top of page
La représentation des injustices au théâtre : de l'antiquité au XX° siècle
Les injustices
Le théâtre et son  rideau

Le théâtre « re-présente », c’est-à-dire qu’il montre sur la scène les réalités de notre monde, mais éclairées d’une lumière plus vive. Il peut ainsi dénoncer les rapports que l’homme entretient avec les puissants : serviteurs face à leurs maîtres, sujets face au pouvoir dictatorial, femmes face à la prédominance masculine… autant de relations que le théâtre dépeint pour faire rire, ou pour indigner son public. Les auteurs dramatiques n’ont-ils pas d’ailleurs bien souvent été censurés, preuve du pouvoir que l’on a pu reconnaître au théâtre quand il se fait « tribune »  ou, encore mieux, « tribunal » ?   

Pour analyser un texte de théâtre

Introduction

 

Pour approcher un texte de théâtre, il est utile de connaître l'origine de ce genre littéraire, pour l’Europe l’Antiquité gréco-latine, qu’il s’agisse de comédie ou de tragédie. 

Pour en savoir plus sur le théâtre antique

En se plongeant dans ces origines, on constate que le théâtre a aussi bien servi à transmettre les valeurs fondatrices de la cité qu’à critiquer ceux qui ne les respectaient pas, coupables d’« hybris » dans la tragédie, ou abusant jusqu’à l’excès de leur pouvoir dans la comédie. Aristote, dans sa Poétique, considérait que le théâtre, en incarnant les personnages sous les yeux du public, permettait la « catharsis », ou purgation des passions coupables. Les représentations théâtrales se déroulaient alors sous forme de concours, organisés à l’occasion des fêtes. C’est le sens premier du terme « agôn », agir, action. Ensuite, ce mot désignera la partie de la pièce qui présente un débat entre deux personnages soutenant chacun une thèse opposée. C’est la mise en scène du conflit qui soutient l’action dramatique et la fait progresser.

Tant dans la commedia dell’arte dont s’inspire, par exemple, Molière, que dans les grandes œuvres tragiques du siècle classique, puis, plus tard au « siècle des Lumières », au XIX° siècle dans le drame romantique, et jusque dans ses formes modernes, le théâtre a conservé, dans son évolution ultérieure, sa dimension critique.

Les textes insérés dans ce corpus conduiront donc à dégager la nature, les causes du conflit et les cibles visées : un individu, le plus souvent parce qu’il est un « type », l’image d’un groupe social ou d’un comportement, ou, de façon plus vaste, une institution (le gouvernement, la justice, le mariage…), une idéologie, voire un concept, tel le racisme ou l’individualisme. Le conflit se produit lorsque des forces antagonistes entrent en contact et cherchent à s’éliminer réciproquement.

         Nous pourrons observer un conflit entre deux personnages (ou groupes de personnages, voire peuples dans le cas d’une guerre, par exemple), dont l’un se pose en position de supériorité par rapport à l’autre : maître/valet, père/fils, roi/sujet…              Mais il peut aussi se situer au plan abstrait, entre des forces antagonistes, intellectuelles, affectives, morales, sociales : ce sont alors des systèmes de valeurs qui s’opposent.

         Enfin, le conflit peut être intérieur, dans la pensée, le cœur, la conscience d’un personnage.

Le conflit implique un trouble, un désordre introduit dans un monde ordonné.

Il convient de ne pas oublier que le théâtre « re-présente », il met en scène ce qu’il dénonce : les textes ne peuvent s’analyser sans envisager les conditions de leur représentation, décor, costumes, effets techniques, jeu des acteurs, en relation avec les procédés propres au registre choisi, comique, tragique, polémique, pathétique, lyrique...

Les injustices

 

L’observation du sens du terme « injustice » fait nettement apparaître son double sens, illustré par l'allégorie qui représente son contraire, la justice, tenant dans une main une balance, dans l’autre un glaive. 

         D’une part, la balance renvoie à la notion d’équité, c’est-à-dire d’égalité. Est « injuste » donc celui qui ne la respecte pas en se montrant partial, en favorisant un homme aux dépens d’un autre qui aurait les mêmes droits, en abusant de son pouvoir pour écraser autrui. On voit bien alors qu’analyser l’injustice revient à définir les droits légitimes de chaque être, et l’exercice du pouvoir.

       D’autre part, le terme renvoie au concept même de « justice », c’est-à-dire à l’établissement de lois pour définir, dans une société donnée, le « bien » et le « mal ». De ce fait, « l’injustice » consiste à agir de façon immorale, coupable, condamnable par les lois humaines comme par les lois religieuses, quand le contexte les pose comme base du fonctionnement social, ce que figure le glaive qui arme sa main dans l’allégorie.

Gaetano Gandolfi, Allégorie de la justice, 1760-62. Huile sur toile, 33,5 x 43,5. Musée du Louvre, Paris. 

Gaetano Gandolfi, Allégorie de la justice, 1760-62. Huile sur toile, 33,5 x 43,5. Musée du Louvre, Paris

Le corpus envisage donc cette double approche, en définissant parallèlement les relations qui unissent les personnages des textes : conflits entre les puissants et les faibles, parfois violemment exprimés, parfois plus masqués, mais aussi union des faibles entre eux pour entreprendre leur lutte.

 Présentation du corpus : de l'antiquité au XX° siècle

Dans l'antiquité

 

ARISTOPHANE, Les Cavaliers : Cette comédie fut jouée en 424 av. J.-C., alors que les deux cités rivales de Sparte et Athènes, avec leurs alliés, sont en guerre pour l’hégémonie sur la Grèce. L’arrivée au pouvoir d’un démagogue, Cléon, menace la démocratie. Il est représenté, dans la comédie, par le Paphlagonien, qui tente d’abuser par ses flatteries, son maître, Démos (le peuple) à la grande colère de deux esclaves, Nicias et Démosthène, qui vont tenter de se débarrasser de lui : quelle image nous donnent-ils de leur condition servile ?

Aristophane, auteur grec, et Térence, auteur latin

ARISTOPHANE, Lysistrata : Dans cette comédie datant de 411 av. J.-C., Aristophane imagine une révolte des femmes contre le pouvoir masculin qui mène la guerre contre Sparte : les femmes des cités en guerre s’unissent et décident une « grève de l’amour » pour contraindre les hommes à signer la paix. Ceux-ci comptent bien les convaincre de renoncer à leur projet, mais le magistrat, qu’ils leur envoient pour les ramener à leur rôle subalterne, sera-t-il de taille à mater cette révolte ?  

TÉRENCEL’Andrienne, 2 et 3 : Cette comédie « palliata », représentée en 166 av. J.-C, reprend un schéma traditionnel depuis la comédie grecque de Ménandre : les amours d’un jeune homme, Pamphile, sont contrariés par son père, Simon. Heureusement l’esclave rusé, Dave, que Simon compte bien utiliser pour espionner son fils, se range dans le camp de la jeunesse et de l’amour… Mais le maître ayant tout pouvoir sur l’esclave, celui-ci ne court-il pas alors un grand risque ? Doit-il aider Pamphile ou servir son maître ? Le voilà face à un dilemme

Corneille, Racine et Molière

Au XVII° siècle

 

CORNEILLE, Le Cid, II, 2 C’est à l’Espagne que Corneille doit le sujet de sa pièce, représentée en 1636, qu’il nomme « tragi-comédie ». Elle remporte un vif succès, ce qui provoque la jalousie de nombreux rivaux, à l’origine de ce que l’on appellera la « querelle du Cid ». ​Les reproches des théoriciens du classicisme n’empêchent pas le public de se passionner pour le drame des amants, Rodrigue et Chimène, séparés malgré eux par le conflit qui oppose leurs pères.

Corneille, Racine et Molière

Rodrigue, après un douloureux dilemme, choisit, pour venger l’insulte faite à son père, de provoquer en duel le père de Chimène, le comte Don Gormas. Comment Corneille met-il en valeur le conflit entre deux générations ?

CORNEILLECinna, IV, 2Corneille emprunte à l’histoire romaine l’intrigue de sa tragédie, représentée en 1641, sous-titrée « La Clémence d’Auguste », épisode transmis par le philosophe romain, Sénèque, dans le De Clémentia. Il s’agit pour lui, en écho aux conspirations qui menacèrent le règne de Louis XIII, de montrer comment l’indulgence face à des adversaires politiques est souvent préférable au cycle infernal de la répression. Ainsi l’empereur Auguste revêt-il un double visage : celui d’un tyran, qui n’a reculé devant rien pour accéder au pouvoir, mais aussi celui d’un être qui reste humain, conscient de ses abus. Comment le monologue de Cinna dépeint-il la tyrannie ?

 

RACINEBritannicus, III, 8 et V, 6 : C’est certainement son désir de rivaliser avec Corneille qui pousse Racine à s’inspirer de l’histoire romaine : dans cette tragédie jouée en 1669, il lui emprunte son empereur resté célèbre pour sa cruauté, Néron. Mais il le montre encore novice dans le crime… Dans son désir d’échapper à l’influence de sa mère, Agrippine, qui l’a poussé au pouvoir aux dépens de son demi-frère, Britannicus, le jeune empereur s’est choisi un conseiller, Narcisse, et il cherche à éliminer ce frère rival qui a su conquérir le cœur de Junie. Dans l’acte III, il retient Junie prisonnière, et lui interdit de revoir Britannicus. Mais les deux amants parviennent à avoir un entretien, que Néron surprend. Un violent conflit l’oppose, dans la scène 8, à ce frère haï. Comment ce conflit met-il en évidence la tyrannie de Néron ? 

La suite de la pièce conduit à l’empoisonnement de Britannicus. Dans l’acte V, Agrippine, furieuse, accuse alors violemment son fils. Comment Racine dépeint-il cette colère, et les réactions de Néron face à elle ?

MOLIÈRE, Les Fourberies de Scapin, III, 2Dans cette comédie, représentée en 1671, Molière s’inspire de l’intrigue de nombreuses comédies antiques. Deux jeunes gens amoureux, Octave et Léandre, que leurs pères, Argante et Géronte, veulent marier contre leur gré, vont être aidés par le valet Scapin. Celui-ci profite alors de la moindre occasion pour régler ses comptes avec son maître Géronte. Dans cette scène de farce où pleuvent les coups de bâton, comment Molière inverse-t-il la relation entre le maître et le valet ?

Marivaux

Au XVIII° siècle

 

MARIVAUX, L'Île des esclaves, scène 10 : Cette comédie, représentée en 1725, est une utopie puisque le dramaturge imagine une île sur laquelle des esclaves de la Grèce antique, révoltés, ont pris le pouvoir pour ne plus subir les injustices de leurs maîtres. C’est ce qui arrive à Iphicrate et Euphrosine, les deux maîtres, dont les esclaves, réciproquement Arlequin et Cléanthis, vont ainsi pouvoir se venger. Ils en font le portrait satirique, parodient leurs manières et leur discours amoureux ; Arlequin entreprend même de faire la cour à Euphrosine… Mais il se rend compte qu’il dépasse là une limite, et rend à son maître son costume et ses fonctions. La servante Cléanthis se soumettra-t-elle à son tour ? ​

Hugo, Musset, Jarry

Au XIX° siècle

 

MUSSET, Lorenzaccio, IV, 11 : C’est à une œuvre  de George Sand, avec laquelle il entretient une liaison passionnée, que Musset emprunte le sujet de son drame romantique, publié en 1834. Celle-ci s’était elle-même inspirée d’une chronique de la vie florentine sous la Renaissance pour composer Une Conspiration en 1537.

Hugo, Musset, Jarry

Il plonge ainsi dans les événements politiques troublés de cette époque pour mettre en place l’image touchante et complexe d’un héros qui rêve de devenir un nouveau Brutus en tuant le duc Alexandre de Médicis, tyran débauché qui opprime la ville. Pour apaiser la méfiance de celui-ci, Lorenzo a choisi de partager sa vie corrompue… jusqu’au jour du meurtre. Mais cet assassinat libérera-t-il la ville? Comment Musset représente-t-il cette scène de meurtre et son héros ?

HUGORuy Blas, III, 2 : Lorsque Victor Hugo fait jouer cette pièce, en 1838, il donne un nouvel exemple de ce drame romantique qu’il a voulu fonder pour dépasser ce qu’il considère comme les limites du théâtre classique. La pièce s’appuie sur l’Histoire, celle de l’Espagne au XVII° siècle, et sur un déguisement : Ruy Blas, un « laquais », va être utilisé par le redoutable Dom Salluste pour servir sa vengeance contre la Reine, qui fait en sorte qu’il accède au pouvoir sous un nom d’emprunt. Mais Ruy Blas est amoureux de la reine. Devenu « premier ministre », parviendra-t-il à la sauver du piège tendu par Dom Salluste ? Il tente en tout cas de jouer au mieux son rôle politique

JARRYUbu Roi, III, 2 et 7 : Quand Jarry fait représenter son « drame », en 1896, il s’inspire d’un texte écrit et joué alors qu’il était encore au lycée, sorte de farce destinée à caricaturer un de ses professeurs sous les traits d’un dictateur grossier et stupide. Le Père Ubu, poussé par sa femme, a éliminé le roi de Pologne, Wenceslas, et a établi son pouvoir en terrorisant la population. Ainsi la scène 2 de l’acte III montre comment il se débarrasse de tous ses adversaires potentiels.

Mais est-il vraiment si terrible ? Il suffit de le voir présider son « Conseil » dans la scène 7 de ce même acte  pour mesurer son ridicule, et surtout  d’observer comment il réagit face à la menace d’invasion de son Etat par un de ses anciens alliés…

Au XX° siècle

 

BRECHTMaître Puntila et son valet Matti, dernier tableau : Écrite en 1940 alors que Brecht était en exil en Finlande, cette pièce fut jouée à Zurich en 1948. Dans cette œuvre organisée en douze tableaux, Brecht reprend le thème du face à face entre un maître, riche propriétaire d’un vaste domaine, et son valet-chauffeur, mais avec une originalité : ce maître, autoritaire et cruel, devient humain et généreux lorsqu’il est ivre… Mais cette maladie ne facilite pas le travail de Matti, qui décide de le quitter

Brecht et Camus

Brecht et Camus

CAMUS, Les Justes, II : L’après-guerre met de nouvelles problématiques sur le devant de la scène : le fascisme, au nom duquel ont été commises tant d’atrocités, la Résistance, que les nazis nommaient « terrorisme », la mise en place de la dictature stalinienne en URSS… De nombreux auteurs, engagés dans les combats politiques du temps, comme Albert Camus, utilisent alors la scène pour poser une question cruciale : la justice de la lutte vaut-elle qu’on lui sacrifie tout, y compris la vie d’innocents ? Tel est le thème de cette pièce datant de 1949.

Il serait possible d'inscrire également dans ce corpus un extrait de Montserrat (1948) de Roblès

Les métamorphoses de l'héroïne tragique : de l'antiquité au XX° siècle

Pour en savoir plus sur le théâtre antique

Héroïne tragique

Ce corpus plonge ses racines dans le théâtre tragique de l'Antiquité gréco-latine, dont il est nécessaire de connaître à la fois, l'origine sacrée, donc la place qu'y occupe la fatalité, et le rôle qu'il a pu jouer, en transmettant les valeurs de la cité. Rappelons aussi la fonction que lui assigne Aristote, dans sa Poétique : il considère qu'en incarnant les passions des personnages sous les yeux du public, notamment l'"hybris", leur démesure qui les conduit à se hausser au-dessus de la dimension humaine ordinaire, il permet la « catharsis », ou purgation des passions coupables

Le théâtre grec de Taormina, en Sicile

Le théâtre grec de Taormina, en Sicile

Introduction

 

Le théâtre met en scène une action, désignée, dans l'antiquité, par le mot grec δρᾶμα (drama),  le plus souvent fondée sur un conflit, entre des individus, des groupes sociaux, des institutions, porteurs de systèmes de valeurs opposés.  

Un masque  grec du théâtre tragique

Dans la tragédie, ce conflit reçoit un dénouement qui, toujours selon la définition d'Aristote, doit susciter, dans le public, deux sentiments mêlés : la terreur et la pitié. Ce conflit introduit un trouble, un désordre, dans la cité, que le dénouement de la pièce doit résoudre :  « « Les orgueilleux voient leurs grands mots payés par les grands coups du sort et ce n’est qu’avec les années qu’il apprennent à être sages », conclut le coryphée dans Antigone de Sophocle. Il attire ainsi l'attention sur la sagesse que toute tragédie cherche à transmettre. Mais cette "sagesse" s'inscrit forcément dans le contexte d'une époque, en reflétant l'ordre alors dominant.

Un masque  grec du théâtre tragique

Il convient enfin de ne pas oublier que le théâtre « re-présente », il met en scène ce qu’il évoque : les textes ne peuvent s’analyser sans envisager les conditions de leur représentation, décor, costumes, effets techniques, jeu des acteurs, en relation avec les procédés propres au registre choisi, le tragique pouvant s'associer au polémique, au lyrique...

Pour en savoir plus sur le registre tragique

L'héroïne tragique

 

Le monde antique a vu naître de nombreux "héros", que mettent en scène l'épopée homérique et les tragédies. Il crée ainsi un modèle, que reprendront les œuvres ultérieures : demi-dieu, ou au moins, de naissance illustre, le héros se distingue par ses exploits, le plus souvent guerriers en raison du contexte historique, mais aussi par sa grandeur d'âme, son courage exceptionnel, ses nobles valeurs. Quand il est conduit à la mort, celle-ci contribue encore à le grandir, en l'inscrivant dans la mémoire de l'humanité. Il devient ainsi le support d'un mythe

P.-N. Guérin, Phèdre et Hippolyte (détail), 1815. Huile sur toile, 130 x 174. Musée des beaux-arts de Bordeaux 

Pierre-Narcisse Guérin, Phèdre et Hippolyte (détail), 1815. Huile sur toile, 130 x 174. Musée des beaux-arts de Bordeaux

Mais qu'en est-il de l'"héroïne" ? Compte-tenu de la condition féminine dans l'antiquité grecque, le modèle féminin diffère forcément de son homologue masculin. Certes, nous pourrions citer les Amazones guerrières, mais en se mutilant la poitrine pour mieux tirer à l'arc et en rejetant le mariage, elles refusent précisément leur féminité.  

Les autres héroïnes, depuis l'épopée homérique, avec Pénélope, l'épouse fidèle, la belle Hélène, cause invoquée de la guerre de Troie, Cassandre et ses prédictions, ou la magicienne Circé... sont toutes rattachées aux exploits du héros masculin. Faut-il pour autant penser que cela leur ôte toute possibilité d'accéder à un héroïsme qui leur soit propre ? Nous noterons l'injustice fréquente de leur situation, qui leur permet d'émouvoir le public, surtout quand elles sont promises à la mort. De plus, elles font souvent preuve d'un  remarquable courage, en défendant avec force leurs convictions et leurs sentiments. Ainsi, leur dignité les rend exemplaires, dans le bien comme, parfois, dans l'horreur.  

Une remarquable exposition de la BnF

La reprise des mythes de l'antiquité au XVII° siècle et au XX° siècle

Ses "métamorphoses"

 

Formé du préfixe μ ε τ α ́ (méta-*), dont un des sens est "au-delà de", donc implique un dépassement, et de μ ο ρ φ η (*morphè) "forme", le terme nous rappelle le titre de l'œuvre du poète latin Ovide, Les Métamorphoses. Il y reprend les nombreux récits qui montrent les transformations d'un personnage, tel celui de Narcisse qui se change en la fleur portant son nom.  Le terme nous interroge donc sur les changements que les écrivains font subir à l'image de l'héroïne, que leur a léguée l'antiquité gréco-romaine. Comment la transforment-ils, depuis son apparence physique jusqu'à sa nature profonde, en passant par ses actions ou ses sentiments ?

Au sens premier, la métamorphose interdit toute reconnaissance de l'état originel, ce qui conduit à une autre question : pouvons-nous encore, dans les œuvres ultérieures, reconnaître le modèle antique de l'héroïne ?

Enfin, les changements opérés sont forcément liés au contexte dans lequel s'inscrivent les auteurs. Ce n'est pas un hasard si deux époques ont repris le modèle héroïque féminin

         le XVII ° siècle, qui a vu, depuis Catherine de Médicis un siècle auparavant, les femmes conquérir un réel pouvoir, par le biais de la Régence ou en tant que favorites des rois, sans oublier les revendications égalitaires de la Préciosité.

      le XX° siècle, où les deux guerres ont permis aux femmes - qui continuent à revendiquer l'égalité des droits - non seulement de jouer un rôle prépondérant dans l'économie, mais de participer aux combats, par exemple dans la résistance pendant la seconde guerre mondiale.    

 Présentation du corpus : de l'antiquité au XX° siècle

Dans l'antiquité

 

SOPHOCLE, Antigone, 2ème épisode : La pièce de Sophocle, jouée en 442 av. J.-C.,  s’inscrit dans le mythe d’Œdipe, mais à une époque d’apogée pour la cité d’Athènes. Antigone, fille du héros, subit la malédiction qui pèse sur la famille des Labdacides, se trouvant confrontée à un terrible choix.

Sophocle, Euripide et Sénèque

Le roi de Thèbes, Créon, son oncle, après que Polynice et Étéocle, les deux fils d’Œdipe, se sont entretués, a interdit de rendre à Polynice, jugé coupable, les honneurs funèbres.Mais Antigone brave cet interdit, considérant que les lois divines, « non écrites », sont supérieures à celles de la cité, et aucune menace ne l’arrête. Comment le conflit alors créé lui permet-il d’accéder à une dimension héroïque ?  

EURIPIDE, Électre, 2ème épisode : Il emprunte l’héroïne de sa pièce, créée entre 420 et 416 av. J.-C., au cycle troyen, à une époque où la cité d’Athènes est accablée par la guerre du Péloponnèse et les crises politique et économique.  Il reprend la malédiction lancée contre la famille des Atrides : elle a conduit son père, le roi d’Argos Agamemnon, à sacrifier sa fille, Iphigénie, pour que les dieux fassent souffler le vent permettant le départ de la flotte grecque vers Troie. En châtiment, à son retour de guerre, il a été assassiné par son épouse, Clytemnestre, et son amant Égisthe. Pour assurer sa sécurité, le couple meurtrier a marié Électre à un pauvre laboureur, et envoyé en exil son frère, Oreste. Mais Oreste revient à Argos… En quoi la situation que rappelle Électre, et la façon dont elle l’affronte, la hausse-t-elle à une dimension tragique ?

SÉNÈQUE, Médée, exposition : Par ses origines, petite-fille du Soleil, avec pour mère, selon les versions, une Océanide ou la déesse de la lune, Hécate, liée au monde des morts, et nièce de la magicienne Circé, Médée, dans la pièce de Sénèque, jouée entre 60 et 65, a déjà la nature d’une héroïne. C’est quand elle aide Jason et ses Argonautes à conquérir la « toison », sacrifiant pour lui son père, le roi Æétès, et son frère, qu’elle acquiert sa dimension tragique, restituée par Euripide, qui montre sa terrible vengeance contre l’époux qui l’abandonne pour épouser Créuse, fille du roi de Corinthe qui avait accueilli le couple. En amplifiant encore la jalousie de Médée, jusqu’à la cruauté de son double infanticide montré sur scène, comment  Sénèque scelle-t-il le destin terrible de son héroïne ? 

Corneille et Racine

Corneille et Racine

Au XVII° siècle

 

CORNEILLE, Médée, I, 4 : Corneille, dans l’« Examen » de Médée, tragédie datant de 1635, rappelle, vingt-cinq ans après, ce qu’il doit à ses deux modèles, Euripide et Sénèque, pour répondre aux reproches qui ont été adressés à sa pièce, en insistant sur sa volonté de vraisemblance et sur les raisons de ses modifications par rapport à ses sources. Il est vrai qu’une telle héroïne, que ses talents de magicienne et les excès de sa passion transforment en monstre, ne répond pas totalement aux exigences du classicisme qui cherche alors à s’affirmer au théâtre.

Cet examen fait, notamment, disparaître la dimension immorale de Médée, et tout ce qui rattachait encore cette pièce de jeunesse au baroque. Comment Corneille renouvelle-t-il l’image de cette héroïne exceptionnelle ? 

RACINE, Andromaque, III, 8 : Dans Andromaque, immense succès en 1667, Racine se souvient du contexte de la guerre de Troie, connu grâce à l’Iliade d’Homère, puis à l’Énéide de Virgile, mais aussi par les tragédies de Sophocle, Euripide et Sénèque. On retrouve donc, dans sa pièce les images terribles de la chute de Troie, et les lamentations de la veuve d’Hector, qui a vu son mari mourir sous ses yeux. Mais il accentue la dimension dramatique de sa pièce en faisant subir à son héroïne l’odieux chantage de celui dont elle est la captive, le roi Pyrrhus, encore couvert du sang des Troyens : la vie de son fils en échange de son acceptation du mariage avec lui, qui dit l’aimer. Comment l’héroïne résoudra-t-elle cet horrible dilemme ?

RACINE, Iphigénie, II, 2 : C’est aussi au cycle de Troie que Racine emprunte l’héroïne de cette tragédie, créée en 1674 : le sacrifice d'Iphigénie, imposé à son père Agamemnon par un oracle, doit permettre le départ de la flotte grecque vers Troie. Mais c’est aussi la malédiction qui pèse sur la famille des Atrides qui explique le choix douloureux imposé à ce père. Laissera-t-il sacrifier sa fille bien aimée ? Il la fait venir dans le camp grec sous prétexte de la marier au héros Achille. La jeune fille ignore donc tout de la mort horrible qui l’attend. C’est de là que naît le ressort dramatique de la première rencontre entre eux : devant sa joie et son innocence, le roi se laissera-t-il attendrir ? Aura-t-il le courage de lui dire la vérité à celle qui lui manifeste tant de respect et de tendresse ?

Au XX° siècle

 

GIRAUDOUX, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, I, 6 : Auteur de l'entre-deux-guerres, Giraudoux, en reprenant, dans sa pièce datant de 1935, l'héroïne antique Andromaque, mais dans une intrigue située avant la guerre de Troie et non après, met le mythe antique au service des questions que pose son époque.

Giraudoux, Anouilh et Sartre

Giraudoux, Anouilh et Sartre

En situant son intrigue avant la chute de Troie, et non après, et en intitulant son œuvre de façon inattendue pour un public qui connaît l'épopée homérique, il fait de son héroïne le porte-parole du pacifisme. Face à ceux qui prônent un patriotisme guerrier, comment Andromaque, restée dans la littérature en tant que veuve du héros Hector,  formule-t-elle son ardent plaidoyer ? 

GIRAUDOUX, Électre, II, 10 : Dans sa pièce, jouée en 1937, Giraudoux reprend de façon originale la malédiction des Atrides. Il ajoute aux personnages de la tragédie antique des personnages « ordinaires », mais aussi un « mendiant », doué d’une étrange prescience, et les « petites Euménides », symboles du destin promis à Oreste et Électre. S’il conserve le meurtre d’Égisthe, son héroïne, en revanche, ignore, presque jusqu’à la fin, les conditions réelles de la mort de son père Agamemnon. La pièce montre principalement, à la fois sa quête passionnée de la vérité et la haine violente qu’elle éprouve pour sa mère, Clytemnestre, et pour Égisthe. En empêchant leur mariage, elle prive aussi la cité d’Argos du chef qui aurait pu repousser l’invasion des Corinthiens. En quoi le dénouement, dans toute son horreur, renouvelle-t-il l’image de l’héroïne et le sens du mythe ?

SARTRE, Les Mouches, V, 8 : À son tour, Sartre réinterprète, dans sa pièce jouée en 1943, la malédiction des Atrides, et son héroïne, Électre, entretient la même haine et le même désir du retour de son frère Oreste pour qu’il venge l’assassinat de leur père en tuant le couple criminel, la reine Clytemnestre et son amant Égisthe. Quand Oreste revient et se fait reconnaître, elle le pousse à accomplir ce meurtre, mais refuse d’y participer. Après le crime, elle n’éprouve pourtant pas la joie qu’elle en attendait. Sartre, en effet, met le mythe au service de sa philosophie existentialiste, notamment de ses conceptions de la conscience et de la liberté. En quoi « les mouches » qui s’abattent sur l’héroïne à la fin de l'acte II les illustrent-elles ?

ANOUILH, Antigone, face à Créon : Anouilh a inscrit Antigone, jouée en 1944, dans la catégorie qu’il nomme les « pièces noires », ce qui met en avant leur dimension tragique. Il y reprend le mythe d’Œdipe, mais, dans le contexte de l’Occupation, il en renouvelle le sens. Nous y retrouvons Antigone, fille du héros, victime à son tour de la malédiction des Labdacides car elle brave l’édit promulgué par Créon, le tout-puissant roi de Thèbes : il interdit d’enterrer Polynice, jugé traître à sa patrie, parce qu’il est venu attaquer son frère Étéocle. Mais, pour Antigone, tous deux sont ses frères, et leur rendre les honneurs funèbres est un devoir. Ainsi, une toute jeune fille, fragile, s’insurge contre une loi injuste, prête à aller jusqu’à la mort, mais invoque-t-elle les mêmes raisons que son modèle antique ?

Le théâtre, du XVII° au XX° siècle : dire la mort ou représenter la mort ? 

Introduction

 

… ou « de la mort évoquée à la mort montrée sur scène ».

Choisir de s’intéresser à la façon dont le théâtre traite le thème de la mort implique, a priori, la lecture des tragédies, puisque, pour provoquer dans le public « terreur » et « pitié », double fonction que lui assigne Aristote dans sa Poétique (vers 335 av. J.-C.), leur intrigue se dénoue traditionnellement par la mort cruelle du héros ou de l’héroïne.

La tragédie est l’imitation d’une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d’une narration, et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature.

Aristote, Poétique, VI, 1

La mort

Mais, depuis le XVII° siècle, avec l’évolution des genres littéraires, qu’il s’agisse du drame romantique ou des formes complexes prises par le théâtre au XX° siècle, la mise en scène de la mort s’est profondément modifiée.

L'héritage antique

Pour en savoir plus sur le théâtre antique

La définition d’Aristote insiste sur « la constitution des faits, car la tragédie est une imitation non des hommes, mais des actions, de la vie, du bonheur et du malheur ». Vu que la tragédie grecque s’inspire largement des mythes dans lesquels les dieux imposent aux humains, souvent coupables d’« hybris », de démesure par rapport à la condition mortelle, une douloureuse fatalité, presque toutes les tragédies se terminent par une mort, souvent cruelle.

XI. Le point le plus important, c’est la constitution des faits, car la tragédie est une imitation non des hommes, mais des actions, de la vie, du bonheur et du malheur ; et en effet, le bonheur, le malheur, réside dans une action, et la fin est une action, non une qualité.

Aristote, Poétique, VI

Pour le philosophe, la tragédie se doit de montrer  « des actions ». L’antiquité ne recule pas devant le spectacle des cruautés, de la mort, et les Grecs utilisent déjà des « machines » qui, par exemple, permettent de faire descendre les dieux sur terre ou de faire apparaître un cadavre. Le théâtre romain va encore plus loin, en représentant des scènes de torture, de bûcher, d’assassinat, allant, par souci de vérité, jusqu’à remplacer l’acteur par un prisonnier, un esclave, un condamné à mort qui sera donc tué sous les yeux du public. C'est ce qu'évoque d'ailleurs Voltaire dans son Discours sur la tragédie, en 1730. 

« Les grecs ont hasardé des spectacles non moins révoltants pour nous. Hippolyte, brisé par sa chute, vient compter ses blessures et pousser des cris douloureux. Philoctète tombe dans ses accès de souffrance ; un sang noir coule de sa plaie. Œdipe, couvert du sang qui dégoutte encore du reste de ses yeux qu’il vient d’arracher, se plaint des dieux et des hommes. On entend les cris de Clytemnestre que son propre fils égorge, et Électre crie sur le théâtre : « Frappez, ne l’épargnez pas, elle n’a pas épargné notre père. » Prométhée est attaché sur un rocher avec des clous qu’on lui enfonce dans l’estomac et dans les bras. Les Furies répondent à l’ombre sanglante de Clytemnestre par des hurlements sans aucune articulation… L’art était dans son enfance du temps d’Eschyle comme à Londres du temps de Shakespeare. » 

Voltaire, Discours sur la tragédie, 1730

Mais Aristote ne nie pas le rôle du « langage rendu agréable » et la structure même de la tragédie conduit progressivement au dénouement. Nous pouvons alors observer les formes que prend le langage tragique dans son lien avec la mort. Beaucoup de pièces de l’antiquité déjà préfèrent le récit au spectacle direct : il permet de suggérer des images terrifiantes, en restituant mieux les sentiments éprouvés à la fois par la victime et par son meurtrier. Mais le texte tragique évoque aussi la mort avant même de la montrer. Elle est la menace qui plane sur le héros ou l’héroïne : ils peuvent alors, soit déplorer le sort qui les attend, soit l’affronter avec courage. Enfin, n’oublions pas que face à une victime, il y a souvent celui qui la mène à la mort : lui aussi peut exprimer ses  sentiments, notamment ses hésitations devant un tel acte, son dilemme. Autant de formes que nous retrouverons au XVII° siècle, époque où le théâtre français s’impose comme genre littéraire.

La mort dans la tragédie grecque : trois exemples

ESCHYLE, Agamemnon, 458 av. J.-C.

Cet  extrait représente de façon terrible à la fois la victime, le roi d’Argos, Agamemnon, et sa meurtrière, Clytemnestre.

Clytemnestre rappelle qu’elle « hait » cet époux, lui-même coupable, en raison de la malédiction qui pèse  sur les Atrides, du meurtre de sa fille Iphigénie, sacrifiée à la déesse Artémis pour que celle-ci permette à la flotte grecque, qu’il commande, de voguer vers Troie. « Il avait rempli le kratère de cette maison de crimes exécrables » présente son crime comme une vengeance légitime. Elle explique aussi sa perfidie : elle a fait semblant, à son retour des dix ans de guerre, de l’« aimer » pour pouvoir « l’envelopper dans un filet dont il ne puisse se dégager ».

Elle  décrit aussi le sort infligé à sa victime, soigneusement préparé : « j’ai frappé » est repris par « je l’ai frappé deux fois », puis « je l’ai frappé d’un troisième coup ». Son récit nous impose une image saisissante : « En râlant, il m’a arrosée d’un jaillissement de sa blessure, noire et sanglante rosée, non moins douce pour moi que ne l’est la pluie de Zeus pour les moissons, quand l’épi ouvre l’enveloppe. »

Je n’aurai point honte de démentir maintenant les nombreuses paroles que j’ai dites déjà, comme il convenait dans le moment. De quelle façon, en effet, préparer la perte de celui qu’on hait et qu’on semble aimer, afin de l’envelopper dans un filet dont il ne puisse se dégager ? À la vérité, il y a bien longtemps que je songe à livrer ce combat. J’ai tardé, mais le temps est venu. Me voici debout, je l’ai frappé, la chose est faite. Certes, je n’ai point agi avant qu’il ne lui fût impossible de se défendre contre la mort et de l’éviter. Je l’ai enveloppé entièrement d’un filet sans issue, à prendre les poissons, d’un voile très riche, mais mortel. Je l’ai frappé deux fois, et il a poussé deux cris, et ses forces ont été rompues, et, une fois tombé, je l’ai frappé d’un troisième coup, et Hadès, le gardien des morts, s’en est réjoui ! C’est ainsi qu’en tombant il a rendu l’âme. En râlant, il m’a arrosée d’un jaillissement de sa blessure, noire et sanglante rosée, non moins douce pour moi que ne l’est la pluie de Zeus pour les moissons, quand l’épi ouvre l’enveloppe. Voici où en sont les choses, Vieillards Argiens qui êtes ici. Réjouissez-vous, si cela vous plaît ; moi, je m’applaudis. S’il était convenable de faire des libations sur un mort, certes, on pourrait en faire à bon droit sur celui-ci. Il avait empli le kratèr de cette maison de crimes exécrables, et lui-même y a bu à son retour.

Eschyle, Agamemnon, 458 av. J.-C.

Au-delà de l’image sanglante, la comparaison du sang à de la « rosée » révèle sans doute le pire, la joie que ressent la criminelle et qu’elle tente de faire partager au chœur : « Vieillards Argiens qui êtes ici. Réjouissez-vous, si cela vous plaît ; moi, je m’applaudis. » Le public ne peut qu’être horrifié devant cette femme qui se  glorifie de son geste terrible.

SOPHOCLE, Antigone, 442 av. J.-C.

Ce court extrait précède le moment où Antigone va être emmenée vers la mort. Le roi Créon l’a, en effet, condamnée à être emmurée vivante pour n’avoir pas respecté son interdiction d’enterrer Polynice, son frère, jugé coupable d’avoir attaqué Thèbes pour reprendre à son frère Étéocle le pouvoir royal. Tous deux se sont entretués, mais Créon n’a accordé les honneurs funèbres qu’à Étéocle.

C’est ce qui explique le premier aspect du discours d’Antigone, qui se sent victime d’une injustice : « Et maintenant, Polynice, parce que j'ai enseveli ton cadavre, je reçois cette récompense. Mais je t'ai honoré, approuvée par les sages. » Elle explique longuement les raisons de cette désobéissance, et nous mesurons toute son amertume à travers ses trois questions désespérées, en gradation : « Quelle justice des Dieux ai-je violée ? Mais à quoi me sert, malheureuse, de regarder encore vers les Dieux ? Lequel appeler à l'aide, si je suis nommée impie pour avoir agi avec piété ? »

Ô sépulcre ! ô lit nuptial ! ô demeure creusée que je ne quitterai plus, où je rejoins les miens, que Perséphone a reçus, innombrables, parmi les morts ! La dernière d'entre eux, et, certes, par une fin bien plus misérable, je m'en vais avant d'avoir vécu ma part légitime de la vie. Mais, en partant, je garde la très-grande espérance d'être la bien venue pour mon père, et pour toi, Mère, et pour toi, tête fraternelle ! Car, morts, je vous ai lavés de mes mains, et ornés, et je vous ai porté les libations funéraires. Et maintenant, Polynice, parce que j'ai enseveli ton cadavre, je reçois cette récompense. Mais je t'ai honoré, approuvée par les sages. Jamais, si j'eusse enfanté des fils, jamais, si mon époux eût pourri mort, je n'eusse fait ceci contre la loi de la cité. Et pourquoi parlé-je ainsi ? C'est que, mon époux étant mort, j'en aurais eu un autre ; ayant perdu un enfant, j'en aurais conçu d'un autre homme ; mais de mon père et de ma mère enfermés chez Hadès jamais aucun autre frère ne peut me naître. Et, cependant, c'est pour cela, c'est parce que je t'ai honorée au-dessus de tout, ô tête fraternelle, que j'ai mal fait selon Créon, et que je lui semble très coupable. Et il me fait saisir et emmener violemment, vierge, sans hyménée, n'ayant eu ma part ni du mariage, ni de l'enfantement. Sans amis et misérable, je suis descendue, vivante, dans l'ensevelissement des morts. Quelle justice des Dieux ai-je violée ? Mais à quoi me sert, malheureuse, de regarder encore vers les Dieux ? Lequel appeler à l'aide, si je suis nommée impie pour avoir agi avec piété ? Si les Dieux approuvent ceci, j'avouerai l'équité de mon châtiment ; mais, si ces hommes sont iniques, je souhaite qu'ils ne souffrent pas plus de maux que ceux qu'ils m'infligent injustement.

Sophocle, Antigone, 442 av. J.-C.

Deux mouvements partagent alors cette tirade.

       Dans un premier temps, elle se livre à une douloureuse déploration face au sort terrible qui l’attend : « Ô sépulcre ! ô lit nuptial ! ô demeure creusée que je ne quitterai plus, où je rejoins les miens, que Perséphone a reçus, innombrables, parmi les morts ! La dernière d'entre eux, et, certes, par une fin bien plus misérable, je m'en vais avant d'avoir vécu ma part légitime de la vie. » Les exclamations, les hyperboles, le rythme de ces phrases renforcent le lyrisme de sa lamentation, qu’elle reprend plus loin : « Et il me fait saisir et emmener violemment, vierge, sans hyménée, n'ayant eu ma part ni du mariage, ni de l'enfantement. Sans amis et misérable, je suis descendue, vivante, dans l'ensevelissement des morts. » Le public ne peut qu’éprouver, comme le voulait Aristote, de la terreur devant cette mort lente et de la pitié pour l’héroïne.
       Mais elle change de ton dans la double hypothèse formulée à la fin de la tirade. Elle s’en remet d’abord aux dieux : « : « Si les Dieux approuvent ceci, j'avouerai l'équité de mon châtiment ». Mais l’ordre des hypothèses met en valeur la menace qu’elle lance, sûre d’avoir la justice de son côté : « mais, si ces hommes sont iniques, je souhaite qu'ils ne souffrent pas plus de maux que ceux qu'ils m'infligent injustement. » Malgré la litote, le public comprend parfaitement qu’il s’agit là d’une malédiction, que réalisera d’ailleurs le dénouement de la pièce puisque Hémon, son fiancé et fils de Créon, se tue sur le corps d’Antigone, que sa mère à son tour se suicide, et que Créon, devant cet horrible résultat, devient fou.

EURIPIDE, Iphigénie à Aulis, 405 av. J.-C.

Cet extrait d’Euripide donne une autre image de la mort à laquelle est condamnée Iphigénie, qui, alors qu’elle doit être sacrifiée à la déesse Artémis pour apaiser sa colère qui empêche le départ de la flotte grecque pour Troie, regarde en face son sort terrible et affirme son courage : « J'ai résolu de mourir : mais cette mort, je veux la rendre glorieuse, et bannir de mon cœur tous lâches sentiments. » La tirade qu’elle adresse à sa mère Clytemnestre, qui a tenté de faire intervenir le héros grec Achille pour empêcher la mort de sa fille, accumule les arguments qui ont motivé le choix d’Iphigénie et soutiennent son courage.

Elle mentionne d’abord ce que représente la guerre de Troie, une revanche du peuple grec contre les Barbares : « il dépend de moi que la flotte parte, que Troie soit détruite, et qu'à l'avenir les Barbares respectent les femmes grecques, sans plus oser jamais les ravir du sol fortuné de l'Hellade, quand ils auront expié l'enlèvement d'Hélène, le crime de Pâris. Voilà tout ce que doit assurer ma mort ». Avant sa propre personne, l’héroïne fait donc passer ce qu'elle doit à son pays en tant que princesse : « Tu m'as enfantée pour appartenir à l'Hellade entière, et non à toi seule. Eh quoi ! des milliers d'hommes couverts de boucliers, des milliers d'autres, la rame en main, aspirent à venger la patrie, à tenter quelque glorieuse entreprise contre l'ennemi, à mourir pour la Grèce : et ma vie, la vie d'une seule femme serait leur obstacle ? »

Or écoute, ma mère, à quelle pensée je me suis arrêtée après avoir réfléchi. J'ai résolu de mourir : mais cette mort, je veux la rendre glorieuse, et bannir de mon cœur tous lâches sentiments. Considère avec moi, ma mère, combien j'ai raison de parler ainsi. C'est sur moi que la puissante Grèce tout entière a les yeux fixés en ce moment : il dépend de moi que la flotte parte, que Troie soit détruite, et qu'à l'avenir les Barbares respectent les femmes grecques, sans plus oser jamais les ravir du sol fortuné de l'Hellade, quand ils auront expié l'enlèvement d'Hélène, le crime de Pâris. Voilà tout ce que doit assurer ma mort ; et la délivrance de la Grèce sera mon éternel titre de gloire. Et puis, ai-je le droit d'aimer à ce point la vie ? Tu m'as enfantée pour appartenir à l'Hellade entière, et non à toi seule. Eh quoi ! des milliers d'hommes couverts de boucliers, des milliers d'autres, la rame en main, aspirent à venger la patrie, à tenter quelque glorieuse entreprise contre l'ennemi, à mourir pour la Grèce : et ma vie, la vie d'une seule femme serait leur obstacle ? Que répondre justement à ces raisons ? En voici une autre. Il ne faut pas que cet homme entre en lutte avec tous les Grecs à cause d'une femme, ni qu'il meure : la vie d'un seul homme est plus précieuse que celle de mille femmes. Et, si Artémis demande mon sang, ferai-je obstacle, moi simple mortelle, à la volonté d'une déesse ? Non, c'est impossible. Je donne ma vie à la Grèce. Immolez-moi, renversez Troie ! Voilà ce qui rappellera mon nom à jamais, voilà mes enfants, mon hymen, et ma gloire.

Euripide, Iphigénie à Aulis, 405 av. J.-C.

Le contexte de la Grèce antique explique aussi les deux derniers arguments. Son refus de la mort risquerait de porter tort à celui qui la protège, Achille, et serait également une offense à la volonté divine : « Il ne faut pas que cet homme entre en lutte avec tous les Grecs à cause d'une femme, ni qu'il meure : la vie d'un seul homme est plus précieuse que celle de mille femmes. Et, si Artémis demande mon sang, ferai-je obstacle, moi simple mortelle, à la volonté d'une déesse ? Non, c'est impossible. »

Enfin, sa tirade met en évidence un sentiment que nous retrouverons dans de nombreuses tragédies du XVII° siècle, le souci de sa « gloire », la volonté de mourir de la façon la plus honorable qu’il soit : « mais cette mort, je veux la rendre glorieuse », déclare-t-elle dès le début, et elle répète plus loin « la délivrance de la Grèce sera mon éternel titre de gloire ». Elle a conscience du rôle qu’elle joue, de ce qu’elle représente : « C'est sur moi que la puissante Grèce tout entière a les yeux fixés en ce moment ». Mais, plus encore, sa conclusion, appel à la mort avec les impératifs redoublés, insiste sur la dimension immortelle que lui donnera son courage : « Immolez-moi, renversez Troie ! Voilà ce qui rappellera mon nom à jamais, voilà mes enfants, mon hymen, et ma gloire. »

L'évolution de la représentation de la mort

Le XVIIème siècle : Le théâtre prend son essor en France au XVII° siècle, en puisant ses intrigues, notamment pour la tragédie, chez les auteurs de l’antiquité. Les pièces, se faisant l’écho d’une époque troublée, entre les guerres de religion et les conflits de pouvoir, ne reculent pas, au début du siècle, devant la violence, montrée sur scène. Elles s’inscrivent dans le courant baroque, en représentant l’instabilité de la condition humaine, promise à la mort.

Pour en savoir plus sur le baroque et le classicisme

Le Roi-Soleil

Mais, le cardinal de Richelieu, sous le règne de Louis XIII, veut imposer une autorité politique, qui va s’exercer aussi sur la littérature. En 1635, il crée, par exemple, l’Académie française, qui a pour rôle de fixer les règles de la langue, et de juger de la valeur des textes. Ce désir d’ordre s’accentue avec la monarchie absolue sous Louis XIV, et, lié à un raffinement croissant dans les mœurs et les pratiques sociales, des théoriciens, tels Vaugelas ou Chapelain, fixent des règles strictes pour la tragédie. Elles concernent à la fois le déroulement de l’intrigue, mais aussi le sujet même des pièces, pour celles dites « des bienséances ». Il s’agit de ne choquer le public, ni visuellement ni moralement.

Cela constitue une réelle contrainte pour les auteurs, qui, de ce fait, privilégient, soit ce qui précède ou suit la mort, soit des récits pour l'évoquer. Mais l’ensemble de ces règles contribue à fonder ce que l’on nomme le « classicisme ».

Le XIXème siècle : Une importante rupture intervient au XIX° siècle, avec la naissance du drame romantique, théorisé, entre autres, par Victor Hugo dans sa Préface de Cromwell, en 1827. Il en pose d’abord une définition, qui nie immédiatement la notion de « bienséance », au nom du primat de la « réalité ».

Dans le drame, tel qu’on peut, sinon l’exécuter, du moins le concevoir, tout s’enchaîne et se déduit ainsi que dans la réalité. Le corps y joue son rôle comme l’âme ; et les hommes et les événements, mis en jeu par ce double agent, passent tour à tour bouffons et terribles, quelquefois terribles et bouffons tout ensemble. 

V. Hugo, Cromwell, Préface, 1827

 Il résulte de là que tout ce qui est trop caractéristique, trop intime, trop local, pour se passer dans l’antichambre ou dans le carrefour, c’est-à-dire tout le drame, se passe dans la coulisse. Nous ne voyons en quelque sorte sur le théâtre que les coudes de l’action ; ses mains sont ailleurs. Au lieu de scènes, nous avons des récits ; au lieu de tableaux, des descriptions. De graves personnages placés, comme le chœur antique, entre le drame et nous, viennent nous raconter ce qui se fait dans le temple, dans le palais, dans la place publique, de façon que souventes fois nous sommes tentés de leur crier : « Vraiment ! mais conduisez-nous donc là-bas ! On s’y doit bien amuser, cela doit être beau à voir ! » 

Outre la critique des règles d’unité de temps et de lieu, il insiste sur le principal inconvénient de cette dernière. Le drame romantique dans son désir de vérité remet donc la mort en scène. Même dans une pièce sous-titrée par son auteur « comédie », Les Caprices de Marianne, datant de 1833, Musset nous fait assister, même si l’acte est rapide, à l’assassinat du héros Cœlio, et la dernière scène se déroule devant son tombeau.

Le XXème siècleÀ la fois en raison du contexte historique, les deux guerres mondiales, la guerre froide, la décolonisation, et des nouveaux courants d’idées, l’Absurde, l’existentialisme, le théâtre du XX° siècle accorde une place prépondérante au thème de la mort. Les auteurs font du théâtre une tribune pour leur engagement politique ou leurs conceptions philosophiques. Ils nous montrent, par exemple, des tyrans qui répandent la mort autour d’eux, mais mettent aussi en scène les pulsions, morbides ou criminelles, souvent venues des profondeurs de l’inconscient, qui peuvent conduire tout être à se transformer en meurtrier. Mais la distinction traditionnelle entre le tragique et le comique, déjà mise à mal par le drame romantique, s’efface. Par l’émotion violente suscitée aussi bien que par le rire, il s’agit toujours de conduire le spectateur à regarder en face la façon dont l’homme accepte – ou refuse – la confrontation à sa condition mortelle.

 Présentation du corpus : du XVII° au XX° siècle

isaac de Benserade

Isaac de Benserade

Au XVII° siècle

 

BENSERADE, Cléopâtre, III, 2 : Isaac de Benserade a tout juste dix-huit ans quand il fait représenter, en 1635, sa première pièce, Cléopâtre, qui lui vaut l’appui du cardinal de Richelieu, et un grand succès. L’action de la pièce se situe au moment où s’achève le conflit entre Octave et Marc-Antoine pour le pouvoir qu’ils se sont, à l’origine, partagé. Antoine, ayant reçu l’orient, s’assure de l’appui de la reine Cléopâtre, dont il est devenu l’amant, puis l’époux. Mais Octave accentue son emprise sur l’Égypte… Antoine se juge perdu, d’autant plus qu’il croit en la mort de la reine, faussement annoncée. Quelle décision prendra-t-il pour échapper au déshonneur ?

Corneille, Racine et Molière

Corneille, Racine et Molière

CORNEILLE, Horace, IV, 5 : Corneille emprunte l’intrigue de sa pièce, jouée en 1640, à l’historien romain Tite-Live. La guerre oppose Rome à Albe, et, pour la terminer, chaque ville choisit trois guerriers, les Horaces pour Rome, les Curiaces pour Albe : ils vont s’affronter pour la victoire. La situation est rendue plus dramatique encore par l’intrigue amoureuse qui s’y ajoute : Horace est marié à Sabine, sœur de Curiace, lui-même fiancé à Camille, sa belle-sœur. À l’issue du combat, Horace remporte la victoire : il a vengé la mort de ses deux frères en tuant les trois Curiaces.

Il se présente en triomphateur devant Camille, mais celle-ci, désespérée par la perte de celui qu’elle aime, laisse éclater sa colère. Comment Corneille construit-il cette scène de conflit qui conduit au meurtre de son héroïne ?

MOLIÈRE, Dom Juan, V, 4,5 et 6 : La représentation, en 1665, de Dom Juan, comédie de Molière, fait suite à l’interdiction de la pièce précédente, Le Tartuffe (1664), en raison de la « cabale des dévots » qui s’indignent de voir caricaturée sur scène l’hypocrisie religieuse. Leurs attaques menacent aussi Dom Juan, et, dès la deuxième représentation Molière modifie certains passages. En reprenant ce personnage de grand seigneur séducteur sans scrupules, déjà mythique, il insiste, en effet, sur le libertinage qu’il affiche, et, quand son héros joue les hypocrites, il ne s’en cache pas. Quelle réponse le dénouement de cette comédie apporte-t-il aux provocations adressées par Dom Juan au « Ciel » ?

RACINE, Mithridate, V, 5 : Si Racine emprunte souvent le sujet de ses pièces à la mythologie grecque, Mithridate, tragédie datant de 1672, prend sa source dans l’histoire de Rome, dont ce roi du Pont a été un ennemi reconnu. Il met en scène la rivalité de ses deux fils, Pharnace et Xipharès, à la fois pour hériter de son royaume et pour conquérir Monime, que leur père doit épouser : celui-ci, pour éprouver leur fidélité, a fait croire à sa mort. Au dénouement, les Romains, suite à la trahison de Pharnace, menacent le palais, et Mithridate choisit le suicide, alors même que Xipharès les a repoussés et que Monime, que le roi voulait punir de son amour sincère pour Xipharès, a appris, avant de prendre le poison qui lui avait été remis, que son amant était sain et sauf. Quel sens les dernières paroles de ce roi, agonisant sur scène, donnent-elles à sa mort ?

RACINE, Iphigénie, IV, 8 : La tragédie de Racine, Iphigénie, jouée en 1673, est inspirée par le mythe grec de la guerre de Troie, déjà illustré dans l’antiquité par Eschyle et Euripide. La flotte grecque, réunie à Aulis sous le commandement du roi Agamemnon, s’apprête à voguer vers Troie pour reprendre Hélène, épouse de Ménélas, frère du roi, enlevé par le prince troyen Pâris. Mais la déesse Artémis suspend les vents, et un oracle a annoncé que, pour apaiser sa colère, le sacrifice d’une « fille du sang d’Hélène » est exigé, c’est-à-dire Iphigénie, la propre fille d’Agamemnon. Si la reine Clytemnestre et son fiancé, le héros Achille, s’opposent avec force à la mort de la princesse, celle-ci, face à son père, se résigne à son sort. Mais, au moment de donner l’ordre du sacrifice, le roi est déchiré. Comment ce monologue présente-t-il ce douloureux dilemme, dont l’enjeu est la mort ?

RACINE, Phèdre, V, 6 : La tragédie de Racine, Phèdre, jouée en 1677, montre le poids de la fatalité qui pèse sur l’héroïne, épouse du roi Thésée, qui brûle d’un amour coupable pour son beau-fils Hippolyte. Après le lui avoir avoué, et avoir subi son rejet, le retour de Thésée, qu’on croyait mort, constitue un coup de théâtre qui met en place un engrenage fatal. Le roi, informé d’une prétendue trahison de son fils, qui ne se défend pas clairement, lance contre lui une terrible malédiction, et Phèdre, jalouse de l’amour d’Hippolyte pour la captive Aricie, n’intervient pas. Théramène, gouverneur d’Hippolyte, raconte à son père, en un long récit, l’exécution de cette malédiction. Comment ce récit, par la scène saisissante qu’il décrit,  met-il en valeur la mort du héros ?

Au XIX° siècle

Victor Hugo en 1827

HUGO, Hernani, V, 6 : Quand Hugo fait représenter Hernani ou l'Honneur castillan, le 25 février 1830, une véritable « bataille » éclate entre partisans du théâtre classique et jeunes artistes romantiques. La pièce s’impose comme un modèle du drame romantique à la fois par le choix de son sujet et de ses personnages, par sa rupture avec les règles d’unités de temps, de lieu, de bienséances, et par un style qui brise le noble équilibre de l’alexandrin. Le dénouement du drame regroupe trois des protagonistes, Hernani et Doña Sol, tout récemment mariés, et Don Ruy Gomez, lui-même épris de la jeune femme. Il vient demander à Hernani de remplir sa promesse d’offrir sa vie à Don Ruy, qui la lui a précédemment sauvée, au moment où celui-ci viendra l’exiger. En quoi la façon dont Hugo met en scène la mort représente-t-elle une rupture par rapport à la tradition de la tragédie classique ?

Victor Hugo, en 1827

HUGO, Ruy Blas, V, 4 : Comme dans Hernani, Hugo choisit l’Espagne comme cadre de Ruy Blas, drame romantique joué en 1838, dans lequel il entrecroise à nouveau les intrigues politique et amoureuse. Y figurent trois personnages principaux, dignes du mélodrame, l’indigne traître, « le tigre », Don Salluste qui, pour se venger de la reine, se sert de l’amour secret de son laquais, « le lion », Ruy Blas, pour celle-ci. Ruy Blas, sous le nom de Don César de Bazan, cousin de Don Salluste, entreprend une ascension politique et, devenu premier ministre, peut partager son amour avec la Reine,  Mais l’acte V dévoile la machination : après avoir organisé un rendez-vous entre les amants, Don Salluste lance une terrible menace contre la reine en la menaçant de révéler son indigne liaison avec son « laquais »… Pour sauver l’honneur de sa bien-aimée, Ruy Blas n'a d’autre solution que d’éliminer le traître, puis, ultime preuve d’amour, de se tuer en implorant son pardon. Comment ce dénouement, en dénouant par la mort du héros une horrible machination, révèle-t-il la puissance de l’amour ?

Au XX° siècle

MUSSET, Lorenzaccio, IV, 11 : C’est à une œuvre  de George Sand, avec laquelle il entretient une liaison passionnée, que Musset emprunte le sujet de son drame romantique, publié en 1834. Celle-ci s’était elle-même inspirée d’une chronique de la vie florentine sous la Renaissance pour composer Une Conspiration en 1537. Il plonge ainsi dans les événements politiques troublés de cette époque pour mettre en place l’image touchante et complexe d’un héros qui rêve de devenir un nouveau Brutus en tuant le duc Alexandre de Médicis, tyran débauché qui opprime la ville. Pour apaiser la méfiance de celui-ci, Lorenzo a choisi de partager sa vie corrompue… jusqu’au jour du meurtre. Mais cet assassinat libérera-t-il la ville? Comment Musset représente-t-il cette scène de meurtre et son héros ?

SARTRE, Les Mouches, II, 7 : En reprenant le mythe des Atrides dans Les Mouches, jouée en 1943, Sartre infléchit le sens du double meurtre commis par Oreste, celui de sa mère, Clytemnestre, et de l’amant de celle-ci, Égisthe. Électre, la sœur d’Oreste, nourrit le même désir que son modèle antique de venger la mort de son père, le roi d’Argos, Agamemnon, et attend avec impatience le retour de son frère, qu’elle a sauvé de la mort quand il était bébé.

Genet, Sartre et Ionesco

Mais, contrairement à l’héroïne antique, elle le pousse avec bien davantage de force au matricide, et au meurtre d'd’Égisthe, dont elle a découvert qu'il était l'amant et le complice de sa mère. Pourtant, le moment venu, elle refuse de s’y associer. Ainsi, comment expliquer ses réactions contrastées face au cadavre d’Égisthe et alors même que le matricide se déroule dans les coulisses ?

GENET, Les Bonnes, le monologue de Solange : Sartre résume ainsi Les Bonnes, pièce de Genet jouée en 1947 : « Deux bonnes aiment et haïssent à la fois leur patronne. Elles ont dénoncé l'amant de celle-ci par des lettres anonymes. Apprenant qu'on va le relâcher, faute de preuves, et que leur trahison sera découverte, elles tentent une fois de plus d'assassiner Madame, échouent, veulent s'entre-tuer ; finalement, l'une d'elles se donne la mort, et l'autre, seule, ivre de gloire, tente de s'égaler par la pompe de ses attitudes et de ses paroles au destin magnifique qui l'attend. » (Saint-Genet, comédien et martyr). Au-delà du fait divers qui inspire Genet, l’affaire des sœurs Papin en 1933, l’intérêt de la pièce est bien l’effrayante relation qui se noue entre les deux sœurs, et entre elles et « madame », leur maîtresse, et qui les conduit à répéter un tragique jeu de rôles. À la fin de la pièce, une fois de plus, Solange « l’étrangleuse » mime son crime dans un long récitatif, face à sa sœur Claire jouant « Madame ». Quels fantasmes révèlent ses cris d’amour, de haine, de gloire ?

IONESCO, La Leçon, le meurtre : Après l’échec de la première pièce d’Ionesco, La Cantatrice chauve, en 1950, qui déconcerte le public, la seconde, La Leçon, en 1951, n’obtient guère plus de succès. Pourtant, toutes deux signent la naissance d’un nouveau théâtre, qu’on nommera « Théâtre de l’Absurde » : il recourt au comique, un comique caricatural poussé jusqu’au burlesque le plus grinçant, pour dire le tragique de l’existence, notamment l’impossibilité de communiquer et la pulsion de mort, inhérente à l'homme. Il refuse, de ce fait, de s’attacher à la traditionnelle psychologie des personnages. C’est aussi la mise en scène qui se modifie : Ionesco multiplie les indications de décor et de jeu d’acteur, comme dans la scène de meurtre qui vient clore cette étrange leçon. Comment la progression dramatique, en distordant la relation entre l’élève et le professeur, amène-t-il celui-ci à basculer dans une folie meurtrière ?

IONESCO, Le Roi se meurt, le dénouement : C’est en 1962 qu’est créée Le Roi se meurt, pièce d’Eugène Ionesco représentative de ce que l’on a nommé « Théâtre de l’Absurde ». Le plus « absurde » n’est-il pas, avant tout, que l’homme ne soit terre que pour être promis à la mort ? Le titre de la pièce en  indique le thème, mais ce « roi » est, en fait, chaque être humain, « roi » dans sa vie, « roi » dans son royaume. Le personnage, placé face à l’annonce de sa mort, traverse d’abord un temps de déni, puis se révolte, enfin, peu à peu, aidé par la reine Marguerite, se résigne et accepte d’assumer sa peur. Ionesco avait envisagé initialement un autre titre « La cérémonie », qui nous invite aussi à tenir compte aussi de tous les rituels qui entourent la mort, notamment l’ultime moment. Comment le « dénouement » met-il en scène ce temps du passage où l’homme doit  renoncer à la vie pour entrer dans la mort ?

Confidences et aveux au théâtre : du XVII° au XX° siècle

Le théâtre : un monde d'illusions

 

Dans l’antiquité, tant en Grèce qu’à Rome, les acteurs portent des masques, qui permettent d'identifier immédiatement leur rôle, et qui servent également de porte-voix. Dans les tragédies, ils revêtent un costume qui renforce la solennité de leur jeu : longue robe drapée, large ceinture, et des chaussures surélevées, les cothurnes. Dans la comédie, les acteurs sont vêtus d'un costume grotesque.

Pour en savoir plus sur les masques antiques

Esclave, masque comique, IIème siècle av. J.-C.. Musée archéologique d"Athènes
Jeune homme, masque tragique de Myrina, II-Ier siècle av. J.-C.. Musée du Louvre, Paris

Jeune homme, masque tragique de Myrina, II-Ier siècle av. J.-C.. Musée du Louvre, Paris

Esclave, masque comique, IIème siècle av. J.-C.. Musée archéologique d"Athènes

Confidences-aveux

Pour en savoir plus sur le théâtre antique

Ainsi lié aux masques, le théâtre antique affirme une des caractéristiques qui se prolongera dans les siècles ultérieurs : le personnage mis en scène relève de la fiction. Souvent archétypal, il illustre avant tout une fonction dramatique que le public devra « démasquer » à travers ses paroles, la gestuelle et les intonations de l’acteur. Pour dire la vérité des caractères, des mœurs, le théâtre crée l’illusion, d’où l’importance des aveux et des confidences qui la brisent.

Arlequin, masque  créé par Bernard Faraudou

Arlequin, masque  créé par Bernard Faraudou

Dans le théâtre occidental, nous retrouvons le masque dans la commedia dell’arte, né vers 1500 en Italie, portés par des personnages, ici aussi stéréotypés, tels Arlequin et Brighella, Polichinelle ou Matamore… Il s’agissait d’improviser une représentation comique sur une trame simple, en multipliant les farces, les plaisanteries, jusqu’à l’obscénité parfois, mais aussi les acrobaties et les pirouettes en tout genre. Cependant, le sujet était si simple qu’il n’était guère besoin de « démasquer », le masque suffisant alors à faire jaillir la vérité. Notons que les personnages d’amoureux et les jeunes filles ne portaient pas de masque, comme s’ils exprimaient sans fard la vérité des cœurs dans un monde où tout le reste, pères avares, valets fourbes, soldats fanfarons…, n’était que ruse et hypocrisie.

Scaramouche, masque  créé par Bernard Faraudou

Scaramouche, masque  créé par Bernard Faraudou

Or, jusqu’en 1697 où le roi les expulsa du royaume pour avoir fait jouer une pièce, La fausse prude qui caricaturait Mme de Maintenon, les comédiens italiens ont influencé le théâtre comique du XVII° siècle, celui de Molière par exemple, en léguant des personnages, tels les valets, l’ingénue ou le docteur, repris dans de nombreuses pièces encore au XVIII° siècle

Pour devenir comédien : Matières principales enseignées à l'École Internationale de Théâtre Jacques Lecoq à Paris.

PREMIÈRE ANNÉE : Préparation corporelle et vocale - Acrobatie, jonglage, combat - Analyse des mouvements - Mime d'action - Jeu et rejeu de la vie quotidienne - Le masque neutre (calme, silence, équilibre) - Foire aux masques (chaque élève crée un masque) - Masques expressifs. - Création de personnages (situations, comportements, passions...) - Approche de la poésie, de la peinture, de la musique.

Pour en savoir plus sur les masques de la commedia dell'arte

Même si le masque peut subsister dans des mises en scène contemporaines – par exemple quand Mnouchkine l’emprunte au théâtre japonais Nô pour ses Atrides, en 1993 – il a été remplacé par une autre forme d’illusion, le maquillage qui permet à l’acteur de s’approprier l’identité du personnage qu’il joue. À nouveau, l’illusion se montre sur la scène, jusqu’à ce que le discours permette d’accéder à la vérité.

Le jeu des masques, École Internationale de Théâtre Jacques Lecoq à Paris

Le jeu des masques, École Internationale de Théâtre Jacques Lecoq à Paris

De l’intrigue à sa mise en scène, tout est illusion au théâtre. Faux semblant des décors, en carton-pâte, fausses épées et faux sang parfois, bruitages et effets techniques, et, bien sûr, jeu des acteurs, tout y est fabriqué, artifice dans la comédie comme dans la tragédie.

Les intrigues, elles aussi, se plaisent à « masquer », par exemple quand un personnage se cache pour surprendre une conversation, comme Néron dans Britannicus, ou quand certains se déguisent pour arriver à leurs fins, comme dans tant de comédies de Marivaux… Parfois même, le « masque » est le ressort même de l’intrigue : dans Mithridate de Racine, le roi fait faussement annoncer sa mort pour savoir la vérité sur ses fils, sur leurs amours et leur loyauté. Sans oublier le mensonge délibéré, qui constitue le fondement même de l’intrigue, par exemple dans L’Illusion comique de Corneille, ou qui la dénoue, telle, dans Phèdre de Racine,  la fausse accusation d’Hippolyte, formulée par Œnone à Thésée qui, en maudissant son fils, le conduit à la mort.

Mais, en introduisant ainsi le trouble, aussi bien la comédie que la tragédie exigent, pour le dénouement, que l’ordre soit rétabli : il convient de lever l’illusion, et tel est notamment le rôle assigné aux confidences et aux aveux, si fréquents au théâtre, et indispensables pour faire naître la vérité.

Confidences et aveux

 

Par son étymologie latine, le verbe « con-fidere », le mot « confidence » traduit l’idée de faire confiance à quelqu’un, de se fier à son honnêteté, à sa compréhension, pour décider de lui communiquer un secret, ou, à tout le moins, de lui faire part de pensées cachées aux autres. Ainsi, la confidence fait passer du non-dit au dit, le langage devenant alors le révélateur d’une vérité intérieure.

Du latin « ad-vocare », le verbe « avouer », à l’origine dans le sens de convoquer, a pris très vite un sens juridique : « avoir recours à qqn comme avocat, comme défenseur ». L’aveu, déclaration écrite ou verbale par laquelle on reconnaît avoir fait ou fait quelque chose, se charge donc d’une connotation péjorative que le christianisme, avec le rite de la confession, n’a fait qu’accentuer. L’aveu implique le sentiment d’une faute commise, d’un acte condamnable, et, souvent, s’associe au regret, voire au pardon selon le proverbe : « Faute avouée est à moitié pardonnée. » Le terme a pris également un sens plus large : on avoue son amour, on avoue qu’il a raison, on avoue avoir écrit un ouvrage. La notion de faute s’efface alors, pour être remplacée par celle de vérité. Le terme aveu, lui aussi passage du non-dit au dit, devient, de ce fait, le passage du mensonge à la vérité, de l’acte nié à l’acte assumé.

Marivaux, La double Inconstance. Mise en scène d’Anne Kessler à la Comédie-Française, 2016

Marivaux, La double Inconstance. Mise en scène d’Anne Kessler à la Comédie-Française, 2016

Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson. Illustration pour Phèdre, I, 3 , 1824 : les confidences de Phèdre à Œnone

Problématique

 

Le destinataire de la confidence

Attesté dès le XIV° siècle, l’italien « confidente » désignait celui qui, dans un duel, servait de second, preuve absolue de confiance. Au théâtre, le – ou la – « confident » est devenu un rôle à part entière, car, puisque, contrairement au roman, aucun  narrateur ne peut intervenir, il est indispensable pour permettre au spectateur de connaître la psychologie du personnage, de comprendre ses réactions intimes. Il est devenu d’autant plus indispensable au XVII° siècle que le théâtre classique pose la règle de bienséance, qui oblige une femme à ne pas se trouver seule avec un homme,, et, surtout, celle de l’unité de temps. Comme l’intrigue doit entrer dans le cadre des 24 heures, l’auteur doit fournir une sorte de bilan du passé et de l’état psychologique du personnage. Quoi de plus utile alors qu’un confident, notamment lors de l’exposition, car l’information est présentée de façon plus vraisemblable dans cet échange que par un monologue ?

Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson. Illustration pour Phèdre, I, 3 , 1824 : les confidences de Phèdre à Œnone

Le confident est un proche, une nourrice, un gouverneur,  un valet ou une servante, un ami fidèle. Oreille attentive, plutôt passif à l’origine, le rôle du confident a été peu à peu développé. Il s’est trouvé doté d’une véritable psychologie et, surtout, il va prendre une part de plus en plus active à l’action : que fera-t-il des confidences qui lui auront été confiées ?

À qui avoue-t-on ?

Pour que la « confidence » se change en « aveu », il faut que le personnage éprouve le sentiment de commettre une faute, de transgresser une loi (sociale, morale…) ou un interdit. La personne à laquelle on avoue est donc celle devant laquelle on se reconnaît coupable, celle même à laquelle on a fait du tort – la victime de la transgression – ou celle dont le regard fait prendre conscience de la transgression. En avouant, on se place face à elle en position d’infériorité, en admettant qu’elle a le droit de juger, voire de condamner.

Fonction dramatique de la confidence et de l’aveu

Le théâtre est la combinaison de trois éléments :

        une action dramatique, l’intrigue, qui progresse d’un état initial (l’exposition) à un état final (le dénouement) à travers des « péripéties » ;

          des « caractères », les personnages, dont la psychologie évolue au cours de l’intrigue ;

        un langage (dialogue ou monologue – réplique ou tirade – aparté et stichomythie…) qui, à la fois permet à l’intrigue de progresser et à la psychologie des personnages de se révéler.

Dans les extraits étudiés, il conviendra donc de s’interroger sur le rôle que jouent la confidence et l’aveu dans ces trois domaines, dans quelle mesure ils participent à l’élaboration de la pièce, révèlent les caractères, et lui donnent son sens.

Pourquoi se confier ? Pourquoi avouer ?

Le seul fait de « dire » peut avoir des causes multiples. Il peut d’abord être, bien évidemment, un moyen de demander de l’aide à travers le fait de partager avec autrui un secret, une douleur, une faute.

Parfois, le fait de rompre le silence peut aussi jouer un rôle de catalyseur : la parole provoque des réactions que le personnage souhaitait, au fond de lui-même, voir se produire.

Enfin, cela peut être une « catharsis », pour reprendre le terme d’Aristote, une « purgation des passions ». En libérant la parole, on libère les forces du mal cachées en soi. On cherche donc à accéder à une forme de pureté intérieure, l’aveu lavant la faute, pour reprendre le rôle de la confession catholique.

 Présentation du corpus : du XVII° au XX° siècle

Molière et Racine

Molière et Racine

Au XVII° siècle

 

MOLIÈRE, Dom Juan, V, 2 : La représentation, en 1665, de Dom Juan ou le Festin de pierre, comédie de Molière, fait suite à l’interdiction de sa pièce précédente, Le Tartuffe ou l'Imposteur (1664), en raison de la « cabale des dévots » qui s’indignent de voir caricaturée sur scène l’hypocrisie religieuse. Pourtant Molière, quoique plus prudemment, reprend ce thème un an après, et notamment à l'acte V, quand, après avoir feint le repentir et la dévotion devant son père, Dom Louis, Dom Juan enlève son masque devant son valet, Sganarelle. Comment cet aveu, en complétant le portrait du libertin, révèle-t-il aussi le rôle social joué par l’hypocrisie religieuse ?

MOLIÈRE, Les Fourberies de Scapin, II, 3 : Les Fourberies de Scapin, pièce jouée en 1671, est une des dernières comédies de Molière, deux ans avant sa mort, qui renoue avec la tradition de la farce. Nous en retrouvons toutes les caractéristiques, valets fourbes, maîtres ridicules par leur naïveté et leurs obsessions monomaniaques, mariages contrariés… et dénouement heureux permis par une reconnaissance d’enfants, comme dans tant de comédies de l’antiquité ! Molière revient aussi à une satire plus traditionnelle, et c’est surtout la mise en œuvre du comique qui soutient l’intérêt de l’intrigue. Comment  s’articulent les différentes formes de comique dans ce face-à-face entre le valet Scapin et les deux jeunes gens qu’il a accepté d’aider ?

RACINE, Phèdre, quatre aveux : En 1677, Racine fait représenter Phèdre, inspirée de deux tragédies antiques : Hippolyte, de l’auteur grec Euripide, et Phèdre, de l’auteur latin Sénèque.

Il y met en  scène le poids de la fatalité qui pèse sur l’héroïne, épouse du roi Thésée, qui brûle d’un amour coupable pour son beau-fils Hippolyte. Il la montre déchirée entre sa passion violente pour lui, et sa conscience qui juge sévèrement cet amour interdit.  Cette passion, longtemps tenue secrète, éclate au grand jour quand elle l'avoue à sa confidente Œnone d'abord, puis à son beau-fils, enfin à son époux lors du dénouement.

Marivaux

Marivaux

Au XVIII° siècle

 

MARIVAUX, Le Jeu de l'amour et du hasard, II, 12 : L’originalité de cette comédie en trois actes, jouée en 1730 par les Comédiens italiens, vient du double jeu des déguisements, procédé déjà utilisé par Marivaux dans L’Île des esclaves, en 1725. Mais ici, l’échange des costumes entre les maîtres, Dorante et Silvia, et les serviteurs, Lisette et Arlequin, n’a pas pour but de dénoncer les abus des maîtres, mais de montrer la naissance de l’amour dans la vérité des cœurs en dépassant les convenances propres au statut social. Mais, vu que les deux maîtres ignorent le stratagème, la découverte qu’ils aiment malgré l’écart de leur condition ne peut que les bouleverser. C’est Dorante qui, le premier, choisit de se démasquer face à celle qu’il croit être Lisette. Comment ce dialogue, en révélant une partie de la vérité, illustre-t-il le titre de la pièce ? 

MARIVAUX, Les fausses Confidences, II, 15 : Les fausses Confidences, dernière comédie en trois actes de Marivaux, jouée en 1737, repose sur la manipulation organisée par Dubois, valet d’Araminte, une riche veuve, pour amener sa maîtresse à épouser son ancien maître Dorante,  éperdument amoureux d’elle mais désargenté. Mais comment amener Araminte à transgresser l’écart social ? Dubois utilise l’appui de l’oncle de Dorante, le procureur monsieur Rémy, pour faire entrer le jeune homme chez Araminte comme intendant. Puis, il tisse autour de lui un tissu de « fausses confidences » qui éveillent l’intérêt d’Araminte et font naître en elle l’amour. Enfin, Dubois lui révèle l’amour désespéré qu’éprouve Dorante pour elle… mais celui-ci garde le silence. Comment Araminte, en entrant à son tour dans un jeu de « masques », conduit-elle Dorante à lui avouer ses sentiments ?

MARIVAUX, Les fausses Confidences, III, 12 : Les "fausses confidences" se sont mulitpliées dans la comédie en trois actes de même nom de Marivaux, jouée en 1737 par les Comédiens italiens. Chaque personnage en a pris sa part, et surtout Dubois, valet d'Araminte et ancien valet de Dorante, qui a mis tout son art de la manipulation au service de son ancien maître. Sincèrement amoureux d'Araminte, jeune et riche veuve, Dorante, devenu son intendant, a pu lui avouer son amour et, si celle-ci le rejette, c'est davantage en raison des convenances sociales, de l'écart entre leurs conditions, que parce que son cœur ne répondrait pas à ses sentiments. Dans le troisième acte, elle est peu à peu amenée à voir clair en son cœur. Dans cette avant-dernière scène de la pièce, comment le double aveu de Dorante et d'Araminte permet-il à l'intrigue de se dénouer? 

BEAUMARCHAIS, Le Mariage de Figaro, V, 7 (extrait) : Le Mariage de Figaro, comédie de Beaumarchais, composée en 1778 mais jouée seulement en 1784, après une longue censure, porte bien son sous-titre, « La folle journée » : de multiples péripéties s’enchaînent sur un rythme effréné. Mais son  intrigue reste simple. Suzanne, suivante de la comtesse Almaviva, doit épouser le soir même le valet Figaro. Mais le comte Almaviva veut obtenir le « droit du seigneur », c’est-à-dire ses faveurs avant la nuit de noces. Suzanne avertit sa maîtresse et son fiancé. Pour ramener à elle son époux,  la comtesse décide de se déguiser et de prendre la place de Suzanne lors d’un rendez-vous que celle-ci a fixé au Comte, dans le jardin, à la tombée de la nuit. Mais Figaro, qui ignore la supercherie, a vu le billet glissé par Suzanne au Comte, et il assiste à la scène, tout comme Suzanne, tous deux dissimulés. Quel ton prend alors l’aveu d’amour du Comte, trompé par le jeu que joue son épouse ?  

J.-M. Nattier, Portrait de Beaumarchais, 1755. Huile sur toile, 82,3 x 64,5. Coll. particulière, Londres

J.-M. Nattier, Portrait de Beaumarchais, 1755. Huile sur toile, 82,3 x 64,5. Coll. particulière, Londres

Portrait de Musset

Portrait de Musset

Au XIX° siècle

MUSSET, On ne badine pas avec l'amour, V, 8 : En 1834, quand paraît On ne badine pas avec l’amour dans La Revue des deux mondes, Musset, alors âgé de 24 ans, vit l’échec de sa liaison passionnée avec George Sand. Sous la forme d’un « proverbe », il met alors en scène une pièce en trois actes qui oscille entre la comédie, en raison des personnages secondaires grotesques, et le drame romantique, même s’il n’y a pas d’ancrage historique. L’intrigue amoureuse se noue entre Perdican, fils du baron, sa cousine Camille et la jeune paysanne Rosette, sa sœur de lait. Devant le choix de Camille de se faire religieuse, et son orgueilleux rejet de Perdican, il entreprend de la rendre jalouse en séduisant Rosette, à laquelle il promet le mariage. Camille tente de détromper la naïve paysanne, mais Perdican renouvelle sa promesse, avant une ultime rencontre avec Camille. Comment le double aveu d’amour sincère dans cette scène de dénouement illustre-t-il le titre de la pièce ? 

MUSSET, Lorenzaccio, III, 3 : George Sand offre à Musset son manuscrit d’Une Conspiration en 1537, inspiré d’une chronique de la Renaissance, la Storia fiorentina, de Benedetto Varchi. Il devient la trame de son drame en cinq actes, Lorenzaccio, publié en 1834 dans Un Spectacle dans un fauteuil. Cette pièce, avec ses trente-neuf scènes introduisant vingt-cinq lieux scéniques différents et soixante-neuf personnages parlants, sans compter les figurants, donne un exemple de la difficulté de faire jouer les drames de Musset : elle ne le sera qu’en 1896, fortement modifiée. L’intrigue principale s’organise autour du meurtre du duc Alexandre de Médicis, tyran débauché qui opprime Florence, par son cousin Lorenzo : il a choisi, pour pouvoir accomplir son assassinat, de partager les vices du duc, endormant ainsi sa méfiance. Il a donc adopté le masque de « Lorenzaccio », surnom péjoratif. Face à Philippe Strozzi, un des chefs des républicains ennemis du duc, il s’en explique longuement. Comment cette scène, oscillant entre aveu et confession, révèle-t-elle la vérité du héros ?

HUGO, Ruy Blas, I, 3 : Ruy Blas, drame romantique de Victor Hugo joué en 1838, possède les caractéristiques de ce nouveau genre théâtral inauguré avec Hernani, en 1830. La pièce  avait alors provoqué une véritable « bataille » entre les tenants de la tragédie classique et ces jeunes artistes rejetant ses règles. Dès l’exposition de Ruy Blas, nous reconnaissons cette volonté de construire une intrigue qui mêlera la dimension politique – car derrière l’Espagne se cache la monarchie française – et la passion amoureuse exaltée. Tout sépare, en effet, Ruy Blas, homme du peuple devenu « laquais » pour fuir la misère, et la reine d’Espagne dont il est amoureux. À travers la confidence faite par le héros à son ami Don César, comment Hugo met-il en place les éléments du drame ?

Victor Hugo à Jersey, 1753-1755

Paul Claudel

Au XX° siècle

 

CLAUDEL, L'Annonce faite à Marie, II, 3 : C’est en 1912 que paraît L’Annonce faire à Marie, drame symboliste de Paul Claudel, troisième version d’une pièce d’abord intitulée La Jeune Fille Violaine, qui en accentue la dimension mystique en sanctifiant cette jeune paysanne du Moyen Âge. Enfin, une version définitive « pour la scène », en quatre actes précédés d’un Prologue, paraît en 1948. Le drame se fonde sur la jalousie de Mara envers sa sœur Violaine, heureuse fiancée de Jacques Hury. Or, Violaine, par compassion, a accordé un « baiser au lépreux », Pierre de Craon, – scène surprise par sa sœur, qui la rapporte à Jacques – et se trouve à son tour atteinte de cette terrible maladie. Comment, à la veille de son mariage, révèlera-t-elle ce « grand secret » à celui qu’elle aime profondément, alors même que Jacques, sans avoir cru Mara, célèbre l’amour qu’il éprouve pour elle ? 

CLAUDEL, L'Annonce faite à Marie, IV, 2 : Ce passage correspond au dénouement de L’Annonce faite à Marie, drame symboliste de Paul Claudel, dans sa quatrième version « pour la scène » en 1948, d’abord intitulé La Jeune Fille Violaine. L’extrait, qui correspond à un double aveu de Mara, celui du « miracle » accompli, dans l’acte III,  par Violaine, sa sœur devenue lépreuse, qui a ressuscité son enfant, et celui du crime qu’elle-même a commis contre celle-ci, poussée par une violente jalousie. Mais Claudel, animé par sa foi chrétienne, utilise aussi cette scène pour dégager le sens mystique du titre de cette pièce, qu’il nomme « mystère ». Comment le dramaturge associe-t-il, dans ce dénouement, les dimensions tragique et religieuse ?

Nathalie Sarraute

SARRAUTE, Pour un oui ou pour un non, extrait de l'exposition : Le titre de la pièce de Nathalie Sarraute, écrite en 1969 mais interprétée à la radio seulement en 1982, Pour un oui ou pour un non, est une parfaite illustration de ce qu’elle a nommé les « tropismes » c’est-à-dire les imperceptibles mouvements d’attraction et de répulsion qui se nouent entre les consciences et se manifestent dans la « sous-conversation », cet implicite qui se cache derrière les mots. Qu’est-ce qui sépare donc H1 et H2, ces deux personnages autrefois amis et qui se sont éloignés l’un de l’autre ? Qu’est-ce que H1 tente de faire avouer à H2 ? Et quelle faute, si terrible car si difficile à dire, H2 aurait-il commise envers H1 ? 

Nathalie Sarraute

Ressorts et fonctions du comique : de l'Antiquité au XX° siècle
Le comique

Problématique

 

Ce corpus diachronique est organisé autour de deux questions, posées à la fois au public et à l'écrivain : au théâtre, qu'est-ce qui amène le public à rire ? quels rôles peut jouer, à titre personnel ou social, le rire ?

        La première question, en nous interrogeant sur les mécanismes qui suscitent le rire, conduit à distinguer parallèlement les formes que peut prendre le comique, la façon dont l'auteur privilégie l'une ou l'autre, ou bien les articule, et les procédés, mis en œuvre par l'auteur dramatique, qui le soutiennent.

        La seconde question porte, elle, sur les objectifs et les conséquences du rire : dans quel but un auteur cherche-t-il à faire rire ? Seulement pour divertir un moment, ou bien le rire peut-il influencer les conceptions de l'individu, peut-il permettre une réflexion plus générale sur la société ? Pouvons-nous penser que le rire ait une réelle efficacité ? 

La comédie dans l'antiquité gréco-romaine : un double héritage

L'origine de la comédie

Le mot « comédie » vient, étymologique de la juxtaposition de « cômos , le cortège, et « ôdè », le chant. Le « cômos » comportait à la fois une procession de « phallophores », avec leur costume rembourré (faux ventre, faux cul) et complété par un énorme phallus postiche, qui transportaient, en chantant dans les rues, des symboles du dieu Dionysos (amphore, cep de vigne...) et la « pompéïa » : dans les cortèges sur des chars de vendange, les gens, au visage barbouillé de lie de vin, se lançaient des quolibets.

Masque romain : Bacchus

Masque romain : Bacchus

Ce serait à Mégare, en Grèce, que seraient nées alors les premières comédies, farces courtes, avec des attaques, souvent violentes, contre des personnes en vue dans la cité. Cette origine populaire et grossière explique que l'on a longtemps considéré la comédie comme une bouffonnerie sans importance.

C'est elle aussi qui pose les caractéristiques de la comédie : son langage familier, voire vulgaire, qui ne recule pas devant la grossièreté ou l’obscénité, ses héros, qui appartiennent au peuple, l’importance des notions de « débat » et de « combat » et l’idée d’excès, dans les gestes et les paroles.

La "comédie ancienne" : le courant satirique

Elle est  illustrée, dans la Grèce antique, par Aristophane (445-385 environ av. J.-C.) encore mélange de farce et de satire, qui met en scène des contemporains, dont les traits sont caricaturés. Ses attaques sont souvent violentes, à la façon d'un pamphlet, au point que des lois sont venues interdire de mettre en scène, sous leur nom, des personnes vivantes.

Aristophane, Les Oiseaux, V° s. av. J.-C. Cratère à calice attique. Musée archéologique, Rome

Aristophane s'en prend tout particulièrement à tous ceux qui influent sur la vie politique, tels les démagogues, hommes politiques qui, en corrompant la pratique démocratique, menèrent, selon lui, Athènes à sa perte. Ils sont pour lui des charlatans, qui bernent le peuple. Il critique aussi les sycophantes, dénonciateurs dans les tribunaux, qui ont fait d'un devoir moral (protéger la cité en faisant respecter ses lois) un métier rémunéré exercé pour des raisons souvent malhonnêtes, ou pour se débarrasser d'un adversaire politique. Enfin, il se moque des sophistes, maîtres de rhétorique parmi lesquels il range Socrate, qui ne sont, pour le dramaturge, que des raisonneurs sans éthique, qui pervertissent la jeunesse intellectuellement et moralement.

Aristophane, Les Oiseaux, V° s. av. J.-C. Cratère à calice attique. Musée archéologique, Rome

L'inspiration satirique d'Aristophane est reprise, à Rome, par Plaute. Son originalité vient de ses prologues, très animés pour capter l'attention d'un public bruyant, distrait, et de ses intrigues "à sketches" qui multiplient les calembours, les plaisanteries, et les bouffonneries variées. L'élément essentiel de ses intrigues est la tromperie, la mystification, avec de nombreux quiproquos. Il caricature à plaisir ses personnages, esclaves fripons et insolents, pères avares et fils écervelés, soldat fanfaron... Son langage joue sur toutes les ressources du comique, la répétition, les insultes, les mots inventés ou pittoresques, les allitérations cocasses...

Cette première source d’inspiration va perdurer dans le mime ou la pantomime, l’atellane dans la Rome antique, dont hérite directement la commedia dell’arte italienne, avec ses masques, ses costumes, son improvisation, ses « lazzi ». Molière également y puise ses sujets, comme celui de L'Avare, et des scènes entières parfois.

Arrangement de M. Truffier, Théâtre romain : une scène des Captifs de Plaute, 1886. Estampe, BnF

Arrangement de M. Truffier, Théâtre romain : une scène des Captifs de Plaute, 1886. Estampe, BnF

La "comédie nouvelle" : le courant moral

Avec les crises politiques à Athènes, la comédie va évoluer : les lois interdisent de plus en plus les attaques directes. Les dramaturges choisissent donc de nouveaux sujets : la peinture des mœurs, des conditions sociales et des caractères. Elle devient ainsi plus sérieuse et plus moralisatrice.

Son représentant grec le plus connu est Ménandre (340-292 av. J.-C.). L'intrigue de ses pièces, dont nous n'avons que des fragments, est simple, avec comme thème essentiel l'amour, souvent contrarié par des obstacles (les pères, les conditions sociales...) qu'une « reconnaissance » supprime au dénouement. Le poète y peint des sentiments naturels, la jalousie, le désir, le dépit amoureux… Le public peut s'y reconnaître, avec ses défauts, mais aussi ses émotions.

Cet aspect plus moralisateur se retrouve chez Térence (vers 190-159 av. J.-C.), à Rome, qui évoque lui aussi les relations amoureuses et les querelles familiales. Ses six comédies qui nous sont restées mettent en scène un comique plus subtil, qui s'appuie sur les nuances de la psychologie. L'intrigue est plus élaborée, et présente des situations plus attendrissantes que franchement comiques.

Molière a puisé également chez Térence ses sujets et ses thèmes, de même qu’un siècle plus tard Marivaux.

Une scène de l'Andrienne de Térence. Gravure

Les formes du comique

Le comique de gestes

Du temps de Molière les conditions des représentations dans les salles limitaient forcément le jeu des acteurs: les cabrioles et autres gambades sont plus difficiles que sur les tréteaux de la foire tant l'espace est réduit ! Cependant quand il parcourait la province, Molière a joué des farces, et sans doute en a-t-il composé lui-même. Le metteur en scène et l'acteur qu'il était ne pouvait pas renoncer aux ressorts les plus élémentaires du comique : les gifles (surtout quand elles n'atteignent pas leur but, comme celle d'Orgon qu'esquive Dorine dans Le Tartuffe), les coups, tels ceux de Scapin à son maître Géronte, dans Les Fourberies de Scapin, les bousculades, par exemple entre Alain et Georgette, serviteurs d'Arnolphe dans L'École des femmes, voire les chutes, à l'image du Sganarelle de Dom Juan tombant à la fin de son beau raisonnement sur la grandeur de l'homme.

Pour rechercher des comédies de l'antiquité, un site très complet

Molière, Les Fourberies de Scapin, la scène du sac

Molière, Les Fourberies de Scapin, la scène du sac

Certes les textes offrent peu de didascalies, puisque Molière est son propre metteur en scène : seules figurent celles indispensables pour permettre au lecteur de suivre l'action. Nous obtenons cependant des renseignements précieux sur le jeu de Molière grâce aux commentaires des contemporains sur les représentations. Ils nous apprennent que ni ses acteurs ni lui ne reculaient devant les grimaces, les mimiques outrées, les gestes excessifs : « Jamais personne ne sut si bien démonter son visage et l'on peut dire que dans cette pièce il en change plus de vingt fois », déclarait M. de Neufvillenaine à propos de Sganarelle. Des informations sur cette gestuelle figurent également dans le cours même des pièces comme dans L'Impromptu de Versailles ou dans La Critique de l'École des femmes où Lysidas y fait allusion à propos d'Arnolphe qui « explique à Agnès la violence de son amour, avec ces roulements d'yeux extravagants, ces soupirs ridicules, et ces larmes niaises qui font rire tout le monde » (scène 6). De même, ces vers de Célimène à Arnolphe montrent le jeu comique de « l'homme aux rubans verts » incarné par Molière : «  Ouais ! Quel est donc le trouble où je vous vois paraître? / Et que me veulent dire et ces soupirs poussés, / Et ces sombres regards que sur moi vous lancez?" (vers 1278-1280).

Une analyse enfin du rythme de certaines scènes permet d'imaginer la vie donnée à la pièce par la gestuelle. C'est le cas, par exemple, dans Les Précieuses ridicules avec les pas de danse de Mascarille qui suscitent les commentaires extasiés des deux précieuses, avant qu'ils ne se changent en coups qui pleuvent sur les épaules des valets.  

Scène 12 : MASCARILLE, JODELET, CATHOS, MAGDELON

[...] MASCARILLE,  dansant lui seul comme par prélude. – La, la, la, la, la, la, la, la.

MAGDELON.  – Il a tout à fait la taille élégante.

CATHOS. –  Et a la mine de danser proprement.

MASCARILLE, ayant pris Magdelon. – Ma franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence. Oh ! quels ignorants ! Il n'y a pas moyen de danser avec eux. le diable vous emporte ! ne sauriez-vous jouer en mesure ? La, la, la, la, la, la, la, la. Ferme, ô violons de village.

JODELET, dansant ensuite. – Holà ! ne pressez pas si fort la cadence : je ne fais que sortir de maladie.

Scène 13 : DU CROISY, LA GRANGE, MASCARILLE, JODELET, CATHOS, MAGDELON

LA GRANGE. – Ah ! ah ! coquins, que faites-vous ici ? Il y a trois heures que nous vous cherchons.

MASCARILLE, se sentant battre. – Ahy ! ahy ! ahy ! vous ne m'aviez pas dit que les coups en seraient aussi.

JODELET. – Ahy ! ahy ! ahy ! [...]

Molière, Les Précieuses ridicules, 1660

Moreau le Jeune, Illustration pour Les Précieuses ridicules, 1773. BnF

Moreau le Jeune, Illustration pour Les Précieuses ridicules, 1773. BnF

Dans son essai, Le Rire (1899 ), Bergson fonde le comique sur une formule, « du mécanique plaqué sur du vivant » : « il y a toujours un arrangement d'actes et d'événements qui nous donnent, insérés l'un dans l'autre, l'illusion de la vie et la sensation nette d'un agencement mécanique ». Les jeux de scène deviennent encore plus efficaces quand ils répondent à ce principe par la répétition qui transforme le personnage en une sorte de robot. Le récit d'Agnès à Arnolphe, par exemple, dans L'École des femmes ne prend toute sa saveur que ponctué par une série de coups de chapeau et de révérences parodiques. Le public du théâtre, comme les enfants, pour évoquer à nouveau Bergson, rit du diable qui sort à maintes reprises de sa boîte.

Le comique de mots

Tout comme le comique de gestes, le comique de mots peut reposer sur des procédés simples, qu'auteurs grecs et romains avaient déjà mis en œuvre : jeux sonores et insultes, par exemple, surtout quand ils s'enchaînent et visent celui qui est, en principe, d'un statut social supérieur. C'est le cas dans la dispute du Médecin malgré lui, entre Martine et son mari, Sganarelle. Ce passage révèle aussi d'autres ressources du langage, fondées sur un autre décalage, ici entre le tutoiement et le vouvoiement, entre l'expression de la galanterie (« Doux objet de mes vœux ») et la menace.

MARTINE. – Crois-tu que je m'épouvante de tes paroles ?

SGANARELLE. – Doux objet de mes vœux, je vous frotterai les oreilles.

MARTINE. – Ivrogne que tu es !

SGANARELLE. – Je vous battrai.

MARTINE. – Sac à vin !

SGANARELLE. – Je vous rosserai.

MARTINE. – Infâme !

SGANARELLE. – Je vous étrillerai.

MARTINE. – Traître, insolent, trompeur, lâche, coquin, pendard, gueux, belître, fripon, maraud, voleur...!

Molière, Le Médecin malgré lui, 1666

Molière, la "turquerie" dans Le Bourgeois gentilhomme. Illustration

Le décalage, en effet, est également un ressort essentiel du rire comme l'explique toujours Bergson dans Le Rire, et Molière en utilise tous les possibilités. Est fréquent dans ses pièces, par exemple, le décalage entre les registres de langue, qu'il s'agisse de l'emploi des patois, pseudo-picard de Nérine dans Monsieur de Pourceaugnac, héros dont le patronyme « animal » contraste avec la particule noble, ou de l'usage de  langages imités : turc de fantaisie dans Le Bourgeois gentilhomme, faux jargon médical et faux latin dans Le Médecin malgré lui ou Le Malade imaginaire, faux discours précieux dans Les Précieuses ridicules...

Ce procédé peut certes paraître gratuit dans les simples scènes de farce, même quand il devient un véritable morceau de bravoure, comme dans Les Fourberies de Scapin où le valet frappe son maître tout en contrefaisant sa voix, d'abord en gascon, puis en suisse, jusqu'à imiter « une demi-douzaine de soldats tous ensemble ». 

Molière, la "turquerie" dans Le Bourgeois gentilhomme. Illustration

Mais c'est la même technique qui soutient aussi les dénonciations plus violentes, par exemple celle de Dom Juan, le « grand seigneur méchant homme », dans ses dialogues de l'acte II, avec les paysans. Le plaisant patois de Pierrot, plus prononcé que celui de sa fiancée, Charlotte, fait en effet ressortir un décalage entre eux, que Dom Juan exploite de manière odieuse, se transformant en cruel tentateur : « Quoi ? Une personne comme vous serait la femme d'un simple paysan ! Non, non : c'est profaner tant de beautés, et vous n'êtes pas née pour demeurer dans un village. » Le contraste, qui se poursuit sur plusieurs scènes, met en valeur le cynisme du héros.

Le comique de mots souligne ainsi tous les dysfonctionnements, psychologiques et sociaux, dont Molière fait la satire. Les répétitions, notamment, soulignent  les obsessions qui se sont emparées de l'esprit de ses héros monomaniaques, d'Harpagon avec son « sans dot ! » à Géronte avec « Qu'allait-il faire dans cette galère ! », en passant par Orgon et « Le pauvre homme ! », plaisante désignation d'un Tartuffe « gros et gras et la bouche vermeille », qui « but à son déjeuner quatre grands coups de vin » (I, 4). Molière touche ici à l'Absurde... comme lorsque ses personnages se coupent la parole, se répondent en écho. Le langage, qui donne à l'homme sa pleine et entière dimension, se vide alors de sa fonction première, permettre de communiquer. Il n'est plus qu'un cliquetis verbal vide de sens.

Mais, plus grave encore, il se fait mensonge, il trahit la vérité profonde des êtres lorsque ceux-ci s'en servent comme d'un masque. Tout le théâtre de Molière s'emploie ainsi à faire tomber ces masques, à rendre évident aux yeux du public le mensonge des âmes, celui  de Dom Juan ou de Tartuffe qui, par exemple dans ses aveux à Elmire, mêle le langage de la dévotion chrétienne et celui de la galanterie précieuse. Le public rit encore, mais le rire de Molière est amer car pour un « Tartuffe » démasqué sur scène combien d'autres « Tartuffe » restent des « imposteurs » méconnus !

Il y a donc loin des simples jeux de mots, des équivoques et allusions érotiques, des répliques plaisantes parfois empruntées à ses prédécesseurs antiques, à ce comique qui ne fait rire des mots que pour mieux en révéler le dangereux pouvoir.

Le comique de caractère

Les conflits, bases des comédies de Molière, entre maîtres et valets, entre parents et enfants, entre amoureux qui se croient trahis..., rappellent les personnages des comédies antiques. Cependant une comparaison plus précise entre Molière et ses modèles montre que le comique de caractère, chez lui, tire sa force d'une combinaison entre les effets de grossissement, procédés d'une caricature poussée jusqu'à l'invraisemblance, et les traits « naturels », d'une vérité psychologique profonde.  Ainsi, si l'Harpagon de Molière ressemble sur bien des points à l'Euclion de Plaute, il n’en est pas le double, par son appartenance à la bourgeoisie du XVII° siècle. Molière a considérablement enrichi le caractère de son modèle en le nourrissant des réalités propres à son temps. Cependant il ne renonce pas pour autant à la caricature.

HARPAGON. – Viens çà, que je vois. Montre-moi tes mains.

LA FLÈCHE. – Les voilà.

HARPAGON. – Les autres.

LA FLÈCHE. – Les autres ?

HARPAGON. – Oui.

LA FLÈCHE. – Les voilà.

HARPAGON, désignant les chausses. – N'as-tu rien mis ici dedans ?

LA FLÈCHE. – Voyez vous-même.

HARPAGON, tâtant le bas de ses chausses. – Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les receleurs des choses qu'on dérobe, et je voudrais qu'on en eût fait pendre quelqu'un.

Molière, L'Avare, 1668

C'est particulièrement le cas pour les héros aveuglés par leur obsession, si nombreux dans ses comédies, antithèses absolues de l'idéal de "l'honnête homme" qui bannit tout excès. Molière procède pour eux à ce que l'on pourrait nommer une "cristallisation" : toute une série de détails, gestes, mots, réactions, comportements, se combinent jusqu'à constituer le noyau dur d'une personnalité monomaniaque. Ainsi, Monsieur Jourdain est face à son maître à danser, à son maître de musique, il dispose d'un maître d'armes, puis d'un maître de philosophie, il se fait habiller par son tailleur... Les « leçons » s'enchaînent pendant deux actes, mais toutes n'ont pour but que de parachever le portrait de cet homme ridicule. Comme sa servante Nicole, au début de l'acte III, le public peut rire de  toute cette mascarade... Pourtant, parmi lui sont assis de riches financiers, des marchands qui ont acheté des charges propres à les anoblir, se sont inventé des ancêtres illustres grâce à des généalogistes complaisants, ou sont devenus, en prenant le nom d'une terre, des « Monsieur de la Souche », comme Arnolphe ou des « Monsieur de la Dandinière » comme Georges Dandin ! En fait, en grossissant la sottise de son personnage, aveuglé par sa sotte naïveté, Molière établit une distance entre ce fantoche, sur scène, et ses équivalents dans la salle qui peuvent alors rire d'un grotesque qui dépasse le leur.

Le comique de caractère repose, comme pour les gestes et le langage, sur la notion de décalage, déclinée sur trois niveaux.           

          Le premier est le décalage entre le personnage et son entourage, comme pour Monsieur Jourdain dont se rient la servante et l'épouse, ou Argan, « le malade imaginaire », aveuglé, par son « entêtement de la médecine » (III, 2), sur les sentiments réels de Béline, son épouse, sur ceux de sa fille Angélique, prêt même à la mettre au couvent si elle refuse d'épouser le médecin ridicule qu'il lui destine.

         S’y ajoute le décalage entre le comportement du personnage et les valeurs de "l'honnête homme", comme dans le cas d'Alceste, « le misanthrope », dont la sincérité, moralement louable, heurte de façon inacceptable les règles élémentaires de la politesse.

        Enfin, nous observons le décalage – bien plus grave ! – au sein même du personnage, entre sa nature profonde et ses pulsions du moment. Ainsi Harpagon, en aimant une jeune fille, court forcément à l'échec, tout comme Alceste le "misanthrope" amoureux de la coquette et précieuse Célimène, ou Tartuffe qui s'écrie : « Ah ! pour être dévot, je n'en suis pas moins homme ».

Dépassant de beaucoup ses prédécesseurs, Molière touche alors aux débats de son temps autour des "passions" et de leurs dangers. Le rire qu'il provoque dans son public est sans doute une des réponses à ces débats !

Le comique de situation

Dans les comédies antiques, le comique de situation repose essentiellement sur l'inversion des rapports de forces : revanche de l'esclave sur le maître, du fils sur le père, du citoyen pauvre sur le riche, du paysan sur le lettré, ou sur le soldat, de la femme sur l'homme... Que la satire soit nominative, comme souvent chez Aristophane, ou générale, sur tel défaut ou sur les mœurs du temps, dans tous les cas, il s'agit de faire rire de ce que l'on respecte d'habitude, donc de démythifier le pouvoir en exorcisant la peur qu'il peut provoquer. Pour ce faire, il convient de déstabiliser ces puissants, en les plaçant dans des situations inhabituelles, en recourant à des déguisements de toutes sortes, en créant des quiproquos qui les égarent, en multipliant les coups de théâtre qui les surprennent.   

TOINETTE, s'écrie. – Ah, mon Dieu ! Ah, malheur ! Quel étrange accident !

BÉLINE. – Qu'est-ce, Toinette ?

TOINETTE. – Ah, Madame !

BÉLINE. –  Qu'y a-t-il ?

TOINETTE. – Votre mari est mort.

BÉLINE. –  Mon mari est mort ?

TOINETTE. – Hélas ! oui. Le pauvre défunt est trépassé.

BÉLINE. – Assurément ?

TOINETTE. – Assurément. Personne ne sait encore cet accident-là, et je me suis trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise.

BÉLINE. – Le ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d'un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t'affliger de cette mort !

TOINETTE. – Je pensais, Madame, qu'il fallût pleurer.

BÉLINE. – Va, va, cela n'en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne ? et de quoi servait-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement  ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.

TOINETTE. – Voilà une belle oraison funèbre.

BÉLINE. –  Il faut, Toinette, que tu m'aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire qu'en me servant ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur, personne n'est encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu'à ce que j'aie fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l'argent dont je veux me saisir, et il n'est pas juste que j'aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens, Toinette, prenons auparavant toutes ses clés.

ARGAN, se levant brusquement. – Doucement.

BÉLINE. – Ahy !

ARGAN. – Oui, Madame ma femme, c'est ainsi que vous m'aimez ?

TOINETTE. – Ah, ah ! le défunt n'est pas mort. [...]

Molière, Le Malade imaginaire, 1673

Ce sont ces procédés que Molière retrouve, des plus simples aux plus complexes. Ainsi, dans Le Médecin malgré lui, la jeune Lucinde feint d'être muette pour obliger son père à lui donner le mari qu'elle aime – lui-même déguisé en assistant-médecin ; Scapin fait entrer son maître dans un sac, pour le sauver, prétend-il, en réalité pour le battre impunément ; Orgon assiste, caché sous une table, à la belle déclaration d'amour de Tartuffe à son épouse, Elmire ; et Argan, le « malade imaginaire », sur les conseils de sa servante Toinette, fait semblant d'être mort... pour découvrir la trahison de sa femme et l'amour de sa fille...

Le public rit car il possède, lui, les clés de la situation dont le personnage est la dupe, il rit de sa supériorité sur le naïf ! Il rit parce qu'il ne partage pas   l'aveuglement du personnage, cause de quiproquos. Dans L'Avare, par exemple, il sait que Marianne aime Cléante, et non Harpagon, et que Valère est l'amant d'Élise, et non l'intendant fidèle qu'il prétend être. Jusqu'à quand Harpagon sera-t-il dupe ? Jusqu'où se poursuivra le quiproquo entre Valère, qui avoue son « crime » commis par « amour », et Harpagon, pour lequel le seul « crime » ne peut être que le vol de sa cassette et « l'amour de [s]es louis d'or » ? Molière prolonge le quiproquo pour le plus grand plaisir du spectateur.

Molière, Le Malade imaginaire, mise en scène au Théâtre Michel, 2017

Molière, Le Malade imaginaire, mise en scène u Théâtre Michel, 2017

Molière, L'Avare, mise en scène de J.-P. Roussillon, 1973

Il va même jusqu'à fonder l'intrigue entière d'une pièce sur le procédé du quiproquo. L’École des femmes ne repose que sur le fait qu'Horace ignore le nouveau nom d'Arnolphe, Monsieur de la Souche, et croit parler à un ami. Ses confidences s'adressent donc à son rival, sans qu'il le sache... mais, loin de lui nuire, elles le servent puisque chaque "précaution" d'Arnolphe échoue ! Et le trompeur se retrouve trompé !

L'équilibre est ainsi rétabli, les masques sont enlevés, la "nature" - c'est-à-dire le naturel et la vérité des sentiments – peut triompher.

 Présentation du corpus : du XVII° au XX° siècle

Dans l'antiquité romaine

PLAUTE, Le Soldat fanfaron, I, 1 : Dans son Miles gloriosus, traduit par Le soldat fanfaron, datant du IIIème siècle avant Jésus-Christ, Plaute crée un personnage-type, imité au XVII° siècle par Molière ou Corneille, en passant par le « Capitan », ou « Matamore » de la commedia dell’arte. Dans une comédie à l’intrigue complexe, il place ce vantard orgueilleux au centre d’une aventure amoureuse, dont l'intrigue multiplie les péripéties. Mais dans la scène d’exposition, comment, face au parasite « Artotrogus », le « mangeur de pain », Plaute met-il en évidence la nature guerrière de son personnage, « Pyrgopolynice », « le vainqueur de la tour » ?

Un portrait, imaginaire, de Plaute

La farce au Moyen Âge

La Farce de Maître Pathelin, œuvre anonyme vers 1454, publiée en 1489 : acte II, scène 3 : La farce se développe au Moyen Âge, théâtre populaire joué sur des tréteaux dans les foires. Celle-ci, restée anonyme mais une des plus connues,  créée vers 1454, a pour héros, Maître Pathelin, avocat sans argent. Écrite en octosyllabes, elle met en scène les multiples ruses, jusqu’à l’escroquerie, de ce personnage, devenu le type même du flatteur qui, par ses paroles mielleuses, parvient à tromper ses victimes… jusqu’au moment où le trompeur se retrouve trompé. Comment ce dialogue avec le drapier donne-t-il un exemple des éléments comiques caractéristiques de la farce ?

Molière, L'Avare, 1668

Au XVII° siècle

 

MOLIÈRE, L'Avare, IV, 7 : Les écrivains du XVII° siècle, inscrit dans le courant du classicisme, ont assumé pleinement leur droit d’emprunter aux auteurs de l’antiquité grecque et romaine leurs sujets, leurs personnages, et même leurs procédés comiques. Pour eux, la nature humaine est universelle et éternelle. Ainsi, c’est de l’Aulularia (« la marmite ») de Plaute, que Molière s’inspire pour sa comédie, L’Avare, représentée en 1668. Tous les rebondissements, en lien avec une double intrigue amoureuse, visent à ridiculiser ce père, à l’avarice extrême, devenu rival de son fils. Moment d’apogée de la pièce, quel rôle joue ce monologue du héros, Harpagon, dans cette caricature ?

Molière

MOLIÈRE, Amphitryon, III, 6 : Molière emprunte le sujet de sa pièce, Amphitryon, représentée en 1668, à un mythe grec : Zeus, épris d’Alcmène, épouse fidèle du général Amphitryon, prend son apparence et profite de son départ à la guerre pour passer une nuit avec elle. Mais, là où le mythe s’inscrit dans le registre épique et tragique, Molière, comme son prédécesseur Plaute, qui avait déjà repris ce mythe, en fait une comédie en imaginant que Mercure, messager de Zeus, se transforme, lui aussi, sous la forme de Sosie, esclave d’Amphitryon. Comment le dialogue, qui place face à face les deux « esclaves », fait-il ressortir le comique ?

MOLIÈRE, Le Bourgeois gentilhomme, II, 4 : Dans sa comédie-ballet, Le Bourgeois gentilhomme, jouée à 1670, Molière ne puise plus chez ses prédécesseurs antiques pour créer son personnage, Monsieur Jourdain. Il lui suffit d’observer le ridicule de tant de ses contemporains qui, enrichis, prétendent, par vanité, imiter le comportement de la noblesse. Ainsi, les deux premiers actes nous montrent les leçons données au héros, qui souhaite faire la cour à la « belle marquise », Dorimène. Avant que le maître tailleur ne viennent lui essayer, en musique, le costume commandé pour paraître « homme de qualité », défilent successivement les maîtres de musique, à danser, d’armes, et enfin celui de philosophie.  Quels procédés Molière met-il en œuvre pour caricaturer les défauts de ses personnages ?

MOLIÈRE, Les Femmes savantes, III, 3 : Molière s’est déjà moqué, dans Les Précieuses ridicules, en 1659, de ces femmes qui, voulant se donner du « prix » réclament leur droit au savoir et à une forme de liberté d’esprit, ainsi que des manières et un langage plus raffinés. Mais il mûrit sa critique dans Les Femmes savantes, son avant-dernière comédie, jouée en 1672. Il en profite pour régler aussi leur compte à certains de ses adversaires, caricaturés sous les traits des deux poètes qu’il met en scène, Trissotin et Vadius, derrière lesquels se cachent – fort peu – l’abbé Cotin et l’helléniste Gilles Ménage. Quelle satire font ressortir les procédés satiriques mis en œuvre dans cette scène de conflit ?

MOLIÈRE, Le Malade imaginaire, III, 10 : Le Malade imaginaire, dernière pièce de Molière, comédie-ballet en trois actes, est restée dans les mémoires comme celle qui, à l’issue de sa quatrième représentation, le 17 février 1673, a conduit Molière à cracher tant de sang qu’il meurt quelques heures plus tard. De ce fait, sa critique des médecins, traditionnelle depuis les farces médiévales comme dans la commedia dell’arte, et qui n’est pas nouvelle dans son œuvre, prend une tonalité particulière. Cependant, son héros n’est lui qu’un « faux malade », rendu naïf par son obsession. Pour tenter de le ramener à la raison, sa servante, Toinette, se déguise en médecin, ce qui conduit à une étrange consultation. Comment les procédés comiques mis en œuvre se combinent-ils pour renforcer les critiques ?

Au XVIII° siècle

BEAUMARCHAIS, Le Mariage de Figaro, II, 21 :La comédie en cinq actes de Beaumarchais, achevée en 1781, mais jouée seulement en 1784, après une longue censure, porte bien son titre, La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro. Les péripéties s’y multiplient autour d’une intrigue principale : la volonté du comte Almaviva d’obtenir le « droit du seigneur » le soir des noces de son valet, Figaro, avec Suzanne, la femme de chambre de son épouse. Celle-ci, Suzanne, et Figaro, s’unissent pour l’en empêcher. Mais Chérubin, jeune page, amoureux de la Comtesse, dérange les plans du Comte, qui l’envoie à l’armée. Alors que Chérubin vient faire ses adieux à sa « belle marraine », le Comte fait irruption dans la chambre de sa femme ; le jeune page se cache avec Suzanne dans le cabinet adjacent, et, quand le Comte, soupçonneux et jaloux, force la porte, il saute par la fenêtre. Le Comte, humilié, ne trouve que Suzanne… quand entre le jardinier, Antonio. Comment les procédés comiques mis en œuvre dans cette scène traduisent-ils la contestation que porte la pièce ?

D’après Jean-Marc Nattier, Portrait de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, vers 1755. Huile sur toile, 83 × 65. Comédie-Française. 

bottom of page