AIMER LA LITTÉRATURE
en analysant les textes et les œuvres
Pour le lycée
... des corpus thématiques
... des œuvres de genres différents
Création en cours
Introduction
L’héritage antique
L’observation du diaporama joint permet de compléter les acquis du collège sur l’architecture des théâtres grec et romain, sur l’organisation et la fonction du théâtre dans la cité d’Athènes, et de rappeler l’origine de la comédie.
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Lecture cursive : Aristophane, Lysistrata, 411 av.J.-C.
Pour lire l'extrait
Aristophane imagine une révolte des femmes contre le pouvoir masculin à Athènes, qui mène la guerre contre Sparte : les femmes des cités en guerre s’unissent et décident une « grève de l’amour » pour contraindre les hommes à signer la paix. Ceux-ci comptent bien les convaincre de renoncer à leur projet. La lecture de cet extrait offre un double intérêt pour initier l’étude des Précieuses ridicules : il donne l’exemple d’une volonté des femmes de prendre le pouvoir, mais en restant dans le cadre du comique, dont nous retrouvons la dimension satirique.
La lecture met donc l’accent sur :
la notion de conflit entre les femmes, menées par Lysistrata, et les hommes, représentés ici par le magistrat, ce qui conduit à dégager les cibles de la satire, le monde politique, la guerre, l’autoritarisme masculin…
les procédés du comique : les gestes suggérés, le comique de mots, par exemple les insultes échangées, le comique de caractère, à travers les magistrat ridiculisé, et celui de situation, avec l’inversion finale du port du « voile » et des hommes renvoyés à des occupations féminines.
Le lexique du théâtre
L’étude du texte d’Aristophane est l’occasion d’observer l’écriture propre au théâtre : tirade, réplique, didascalie… On prolonge ce premier rappel, par une reprise plus complète, à l’aide du diaporama, du vocabulaire spécifique au théâtre :
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pour les termes désignant les lieux de la représentation ;
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pour les différentes composantes d’une pièce de théâtre ;
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pour les procédés propres à ce genre littéraire.
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Présentation de Molière à l'époque des Précieuses ridicules
Après une recherche personnelle, les éléments principaux utiles à la pièce, c’est-à-dire antérieurs à l’année 1660, sont repris.
L’observation de l’extrait du film d’Ariane Mnouchkine, Molière, datant de 1978, propose une vision de Molière enfant, découvrant, avec sn grand-père, ce que l’on nomme alors « le théâtre de la foire » : un théâtre populaire, fondé essentiellement sur le comique des gestes, jusqu’à la grossièreté parfois. Le personnage volant figure les rêves de cet enfant, qui rêve de cette « gloire » qu’offre la conquête d’un large public.
Dans la dernière image, Molière est représenté à l’âge où il décide de se lancer dans la carrière théâtrale, et fonde « l’Illustre Théâtre ».
Présentation du contexte : la condition féminine au XVIIème siècle
L’observation du diaporama joint fait percevoir l’opposition entre
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l’image traditionnelle de la femme, de son rôle, de l’autorité qu’exerce sur elle le pouvoir masculin,
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la volonté des Précieuses, dans la seconde moitié du XVIIème siècle, de lutter contre cette infériorité imposée aux femmes.
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Lecture cursive : Molière, L’École des femmes, 1662 : III, 2, vers 695-728
L'École des femmes est jouée en 1662, année où Molière épouse Armande Béjart, de 20 ans plus jeune que lui. La pièce reçoit un grand succès, mais aussi de nombreuses critiques, notamment pour son "immoralité".
Arnolphe a « acheté » Agnès encore enfant dans l’idée de l’épouser et l’a faite éduquer « pour rendre idiote autant qu’il se pourrait ». Il souhaite, en effet, une épouse ignorante pour garantir qu’il ne sera pas « cocu », son obsession. Mais il appris, par les confidences du jeune Horace, comment ce dernier a pu séduire la jeune fille. Il annonce alors à celle-ci sa volonté de l’épouser, et lui explique sa conception des devoirs du mariage.
La lecture attire l’attention sur deux aspects :
L’image de la femme : Arnolphe se révèle particulièrement odieux, à la fois par le mépris dont il fait preuve envers Agnès, et par son égoïsme. Tout en insistant sur sa supériorité sociale et en la rabaissant, il ne s’adresse à elle que pour lui donner des ordres, comme à une enfant, et pour la menacer, en utilisant son éducation religieuse : « […] il est aux enfers des chaudières bouillantes / Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes. » Pour lui, la femme est, par nature, perfide : elle ne pense qu’à « être libertine et prendre du bon temps ». De plus, la société du XVII° siècle ayant vu les Précieuses revendiquer leur indépendance, il fait un portrait péjoratif de ces « femmes d'aujourd'hui » qualifiées de « coquettes vilaines », et de leurs « fredaines », c'est-à-dire leurs aventures amoureuses avec les « jeunes blondins ».
L’image du mariage : Sa longue tirade donne une image effrayante du mariage, qui n’est qu’une soumission totale de la femme à son époux : « À d’austères devoirs le rang de femme engage », « Votre sexe n’est pas que pour la dépendance ». Les négations rabaissent la femme à l’état d’esclave, réduite à n'être qu'une « moitié ». Les arguments sont particulièrement ridicules : en quoi la « barbe » serait-elle un signe de supériorité ? L'absurdité du raisonnement mathématique ressort : « Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité », avec la fausse symétrie de « l'une » et « l'autre ». Une série d'exemples soutient cette argumentation, en jouant sur une triple gradation. La première porte sur les hiérarchies évoquées, et est elle-même inférieure à une deuxième gradation : l'énumération des qualités exigées de la femme, avec le renchérissement des « et ». Arrive alors la troisième gradation, qui définit le rôle de l'époux tout-puissant : « son mari, son chef, son seigneur et son maître ».
Ce texte dépeint une réalité sociale du XVII° siècle : la femme mariée, souvent sur l'ordre de son père, est juridiquement mineure, dépendante en tout du conjoint, et, à sa mort, de son fils aîné. Et cette conception est soutenue par l'Eglise, à partir des épîtres de Saint-Paul (pour lui la femme pécheresse est un "cloaque"), qui éduque ainsi les filles dans les couvents.
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Présentation des Précieuses ridicules
Pour une étude précise
Titre, sources, structure
Pour présenter la pièce, son titre et ses sources, on se reportera à l’étude d’ensemble proposée, occasion de rappeler la volonté des auteurs classiques d’associer « plaire » et « instruire », en reprenant, en ce qui concerne la comédie, le précepte hérité de l’antiquité : « corriger les mœurs par le rire ».
Pour la structure, le point de départ est l’observation de la liste des personnages et de la façon dont leur intervention se répartit dans les scènes : ainsi peut ressortir la notion de « mise en abyme », du théâtre – entre les deux précieuses, Mascarille et Jodelet – dans le théâtre, l’intrigue générale construite autour du mariage des deux filles avec La Grange et Jodelet.
Lecture cursive : Molière, Préface des Précieuses ridicules, 1660
Pour lire la préface
Dans sa préface, Molière rappelle les conditions qui ont conduit à la publication des Précieuses ridicules, contre sa volonté : la « copie dérobée » et le « privilège » obtenu. C’est l’occasion d’étudier « la conjoncture de l’édition » au XVIIème siècle.
Molière souligne ainsi l’importance qu’il accorde à la représentation. C’est elle qui donne à la pièce de théâtre sa valeur : « une grande partie des grâces qu’on y a trouvées dépendent de l’action et du ton de voix, il m’importait qu’on ne les dépouillât pas de ces ornements ». En même temps, il répond par avance à de futurs détracteurs qui viendraient juger ses œuvres selon des critères « savants » – respect des règles, de la bienséance, par exemple – en affirmant que « le public est le juge absolu de ces sortes d’ouvrages ».
Un exemple de "privilège" royal
La deuxième partie de sa préface est une satire du comportement des écrivains, de ceux qu’il désigne ironiquement comme « Messieurs les auteurs, à présent mes confrères ». Il rappelle la façon dont un auteur est dépendant des appuis qu’il peut se concilier, un généreux mécène qu’on s’acquiert « par une épître dédicatoire bien fleurie », un étalage aussi de ses connaissances littéraires dans une « belle et docte préface », enfin des « amis » pour en faire l’éloge : « J’en ai même qui m’auraient loué en grec, et l’on n’ignore pas qu’une louange en grec est d’une merveilleuse efficace à la tête d’un livre. » Mais, au-delà de la satire, cela nous interroge aujourd'hui sur les difficultés d'être écrivain au XVIIème siècle...
La dernière partie met en valeur sa conception de la comédie. Il insiste sur la fonction de « la satire », démasquer les faux semblants de toute nature : « ces vicieuses imitations de ce qu’il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie ». Il se défend ainsi de l’accusation d’attaquer ce que l’on se doit de respecter, en expliquant que ceux qu’ils dénoncent sont ceux qui s’emploient à « faire ridiculement », c'est-à-dire les « mauvais singes qui méritent d’être bernés ». Le titre de sa comédie prend alors tout son sens. Il affirme ne pas avoir pour cible la Préciosité, « les véritables précieuses », mais « les ridicules qui les imitent mal ».
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Enjeu de la lecture des Précieuses ridicules
De là, l’enjeu de l’étude des Précieuses ridicules peut être dégagé : « Quelles cibles la satire vise-t-elle dans cette comédie ? » Le pluriel invite à ne pas se limiter à la seule « préciosité », mais à rechercher si le rire ne remet pas en cause d’autres réalités du XVIIème siècle.
Histoire des arts : Jean-Michel Moreau le Jeune, gravure, 1773
L’étude de cette gravure prolonge la présentation de la structure, et est l’occasion de mesurer la relation entre les choix iconographiques, la structure, la figuration, en observant la représentation du décor et des personnages, et les premières impressions laissées par la lecture des Précieuses ridicules.
Scène 1 : l'exposition
Cette première explication propose la mise en place de la méthode du commentaire littéraire, par comparaison à l’analyse linéaire. Celle-ci est une découverte progressive du texte, suivant ses mouvements, qui, par une observation détaillée des choix d’écriture, conduit à formuler des hypothèses sur le sens du discours : elles se préciseront, se nuanceront, voire se modifieront, au fur et à mesure de la lecture, pour construire une interprétation.
Le commentaire procède à l’inverse : c’est l’interprétation qui permet de dégager deux ou trois centres d’intérêt, les axes de l’étude, qui sont analysés, explicités, en s’appuyant sur des exemples précis, à partir notamment des choix d’écriture.
La réalisation du commentaire est donc précédée d’une lecture linéaire.
Pour lire la scène
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1er mouvement : lignes 1-7
La scène commence par l’entrée en scène des deux personnages, particulièrement rythmée par les modalités expressives, interrogations, injonction, dans des phrases brèves. La demande de Du Croisy, « sans rire », suggère aussi que les deux personnages sont arrivés sur scène en riant.
Outre leur appartenance à la noblesse, suggérée par l’interpellation de Du Croisy à La Grange, « Seigneur », ce début de scène renvoie à la situation antérieure : « notre visite ». Mais une attente se crée alors chez le spectateur : chez qui ?
La question « En êtes-vous fort satisfait ? » annonce la réaction des deux gentilshommes à cette « visite ».
2ème mouvement : lignes 8-17
Il s’ouvre sur une opposition entre une réponse modérée de Du Croisy, « Pas tout à fait à dire vrai », et la violente colère de La Grange, marquée par le lexique : « tout scandalisé ». La question avec sa négation, « A-t-on jamais vu… ? » est rendue insistante par sa reprise affirmative : « Je n’ai jamais vu ».
La première tirade de La Grange répond à l’interrogation précédente sur cette « visite » en brossant un portrait rapide des deux héroïnes, particulièrement péjoratif et méprisant : « deux pecques provinciales ». L’accusation est ensuite précisée par « faire plus les renchéries », qui révèle la blessure d’amour-propre infligée aux deux hommes, ainsi dédaignés. Les exemples de ce mépris sont énumérés, autant de manquements aux règles de la « bienséance », de la politesse, tel le fait de tarder à « faire donner des sièges ». Rappelons que les salons restent souvent vides à cette époque, les fauteuils étant apportés par des laquais lorsqu’ils sont nécessaires. Tout le comportement des deux filles montre leur ennui, rendu insistant par l’énumération avec l’anaphore de l’adverbe intensif « tant », et leur désintérêt, avec la reprise des réponses laconiques « oui », « non ». Elles ont refusé d’entrer dans la conversation.
La tirade se conclut en gradation, illustration de la colère qui amplifie la blessure, avec le comparatif « faire pis » et l’hypothèse, « quand nous aurions été les dernières personnes du monde ». La Grange s’est senti insulté par un comportement qu’il décrit comme grossier.
3ème mouvement : lignes 18-26
La deuxième tirade de La Grange, face à la modération de Du Croisy, « Il me semble que vous prenez la chose fort à cœur », annonce la suite de la pièce, son désir de vengeance : « je veux me venger ». Ainsi s’ouvre au public un horizon d’attente.
Dans un premier temps, la cible est présentée de façon générale, en écho au titre de la pièce, « l’air précieux ». La préciosité est présentée par le lexique violent, formant une métaphore, qui en fait une maladie contagieuse : cet « air » « a infecté Paris », elles « en ont humé une bonne part ». Mais aussitôt l'attaque se resserre sur les deux héroïnes, qualifiées péjorativement : « cette impertinence », « nos donzelles ridicules » – l’adjectif porte la critique, car le terme « donzelles », demoiselles, est encore neutre au XVIIème siècle –, « un ambigu de précieuse et de coquette », nouvel écho au titre.
L'horizon d’attente se confirme, à la fin de cette tirade, marqué par le but, « pour en être bien reçu », et la multiplication des futurs. En annonçant, « nous leur jouerons tous deux une pièce », terme signifiant, au sens premier, jouer un tour, c’est aussi une mise en abyme qui se met en place : du théâtre va s’insérer dans la comédie des Précieuses.
Le but en sera semblable à celui que Molière, comme bon nombre de ses contemporains, assigne à la comédie, instruire, corriger les mœurs : cette farce « leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connaître un peu mieux leur monde. »
4ème mouvement : lignes 27-35
Cette dernière tirade de La Grange, outre la longueur de sa prise de parole dans cette scène, montre bien que c’est lui qui mène le jeu, tandis que Du Croisy se contente de poser des questions.
À travers le portrait de Mascarille, comme moyen de la vengeance, la vengeance se précise. Ce portrait met en place une double critique :
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de Mascarille lui-même, un « valet », personnage traditionnel dans la comédie, aux ordres de son maître, mais présenté ici comme un « extravagant », c’est-à-dire un fou. Mais quelle est cette folie ? Vouloir se hausser au-dessus de sa condition : il cherche à imiter, à « faire l’homme de condition », de ce fait il « dédaigne les autres valets », qu’il accuse de grossièreté, traités de « brutaux ».
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plus générale, contre, à nouveau, le contexte, la préciosité, vue comme une mode du « bel esprit », qui dupe « beaucoup de gens », et est tellement répandue que chacun se prétend tel ; les deux exemples donnés à propos de Mascarille, « il se pique de galanterie et de vers », sous-entend que ce n’est que de l’orgueil ridicule.
Mais les points de suspension maintiennent le mystère autour de cet acte de vengeance, prolongeant ainsi l’horizon d’attente d’une action, marquée par le verbe « faire » et renforcée par l’enthousiasme de La Grange, perçu dans l’exclamation finale.
CONCLUSION
Cette scène permet de dégager le double rôle d’une exposition.
Elle doit informer, et c’est l’objectif premier du dialogue, à la fois sur le statut social des deux hommes, et sur ce qui a précédé, cette « visite » qui a tellement blessé La Grange. Mais Molière a choisi de ne pas montrer cette « visite », nous n’avons donc que le point de vue masculin, fort critique vu le portrait des deux héroïnes. Si ce portrait fait directement écho au titre de la pièce, il est permis de s’interroger : aurions-nous eu le même point de vue si les deux filles avaient présenté cette visite ? Le récit si négatif de La Grange ne vient-il pas uniquement de son orgueil atteint ? Peut-être ont-elles voulu simplement ainsi marquer leur refus d’un mariage arrangé…
Elle doit également retenir l’attention du public, le séduire immédiatement, déjà par le rythme vif de cette entrée en scène, et le ton adopté par La Grange. Le public ne peut qu’attendre avec impatience cette vengeance annoncée, l’arrivée de Mascarille, lui aussi présenté comme ridicule, la « pièce » qui va se jouer… Mais il sait aussi que, selon son habitude, Molière va mettre sa pièce au service de la satire : quelles en seront les cibles ? quels en seront les formes ?
Cette conclusion pose les deux centres d’intérêt, fondement du commentaire : informer, séduire.
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commentaire
Lecture cursive : Molière, Les Précieuses ridicules, scènes 2 et 3
Pour lire les scènes
La scène 2
Cette scène offre l’occasion de commenter le choix du nom « Gorgibus », étymologiquement « la gorge du bois », qui indique son origine provinciale, et l’inscrit dans la bourgeoisie.
La scène 2 complète l’exposition en confirmant l’hypothèse précédente sur l’objet de la « visite » : un projet de mariage, arrangé entre Gorgibus et les deux gentilshommes. Mais, notons qu’il est présenté, dans la question, « les affaires iront-elles bien ? », comme s’il s’agissait d’un accord commercial… La politesse de la réponse de La Grange relève de la bienséance, mais ne masque pas « leur mécontentement ».
La scène 3
Bref intermède, elle confirme le statut social de Gorgibus, qui ressort à la fois de son vocabulaire, avec l’insulte « pendardes », et la mise en valeur de l’importance de l’argent à ses yeux : elles « ont je pense envie de me ruiner », « quatre valets vivraient tous les jours des pieds de mouton qu’elles emploient ».
Tout en confirmant l’idée, lancée dans la scène 1, de la coquetterie des deux filles dans les soins apportés à leur toilette, la scène annonce le conflit des générations. D’un côté, deux filles qui veulent suivre la mode à tout prix ; de l’autre, un père qui s’indigne, de façon comique cependant par l’écho de sa réponse « C’est trop pommadé » à l’information donnée par la servante Marotte.
Gorgibus. Mise en scène deJérôme Deschamps et Macha Makeieff, Théâtre de l’Odéon, 1997
Scène 4, de "Le moyen de bien recevoir... : une scène de conflit
Pour lire l'extrait
Depuis le portrait qui en a été fait dans la scène 1, le public attend de découvrir les deux précieuses, et pressent, après la colère de Gorgibus, un conflit entre lui et les deux filles qui refusent ce mariage arrangé. Dans la première partie de la scène 4, c’est Magdelon qui mène la révolte contre son père : « La belle galanterie que la leur ! Quoi débuter d’abord par le mariage ? » Dans la longue tirade précédente, elle développe sa propre conception de la séduction attendue, fondée sur sa lecture des romans précieux dont elle souhaite voir reproduire le déroulement.
Devant l’incompréhension de Gorgibus, « Quel diable de jargon entends-je ici ? Voici bien du haut style. », Cathos, sa cousine vient soutenir son argumentation. Pour mieux comprendre l'évolution du conflit, l’explication suit les trois étapes de l’extrait.
La critique de Cathos : lignes 1 à 12
Sa question rhétorique pose un reproche général, « des gens qui sont tout à fait incongrus en galanterie », que la tirade explique ensuite en dénonçant deux aspects, car « la galanterie », à ses yeux, relève à la fois de l’apparence extérieure et des procédés retenus pour séduire. C’est ce double reproche que reprend son exclamation indignée : « Mon Dieu quels amants sont-ce là ! quelle frugalité d’ajustement, et quelle sécheresse de conversation ! » Son rejet est catégorique, marqué par le redoublement de la négation : « On n’y dure point, on n’y tient pas. »
Mise en scène par Werner Degan, « Le rideau de Bruxelles », 1948
Le premier reproche montre l’influence exercée par les romans précieux sur les jeunes filles. Son allusion à « la Carte de Tendre », à « billets-doux, petits-soins, billets-galants et jolis-vers », renvoie au roman de Mlle de Scudéry, Clélie, Histoire romaine, dont le premier tome, paru en 1654, comporte cette carte géographique illustrant le parcours à suivre par le parfait amant. Son accusation, que ce sont « des terres inconnues pour eux », en revient à ériger ce parcours en règle absolue.
Mais l’essentiel de cette tirade insiste sur « l’air », en fait sur l’aspect vestimentaire. Sa première exclamation avec l’énumération en gradation montre le poids de la mode dans son jugement : « Venir en visite amoureuse avec une jambe toute unie ; un chapeau désarmé de plumes ; une tête irrégulière en cheveux et un habit qui souffre une indigence de rubans ! » Relève aussi de la préciosité l'expression qui personnifie les différents points cités : le « chapeau », qui intervient lors des salutations, joue le rôle du soldat, dont les « plumes » seraient les armes ; la coiffure est « irrégulière », refusant donc de respecter les règles de la mode, dotée ainsi d’un pouvoir suprême ; enfin, l’« habit » est en proie à la souffrance, comme un miséreux affamé, à cause de l’« indigence de rubans ». C’est aussi sur ce thème que se termine sa tirade, mais la critique est poussée à l’extrême, puisque la mode impose aussi des artisans, « leurs rabats ne sont pas de la bonne faiseuse », et même des mesures précises : « il s’en faut plus d’un grand demi-pied, que leurs hauts-de-chausses, ne soient assez larges ».
La jeune fille révèle ainsi à la fois sa superficialité, et l’illusion dans laquelle elle se complaît.
Le choix des prénoms : lignes 13 à 27
La réaction d’incompréhension de Gorgibus, « Je pense qu’elles sont folles toutes deux, et je ne puis rien comprendre à ce baragouin », introduit le deuxième mouvement du texte, centré sur le thème des prénoms, qui amplifie le conflit.
En refusant leurs « noms de baptême », Cathos et Magdelon remettent en cause, en effet, toute une tradition, fondée sur la religion, puisqu’ils sont donnés par les « parrains » et « marraines ». Il est donc particulièrement violent de les caractériser comme des « noms étranges », et l’exclamation de Magdelon, « Mon Dieu, que vous êtes vulgaire ! » est une véritable insulte adressée à son père. Elle en arrive même à le renier, peut-être en s’imaginant née d’une péripétie romanesque, de celles qu’elle a pu lire dans les romans à la mode : « Pour moi un de mes étonnements, c’est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. »
Cathos et Magdelon. Mise en scène de Christian Schiaretti au TNP, 2011
Mais cela révèle, à nouveau, l’influence sur elles de la préciosité, qu’elles voient comme le moyen d’échapper, par « le beau style », à leur origine sociale bourgeoise. D’où leur volonté de changer de prénom, pour imiter les héroïnes de romans et les Précieuses célèbres pour leur salon, qui empruntent leur surnom à l’antiquité. Ainsi Magdelon est devenue « Polyxène » et Cathos « Aminte », telles Mademoiselle de Scudéry se faisant appeler Sapho, et Madame de Rambouillet Arthénice… Polyxène est le nom d’une héroïne du Roman de la précieuse, ou les Mystères de la ruelle (1658) de l’abbé de Pure, et Aminte donne son titre au drame pastoral composé par Le Tasse, représenté en 1573 à Florence, qui connaît un grand succès au XVIIème siècle en France. Ce « beau style » se reconnaît aussi dans le lexique choisi par Cathos pour sa protestation, notamment dans son emploi de l’adverbe « furieusement », hyperbole appréciée des précieuses.
Toutes deux vivent, en fait, dans un monde d’illusion, par leur désir de s’identifier à des héroïnes de romans : « Ce serait assez d’un de ces noms, pour décrier le plus beau roman du monde ? »
Le mariage : lignes 28 à 43
Comme de tradition dans la comédie – et en lien avec le contexte familial du XVIIème siècle – la fin de la scène noue l’action par la volonté de Gorgibus d’imposer son autorité. C’est ce que traduisent son vocabulaire, avec le recours à l’impératif (« Écoutez ») et la répétition de « je veux », souligné d’abord par l’adverbe « résolument », puis par la formule « le maître absolu », et son rejet en gradation : « Je n’entends point que vous ayez d’autres noms », « je n’entends rien à toutes ces balivernes ». Il affirme ainsi le pouvoir qu’il entend exercer sur les deux filles dont il a la charge en décidant de leur mariage, là encore dans le respect de la tradition : « je veux résolument que vous vous disposiez à les recevoir pour maris. » Le choix d’un mari ne fait en rien intervenir l’amour, c’est un contrat entre deux familles, essentiellement fondé sur des raisons financières : « je connais leurs familles et leurs biens ». C’est aussi un transfert de pouvoir, la femme restant juridiquement mineure, sous le pouvoir d’un père d’abord, puis sous celui du mari : « la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante, pour un homme de mon âge ».
Pierre Brissart. Gravure pour illustrer Le Mariage forcé, comédie-ballet de Molière et Lully, édition de 1682
Face à cette autorité, quel pouvoir conservent les filles ? Leur éducation, d’ordinaire religieuse, impose des limites, qui expliquent la réaction horrifiée de Cathos à l’idée de la réalité du mariage formulée dans sa question : « je trouve le mariage une chose tout à fait choquante. Comment est-ce qu’on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu ? » Plus habilement, Magdelon tente de fléchir son père, en obtenant un délai : « Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris, où nous ne faisons que d’arriver. » Mais sa prière, « Laissez-nous faire à loisir le tissu de notre roman, et n’en pressez point tant la conclusion », montre qu’elle voit dans ce délai toujours le moyen de suivre le modèle d’un « roman » précieux.
Dans les deux cas, elles sont vaincues dans le conflit avec un rejet brutal de Gorgibus : « Il n’en faut point douter, elles sont achevées », accusation de folie. La puissance de l’autorité paternelle ressort de la menace finale, l’enfermement dans un couvent pour obtenir la soumission des filles : « ou vous serez mariées toutes deux, avant qu’il soit peu, ou, ma foi, vous serez religieuses, j’en fais un bon serment. »
CONCLUSION
Le conflit oppose deux générations, un père ancré dans la tradition qui lui accorde tout pouvoir, et deux jeunes filles, qui tentent de revendiquer leur liberté, ou, du moins leur droit de choisir un époux. Il oppose aussi deux statuts sociaux, d’un côté la bourgeoisie, avec la place accordée aux « biens » des « familles », de l’autre l’aristocratie, classe dans laquelle s’inscrit la plupart des précieuses. Oisives et sans souci d’argent, elles répondent au matérialisme de la bourgeoisie, « vulgaire », en privilégiant la vie « spirituelle », l’élévation de l’esprit.
D’où une question, si l’on pense à toutes les comédies dans lesquelles Molière s’est élevé contre les mariages arrangés en montrant le triomphe de l’amour : s’oppose-t-il à la préciosité ? Dans cette scène, la réponse est nuancée, car les deux filles n’en ont retenu que la superficialité, la mode, du vêtement comme du langage, et se limitent à une imitation des romans. Elles trahissent ainsi « le naturel », cher à Molière, et c’est d’abord ce reproche qui justifie l’adjectif « ridicules ».
Lecture cursive : Mlle de Scudéry, Clélie, Histoire romaine, 1654, "La carte du pays de Tendre"
Pour voir la lecture cursive
L'amour est le thème de prédilection des Précieuses, objet des analyses les plus subtiles dans les salons, mais un amour raffiné, épuré de toute dimension sensuelle, sublimé. La « carte du pays de Tendre », attribuée à François Chauveau, pour illustrer le roman Clélie, histoire romaine, dont le premier des dix tomes paraît en 1654, illustre bien les étapes que doit parcourir le parfait amant – et les risques qu'il court – pour offrir à la femme aimée un amour parfait, digne du "prix" qu'il lui donne.
La Carte de Tendre, attribuée à François Chauveau, illustration de Clélie histoire romaine (1654-1660)
Langue : forme de la phrase - discours direct / indirect
Le nouveau programme insiste sur l’importance à accorder à l’étude de la langue, orthographe, lexique et morpho-syntaxe. Bien évidemment, elle s’effectue lors des comptes-rendus de travaux d’écriture et de la prise de parole, et les explications des textes attirent l’attention sur le sens d’un mot, sur un choix morphologique, un temps par exemple, et sur la syntaxe. Mais il est utile aussi de prévoir une séance qui permet de réactiver, puis d’approfondir, les acquis du collège.
L’étude du théâtre offre deux occasions de révision à partir des textes étudiés.
Les formes de la phrase
En reprenant la conjugaison du mode impératif, on insiste sur l’orthographe de la deuxième personne du singulier, en rappelant l’absence de [s] pour les seuls verbes du 1er groupe, sauf s’ils sont suivis des pronoms « en » et « y » : « Mange tes légumes. » mais « Manges-en » ; « Va à la plage. » mais « Vas-y ». On expliquera aussi la distinction entre les emplois du présent et du passé : « Terminez votre travail. » mais « Ayez terminé avant mon retour. »
La phrase exclamative, parfois non verbale, ne pose pas de difficulté particulière. Mais, en reprenant le terme d’interjection ( à différencier de l’onomatopée), on soulignera les différences d'orthographe et de sens entre « Eh bien ! » et « Hé ! », entre « Oh ! » et « Ho ! », « Ah ! » et « Ha ! ».
On reprend la syntaxe de l’interrogation, par inversion du sujet et du verbe ou par l’emploi de « est-ce que » : « Est-ce qu’il viendra ? » ou « viendra-t-il ? », en faisant observer l’usage du [t] pour une question d’euphonie, à rapprocher de ce même rôle pour le [l’] : « Si l’on veut ». On remet en place la notion d'interrogation totale (avec réponse "oui" ou "non") ou partielle, et, à partir des scènes 1 et 4, on dégage l'intérêt de la question rhétorique - ou oratoire - (affirmative ou négative) dans une argumentation.
Discours direct et indirect
Répliques ou tirades, le théâtre est un discours direct. Un choix dans les textes étudiés permet de reprendre la transformation du discours direct en discours indirect, en observant les modifications de ponctuation, morphologiques et syntaxiques.
Étude transversale : la satire de la Préciosité
Pour voir l'analyse précise
Lecture cursive : Jean de La Bruyère, Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, 1688-1690, « De la société et de la conversation », VI et VII
Pour voir les deux extraits
Lors de la parution de son ouvrage, La Bruyère se préserve en le présentant comme une simple traduction du grec Théophraste, disciple d’Aristote du IVème siècle avant Jésus-Christ, suivie d’une réflexion sur son époque. Mais, dès la 1ère édition, en 1688, le succès de ces réflexions est tel que se succèdent, la même année, deux autres éditions.
Précepteur du duc Louis de Bourbon, petit-fils du prince de Condé, sa fréquentation de la Cour, à Versailles comme à Paris ou au château du prince, à Chantilly, et les observations qu’il a pu y faire nourrissent l'ouvrage de La Bruyère.
Remarque VI
Une 4ème édition, corrigée et augmentée de 324 remarques, dont celle-ci, paraît en 1689. En écho au titre de la section, il y dépeint la pratique de « la conversation ». En se présentant comme témoin dès le début, par « L’on voit », il imprime à sa description la marque d''une vérité.
La dimension critique est immédiatement signalée par le sentiment exprimé : « vous dégoûtent ». Derrière ce pronom « vous » se cache, bien évidemment La Bruyère jui-même. La première phrase, une période en gradation, justifie cette critique du langage, en formulant un triple reproche. D’abord leurs « ridicules expressions » sont dénoncées, ensuite la recherche de « nouveauté » à tout prix, jusqu’à trahir le sens même des « termes » employés : ils leur « font signifier des choses que leurs premiers inventeurs n’ont jamais eu intention de leur faire dire. »
La seconde partie, toute aussi négative, est soutenue par un lexique péjoratif : « bizarre génie », « jargon », « un langage si extravagant ». Mais l’accusation dépasse le seul langage pour s’élargir à la personnalité de ces beaux parleurs, des prétentieux : « l’envie de toujours plaisanter, et peut-être de briller », Tous sont contents d’eux-mêmes ». Comme chez Molière, c’est le manque de naturel qui est ici souligné : « un geste affecté », « une prononciation qui est contrefaite ». La dernière phrase est une ultime pointe ironique : alors qu’il semble, dans un premier temps, défendre « leur esprit » (« on ne peut pas dire qu’ils en soient entièrement dénués »), les deux derniers sentiments exprimés, « on les plaint », « on en souffre », achèvent, en fait, de réduire à néant ces causeurs.
Remarque VII : le portrait d'Acis
Ce portrait d’Acis, qui entre dans la 5ème édition, de 1690, concrétise la réflexion précédente, en mettant en scène ce précieux ridicule.
Le portrait prend vie grâce au discours rapporté, à la façon d’une énigme au début, puis sous forme d’un dialogue où l’auteur, après avoir corrigé ce langage contrefait, répond à l’objection d’Acis : « cela est bien uni et bien clair ; et d’ailleurs qui ne pourrait pas en dire autant ? » Il reprend donc l’accusation précédente : le langage précieux révèle avant tout une volonté de se différencier, de se distinguer, donc la prétention.
La seconde partie du portrait adopte un ton moralisateur, en généralisant le cas particulier d’Acis.
Nous y retrouvons d’abord la critique du langage des « diseurs de phébus » (terme qui rappelle les oracles de Phébus-Apollon, souvent incompréhensibles), qui se veut obscur : c’est un « pompeux galimatias », des « phrases embrouillées », de « grands mots qui ne signifient rien ». La question rhétorique, « Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? » souligne le fait que ce langage perd ainsi sa fonction première, communiquer en se faisant comprendre d’autrui.
Prince royal en tenue de Cour. 2nde moitié du XVIIème siècle. Gravure sur cuivre
Mais, comme dans la réflexion précédente, l’accusation s’accentue, en deux temps, en antithèse.
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D’une part, avec la répétition, c’est l’absence d'esprit qui est dénoncée : « une chose vous manque, c’est l’esprit. »
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D’autre part, à l’inverse, c’est l’excès qui ressort : « : il y a en vous une chose de trop, qui est l’opinion d’en avoir plus que les autres ».
La dernière partie du texte poursuit la mise en scène du début, en plaçant face à face le personnage et l’auteur, son créateur, en position de conseiller puisqu’il multiplie les injonctions qui accentuent son blâme : « Ne songez point à avoir de l’esprit, n’en ayez point, c’est votre rôle ». Mais l’hypothèse finale constitue la pointe ironique finale, en raison du doute introduit et de cette indulgence, en fait méprisante : « si vous pouvez, un langage simple, et tel que l’ont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit peut-être alors croira-t-on que vous en avez. »
Conclusion
La remarque VI comme le portrait caricatural d’Acis, rejoignent la satire de la préciosité faite par Molière dans sa comédie. Comme lui, La Bruyère illustre l’expression classique, résumé, en 1674, par Boileau dans L’Art poétique : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. » Tous deux, en attaquant la préciosité, se retrouvent dans l’idéal de mesure, de discrétion, de naturel, propre à « l’honnête homme ».
Histoire des arts : analyse d'une mise en scène
Pour se reporter aux scènes 6, 7 et 8
L'activité porte sur la représentation des scènes 6, 7 et 8 des Précieuses ridicules, par la Compagnie « Théâtre en Liberté », dans une mise en scène de Daniel Dancourt aux Rencontres théâtrales d’Orange et à Bollène, en juillet 2012. On se limite à 5 minutes du document vidéo, afin de pouvoir étudier précisément chacune des composantes de la mise en scène, expliquées dans le tableau ci-dessous.
Le décor et les accessoires
La représentation se déroule en plein air, ce sont donc les façades de Bollène qui figurent – comme dans le théâtre antique – un mur de fond. Les accessoires, une table couverte d’une nappe, quelques chaises, un fauteuil, deux pliants renvoient à une époque ancienne, mais pas à celle des Précieuses, dont ils ne reproduisent pas exactement le style. Cela traduit la volonté du metteur en scène de souligner la possibilité d’appliquer le sens de la comédie, cette satire de la « préciosité ridicule », à n’importe quelle époque.
Les costumes et les accessoires
Il en va de même pour les costumes.
Ceux des femmes indique l’écart social entre la servante et les deux précieuses. La tenue d’intérieur, le « négligé », des deux filles peut se justifier par l’indication, donnée précédemment, qu’elles sont « dans leur cabinet » en train de faire « de la pommade pour les lèvres », donc à leur toilette, mais il n’est guère conforme à la mode vestimentaire du XVIIème siècle. Même remarque pour le choix du foulard drapé en guise de coiffure, même si la scène 6 indique « ajustons un peu nos cheveux au moins », ce qui suggère qu’elles vont faire un effort de toilette.
En revanche, le costume de Mascarille répond doublement à l’attente du spectateur, même s’il ne respecte pas le code vestimentaire, par exemple avec l’absence du haut de chausses. Mais il renvoie l’image que le public peut se faire du vêtement d’un courtisan du XVIIème siècle, et, surtout, correspond, par ses couleurs voyantes notamment, à la qualification du personnage par La Grange, un « extravagant ». Nous y retrouvons également le contraire du reproche adressé par Cathos aux deux gentilshommes, avec les « plumes » qui surchargent son « chapeau », sa perruque bouclée à la mode, et, vu l’abondance de dentelle, il na pas « la jambe toute unie ». La canne qu’il porte est une des caractéristiques des petits marquis alors à la mode.
Les effets techniques
Le metteur en scène a choisi d’accompagner les scènes 7 et 8 par des morceaux de musique du siècle de Louis XIV, ce qui lui permet d’ajouter des effets comiques - la scène de danse de Mascarille - tout en nous rappelant la collaboration de Molière avec Lully pour plusieurs comédies-ballets. Il renforce ainsi l’inscription de la représentation dans l’époque de sa création.
Le jeu des acteurs
Il est fréquent, depuis des années, de faire passer un personnage par la salle avant qu’il ne monte sur scène. Cela se prête particulièrement bien ici à l’arrivée de Mascarille en chaise à porteurs, qui ne manque pas, par l’effet de surprise, de provoquer le rire.
Le metteur en scène a accordé une grande importance aux mimiques et aux intonations des acteurs, en accentuant la caricature, par exemple par le contraste entre l’accent paysan de Marotte, ses moues d’incompréhension, et les airs dédaigneux, le ton précieux de Cathos et Magdelon, jusqu’à modifier le texte : le changement de « Dame » en « Par ma foi », permet la modification vocalique, et l’inversion met en valeur, en fin de phrase, le mot « filofie ». De même la répétition d’« Un marquis », avec une voix qui monte dans l’aigu, souligne l’extase ridicule des précieuses. Pour Mascarille, l’acteur surjoue les finales au subjonctif imparfait, signe de raffinement, et le roulement du [r] pour imiter l’habitude précieuse de grasseyer.
La gestuelle également est surjouée, pour les deux précieuses, mais encore davantage pour Mascarille, depuis ses poses prétentieuses, qu’il soit debout, jouant avec sa cannes, ou assis, jusqu’à sa danse dont les ronds et battements de jambe accentuent le ridicule, de même que le soin qu’il apporte à son vêtement.
L’absence de didascalies permet au metteur en scène de librement interpréter certains passages en ajoutant des jeux de scènes comiques, par exemple avec la bourse et l’argent qui tombe à terre quand Mascarille paie les porteurs, dont l’un lui arrache cette bourse, tandis que l’autre lui donne un coup de pied. Celui-là est bien choisi, si l'on pense que Mascarille est un valet... donc conscient de la valeur de l'argent, et habitué à recevoir ce genre de coups de son maître. On peut s’interroger en revanche sur la pertinence des soins que lui apporte Marotte en lui épongeant le visage… car ce geste de délicatesse ne correspond guère à l'image donnée de cette fille, peu formée aux manières distinguées. Peut-être est-ce une volonté d’accroître son rôle, ce qui expliquerait aussi l’ajout de deux répliques entre elle et Mascarille ?
Daniel Dancourt, qui joue lui-même le rôle de Mascarille, affirme donc sa volonté de mettre en valeur toutes les formes de comique, geste, langage, caractère et situation, en choisissant une interprétation plus proche de la farce que de la comédie psychologique ou de mœurs.
Scène 9 : la satire du monde littéraire, de "À quoi donc passez-vous le temps ?" à "... ce qu'on les fait valoir."
Pour lire l'extrait
La scène 9 forme le cœur même de la pièce, par sa longueur, certes, mais surtout par la façon dont les trois personnages concourent à faire ressortir la satire de la préciosité, tout particulièrement dans sa dimension culturelle. Dès le début de la scène, quand Cathos et Magdelon expriment leur désir de tenir un salon de « beaux esprits », cela donne à Mascarille l’occasion de présenter son ridicule impromptu, dont il s’emploie à mettre en valeur les beautés, puis à le chanter. Le public a donc déjà pu mesurer l’aveuglement des deux précieuses, qui s’extasient à tort et à travers. L’extrait choisi fait évoluer la conversation vers le théâtre, et Molière en profite pour régler ses comptes.
Pour étudier les critiques formulées, nous en dégagerons d’abord les cibles, pour observer ensuite la caricature des personnages.
D’après A.E Chalon, Les Précieuses ridicules, 1826. Lithographie de Massimo Gauci, 31,7 x 25. Londres
Les cibles de la satire
Les auteurs et leur public
Les auteurs préparent l’accueil de leur pièce, pour s’assurer du succès. Mascarille rappelle ce rôle, assuré par les « salons », tels ceux de Madeleine de Scudéry ou de la marquise de Rambouillet : « C’est la coutume ici, qu’à nous autres gens de condition, les auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur donner de la réputation. » Molière critique ainsi l’influence exercée par le public aristocratique sur le théâtre, car, si leurs commentaires peuvent « faire valoir la pièce », ne pas bénéficier d’un tel appui peut, à l’inverse, conduire à l’échec. Dans Le grand Dictionnaire des Précieuses ou La Clef de la langue des ruelles (1660), Sommaize explique d’ailleurs : « ce sont elles qui donnent le prix aux choses et qui mettent les ouvrages en réputation ».
Molière dénonce donc cette mainmise abusive sur la critique théâtrale, qui oblige les auteurs à s’y soumettre : « l’auteur m’en est venu prier encore ce matin. » Son personnage représente, en effet, ce qu’il déteste, une noblesse qui, imbue de son sentiment de supériorité, méprise le jugement du public populaire, celui du « parterre », considéré comme incapable de juger une pièce de théâtre : « je vous laisse à penser, si quand nous disons quelque chose le parterre ose nous contredire. » La critique découle du discours de son personnage, dont il fait ressortir l’incompétence littéraire, puisque son jugement ne repose que sur sa promesse faite à l’auteur. Il s’agit « d’applaudir comme il faut », « je me suis engagé », dit-il, « j’y suis fort exact ». Son absurdité est mise en valeur par la dernière phrase : « quand j’ai promis à quelque poète, je crie toujours : "Voilà qui est beau ", devant que les chandelles soient allumées. », c’est-à-dire avant le début du spectacle, la scène étant alors éclairée par des chandelles.
La représentation
Le passage rappelle aussi la rivalité entre la troupe de Molière et la troupe rivale, celle des « grands comédiens » de l’Hôtel de Bourgogne, pendant longtemps seule salle de théâtre officielle de Paris, attribuée à la troupe de « Comédiens du Roi » depuis 1629. Les autres troupes, celle dite « Troupe du Marais », depuis son installation en 1634 dans une salle de jeu de paume de ce quartier, puis celles de Molière, « Troupe de Monsieur » et des Comédiens italiens, qui se partagent alors l’Hôtel du Petit-Bourbon avant d’occuper, en 1660 la salle du théâtre du Palais-Royal, sont donc des concurrents acharnés.
La critique lancée par Mascarille, « les autres sont des ignorants, qui récitent comme l’on parle ; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s’arrêter au bel endroit », révèle, par inversion, ce que reproche Molière à ses rivaux, leur jeu contrefait, excessif, d'où l'affirmation de son propre idéal d’un jeu naturel. C’est à nouveau l’incompétence du jugement de Mascarille qui, dans sa question finale, traduit la satire : « le moyen de connaître où est le beau vers, si le comédien ne s’y arrête et ne vous avertit par là, qu’il faut faire le brouhaha ? », c’est-à-dire marquer bruyamment son approbation.
Des personnages caricaturés
Mascarille
Meneur du jeu, il étale sa vanité par sa façon de se faire valoir aux yeux de Cathos et de Magdelon.
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Dans un premier temps, il se présente comme un guide en matière de théâtre, dont la compétence est reconnue puisqu’on vient le « prier » d’assurer le succès d’une pièce nouvelle. C’est ce qui justifie qu’il puisse leur imposer un comportement au spectacle : « Mais je vous demande d’applaudir, comme il faut, quand nous serons là. »
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C’est aussi sa vanité qui ressort par sa flatterie, « Je ne sais si je me trompe ; mais vous avez toute la mine d’avoir fait quelque comédie », car elle n’a, en fait, pour seul but, que de se faire valoir lui-même : « Entre nous, j’en ai composé une que je veux faire représenter. »
Daniel Dancourt joue Mascarille. Compagnie « Théâtre en Liberté », Rencontres théâtrales d’Orange et Bollène, 2012
Les deux précieuses
Le titre les regroupe dans l’adjectif « ridicules », et c’est bien ce que montre leur comportement dans cet extrait.
Les contrastes introduits dans leurs répliques révèlent à quel point leur langage précieux est artificiel, un emprunt encore mal assimilé. Ainsi, à la question de Mascarille, « À quoi donc passez-vous le temps ? », la réponse de Cathos, « À rien du tout », directe et brutale, expression naturelle de son regret, s’oppose à la réplique de Magdelon, qui imite le style précieux, son emphase métaphorique et hyperbolique : « Nous avons été jusqu’ici, dans un jeûne effroyable de divertissements. » Mais sa réponse à une invitation la réjouit tant que, comme sa cousine, elle en oublie le « beau style » en s’écriant « Cela n’est pas de refus », formule du langage familier.
L’aveu naïf de Magdelon, obsédée par son désir de préciosité, ne masque pas sa personnalité réelle, un mélange d’ignorance et de vanité : « c’est un admirable lieu que Paris ; il s’y passe cent choses tous les jours, qu’on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu’on puisse être. » Pour preuve de sa valeur, elle se prétend d’ailleurs elle-même auteur d’une « comédie », en jouant cependant la modestie par l’emploi d’un conditionnel évasif : « Eh, il pourrait être quelque chose de ce que vous dites. »
Cathos ne veut pas être en reste avec sa cousine, mais se montre encore plus naïve et sotte qu’elle dans son approbation enthousiaste des ordres et aux jugements de Mascarille : « C’est assez, puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur tout ce qu’on dira. », « En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d’un ouvrage ». Mais l’ironie méprisante de Mascarille, « Belle demande ! , face à la question qu’elle lui pose, « à quels comédiens la donnerez-vous ? », la renvoie à son ignorance du monde littéraire. Sa déclaration finale, « les choses ne valent que ce qu’on les fait valoir », accentue la satire, par son double sens. Il s’agit du jeu du comédien, dont vient de parler Mascarille, mais sa formule révèle aussi un défaut plus profond : elle privilégie l’apparence, l’extérieur, l’artifice, à la vérité.
La scène 9 des Précieuses ridicules. Compagnie « Théâtre en Liberté », Rencontres théâtrales d’Orange et Bollène, 2012
CONCLUSION
Des deux précieuses, c’est Magdelon qui domine, Cathos se contentant souvent de la suivre, comme elle suit Mascarille, mais laissant transparaître bien davantage encore sa sottise. Les trois personnages, caricaturés, illustrent le rejet profond, chez Molière, de tout ce qui relève de l’artifice, dans le langage comme dans les comportements. Derrière toutes ses critiques se lit un même idéal : suivre la nature.
Cette critique est longuement développée à propos du théâtre dans L’Impromptu de Versailles, en 1663, quand il feint de se moquer des comédiens qui récitent « le plus naturellement qu’il lui aurait été possible », en feignant de louer « Montfleury » qu’il rend ridicule par son imitation : « Voyez-vous cette posture ? Remarquez bien cela. Là appuyez comme il faut le dernier vers. Voilà ce qui attire l’approbation, et fait faire le brouhaha. »
Histoire des arts : mise en scène et comique
L’étude de la bande-annonce de cette mise en scène de Pierrot Corpel, avec la Compagnie A – dont Sophie Plawczik pour le décor et les costumes – au Festival off d’Avignon en 2014, prolonge celle effectuée sur les scènes 6 à 8, en mettant plus particulièrement l’accent sur la façon de mettre en valeur le comique des passages représentés.
Son apprentissage de la Commedia dell’arte a, de toute évidence, influencé Corpel dans cette mise en scène, qui multiplie les mouvements, jusqu’aux courses effrénées et aux acrobaties, accentue le mime et la gestuelle, sans reculer devant le geste grossier, les gifles ou les coups, sans oublier le rôle important accordé à la musique et à la danse.
Il s’agit de maintenir sur scène un rythme endiablé, en reproduisant les spectacles de farce tels qu’ils se jouaient sur les tréteaux par des troupes itinérantes, peu fortunées.
La mise en scène des Précieuses ridicules ! par Pierrot Corpel
Pour cela, le metteur en scène n’a pas hésité
à réduire le décor, à deux chaises – les personnages ne pourront donc jamais rester assis tous ensemble – et à rideaux, qui facilitent l’irruption des personnages et leur circulation rapide. L’accélération du rythme est frappante dans ces extraits, notamment dans la scène de déshabillage au dénouement.
à inscrire les costumes dans l’époque de la pièce, mais sans excès de luxe. En revanche, le ridicule des deux précieuses est figuré par la fiction des « paniers » qui, alors qu’ils sont, dans la réalité, en dessous de la robe, pour lui permettre de s’étaler en largeur, sont ici mis à l’extérieur, comme pour mieux faire voir leur respect de cette mode venue de la cour d’Espagne.
à changer les « violons » de la comédie de Molière, en un accordéon populaire, comme pour accompagner, sur un air répétitif, la médiocrité de celui composé par Mascarille sur son « impromptu ».
Son respect du texte de Molière est total, mais il y mêle des décalages anachroniques, et des scènes de la vie d’une troupe de comédiens du temps de Molière, nous montrant, par exemple, les actrices non encore costumées, l’irruption d’un acteur quand Mascarille s’écrie « au voleur », ou traitant les deux filles de « coquines »… Tout en ajoutant ainsi des effets comiques, il laisse à la pièce une part d’improvisation et cette mise en abyme souligne l’illusion propre au théâtre. C’est sans doute cette volonté d’amplifier la dimension comique qui explique que le titre de la pièce soit présenté sous une forme exclamative.
Écrit d'appropriation : une note d'intention de mise en scène
La note d'intention explique au lecteur pourquoi la compagnie et les artistes ont décidé de créer ce spectacle. Elle explique les différents partis pris artistiques. Ces choix sont expliqués en fonction des différents points de vue : compagnie, programmateur, public.
La note d’intention est une des possibilités d’écrit d’appropriation. Elle exige de se mettre à la place du metteur en scène, tout en tenant compte de sa troupe et du public, des réactions souhaitées. Elle a pour but de justifier le choix de cette pièce, en montrant qu’elle correspond aux orientations habituelles de la troupe. Elle présente le spectacle, en explicitant la réalisation du décor, des costumes, les éventuels effets techniques envisagés. Elle attire aussi l’attention du lecteur – futur public qu’il est nécessaire d’attirer – sur l’intérêt de la mise en scène, en donnant quelques exemples précis, éventuellement en y joignant une ou deux photos. Le metteur en scène insiste sur son interprétation, en lien avec le sens qu’il souhaite donner à la pièce.
Sujet : À partir de votre propre lecture des Précieuses ridicules de Molière, présentez la note d’intention d’un spectacle destiné à être présenté dans de nombreux lycées français.
Scène 11 : une scène de farce, du début à "... de ce que vous êtes."
Lors de la longue scène 9, échange entre Mascarille, Cathos et Magdelon, le public a pu mesurer le ridicule de ces trois personnages, leur prétention, et l’absurdité de leurs jugements littéraires notamment. À la scène 10 est annoncée l’arrivée d’un nouveau personnage, Jodelet, présenté sous son nom d'acteur. C’est un des acteurs comiques les plus populaires de cette époque, farceur au visage enfariné, à la voix nasillarde, et des témoignages nous apprennent qu’il provoque les rires du public dès qu’il apparaît. La scène s’inscrit donc dans le comique, d’où l’analyse qui en commente les quatre composantes : gestes, langage, caractère et situation.
Abraham Bosse, Jodelet, vers 1645. Eau-forte, 28,8 x 20,8. BnF
Pour lire l'extrait
Le comique de gestes
Se saluer lors d’une rencontre fait, bien évidemment, partie des règles de la politesse, mais la succession des exclamations, accompagnées d’embrassades multipliées, dépasse ici la sobriété exigée par la bienséance.
Mais c’est surtout à propos des blessures que ressort le comique de gestes, quand Cathos et Magdelon reçoivent l’ordre de vérifier : « Tâtez un peu, de grâce », « Donnez- moi un peu votre main, et tâtez celui-ci ». Ces gestes, toucher un homme inconnu, s’opposent à toutes les règles de civilité imposées à des jeunes filles ! Le comble est signalé par la didascalie, « mettant la main sur le bouton de son haut-de-chausses », geste grossier, qui permet d’imaginer le recul et la mimique effrayée de Magdelon : « Il n’est pas nécessaire, nous le croyons, sans y regarder. »
Le comique de mots
La blessure de Jodelet : mise en scène de Daniel Dancourt et la Compagnie A, Orange et Bollène 2012
Jean Hégésippe Vetter, Mascarille présentant Jodelet à Cathos et à Madelon, 1865. Huile sur bois. Musée des Beaux-Arts d'Orléans
La galanterie parodiée
Sur la Carte du pays de Tendre, guide de l’amour précieux, le premier village rencontré après « Nouvelle amitié » est « Complaisance », délicatesse du comportement envers une dame, à commencer par les compliments qu’il convient de lui adresser, tel celui de Jodelet : « Il est juste de venir vous rendre ce qu’on vous doit, et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes. » Mais la métaphore, qui transforme la destinatrice en « dame suzeraine » tout en soulignant ses « attraits », est rendue maladroite par sa conclusion « sur toutes sortes de personnes », qui signifie qu’elle peut plaire à n’importe qui… y compris à des valets, comme peut le comprendre le public, qui, lui, est au courant du statut social des deux visiteurs !
De même, la réplique de Mascarille, « Oui, mais non pas si chaud qu’ici », qui se veut spirituelle, est gâchée par la triple interjection familière, « Hay, hay, hay. »
Le langage militaire
Tous deux sont censés s’être connus « à l’armée », ils s’efforcent donc d’utiliser le langage militaire. Mais l’affirmation de Jodelet, « la première fois que nous nous vîmes, il commandait un régiment de cavalerie sur les galères de Malte », est une totale absurdité, car ces bateaux, réservés aux chevaliers de l’ordre de Malte, ne transportaient pas « un régiment de cavalerie » ! De plus, au temps de Louis XIV, les galères ne sont qu’une sorte de bagne… Même absurdité pour la flatterie de Mascarille, « je me souviens que je n’étais que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux », car tout commandement militaire s’exerce sur des hommes et non pas sur « deux mille chevaux ».
Enfin, l’allusion de Mascarille à une victoire commune, « Te souvient-il, Vicomte, de cette demi-lune que nous emportâmes sur les ennemis au siège d’Arras ? », introduit un terme militaire, qui désigne effectivement une fortification, en forme de V. Mais, la réponse de Jodelet, « Que veux-tu dire avec ta demi-lune ? C’était bien une lune tout entière », dans son désir d’accentuer leur bravoure, est ridicule, car « une lune tout entière » ne renvoie à aucun ouvrage militaire ! Et pourtant, Mascarille confirme cette invention : « Je pense que tu as raison. »
Le jeu sur le double sens
Le regret de Jodelet, « la cour récompense bien mal aujourd’hui les gens de service comme nous », fait aussi sourire le public, qui entend cette formule non pas dans un sens militaire, mais en la rattachant à leur état de valets, au « service » de leur maître.
Mais ce jeu devient véritablement équivoque dans les dernières répliques, alors même que Mascarille s’apprête à baisser son haut-de-chausses, et que Magdelon exprime son refus : « Il n’est pas nécessaire, nous le croyons, sans y regarder. » La riposte orgueilleuse de Mascarille, « Ce sont des marques honorables, qui font voir ce qu’on est », s’entend donc dans un double sens : pour lui, sa valeur de soldat, sa bravoure, pour le public, cette nudité qu’il est prêt à dévoiler !
Le comique de caractère
Les deux visiteurs
Le texte met en évidence leur vanité fanfaronne, à travers leur flatterie réciproque : « MASCARILLE.- Savez-vous, Mesdames, que vous voyez dans le Vicomte un des vaillants hommes du siècle ? C’est un brave à trois poils. JODELET.- Vous ne m’en devez rien, Marquis, et nous savons ce que vous savez faire aussi. »
Cette vanité ressort dans la dernière partie de la scène, quand ils surenchérissent l’un sur l’autre sur la gravité de leur blessure : « grande » est la cicatrice laissée à Jodelet « à la jambe d’un coup de grenade », tandis que, pour Mascarille, l’arme est plus imposante, « un coup de mousquet », et plus dangereuse car « au derrière de la tête ». Ensuite Jodelet amplifie la deuxième blessure évoquée : « Voici un autre coup qui me perça de part en part à l’attaque de Gravelines. » On se demande même comment il a pu survivre… Mais il oblige alors Mascarille à aller plus loin, avec son geste qui accompagne sa déclaration « Je vais vous montrer une furieuse plaie ».
Les deux précieuses
Nous retrouvons, dans cette scène, la parodie du langage précieux qui révèle leur ridicule obsession, par exemple chez Magdelon, dans son interpellation, « Ma toute bonne », dans sa demande d’apporter « le surcroît d’un fauteuil », dans sa métaphore, « je veux que l’esprit assaisonne la bravoure », comme dans la formule de Cathos, « J’ai un furieux tendre pour les hommes d’épée », ou dans la reprise quasi géographique de la Carte de Tendre dans la réponse de Magdelon au compliment de Jodelet : « C’est pousser vos civilités jusqu’aux derniers confins de la flatterie. »
Mise en scène de Jean-Daniel Laval, Compagnie de la Reine, 2007
Mais c’est surtout leur joie naïve qui fait sourire, car la « pièce » annoncée dans la scène d’exposition par La Grange, est parfaitement réussie. Elles se sont laissé tromper par les titres de « marquis » et de « vicomte », et s’imaginent déjà en train de tenir le salon précieux dont elles rêvent : « nous commençons d’être connues, voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir », se réjouit Magdelon, et la réplique de Cathos, « Cette journée doit être marquée dans notre almanach, comme une journée bienheureuse » achève le ridicule. L’adjectif « bienheureuse » sanctifie, en effet, la « journée » comme s’il s’agissait d’un jour consacré à un saint…
Le comique de situation
Il vient du contraste entre l’enthousiasme extasié des deux jeunes filles, face à ces deux hommes, « un gentilhomme », du « beau monde » à leurs yeux, et la réalité que montre la scène : tout, dans les paroles et le comportement des deux valets, porte la marque de la grossièreté et de la vulgarité. Il faut le geste outré de Mascarille pour provoquer le recul de Magdelon, mais cela ne suffit pas à leur ouvrir les yeux. Ainsi, la dernière réplique de l’extrait, l’affirmation de Cathos, « Nous ne doutons point de ce que vous êtes », soutient le comique, en soulignant leur aveuglement…
Le public rit alors, car il est au courant de la situation ; il rit de les voir dupes, lui-même se sentant alors supérieur.
CONCLUSION
L’exagération est poussée à l’extrême dans cette scène, qui relève de la farce, tant par l’excès des gestes que par le langage, allant de la parodie des civilités mondaines à l’équivoque grivoise. Les deux valets, travestis en gentilshommes, jouent parfaitement leur rôle, donnant même l’impression que l’apparence est, pour eux aussi, devenue réalité. Mais que dénonce ainsi Molière ? La préciosité « ridicule », ou, plus grave encore, l’aveuglement de tout homme, prêt, quand il est en proie à une obsession, à « croire » à ce qui n’est qu’illusion ? Molière n’annonce t-il pas déjà, dans cette courte face, la critique formulée dans Tartuffe et Dom Juan ?
Scène 15 : le dénouement
Pour lire l'extrait
Pour parachever leurs efforts de séduction, Mascarille et Jodelet, font venir des violons et le bal commence, quand, à la scène 13, La Grange, maître de Mascarille, fait irruption « un bâton à la main », et, avec son ami Du Croisy, commencent à battre les deux valets, à la grande stupéfaction des deux précieuses.
La scène 15, qui se déroule en deux temps, met fin à la comédie, en inversant la situation : Mascarille et Jodelet retrouvent leur statut de valets.
Le retournement de situation (lignes 1-11)
L’insulte lancée par La Grange, « marauds », devrait suffire à faire comprendre la relation entre lui et son ami et les deux visiteurs, Mascarille et Jodelet. Mais cela ne sort toujours pas Magdelon de son aveuglement, vu sa riposte indignée : « Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de la sorte, dans notre maison ? »
Sa question souligne la brutalité du coup de théâtre formé par ce dénouement, avec dans cette scène l’entrée de ces « autres », dont une didascalie, introduite dans l’édition de 1682, nous apprend qu’il s’agit de « spadassins ».
La question rhétorique de Du Croisy fait directement écho à la scène d’exposition. Il rappelle, en effet, le motif qui a guidé leur volonté de se « venger », leur blessure d’amour-propre : « Comment, Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux reçus, que nous ? » La stupéfaction de Magdelon se traduit par l’écho des répliques rapides : « nos laquais », « Vos laquais ? », « Oui, nos laquais ».
Cependant, son accusation à leurs serviteurs, « vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets », efface totalement le rôle des deux maîtres dans la mise en scène de cette « pièce », en présentant la situation comme un choix des seuls valets. Ainsi, nous pouvons considérer que les coups de bâton infligés à Mascarille et Jodelet sont véritablement injustes, car ils n’ont fait qu’obéir à leurs maîtres. Mascarille protestait d’ailleurs à la scène 13 : « vous ne m’aviez pas dit que les coups en seraient aussi. » L’insistance de La Grange, « Oui, nos laquais, et cela n’est ni beau, ni honnête, de nous les débaucher, comme vous faites » accentue encore l’humiliation qu’il souhaite infliger aux deux précieuses : en les accusant de détourner Mascarille et Jodelet du service dû à leurs maîtres, il feint de croire qu’elles savaient parfaitement qu’il s’agissait de « laquais ».
Mise en scène de Daniel Dancourt et la Compagnie A, Orange et Bollène 2012
De ce fait, l’exclamation indignée de Magdelon, « Ô Ciel, quelle insolence ! », reste ambiguë : sa colère vise-t-elle les deux valets… ou bien a-t-elle compris que cette situation humiliante a été créée par les maîtres ?
Un dénouement comique (lignes 12 à 35)
Le déshabillage des valets
La scène de déshabillage, qui achève le retournement de situation, est forcément comique, déjà en soi, comme l’indique l’ordre donné par La Grange : « Vite qu’on les dépouille sur-le-champ. » Mais, les réactions des deux valets en accentuent le comique, déjà la plainte de Jodelet personnifiant son bel habit : « Adieu notre braverie. » Plus cocasses encore sont les répliques de Mascarille, par le décalage entre le ton héroïco-tragique d’une réflexion qui se veut philosophique, et la situation comique vécue : « Voilà le marquisat et la vicomté à bas » et « Ô fortune, quelle est ton inconstance ! »
Mise en scène de Jean-Daniel Laval, Compagnie de la Reine, 2007
C’est sur le comique que se termine la scène, puisqu’alors qu’ils sont dépouillés de leurs habits, le jeu de scène des deux valets face à la demande des « violons » montre qu’ils ne se résignent pas à renoncer à leur titre : « MASCARILLE. -Demandez à Monsieur le Vicomte. », « JODELET.- Demandez à Monsieur le Marquis. »
Fonction morale du comique
Ce déshabillage a pour fonction d’ôter ce qui relève de l’apparence, pour remettre au premier plan la vérité. C’est ce qu’explique La Grange : « Mais ils n’auront pas l’avantage de se servir de nos habits, pour vous donner dans la vue, et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux. » Il s’agit donc bien de corriger les deux précieuses, en les invitant à ne pas juger uniquement sur le respect de la mode vestimentaire. La gradation des trois propositions rend particulièrement méprisante et violente la leçon de morale donnée : « Maintenant, Mesdames, en l’état qu’ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux, tant qu’il vous plaira, nous vous laissons toute sorte de liberté pour cela, et nous vous protestons, Monsieur, et moi, que nous n’en serons aucunement jaloux. »
Mais la double réaction, en miroir, des deux jeunes filles révèle-t-elle qu’elles ont compris la leçon ?
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Le mot employé par Cathos, « Ah quelle confusion ! », peut, en effet, prendre un double sens : regrette-t-elle seulement la « confusion », l’erreur commise en prenant les valets pour du « beau monde », ou bien exprime-t-elle sa honte de vivre une telle situation ?
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De même, le sentiment exprimé par Magdelon, « Je crève de dépit », doit-il être rattaché au sentiment amoureux déçu, la perte de l’homme qui lui plaisait, ou bien simplement la violente colère de s’être laissée tromper ?
Mise en scène de Jean-Daniel Laval, Compagnie de la Reine, 2007
CONCLUSION
Cette scène apporte un double dénouement.
Elle met fin à la « pièce » mise en scène par La Grange et Du Croisy, mise en abyme qui s’est ouverte par l’arrivée de Mascarille à la scène 7, en ramenant ses deux acteurs, Mascarille et Jodelet, à leur statut social réel, celui de valets soumis à leurs maîtres jusqu’à accepter le châtiment qui leur est infligé.
Elle met aussi fin à l’intrigue de la comédie, qui contrairement à l’habitude, ne se conclut pas par un heureux mariage, mais par l’échec du mariage initialement prévu, échec déjà annoncé dans la scène d’exposition.
Rappelons que la règle classique du dénouement pose trois exigences. Il doit être « rapide », et c’est le cas ici avec le coup de théâtre, et « complet », c’est-à-dire fixer le sort de tous les personnages. Il doit enfin être « nécessaire », à la fois pour la logique interne de la pièce – et c’est bien le cas ici, puisque la vengeance annoncée au début est exécutée – et pour la morale : la honte des deux « précieuses » a mise en valeur leur « ridicule ».
Cette explication sera prolongée par la lecture de la fin de la pièce.
Conclusion
Sur la représentation théâtrale
La reprise des « notes d’intention » proposées est l’occasion de rappeler les composantes de la mise en scène.
On pourra notamment s’interroger sur les possibilités offertes au metteur en scène :
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le choix du contexte : rester dans le cadre du XVIIème siècle, ou bien actualiser la pièce, ce que permettent les choix de décors et de costumes.
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le choix de la tonalité : accentuer le comique, en allant jusqu’à la farce – avec les audaces qu’elle peut autoriser – ou bien mettre plutôt l’accent sur la comédie de mœurs, en soulignant la parodie de la préciosité.
La pièce met en œuvre, en effet, de nombreux procédés qui relèvent de la farce : les coups de bâton, à plusieurs reprises, le chant de son « impromptu » par Mascarille ou sa danse ridicule, les cicatrices exhibées avec fierté, et, bien sûr, le déshabillage final… Mais il serait aussi possible de mettre davantage l’accent sur la parodie de la préciosité, en faisant ressortir le contraste entre Magdelon, meneuse du jeu dans ce domaine alors que Cathos se contente souvent de la suivre. La comédie dépasserait alors la farce pour porter sur les caractères et sur les mœurs dénoncés.
Sur l'enjeu de la séquence
Il s'agit de formuler une réponse à la problématique : Quelles cibles la satire vise-t-elle dans cette comédie ?
La préciosité ?
La pièce interroge le lecteur, qui sait que, dans plusieurs de ses comédies, Molière a pris le parti de celles et ceux qui refusent les mariages arrangés, l’autorité abusive des pères, en affirmant le droit d’aimer, comme le faisaient les Précieuses. Or, dans Les Précieuses ridicules, la conclusion reste ambiguë car, si le mariage, voulu par Gorgibus et rejeté par les deux jeunes filles, échoue, les deux « précieuses » voient aussi s’écrouler leur idéal de bel esprit et d’amour parfait selon la Carte de Tendre. Finalement, dans les deux cas, la cible de la satire serait tout ce qui entend imposer une contrainte, aussi bien l’autorité d’un père que les modes qui veulent poser des règles de langage et de comportements.
Le monde littéraire ?
De plus, la dernière réplique de sa comédie, « Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes, puissiez-vous être à tous les diables. », déplace la cible de la satire de la Préciosité en tant que mouvement social à son seul contenu littéraire. Ne vise-t-il pas, ainsi, d’abord des auteurs jugés médiocres et « pernicieux » parce qu’ils s’écartent trop du naturel ? La pièce ne manque d’ailleurs pas de critiquer ces auteurs, tels les Trissotin et les Vadius des Femmes savantes, tout comme les comédiens qui trahissent, eux aussi, le naturel.
Les faux semblants
C’est en fait, le "ridicule" qui est la cible principale, né du manque d’authenticité, renvoyant au contexte du siècle de Louis XIV, dont témoignent les règles de l'étiquette à la Cour et les nombreux traités sur la politesse et les bienséances. On retrouvera cette critique dans de nombreuses pièces, Tartuffe, avec le faux dévot, Dom Juan avec l'éloge de l’hypocrisie, Le Misanthrope…
DEVOIR : vers le commentaire
Pour voir l'extrait
Le support est la tirade d’Arnolphe dans l’acte III, scène 2, de L’École des femmes de Molière, vue précédemment en lecture cursive, réduite au passage des vers 695 à 716, de « Le mariage, Agnès,… » à « … lui faire grâce. »
On utilisera la méthodologie proposée pour construire une approche progressive de cet exercice d’écriture : élaborer le contenu d'une introduction, dégager des axes d'étude, eux-mêmes divisés en sous-axes en faisant correspondre les exemples pris dans le texte aux idées analysées, enfin proposer des pistes pour conclure.
Lecture personnelle : Eugène Ionesco, La Leçon, 1951
Pour guider la lecture : un dossier pédagogique intéressant