme le berceau de la démocratie, parce qu’elle accorde, depuis Solon et Dracon  une place essentielle aux lois, ces « décrets » et résolutions » mentionnés dans l’extrait, cette démocratie reste cependant limitée, puisque les femmes en sont exclues : « vous ne nous permettiez pas d’ouvrir la bouche ».

Le portrait, fortement péjoratif, du magistrat montre la façon dont les hommes exercent leur autorité sur les femmes : «  j’ai peine à me contenir, tant je suis en colère ». Il ne recule ni devant l’insulte, ni même devant la violence : « Il te serait arrivé mal de ne pas te taire. » Mais Aristophane fait aussi de son héroïne la porte-parole d’une violente critique à la fois contre les gouvernants, auxquels elles reprochent d’utiliser la guerre dans leur intérêt personnel, « pour avoir le moyen de voler », et contre les citoyens, puisque ce sont eux qui votent les lois. Leur pouvoir est donc absolu, puisqu’ils refusent même d’« écouter [les] sages conseils » des femmes.

L'image traditionnelle des femmes

Le texte nous rappelle qu’à Athènes, la femme vit dans le gynécée, « au logis », et se consacre aux tâches domestiques, comme le montre l’impératif « tisse ta toile ». C’est cette même vision qu’inverse la dernière réplique, où Lysistrata ordonne au Commissaire : « file la laine, mange des fèves ». Cette place les maintient dans la soumission. Elles doivent, en effet, rester humbles et modestes devant leur époux, soucieuse de lui montrer un visage souriant : « cachant notre douleur sous un air riant ». 

Les occupations féminines

Les occupations féminines

Ainsi Lysistrata insiste sur leur « modération exemplaire », et sur le silence longtemps gardé, par peur de représailles. En aucun cas la femme ne pourrait élever la voix, et son habillement est le signe même de cette obéissance : le « voile », mentionné à plusieurs reprises, la « ceinture » qui maintient la robe drapée, sont autant d’éléments qui empêchent la femme de se mouvoir en toute liberté. L’on perçoit tout le mépris envers les femmes dans la réplique finale du magistrat : « tu prétends me faire taire, toi, avec ton voile sur la tête ? J’aimerais mieux mourir. »

La révolte

Cela tranche fortement avec les revendications de l’héroïne, fondées sur une image méliorative des femmes. Elles ont toutes les qualités requises pour gérer le trésor public. Face à l’objection du magistrat, l’argument de Lysistrata est sans appel : « N’est-ce pas nous qui administrons l’argent de nos maisons ? »  Les femmes sont également capables de lucidité sur la situation du pays, et elles ont su « se réunir pour travailler de concert au salut de la Grèce », faisant ainsi preuve d’une sagesse dont les hommes sont dépourvus. Enfin elles revendiquent le droit à la liberté d’expression, comme le souligne la question indignée de Lysistrata : « Comment, misérable ! il ne nous sera même pas permis de vous avertir [...] ? »

La scène conduit ainsi à une inversion comique de la situation, puisque non seulement Lysistrata ne cède pas, mais riposte, mot pour mot, à toutes les objections du magistrat, dans la première partie du dialogue, et, surtout, ridiculise son adversaire à la fin de la scène. Celui-ci, en effet, perd toute crédibilité en criant à la « tyrannie » alors que tout le texte a présenté les hommes eux-mêmes comme des « tyrans ». La citation d’Homère se retrouve elle aussi inversée, enfin l’on peut imaginer la mise en scène dans la dernière réplique, avec sa série d’impératifs, qui conduirait à un déguisement du magistrat en femme.

Pour conclure

Ce texte présente-t-il ce que nous pourrions considérer comme une première revendication féministe ? C’est ce sens que nous pourrions lui donner aujourd’hui, d’autant plus que certains écrivains ont repris l’idée d’Aristophane, tel Marivaux au XVIII° siècle dans son utopie, La Colonie.

Mais il convient de ne pas faire dire à Aristophane plus que ce qu’il dit, et de ne pas oublier que ce dialogue s’insère dans ce qui est d’abord une comédie. Aristophane, souvent très misogyne dans ses pièces, n’a certainement pas imaginé que les femmes de son temps puissent jouer un rôle politique. Il utilise plutôt ce subterfuge comique pour critiquer les hommes politiques de son temps, en suggérant que même des femmes - ces êtres subalternes dans la société - pourraient gouverner mieux ! 

Platon, Les Lois

Pour lire les extraits de Platon

Platon, Les Lois, VII, 348-347 av. J.-.C.

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Nous connaissons la pensée du philosophe grec, Socrate (vers 470/469. – 399 av. J.-C.) par les écrits de son disciple, Platon (vers 428/427 – 348/347), des dialogues, le plus souvent illustrant la maïeutique, cette pratique chère à Socrate, "accouchement des esprits" qui amène progressivement son interlocuteur, par son questionnement, à reconnaître lui-même la vérité.

Aucun des domaines de la philosophie n’est étranger à la réflexion de Platon, mais ses derniers écrits, tels Les Lois ou La République, s’intéressent plus particulièrement, à la constitution de la cité, fondée sur le « juste », le « vrai » et le « bien », en cherchant à en définir le modèle idéal. Cela le conduit à s’interroger sur la relation entre les femmes et les hommes, et sur leur rôle dans la cité.

Les Lois est le seul dialogue de Platon qui n’introduise pas Socrate, remplacé ici par un vieillard étranger, « l’Athénien », venu en Crète pour se rendre au sanctuaire de Zeus, accompagné d’un spartiate, Mégillos, et d’un crétois, Clinias. Leur dialogue s’inscrit dans cette réflexion sur les principes qui pourraient fonder cette cité idéale. Après en avoir dessiné les contours, le livre III compare différentes constitutions, avant d’établir, dans les livres suivants, ce que serait la meilleure façon d’administrer la cité, et les devoirs de chaque citoyen. Mais Platon va-t-il réellement au-delà des stéréotypes de sa société ? 

Le premier extrait

Il maintient, certes, une séparation des « deux sexes », mais l’éducation des filles est nettement rapprochée de celle des garçons : « se tenir à cheval, à tirer de l’arc, à se servir du javelot et de la fronde ». Même s’il introduit des restrictions, l’acceptation des filles, il dénonce ce refus d’apprendre aux filles « au moins la théorie ». Nous reconnaissons dans cette volonté, à la fois le modèle de l’éducation à Sparte, mais aussi les conflits qui amènent les cités grecques à la guerre.

Le second extrait

Mais Platon ne se débarrasse pas totalement des préjugés de son temps, puisqu’à propos de la musique, il affirme la nécessité de « séparer les chants qui conviennent aux hommes de ceux qui conviennent aux femmes », en insistant sur leur « nature » différente, sur « ce qui distingue le caractère de l’homme et celui de la femme ». Or, les caractéristiques mentionnées renvoient à une image traditionnelle : aux hommes est réservé ce « que la musique a d’élevé, de propre à échauffer le courage », tandis qu’aux femmes sont reconnues « la modestie », « la retenue ». La « loi et la raison » viennent donc ici conforter l’infériorité féminine.

Platon, La République, Livre V, 1ère édition 315 av. J.-C.

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Vu l’importance de la guerre à l’époque de Platon, la « république » idéale place au premier plan ses « gardiens », des soldats qui doivent assurer sa sécurité. Leur rôle, essentiel, implique l’intérêt porté à leur éducation, longuement développée, et à leur mariage, ce qui l’amène à s’interroger sur le rôle de leurs épouses.

Platon va ici plus loin que dans les Lois. D’un côté, il refuse de voir chez la femme une infériorité uniquement liée à la maternité ; de l’autre, il affirme que « les gardiens et leurs femmes doivent remplir les mêmes emplois », et insiste même : « aucun emploi exclusivement propre à la femme en ce qui regarde l'administration de la cité ». La suite du texte invite l’interlocuteur à admettre la nécessité de juger des compétences, non pas en fonction du sexe, mais d’aptitudes uniquement personnelles : « les aptitudes naturelles sont également réparties entre les deux sexes, et il est conforme à la nature que la femme, aussi bien que l'homme, participe à tous les emplois. » Mais, les stéréotypes sont tenaces, et cette affirmation d’égalité est immédiatement suivie d’une restriction qui réintroduit en conclusion l’idée d’une infériorité naturelle de la femme : « réserve faite que la femme est plus faible et l'homme plus fort. »

Platon, La Republique

LA SITUATION DES FEMMES À ROME 

Plus élaboré que dans les cités grecques, le droit romain n’accorde pas plus de droits à la femme, juridiquement mineure. Même si elle conquiert progressivement un peu d’autonomie, notamment dans le domaine économique où elle peut hériter et gérer ses biens, elle a besoin d’un tuteur, et reste exclue de la vie politique, sauf son droit de témoigner devant un tribunal. 

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Cependant, le statut au sein de la famille de celle que l’on nomme la « domina », quand elle organise le fonctionnement du domaine, avec parfois de très nombreux esclaves, ou la « matrona », en tant qu’épouse et mère, lui vaut une véritable estime. Elle a le devoir de donner à la patrie au moins trois enfants, et l’empereur Auguste avait institué même une prime pour cela. Elle n’est pas contrainte, comme l’étaient les femmes à Athènes, à rester enfermée dans le gynécée, mais peut se déplacer librement, en litière pour celles de l’aristocratie, et mène une vie active, entre les visites, les thermes, qui lui permettent de pratiquer des activités physiques. Elle peut participer à des rituels religieux, assister à des spectacles, se rendre sur le forum…

Femmes « en bikini ». Mosaïque. Villa Romana del Casale, Sicile

Enfin, de nombreux auteurs – et tout particulièrement les historiens, Tite-Live, Tacite,  – ont contribué à valoriser l’image des femmes, en mettant en valeur leur héroïsme lors des guerres, leur vertu face aux ennemis, l’appui apporté à leur mari au pouvoir, telle Octavie, épouse d’Auguste, et même leur comportement allant jusqu’au sacrifice, telle Lucrèce qui se suicide pour ne pas subir le déshonneur de son viol par Sextus Tarquin.

Mais l’histoire offre aussi plusieurs exemples de femmes qui se sont illustrées négativement dans la vie politique par leur débauche scandaleuse, comme Messaline, voire leurs crimes, à commencer par ceux commis par Agrippine pour porter son fils Néron au pouvoir. 

Moyen-âge-XVIe

Étude d'ensemble : du moyen-âge aux temps modernes 

On proposera une recherche à partir du site "Histoire-pour-tous", qui sera récapitulée et organisée dans l'étude d'ensemble sur le Moyen-Âge.

Pour consulter le site

"Histoire pour tous"

La femme dans la société médiévale

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La littérature médiévale propose une double image de la femme, reflet de la société :

        Dans les fabliaux, les farces ou les soties, la volonté comique fait ressortir ses défauts, reprenant les plus anciens stéréotypes, déjà présents chez les auteurs dramatiques grecs, Aristophane et Ménandre, ou romains, Plaute et Térence : perfidie, infidélité, cupidité, coquetterie, gourmandise, colère… La liste est longue !

          En revanche, la fin’amor, dans les poèmes des troubadours et des trouvères comme dans les romans de chevalerie, met en place un idéal de relation entre les amants, proche du code de féodalité, qui accorde à la femme dignité et absolu respect, tel celui dû à un suzerain. Mais cela reste un idéal, bien loin souvent de la réelle relation au sein de la famille ou du couple, où l’homme impose son pouvoir.

Dans les débuts du Moyen-Âge, la loi salique en vigueur reprend essentiellement les principes du droit romain pour organiser la vie politique, juridique, économique et sociale, mais bien des ambiguïtés subsistent, par exemple, si une protection est accordée aux femmes contre « les violences », leurs droits en matière d’héritage sont peu à peu réduits. Le mariage également leur ôte toute liberté, d’abord parce qu’il est, le plus souvent, l’objet d’un arrangement entre les familles qui ne laisse pas de place à l’amour, ensuite parce que le mari a tous les droits, celui de les frapper ou de les répudier, et il dispose librement de l’argent de la dot.

Cependant, l’histoire offre de nombreux exemples où les femmes de la noblesse exercent un réel pouvoir, se substituant à leur époux, parti à la guerre ou à la croisade, pour gérer une terre, et, même si l’héritage du titre privilégie toujours l’homme, d’importants territoires sont entre les mains des femmes, tels la Bretagne ou l’Aquitaine, éduquées, car les femmes ont encore le droit d’accéder à la connaissance, histoire, philosophie, médecine… , dans les couvents. Elles jouent un rôle actif dans la société, à commencer par les commerçantes ou les femmes artisans. 

Maître de Christine de Pisan, « Les reines de la cité enseignent aux dames », vers 1400-1415. Miniature de La Cité des dames

Maître de Christine de Pisan, « Les reines de la cité enseignent aux dames », vers 1400-1415. Miniature de La Cité des dames

L'influence de la religion

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Le christianisme, même si la Bible, Ancien et Nouveau Testaments, est parcourue de nombreuses figures féminines, a placé en son centre Ève et Marie, deux symboles antithétiques. La première – venue après la création de l’homme d’où elle est issue –, Ève, est rattachée au péché originel. Elle va donc imposer l’image de la faiblesse féminine face à la tentation et, quand elle est exclue du paradis avec Adam, sa condamnation, « Tu accoucheras dans la douleur », lui impose une souffrance, inhérente à sa nature même.  

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Face à Ève, le moyen-âge rend très tôt un culte à Marie, en tant que mère du Christ, et l’appellation de « Vierge Marie », ou d’« Immaculée Conception », lui attribue la vertu suprême de chasteté. C’est ce que confirme, en 1542, le concile de Trente. Se mêlent ainsi deux représentations de la femme : d’un côté, elle est le symbole de la chasteté, imposée aux femmes par la religion, de l’autre, la mère souffrante du fils de Dieu, souveraine mais pleurant sa mort, capable d’intercéder auprès de lui pour qu’il soit miséricordieux envers les pécheurs, une sorte de double de la femme suzeraine présente dans la littérature. Mais, quel que soit le symbolisme retenu, nous y retrouvons toujours l’idée qu’une « nature » spécifique est donnée à la femme, qui sert de principe fondateur à la place, tantôt subalterne, tantôt valorisée, que lui assigne la société.

Du Moyen-Âge à la Renaissance

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Une  régression, politique, économique et sociale, débute au XIVème siècle, symbolisée par l’évolution de la loi salique : les femmes sont déclarées incapables d’hériter ou de transmettre la couronne. La voie est ouverte pour leur ôter peu à peu leur pouvoir, que ce soit celui des abbesses dans le domaine religieux, celui exercé auprès des rois ou dans la vie économique, ou au sein du couple. Les écrits se multiplient contre les femmes, pour affirmer leur incapacité aussi bien physique qu’intellectuelle, en faisant de la « nature féminine » la cause même de leur infériorité.

Pourtant, bien des femmes apportent un démenti à cette image dévalorisée, comme Christine de Pisan (1364-1430), poétesse mais aussi ayant mis son érudition au service d’une réflexion sur la place et le rôle de la femme, comme dans La Cité des dames (1405). La Renaissance offre aussi des exemples illustres : Marie de Gournay (1565-1645), connue pour son édition – et sa défense – des Essais de Montaigne, ou les poétesses de l’École de Lyon, notamment Louise Labé (1524-1566) ou Pernette du Guillet (vers 1520-1545).

Image-Querelle

LECTURE D'IMAGES : "La querelle des femmes" 

Un conflit qui perdure

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À la fin du moyen-âge, deux camps s’opposent dans « La Querelle des femmes ». Connu aujourd’hui en tant que personnage de la chanson enfantine « La Mère Michel », au XVIIème siècle, Lustucru a été le symbole de ce conflit, commencé à la fin du Moyen-Âge.

  • D’un côté, il y a les clercs qui écrivent contre les femmes en affirmant la supériorité de l’homme dans son rôle de maître protecteur. Leur thèse, élargie à une conception de leurs rôles respectifs dans la société, repose toujours sur le lien établi entre la nature biologique de la femme et son incapacité à la fois physique et intellectuelle.

  • De l’autre, certains défendent l’égalité entre les époux, des femmes, comme Christine de Pisan, par exemple dans La Cité des dames (1405), mais aussi des hommes, tels Jean Gerson, chancelier de l’université de la Sorbonne, pourtant interdite aux femmes, ou l’humaniste suisse Agrippa de Nettesheim dans son essai, La Noblesse et préexcellence du sexe féminin (1509), très vite traduit et diffusé à travers l’Europe.

Pierre Cousteau, Contre ceux qui vivent souz l’empire de leurs femmes, frontispice, 1560

Pierre Cousteau, Contre ceux qui vivent souz l’empire de leurs femmes, frontispice, 1560

Amour, instruction, pouvoir des femmes, tous les sujets sont alors abordés, et la Querelle se développe pendant la Renaissance, puis se prolonge avec les revendications de la Préciosité, qui contestent avec force la place traditionnelle accordée aux femmes.

Jacques Lagniet, Recueil des plus illustres poèmes, 1663, "Opérateur céphalique" (gauche), "Massacre de Lustucru par les femmes" (droite)

Un personnage : Lustucru

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Connu aujourd’hui en tant que personnage de la chanson enfantine « La Mère Michel », Lustucru a été, au XVIIème siècle, le symbole de cette « Querelle des femmes ». Lustucru, nom peut-être issu de « l’eusses-tu-cru » pour s’étonner du comportement des femmes en lutte, personnage né à la fin du règne de Louis XIII, entreprend de remédier à ces abus. Forgeron cruel, il est « opérateur céphalique » en réduisant la tête des femmes, qui, elles, vont se venger en se livrant à un « massacre ». 

Jacques Lagniet, Recueil des plus illustres poèmes, 1663, "Opérateur céphalique" (gauche), "Massacre de Lustucru par les femmes" (droite)

Pour en savoir plus sur la Préciosité

"Opérateur céphalique"

​La gravure représente une forge en pleine activité, avec le forgeron Lustucru, au premier plan, qui tient dans sa tenaille une tête de femme, que vont façonner, à coups de marteaux, les deux ouvriers qui l’assistent. Tandis qu’en bas, à gauche, un ouvrier apporte une hotte pleine de têtes coupées à reformer, un autre prépare ce travail devant la forge enflammée. 

« Opérateur céphalique »

 

Vous, pauvres malheureux que l’esprit Lunatique
Des femmes d’à présent fait toujours enrager
Et qui ne croyez pas les voir jamais changer,
Amenez-les ici dedans notre boutique.

​

 De quelque qualité que leurs têtes pussent être,

Nous y mettrons si bien la lime et le marteau
Que la Lune en son plein fût-elle en leur cerveau,
Au sortir de chez nous, vous en serez le Maître.

Notre boutique jamais n’est point jamais déserte,

L’on y voit aborder de toutes nations
Toutes sortes d’états et de conditions ;
Jour et nuit, en tout temps, elle demeure ouverte.

​

On amène en vaisseaux, à cheval, en brouette,

Sans intermission I’on nous fait travailler.
Nous n’avons pas le temps même de sommeiller,
Car, tant plus nous vivons, leurs têtes sont mal faites.

Sur la gauche, un troisième en rectifie une à l’aide d’une lime. Du bateau, un porteur apporte encore d’autres têtes dans une brouette, à gauche elles arrivent sur un chariot tiré par un mulet et conduit par un singe. La forge est ainsi remplie de ces têtes à corriger, jusque sur les murs, En arrière-plan, sur un présentoir reposent d’autres têtes, peut-être celles refaites à neuf.

Surmontant la gravure, les quatre quatrains sont le boniment du marchand pour attirer les clients, avec une promesse faites aux « pauvres malheureux », ces maris que leur femme « fait toujours enrager » : « Nous mettrons si bien la lime et le marteau / […qu’] Au sortir de chez nous, vous en serez le Maître. » Le travail est incessant, « L’on y voit aborder de toutes nations / Toutes sortes d’états et de conditions », et donne l’impression que tous sont concernés par ces femmes à « l’esprit Lunatique », adjectif qui, au XVIIème siècle, sous-entend la folie. 

"Le massacre de Lustucru par les femmes"

​Mais les femmes ne se laissent pas facilement faire ; elles s’en prennent alors à ce « forgeron d’enfer », allusion mythologique au dieu forgeron de l’antiquité grecque, Héphaïstos, Vulcain pour les Romains, et surtout à leurs « jaloux maris ». Elles affirment hautement leur nature féminine : « il n’y a point de secret qui nous puisse faire autres que nous sommes ». À leur tour, elles se transforment donc en guerrières pour abattre leur ennemi : « donnons-lui cent coups, après sa mort, mettons-le en pièces, portons sa Diable de tête partout. »

La gravure montre qu’elles se sont emparées de la forge et des outils qui leur servent à combattre violemment. Elles lancent un véritable appel au meurtre...

« Le massacre de Lustucru par les femmes »

II nous est besoin et nécessaire pour notre repos d’ôter du monde cet ennemi de notre sexe, ce forgeron d’enfer que se veut mêler de reforger, polir et rabonnir nos têtes, pour contenter l’esprit bourru de nos jaloux maris, qui croient faire beaucoup de nous envoyer chez Lustucru. Ils ont beau dire, il n’y a point de secret qui nous puisse faire autres que nous sommes, c’est pourquoi, afin que désormais il n’y ait plus d’opérateur si impudent qu’il n’en soit jamais parlé, allons toutes mettre fin à une si glorieuse entreprise, donnons-lui cent coups, après sa mort, mettons-le en pièces, portons sa Diable de tête partout. Témoin de nos courages, allons mettre le feu au vaisseau qui vient. 

"Complainte de Lustucru aux maris martyrs"

Alors qu'ils restent sur le seuil de la forge, apeurés, Lustucru implore les maris de lui apporter de l’aide, à lui le « bienfaiteur de [leur] ménage ». Mais ses cris restent vains, nul ne vient à son secours : « n’ayant plus de Lustucru, vos femmes vous feront enrager plus que jamais ». Il ne peut qu’accepter sa défaite, « Adieu il n’y a plus de Lustucru », et reconnaître la puissance des femmes, victorieuses

 « La complainte de Lustucru aux maris martyrs »

​Messieurs, aurez-vous bien la main si lâche de laisser massacrer Lustucru, ce bienfaiteur de vos ménages, celui qui a tant pour reforger et rabonnir les têtes de vos méchantes femmes, quoi faut-il que j’aie tant voyagé pour découvrir ce rare secret et en être si mal récompensé. Songez donc à me secourir promptement, car si vous attendez ma mort, vous êtes perdus ; n’ayant plus de Lustucru, vos femmes vous feront enrager plus que jamais, ayant vu bien que mes cris sont perdus. Je suis accablé, ces Diablesses m’ont surpris. Adieu il n’y a plus de Lustucru. 

Pour lire l'extrait

Parcours : François Poulain de La Barre, De l’Égalité des deux sexes, 1673, d'" Il n’y a rien de plus délicat… " à " … admises avec eux." 

Poulain de la Barre

Poulain de La Barre (1647-1723) a suivi des études de théologie, et, bien qu'adepte de la philosophie de Descartes, condamnée par l'Église, il devient prêtre, en charge d’une petite cure du diocèse de Laon. Cependant, il se convertit au protestantisme, ce qui le conduit, lors de la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, à s’exiler en Suisse où il enseigne au Collège de Genève. Alors que les revendications des Précieuses se sont développées, il fait paraître anonymement à Lyon un essai, De l'égalité des deux sexes, sous-titré "Discours physique et moral où l'on voit l'importance de se défaire des préjugés".

Le terme « préjugés » est apparu à la fin du XVIème siècle, et, neutre à l'origine, il s’est très vite chargé d’une connotation péjorative pour définir une opinion contestable car faite à l’avance, sans preuves solides mais à partir des idées propres à un milieu, à une éducation. C’est donc en tant qu’adepte du rationalisme cartésien qu’il décide de dénoncer les « préjugés » qui pèsent sur les femmes, comme dans cet extrait, dans lequel il construit une argumentation rigoureuse.

Poulain de La Barre, De l'Égalité des deux sexes, 2ème édition

Poulain de La Barre, De l'Égalité des deux sexes, 2ème édition

1ère PARTIE : la notion de préjugé (des lignes 1 à 11) 

L'image des femmes

 

L’extrait s’ouvre sur un constat, la difficulté de s’opposer à l’opinion généralement admise, reprise : « les femmes sont inférieures aux hommes en capacité et en mérite », ce qui entraîne une conséquence : « elles doivent être dans la dépendance où nous les voyons ». C’est précisément contre ce jugement péjoratif que les Précieuses se sont élevées. Mais, si l’on peut concevoir que les femmes se défendent, il est plus difficile à un homme de se ranger à leurs côtés, d’où l’hyperbole initiale : « Il n’y a rien de plus délicat que de s’expliquer sur les femmes. » Le défenseur est, en effet, immédiatement suspect de partialité, « Quand un homme parle à leur avantage, l’on s’imagine aussitôt que c’est par galanterie ou par amour. », ou bien considéré comme un être à part, étrange, ce qu’accentue la formulation négative : « on ne manquera pas de regarder le sentiment contraire comme un paradoxe singulier. »

La dénonciation du "préjugé"

 

Ce début oppose nettement le « préjugé » à une conception fondée sur la raison, d’où l’injonction insistante : « Nous sommes remplis de préjugés, et il faut y renoncer absolument pour avoir des connaissances claires et distinctes. » Dès ce début, le pronom « nous » généralise la dénonciation du préjugé à propos des femmes, souligné par l’adverbe péjoratif qui en fait, étymologiquement, une opinion propre au « vulgus », c'est-à-dire au bas peuple méprisable : « celui qu’on porte vulgairement sur la différence des deux sexes ». La critique est ensuite renforcée par la façon dont La Barre, en les regroupant, met sur le même plan « [l]es savants et les ignorants ». Mais le préjugé est profondément enraciné, comme le mettent en valeur la litote qui introduit les comparatifs, « Il n’y en a point de plus ancien ni de plus universel », et l’adverbe d’intensité pour caractériser les tenants de cette opinion, « tellement prévenus ». Le préfixe identique pour les termes « préjugés » et « prévenus » annonce déjà l’erreur : l’opinion est formulée avant même toute réflexion.

2ème PARTIE : de l’erreur à la vérité (lignes 12 à 24) 

Les causes de l'erreur

 

C’est par le moyen d’une hypothèse que Poulain de La Barre dégage les causes de l’erreur que représente le préjugé : « si les hommes étaient plus équitables et moins intéressés dans leurs jugements. » Elle vient donc à la fois d’un manque de justice dans la répartition des droits, et d’une volonté égoïste de pouvoir, ce que reprend la négation restrictive dans l'accusation : « on n’a parlé jusqu’à présent qu’à la légère de la différence des deux sexes, au désavantage des femmes ». Cette double cause d'erreur est répétée :

  • pour le défaut de jugement, à travers la critique renforcée : « le peu de lumière et la précipitation » ;

  • pour l’égoïsme, par la reprise du terme « intérêt » opposé à « désintéressement ».

Une dernière cause d’erreur relève d’une forme de paresse intellectuelle : « ce qu’on en a cru sur le simple rapport d’autrui et sans l’avoir examiné. » N'est-il pas plus simple de ne pas réfléchir par soi-même, de se fier aveuglément au jugement d’autrui ?

Rétablir la vérité

 

Face à ce comportement, l’écrivain cherche à ramener ses lecteurs vers la vérité, à les éclairer, conformément à la volonté de ce « siècle des Lumières ». À travers des hypothèses, qu’il pose comme possibles, il présente ce rétablissement de la vérité comme aisé à réaliser, puisqu’il ne dépend que d’un changement de regard : « Cependant il ne serait pas nécessaire pour l’établir, d’employer aucune raison positive, si… », « « Il suffirait de les avertir… », « Il est certain qu’un homme qui se mettrait en cet état d’indifférence et de désintéressement, reconnaîtrait… », « Si cet homme était philosophe, il trouverait… ».

Ainsi, chacune de ces hypothèses conduit à la remise en cause du préjugé « au désavantage des femmes », leur infériorité que souligne le double comparatif : « les femmes sont moins nobles et moins excellentes que nous ». Par opposition, c’est l’orgueil du sexe masculin qui ressort, le fait de croire que « le nôtre a quelque prééminence naturelle par-dessus le leur ». Il invite ses lecteurs à prendre le contrepied, en établissant une gradation : d’abord il introduit un doute  par la conjonction interrogative, « si », puis il appelle à « juger sainement », ensuite il pose une injonction, « il faut y penser sérieusement », enfin il marque le résultat par le choix verbal, « renonçant à ce qu’on en a cru ». L’adverbe soutient donc une conclusion qui pose la vérité de façon catégorique : « il y a des raisons physiques qui prouvent invinciblement que les deux sexes sont égaux pour le corps et pour l’esprit. »

3ème PARTIE :  l'expression du préjugé (des lignes 25 à 40) 

Le paragraphe suivant donne la parole au camp adverse, dont il rappelle longuement les affirmations.

        Dans un premier temps, il généralise afin de montrer la force du préjugé porté par « chaque homme en particulier ». La seule restriction envisagée est une sorte de gêne, voire d’hypocrisie de celui qui hésiterait à formuler sa critique : encore faut-il « qu’il le veuille avouer sincèrement ». Le choix des temps dans l’hypothèse, « Si l’on demande ce qu’il pense des femmes en général », avec la principale insistante au futur, « il dira sans doute », annonce par avance la certitude du discours rapporté indirect. Son rythme binaire, avec la double restriction négative, « ne… que », met bien en évidence cet égoïste « intérêt » masculin, en plaçant en premier « elles ne sont faites que pour nous », puis le mépris, renforcé : « elles ne sont guère propres qu’à élever des enfants dans leur bas âge, et à prendre le soin du ménage ».

        Dans un second temps, Poulain de La Barre cherche à se montrer objectif, en acceptant d’atténuer le préjugé de certains adversaires qui admettraient la valeur des femmes : « Peut-être que les plus spirituels ajouteraient qu’il y a beaucoup de femmes qui ont de l’esprit et de la conduite. », ce terme de « conduite » leur reconnaissant un comportement moral, alors qu’il est souvent dénié.

Mais la structure de la fin du paragraphe, une longue période ternaire en gradation introduite par le connecteur « mais », détruit immédiatement, et avec force, ce jugement mélioratif.

  1. La première subordonnée confirme le mépris envers les femmes : « si l’on examine de près celles qui en ont le plus, on y trouvera toujours quelque chose qui sent leur sexe ».

  2. La deuxième repose sur une triple négation : « elles n’ont ni fermeté ni arrêt, ni le fond d’esprit  qu’ils croient reconnaître dans le leur ». Mais le verbe « ils croient » traduit à nouveau le sentiment orgueilleux de supériorité chez les hommes.

  3. La troisième confirme cette exclusion, en la développant, dans une longue énumération d’infinitifs hypothétiques introduite par un mépris railleur : « ce serait une chose plaisante de voir une femme… » Ces infinitifs vont correspondre à tous les rôles essentiels à un État :

  • D’abord, il s’agit de l’éducation au niveau supérieur : « enseigner dans une chaire, l’éloquence ou la médecine en qualité de professeur » ; il n’appartient donc qu’aux hommes de former les esprits… ce qui pérennise le préjugé.

  • Vient ensuite le maintien de l’ordre, c’est-à-dire le soutien du pouvoir politique, donc la protection des hommes qui l’exercent : « marcher par les rues, suivie de commissaires, de sergents, pour y mettre la police ».

  • Après le pouvoir exécutif, est cité le pouvoir juridique, la défense des lois : « haranguer devant les juges en qualité d’avocat, être assise sur un tribunal pour y rendre justice, à la tête d’un parlement ». Ainsi les hommes s’assurent de leur supériorité légale.

  • Enfin, après la politique intérieure, sont énumérés trois exemples de la politique extérieure, la guerre et les négociations avec les autres pays : « conduire une armée, livrer une bataille et parler devant les républiques ou les princes comme chef d’une ambassade. »

Cependant, notons que cette énumération ne repose sur aucune argumentation justifiant ces exclusions, « leur avoir fermé l’entrée des sciences, du gouvernement, et des emplois. », dont l’ordre est significatif puisque vient d’abord le refus d’une instruction solide, puis de toute puissance politique, qui a enfin une conséquence économique. Les tenants du préjugé se protègent de toute critique en attribuant leur propre volonté de supériorité, qualifiée de « sagesse », à la religion : elle est  « un effet de la providence divine et de la sagesse des hommes ».

4ème PARTIE : la contre-argumentation (de la ligne 41 à la fin) 

La fin de cet extrait est la réponse faite par Poulain de La Barre à ses adversaires. Pour lui, ils n’ont qu’un seul argument, l’ancienneté de cette image péjorative des femmes : « J’avoue que cet usage nous surprendrait, mais ce ne serait que par la raison de la nouveauté. » Il reprend, sous diverses formulations, cette idée que seule la tradition explique une telle conception.

  • D’abord, il l’avance par une première hypothèse, accentuée par un exemple : « Si en formant les états et en établissant les différents emplois qui les composent, on y avait aussi appelé les femmes, nous serions accoutumés à les y voir, comme elles le sont à notre égard. Et nous ne trouverions pas plus étrange de les y voir sur les fleurs de lys, que dans les boutiques. »

  • Une seconde hypothèse met en valeur cet argument par le superlatif : « Si on pousse un peu les gens, on trouvera que leurs plus fortes raisons se réduisent à dire que les choses ont toujours été comme elles sont, à l’égard des femmes ».

Il appelle ainsi le lecteur à réfléchir sur la conséquence alors tirée, qui fait de l’erreur du passé le fondement de l’avenir : « ce qui est une marque qu’elles doivent être de la sorte ». Quand à la justification donnée,  rejetée dans un irréel du passé, elle fait des hommes des juges suprêmes : « si elles avaient été capables des sciences et des emplois, les hommes les auraient admises avec eux. » Mais cette justification a été détruite dans l’argumentation précédente, car elle repose sur un syllogisme : 1- Les hommes sont plus sages que les femmes. 2- Or, ils les jugent inférieures à eux. 3- Donc, ils ont raison de leur interdire toute fonction publique. Cependant, ce syllogisme repose sur un première affirmation totalement subjective, qui pose précisément le préjugé…

CONCLUSION

 

Ce texte annonce déjà le siècle des Lumières : comme le feront les « philosophes », Poulain de La Barre entreprend de lutter contre les préjugés, en dénonçant nettement l’erreur de ceux qui prônent l’infériorité de la femme par rapport à l’homme. Il leur donne la parole pour mieux montrer le peu de valeur de leur argumentation, et ramener ses lecteurs à la vérité, en faisant appel à leur raison. De plus, il s’inscrit dans l’évolution  du XVIIème siècle qui, dans la lignée des Précieuses, accorde un rôle croissant aux femmes, éduquées, cultivées, ce dont témoignent déjà les salons dans lesquels elles reçoivent auteurs et artistes.

Mais, bien qu’il ait été traduit et diffusé, son ouvrage sera loin de réussir à faire taire les discours, médicaux, juridiques, moraux, et religieux qui infériorisent la femme, jugée à la fois dangereuse, et trop faible, incapable par sa nature même de faire preuve de raison.

Voltaire, Éléments de la philosophie de Newton, 1738. Frontispice : le philosophe des « Lumières »

Voltaire, Éléments de la philosophie de Newton, 1738. Frontispice : le philosophe des « Lumières »

Cependant, il est frappant de constater que son affirmation, alors novatrice, « L’esprit n’a pas de sexe » sert d’épigraphe à l’essai de Simone de Beauvoir, Le deuxième Sexe, considéré comme fondateur, en 1949, de la réflexion féministe.

LECTURES CURSIVES : Molière face à Poulain de La Barre 

Alors même qu’au XVIIème siècle s’est développée la Préciosité, avec ses revendications visant à donner un juste « prix » aux femmes, traditionnellement jugées inférieures, la position de Molière traduit toute la difficulté de leurs luttes. Dans sa comédie L’École des femmes, représentée en 1662, en effet, il fait porter le blâme sur son personnage principal, Arnolphe, un tenant de la tradition qui oblige les femmes à une soumission totale aux hommes dans le cadre du mariage. En revanche, dans Les Femmes savantes, en 1672, c’est Armande qui, argumentant face à sa sœur Henriette, est rendue ridicule par son opposition à la tradition

Pour lire les deux extraits de Molière

Molière, L’École des femmes, 1662 : acte III, scène 2

 

La longue tirade d’Arnolphe met en évidence, dans les seize premiers vers, le mépris de l’homme envers celle qu’il a choisi d’épouser, déjà dénoncé par Poulain de La Barre. Il n’hésite pas à la rabaisser, en lui rappelant son origine sociale, « son « vil état de pauvre villageoise », et présente cette union comme un « honneur » qu’il lui « veut faire » par « ce nœud glorieux », adjectif amplifié par la diérèse.

Pour voir une explication détaillée

Mise en scène de L'École des femmes par Didier Bezace, 2001aire, 

Sa vision du mariage repose sur ce préjugé qui oblige la femme, vue comme une créature perfide, « libertine » et remplie de défauts, à « d’austères devoirs ». Au cœur de la tirade est affirmée la toute puissance masculine.

Mais Molière en dénonce l’excès par l’argument ridicule invoqué, « Du côté de la barbe est la toute-puissance. », et l’absurdité du recours aux mathématiques : « Bien qu’on soit deux moitiés de la société, / Ces deux moitiés pourtant n’ont point d’égalité ». Le chiasme accentue la soumission à laquelle la femme est donc contrainte : « L’une est moitié suprême et l’autre subalterne ; / L’une en tout est soumise à l’autre qui gouverne ». Une énumération souligne les qualités attendue de l’épouse, « docilité », « obéissance », « humilité », « profonde respect », en lui imposant le pouvoir de « son mari, son chef, son seigneur et son maître ».

Enfin, de même que  Poulain de La Barre montre que les tenants du sexiste s’appuient sur « la Providence divine » pour justifier leur préjugé, c’est aussi à la religion qu’Arnolphe fait appel pour effrayer Agnès par la menace du châtiment divin : « […] il est aux enfers des chaudières bouillantes / Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes. »

Molière, Les Femmes savantes, 1672, I, 1, la tirade d’Armande

 

Dans les 7 premiers vers de sa tirade, Armande, au contraire, exprime avec force son refus du mariage, avec ce qu’il implique, se « claquemurer aux choses du ménage », considérer son époux comme une « idole », et se contenter de la maternité : « Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires, / Les bas amusements de ces sortes d’affaires. » Nous retrouvons, à la fin de sa tirade, la peinture de l’épouse faite par Arnolphe dans L’École des femmes, celle d’une absolue soumission : c’est « être aux lois d’un homme en esclave asservie ».

Son injonction, « À l’esprit, comme nous, donnez-vous tout entière », est aussi une façon de s’opposer au préjugé qui, jugeant que les femmes n’ont pas compétences intellectuelles, leur interdit l’accès aux sciences, à une solide éducation égale à celle des hommes. Elle proclame ainsi son droit à l’égalité dans l'instruction, au développement de sa « raison ».

Mais, là où Poulain de La Barre cherche à détruire ce préjugé « au désavantage des femmes », Molière, lui, fait sourire du discours d’Armande, excessivement méprisant face à sa sœur qui aspire à se marier, « Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas ! », et rendu excessif par sa formulation ridicule : « Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie. »

 

Molière blâme donc à la fois la situation que subissent encore tant de femmes à son époque, en raison de mariages arrangés, imposés, et les excès de ces femmes « savantes », qui, elles refusent tout ce qui, à leurs yeux, relève de la « partie animale » de l’être humain. Sans se prononcer sur la notion d’« égalité entre les deux sexes », il appelle donc à un juste équilibre, et, surtout, au droit de la femme de choisir librement son destin.

Pour voir une explication détaillée

François Poulain de La Barre, De l’Égalité entre les deux sexes, 1673, Préface

 

Toute préface a pour but de présenter l’ouvrage en indiquant l’objectif de l’auteur, ici posé dès l’ouverture de l’extrait : « De tous les Préjugés, on n’en a point remarqué de plus propre à ce dessein que celui qu’on a communément sur l’Inégalité des deux Sexes. » C’est ce à quoi il s’est employé dans le passage étudié précédemment.

​

Il rappelle ensuite la thèse adversele contenu de ce préjugé, dont il montre à quel point il est admis de tous, y compris par « les Femmes même ». Tous justifient l’exclusion des femmes, ravalées à leur fonction biologique : « elles ont moins d’Esprit que les hommes », donc « elles doivent leur être inférieures en tout comme elles sont. »

 

Sa thèse, en écho au titre de son discours, est posée sous le titre « Règle de vérité », avec cette volonté « de n’admettre rien pour vrai qui ne soit appuyé sur des idées claires et distinctes », dans la lignée du rationalisme de Descartes : « les femmes sont aussi Nobles, aussi parfaites, et aussi capables que les hommes. »

 

Vient enfin l’annonce du plan, en réponse à deux catégories d’« adversaires » :

  • Pour les premiers, « le Vulgaire », c’est-à-dire les hommes ordinaires, il s’agira d’analyser la notion de « préjugé », en fait une « Tradition populaire ». C’est ce que nous avons observé dans l’extrait que nous avons étudié.

  • Pour les seconds, « presque tous les Savants », la démarche sera inversée : leur apporter des « raisons positives » de cette égalité des femmes aux hommes. Il souligne à ce propos le rôle joué par « l’Éducation » dans ces « défauts dont on les accuse ordinairement », qu’il va s’employer à nier.

 

La Préface confirme donc le rôle que Poulain de La Barre assigne à son discours : un réquisitoire contre la force du préjugé, un plaidoyer en faveur de l’égalité, mais aussi une volonté de rétablir la raison là où règne le poids de la tradition.

Pour lire l'extrait

Langue : Argumenter - convaincre et persuader 

Argumenter

Pour une étude détailléee

L’explication de l’extrait de Poulain de La Barre a montré l’importance d’analyser une argumentation, dans sa double dimension :

  • La volonté de convaincre implique de savoir distinguer la thèse soutenue par l’auteur de celle de ses adversaires, d’observer sa démarche logique pour s’opposer à eux et prouver sa vérité, et le rôle qu’il peut accorder à des exemples. Il fait ainsi appel à la raison de ses lecteurs.

  • La volonté de persuader dépasse l’appel à la raison, pour toucher les sentiments des lecteurs en renforçant sa propre opinion, en accentuant ses critiques, ses blâmes.

Les acquis seront donc révisés et complétés, notamment par une étude précise des connecteurs logiques et de la stratégie argumentative. Seront également récapitulés les procédés de modalisation : modalités et rythmes expressifs des phrases, choix lexicaux, recours aux figures de style.

Marivaux

Parcours : Marivaux, La Colonie, 1729, scène 13 

Pour lire la scène

Jouée en juin 1729, La Colonie n’a alors connu qu’une seule représentation, échec total : la pièce est retirée. Pourtant, Marivaux a déjà connu le succès au théâtre comme par ses articles parus dans Le Nouveau Mercure de France, puis dans les vingt-cinq numéros, de 1721 à 1724, du Spectateur français. Il est aussi un habitué des salons de Madame du Deffand et de Madame de Tencin, où s’agitent des idées nouvelles, notamment en faveur de droits à accorder aux femmes.

Il remanie et publie en 1750 cette courte comédie, dix-huit scènes, en un acte, qui met en scène, dans une île où il s’est exilé, un groupe d’hommes et de femmes, « obligés, grands et petits, nobles, bourgeois et gens du peuple, de quitter notre patrie pour éviter la mort ou pour fuir l’esclavage de l’ennemi qui nous a vaincus. » Pour diriger le gouvernement sont élus le seigneur Timagène, pour représenter la noblesse (Hermocrate aussi est un noble), et l’artisan Sorbin pour le tiers-état. Mais leurs décisions vont provoquer la colère des femmes, menées par la noble Arthénice et Madame Sorbin. Comment Marivaux met-il en scène la question de l’égalité entre les femmes et les hommes ? 

Affiche pour une représentation de La Colonie 

Affiche pour une représentation de La Colonie 

Pour en savoir plus sur Marivaux

L'image des hommes

Un patriarcat sexiste

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La scène s’ouvre sur les questions, calmes et polies, d’Arthénice, « Messieurs, daignez répondre à notre question; vous allez faire des règlements pour la république, n'y travaillerons-nous pas de concert ? À quoi nous destinez-vous là-dessus ? » Mais son appel à l’association des femmes et des hommes reçoit une réponse brutale et méprisante d’Hermocrate : « À rien, comme à l'ordinaire. » Il s’inscrit ainsi dans la conception héritée de l’antiquité, qui implique la soumission des femmes, ce que précise le second personnage : « C'est-à-dire à vous marier quand vous serez filles, à obéir à vos maris quand vous serez femmes, et à veiller sur votre maison. » En ajoutant «  on ne saurait vous ôter cela, c'est votre lot. », il justifie cette conception par la nature même des femmes, dont il fait une destinée incontournable.

C’est ce qui explique leur étonnement devant l’affiche et les droits revendiqués par les femmes, mis en valeur par les deux brèves questions : « D'épée, Madame ? », « Des femmes avocates ? ». En les limitant à exprimer leur surprise, Marivaux met en évidence à quel point le droit des femmes à participer à la vie politique, dans l’armée ou dans la justice, est inconcevable à leurs yeux, ce que confirme la négation catégorique redoublée lancée par Hermocrate, « Vous n'y songez pas », «  ne s’accorderaient jamais ».

Le poids de leur argumentation

 

Mais quel poids accorder à leur argumentation ?

En rapportant les revendications féminines aux qualités jugées nécessaires à l’exercice du pouvoir judiciaire, non seulement il les leur dénie, mais il attribue aux femmes les défauts inverses. À « la gravité de la magistrature », des juges, s’opposent, en effet, frivolité et superficialité, et, s’il leur manque « la décence du barreau », institution qui regroupe les avocats, cela sous-entend à la fois le manque de réserve et de mesure dans leur comportement, et, pire encore, leur irrespect des règles morales et des convenances. C’est d’ailleurs ce que traduit aussi l’allusion d’un autre homme à leur infidélité, à travers l’image des « cornes » qu’elles feraient porter aux maris trompés : « Et ce ne sera pas la seule coiffure que nous tiendrons de vous. » Mais, la justification de ce refus devient ridicule, puisqu’Hermocrate ne la fonde que sur le seul habillement : le « bonnet carré » des magistrats ne pourrait être porté « sur une cornette », coiffe de la femme. Mais quel rapport entre le costume propre à une fonction et les compétences attendues ?

Des personnages comiques

 

La scène se construit sur l’inversion de la situation. Alors qu’au début, les hommes veulent imposer leur autorité, nous pouvons imaginer leur gestuelle et leurs mimiques ridicules, à la fois déconcertées et indignées face à la parole féminine. Leur argumentation est sans valeur, et la fin de la scène réduit encore leur poids dans le débat à leur seule autorité, associée à leurs mépris pour celles qu’ils entendent bien dominer : « Seigneur Timagène, donnez vos ordres, et délivrez-nous de ces criailleries. » Mais la dernière réplique de Timagène, interrompue, révèle, en fait, l’impuissance masculine, puisqu’il est réduit au silence.

La parole des femmes 

Le conflit est mené par les femmes, avec une différence de ton entre Arthénice et Madame Sorbin, liée à leur statut social, la noblesse pour la première, le tiers-état pour l’autre, et il progresse au fil de l’argumentation.

Les revendications (des lignes 8 à 14)

 

Au mépris des hommes, Madame Sorbin répond par le même rejet brutal : « Est-ce là votre dernier mot ? Battez tambour ; (et à Lina) et vous, allez afficher l'ordonnance à cet arbre. (On bat le tambour et Lina affiche.) » Notons déjà le lexique, emprunté à  l’armée et au pouvoir législatif, et qui traduit, par l’impératif, sa volonté d’imposer aux hommes le pouvoir des femmes : « Lisez l'affiche, l'explication y est. »

C’est Arthénice qui expose plus précisément le contenu des revendications, accentué par le rythme ternaire, d’abord avec la répétition de l’indéfini, « nous voulons nous mêler de tout, être associées à tout, exercer avec vous tous les emplois », puis avec l’énumération : « ceux de finance, de judicature et d’épée. » Il s’agit donc bien d’une demande à la fois d’égalité de droits et d’un rôle actif dans trois domaines sociaux dont la femme est exclue : l’économie, le pouvoir législatif et le pouvoir politique, alors soutenu par la puissance de l’armée.

Le rôle de l'éducation (des lignes 14 à 35)

 

        Le ton d’Arthénice est sérieux, quand elle met l’accent sur l’importance de donner la même éducation aux filles qu’aux garçons : « sachez que jusqu'ici nous n'avons été poltronnes que par éducation. » Elle nie donc l’idée qui fonde l’infériorité féminine sur sa nature, en remplaçant l’inné par l’acquis : « Il n’y a que de l’habitude à tout. » Elle est aussi habile pour retourner à son avantage ce que les hommes considèrent comme un défaut typiquement féminin, le bavardage : « Je pense qu'on ne nous disputera pas le don de la parole. »

         Madame Sorbin reprend l’argument d’Arthénice sur le rôle de l’apprentissage, mais son langage fait sourire, tel son juron, « Mort de ma vie ! » ou son interpellation familière : « Tenez donc, c'est que nous n'avons pas la langue assez bien pendue, n'est-ce pas ? » Son attaque est aussi plus violente, avec une volonté de prendre sa revanche sur les hommes : « qu'on nous donne des armes, nous serons plus méchantes que vous », d’où l’élan de son énumération enthousiaste : « De même qu'au Palais à tenir l'audience, à être Présidente, Conseillère, Intendante, Capitaine ou Avocate. » Sa comparaison et l’exemple donné pour prouver son aptitude au combat sont également comiques : « je veux que dans un mois, nous maniions le pistolet comme un éventail : je tirai ces jours passés sur un perroquet, moi qui vous parle. »

Une contre-argumentation ironique (des lignes 35 à 41)

 

Arthénice a très bien perçu le ridicule de l’argument d’Hermocrate, et les questions qu’elle lui renvoie sont donc fortement ironiques : « Et qu'est-ce que c'est qu'un bonnet carré, Messieurs ? Qu'a-t-il de plus important qu'une autre coiffure ? » Elle se livre ensuite à une critique de la partialité de la justice qui, puisque le pouvoir est entre les mains des hommes, est guidée par leur intérêt : « D'ailleurs, il n'est pas de notre bail non plus que votre Code ; jusqu'ici c'est votre justice et non pas la nôtre ». Sa critique va plus loin, puisqu’elle signale aussi la corruption possible, car les juges peuvent se laisser séduire par une femme : « justice qui va comme il plaît à nos beaux yeux, quand ils veulent s'en donner la peine ».  

Son hypothèse, la participation des femmes au pouvoir, « si nous avons part à l'institution des lois », conduit à un rejet méprisant, et elle renvoie plaisamment à son adversaire son argument vestimentaire : « nous verrons ce que nous ferons de cette justice-là, aussi bien que du bonnet carré, qui pourrait bien devenir octogone si on nous fâche ». Mais sa conclusion, dont le futur affirme la certitude, accroît encore la critique d’une justice qui ne joue pas son rôle, puisqu’elle ne protège pas les plus faibles : «  la veuve ni l'orphelin n'y perdront rien. »

Une mise en scène de l'Atelier théâtre de l'École alsacienne 

Une mise en scène de l'Atelier théâtre de l'École alsacienne 

Le plaidoyer final en faveur de l'égalité (de la ligne 43 à la fin)

 

La force de l'argumentation

​Dans la dernière partie de la scène, l’argumentation d’Arthénice va plus loin, car elle fait de l’inégalité entre les femmes et les hommes la cause première des reproches adressés à la politique. Marivaux écrit, en effet, à une époque où la critique contre les abus de la monarchie absolue s’accentue.

Son discours est renforcé par  tous les procédés de la rhétorique.

  • Elle introduit son argument par une litote, en les interpellant par une interrogation oratoire : « il n'y a point de nation qui ne se plaigne des défauts de son gouvernement ; d'où viennent-ils, ces défauts ? »

  • Le rythme ternaire de sa réponse, en gradation, souligne son accusation : « C'est que notre esprit manque à la terre dans l'institution de ses lois, c'est que vous ne faites rien de la moitié de l'esprit humain que nous avons, et que vous n'employez jamais que la vôtre, qui est la plus faible. » Le verbe « manque », les négations, « rien », « jamais », soutiennent sa colère contre les hommes qui refusent aux femmes toute participation à la vie sociale alors qu’elles représentent « la moitié de l’esprit humain », et, à son tour, elle rabaisse les hommes par le superlatif péjoratif : ils représentent « la part la plus faible » de l’humanité.

Un ultime argument est invoqué, qui fait appel à la religion, prudemment rattaché – car au XVIIIème siècle la censure peut intervenir – à une société ancienne, encore polythéiste : « C’est que le mariage qui se fait entre les hommes et nous devrait aussi se faire entre leurs pensées et les nôtres ; c’était l’intention des dieux, elle n’est pas remplie, et voilà la source de l’imperfection des lois ». Elle considère que, l’être humain étant à la fois corps et esprit, l’union des corps devrait impliquer aussi celle des esprits. Cet appel à la religion lui permet de justifier la révolte des femmes qui fonde l’intrigue de la comédie : « l’univers en est la victime et nous le servons en vous résistant. »

La force du rejet

Arthénice impose son autorité sur ses interlocuteurs masculins par le rejet brutal qui encadre son argumentation : « Monsieur, je n'ai plus qu'un mot à dire, profitez-en », « J’ai dit ; il serait inutile de me répondre, prenez votre parti, nous vous donnons encore une heure, après quoi la séparation est sans retour, si vous ne vous rendez pas ; suivez-moi, Madame Sorbin, sortons. » Les phrases sont brèves et énergiques, conduisant à une menace finale

Cependant, le rôle de Madame Sorbin, qui s’associe à  ce rejet  permet de maintenir le comique car chaque réplique est chargée d’ironie, quand elle se moque, par exemple de l’accusation d’infidélité : « Ah ! la belle pointe d'esprit ; mais finalement, il n'y a rien à rabattre, sinon lisez notre édit, votre congé est au bas de la page. » Son commentaire, emprunté au domaine de la confection vestimentaire, résume plaisamment l’argument élaboré d’Arthénice, de même que son adieu : « Voilà ce que c’est, faute d’étoffe l’habit est trop court. », « Notre part d’esprit salue la vôtre. »

CONCLUSION

 

L’intrigue repose sur une utopie, étymologiquement « lieu de nulle part », ici une île loin de la société, et à une époque qui, à la fois, se rapproche du XVIIIème siècle, par certains personnages, comme Madame Sorbin, mais aussi de l’antiquité par les prénoms des « nobles » et le pluriel, les « dieux ». Ce choix offre l’avantage de permettre une inversion du réel, ici la révolte des femmes contre le pouvoir traditionnellement réservé aux hommes.

Cela offre aussi à ce débat sa double tonalité :

  • L’argumentation polémique, essentiellement menée par Arthénice, recourt à tous les procédés de l’art oratoire ;

  • Mais le comique est maintenu, notamment grâce au personnage de Madame Sorbin, afin de ridiculiser les personnages masculins.

Mais ce comique interroge aussi sur la position de Marivaux : faut-il prendre au sérieux ces revendications féminines ? Pouvons-nous réellement voir en lui un précurseur du féminisme, tel qu’il pourra s’affirmer dans les siècles suivants ? Ou bien s’agit-il seulement pour lui de soutenir ces femmes qui, dans les salons, apportent la preuve de leur esprit et réclament leur droit de ne pas se limiter aux soins du ménage et à la maternité ? La scène XVIII de la pièce, son dénouement, nous invite à nuancer son engagement, puisque, alors qu’une « foule innombrable de sauvages » menace d’attaquer la colonie, tout rentre dans l’ordre. Madame Sorbin confie à son époux le soin de les défendre, « Viens, mon mari, je te pardonne ; va te battre, je vais à notre ménage. », et Timagène conclut : « Je me réjouis de voir l’affaire terminée. Ne vous inquiétez point, Mesdames ; allez vous mettre à l’abri de la guerre, on aura soin de vos droits dans les usages qu’on va établir. »

Parcours : Voltaire, Mélanges, pamphlets et œuvres poétiques, « Femmes, soyez soumises à vos maris », 1759-1768, de " L’abbé de Châteauneuf la rencontra un jour… " à " … madame la Maréchale. " 

Pour lire l'extrait

Voltaire

Publié dans les Mélanges, Pamphlets et Oeuvres politiques de Voltaire, ce texte s’inscrit dans la lignée des premières revendications formulées par les Précieuses au XVII° siècle, notamment autour du droit des femmes à l’éducation, auquel un philosophe des « Lumières », tel Voltaire, ne pouvait pas rester indifférent. N’est-il pas lui-même un rebelle, en lutte contre les abus de la monarchie absolue, et contre tous les excès du fanatisme religieux, comme le prouve son engagement en faveur de Calas, de Lally-Tollendal et de bien d’autres  ?

De plus, en mondain qu’il est, Voltaire a fréquenté les salons, le plus souvent dirigés par des femmes lettrées et émancipées, et, à l’époque où il compose ce texte, exilé au château de Cirey, il partage la vie d’Emilie du Châtelet, modèle des femmes cultivées de son temps. Elle aurait pu, en effet, prononcer les propos que Voltaire prête à son personnage, la Maréchale de Grancey face à l’abbé de Châteauneuf, à partir de la citation de saint Paul, tirée de « l’Épître aux Ephésiens », qui lui sert de titre. Les deux protagonistes de ce dialogue fictif appartiennent au XVII° siècle, l’une étant morte en 1694, l’autre en 1704, Voltaire disposait donc d’une totale liberté pour les faire s’affronter.  Comment Voltaire défend-il les revendications des femmes contre les inégalités qu’elles subissent ?

Pour une biographie détaillée de Voltaire

Un réquisitoire 

Contre la tradition religieuse

 

En reprenant cette citation de saint Paul qui l’indigne, la Maréchale dénonce d’abord la tradition religieuse, et de façon très irrespectueuse, en parlant d’un « livre qui traînait » et de « quelque recueil de lettres » pour qualifier des épîtres auxquelles l’Église catholique accorde la valeur de textes sacrés. La réaction indignée de l’abbé souligne d’ailleurs ce sacrilège : « Comment, Madame, savez-vous bien que ce sont les Épîtres de saint Paul ? » Mais cela ne l’empêche pas de récidiver en parlant très familièrement de celui qui est un des « Pères de l’Eglise » : « Il ne m’importe de qui elles sont ; [...] votre saint Paul était un homme très difficile à vivre. » Tout en le traitant avec mépris d’« impoli », elle s’implique personnellement, en comparant ce saint à son mari, ce qui fait de lui un homme bien ordinaire qu’une femme peut combattre : « je lui aurais fait voir du pays » est une expression très familière aussi pour expliquer qu’elle lui aurait montré ce que peut faire une femme insoumise.

Les Épîtres de Saint-Paul 

Les Épîtres de Saint-Paul

Son attaque se développe ensuite dans trois directions.

        D’une part, elle s’élève de manière globale contre l’idée, héritée de la conception religieuse, d’une infériorité de la femme qui conduit à exiger d’elle le respect et une absolue obéissance, comme le prouve sa reprise de l’adjectif « soumises » et de l’impératif « Obéissez« .

        Indépendamment de ce refus initial, elle rappelle, d’autre part, le seul contenu de la promesse échangée lors du mariage : « nous nous promîmes d’être fidèles,[...] ni lui ni moi ne promîmes d’obéir ». Aussitôt après, d’ailleurs, cette promesse est plaisamment réduite à néant, ce qui dévalorise, de ce fait, la valeur sacrée du mariage : « je n’ai pas trop gardé ma promesse, ni lui la sienne ». La maréchale assume donc, sans la moindre gêne devant un abbé, son libertinage.

        Enfin, son dernier reproche porte sur l’éducation donnée aux femmes dans les couvents, avec un lexique très péjoratif pour qualifier ceux qui y enseignent, « des imbéciles ». Le chiasme qui suit met en évidence son blâme : « qui nous apprennent ce qu’il faut ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu’il faut apprendre ». 

Ainsi, selon elle, l’Église fait tout pour maintenir la femme dans son état d’infériorité, considéré comme originel.

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Mise en scène de L’École des femmes avec D. Auteuil et L. Thibault. Théâtre de l’Odéon, 2008

Contre l'idée d'infériorité "naturelle"

 

Le second argument que la maréchale va combattre est celui qui fonde cette soumission sur une infériorité physique naturelle de la femme. Elle va ridiculiser cet argument en recourant à l’ironie. En fait de physique, elle reprend la phrase d’Arnolphe, tirée de L’École des femmes de Molière : « Du côté de la barbe est la toute-puissance ». Sa colère peut ainsi exploser, soutenue par l’antiphrase exclamative (« Mais voilà une plaisante raison pour que j’aie un maître ! »), par l’interjection, « Quoi ! », et l’interrogation oratoire. En mettant l’accent sur ce seul détail physique, elle rapproche l’homme de l’animal, ce qui est loin de le rendre supérieur : « parce qu’un homme a le menton couvert d’un vilain poil rude, qu’il est obligé de tondre de fort près, et que mon menton est né rasé, il faudra que je lui obéisse ? »

En fait de force physique, elle procède ensuite à une réduction progressive, en passant des « muscles plus forts que les nôtres » à l’usage dérisoire que les hommes en font : « ils peuvent donner un coup de poing mieux appliqué ». L’homme apparaît ainsi comme uniquement occupé à se battre, faisant preuve d’une violence irraisonnée. 

Les répliques de la Maréchale représentent donc une critique virulente des abus des hommes, jugés coupables de vouloir faire des femmes leurs « esclaves ».    

Un plaidoyer 

Parallèlement, la Maréchale se fait l’avocat des victimes : son discours vise à leur rendre justice, en leur redonnant des droits que son argumentation va s’employer à légitimer.

En faveur des femmes victimes

 

Elle insiste d’abord sur leur statut de victimes. Si, en effet, l’extrait s’ouvre sur son indignation personnelle (« rouge de colère »), très vite il évolue vers une vision collective par le passage au pluriel dans les interrogations oratoires, et le choix du pronom « nous » : « et pourquoi soumises, s’il vous plaît ? », « Sommes-nous donc des esclaves ? »

Cette victimisation collective s’appuie sur une image péjorative de la maternité renforcée par les interrogations oratoires nombreuses, et par l’anaphore de « N’est-ce pas assez ». La Maréchale développe une vision audacieuse, même si elle utilise des périphrases pour énumérer tous les inconvénients d’être une femme qu’elle reprend à son compte : les femmes sont « sujette[s] tous les mois à des incommodités très désagréables », la grossesse devient « une maladie de neuf mois, qui quelquefois est mortelle », idée reprise par « la suppression d’une de ces douze maladies par an […] capable de me donner la mort », enfin l’accouchement se fait dans « de grandes douleurs ». N’oublions pas le nombre de femmes qui, faute d’une élémentaire hygiène et d’un suivi médical sérieux, mouraient en accouchant au XVIII° siècle !

La dernière touche ajoutée à ce triste tableau est le rappel de la minorité juridique de la femme, qui n’a pas le droit de gérer ses biens, ni même de garder un héritage : ainsi un fils pourra la « plaider quand il sera majeur », c’est-à-dire la dépouiller de tout. Le statut de la femme n’est donc guère enviable à cette époque…

En faveur de l'égalité

 

Il est logique alors que la Maréchale revendique la reconnaissance d’une égalité entre l’homme et la femme, qu’elle fonde sur une double argumentation.

         Elle remplace habilement l’idée d’une différence naturelle (« des organes différents de ceux des hommes ») par celle d’une complémentarité qui rétablit une égalité : « nous rendant nécessaires les uns aux autres ». 

       Puis une fois rétablie une forme d’égalité physique, elle revendique l’égalité intellectuelle, en détruisant l’argument masculin par la connotation péjorative des verbes qui le présentent : « Ils prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, se vantent d’être plus capables de gouverner ». Elle répond à cette affirmation masculine par un exemple, celui de la « princesse allemande », rappel de l'origine de l'impératrice Catherine II de Russie pour laquelle Voltaire a toujours témoigné une vive admiration, comme le souligne l’énumération élogieuse, soutenue par la récurrence de « toutes/tous ». Il s’agit ici de l’image du monarque « éclairé », idéal du siècle des Lumières, rapportée à une femme, d’où la conclusion, logique pour l’Encyclopédiste que fut Voltaire : pour qu’une femme égale un homme, il suffit d’augmenter ses connaissances, de lui fournir une véritable instruction.

Fedor Rotokov, Portrait de Catherine II de Russie, 1763. Huile sur toile, 155,5 x 139. Galerie Tretiakov

CONCLUSION

 

Cet extrait résume bien les premières luttes féministes, en associant l’idée d’égalité à une lutte contre la tradition religieuse, qui fait de la femme une pécheresse descendant d’Ève, et à une revendication en faveur de l’éducation. De nombreux traités, tels ceux de Choderlos de Laclos, de Condorcet, de Madame d’Épinay…, insistent, au XVIII° siècle, sur l’importance de l’instruction à donner aux filles. Mais les résistances ne disparaîtront pas si facilement, comme le prouve la place, totalement subalterne, que Rousseau accorde à « Sophie » dans Émile ou de l’Éducation, et les objectifs éducatifs, conformes à la tradition, qu’il lui fixe…

Il est aussi très représentatif de l’ironie voltairienne, ici dans un dialogue fictif qui, plus vivant, accentue la force de la critique. Les personnages n’y sont que des porte-parole de l’auteur, mais le fait de déléguer son rôle à une femme rend l’argumentation plus crédible. Quant à l’abbé, au-delà de la critique religieuse, il n’est, en fait, que la représentation du lecteur, adversaire que Voltaire veut convaincre, ce que met en valeur la dernière phrase de l’extrait..

Fedor Rotokov, Portrait de Catherine II de Russie, 1763. Huile sur toile, 155,5 x 139. Galerie Tretiakov

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Louis Carrogis, dit Carmontelle, Portrait de Madame d’Épinay, 1759. Aquarelle, gouache et sanguine, 26,5 x 16. Musée Condé, Chantilly

AUTOUR D'ÉMILIE DU CHÂTELET 

Lecture cursive : Discours sur le bonheur, 1779

 

Le bonheur est un des thèmes principaux du siècle des Lumières, qui ne l’envisage plus comme réservé à l’au-delà, dans le paradis, mais « hic et nunc », dans la société. L’originalité de Madame du Châtelet (1706-1749) est d’aborder cette question du point de vue d’une femme.

Il est certain que l'amour de l'étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes qu'à celui des femmes. Les hommes ont une infinité de ressources pour être heureux, qui manquent entièrement aux femmes. Ils ont bien d'autres moyens d'arriver à la gloire, et il est sûr que l'ambition de rendre ses talents utiles à son pays et de servir ses concitoyens, soit par son habileté dans l'art de la guerre, ou par ses talents pour le gouvernement, ou les négociations, est fort au dessus de [celle] qu'on peut se proposer pour l'étude ; mais les femmes sont exclues, par leur état, de toute espèce de gloire, et quand, par hasard, il s'en trouve quelqu'une qui est née avec une âme assez élevée, il ne lui reste que l'étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état.

Ce court extrait met en évidence l’inégalité entre les femmes et les hommes, qui ont, eux, « une infinité de ressources pour être heureux », interdites aux femmes « exclues, par leur état, de toute espèce de gloire », idée répétée : « toutes les exclusions et […] toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état ». La seule possibilité offerte à une femme, faute de pouvoir servir le progrès de son pays, est un progrès personnel, par « l’étude ». En précisant qu’elle aurait le pouvoir de la « consoler », elle suggère que cette exclusion sociale fait souffrir les femmes, et apporte aussi une explication à son propre choix de vie.

À sa mort, Voltaire écrit d’ailleurs : « J'ai perdu un ami de vingt-cinq années, un grand homme qui n'avait de défaut que d'être femme, et que tout Paris regrette et honore. On ne lui a pas peut-être rendu justice pendant sa vie. »

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Exposé : portrait d'Émilie du Châtelet

 

Les exposés proposés dans cette séquence ont pour objectif de s’entraîner à l’oral, par une prise de parole expressive, rapide mais construite. Il ne s’agit donc pas de faire une biographie complète d’Émilie du Châtelet, mais de montrer ce qui, à son époque, a fait d’être une femme d’exception, s’intéressant aussi bien aux lettres, à la philosophie, qu’aux sciences. On ne se limitera donc pas à son rôle aux côtés de Voltaire, même s’il a été important pour faire connaître les théories de Newton. On montrera sa volonté de dépasser les interdits de son temps, par exemple celui de participer aux conférences de l’Académie des Sciences de Paris, ou à des discussions dans les cafés parisiens : en 1734, elle s’habille même en homme pour entrer au café Gradot et discuter avec d’autres scientifiques.

Maurice Quentin de La Tour, Madame du Châtelet à sa table de travail,    .Huile sur toile, 120 x 100. Château de Breteuil, Choisel,

PORTRAITS DE FEMMES : George Sand et Camille Claudel 

La Révolution française, malgré la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, n’a pas suffi à libérer les femmes, mais des combats féministes ont été menés par plusieurs femmes, à l’exemple d’Olympe de Gouges. Mais l’observation des acquis des femmes grâce à la révolution justifie le jugement sévère de Condorcet qui souligne à propos des révolutionnaires, en juillet 1790 dans un article « Sur l’admission des femmes au droit de cité » : « Tous n’ont-ils pas violé le principe de l’égalité des droits, en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité ? »  Ils se méfiaient, en effet, des femmes, et leur ont peu à peu fermé leurs clubs, en cherchant à les écarter de toute fonction publique. Même si, en 1792, est votée une loi sur le divorce, elle fut très vite remise en cause… et au XIX° siècle les luttes vont se poursuivre. Alexandre Dumas fils les baptise même « féministes », terme qui, pour lui, n’a rien d’un compliment ! On attend encore de la femme douceur et soumission totale à son devoir d’épouse et de mère… 

Camille Claudel sculptant le plâtre de Vertumne et Pomone, vers 1903

Camille Claudel sculptant le plâtre de Vertumne et Pomone, vers 1903
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Trois portraits de George Sand : de la féminité à  l'affirmation masculine

Deux femmes artistes, l’une qui écrit sous le pseudonyme masculin de George Sand, adopté dès 1829, l’autre sculptrice, Camille Claudel, s’inscrivent dans cette volonté d’imposer une nouvelle image de la femme. Est donc proposé de réaliser un court exposé oral, entraînement à la seconde partie de l’épreuve orale de l’EAF, pour en faire le portrait

-  George Sand (1804-1876) : pour découvrir une femme de combats.

- Camille Claudel (1864-1943) : de l'amour pour Rodin à l'affirmation artistique personnelle.

Parcours : Louise Michel, Mémoires, 1886, d’« Esclave est le prolétaire… » à « … le droit de parler des femmes. »

Pour lire l'extrait 

La fin du XIXème siècle voit la montée du syndicalisme et les premiers combats du « prolétariat », auxquelles participent activement les femmes. C’est le début d’un féminisme plus engagé politiquement et socialement, et dans ces combats, Louise Michel joue un rôle exemplaire. Sa naissance illégitime – elle est fille de la servante d’un châtelain – la rend très vite sensible au sort des femmes, puisqu’elle est chassée du château à la mort de son père, et elle choisit, en toute logique, le métier d’institutrice. Montée de province à Paris, elle fonde la « Société de moralisation des femmes », destinée à aider celles-ci à vivre de leur travail.

Quand éclate la Commune, elle prend les armes aux côtés des plus radicaux, d’où son surnom de « Vierge rouge », et se fait arrêter, puis déporter en Nouvelle-Calédonie : elle n’accepte aucune des propositions d’amnistie qui lui sont faites, et ne revient en France qu’en 1880, bien décidée à reprendre la lutte. Ses activités militantes se poursuivent, alors même qu’elle est la cible d’un attentat, et souvent arrêtée lors de manifestations. Partageant son temps entre la France et l’Angleterre, jamais elle ne cessera d’animer des luttes libertaires. 

Louise Michel, Mémoires, 1886
Louise Michel

C’est ce parcours que retracent ses Mémoires, autobiographie, mais qui, conformément au sens de son titre, unit fortement la vie personnelle aux événements de la vie collective. Elle s’y livre, comme dans cet extrait, à un violent plaidoyer en faveur des femmes.  Quelle image donne-t-elle de leur sort et de quelle façon leur propose-t-elle de s’en libérer ?

La femme esclave 

Alfred Roll, La grève des mineurs de Carnaux en 1880. Gravure in Supplément illustré du Petit Journal. Archives municipales de Toulouse

Un esclavage économique

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D’abord, il s’agit d’un esclavage économique, car le texte s’inscrit dans la réflexion marxiste sur la « lutte des classes » entre le prolétariat et le capital, ici représenté par « l’entrepreneur ». Dans cette réflexion, la femme occupe la place d’un sous-prolétariat, réduite à un état encore pire que celui des hommes, ce que met en relief l’inversion et le parallélisme de la phrase d’ouverture : » Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire ». La formule se veut percutante, et prend ainsi valeur de vérité.

Alfred Roll, La grève des mineurs de Carnaux en 1880. Gravure in Supplément illustré du Petit Journal. Archives municipales de Toulouse

Cette dénonciation s’appuie sur une analyse de la condition économique de la femme. « Et le salaire des femmes ? », lance Louise Michel, et la réponse qu’elle donne à cette interrogation oratoire le réduit progressivement à néant : « un leurre », « illusoire », « c’est pire que de ne pas exister ». Puis elle élargit l’attaque à la place des femmes dans le monde du travail, notant d’abord que le chômage est plus important dans la population féminine : « les unes ne trouvent pas de travail ». En même temps, les femmes commencent à avoir conscience de leur exploitation, et la refusent alors. C’est ce que souligne l’antithèse dans le parallélisme : « un travail qui leur rapporte tout juste le fil qu’elles mettent [de quoi se vêtir], mais rapporte beaucoup à l’entrepreneur ». Ainsi Louise Michel affirme que les femmes en sont réduites à la misère, en recourant à un lexique imagé et violent, renforcé par le rythme ternaire : « crever de faim dans une trou, si elles peuvent, au coin d’une borne et d’une route », « poussées par la faim, le froid, la misère ». Cette violence rend leur sort pathétique.

Un esclavage psychologique et social

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Dans ces conditions, que reste-t-il à la femme ? Rien, car elle subit aussi un esclavage psychologique et moral.

Le couvent

Certes, elle peut toujours entrer au couvent, ce même couvent qui éduque encore bien des femmes… Mais c’est alors la promesse d’une mort lente, mise en place à travers la comparaison, « elle se cache comme dans une tombe ». Il s’agit même d’une forme de torture, et les sonorités de la phrase, surtout l’allitération en [ R ], imitent cette destruction : « l’ignorance l’étreint, les règlements la prennent dans leur engrenage, broyant son cœur et son cerveau ». Le couvent, bien loin d’être un refuge, est donc, à ses yeux, une solution encore pire.

La femme au foyer

Et le mariage, dira-t-on ? Il n’est, pour Louise Michel, qu’une autre forme d’esclavage, d’oppression : « dans son ménage le fardeau l’écrase ».

La prostitution

Il ne lui reste donc plus, pour survivre, que la prostitution, car après tout « il y en a qui tiennent à la vie »… Sont-elles coupables alors ? Louise Michel prend violemment le parti des prostituées, en justifiant leur choix. D’une part, leur seul capital est « leur corps », c’est donc la seule chose qu’elles puissent vendre : « Dans la rue, elle est une marchandise ». D’autre part, elles sont aussi victimes des proxénètes, hommes et femmes, car leur misère en fait des proies faciles, « attirées par les drôles et drôlesses qui vivent de ça ». Le lexique est ici nettement péjoratif contre ceux qui profitent ainsi de la misère des femmes, de même que la métaphore qui les désigne : « il y a des vers dans toutes les pourritures ». Ce paragraphe se ferme sur une image pathétique : « les malheureuses se laissent enrégimenter dans l’armée lugubre qui traîne de Saint-Lazare à la Morgue », Saint-Lazare est l’hôpital qui accueille alors les prostituées, mais souvent trop tard pour les guérir, d’où leur fin « à la Morgue », car personne ne viendra réclamer leur corps pour les enterrer dignement. La femme se trouve ainsi déshumanisée , source de « dégoût » car méprisée « dans le monde ». 

De cela ressort la domination masculine qui fait de la femme la victime par excellence, comme le montre l’hyperbole qui amplifie son état d’asservissement : « Partout l’homme souffre dans cette société maudite ; mais nulle douleur n’est comparable à celle de la femme ». Les femmes sont donc nommées « ces maudites », leur sort paraissant ainsi relever d’une fatalité quasi divine, comme si elles expiaient, en quelque sorte, le péché originel d’Ève…

La révolte 

La femme au foyer. Gravure

La femme au foyer. Gravure
Gilbert-Martin, La citoyenne Louise Michel, caricature in Don Quichotte, 5/5mai 1882 

Gilbert-Martin, La citoyenne Louise Michel, caricature in Don Quichotte, 5 mai 1882 

Une revanche contre l'homme

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Dans cet extrait, l’homme se retrouve accusé. C’est, en effet, son désir qui entretient la prostitution : « S’il n’y avait pas tant d’acheteurs, on ne trafiquerait pas sur cette marchandise ». C’est aussi « pour son plaisir » qu’il a poussé les femmes à « développ[er] leur coquetterie et tous les autres vices » qui vont leur être « agréables ». Mais, puisque l’homme est responsable de la corruption morale des femmes, il ne doit donc pas s’étonner d’en devenir à son tour la victime.

On observe ainsi, chez l’auteur, une vraie joie quand elle constate la façon dont les femmes vont prendre leur revanche sur le « pante », c’est-à-dire un bourgeois, client un peu naïf, déjà par le vol : « Tant mieux ! « , s’exclame-t-elle, « Pourquoi y allait-il ? » Et si elles vont jusqu’au meurtre, l’approbation devient de l’enthousiasme : « Bravo ! Elle débarrasse les autres d’un danger, elle les venge ». Et le discours devient un véritable appel à cette vengeance : « il n’y en a pas assez qui prennent ce parti-là ». Sans aller jusque là, le simple fait de jouer les « femmes fatales », de ruiner les hommes et de les perdre de réputation, est déjà en soi une revanche : en faisant souffrir les hommes, elles retournent contre eux les artifices que ceux-ci les ont forcées à utiliser.

C’est une guerre totale entre hommes et femmes dont Louise Michel dessine les contours, signalée par la récurrence du mot « armes », par le double adjectif qui les qualifie, « muettes et terribles » et la double exclamation qui suit ressemble au cri de triomphe d’un enfant qui prend sa revanche : « il ne fallait pas les mettre entre leurs mains ! », « C’est bien fait ! ».

L'appel à la révolution

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Mais le discours constitue surtout un appel à une vraie révolution, car, face au pouvoir masculin, aucune issue n’est possible dans ce qu’elle nomme « le vieux monde », c’est-à-dire la société de cette fin de siècle. La femme n’a rien à attendre des hommes qui veulent qu’« elle n’empiète[...] ni sur ses fonctions ni sur ses titres ».

Pire encore, elle ne peut même rien espérer des théoriciens les plus progressistes, tel Proudhon dont elle reprend la formule qui maintient la femme dans son infériorité par la négation restrictive : elles « ne peuvent être que ménagères ou courtisanes ». La misogynie reste encore bien enracinée, même chez les penseurs révolutionnaires. !
Elle en arrive ainsi au rejet de l’organisation politique, c’est-à-dire de la démocratie républicaine. Elle désigne ainsi les « titres », marques du pouvoir, par un lexique imagé très méprisant : « guenilles » ou « défroques », vieux vêtements usagés, « c’est trop rapiécé, trop étriqué pour nous ». Elle recourt également à une ironie sarcastique pour souligner la peur des hommes face au pouvoir croissant des femmes : « Rassurez-vous encore, messieurs, nous n’avons pas besoin du titre pour prendre vos fonctions quand il nous plaît ! ».  Dans  le dialogue qu’elle entame avec les hommes, son mépris met en valeur leur faiblesse : « Vos titres ? Ah bah ! [...] faites-en ce que vous voudrez ». Elle crée ainsi un contraste avec la force des femmes, affirmée d’abord par la menace posée dans un futur proche : «  Le temps n’est pas loin où vous viendrez nous les offrir, pour essayer par ce partage de les retaper un peu ». Les femmes répareraient, en quelque sorte, la vie politique. Cette menace semble d’ailleurs s’accélérer quand elle passe au présent, accordant aux femmes une toute-puissance par l’exclamation : «  nous n’avons pas besoin du titre pour prendre vos fonctions quand il nous plaît ! »

Des revendications

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Il ne reste plus alors à Louise Michel qu’à poser ses revendications. D’abord nous retrouvons un thème récurrent depuis les luttes des Précieuses au XVII° siècle : « Ce que nous voulons, c’est la science et la liberté », l’association des deux termes montrant toute l’importance de l’éducation dans le progrès de la condition féminine

Parallèlement, par les deux interrogations oratoires, elle rappelle, comme le faisait déjà Olympe de Gouges, la place que les femmes prennent dans les combats révolutionnaires, ce qui leur donne des droits égaux à ceux des hommes : « Nos droits, nous les avons », affirme-t-elle. Mais, pour elle, les révolutions antérieures (1789, puis 1830 et 1848, enfin la Commune de 1871) n’ont pas accompli encore leur œuvre, elle appelle de ses vœux une autre révolution, ultime et totale, « le grand combat, la lutte suprême », formules qui rappellent les paroles de « l’Internationale », hymne composé par Eugène Pottier en 1871 alors qu’explosait la Commune violemment réprimée : « C’est la lutte finale ». Sûre de la victoire, à ses yeux celle-ci ne peut être que globale : « Est-ce que vous oserez faire une part pour les droits des femmes, quand hommes et femmes auront conquis les droits de l’humanité ? » 

Les femmes doivent donc participer à la révolution : une fois celle-ci acquise, il ne pourra y avoir de retour en arrière ni de réduction, d’un partage qui limiterait les droits de la femme.

Louise Michel en costume de fédéré,1871. Cliché Fontange, Musée de l'Histoire vivante, Montreuil

Jules Girardet, L’Arrestation de Louise Michel, 1871. Huile sur panneau de bois, 45 x 37. Musée d’Art et d’Histoire, Saint-Denis

CONCLUSION

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Ce texte est extrêmement violent, car Louise Michel ne pose aucun limite à une lutte qui est d’abord considérée comme une juste revanche. Mais elle l’inscrit dans un cadre plus général, celui d’une révolution, par les armes si nécessaire, car seule une nouvelle société pourra entraîner une profonde modification des mentalités. On comprend, en lisant cet extrait, que cette femme ait dérangé et que les gouvernements successifs aient tous tenté de la faire taire.

La violence vient aussi de la forme prise par ce discours, chaque paragraphe, dans sa brièveté, apparaissant comme une agression de l’ennemi interpellé par un dialogue direct, l’homme, donc aussi le lecteur, qui vise à amener ce dernier dans son camp. De plus, l’énonciation évolue : d’abord générale au début, elle passe au « nous », cette fois-ci pour mieux impliquer celles dont elle prend la défense, terminant sur un Je » pour affirmer son « droit » à la liberté d’expression, celui précisément dont on voulait la priver : « Femme, j’ai le droit de parler des femmes ».  

Louise Michel en costume de fédéré,1871. Cliché Fontange, Musée de l'Histoire vivante, Montreuil

Jules Girardet, L’Arrestation de Louise Michel, 1871. Huile sur panneau de bois, 45 x 37. Musée d’Art et d’Histoire, Saint-Denis

LECTURE CURSIVE : Louise Weiss, Mémoires d’une européenne, III, « Combats pour les femmes », 1968-1976 

Pour lire l'extrait 

Avec la 1ère guerre mondiale qui conduit les femmes à s’insérer dans la vie économique du pays pour remplacer les hommes, partis au front, les luttes féministes s’intensifient au XXème siècle : sous l’influence des "suffragettes" britanniques, les femmes combattent alors pour leurs droits civiques, au premier rang desquels le droit de vote.

Louise Weiss (1893-1983) prend toute sa place dans ce combat, indissociable pour elle du pacifisme en faveur duquel elle milite aux côtés d’Aristide Briand à la S.D.N. Titulaire d’une des premières agrégations délivrées aux femmes, elle fonde après la 1ère guerre mondiale une revue L’Europe nouvelle, dans laquelle elle prône l’union européenne. En 1979, elle entre d’ailleurs au Parlement européen, fonction qui marque l’aboutissement de ses luttes en faveur de la paix, même s’il a fallu une 2nde guerre mondiale, sanglante, pour y parvenir. À cette guerre aussi elle a participé en tant que résistante.

Portrait de Louise Weiss

Portrait de Louise Weiss

Le mot « résistance » pourrait d’ailleurs résumer son existence, résistance contre toute oppression, à commencer par celle que subissent les femmes, « mineures pour leurs biens, majeures pour leurs fautes », clame-t-elle en reprenant la formule de Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro.

La Française : "Je serai la seule dans le monde qui ne votera pas", Union fraternelle des Femmes; Dessin. Bibl. Marguerite Durand

Elle fonde en 1934 une association, « La femme nouvelle », qui va entreprendre de faire pression sur les députés qui doivent débattre, en 1935, d’un projet de loi sur le vote des femmes. L’association s’installe sur les Champs-Elysées, et place en vitrine une mappemonde pour montrer que les femmes votent aux USA, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Tchécoslovaquie… et même en Chine ! N’est-il pas grand temps que la France participe à ce progrès ? Mais les réactions sont violentes, entre ceux qui s’indignent et ceux qui approuvent, comme le montre cet extrait qui les reprend.

La Française : "Je serai  bientôt la seule dans le monde qui ne votera pas", Union fraternelle des Femmes. Dessin. Bibl. Marguerite Durand

Une femme engagée dans un combat

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Il s’agit d’un combat politique, comme le montre la mention des « politiciens » et leurs interventions directes auprès de Louise Weiss pour tenter de la « dissuader d’agir avec cette force ». Mais elle ne renonce pas, bien au contraire, à faire comprendre aux hommes politiques qu’ils ont tout intérêt à soutenir la modification du Code Civil. 

Manifestation pour le droit de vote des femmes, 1937

Elle donne ici l’exemple des actions militantes afin de créer un mouvement d’opinion, diffuser des « tracts » pour appeler à « souscrire », à apporter un soutien financier, mais aussi mettre en évidence des événements, d’où cette « boutique » sur les Champs-Élysées, pour donner de la visibilité au mouvement. Il faut ensuite écrire, en informant notamment la presse : « Je résumais en petites notes ces cas dramatiques ». Il s’agit de frapper l’imagination des lecteurs. Elle se donne donc le rôle de porte-parole de celles qui ne peuvent s’exprimer, telles ces « femmes de chambre » qui lui demandent « Continuez », ou qui ne peuvent que lancer des menaces, « À bientôt notre tour » ou d’y songer : « Tiens, si je refusais ma feuille d'impôts l »

Manifestation pour le droit de vote des femmes, 1937
Campagne en faveur du droit de vote des femmes

Les droits revendiqués

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Le droit de vote est le fondement qui, en les reconnaissant pleinement citoyennes, leur accorderait la liberté, dont elles sont privées. Par exemple, elles n’ont même pas le droit de voyager, sans la « signature maritale » pour obtenir un passeport, ni celui d’aller en justice. Leur liberté économique est inexistante, du plus bas au plus haut de l’échelle sociale, comme le montre le discours indirectement rapporté de la  « dame emmitouflée de zibelines » : « son mari ne lui donnait pas d’argent », « elle ne disposait pas d’un franc », « elle n’était que sa réclame ».

Campagne en faveur du droit de vote des femmes

Les réactions provoquées

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Ce combat provoque des réactions violentes des hommes au pouvoir, tantôt mépris, tantôt flatterie, tantôt menaces, tantôt même tentative de corruption : « Les uns me demandaient à quels honneurs j’aspirais, les autres si j’avais besoin d’argent ». Mais ces tentatives n’entament pas la conviction de celle qui est entrée en guerre,  et qui n’est pas dupe face au « feu roulant de sottises [qui] crépitait ».

L’insertion du discours rapporté direct qui juxtapose des réactions opposées, permet de balayer toutes les catégories socio-professionnelles en rappelant, de façon très vivante, les arguments des deux camps en présence.

              Les arguments des hommes se fondent sur l’image traditionnelle de la femme, et le désir de ne pas mettre en péril leur propre supériorité, affirmée jusqu’à la menace de violence : « Ah ! Si ma bourgeoise ne votait pas comme moi, je lui dirais deux mots. » Plus hypocrite est le discours qui se dissimule sous un paternalisme protecteur : « Nos cœurs les protègent mieux que le Code ! » montre tout le pouvoir que la femme exercerait sur l’homme. Inutile donc de lui permettre de voter. Les hommes politiques redoutent aussi que les femmes votent « mal » sous l’influence des « curés ».

        Mais l’adversaire le plus insupportable est « Côté dames ». Elles ont si bien intégré leur propre état d’infériorité qu’elles le confortent : «  Un droit que je partagerais avec ma cuisinière ! Fi ! » – signe d’un orgueil de classe – « J’ai mieux à faire que de voter. »

Affiche de "l'Union Française pour le Suffrage des Femmes"jpg

Conclusion

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Chacune de ces femmes, toutes victimes d’expériences douloureuses, « vieille fille méprisée, « veuve de guerre » ou « marchande des quatre saisons » sans ressources, revendique d’abord le droit de se voir reconnue dans sa dignité, dans sa valeur d’être humain. Chez elles, nous retrouvons la même colère. Ce texte restitue avec force, en alternant les discours rapportés, en jouant sur les tonalités pathétique et polémique et sur l’ironie, le débat qui divise alors l’opinion publique.

Pour écouter un discours de Louise Weiss 

PORTRAITS DE FEMMES : Colette et Simone Veil 

Colette en costume de scène

Colette en costume de scène

Le XXème siècle a vu les femmes poursuivre leur combat en faveur de l'égalité des droits, d'autant plus, d'autant plus que la 1ère guerre mondiale a conduit les femmes à s’insérer dans la vie économique pour remplacer les hommes au combat. Mais, après la guerre et malgré leurs luttes, elles sont renvoyées à leur rôle traditionnel, au foyer. Lors de la 2nde guerre mondiale, elles participent à nouveau au combat, dans la Résistance, et obtiennent enfin le droit de vote, par une ordonnance du 21 avril 1944. Mais cela ne les libère pas de la tutelle du mari, puisque ce n’est qu’en 1965 que leur est accordé le droit de travailler sans autorisation du conjoint et d’avoir un chéquier, et la loi de 1972  qui oblige à une égalité de salaire, à travail égal, avec celui des hommes est loin d’être encore concrétisée dans les faits. Il reste aussi le droit de disposer librement de son corps, qui explique toutes les luttes pour autoriser la contraception, l’avortement, la procréation médicalement assistée… 

Simone Veil  défend la loi sur l'IV G à l'Assemblée

Deux femmes ont profondément marqué leur époque, sur lesquelles est proposé un court exposé oral, entraînement à la seconde partie de l’épreuve orale de l’EAF pour en présenter le portrait.

  • Colette (1873-1954) a très tôt revendiqué sa liberté, d’abord en rejetant la tutelle de son premier époux, Willy, puis en menant une vie en dehors des conventions sociales.

  • Simone Veil  (1927-2017),  à son retour de déportation, entre dans la vie politique quand, ministre de la Santé de Giscard d’Estaing, en 1974, elle fait voter la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Elle ne cesse alors de lutter contre les discriminations des femmes, mais aussi, au sein du Parlement européen, qu’elle préside de 1979 à 1982, pour l’unité européenne.

Veil-IVG.jpg

Conclusion sur le parcours 

Réponse à la problématique 

Rappelons la problématique qui a guidé cette étude du parcours associé à l’œuvre d’Olympe de Gouges, sur l’enjeu « Écrire et combattre pour l’égalité » : « Quelles formes ont prises les combats en faveur du droit des femmes à l’égalité face au pouvoir des hommes ? » 

Conclusion

Des combats inscrits dans l'Histoire

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Si tous les combats luttent contre la même image, traditionnelle et renforcée par la conception religieuse, de la femme, épouse et mère, soumise, fidèle et dévouée, ils ont mis l’accent sur des contenus différents en fonction du contexte historique dans lequel ils se livrent.

D’après le site pédagogique de l’Académie de La Réunion

Les violences de la Révolution française, par exemple, ont mené aux revendications de droits civiques, là où, dans les salons mondains des XVIIème et XVIIIème siècles, les Précieuses et les femmes cultivées ont d’abord voulu voir leurs talents reconnus et luttaient contre les mariages arrangés, encore fréquents. Les penseurs politiques du XIXème siècle ont, pour leur part, donné une force nouvelle au combat de celles que Dumas a, péjorativement, nommées « féministes. La lutte se fait plus violente, à l’image des textes de Louise Michel, combattante lors de la Commune, qui appelle les femmes à prendre les armes contre leurs oppresseurs.

La seconde moitié du XXème siècle, alors que certains droits ont été acquis, voit se modifier les combats, d’une part pour qu’ils ne restent pas théoriques mais s’inscrivent dans la vie quotidienne, d’autre part pour parvenir à un véritable changement des mentalités afin que la femme ne soit plus une victime potentielle d’exploitation économique et sociale, de harcèlement, de violence, mais reconnue dans sa dignité.

Les droits acquis par les femmes
Les combats des femmes : bilan

Des formes de combat différentes

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Le parcours a permis d’observer la diversité des formes de combat.

         Les recherches sur les portraits de femmes, depuis Émilie du Châtelet, au XVIIIème siècle, jusqu’à Colette et Simone Veil au XXème siècle, en passant par George Sand et Camille Claudel au XIXème siècle, montrent la variété des engagements de ces femmes en faveur de la liberté, dans leur art comme dans leur vie personnelle. Toutes se sont voulues les égales des hommes, dans la relation intellectuelle ou artistique qu’elles ont entretenues avec eux, telle Emilie du Châtelet avec Voltaire, George Sand avec Musset ou Chopin, Camille Claudel avec Rodin ou Colette avec Willy. C’est aussi de cette volonté d’une libre disposition de soi que témoigne l’engagement politique de Simone Veil.

         Nous constatons cette même variété dans les formes des écrits lus et étudiés, qu'il s'agisse de leur genre ou de leur tonalité. Le violent pamphlet de Louise Michel nous frappe par son interpellation polémique, alors que le discours de Poulain de La Barre, par exemple, choisit la rigueur argumentative propre au siècle des Lumières. De même, la tonalité ironique des personnages féminins des comédies utopiques, d’Aristophane dans Lysistrata ou de Marivaux dans La Colonie, tranche sur celle de Louise Weiss, plus acerbe en raison de son militantisme personnel.

Les hommes aux côtés des femmes ?

 

Cette étude nous interroge également sur la place prise par les hommes dans ce combat, d'abord mené par les femmes.

           Certains sont des adversaires, qui affirment leur mépris et leurs préjugés, tels les Athéniens chez Aristophane ou les personnages masculins mis en scène par Marivaux dans La Colonie. Mais l’emploi des pronoms « nous » ou de l’indéfini « on », par exemple dans les extraits de Poulain de La Barre, insiste sur le nombre de ces hommes – et parfois femmes, comme le montre Louise Weiss – qui, pour préserver leur supériorité, rabaissent les femmes. 

               Mais dans quel « camp » ranger les hommes qui ont écrit sur ce sujet ? La réponse est plus complexe car il faut à la fois tenir compte de leur époque et du genre littéraire adopté. Choisir la comédie est-il la garantie que l’auteur combatte réellement les injustices faites aux femmes ? Molière, par exemple, n’adopte pas une position véritablement en faveur des femmes ; il prône surtout une forme d’équilibre dans le respect de la nature : ne pas les maintenir « idiote » et soumise comme l’exige Arnolphe face à Agnès, mais ne pas non plus accepter que, devenues « savantes », elles rejettent toute idée de mariage. C’est encore plus évident dans le combat s’inscrit dans le cadre d’une utopie, comme chez Aristophane ou Marivaux. Il est permis de penser que c’est surtout une façon de blâmer les hommes au pouvoir… De même, quand Voltaire donne la parole à la Maréchale, il lui prête des arguments qui plaident en faveur de l’égalité et de la liberté avec la même indignation que celle qu’il met en œuvre quand il s’agit des abus exercés contre les hommes. 

        En revanche, impossible de douter que Poulain de La Barre soit sincère dans sa volonté d’améliorer la condition féminine et de lutter contre les préjugés qui interdisent aux femmes tout rôle dans l’économie ou dans la vie politique. Il est parfaitement conscient de la singularité de son plaidoyer et des accusations qu'il peut recevoir. 

ÉTUDE D’IMAGE : "Les réformes du ménage" 

Réformes-ménage.jpg

Les réformes du ménage, 1850, planche d’estampes d’Épinal, 42 × 33 cm, BnF, Paris

Cette planche montre à quel point les stéréotypes, que nous avons observés dans  la vidéo présentée en introduction du parcours, sont encore vivaces au milieu du XIXème siècle.

En inversant les normes sociales, qui imposent à la femme un rôle subalterne, les seuls soins du ménage au service d’un époux tout puissant, chaque vignette devient une caricature, comme dans les quatre premières où nous imaginons que ce mari en train de changer un bébé ou d’éplucher des légumes pouvait faire sourire un public masculin… et paraître relever de l’utopie pour les femmes. En matière sentimentale également, certaines situations inversent les codes traditionnels, comme pour la déclaration d’amour, le bal, le mariage, ou le mari « aux petits soins pour leurs femmes ».

Parallèlement, par contrepoint, ces gravures mettent en valeur tous les interdits qui pèsent encore sur la femme, sortir librement « à l’estaminet », s’occuper des « affaires » ou de « la politique », porter des « armes ». Nous y constatons le mépris qui pèse encore sur la « vieille fille », restée célibataire. Les deux dernières vignettes complètent ces images car elles concluent sur la négation même de la femme : « Les femmes étant les plus raisonnables commanderont à la maison », doit, en effet, se traduire par « Les hommes ont le droit de commander car ils sont les plus raisonnables », et la femme levant son balais pour battre son époux, inversée, illustre la violence conjugale ; ainsi, l’insistance « Les dames seules pourront prendre des ports d’armes » sous-entend qu’elles sont avant tout des victimes auxquelles il est interdit de se défendre.

Cette planche cherche donc à faire sourire d’un monde absurde, considéré comme invraisemblable, irréalisable… Comment la voyons-nous aujourd’hui ? Elle nous paraît largement dépassée. N’y a-t-il pas des hommes qui partagent avec les femmes les tâches du ménage ? Les pères ne s’occupent-ils pas, eux aussi, des bébés ? Les femmes ne vont-elles pas au café ? Et combien de femmes sont actives et performantes dans le monde des affaires et dans la vie politique ?

Mais pouvons-nous, pour autant, considérer que les principes d’égalité, de liberté et de fraternité soient respectés ? À qui offrira-t-on une poupée, une dinette ou des perles à enfiler, et à qui un pistolet à eau, une petite voiture ou un mécano ?

SITE = "Le laboratoire de l'égalité"

Pour consulter le site "Le Laboratoire de l'égalité" 

Pour ouvrir la réflexion sur la situation des femmes à notre époque, une recherche est proposée à partir du site « Le Laboratoire de l’Égalité ». Est observée pour commencer la vidéo ci-contre sur la persistance des stéréotypes, à commenter.

Puis, à partir de l’onglet « Actions » du menu, les « liens utiles » permettent un travail lexical sur les intitulés choisis par les associations, en dégageant l’implicite, par exemple pour « Chiennes de garde », « Osez le féminisme », « Vox Femina » ou « ZéroMacho »… Est à souligner la différence d’approche entre « agir contre l’exclusion », qui pose l’objet du combat, « Ruptures », qui traduit les refus multiples, et « lobby » qui formule une forme d’action.

Pour briser un stéréotype

Pour briser un stéréotype

Ainsi, les arguments et les préjugés fondés sur une vision traditionnelle de la femme, héritage de la religion et transmis par l’éducation, que nous avons observés dans les textes étudiés, perdurent à notre époque, même si les conditions historiques, politiques et sociales ont permis d’améliorer la condition féminine. Ces préjugés continuent à circuler, ils sont enracinés dans les mentalités, des hommes comme de bien des femmes d’ailleurs, incitées à se conformer à des stéréotypes.

Les combats restent donc à poursuivre, car il ne suffit pas de célébrer une « Journée internationale des femmes » pour résoudre les problèmes qui subsistent, ni en France, ni dans de très nombreux pays où la situation des femmes est bien pire…

Affiche de promotion

Affiche de promotion

DEVOIR : sur l'ensemble de la séquence 

Devoir

Le résumé de texte, suivi d'un essai

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Les séries technologiques ont à effectuer, pour l'épreuve écrite d'une durée de 4 heures, le résumé d'un texte de 750 mots environ, suivi d'un essai. 

         Vous résumerez en 175 mots (+/- 10%) le texte de Nicolas de CONDORCET, « De l’Admission des femmes au droit de cité », du 3 juillet 1790, paru dans le N°5 du Journal de la société de 1789. 

      Sujet de l'essai : Condorcet écrit que « l’égalité est entière entre les femmes et le reste des hommes », et il ajoute « l’infériorité et la supériorité se partagent également entre les deux sexes. » Que répondriez-vous, vous-même, à quelqu’un qui, aujourd’hui, vous affirmerait le contraire ?

Votre argumentation organisée s’appuiera sur des exemples empruntés à votre étude du parcours « Écrire et combattre pour l’égalité » et à vos lectures et observations personnelles.

Pour se reporter au texte 

La dissertation

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L'épreuve écrite des séries générales propose, en 4 heures, la rédaction d'une dissertation. 

Sujet : L’essai de Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, paru en 1949, expose son engagement en faveur de la cause féminine et défend son droit à l’égalité. En quoi ce titre illustre-t-il les combats des femmes en faveur de l’égalité ?

Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes et les documents étudiés dans le parcours « Écrire et combattre pour l’égalité »

Pour voir une proposition de correction 

Pour voir une proposition de correction 

LECTURE PERSONNELLE : Colette, Claudine s'en va,  1903

Colette

La lecture de ce roman de Colette est proposée pour la seconde partie de l’épreuve orale du Baccalauréat, la présentation par le candidat de l’œuvre choisie et la justification de son choix. Pour ce faire, durant l’année scolaire, il est utile de préparer un dossier qui servira de support à la fois à l’exposé et à l’entretien avec l’examinateur.

Le cadre spatio-temporel

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Il est important de connaître le contexte du roman, publié en 1903, les caractéristiques de l’époque et des lieux dans lesquels il se déroule, et d’y observer  les modes de vie :

  • Paris, Bayreuth et Casamène, près de Besançon où Colette elle-même possède une maison ;

  • Sous le nom « Arriège », une des villes thermales de ce département pyrénéen.

Le roman, hormis quelques employés et domestiques, met en scène surtout des privilégiés, une société cosmopolite, aisée et artiste.

Le Palais des festivals à Bayreuth

Le Palais des festivals à Bayreuth

Pour ces privilégiés, ce début du XXème siècle, nommé plus tard la "Belle époque", se traduit par une vie luxueuse et une frénésie de plaisirs, entre les salons parisiens et les lieux de rencontre d'une société qui place les mondanités au premier plan. On se retrouve dans les allées du bois de Boulogne, dans les restaurants et hôtels élégants, et dans les hauts lieux du tourisme, les villes thermales, comme « Arriège » dans le roman, ou au festival de Bayreuth, pour suivre les opéras de Wagner…

Les femmes règnent alors sur cette vie mondaine : les magazines féminins rendent compte de leurs réceptions, elles se pressent aux "thés" comme dans les expositions, et les grands couturiers, tel Poiret, deviennent des arbitres de la mode. 

La structure du roman : l'émancipation d'une  épouse

 

Inscrit dans ce parcours « Écrire et combattre pour l’égalité », la progression du roman montre l’évolution de l’héroïne, Annie, qui « petite esclave » de son époux Alain, au début, s’en émancipe progressivement et « s’en va » loin de lui à la fin. Ainsi, la structure met en évidence comment sa solitude, en raison du voyage de son mari, la conduit à une lente prise de conscience, qui la libère de son emprise jusqu’à l’amener à choisir sa liberté.

-       Le  premier chapitre la présente en épouse soumise aux ordres que celui qu’elle qualifie de « seigneur » et « maître » lui a donnés avant son départ : « je ne sais rien, – qu’obéir. Il m’a appris cela, et je m’en acquitte comme la seule tâche de mon existence, avec assiduité, avec joie. »

-       Dans les chapitres II et III interviennent les premières transgressions aux ordres. Elle continue à affirmer, « Je ne peux pas désobéir à mon mari », mais elle voit avec plaisir des femmes libérées, telle Claudine, que celui-ci lui demandait de ne pas fréquenter. Un  symbole de cette transgression est de permettre au chien Toby de quitter l’écurie pour rester auprès d’elle dans sa chambre.

-       Dans les chapitres IV et V, à Arriège, son regard sur son époux est de plus en plus critique : elle remarque son « dur sourcil », sa « pose arrogante de coq », et admet qu’il a réussi à « dresser sa femme qu’il en rêne trop court, comme son demi-sang anglais ». « Je devine une autre vie qui serait la mienne », s’avoue-t-elle alors.

-       Les chapitres VI à VIII, à Bayreuth, accentuent son questionnement sur les sentiments qu’elle éprouve envers son époux : « Est-ce que je ne l’aimais pas du tout ? » Ses soupçons sur la relation de son époux avec Valentine Chassenet, et la découverte de l’adultère de sa belle-sœur, Marthe, qui détermine son retour à Paris, achèvent de lui ouvrir les yeux sur les mensonges au sein des couples.

-       Les derniers chapitres IX à XI, retour à Paris avec la parenthèse à Casamène au chapitre X, marquent l’accès d’Annie à la lucidité, à la vérité sur son couple – elle découvre l’échange de lettres entre  Alain et sa maîtresse – et elle comprend qu’elle ne peut poursuivre cette vie d’esclavage : « La chaîne que j’ai, quatre ans et sans repos, portée, et qu’il faudrait reprendre pour la vie ? » Le dernier chapitre illustre la rupture, malgré sa crainte qui a même provoqué l'achat d'un revolver : « je ne veux plus, je ne veux plus […], je ne l’aime pas assez pour rester avec lui, je veux m’en aller, je veux m’en aller, je veux m’en aller. » Il conduit à ce qu’elle nomme elle-même : « ce recommencement de ma vie ».

Une remarquable explication de l'épilogue 

Le parcours de libération

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C’est le regard d’autrui qui ouvre peu à peu les yeux de l’héroïne, Annie, par exemple la phrase de sa belle-sœur, Marthe, qui compare Alain à un « coq », la choque d’abord, puis, quand elle y repense, elle pleure de s’avouer cette ressemblance.

Quand, seule, elle mène, à Paris, puis à Arriège et à Bayreuth, cette « vie frivole et relâchée », nouvelle pour elle, elle évolue grâce à la fois la fréquentation de femmes qui affichent leur liberté et à l’observation de la médiocrité masculine, tel celle de Léon, l’époux de Marthe, qu’elle exploite et méprise, ou, plus intéressant encore de ce « Maugis » qu’elle dépeint comme répugnant, un contrepoint de Renaud, l’époux idolâtré par Claudine. Personnage qui illustre toute l’ambiguïté qui peut régner dans un couple, si l’on pense que, dans la personnalité prêtée à Claudine, Colette met beaucoup d’elle-même et de sa relation avec son époux Willy…, qui souvent signait précisément ses articles  du pseudonyme de « Maugis » !

Mais c’est surtout Claudine qui influence l’héroïne, en lui donnant l’exemple de l’insolence, de l’irrespect des codes de la bonne société, de la morale en lui révélant la tentation de l’homosexualité, de la joie de vivre et d’un amour véritable avec son époux Renaud.

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D’où la conclusion de ce dernier roman de la série des « Claudine » : à travers le remplacement de Claudine par cette nouvelle héroïne, Annie, qui « s’en va » conquérir sa liberté à la fin, le titre prend une autre signification, prémonitoire : il semble annoncer l’avenir de Colette, qui, elle aussi, s’émancipera de la tutelle de Willy jusqu’à son divorce, en 1906.

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