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La poésie du Moyen Âge au XVIIIème siècle : contempler la nature, célébrer la nature
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La séquence intègre les quatre éléments figurant au programme :

-  le "parcours littéraire", organisé autour de six poèmes donnant lieu à une explication ;

-  le "groupement de textes complémentaires" : quatre groupements sont proposés, en relation avec les périodes abordés lors des explications, et leur faisant écho.

le "prolongement artistique et culturel": plusieurs documents complémentaires présentent le contexte, historique et culturel, par exemple pour approfondir le mouvement baroque, mais aussi pour élargir la perspective en abordant l'histoire des arts, peinture et art des jardins.

une "lecture cursive", personnelle, peut être reprise collectivement ou être librement insérée dans un "carnet de lecture", être guidée ou en totale autonomie, éventuellement être le support d'un travail d'écriture spécifique, ou d'une présentation orale. 

Mais, outre les activités directement liées à l'explication des textes (questions préparatoires ou de synthèse), bien d'autres, écrites et orales, peuvent être envisagées afin de solliciter la créativité des élèves et d'accroître leur participation : table ronde, mise en voix, illustration d’un poème, constitution d’une anthologie...

La séquence propose un devoir, pour s'entraîner à l'épreuve écrite du Baccalauréat. 

L'introduction est importante pour réactiver les appren-tissages antérieurs et prendre la mesure des enjeux de la séquence. La conclusion doit, en permettant aux élèves d'exercer leur esprit critique, donner sens à l'étude effectuée, et prolonger la réflexion sur la situation contemporaine.

Introduction

Introduction de la séquence

LA POÉSIE AUX ORIGINES

Étymologie du mot "poésie"

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Le mot "poésie" vient du verbe grec "poïeïn" qui signifie "faire", dans le sens de "fabriquer". Ainsi, le poète peut être comparé à un artisan : avec son matériau, les mots, et ses techniques propres - pendant longtemps, la versification, par exemple - il fabrique un objet, le poème, à la fois unique, beau et utile. Cette origine souligne déjà le travail exigé par la création poétique.

Le mythe d'Orphée

Pour découvrir le mythe

et voir une vidéo d'analyse du tableau

Jean-Baptiste Corot, Orphée ramenant Eurydice des enfers, 1861. Huile sur toile, 112 x 137 . Museum of fine arts, Houston

LES ENJEUX DE LA SÉQUENCE

En lien avec la poésie, les expressions « contempler la nature », « célébrer la nature », renvoient presque aussitôt au mouvement romantique, qui a poussé à l’extrême le sentiment de la  nature, perçue comme confidente et consolatrice. La conception traditionnelle du poète ne fait-elle par d’ailleurs de celui-ci un être rêveur, contemplatif du monde, dont la sensibilité particulière lui permet d’en restituer l’harmonie ?

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Mais la poésie n’a pas attendu le XIX° siècle pour représenter les images de la nature, pour la décrire, voire la célébrer. Cependant, cette représentation n’est pas neutre, car elle dépend du regard d’un observateur inscrit dans une société, porteur des valeurs de son époque. C’est lui qui « pense » la nature observée, et qui lui donne sens : « Il n’y a d’objet que par rapport à un sujet ( qui observe, isole, définit, pense ), et il n’y a de sujet que par rapport à un environnement objectif qui lui permet de se reconnaître, se définir, se penser, etc., mais aussi d’exister. », explique Edgar Morin, dans Introduction à la pensée complexe, 1990.

L'HÉRITAGE ANTIQUE

Le spectacle de la nature dans l'antiquité grecque

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Dans l’antiquité grecque, le terme « physis », qui désigne la « nature », ne renvoie pas à un paysage à contempler, mais au monde créé, dont il s’agit de dégager les composantes et les lois. Toute représentation de la nature se charge donc d’abord d’un rapport avec le sacré, la puissance divine créatrice qui intervient sur les forces naturelles : il s’agit de permettre à l’homme de comprendre le monde extérieur et les lois qui l’ont fondé.

Un second rapport est ensuite établi, par analogie ou par contraste, entre le monde naturel extérieur et la nature même de l’homme : par exemple une tempête illustre sa violence, un arbre abattu, sa condition mortelle, ou le courant d’un fleuve le passage du temps. 

Antiquité
Nicolas Poussin, Paysage avec Polyphème, 1649. Huile sur toile, 150 x 198. Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

Ainsi, aussi bien Homère dans ses épopées, en liant ses descriptions de la nature au récit, les épisodes guerriers dans l’Iliade, ou les péripéties du voyage de retour d’Ulysse dans l’Odyssée, ou Hésiode dans sa Théogonie, ne la « contemplent » pas, mais « célèbrent », à travers leurs images, la puissance des dieux : cette conscience du divin, présent dans tout élément naturel, fait surgir une émotion  religieuse, souvent l’effroi, le sentiment de la petitesse de l’homme, de son impuissance face à la toute-puissance des dieux, parfois l’admiration devant ce qu’ils offrent aux hommes, la richesse de la terre, l’importance de l’eau… Leurs représentations de la nature sont, d’ailleurs peu personnelles, mais stéréotypées, soit par des formules, telles « l’aurore aux doigts de rose », « le mugissement de la mer » ou le fleuve « aux remous d’argent », chez Homère, soit par les emprunts aux mythes chez Hésiode.

Nicolas Poussin, Paysage avec Polyphème, 1649. Huile sur toile, 150 x 198. Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

Le lien entre l’homme et la nature, son utilité ou sa nocivité, est aussi mis en évidence dans quelques passages de l’Odyssée qui dépeignent une nature domestiquée, par exemple les champs, les vergers, les vignobles :

Un bois touffu avait poussé tout autour de la grotte : Aulnes, peupliers noirs et cyprès odoriférants, Où venaient s’abriter des oiseaux de large envergure […] Autour de la grotte profonde, une vigne en sa force Déployait ses rameaux chargés de grappes abondantes. Plus loin, quatre fontaines déversaient leur onde claire, L’une à côté de l’autre, et chacune suivait son cours Parmi de tendres prés de persil et de violettes. Arrivé en ces lieux, tout Immortel, à cette vue, se sentait émerveillé et le cœur plein de joie.

Odyssée, V, 63-74

C’est encore plus le cas dans Les Travaux et les Jours d’Hésiode, poète du VIII° siècle avant J.-C, qui marque la naissance d’une poésie bucolique, prenant pour thème la vie pastorale. Dans ses tableaux rustiques, le poète invite son lecteur à respecter l’ordre de l’univers établi par les dieux, à suivre aussi leurs lois, lisibles dans le cours des saisons, dans le chant d’un oiseau ou la direction des vents, par exemple, et les rituels établis pour obtenir leurs faveurs. Théocrite (vers 315-250 av. J.-C.) dans ses Idylles met, lui, en scène, une vie rurale dans un cadre naturel idéalisé, champs fertiles, sources rafraîchissantes, herbe tendre qui invite au repos à l’ombre des arbres…  : il célèbre les moments heureux de la vie champêtre, qui permettent la naissance et les joies de l’amour.

Pour lire le texte

Gravure, 1855 : pour illustrer "Les deux pêcheurs", idylle XXI de Théocrite

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Théocrite, Idylles, XXI, "Les deux pêcheurs"

Le décor dépeint sert les objectifs du récit : mettre en valeur la pauvreté des deux personnages, et leur « pénible profession ». Leur « humble cabane », aux « murs » de « feuillages entrelacés », et tous les objets qu’ils possèdent sont fabriqués à partir de la nature : « tresses d’osier, natte de jonc »… La mer sert de cadre à l’ensemble du récit, mais sans mention d’orages ou de tempêtes : la cabane est « battue mollement par les flots ». Et c’est sa fonction nourricière qui est soulignée, avec le récit de la capture du « gros poisson », cet « habitant des eaux », poisson d’or dans le rêve. Mais cet élément naturel est aussitôt lié, dans l’esprit du pêcheur, au divin, à la crainte d’offenser les dieux : un tel poisson ne peut être pour lui, « un favori de Poséidon, ou peut-être le trésor d'Amphitrite », épouse du dieu des mers. Ainsi, tout élément naturel illustre le double rapport de l’homme, à son activité, ici la pêche, et à sa croyance religieuse.

Un exemple de "locus amoenus" :  fresque de la maison des Dioscures, Pompéi

Un exemple de "locus amoenus" :  fresque de la maison des Dioscures, Pompéi

Le spectacle de la nature dans la poésie latine

 

Les Romains, à en juger par la situation de leurs villas ou par l’art des jardins, ont appris à « contempler » les « topia », les paysages, le plus souvent d’ailleurs une nature domptée par l’art de l’homme, mais sans doute pas encore vraiment à « célébrer la nature » pour son esthétique.

Ainsi, Virgile dans ses Bucoliques (37 av. J.-C.) ou ses Georgiques (30 av. J.-C.) suit les pas d’Hésiode, avec ses descriptions des travaux agricoles et de la vie champêtre. Mais il forge aussi l’image du « locus amoenus », le lieu délicieux, idyllique en fait, dont la beauté vient de ses parties ombragées, de la verdure accueillante, et de l’eau courante : la nature offre à la fois sa paix et un abri loin des réalités urbaines.

Heureux vieillard, tes champs te resteront donc ! et ils sont assez étendus pour toi, quoique la pierre nue et le jonc fangeux couvrent partout tes pâturages. Des herbages inconnus ne nuiront pas à tes brebis pleines, et le mal contagieux du troupeau voisin n'infectera pas le tien. Vieillard fortuné ! là, sur les bords connus de tes fleuves, près de tes fontaines sacrées, tu respireras le frais et l'ombre. Ici l'abeille d'Hybla, butinant sur les saules en fleurs qui ceignent tes champs de leur verte clôture, t'invitera souvent, par son léger murmure, à goûter le sommeil : et tandis que du haut de la roche l'émondeur poussera son chant dans les airs, tes chers ramiers ne cesseront de roucouler, la tourterelle de gémir, sur les grands ormeaux.

Tityre

Aussi les cerfs légers paîtront dans les airs, et les flots laisseront les poissons à sec sur les rivages ; le Parthe et le Germain, exilés et se cherchant l'un l'autre dans leur course errante, boiront, celui-là les eaux de l'Arare, celui-ci les eaux du Tigre, avant que l'image de ce dieu bienfaisant s'efface de mon cœur.

Virgile, Bucoliques, 37 av. J.-C., 1ère églogue

Dans la lignée de Virgile, les poètes élégiaques, Catulle, Tibulle et Properce, entrelacent le thème amoureux avec les images de la nature : ils se plaisent à célébrer une « vita rustica » aux côtés de la femme aimée.

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Mais la poésie latine retrouve aussi la dimension philosophique de la « nature ». Le terme "natura",  du participe passé du verbe "nascor", "naître", est directement liée à l'idée de naissance, d'où la volonté d’expliquer au lecteur la création du monde, sa nature, les phénomènes naturels : il souhaite « briser les forts verrous des portes de la nature ». Mais, là où Hésiode y voyait l’action des dieux, source d’effroi, le poète Lucrèce, au Ier siècle avant J.-C., dans son long poème didactique, De rerum natura, s’emploie, au contraire, à porter sur la nature un regard scientifique, pour permettre aux hommes de se dégager des superstitions, de ne plus redouter la mort, donc d’atteindre l’ataraxie recherchée par la philosophie épicurienne, l’absence de troubles.​

EXPOSÉ LEXICAL

La nature : lexique littéraire

GUILLAUME DE LORIS, Le Roman de la Rose, vers 1250, I, extrait 

Le Roman de la Rose :  enluminure du frontispice, le  songe  de l'Amant 

Pour lire le texte

C’est Guillaume de Loris (vers 1200-1230) qui commence l’écriture du Roman de la Rose, en composant 4058 octosyllabes qui illustrent l’amour courtois. Ils racontent le rêve d’un jeune homme, Amant, parti à l’aventure. Il entreprend la conquête d’une rose cachée au cœur d’un verger, allégorie du parcours à suivre pour obtenir les faveurs de la dame aimée.

Ce passage marque le début du rêve : nous suivons ici l’éveil, puis son parcours jusqu’au moment où il aperçoit « un verger immense / Tout clos d’un haut mur crénelé ». C’est le verger d’Amour, qui enferme la Rose. Cette ouverture du récit offre au poète l’occasion de décrire la nature, en mettant l’accent sur la saison, et sur le décor.

Le Roman de la Rose :  enluminure du frontispice, le  songe  de l'Amant 

Jacob van Ruisdael, Paysage d’hiver, 1665. Huile sur toile, 42 x 49,7. Rijksmuseum, Amsterdam

G. de Loris

L'ACTUALISATION TEMPORELLE

Le récit, qui forme une analepse, un retour en arrière (« Il est bien de cela cinq ans »), oppose deux images de la nature, en deux saisons, le printemps et l’hiver, en donnant une valeur symbolique à chacune.

L'hiver

 

C’est la tristesse de l’hiver qui est mise en valeur, d’abord par la mention des «  bois secs », puis par l’allusion au climat : « le temps sombre et pluvieux » alors que « sévit la froidure ». La grisaille baigne le paysage, et même la terre semble dormir, ce que traduit la qualification abstraite : « oubliant la pauvreté / Où elle a tout l’hiver été ». Le monde animal lui-même, « [l]es oiselets silencieux », s’associe à cette tristesse, soulignée par la diérèse sur l’adjectif.

Jacob van Ruisdael, Paysage d’hiver, 1665. Huile sur toile, 42 x 49,7. Rijksmuseum, Amsterdam
Scène galante, détail, début du XVIème siècle. Tapisserie laine et soie, 262 x 372, Musée de Cluny, Paris 

Le printemps

 

Par contraste, la description de la nature « en mai » insiste sur la joie de cette saison « [o]ù tout sur la terre s’égaie », d’abord par la présence des plus vives couleurs, la « verdure » de la végétation : « Avec l’herbe verte, des fleurs  / Mariant les belles couleurs ». La litote, « on ne voit buisson ni haie / Qui ne se veuille en mais fleurir / Et de jeune feuille couvrir », renforce cette renaissance. Le poète l'illustre par une personnification de la terre : elle « s’éveille », puis, comparée à une femme coquette, elle s’habille : « La vaniteuse, il faut la voir, / Elle veut robe neuve avoir; / De mille nuances, pour plaire » Le poète sourit lui-même de l’image de cette « robe superbe », et prête au personnage son propre jugement : « C’est cette robe que la terre, / À  mon avis, toujours préfère. »

Scène galante, détail, début du XVIème siècle. Tapisserie laine et soie, 262 x 372, Musée de Cluny, Paris 

Cet éveil est comme célébré par les chants d’oiseaux, en écho au décor : ils sont « quand rit la nature, / Si gais, qu’ils montrent en chantant / Que leur cœur a d’ivresse tant  / Qu’il leur convient chanter par force ».  L’inversion « d’ivresse tant », tout en permettant la rime suivie, amplifie encore leur joie, que prolonge l’énumération qui suit, avec, au centre de la structure en chiasme, les infinitifs  exprimant leur chant : « Le rossignol alors s’efforce / De faire noise et de chanter, / Lors de jouer, de caqueter / Le perroquet et la calandre ». 

L'ACTUALISATION SPATIALE

Le trajet, accompli en rêve, permet au poète de représenter un paysage riant, qui rappelle le « locus amoenus » des latins.

Le panorama

 

La description s’ouvre sur un vaste espace, « emmi la plaine », et se ferme sur cette même image lumineuse, encore embellie par les adjectifs : « La prairie était grande et belle / Et jusqu’au pied de l’eau battait / Or comme claire et douce était / Et sereine la matinée, / Parmi la plaine diaprée ». La rime intérieure, entre « sereine et plaine », et la douceur des sonorités contribuent à restituer l’harmonie du spectacle de la nature.

Mais rapidement le paysage se resserre sur un « rivage » : « D’un tertre vert et rocailleux / Descend, en bonds tumultueux, / L’onde aussi froide, claire et saine / Comme puits ou comme fontaine. » Par les négations insistantes et l’hyperbole, le narrateur exprime avec force son admiration, « Jamais paysage / Ne vis plus beau que ce rivage », encore amplifiée par le choix du mot « charme ». Il donne l’impression d’un effet quasi magique, tout comme le rejet du participe « Plongé » : « Dans un charme délicieux / Plongé, je promenais mes yeux / Partout ce riant paysage ».

La présence de l'eau

 

Cet effet quasi magique est dû à la présence de l’eau, ici personnifiée : « Tout près un grand ruisseau coulait / Dont le murmure m’appelait ; / J’y courus. » Depuis l’antiquité, l’eau fait partie intégrante du « locus amoenus », grâce à ses qualités spécifiques, résumée en un vers : « L’onde aussi froide, claire et saine ». 

Elle est précieuse d’abord pour la fraîcheur qu’elle apporte, mentionnée plus loin, « De l’onde claire mon visage / Je rafraîchis lors et lavai » ; « claire », adjectif répété, signale sa pureté, sa transparence, qui permet de contempler le lit du ruisseau : « Et je vis couvert et pavé / Son lit de pierres et gravelle. » Enfin, en la qualifiant de « saine », le poète nous rappelle à quel point, au Moyen Âge, avec les nombreuses maladies dues à la mauvaise qualité de l’eau, il est important de disposer d’une eau qui garantisse la santé. Contrairement au « puits » et à la « fontaine », des eaux stagnantes, ici il s’agit d’une eau courante, dont le mouvement est souligné par le jeu des sonorités rudes, dentales et [R], et le rythme avec le verbe en rejet : « D’un tertre vert et rocailleux / Descend, en bonds tumultueux, / L’onde […] », repris par les verbes d’action, « cette eau vue / Qui si bien court et s’évertue ». 

La beauté d'un  ruisseau

La beauté d'un  ruisseau 

Enfin, la comparaison à la « Seine » insiste sur la valeur esthétique de ce spectacle, dont le narrateur semble ne pas pouvoir se détacher : « Sans but, je suivis le courant, / Tout le rivage côtoyant. »

CONCLUSION

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Cet extrait permet-il de parler d’un « sentiment de la nature » au Moyen Âge, dont l’existence est souvent niée ? Ce texte a su mettre en évidence la beauté de la nature, et fait ressortir l’admiration joyeuse du personnage devant les couleurs vives au printemps, les chants d’oiseaux, l’eau courante. Cependant, nous y retrouvons un héritage antique, le « locus amoenus » des Romains, qui, dans les représentations picturales ou poétiques, ont célébré l’harmonie et la sérénité de la nature.

Mais, au Moyen-Âge, l’image de la nature se charge d’une dimension allégorique, notamment sous l’influence de l’Église qui a repris, pour ses fêtes, telles Pâques ou celles du culte de Marie, les fêtes païennes. Ainsi, le printemps illustre clairement une « résurrection », ce que souligne ce passage. N’oublions pas que le terme « nature » vient du participe passé du verbe « nascor » qui signifie « naître ». Mais, pour qu’il y ait naissance de la vie, l’amour est indispensable : la nature au printemps est la saison de l’amour, tel que l'illustre la "fin'amor" courtoise, d’où sa présence dans le Roman de la Rose, comme l’annonce le début de l’œuvre : « C’est ici le Roman de la rose / Où l’art d’amour est tout enclose. »

Jean de Meung, Le Roman de la Rose, 2ème partie, vers 1275 : le discours de Nature

Plus de dix ans s’écoulent entre la composition de Guillaume de Loris, et cette seconde partie du Roman de la Rose, écrite par Jean de  Meung. Beaucoup plus longue, avec 17722 octosyllabes, cette partie est aussi plus didactique, avec une volonté affichée d’instruction morale. D’où le recours systématique à l’allégorie, dont témoigne la personnification de Nature, qui efface tout lien avec un paysage, mais lui donne le sens philosophique de « nature humaine »

La « nature » est donc présentée comme devant fonder l’ordre social. Ainsi, ce passage insiste sur l’égalité qui doit régner entre des hommes qui, tous sont mortels : « Forts ou faibles, gros ou menus, / Tous égaux sans exception / Par leur humaine condition. » Si la nature est bienfaitrice, elle impose aussi aux mortels sa loi : « ses biens à son plaisir donne, / Sans faire exception de personne, / Et tout reprend et reprendra / Sitôt que bon lui semblera. »

Giacomo Borlone de Buschis, Danse macabre du Triomphe de la Mort, 1485. Peinture sur la façade d’une maison à Clusone, Italie

Pour lire le texte

Giacomo Borlone de Buschis, Danse macabre du Triomphe de la Mort, 1485. Peinture sur la façade d’une maison à Clusone, Italie

Cette conception permet au poète de se lancer dans une violente critique contre « le gentilhomme » qui ne tire son mérite que de sa naissance, pour lui opposer l’éloge du « clerc » auquel « il est bien plus aisé / D’être courtois, noble, avisé ». Le poète, par ce biais, rejoint alors la conception chrétienne, qui blâme le matérialisme, le poids accordé à « leur avoir », pour lui opposer les valeurs morales, fortement célébrées : « Je réponds que nul n’est racé / S’il n’est aux vertus exercé », « Noblesse, c’est cœur bien placé »,  « Ni gentillesse ni valeur, / À  moins qu’à noblesse ils n’accèdent / Par sens ou vertu qu’ils possèdent. »

La Nature, dans cette seconde partie, est donc celle qui, rappelle aux hommes ce qui fait la véritable inégalité, les choix de vie et le mérite personnels, par exemple le travail utile à la société, tel celui de « ceux qui la terre cultivent » ou celui du « clerc » qui tire profit de sa réflexion à partir de ses lectures : il « trouve, en écriture, / Grâce aux sciences éprouvées, / Raisonnables et démontrées, / Tous maux dont il faut se défaire / Et tout le bien que l’on peut faire ».

Très éloigné de toute volonté d’une description d’un décor, le texte inscrit le mot « Nature » dans une dimension philosophique, qui annonce déjà l’acception qu’il prendra à la Renaissance.

L'art d'aimer au Moyen Âge 

Pour en savoir plus sur "l'art d'aimer" au Moyen Âge : le site de la BnF

 Le Moyen Âge a vu la parution de nombreuses œuvres autour de « l’art d’aimer », des traités ou des récits allégoriques. En une époque où les mœurs restent rudes, parfois grossiers, et où l’Église développe, à côté du culte marial, une image péjorative de la femme, héritière du péché d’Ève, ces ouvrages tentent d’affirmer une nouvelle vision de l’amour, la « fin’amor ». Il s’agit d’imposer une conception élevée de la relation amoureuse : face à la dame, toute-puissante, le parfait amant doit adopter un comportement respectueux et sincère, et être prêt, comme le chevalier pour son seigneur, à se mettre au service de celle-ci et à subir les épreuves imposées pour la conquérir.

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La difficile conquête de la dame. Enluminure du Codex Manesse, 1310-1340 

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La relation d'amour parfaite. Enluminure du Codex Manesse, 1310-1340 

Le lecteur peut cependant être surpris par la liberté morale de cet art d’aimer, qui autorise, par exemple, l’amour entre classes sociales éloignées – ce qui s’oppose à la pratique sociale – ou même l’adultère, péché aux yeux de l’Église.

CHARLES D'ORLÉANS, Rondeaux, vers 1450, "Le Printemps"

Charles, duc d’Orléans et de Valois (1394-1465), a mené la vie de la noblesse au Moyen Âge, participant à la guerre de Cent Ans contre les Anglais. Fait prisonnier lors de la bataille d’Azincourt, en 1415, il passe vingt-cinq ans de captivité à la tour de Londres, années douloureuses, mais qui l’ont amené à l’écriture de ses poèmes, ballades, rondeaux… Il n’y renonce pas à son retour en France dans ses châteaux de Blois et de Tours, où il réunit des hommes de lettres et organise des « tournois littéraires ».

Le rondeau est une forme fixe très apprécié au Moyen Âge, composée, à l’origine, de trois de deux quatrains, le premier en rimes embrassées, le second en rimes croisées, suivis d’un quintil dont le dernier vers reprend le premier, formant ainsi une « ronde ». Cette forme évolue jusqu’au XVI° siècle, où les poètes de la Pléiade la rejetteront.

Dans ce court poème, qui illustre l’image de la nature, comment Charles d’Orléans représente-t-il la métamorphose du printemps ?

Charles d’Orléans, prisonnier dans la tour de Londres. Manuscrit du XV° siècle, British Library

LE CONTRASTE DES SAISONS 

Pour lire le poème

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C. d'Orléans

Le cours des saisons

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À deux reprises, revient, sous une forme énumérative, une image de l’hiver, qui met l’accent sur le climat : « De vent, de froidure et de pluie ». En opposition, une énumération met en place une image lumineuse du printemps : « De soleil luisant, clair et beau. »

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Le changement de la nature

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L’adverbe « de nouveau » signale une renaissance de la nature, que symbolise la vie animale, notamment le chant des oiseaux, mis en évidence par la litote, la double négation : « Il n'y a bête ni oiseau / Qu'en son jargon ne chante ou crie ». De cela ressort la joie, traduite, en écho, par le décor, qui se focalise sur l’eau, courante : « Rivière, fontaine et ruisseau ». Le [É™] de « rivière », prononcé devant la consonne, amplifie ce mot, alors que le rythme s’accélère dans la seconde partie du vers, grâce à l’élision du [É™] final de « fontaine », comme pour reproduire l’animation de la nature. Pour illustrer ce changement, un vers « Goutte d'argent d'orfèvrerie », avec l’allitération des dentales combinées à la liquide [R] semble imiter le bruit de cette eau courante, tout en renforçant l’image de brillance, puisque le terme « orfèvrerie » renvoie au travail du bijoutier sur les métaux et les pierres précieux.

Image du printemps, Le Tacuinum sanitas. Enluminure

LA MÉTAPHORE FILÉE 

Dès le premier vers, répété dans le dernier, est mise en place une métaphore vestimentaire : « Le temps a laissé son manteau », vêtement en accord avec la rigueur climatique. Elle se prolonge dans le champ lexical : le paysage « s’est vêtu de broderie », image lumineuse, suggérant les couleurs, qui s’oppose à la rime « pluie », évoquant, elle, la grisaille, et se trouve prolongée par l’autre rime, « en livrée jolie », enfin « Chacun s’habille » résume ce renouveau du décor.

CONCLUSION

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Comme c’était déjà le cas dans le Roman de la Rose, ce rondeau propose une vision du printemps qui unit à la fois un sentiment esthétique, dont témoignent les images lumineuse, et une conception allégorique, puisque le printemps symbolise la renaissance, comme en écho aux célébrations religieuses de Pâques.

Charles d'ORLÉANS, Rondeaux, vers 1450, "Hiver, vous n'êtes qu'un vilain" 

Pour lire le poème

Ce rondeau, comme le précédent, repose sur le contraste de deux saisons, l’été et l’hiver, toutes deux personnifiées par les majuscules, mais en mettant davantage en évidence la critique de l’hiver.

L'été

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Ce que Charles d’Orléans nomme « Été » correspond, en fait, au printemps, vu les mois cités « Mai et Avril ». L’image de la « livrée », habit porté par un domestique dont la forme et les couleurs permettent de reconnaître la maison à laquelle il appartient, contribue à la personnification, de même que le verbe « accompagnent ». Cette métaphore tansforme « Mars et Avril » en escorte du noble « Été », dont l’éloge ressort des deux adjectifs, « plaisant » et « gentil ». L’accent, toujours dans la poursuite de l’image de « livrée », est mis sur la beauté de la nature en été, à travers l’énumération, « champ, bois et fleurs » et grâce à l’insistance sur les couleurs, « la verdure », « maintes autres couleurs », dans le deuxième quatrain.

L'hiver

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Le connecteur « Mais », qui ouvre le quintil, souligne l’opposition, et le blâme de l’hiver est posé dès le premier vers, repris par le dernier et renforcé par l’exclamation, comme le veut le rondeau, qui l’interpelle : « Hiver, vous n’êtes qu’un vilain ». Le terme « vilain », qui désigne au Moyen Âge un paysan libre, avec l’idée péjorative de bassesse, traduit le mépris, le rejet de l’hiver. Aux beautés de l’été s’oppose l’énumération, qui caractérise les rigueurs du climat, « plein / De neige, vent, pluie, grésil », avec le [É™] devant consonne qui amplifie le mot « neige », et un hiatus désagréable pour l’oreille entre « pluie » et « et ».

Pour conclure

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Le poète affirme avec force son sentiment, « Sans point flatter, je parle plain », par l’injonction qui condamne l’hiver : « On vous doit bannir en exil ». Cependant, au-delà de cette description des saisons, ainsi personnifiées, nous retrouvons la dimension allégorique marquée par la majuscule « Par l’ordonnance de Nature ». Cette formule traduit la toute-puissance attribuée à ce qui est représenté comme une force divine créatrice, organisatrice de l’univers.

Giuseppe ARCIMBOLDO, Les quatre Saisons, 1473

Giuseppe Arcimboldo, Les quatre Saisons, 1573. Huiles sur toiles, 76 x 63,6. Musée du Louvre, Paris

Giuseppe Arcimboldo (vers 1527-1593) peint ces quatre tableaux alors qu’il est, depuis 1562, à Prague auprès de Ferdinand Ier  de Habsbourg en tant que portraitiste de la famille impériale. Il en fait plusieurs séries, la dernière en 1573, dans l’intention de célébrer la puissance des Habsbourg. Ainsi, au-delà du « portrait », les tableaux prennent un sens allégorique : ils soulignent à la fois la permanence de la dynastie des Habsbourg, au fil des saisons, et la prospérité d’un règne où la terre offre à tous sa fertilité.

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Ce peintre s’inscrit dans le courant pictural du maniérisme, qui, après 1520, alors que la génération de Raphaël a marqué l’apogée de la peinture de la Renaissance italienne, cherche moins à reproduire la nature dans sa perfection qu’à manifester l'originalité de l'artiste, en  introduisant de l’insolite, des « artifices ». Ces portraits constitués de végétaux en donnent un parfait exemple, en jouant sur l’exagération, sur la déformation, telle une caricature.

L'analyse proposée, en se limitant aux portraits de "l'hiver" et du "printemps", observera l'écho entre eux et les poèmes médiévaux étudiés précédemment.

Giuseppe Arcimboldo, Les quatre Saisons, 1573. Huiles sur toile, 76 x 63,6. Musée du Louvre, Paris

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PIERRE DE RONSARD, Premier Livre des Amours, 1552, "Ciel, air et vent, plains et monts découverts..."

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Ronsard

Alors que le Moyen Âge donne à la représentation de la nature une valeur allégorique, en célébrant, à travers elle, la grandeur de la création divine, la Renaissance, qui met au premier plan son désir de célébrer le monde naturel, voit naître véritablement le sentiment de la nature, et, dans l’art pictural, la notion de « paysage », avec la volonté d’en célébrer les beautés.

Ronsard (1524-1585) consacre le Premier Livre des Amours, paru en 1552, à Cassandre Salviati, fille du banquier italien de François Ier, rencontrée en 1545 à la Cour, dont il est tombé amoureux, mais sans espoir, car, clerc tonsuré, le mariage lui est interdit. La jeune fille se marie d’ailleurs l’année suivant. Il fait alors d’elle sa muse, comme son modèle, l’italien Pétrarque chantant son amour pour Laure. C’est aussi à Pétrarque qu’il emprunte le sonnet, qui devient la forme poétique privilégiée par les poètes de la Pléiade, dont « Ciel, air et vents, plains et monts découverts » donne un exemple, en décasyllabes. Comment l’invocation de la nature est-elle mise au service de l’amour ?

LA PEINTURE DE LA NATURE

Ronsard et Cassandre Salviati, édition du Premier Livre des Amours

Ronsard et Cassandre Salviati, édition du Premier Livre des Amours

La longue phrase qui constitue ce sonnet repose sur une énumération des composantes de la nature, dépeintes dans les deux quatrains, puis résumées dans le dernier tercet, plus rapidement car sans adjectifs pour les caractériser. 

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Les éléments naturels choisis

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L’évocation du paysage est construite, du plus immense au plus restreint. Elle progresse de l’immensité verticale, le « Ciel », encore amplifié par la majuscule au vers 12, à l’amplitude horizontale, les « plains », pour arriver aux « monts découverts », union de la terre et du ciel, autant d’éléments largement offerts aux regards.

Paysage du Vendômois, région natale de Ronsard

Puis, l’ensemble se resserre autour du minéral et du végétal, avec les « tertres », petites collines, ou, à l’inverse « les vallons », et les « forêts ». Ce végétal devient de plus en plus précis, traduisant diverses formes du paysage, « taillis », « bocages », « prés », jusqu’à se fixer sur les plus petits détails : « boutons, fleurs et herbes ». De même, pour le minéral, sont nommés les « antres », mais qui restent « à demi-front ouverts », et les « rochers ».

Enfin, composante indispensable du paysage, depuis le « locus amoenus » des Romains, la présence de l’eau est insistante : « Rivages », terme répété, « sources », « plages » et « fontaines ».

Par cette énumération, Ronsard montre la diversité de la nature, qui offre à chacun ses charmes.  Les changements  rythmiques la soulignent, avec l’alternance des rythmes binaires, qui dominent dans les quatrains, rompus cependant par les vers scandés par les virgules des énumérations des vers 1, 6 et du dernier tercet.

Une représentation vivante

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Tous les adjectifs qui caractérisent les composantes du paysage donnent vie à la nature, à la fois par les couleurs et les mouvements.

Les couleurs jouent sur l’effet de contraste entre le sombre, avec l’adjectif « vineux », tel le rouge du vin, ou les « taillis rasés », qui montrent les bois abattus, et la luminosité : au cœur des rimes embrassées les participes présents semblent représenter des teintes nuancées, en évolution, « verdoyantes » et « roussoyantes », pour la végétation, puis « blondoyantes », pour le sable des « plages », mais aussi « verts » et « moussus », deux tons pour la végétation qui s’opposent à « rasés » qui montre le bois des « taillis » abattus.

Annibal Carrache, Paysage fluvial, vers 1590-1599. Huile sur toile, 88, 3 x 148,1. National Gallery of Arts, Washington

Annibal Carrache, Paysage fluvial, vers 1590-1599. Huile sur toile, 88, 3 x 148,1. National Gallery of Arts, Washington

La mention initiale, reprise à la fin, en associant le « ciel » à « air et vents » suggère déjà une nature mouvante, pleine de vie, ce que confirme l’image de l’eau : « Rivages torts et sources ondoyantes » décrivent les courbes du courant, et les ondulations d’une eau courante.

La nature est donc décrite ici à travers le regard d’un poète que tous ses sens rendent conscient des beautés du paysage.

L'INVOCATION À LA NATURE

La nature confidente du poète

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Par l’interpellation réitérée « et vous », le poète fait de ces composantes du paysage ses interlocuteurs, les prenant ainsi pour confidents. C’est, en effet, au sein de la nature, qu’il vient composer ses vers, d’où la personnification : « Et vous, rochers, les hôtes de mes vers ».

C’est ce qui explique qu’il vienne leur confier ses peines, inscrivant ainsi le sonnet dans le registre lyrique. Il dépeint le mal d’amour qu’il ressent, accentué par l’image « rongé de soin et d’ire », mélange de chagrin et de colère de devoir « partir », quitter celle qui, désignée par une métonymie, « ce bel œil », présente ou absente, bouleverse son cœur : « Qui près et loin me détient en émoi ». Là où l’énumération montre la richesse, la liberté foisonnante de la nature, la subordination du premier tercet, causalité d’abord avec « Puis que », puis relative explicative au vers 11, reproduit les liens qui enchaînent le poète. Ce qui le tourmente figure au cœur du vers 10, comme un discours rapporté directement, un départ trop brutal, sans avoir pu dire « Adieu » à la femme aimée.

La prière

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C’est alors ce simple mot qu’il confie aux éléments naturels, dont la permanence, qui les inscrit dans la durée, s’oppose à l’image éphémère d’un amour qui a conduit à une séparation. La prière est formulée dans la chute du sonnet, « dites-le lui pour moi », une prière dont la simplicité est soulignée par l’emploi des monosyllabes. Mais ce message à transmettre est chargé d’émotion par l’insistance qui a précédé : « Je vous supplie ».

CONCLUSION

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S’adresser à la nature est donc une façon détournée de s’adresser à la femme aimée qui, là où la nature offre ses beautés, dérobe, elle, les siennes. La nature devient alors, non seulement une confidente, mais un  substitut : le poème qu’il compose en la contemplant, en la célébrant, se substitue à cet « Adieu » qu’il n’a pas pu dire à sa bien-aimée. Le dialogue avec l’une remplace le silence imposé par l’autre : chanter la nature se charge ainsi d’une nouvelle affectivité.

Pour en savoir plus sur Ronsard et la Pléiade

Pierre de RONSARD, Odes, 1550, XVII, "À la forêt de Gastine"

Pour lire le poème

Originaire du Vendômois, région de la Touraine, Ronsard en a souvent évoqué les paysages, comme dans cette ode « À la forêt de Gastines », toute proche de sa demeure. À l’origine, l’ode, héritée du poète grec Pindare, est un poème chanté destiné à exprimer l’enthousiasme personnel de son auteur, mais sur de nobles sujets, exploits guerriers, grandeur divine ou concepts philosophiques…  Ronsard, lui, réserve ses élans lyriques à d’autres éloges, par exemple celui de la femme aimée, Cassandre, ou, comme ici, à l’inspiration poétique nourrie par la nature.

Les six quatrains, dans lesquels alternent l’octosyllabe et l’hexasyllabe, peuvent être groupés par deux, respectant ainsi les  trois mouvements traditionnels de l’ode : les deux premiers formulent l’invocation, les deux suivants développent l’éloge, les deux derniers lancent le souhait.

Paysage de la forêt de Gastine

Paysage de la forêt de Gastine
Héraklès, vainqueur du sanglier d'Érimanthe

L'invocation

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Comme le réclament les poètes de la Pléiade, et, de façon plus générale, l’humanisme de la Renaissance, la première strophe affirme l’héritage antique. Le poète se présente ainsi comme un héritier des « Grecs », en haussant cette forêt française à la hauteur de la forêt mythologique d’Érimanthe, censée abriter le terrible sanglier tué par Héraklès. L’interpellation, « Gastine, je te chante » rappelle le ton épique du début de l’Éneide de Virgile, « Je chante les armes et le héros… », répondant à la noblesse attendue dans l’ode.  Ce premier mouvement s’ouvre et se ferme sur le paysage, célébré : « tes  ombrages verts » sont repris par « ta belle verdure ». Parallèlement, en se disant « obligé » envers la nature, sa source d’inspiration, Ronsard exprime aussi le rôle assigné au poète par la Pléiade. Il attribue à ses vers une valeur immortelle, car ils sont dédiés à la postérité : « Car, malin, celer je ne puis / À la race future… »

Héraklès, vainqueur du sanglier d'Érimanthe. Céramique, V° siècle

L'éloge de la nature

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Par l’anaphore du pronom « Toi », dans un rythme en gradation, Ronsard développe ensuite le rôle que joue pour lui la forêt. Elle lui offre d’abord un heureux divertissement : il est « ravi d’esprit », elle l’« amuse[…] ». Elle est ensuite une source d’inspiration : « Toi, qui fais qu’à toutes les fois / Me répondent les Muses ». Le quatrain suivant reprend ces deux aspects, car la nature offre un refuge, « Toi, par qui de ce méchant soin / Tout franc je me délivre », au poète à l’écart, « bien loin » de la société, « parlant avec un livre ».

Le souhait

 

Le triple souhait des derniers quatrains unit à nouveau l’inspiration antique, les élans de la Pléiade et le sentiment personnel. La mention des « Satyres » et des « Sylvains », qualifiés d’« amoureuse brigade » dans leur poursuite, traditionnelle, des « Naïades », rappelle la mythologie, avec l’exclamation qui termine plaisamment la strophe. Ces divinités sont remplacées ensuite par  « des Muses le collège », antéposition du complément qui anoblit leur patronage, sous lequel le poète place son inspiration. L’exclamation finale, elle, est plus personnelle, car elle révèle la volonté du poète de voir cette forêt rester intacte : « Et ton bois ne sente jamais / La flamme sacrilège ! » Cette même volonté se retrouvera, exprimée avec encore plus de force, dans l’élégie « Contre les Bûcherons de la forêt de Gastine ».

John William Waterhouse, Hylas et les Nymphes, 1896. Huile sur toile, 132,1 x 197,5. Manchester Art Gallery 

John William Waterhouse, Hylas et les Nymphes, 1896. Huile sur toile, 132,1 x 197,5. Manchester Art Gallery 

Pour conclure

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Au-delà de l’héritage mythologique, cette ode confirme la naissance d’un sentiment intime de la nature à la Renaissance. Elle commence à apparaître comme un abri, le lieu où le poète échappe aux contraintes du monde pour y puiser son inspiration.

LA VERSIFICATION : le sonnet

Pour voir la présentation du sonnet et l'analyse de la versification

JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET, Le Mépris de la vie et consolation contre la mort, 1594, V, "Assieds-toi sur le bord d'une ondante rivière..."

Chassignet
Portrait de Jean-Baptiste Chassignet 

Pour lire le sonnet

Portrait de Jean-Baptiste Chassignet 

Jean-Baptiste Chassignet fait paraître, en 1594, son recueil de 434 sonnets, dont le titre Le Mépris de la vie et consolation contre la mort  fait écho à la fin de ce XVI° siècle qui, commencé dans l’enthousiasme de la Renaissance humanisme, s’achève dans les conflits des guerres de religion, qui posent des questions sur la condition éphémère de l’homme. Cela explique que, comme au Moyen Âge, les poètes redonnent à l’image de la nature un sens philosophique. À quelles réflexions le poète, par sa description de l’eau courante, invite-t-il son lecteur ?

UNE DESCRIPTION MÉTAPHORIQUE

Le courant d'une rivière 

Le mouvement de l'eau

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Dans les quatrains l’accent est mis sur le mouvement perpétuel de l’eau, ici « rivière » ou « fleuve », donc eau courante. L’adjectif « ondante », repris en écho par « onde » au vers 6, rappelle le sens étymologique : le latin « unda » renvoie à l’eau en mouvement, ce que confirme le champ lexical : « fluer », « perpétuel cours », « son humide carrière », « coulait », « elle passe ». Comme pour reproduire ce mouvement, le poète joue sur l’allitération des consonnes liquides, [l] et [R], et sur les rythmes. 

Le courant d'une rivière 

Ainsi l’hypotypose qui dépeint la rivière, après la pause à la fin du vers 2, se poursuit par l’enjambement des deux vers suivants, comme pour illustrer le courant, que reproduisent aussi les répétitions : « Et flot sur flot roulant en mille et mille tours ». Elles miment le mouvement des vagues, le flux et le reflux sur les rives, quand l’eau vient « [d]écharger par les prés son humide carrière ».

Le changement

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Mais le contraste temporel, entre la scène observée dans le premier quatrain, et l’imparfait « coulait » du second, renforcé par l’adverbe « naguère », ajoute au mouvement une autre image, celle du changement, explicitée ensuite. L’anadiplose qui soutient un chiasme syntaxique, « l’eau change tous les jours / Tous les jours elle passe », suivi d’un effet de suspens produit par l’élision du [É™] de « passe » sur la virgule à la césure de l’alexandrin, met ce changement en évidence.

Mais le second hémistiche du vers 7 contredit cette image, le connecteur « et » traduisant, en fait, une opposition, marquée également par les synonymes au cœur de la rime embrassée, entre « tous les jours » et « toujours ». Le changement n’est, en effet, pas perceptible par le spectateur, illusion prouvée par son langage et renforcée par la répétition : « et la nommons toujours / Même fleuve, et même eau, d’une même manière ». L’homme n’a donc pas conscience de l’instabilité qu’il a pourtant devant les yeux.

UNE IMAGE DE L’HOMME

La volonté didactique

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Par l’impératif qui ouvre le sonnet, « Assieds-toi », le poète s’adresse directement à son lecteur, familièrement tutoyé, comme un  maître mettant sous les yeux d’un élève l’exemple destiné à concrétiser sa leçon. De cette même volonté didactique témoigne aussi le choix du présent de vérité générale et de la première personne du pluriel aux vers 6 et 7. L’opposition entre les deux quatrains, « Tu la verras fluer », « Mais tu ne verras rien de cette onde première», amène le destinataire à prendre précisément conscience de son illusion, et à admettre ce que lui signifie cette « onde » : l’inconstance, l’instabilité du monde qui l’entoure. L’observation de la nature conduit, en réalité, l’homme à réfléchir à sa propre nature.

Le sens de la métaphore

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Les tercets, introduits par le connecteur de comparaison « Ainsi », permettent d’élucider le sens de cette métaphore de l’eau. Elle symbolise la nature même de l’homme : « Ainsi l’homme varie ». Les indices temporels, « demain », « aujourd’hui »,  « hier passé », et les temps verbaux, le futur « sera », le présent « sois-je », et l’imparfait, « vivais », reproduisent, pour l’homme, le « flux perpétuel » précédemment illustré pour l’eau. Le poète rappelle ainsi à son lecteur qu’il n’échappe pas au cours inexorable du temps qui passe, malgré l’illusion répétée dans la chute du sonnet : « toujours même on me nomme ».

Mais il va encore plus loin, en l’obligeant à mesurer les conséquences de son inscription  dans le temps : « Telle comme aujourd’hui du pauvre corps humain / La force que le temps abrévie et consomme ». La caractérisation affective,  « pauvre corps humain », et le redoublement verbal, « abrévie et consomme », insistent fortement sur la fragilité de l’homme, et lui rappelle que sa seule certitude est la promesse du « trépas ».

Buste de Démocrite 

Buste de Démocrite 

CONCLUSION

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Dans ce sonnet, Chassignet retrouve le fondement même des philosophies antiques, qui posent comme premier signe de sagesse la conscience de la mort. L’image de l’eau rappelle, en effet, Démocrite (vers 544-480 av. J.-C.), l’atomiste, dont le « Πάντα á¿¥εá¿– » (Panta rheï), « tout coule » est resté célèbre : il considère que toute chose, assemblage d’atomes, mue sans cesse, que rien au monde n’est stable, ce que résume une phrase du stoïcien Arius Didyme : « À ceux qui descendent dans les mêmes fleuves surviennent toujours d’autres et d’autres eaux » (cité par Eusèbe de Césarée). De même, les épicuriens tiraient de la conscience de la mort leur volonté de rechercher l’absence de trouble, l’ataraxie. Ces images d’illusions, d’inconstance, d’incessant mouvement, inscrites dans la nature même et illustrées ici dans la description de l’eau courante, s’imposent à la fin de ce XVI° siècle historiquement troublé comme la principale caractéristique du mouvement baroque, qui trouve son apogée dans les premières années du XVII° siècle. 

Chassignet avait vingt-quatre ans quand il a composé ce sonnet, bien jeune encore pour porter cette conception de l’homme et du monde. Mais, finalement, pour ce fervent chrétien ce « mépris de la vie » ne trouve-t-il pas précisément dans la mort sa « consolation » grâce à la promesse d’un au-delà ? 

Pour voir un diaporama d'analyse du tableau

UN GENRE PICTURAL : LES « VANITÉS »

Dans un des livres de l’Ancien Testament biblique, L’Ecclésiaste, figure l’affirmation : « Vanitas vanitatum et omnia vanitas », « Vanité des vanités, tout est vanité ». Elle renvoie à l’idée, déjà présente dans les philosophies antiques, que rien de ce qui compose la vie humaine n'a de sens, car l’homme, soumis au temps, est promis à la mort. « Memento mori », « souviens-toi que tu dois mourir », était d’ailleurs la phrase qu’un esclave prononçait à l’oreille d’un général romain dont la cérémonie du triomphe célébrait la victoire, pour lui rappeler sa condition mortelle.

Au moment où les guerres de religion remettent en cause l’optimisme des débuts de la Renaissance humaniste naît le courant baroque, et, dans la peinture, cela explique la place prise, dans la première moitié du XVII° siècle, par le genre des « vanités », venu de Hollande. La rigueur des calvinistes, qui blâment l’orgueil humain, peut expliquer cette tendance nouvelle, diffusée ensuite par la Contre-Réforme catholique, qui veut, elle aussi, ramener l’homme à plus d’humilité face à la confiance en sa raison accordée par le protestantisme.

Edwaert Collier, Vanitas, 1663. Huile sur toile, 56,5 x 70. National Museum of Western Art, Tokyo 

Edwaert Collier, Vanitas, 1663. Huile sur toile, 56,5 x 70. National Museum of Western Art, Tokyo 

Baroque

Comme peut le faire Chassignet à travers sa description de l’eau courante, il s’agit d’illustrer la nature mortelle de l’homme, de manière allégorique, à travers des objets qui symbolisent ses activités et célèbrent sa grandeur. C'est l'exemple donné par le tableau du peintre hollandais Edwaert Collier, Vanitas, datant de 1663, dont l'analyse sera proposée aux élèves.

AUTOUR DU BAROQUE : Saint-Amant et Drelincourt 

Pour lire les deux sonnets

Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT, Œuvres, 1643, 2ème partie, « L’hiver des Alpes » 

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C’est aussi au mouvement baroque qu’il est habituel de rattacher Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (1594-1661), notamment par la façon dont ses descriptions de la nature en peignent les multiples facettes. C’est ce qui ressort de l’accumulation des images dans ce sonnet, « L’hiver dans les Alpes », mais qui révèle aussi une réelle sensibilité devant les beautés naturelles.

L'hiver dans les Alpes 

La métamorphose du paysage

Les réalités de l’hiver ne sont pas clairement nommées, sauf la « neige » dans le premier vers. Saint-Amant préfère les montrer au lecteur, au moyen des déterminants démonstratifs, par une accumulation de métaphores qu’il lui appartient d’élucider. Ainsi, « Ce beau coton du ciel de quoi les monts s’habillent » renvoie à la neige,  « Ce pavé transparent fait du second métal » désigne la glace, qui prend la teinte brillante de l’argent, les « cheveux blancs que les vents éparpillent », personnifient l’hiver avec ses flocons de neige, comme dans le vers 10 « sa robe ».

L'hiver dans les Alpes 

Cette accumulation d’images se complète par le jeu des contrastes. Là où le blanc domine uniformément, Saint-Amant introduit la diffraction de la lumière avec les verbes qui encadrent les rimes embrassées, « brillent » et « éparpillent », et dans les images qui illustrent les cristaux de neige, en opposant aussi au froid de l’hiver, des visions de chaleur : « Ces atomes de feu qui sur la neige brillent, / Ces étincelles d’or, d’azur et de cristal ». / Donc l’hiver, au soleil, d’une lustre oriental » Ces contrastes sont soutenus par les sonorités elles-mêmes, la dureté des dentales, [d] et [t], s’opposant à la légèreté de la consonne liquide [l]. La diérèse sur la caractérisation « d’un lustre ori/ental » amplifie cette métamorphose d’un paysage montagnard en une vision exotique, comme si l’hiver devenait une courtisane arborant ses bijoux.

Le poète spectateur et interprète de la nature

Face à ce spectacle, le poète ne reste pas indifférent : tous ses sens sont en éveil, la vue, mais aussi l’odorat, avec la mention de « cet air net et sain, propre à l’esprit vital », et lui-même semble le refléter : « si doux à mes yeux que d’aise ils en pétillent. » Le chiasme syntaxique du vers 9 accentue d’ailleurs, en plaçant en son centre les verbes, « me plaît », « j’aime », la dimension subjective de ce tableau.

En même temps, comme souvent dans le courant baroque, dans le premier tercet, le poète interprète les visions proposées, en s’appuyant sur le symbolisme de la couleur, celle de la pureté : « Sa robe d’innocence et de pure candeur / Couvre en quelque façon les crimes de la terre. » Dans le second tercet, pour renforcer cette interprétation morale, il la soutient, comme souvent dans la poésie du XVIIème siècle, par une image empruntée à la mythologie grecque, celle de Zeus, surnommé « l’Olympien », traditionnellement représenté comme lanceur des éclairs et de la foudre : « Sa colère l’épargne », puisqu’il n’y a pas d’orage ni de « tonnerre » en hiver.

Pour conclure

Le poème construit un lumineux tableau à partir de l’observation de ce paysage hivernal. En multipliant les images, en jouant sur les reflets, sur les couleurs, il reprend la profusion ornementale propre au mouvement baroque. Cependant, même s’il charge ce paysage d’une valeur symbolique, l’on sent déjà chez Saint-Amant une réelle sensibilité aux beautés de la nature.

Laurent DRELINCOURT, Sonnets chrétiens sur divers sujets, 1677, XXIII, « L’Arc-en-ciel »

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Fils d’un pasteur réformé, lui-même pasteur contraint, par son activité de prédicateur à La Rochelle, de s’exiler, en 1661, à Paris, Drelincourt (1625-1680) y participe à différents cercles culturels.  Puis, en 1663, il s’installe comme pasteur à Niort, où il poursuit son œuvre poétique. Le titre du recueil en signale la perspective religieuse. La peinture de la nature, ici de « l’arc-en-ciel », prend un sens allégorique, à rattacher au mouvement baroque. Quel sens ce sonnet donne-t-il à la beauté fugace de ce phénomène météorologique ?

La peinture de l'arc-en-ciel

Les quatrains illustrent le double aspect de l’arc-en-ciel.

     D’un côté, sa beauté en est célébrée. Déjà sa source, l’action du soleil sur lors d’un « orage », est embellie par une métaphore filée. Ce « bel astre » est personnifié en « peintre brillant », dont le « nuage » figure « la toile », et « [s]es rayons réfléchis lui servent de pinceau ». Le poète insiste sur la lumière de « ce lumineux tableau », en en énumérant les couleurs vives : « l’or, l’azur », le feu, l’eau ».

      Mais, parallèlement, il souligne l’aspect éphémère de ce phénomène, par la répétition de la locution adverbiale, « tout-à-coup » qui oppose deux verbes : il « forme » et « Il dérobe ». L’image d’un « rideau » qu’on tire, comme pour masquer un tableau, ou au théâtre, soutient la fugacité de ce qui est qualifié d’« inconstant ouvrage », pour en accentuer la fugacité. Les quatrains se terminent sur le verbe « finit », qui marque la fin du phénomène.

Pierre-Paul Rubens, Paysage avec arc-en-ciel, 1636. Huile sur bois, 135,5 x 239,9. Wallace Collection, Londres 

Pierre-Paul Rubens, Paysage avec arc-en-ciel, 1636. Huile sur bois, 135,5 x 239,9. Wallace Collection, Londres 

La clé de l'allégorie

Les tercets, eux, donnent la clé de l’allégorie. Par les adjectifs « fragiles », « Passagères », et la reprise du terme « inconstance », le poète rappelle la dimension éphémère de l’arc-en ciel ». Mais il va plus loin, car il en fait l’image de la faiblesse humaine par l’expression « éclat faible et trompeur ». Il représente ainsi l’homme comme en proie à l’illusion, se laissant tromper par « de faux biens d’ici-bas », les couleurs de l’arc-en-ciel. Le parallélisme des deux derniers vers appliquent à l’homme cette même inconstance, le montrant agité des sentiments contradictoires, « crainte » et « espérance », que font naître en lui les aléas du monde, « guerre » ou « paix ».

Pour conclure

Drelincourt rappelle ainsi à son lecteur, en prenant la nature comme exemple, à quel point le monde terrestre est incertain, instable, s’inscrivant donc dans le courant baroque qui correspond à sa conception religieuse : tout n’est que vanité, rien de terrestre ne peut donc apporter à l’homme la paix intérieure, la seule vérité réside dans l’au-delà, dans le message divin.

TRISTAN L'HERMITE, Les Amours de Tristan, 1638, "Le promenoir des deux amants", strophes 1 à 14

Pour lire l'extrait du poème

L'Hermite

Né dans une famille noble ruinée, le jeune homme, devenu page à la cour d’Henri de Bourbon-Verneuil, fils illégitime d’Henri IV, bénéficie, dans l’entourage de la cour, d’une éducation  soignée. Bagarreur, impétueux, ce qui lui vaut un bref exil en Angleterre, il passe au service de Louis XIII et de son frère, le duc d’Orléans comme homme d’épée. Mais, rapidement, il s’intéresse à la littérature, théâtre, qui lui vaut le succès, et poésie. Il choisit alors le prénom Tristan, certes celui d’un de ces ancêtres, mais comment ne pas y voir un souvenir du Tristan amant malheureux d’Iseut, quand on lit son premier recueil, Les Plaintes d’Acante ? Ce recueil paru en 1633, complété, est réédité en 1638 sous le titre Les Amours de Tristan, 118 poèmes dont « Le Promenoir des deux amants ». Les premières strophes de ce  texte que le poète qualifie d’« ode » sont consacrées à une description de la nature au sein de laquelle l’amant tente d’entraîner « Climène », la jeune femme qu’il rêve de séduire. Quelle image de la nature cet extrait propose-t-il, et quel sens lui donne-t-il ?

Tristan L'Hermite en 1648, portrait gravé par Pierre Daret pour l’édition originale des Vers héroïques

UN DÉCOR IDÉALISÉ

Tristan L'Hermite en 1648, portrait gravé par Pierre Daret pour l’édition originale des Vers héroïques

Cette peinture reprend les principaux critères de ce que les poètes de la Rome antique nommaient le « locus amoenus », un lieu où tout semble fait pour charmer les sens, un lieu de « paix » et d’harmonie.

La célébration de la beauté

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Chacun des éléments qui composent ce paysage est introduit par l’adjectif démonstratif, « cette grotte », « ces tapis verts », « ce bois », « ces montagnes », « cette fleur », « ces joncs », « ce vieux chêne », « ce frêne »…, comme si le poète les présentait ainsi à un lecteur censé les reconnaître. Ils sont, en effet, empruntés aux images traditionnelles dans la poésie pastorale, d’abord parce qu’il s’agit de lieux isolés, loin des troubles du monde et des aléas climatiques, ce que soulignent les négations : « Dans ce bois ni dans ces montagnes /Jamais chasseur ne vint encor », « Jamais les vents ni le tonnerre / N'ont troublé la paix de ces lieux ».

Ensuite, ils doivent satisfaire tous les sens, pour qu’en soi le spectateur connaisse la même harmonie que celle du monde extérieur. Cela se manifeste dès le premier quatrain où s’associent la vue, le jeu de « la lumière avecque l’ombre », l’ouïe, bruit avec « [l’]onde lutte avec les cailloux », et l’odorat : « l’on respire un air si doux ». Le contraste entre la matérialité de la pierre et la légèreté de l’eau courante est imité par celui des sonorités rudes dans le premier  vers, et de la liquide [l] dans les vers 3 et 4. Nous retrouvons cette même association, synesthésie fréquente chez les poètes du XIX° siècle, dans le quatrain évoquant le chant mélodieux du rossignol perché sur une branche et illuminé par « le soleil » : « Il reprend sa note première / Pour chanter, d'un art sans pareil, / Sous ce rameau que le soleil / A doré d'un trait de lumière.

École hollandaise, Paysage, XVIIème siècle. Huile sur toile. Musée de Caen

École hollandaise, Paysage, XVIIème siècle. Huile sur toile. Musée de Caen

Pour charmer encore davantage la vue, la végétation contribue à embellir ce décor, printanier par ses couleurs,  avec les « tapis verts », le « bois », les « buissons », « cette fleur vermeille », et les arbres cités, « chêne » et « frêne », avec une insistance particulière sur les « fleurs de toutes les nuances », auxquelles est ajoutée une précision qui leur ôte tout danger potentiel : elles sont « sans épines ».

Une nature animée

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Outre la vie des oiseaux, toute la nature se trouve personnifiée, notamment par les verbes d’action du second quatrain : « L’onde lutte avec les cailloux », puis « Ces flots lassés de l’exercice / Qu’ils ont fait dessus ce gravier / Se reposent dans ce vivier ». La nature est ainsi dotée de sentiments tout humains, par exemple par la plongée dans le rêve, imitée par le glissement du [s], dans les « songes de l’eau qui sommeille », ou la douleur : « l’arbre pousserait des plaintes ». C’est encore plus flagrant pour les oiseaux, les « tourments » et les « amoureuses querelles » de « deux tourterelles », et pour le rossignol : « Ce rossignol, mélancolique / Du souvenir de son malheur, / Tâche de charmer sa douleur ».

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Le poète se présente donc en spectateur d’un paysage idyllique, qu’il tente de peindre à son lecteur, en lui faisant partager toutes les sensations et les impressions qu’il éprouve.

UN LIEU SYMBOLIQUE

Lucas Cranach le Vieux, L’Âge d’or, vers 1530. Huile sur bois, 75  x 103,5. National Gallery de Norvège

Lucas Cranach le Vieux, L’Âge d’or, vers 1530. Huile sur bois, 75  x 103,5. National Gallery de Norvège

L'image de « l’Âge d’or »

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La notion d’« âges » de l’humanité après sa création apparaît, au huitième siècle avant Jésus-Christ, dans La Théogonie et dans Les Travaux et les Jours du poète grec Hésiode, et Ovide, le poète latin, développe le mythe de « l’Âge d’or » au début des Métamorphoses, paru en 8. L’époque est censée correspondre au « règne de Saturne », et symbolise un temps d’innocence et de bonheur, où la nature offre un éternel printemps, l’abondance et la paix.

Or, cette même image ressort de cet extrait, celle d’une nature créée pour le bonheur de l’homme, ce que résume l’avant-dernier quatrain : « Jamais les vents ni le tonnerre / N'ont troublé la paix de ces lieux, / Et la complaisance des dieux  / Y sourit toujours à la terre. » La périphrase, « Les plus aimables influences / Qui rajeunissent l’univers », renvoie à l’action divine créatrice de l’éternel printemps : elles « [o]nt relevé ces tapis verts / De fleurs de toutes les nuances ». 

C’est un temps de paix, même pour les animaux, préservés, « Jamais chasseur ne vint encor », où la joie peut se donner libre cours : « Dans toutes ces routes divines, / Les nymphes dansent aux chansons », où le rythme semble scandé par les [É™] prononcés devant une consonne et l’allitération des dentales [d] et [t].

Le rôle de la mythologie

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Le poème se signale également par la place accordée à la mythologie. Certes, c’est là une tradition ancienne dans la poésie, dès le Moyen Âge, puis affirmée par les poètes de la Pléiade, et très présente aussi chez les poètes de la Préciosité. D’ailleurs, le prénom attribué à la femme aimée, « Climène », est un souvenir de cette mode adoptée alors par ces femmes qui voulaient se rattacher à l’antiquité : dans la mythologie, Climène était la fille de deux divinités marines, Océan et Téthys.

La présence des divinités

Or, dans cet extrait, nous reconnaissons la présence des divinités : Diane, la déesse de la chasse, et un quatrain entier est consacré à Vénus, la déesse de l’amour. De façon précise, Tristan L’Hermite, situe dans « ces forts », la relation amoureuse entre cette déesse, et Anchise, alors jeune prince troyen, d’où naquit Énée : « Un jour, Vénus avec Anchise / Parmi ces forts s'allait perdant ». 

Sandro Botticelli, La Vénus aux trois putti, XV° siècle. Tempera sur bois, 89 x 219. Musée du Petit Palais, Paris 

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Il lui prête l’escorte de « deux Amours » qui « en l’attendant / Disputaient pour une cerise. », une façon d’évoquer, le petit dieu ailé, Éros (en latin Cupidon), celui qui, aux côtés de  Vénus, inspirait l’amour aux mortels en leur décochant ses flèches : au-delà de leur amusement, comment ne pas penser ici aux « putti » de la peinture, ces petits chérubins ailés qui symbolisaient l’amour ?

Deux personnages mythiques

Plus directe encore est la mention de deux autres personnages de la mythologie, « le Faune » et « Narcisse ».

      Le personnage de Narcisse est connu pour être tombé amoureux de son reflet, aperçu dans l’eau d’une source : il «  contemple d'un œil insatiable cette beauté trompeuse », raconte Ovide dans les Métamorphoses. Cette incapacité de vivre cet amour le conduit à la mort, et il est alors changé dans la fleur qui porte son nom, évoquée ici comme « la fleur vermeille ».

Michel Dorigny, Pan et Syrinx, 1657. Huile sur toile, 98 x 131. Musée du Louvre, Paris 

         Avec la majuscule, le Faune, personnage au corps semi humain, semi-animal avec ses jambes velues, ses pieds de bouc et ses cornes se confond ici avec le dieu Pan, dieu des bergers, des pâturages et des bois. Parmi ses nombreuses aventures amoureuses, L’Hermite reprend ici celle avec la nymphe Syrinx, qu’il poursuit, « [d]epuis que l’amour l’a saisi ». Elle implora l’aide des nymphes du fleuve Ladon, et fut changée en roseaux, en « ces joncs pendants » ici mentionnés. Pour se consoler, Pan en prit une brassée pour se fabriquer une flûte, appelée syrinx.

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Or, le poète, en situant ces deux histoires d’amour dans le paysage décrit, introduit parallèlement l’image du rêve amoureux : «  L'ombre de cette fleur vermeille / Et celle de ces joncs pendants / Paraissent être là dedans / Les songes de l'eau qui sommeille. » 

Michel Dorigny, Pan et Syrinx, 1657. Huile sur toile, 98 x 131. Musée du Louvre, Paris 

Marqué par le courant baroque, il joue ainsi sur l’idée du reflet, qui suggère celle d’illusion, tels « [l]es songes », insaisissables comme l’eau. L’amour, auquel il invite Climène à la fin de l’extrait, « Je te prie, allons nous asseoir / Sur le bord de cette fontaine »,  lieu symbolique de l’amour depuis la poésie médiévale, n’est-il pas alors condamné à n’être, lui aussi, qu’une illusion ?

L'amour inscrit dans la nature

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C’est enfin dans plusieurs des éléments naturels, personnifiés, que s’inscrit la représentation de l’amour. Le premier dont le poète évoque les sentiments est le « vieux chêne ». La valeur sacrée attribuée à cet arbre se retrouve ici dans ses «  marques saintes », mais c’est surtout une image de souffrance que met en place le poète : « Sans doute qui le couperait, / Le sang chaud en découlerait, / Et l'arbre pousserait des plaintes. »

Il en va de même pour les oiseaux.

  • D’abord « le rossignol mélancolique / Du souvenir de son malheur » qui chante sa « douleur » nous rappelle le mythe terrible de Philomèle, violée par son beau-frère qui lui coupa la langue pour qu’elle ne révèle pas son crime. Vengée par sa sœur, elle fut changée en rossignol, « mettant son histoire en musique », chantant sa plainte pour toujours.

  • Les « deux tourterelles », dont l’allitération en [R] semble imiter le roucoulement, sont, elles, en proie à des « tourments », à d’« amoureuses querelles », alors qu’elles symbolisent l’amour fidèle ; mais ces oiseaux, qui représentent aussi la paix, réussissent à les apaiser par de « doux appointements ». Ne donnent-elles pas ainsi aux amants l’espoir d’un bonheur possible ?

CONCLUSION

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L’extrait, qui emprunte à la fois au courant baroque et à la Préciosité, repose sur le contraste entre un décor idyllique, une nature printanière, dont les couleurs, les sons, les images, invitent à la paix et à la joie, et l'image plus mélancolique de l'amour, mise en place par les nombreuses allusions qui, à travers la mythologie ou la personnification de la nature, le présentent comme illusoire. Mais cela n’empêche pas le poète, sous son nom de « Tristan », qui rappelle aussi l’amour fervent, mais impossible, de ce chevalier médiéval pour Iseut, de poursuivre sa conquête amoureuse en invitant sa belle à l’amour dans ce cadre où tout parle d’amour.

JACQUES DELILLE, Les Jardins, 1780, II, extrait, "L'automne"

Delille

Pour lire l'extrait du poème

Les goûts bucoliques de Jacques Delille (1738-1813), souvent appelé par son statut, « l’abbé Delille » se révèlent déjà par sa traduction, très libre, des Géorgiques de Virgile, parue en 1770.  C’est en 1782 qu’il publie un vaste poème didactique en huit chants, Les Jardins ou l’art d’embellir les paysages, qui reflète la mode naissante des jardins paysagers, mise à l’honneur à Versailles par la reine Marie-Antoinette dont il est le protégé. Même si le poème ressemble souvent à un traité, plusieurs passages traduisent la sensibilité de son auteur pour ce qu’il qualifie, dans sa Préface d’un autre ouvrage, L’Homme des champs ou les Georgiques françaises (1805), de « l’art le plus charmant, le plus doux et le plus naturel/ et le plus vertueux de tous ».

Le poème parcourt les saisons, et cet extrait du chant II évoque l’automne. Comment l’auteur fait-il percevoir au lecteur les charmes particuliers de cette saison ?

Portrait de l'abbé Delille 

Portrait de l'abbé Delille 

LE SPECTACLE DE LA NATURE 

Une saison intermédiaire

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Dans la peinture faite par Delille, l’automne apparaît comme un entre-deux, une transition entre les chaleurs de l’été et les rigueurs de l’hiver. En témoignent les indices de temps, « Bientôt », qui ouvre le second hémistiche du premier alexandrin, et « De moment en moment », qui figure la lente évolution du décor. L’atmosphère elle-même illustre cette suspension : « en automne / À travers des vapeurs un jour plus doux rayonne » : une impression de flou ressort de l’évocation des « vapeurs », liées à l’humidité ambiante, mais qui apportent au paysage une sorte d'harmonie paisible.

Le paysage dépeint

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Même si le passage s’ouvre sur la mention des « aquilons », vents du nord violents et froids, rien de rigoureux dans la vue d’ensemble du paysage, uniquement les courbes douces des « vallons ». L’accent est mis, conformément à la vision traditionnelle de l’automne, sur la chute des feuilles, reproduite par les coupes du vers 3, son enjambement sur le vers 4, et l’allitération en [t] qui semble la scander : « De moment en moment la feuille sur la terre / En tombant interrompt le rêveur solitaire. » Le champ lexical associe cette saison à la mort, par les termes métaphoriques, les « dépouilles des bois », le « deuil de la nature », et les adjectifs qui dépeignent la végétation : « ces bois desséchés », « ces rameaux flétris ». Enfin, la diérèse sur le mot « ru/ines », repris plus loin par « débris », confirment cette destruction de la nature.

L’EXPRESSION LYRIQUE

Nicolas Poussin, L’automne ou La Grappe de Canaan, 1660-1664. Huile sur toile, 117 x 160. Musée du Louvre, Paris

Nicolas Poussin, L’automne ou La Grappe de Canaan, 1660-1664. Huile sur toile, 117 x 160. Musée du Louvre, Paris

Le sentiment de la nature

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Dans ce passage, le poète exprime clairement son amour pour la nature : « Ces ruines même ont pour moi des attraits », « J’aime », « je me plais ». Il semble ainsi faire écho aux Rêveries du promeneur solitaire, ouvrage autobiographique de Jean-Jacques Rousseau, composé entre 1776 et 1778 et paru la même année que Les Jardins, en se dépeignant comme un « rêveur solitaire », image reprise dans le vers 10, dont le rythme restitue celui de la promenade : « Seul, errant, je me plais à fouler les débris. » La nature représente donc pour lui un refuge.

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La nature écho de l'état d'âme

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Delille insiste tout particulièrement sur la profonde harmonie entre son état d’âme et le paysage qui l’entoure, par la répétition : « J’aime à mêler mon deuil au deuil de la nature ». Il signale sa tristesse à travers une image, « Si  quelque souvenir vient rouvrir ma blessure », et exprime ses « profonds regrets » : « Ils sont passés, les jours d'ivresse et de folie ».

L’anaphore injonctive, « Viens », met l’accent sur la correspondance entre la saison, la nature en automne, et l’état d’âme du poète, à travers la personnification du sentiment : « je me livre à toi, tendre mélancolie ». Comme la saison, la mélancolie est un sentiment intermédiaire, ce que traduit l’opposition finale, marquée par le connecteur « Mais » qui répond au « non » précédent.

École hollandaise du XVIIème siècle, Paysage au chardon. Huile sur toile, 70,5 x 86. Collection privée

Deux visions personnifiées contrastent, en effet.

  • D’un côté, il y a le sentiment extrême : « le front chargé de nuages affreux, / Dont marche enveloppé le chagrin ténébreux », qui serait alors l’hiver.

  • De l’autre, cette mélancolie, « telle qu’en automne », en accord donc avec cette saison : « l’œil demi-voilé », « le regard pensif, le front calme, et les yeux / Tout prêts à s'humecter de pleurs délicieux. »

Aucune violence dans cette fin du passage, au contraire, au même titre que le poète trouve des charmes à l’automne, il trouve des charmes à sa propre mélancolie.

CONCLUSION

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Ce poème marque une nette évolution dans la peinture de la nature. Elle n’est plus célébrée pour sa valeur esthétique, le cours des saisons ne prend  plus de sens allégorique, la nature n’est plus prise comme support pour célébrer la femme aimée et l’inviter à l’amour. Delille, en effet, n’est plus un simple spectateur de la nature, mais un « rêveur » : il se représente lui-même en son sein, ressentant profondément le charme de la saison d’automne. Le poème nous montre ainsi la naissance d’un véritable sentiment de la nature, qui trouvera son apogée quelques années plus tard dans la poésie romantique, l’idée d’une correspondance entre elle et l’homme, d’un accord profond entre le paysage et l’état d’âme.

AUTOUR DE L'ART DES JARDINS 

Pour voir le diaporama

Dès l’antiquité romaine, les hommes ont cherché à humaniser la nature en la mettant, en quelque sorte, en scène, dans des jardins, par l’arrangement des arbres, des fleurs, des eaux, et en l’embellissant par des ornements de toute sorte : vases, statues, temples… Le XVIIème siècle classique a sans doute poussé à l’extrême l’intervention humaine sur la nature, en lui imposant équilibre et symétrie, avant que le goût ne se modifie pour tenter de créer un paysage plus « sauvage ».

C’est cette évolution, du Moyen Âge au XVIIIème siècle, que le diaporama propose de mesurer, en ouvrant sur une réflexion sur la place prise par les jardins dans notre société actuelle.

L'évoluton des jardins

DEVOIR : la place de la nature dans la poésie 

Pour lire la proposition de correction

Sujet de dissertation : Un critique littéraire, dans une étude sur la place de la nature dans la poésie, écrit : « Le poème naît d’une espèce d’accord entre l’homme et la nature : le poème qui chante la nature, en fait, chante l’’homme. » Considérez-vous que ce jugement puisse s’appliquer aux poèmes du Moyen Âge au XVIIIème siècle étudiés ?

Pour analyser la consigne

        La question posée :

  • Pouvant appeler une réponse par « Oui » ou « Non », elle implique une réflexion dialectique, envisageant cette double réponse, donc au moins deux axes dans le développement, le second correspondant au choix du rédacteur. Une synthèse sera proposée, soit dans un troisième axe, pour des étudiants déjà expérimentés, soit dans une conclusion pour les plus jeunes.

  • Elle limite aussi le choix des exemples au genre littéraire, des « poèmes », et aux époques étudiées dans cette séquence.

        La phrase introductive : Elle pose le thème de la réflexion à mener, « la place de la nature dans la poésie ».

        La citation : Elle formule une double affirmation.

  • D’une part, sur le rôle de la nature dans l’inspiration, avec le verbe « naît » : celle-ci viendrait d’un « accord entre l’homme et la nature ». Il sera donc nécessaire d’expliciter le terme « accord », pour dégager ce qu’il pourrait impliquer dans la façon dont le poète considère la nature, l’évoque et la dépeint.

  • D’autre part, la locution adverbiale, « en fait », précise ce que le critique entend par le mot « accord » en posant une équivalence entre « chante la nature » et « chante l’homme ». Il sera donc nécessaire de s'interroger sur le sens du verbe « chanter ».

Cette analyse permet de guider la réflexion, par le questionnement. Lorsqu’un auteur choisit « la nature » comme sujet d’un poème, cela signifie-t-il qu’il l’utilise pour « chanter l’homme » ? Ne peut-il pas la considérer en elle-même, pour sa seule existence indépendamment de l’homme, et, quand elle  établit un lien entre elle et l'homme, est-ce vraiment, dans les deux cas, pour les « chanter » ?

CONCLUSION DE LA SÉQUENCE

Conclusion

Contempler la nature

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Pour faire un bilan de la séquence, il est important de rappeler le sens du verbe « contempler » : il s’agit de considérer un objet, soit par l’action des sens, soit par le jugement porté sur lui, en témoignant de son admiration.

La plupart des poèmes étudiés accorde, en effet, une large place aux sensations, qu’il s’agisse de la vue, avec l’insistance portée sur les couleurs, par exemple, ou la clarté de l’eau, sur la luminosité d’un paysage de neige, mais aussi de l’odorat, de l’ouïe, avec les chants d’oiseaux ou le murmure d’une rivière, enfin sur le toucher, en évoquant par exemple la douceur du vent sur la peau.

Ce verbe implique également une distance entre un spectateur et l’objet qu’il contemple, et jusqu’au XVIIème siècle, cela ressort avec force. Le poète, ou celui qu’il met en scène, comme le personnage de l’amant dans Le Roman de la Rose, se meut dans le décor qu’il dépeint, l’observe – et souvent avec une évidente admiration – mais il lui reste extérieur. Le mot « paysage » apparaît d’ailleurs tardivement, à la fin du XVème siècle. C’est pourquoi le poète ne considère pas la nature en elle-même, mais toujours en fonction de ce qu’elle peut apporter à l’homme, du savoir qu’il a d’elle, des symboles auxquels elle le renvoie. C’est bien l'homme qui dépeint la nature, influencé par ses connaissances, ses expériences ; il n’est pas un observateur neutre. C’est ce qui explique aussi que ce soit, dans les époques parcourues, si souvent une nature paisible, champêtre, à taille humaine, et non pas les tempêtes, les orages violents ou les cimes des monts qu’il choisit de dépeindre, au contraire de ce que feront les Romantiques, au XIXème siècle.

Célébrer la nature

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De même, rapportons-nous au sens du verbe « célébrer », c’est-à-dire louer, faire l’éloge, avec solennité. Il s’emploie souvent en lien avec le sacré, ici valeur qui serait accordée à la nature. C’est nettement le cas dans ces siècles encore imprégnés de christianisme, où la nature est représentée comme le résultat d’une création divine. Elle témoigne donc de la grandeur de Dieu, et de sa toute-puissance, rappelant parallèlement à l’homme sa condition mortelle. C’est pourquoi, paradoxalement, célébrer la nature, l’alternance des saisons par exemple, le cours d’une rivière, la beauté d’un arc-en-ciel, comme le font les poètes du courant baroque, revient souvent à rabaisser l’orgueil de l’homme.

Mais nous avons pu également observer des peintures idylliques, et la façon dont le poète l’idéalise parfois, notamment par ses images, mais aussi en jouant sur les rythmes du vers ou sur les sonorités imitatives. Cela apporte la preuve de son admiration, mais aussi de sentiments plus personnels, joie, désir d’aimer, ou, à l’inverse, une mélancolie qui a, pourtant, des charmes. Elle lui offre alors un refuge, voire lui sert de confidente, le poème s'inscrivant ainsi dans le registre lyrique.

La Fontaine

ŒUVRE INTÉGRALE : La Fontaine, Fables, 1668, livre I

Pour découvrir l'auteur et le livre I des Fables

La Fontaine, Fables, 1668, I

La charge de Maître des Eaux et Forêts du canton de Château-Thierry, que La Fontaine achète en 1652 et exerce pendant une dizaine d’années, a souvent conduit à brosser un portrait du fabuliste se promenant, rêveur, dans la nature, qui l’aurait inspiré pour ses fables. Cette image est bien exagérée car il s’agit d’abord d’une fonction de surveillance et de contrôle, en présidant notamment, chaque semaine, une audience pour juger les délits et les litiges autour de la gestion et de l’exploitation des rivières et des bois, et en vérifiant le paiement des amendes, et les éventuelles restitutions et confiscations. Il ne doit visiter les lieux de son attribution qu’une fois tous les six mois, et plus pour dresser des procès-verbaux que pour admirer la faune et la flore !

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Il convient donc de dépasser cette vision, pour observer comment le poète dépeint la nature, flore et faune, dans ses Fables, en nous limitant au Livre I.

LE PAYSAGE 

François Chauveau, Le Chêne et le Roseau, 1668. Gravure sur cuivre. BN de Versailles

Dans ce livre, la peinture de la nature se résume, le plus souvent, à un simple trait qui suffit à poser le décor du monde animal. Ainsi, en précisant « Maître Corbeau, sur un arbre perché », « Un Agneau se désaltérait / Dans le courant d’une onde pure » ou « au fond des forêts / Le Loup l’emporte », La Fontaine ne nous fait pas véritablement « contempler la nature » et ne la célèbre pas. Il se contente d’associer l’animal mis en scène à son lieu de séjour habituel.

De même, dans « L’Homme et son image », la représentation d’« un canal, formé par une source pure », ne vaut pas tant par la description, réduite au minimum, mais par la valeur allégorique que lui prête le fabuliste, comme souvent au XVII° siècle : la « source pure » est celle évoquée par le poète latin Ovide dans ses Métamorphoses (8), dans laquelle le personnage mythique, Narcisse, en voyant son reflet, en était tombé amoureux. 

Carle Vernet, "L'Homme et son image", estampe.

2nde moitié du XIX° siècle, Musée La Fontaine

Deux fables ressortent dans ce livre I.

          Dans « L’Hirondelle et les petits Oiseaux », La Fontaine montre une bonne connaissance de la vie des campagnes, en dépeignant les étapes des travaux des champs, d’abord « au temps que le chanvre se sème », puis « Quand la chènevière fut crue », enfin « La chanvre étant tout à fait crue ». Mais, là encore, la nature n’est pas vue pour elle-même, mais en lien avec son utilité pour l’homme.

          Dans « Le Chêne et le Roseau », le choix de végétaux comme personnages permet une description plus évocatrice. Le chêne mentionne son vaste « feuillage » en précisant « dont je couvre le voisinage », tandis que le Roseau lui, pousse « Sur les humides bords des Royaumes du vent ». Le recours à la mythologie antique se traduit dans « la peinture de la tempête », dont la versification, l’enjambement et les sonorités, restitue la violence : « Du bout de l’horizon accourt avec furie / Le plus terrible des enfants / Que le Nord eût porté jusque là dans ses flancs ».

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Cette observation ne permet guère de conclure à une sensibilité du fabuliste face à la nature.

François Chauveau, "Le Chêne et le Roseau", 1668. Gravure sur cuivre. BN de Versailles

LE BESTIAIRE 

François Chauveau, "Le Chêne et le Roseau", 1668. Gravure sur cuivre. BN de Versailles

Face au monde animal, de même, La Fontaine ne manifeste pas une observation exacte, en ne respectant la vérité biologique. Par exemple la cigale ne mange ni « mouche » ni « vermisseau », et elle meurt bien avant que ne souffle « la bise » d’hiver. Et qui aurait déjà vu un corbeau manger un « fromage » ?

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En fait, La Fontaine pratique l’anthropomorphisme qui les personnifie : ses animaux vivent et pensent comme des humains, s’invitent à des repas, comme le renard et la cigogne, concluent des alliances, comme le lion avec la brebis, la chèvre et la génisse, et, bien sûr, se mentent et se flattent.​

Cependant, il s’inspire de l’image traditionnelle héritée de l’observation populaire, par exemple pour le travail incessant des fourmis, des « mouches à miel », ou pour la fidélité du chien qui doit « à son maître complaire ». Cette tradition se retrouve aussi dans de nombreux proverbes, tel « malin comme un singe » qui illustre bien le comportement de celui de « La Besace », et, bien sûr, dans de nombreux contes. Pensons au « grand méchant loup » du « Petit chaperon rouge », ou au Roman de Renart qui, au Moyen Âge mettait déjà en scène cet animal rusé.

Enfin la fable repose souvent sur l’association d’un trait physique à un comportement. Le gonflement de la « grenouille » sert, ainsi, de support à son envie d’enfler pour devenir « aussi grosse que le bœuf », le « long bec » de la cigogne est ce qui lui permet de duper à son tour le renard, et la blancheur de l’agneau suggère son innocence face au loup cruel.

Le roi Noble le lion convoque la cour des animaux, illustration du Roman de Renart, XIII ° siècle. Manuscrit. BnF

Au-delà des portraits, qui se résument à quelques traits distinctifs et cherchent d’abord à nous faire sourire, comme ce renard, tout honteux, «  Serrant la queue, et portant bas l’oreille » (fable 18), l’animal a donc d’abord une valeur symbolique : il représente l’homme avec ses défauts et ses qualités. Ils reproduisent aussi la société du XVIIème siècle, avec ses trois ordres, la noblesse, la bourgeoisie aisée, c’est-à-dire les puissants, et la paysannerie, souvent les plus pauvres des sujets du Roi ? Parfois même, plusieurs masquent le fabuliste lui-même, La Fontaine dans son rôle de poète, dans « la cigale » par exemple, ou délivrant sa sagesse sous les traits de « l’hirondelle » ou de la « guêpe ». 

Le roi Noble le lion convoque la cour des animaux, illustration du Roman de Renart, XIII ° siècle. Manuscrit. BnF

Pour conclure 

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La Fontaine confirme donc ce qu’est la peinture de la nature au XVIIème siècle. Elle est encore regardée de loin, par un spectateur qui ne s’étend pas sur ce qu’il ressent,  mais voit surtout en elle son lien avec l’homme, soit parce qu’elle est mise à son service, soit parce qu’elle lui propose sa propre image.

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