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Rutebeuf, Poésies, XIIIème siècle, "Poèmes de l'infortune" : explications

« La Griesche d’hiver », vers 17-51 

Pour lire l'extrait

Ce poème ouvre ce recueil qui, sous le titre "Poèmes de l’infortune", regroupe onze poèmes de Rutebeuf, et lui fait écho, en miroir, le suivant, « La Griesche d’été », pour insister sur l’impossibilité d’échapper à ce destin. Dans les deux cas, le terme « Griesche » renvoie à un jeu de dés, jeu de hasard dont on ne connaît pas aujourd’hui les règles. Mais il se joue pour de l’argent, avec un espoir de gain donc, mais plus souvent le risque d’une perte importante. C’est ce qui explique la traduction de Jean Dufournet par "guignon" qui met en valeur la malchance au jeu dont se plaint le poète, ton donné dans les premiers vers où il annonce « un pitoyable récit ».

Quelle image de lui-même le poète nous propose-t-il dans ce passage ?

La misère du poète (vers 1 à 11) 

Février, Bréviaire franciscain Grimani, 1510-1520. Enluminure, Biblioteca Marciana, Venise

Février, Bréviaire franciscain Grimani, 1510-1520. Enluminure, Biblioteca Marciana, Venise

Des joueurs au moyen-âge. Enluminure; BnF

Des joueurs au moyen-âge. Enluminure. BnF

La cause

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Le passage s’ouvre sur une allégorie de ce jeu de dés, « la grièche », personnifiée, dont il dépeint l’action, en créant, cependant, un effet de surprise. Les quatre premiers vers, en effet, suggèrent l’idée d’un gain, avec le jeu des temps qui soutient l’affirmation hyperbolique : « La grièche m’avait bien promis / tout ce que, depuis, elle me livre ». La répétition verbale à la rime s’associe au chiasme, « elle me paie bien et bien me livre », qui joue aussi sur le glissement de l’adverbe au substantif pour renforcer cette impression de profit important. Ce bénéfice est enfin confirmé par le jeu entre ce verbe répété et son homonyme : « Contre un sou elle me rend une livre ». Mais, alors qu’il annonce que cette mise minime, « un sou », rapporte bien davantage, l’hétérométrie joue pleinement son rôle, car le tétrasyllabe, « de grande misère », inverse totalement cette heureuse situation.

La déploration

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Cette inversion, image de sa misère, se poursuit par une seconde personnification : « La pauvreté m’est retombée dessus : / Sa porte m’est toujours ouverte ». La « pauvreté » est ici représentée comme la maîtresse d’un logis, qui, sous prétexte d’hospitalité, écrase en réalité le poète, qui finit par se représenter tel un prisonnier, avec l’épanorthose insistante à la fois par le passage du tétrasyllabe à l’octosyllabe et par l’indice temporel négatif qui reprend l’adverbe temporel affirmatif : « Toujours j’en suis, / aucune fois n’en suis sorti. » L’antithèse, « Par pluie me trempe, Au chaud, m’essuie » image les aléas d’une existence soumise au hasard, qui conduit à conclure par une exclamation où l’amertume du poète se mêle à un regard que l’antiphrase charge d’humour : « Ah ! Le riche homme que voici ! »

Un autoportrait (vers 12 à 23)

Un portrait négatif

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La pauvreté se traduit ensuite par la gradation des négations. La première, restrictive, présente la force des soucis qui empêche de bien dormir : « Je ne dors que mon premier somme. » Puis la négation totale, « De mes biens, ne connais la somme », avec la rime qui joue sur l’homonymie, se prolonge par la négation encore plus insistance : « Puisque je n’ai rien. »

Le rôle des saisons

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Une pirouette intervient alors puisque, paradoxalement, Rutebeuf remercie le ciel d’une faveur accordée, la création d’un univers où les saisons se succèdent : « Dieu me fait les saisons à point » Mais ce n’est là qu’un jeu pour introduire la suite de ses misères : « Mouche noire en été me pique, / Et en hiver, c’est la blanche. », métaphore plaisante pour illustrer la rigueur du froid quand la neige fait voler ses flocons.

Trois comparaisons mettent ensuite en valeur l’existence instable du poète, les souffrances subies lorsqu'arrive l'hiver :

         La première, « Ainsi, suis comme l’osier franche », fait référence au traitement de l’osier sauvage : vert quand il est cueilli, à la belle saison, il doit être ensuite traité pour être employé, par exemple dans la vannerie, soit par dessication, séchage avant d’être immergé dans l’eau pour retrouver sa souplesse, soit par écorçage, pour lui ôter son écorce. Traitement qui peut paraître cruel pour ce végétal...

Les frères Limbourg, « Un dur hiver », Les Très Riches Heures du duc de Berry, 1416-1440. Enluminure, musée Condé, Chantilly

Les frères Limbourg, « Un dur hiver », Les Très Riches Heures du duc de Berry, 1416-1440. Enluminure, musée Condé, Chantilly

       La deuxième est un topos littéraire, la condition de l'oiseau mise en valeur par le contraste entre la brièveté du tétrasyllabe, pour le temps de la joie, par rapport à la redondance verbale dans l’octosyllabe : « Ou comme l’oiseau sur la branche : / L’été, je chante / En hiver, pleure et me lamente ». Lui aussi subit un sort cruel en hiver !

         La troisième, « Et me dépouille comme une ente / Au premier gel », montre la transformation d’une jeune pousse, à peine greffée, encore vivace, qui est menacée de périr quand vient la froideur extrême.

La culpabilité (vers 24 à la fin) 

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La résignation

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Mais le ton change à la fin de ce portrait, alors même qu’il réaffirme son dénuement total : « Il ne me reste rien sous le ciel ». Là où l’on pourrait attendre de l’amertume, voire de la colère, il n’exprime que l’acceptation de son destin : « Il n’y a en moi ni venin ni fiel ». La résignation que traduit le bref octosyllabe de conclusion, « Tout suit son cours », donne ainsi l’image d’un chrétien se soumettant au sort que Dieu lui a fixé, ou bien, de façon plus païenne, celle d’une roue que tourne à son gré la déesse antique, Fortune.

La roue de Fortune, Le Livre des Cas des nobles hommes, Giovanni Boccaccio, 1401-1500, BnF

Un aveu

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Cette résignation s’explique parce qu’il se reconnaît responsable de cette misère, en amplifiant son aveu de culpabilité, son goût excessif pour le jeu de dés, ce que nous nommerions aujourd’hui son addiction. « Les mises dont j’étais coutumier / Ont englouti tous mes avoir » est repris plus directement et avec plus de force par « J’ai parié des mises insensées / Je m’en souviens ». Ainsi, il confesse sa propre faute par la redondance verbale, « Et fourvoyé / Hors du chemin, m’ont dévoyé. », avoir mené une vie qui s’est écartée de la stricte morale. Rappelons qu’à l’époque où Rutebeuf écrit il y a déjà longtemps que l’Église condamne les jeux de hasard, jugés diaboliques, par exemple au concile de Latran, en 1215, sont défendus aux clercs l’ivrognerie et le jeu, et en 1254 Louis IX fait interdire la fabrication des dés.

L'ultime appel

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Le connecteur « Mais » marque une nouvelle étape, qui commence sur un ton de repentir, mais le chiasme du texte médiéval, « Or voi ge bien tot va, tot vient, / Tout venir, tout aleir convient » – que n’a pas repris la traduction de Jean Dufournet qui choisit un simple parallélisme – exprime plutôt l’obligation d’accepter les aléas d’une existence sur lesquels l’homme n’a aucun pouvoir.

Mais cette sagesse résignée, presque stoïcienne, est brisée par une sorte de pirouette dans le dernier octosyllabe, « Hormis les bienfaits », puisque le terme « bienfaits » contraste avec l’insistance sur la pauvreté et le malheur dans l’ensemble du passage. Rutebeuf rappelle ainsi à ses auditeurs à quel point son état de jongleur le rend dépendant des aides qu’ils peuvent lui fournir, en exprimant l’espoir que leur appui, lui, échappe au hasard en étant assuré et constant.

CONCLUSION

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Cet extrait offre une introduction intéressante au recueil pour deux raisons :

        d’une part, il nous propose un regard sur le XIIIème siècle, une époque où la vie est loin d’être facile et où règne l’instabilité : comme il est impossible d’être sûr du lendemain, il est alors tentant de tenter le sort. Ainsi les plus riches comme les plus pauvres s’adonnent à toutes sortes de jeu de hasard, mais l’espoir du gain est le plus souvent déçu. Cela atteindra un point tel qu’au siècle suivant Charles V interdira la pratique de tous les jeux, dés, paume ou soule, quilles, palets… Chaque poème de ce recueil permettra de compléter ce regard.

         d’autre part, elle présente le poète lui-même et ses choix d’écriture. Nous y découvrons sa difficile condition de jongleur, une vie de misère souvent, par sa faute, certes, mais aussi parce qu’il dépend de la générosité, incertaine, de son public. Il tente donc de l’apitoyer, d’où l’expression lyrique de sa souffrance, mais, capable de prendre du recul, il prend soin aussi de le divertir par des images originales et en jouant sur les effets de surprise.

« Le Dit des Ribauds de Grève » 

Après « La Griesche d’hiver » qui met l’accent sur la misère du poète, « La Griesche d’été » s’élargit déjà à tous ceux qui, comme lui, connaissent la misère parce qu’ils s’adonnent au jeu de dés : « On ne peut imaginer les ravages du jeu », conclut-il. Mais le court douzain « Le Dit des Ribauds de Grève » va encore plus loin car Rutebeuf reste ici extérieur au portrait de ceux que, vivant à Paris, il a pu observer sur la place de Grève, qui tire son nom de son rôle initial, une « grève », un rivage des bords de Seine où viennent charger et déjà les bateaux. C’est pourquoi s’y regroupent les hommes démunis en quête d’un travail, mais aussi tous ceux qui espèrent profiter de ces gains d’autrui, voleurs, ivrognes, prostituées…

La place de Grève au moyen-âge

Pour lire l'extrait

La place de Grève au moyen-âge
Ribauds

Ainsi, si la traduction de Jean Dufournet nomme ces personnages des « gueux », il paraît préférable de conserver le terme vieilli « ribauds », car au-delà de leur misère, il implique aussi une vie de pillage et de débauche. De même, il nous a semblé souhaitable de faire apparaître, dans toute la mesure du possible, le choix des octosyllabes, et de conserver – sauf au vers 11 – le croisement des deux rimes, en se limitant parfois à la seule assonance. Cette première observation amène à s’interroger sur le rôle que Rutebeuf assigne à ce rapide portrait.

Un triste sort (vers 1 à 6) 

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Jean Marlet, Les quatre mendiants sur le Pont au Change, 1847. Estampe, musée Carnavalet, Paris

L'interpellation

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Le poème s’ouvre sur une interpellation soutenue par l’exclamation, ce qui pose une première question : ces personnages sont-ils présents alors que Rutebeuf récite leur portrait ? Faut-il alors considérer ce poème comme une adresse directe, ou bien est-ce seulement une façon de rendre vivantes ces courtes scènes, pour les mettre sous les yeux du public ? Dans le premier cas, cette exclamation, « vous voilà bien en point », serait plutôt chargée d’ironie, et cela confirme l’importance de conserver le mot « ribauds », car leurs vices Justifieraient leur terrible vie. Mais il n’y a aucune réponse à cette interpellation, ce qui fait douter de leur présence dans le public.

Nous retiendrons donc plutôt la seconde interprétation : il s’agirait surtout de faire partager au public le sort cruel de ces êtres démunis auxquels on ne prête en général aucune attention, un sort finalement assez semblable au sien. Plutôt que de l’ironie, le ton qui peut prêter à sourire relèverait donc d’une distanciation humoristique, puisque, finalement, Rutebeuf se sent semblable à eux.

La pauvreté

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Le portrait qui suit commence par l’évocation de l’hiver, « Les arbres dépouillent leurs branches », écho direct au début de « La Griesche d’hiver » : « Vers le temps que l’arbre s’effeuille, / Qu’il ne reste aux branches feuille // Qui ne tombe à terre ». Ainsi est immédiatement établi le lien entre l’existence de Rutebeuf et celle des « ribauds » : le partage d’une même pauvreté par la métaphore qui compare la nudité des arbres à celle des humains qui, eux aussi, tremblent de froid : « Et d’habit vous n’en avez point ; / Aussi aurez-vous froid aux hanches. » À cette douloureuse pauvreté s’oppose l’exclamation qui souligne le contraste entre le dénuement des pauvres et les vêtements qui assurent aux riches une confortable chaleur, comme si le poète partageait le souhait de ces « ribauds » : « Qu’il vous faudrait maintenant pourpoint, / Surcot fourré avec des manches ! »

Le vêtement médiéval : de la pauvreté à la richesse

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Un portrait en action (vers 7 à la fin) 

Le portrait se développe ensuite en trois courtes scènes, formant une hypotypose qui donne vie aux personnages.

        La première illustre leur démarche, en jouant à nouveau sur l’opposition des saisons, mises en valeur en tête des vers : « L’été vous gambadez si bien, / L’hiver vous traînez tant la jambe ! » traduit le texte médiéval qui, lui, formait un chiasme : « Vos aleiz en estei si joint, / Et en yver aleiz si cranche, » La traduction choisit aussi des verbes antithétiques pour reproduire l’intensité des deux images parallèles originelles opposant, elles, les démarches : « si joint », « si cranche ».

        Cette évocation de la démarche amène celle des « souliers », plutôt ironique : « Cirer vos souliers, nul besoin, / Vos talons vous servent de planches. » Le poète présente, en effet, comme une délivrance l’absence d’entretien, en réalité due au fait de marcher pieds nus.

        Ce court douzain se ferme sur la métamorphose cocasse des flocons de neige en insectes : « Les mouches noires vous ont piqués, / À présent vous repiqueront les blanches. » S’il a été impossible de garder dans la traduction l’alternance des rimes constante dans le poème, en revanche l’écho des verbes qui soutiennent cette image est habilement maintenu. Mais, surtout, l’image remet en évidence la ressemblance entre ces « ribauds » et Rutebeuf, puisqu’il l'a déjà été employée à son propos dans « La Griesche d’hiver : « en été c’est la mouche noire qui me pique, / en hiver la mouche blanche ».

CONCLUSION

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Finalement, la lecture de ce douzain crée un sentiment ambigu en raison de l’alternance entre les moments où Rutebeuf se rapproche de ces malheureux, et ceux où il se pose en observateur extérieur. Les éléments descriptifs de la seconde partie relancent, en effet, la question initialement posée : comment qualifier le regard porté par Rutebeuf sur les « ribauds » ? Ne suscite-t-il pas davantage le sourire que la pitié ? Un sourire pour le moins paradoxal puisque le pronom « vous » omniprésent fait du douzain entier une adresse aux destinataires, souffrants certes, mais, en même temps, mis en scène à travers leurs ridicules… Faut-il donc en retenir la plainte subjective ou la moquerie prenant les déshérités pour cibles ?

« La Complainte Rutebeuf », vers 107-139 

Pour lire l'extrait

Complainte

Les deux poèmes dans lesquels Rutebeuf a déploré son infortune due à « la griesche », le jeu de dés, se sont élargis à une triste image plus générale, celle des « Ribauds de Grève », puis à une dénonciation de la cour royale à travers le bestiaire de « Renart le Bestourné ». Après cette rupture parodique, le poète revient à son douloureux sort personnel d’abord dans « Le Mariage Rutebeuf », puis dans « La Complainte Rutebeuf » La mention, dans ces deux titres, de son nom invite à en mesurer la part personnelle et le terme « complainte » annonce la tonalité de cette plainte qu’il veut partager à son public, le lyrisme.

" Pauvre Rutebeuf"

" Pauvre Rutebeuf"

Dans les premiers vers de ce long poème de 165 vers, les malheurs s’enchaînent, mariage et naissance d’un enfant, perte d’un œil et blessure d’un cheval, maladie enfin : tout cela accentue sa pauvreté jusqu’à une ruine totale. Dans cet extrait, il y ajoute une autre douleur, la perte de ses « amis » : comment présente-t-il cet abandon et ses conséquences ?

Les amis perdus (vers 1 à 9) 

La lamentation

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Nous retrouvons dans ce poème l’emploi de tercets, où deux octosyllabes de rime suivie sont suivis d’un tétrasyllabe dont la rime introduit celle qui soutient les deux octosyllabes du tercet suivant. Le tercet qui ouvre ce passage propose une sorte de bilan du début de la « complainte ». Il y rejette la faute de son triste sort sur une fatalité présentée comme une vérité générale, « Comme un malheur n’arrive jamais seul », en mettant en valeur, par la reprise verbale au passé composé dans le tétrasyllabe, le destin qui l’a accablé : « tout ce qui pouvait m’arriver / m’est arrivé. »

Une nouvelle épreuve

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La question oratoire

La question adopte alors une tonalité pathétique, mais l’on peut regretter que la traduction, « Que sont devenus mes amis », rétablisse l’ordre syntaxique ordinaire, là où la dissociation du texte médiéval, « Que sont mes amis devenus », met davantage l'accent sur la perte par sa place à la rime, comme si le temps détruisait tout, même une amitié présentée comme précieuse : « qui m’étaient si intimes / et si chers ? » À nouveau, nous nous interrogeons sur le choix de la traduction qui privilégie les adjectifs qualifiant les amis, au lieu de mettre en avant, comme dans le texte médiéval, le « je » du poète, donc la force de ses sentiments : « Que j’avoie si près tenu / Et tant amé ? »

La réponse

Or, dans sa réponse le poète reconnaît sa culpabilité, mais la traduction rend ambigu cet aveu de négligence. Elle remplace, en effet, la métaphore végétale « il sont trop cler semé / Il ne furent pas bien semé / Si sont failli » par « ils sont bien rares / faute de les avoir entretenus, / je les ai perdus » Ainsi le texte médiéval transforme le poète en un jardinier coupable d'avoir négligé à la fois la qualité des semis et les soins à leur apporter pour qu’ils ne dépérissent pas, arrosage ou engrais par exemple. En revanche, le verbe « entretenus » est plus ambigu en raison de sa connotation financière : l’amitié exigerait alors une réciprocité d’aide matérielle qui, si elle n’est pas remplie - ce que n'a pu faire le poète vu sa pauvreté - conduit les amis à s'éloigner. Dans ce sens, la culpabilité serait donc partagée…

L'accusation (vers 10 à 20) 

Les coupables

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Mais, après son aveu, Rutebeuf reporte la culpabilité de cet abandon sur deux cibles :

         Pour un chrétien, celui qui construit le destin des humains est Dieu, mais, si Rutebeuf admet ce rôle prédominant, il n’en souligne pas moins la durée et l’ampleur des épreuves qu'il lui a infligées, mis en relief dans le bref octosyllabe : « tant que Dieu m’a assailli / de tous côtés ».

       Mais il insiste surtout sur la dénonciation des amis eux-mêmes, cause de son sentiment d’abandon : « Ces amis m’ont maltraité / car jamais […] je n’en vis un seul chez moi ». Cependant, le reproche formulé ne se limite pas au regret car Rutebeuf lui associe, par la double négation, l’appui financier attendu des amis : « jamais personne ne me consola / ni ne m’apporta un peu de son bien. » Négation plus énergique encore par sa redondance dans le texte médiéval : « Ne du sien riens ne m’aporta. »

Serge Bloch, « La complainte Rutebeuf », illustration XX° siècle pour l’imagerie d’Épinal

La tonalité lyrique

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Le sentiment d’abandon est encore accentué par l’octosyllabe, « L’amor est morte », dont la traduction, « L’amitié est morte », est justifiée car à aucun moment le poème n’évoque un chagrin amoureux, thème d’ailleurs absent de l’œuvre de Rutebeuf qui n’a rien d’un poète courtois. Mais cet octosyllabe est surtout mis en valeur par l’explication proposée par l’image, « je crois que le vent les a dispersés », qui se prolonge par les jeux sonores combinés produit, notamment, par l’annominatio : « ce sont amis que le vent emporte / et il ventait devant ma porte ; / aussi furent-ils emportés ». Image d’une disparition soudaine, pathétique car elle semble relever d’une fatalité climatique, mais aussi une forme d’humour ressort de cette vision d’amis comparés à des feuilles mortes.

Serge Bloch, « La complainte Rutebeuf », illustration XX° siècle pour l’imagerie d’Épinal

Les conséquences tirées (vers 21 à la fin) 

Un douloureux constat

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Le ton change dans la suite du texte, car le poète formule nettement une conclusion sur cette amitié perdue : « Voici la leçon que j’en tire ». Le pronom « on » en fait une vérité générale : à la façon d’un proverbe, il exprime son pessimisme sur l’amitié. Il ôte toute valeur à ce sentiment, qui n’aurait comme fondement que l’appât du gain : « le peu qu’on a, un ami le prend ». Il exprime ainsi sa déception, mais reconnaît parallèlement sa propre culpabilité. Lui aussi a pensé que l’argent jouait un rôle dans l’amitié : « on se repend trop tard / d’avoir dissipé / sa fortune pour se faire des ami ». Il se reproche une naïveté, l’attente, déçue, d’une réciprocité financière : « car on ne les trouve pas décidés à vous aider / en tout ou en partie. »

Une double réaction

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Un nouveau changement de ton se produit à la fin du passage, d’abord une résignation soutenue par le rôle prêté à la déesse antique, représentation du destin, dont la traduction renforce l’image : « Maintenant je laisserai la Fortune tourner sa roue » au lieu du simple verbe « courir » dans « lerai donc fortune corre ». Cependant, il n’y a pas de fatalisme chez Rutebeuf, puisqu’il ne renonce pas à agir, malgré ses doutes lucides dans le tétrasyllabe : « et m’appliquerai à me tirer d’affaire / si je le puis. »

Rutebeuf rappelle ici son statut de jongleur, dépendant non plus d’amis incertains, mais de ses « loyaux protecteurs », traduction du terme médiéval « prudhommes » qui souligne, outre la loyauté, un ensemble de vertus, sagesse, probité, vaillance… Il ne lance pas ici un appel nominatif, mais l’on pense à ses mécènes, le roi bien sûr, mais aussi les comtes Thibaud de Champagne et Eudes de Nevers, ou à celui qu’il implorera dans les derniers vers du poème, « le bon comte de Poitiers / et de Toulouse ». Il leur rend hommage par les qualités qu’il leur prête, en associant ce terme qui, au moyen âge, représente un idéal de noblesse », « cortois » - que la traduction aurait pu conserver au lieu de choisir « délicats » - et « débonère », c’est-à-dire d’un caractère secourable, donc « généreux » Cette générosité est d’ailleurs soulignée dans le tétrasyllabe dans sa dimension la plus élémentaire : «  et m’ont norri » est une allusion, pas seulement au fait d’être « secouru » de façon générale, mais à la vie même des jongleurs, invités à partager la table des mécènes qu’ils divertissent.

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Loyset Liédet, Bonquet de noces, Histoire d’’Olivier de Castille et d’Artus d’Algarbe de Philippe Camus, 1474. Enluminure, BnF

CONCLUSION

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Dans ce poème, Rutebeuf est revenu à une plainte très personnelle, reflet de son état de jongleur, en permanence soumis au risque de se retrouver dans une terrible pauvreté. Même s’il recourt à des métaphores pour exprimer son sentiment d’abandon, son ton lyrique reste désabusé : l’argent, tout-puissant, l’emporte sur la vérité du cœur. L’intention du poème ressort ains peu à peu : le récit de tant de malheurs doit attendrir les protecteurs, seuls soutiens auxquels il lance sa requête.

Document complémentaire : Léo Ferré, « Pauvre Rutebeuf », 1955 

Pour lire les paroles

Léo Ferré

Cette chanson de Léo Ferré, dans l’album La Guinche, en 1955, prend pour fil conducteur la question, « Que sont mes amis devenus », lancée par Rutebeuf dans « La Complainte Rutebeuf », répétée ici tel un refrain, de même que l’octosyllabe « L’amour est morte ». La perte affective est ainsi le cœur même de sa chanson, la pauvreté n’intervenant que dans le deuxième couplet.

Elle est formée d'un assemblage d’extraits de « La Complainte Rutebeuf , », de « La Griesche d’hiver » et du « Mariage Rutebeuf ». En mettant l’accent sur l’infortune du poète, Léo Ferré en conserve le ton lyrique et en reprend les images les plus flagrantes, par exemple le rôle prêté au « vent » – alors qu’il supprime l’aveu de responsabilité formulé par Rutebeuf – ou la vision de l’arbre dépouillé de ses « feuilles » en hiver, récurrente dans les trois poèmes.

La réécriture

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Mais, en modifiant l’ordre par cet entrecroisement des extraits, le chanteur recrée l’image de Rutebeuf. Par exemple, la « honte », qui ouvre « La Complainte Rutebeuf », ne figure qu’à la fin du deuxième couplet, ce qui l’efface bien davantage en faisant surtout de Rutebeuf une victime accablée par la « pauvreté ». De même, alors que le constat de l’accumulation des malheurs précède le thème des amis perdus, Ferré le place à la fin de son troisième couplet, et, en remplaçant le pluriel,  « les maux » par le singulier « le mal », il renforce ainsi l’infortune subie, qui devient absolue.

Dans le quatrième couplet, une rupture syntaxique est intéressante. Les vers de Rutebeuf attribuent quatre compléments d’objet à « Dieu m’a donné » : « pauvre sens et pauvre mémoire » puis, dans  l’octosyllabe, « pauvres rentes », enfin une image crue, « froid au cul quand bise vente ». Léo Ferré, lui, remplace « froid » par « droit » en rattachant l’expression, non plus à l’action divine, mais au seul effet du vent : « Et droit au cul quand bise vente / Le vent me vient, le vent m'évente ». La structure de la chanson forme ainsi une boucle, ce qui lui permet de multiplier le jeu des sonorités.

Enfin, le choix des deux vers qui ferment la chanson, nettement détachés des couplets, « L'espérance de lendemain / Ce sont mes fêtes », empruntés au « Mariage Rutebeuf », dans lesquels ils sont chargés d’amertume car ils sont suivis d’une reprise du récit des malheurs, ajoutent un autre aspect au portrait de Rutebeuf : finalement, en une sorte de désinvolture, le pauvre poète accepte son sort, car malgré la misère, la vie offre encore des temps heureux. Mais rien chez Léo Ferré ne fait allusion aux riches protecteurs du jongleur, si souvent évoqués, qui lui offrent de quoi subvenir à ses besoins lorsqu’il intervient dans leurs « fêtes » ; au contrainte, ces vers ouvrent un horizon d’espoir, absent dans les poèmes de Rutebeuf, mis en valeur d’ailleurs par l’orchestration.

POUR CONCLURE

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Cette chanson a été reprise par de nombreux interprètes, mais l’interprétation de Léo Ferré est remarquable par le rythme qu’il lui imprime et sa voix qui module la plainte, tantôt murmurante, tantôt amplifiant le cri de désarroi. De même, sa gestuelle sur scène restitue à la fois l’impression d’une impuissance face au sort qui s’acharne, et une sorte d’autodérision cruelle. Et, surtout, Léo Ferré a su mettre en valeur par la musicalité de sa chanson toute la simplicité de la « complainte » médiévale.

 « La Pauvreté Rutebeuf », strophes II à IV 

Pour lire l'extrait

Pauvreté

Après deux poèmes personnels, « Le Mariage Rutebeuf » et « La Complainte Rutebeuf », une nouvelle rupture intervient avec « Le Dit d’Aristote » dans lequel le poète prête la parole à ce philosophe de l’antiquité, très estimé au moyen-âge, pour qu’il transmette de sages conseils.

Les trois poèmes suivants, « La Paix Rutebeuf », « La Pauvreté Rutebeuf », et « La Mort Rutebeuf » ouvrent un nouvel ensemble, remettant au cœur du recueil les « infortunes » et une pauvreté qui semble n’avoir comme issue que la mort. La strophe qui introduit le poème en présente l’intention : une requête adressée au « noble roi de France » pour solliciter son aide, en l’occurrence Philippe III le Hardi, fils de Louis IX, saint Louis. Dans les trois douzains suivants, nous observerons la façon dont Rutebeuf met en œuvre toutes les ressources de son art poétique pour parvenir à toucher son destinataire.

La pauvreté au moyen-âge, manuscrit, BnF

La pauvreté au moyen-âge, manuscrit, BnF

Deuxième strophe : la requête

Ce douzain est construit en quatre tercets sur deux rimes, en deux sizains où elles s’inversent, choix récurrent dans la poésie de Rutebeuf, comme pour faire écho au déséquilibre de son existence : aab-aab – bba-bba.

Les "infortunes"

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Le premier sizain offre un résumé des poèmes précédents. Dans « Le Mariage Rutebeuf », il a déjà exposé les raisons de son malheur : son mariage avec une femme sans dot, dont est né un enfant, n’a fait qu’accroître sa pauvreté, au point de le réduire à la misère. ’obliger à dépenser tous ses « gages ». La négation redoublée, « Ne m’ont laissé deniers ne gages », rappelle le statut du jongleur : le terme « gages » est réservé au salaire d’un domestique, dépendant de ses employeurs. La précision « point malade et toujours en vie » est à la fois une allusion aux difficile conditions de vie d’une époque, où la maladie et la mort menacent sans cesse, mais elle peut surprendre car elle donne l’impression d’un regret de cette survie familiale ! L’argent prend ainsi une place centrale, en lien avec la « vie chère » en raison des conditions climatiques qui ont appauvri les récoltes et provoqué des famines.

À ce constat objectif s’ajoute une réflexion pessimiste qui présente comme une vérité générale : « « Les gens sont prompts à esquiver / Et mal instruits à donner ».Il dénonce ici le manque de charité chrétienne, déjà signalé dans « La Complainte Rutebeuf » à propos de ses « amis » qui l’ont abandonné quand il est tombé dans la misère. Mais pas d’indignation ici, plutôt une forme de compréhension indulgente : « Du sien garder est chacun sage. »

L'adresse au roi

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La suite est un reproche par la coordination marquée entre la plainte, « La mort m’a fait de grands dommages » et l’interpellation de Philippe III, « Et vous, grand roi , même si elle est empreinte de respect, introduit ici une autre raison de sa pauvreté  : la perte de ses nobles protecteurs en raison de la politique de conquête territoriale et de lutte contre l’hérésie menée par le roi dans le sud de la France.

Le poète, en effet, ne peut vivre que grâce à ses mécènes, dont le roi lui-même, le père de Philippe III, Louis IX, mort devant Tunis lors de la huitième croisade, ou son frère, le comte Thibaud de Champagne, mort en Sicile lors du voyage de retour. La fin de la strophe atténue, certes, le reproche, en justifiant la croisade en un « lieu sauvage » menée contre « mauvaises gens reniées », c’est-à-dire les infidèles. Mais cette vision très sombre de la politique n’en reste pas moins une accusation lancée comme pour obliger le roi à compenser, par son aide, les pertes ainsi infligées au poète.

Émile Signol, Prise de Jérusalem par les croisés (1099), 1847.Huile sur toile, 324 x 555,7. Musée du château de Versailles

Émile Signol, Prise de Jérusalem par les croisés (1099), 1847.Huile sur toile, 324 x 555,7. Musée du château de Versailles

Troisième strophe : un autoportrait pathétique

Un appel à l'aide

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Tout en renouvelant son respect à Philippe III, interpellé en tête de vers, « Grand roi », « Sire », Rutebeuf rappelle qu’il dépend de lui, et accentue sa pauvreté de façon à l’émouvoir pour obtenir son aide. C’est pourquoi, son appel se fait insistant, marqué par la polyptote, une reprise à la rime du verbe « faillir », et la répétition du participe « failli ». Ainsi l’hypothèse qu’il formule, « s’il m’arrive qu’à vous faille », l’idée que le roi pourrait « manquer » à lui accorder son appui, est dramatisée car ce manque, assurément, deviendrait alors général : « À tous je faillis sans faille. » Cette insistance est prolongée, puisqu’il en fait une question de vie ou de mort, « Vivre me faut et suis failli », et le parallélisme des négations souligne cet abandon, avec le pronom « me » en fonction d’objet, donc totalement impuissant : « Nul ne me tend, nul ne me baille. » Son dernier cri, « Sire, ne sais de quelle part j’aille », accentue encore son désarroi.

La tonalité pathétique

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Il s’efforce alors à se peindre en victime d’une véritable guerre que lui ferait la « pauvreté », s’en prenant à son corps même : « Je tousse de froid et de faim bâille, / Dont je suis mort et assailli. » En même temps, il doit poursuivre son effort pour ne pas lasser son destinataire, par exemple en associant les négations pour représenter son dénuement au plaisant jeu de mots de la rime équivoquée : « Suis sans couverture et sans lit, / N’a de si pauvre jusqu’à Senlis ». De même, le douzain se termine sur une image concrète de cette misère, vécue douloureusement, mais exprimée par les jeux sonores multipliés : « Mes côtes connaissent le paillis, / Mais lit de paille n’est pas lit / Et dans mon lit il n’y a que paille. » La mention de la « paille » pourrait d’ailleurs être une allusion biblique à celle de la crèche de la Nativité dans laquelle a couché Jésus : dans cette « paille », c’est à présent un poète qui repose.

Quatrième strophe : une double conclusion 

Étienne Colaud, Fortune et Pauvreté, XVIème siècle, De Casibus, Boccace, BnF

Étienne Colaud, Fortune et Pauvreté, XVIème siècle, De Casibus, Boccace, BnF

Une dénonciation

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Le changement de rimes dans cette dernière strophe, formée de distiques de rimes suivies, traduit aussi le changement de ton, plus solennel déjà dans son interpellation : « Sire, je vous fais à savoir : / Je n’ai de quoi du pain avoir. » Rappelons que le pain est la base de l’alimentation, mais que les mauvaises récoltes augmentent le coût de la vie et provoquent des famines, d’où la dénonciation du poète : « Car la vie chère m’a tout ôté ». Si la survie reste possible dans les campagnes, elle est, en effet, bien plus malaisée dans les grandes villes, et tout particulièrement dans la capitale où le contraste entre le luxe de certains et la misère la rend encore plus insupportable, d’où la négation forte à la rime : « À Paris je vois tous ces biens / Mais il n’y a rien qui y soit mien ; » Ainsi, Rutebeuf dénonce l’écart social, entre ce règne de l’argent et sa propre privation, mise en valeur d’abord par l’adverbe répété, « J’y vois peu et j’en reçois peu. », puis, dans le dernier vers, par la négation restrictive, qui relance l’appel direct au roi : « Et n’ai plus que ce que voyez. »

Un appel chrétien

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Mais cette dénonciation conduit à une autre accusation, en partie masquée par un premier jeu de mots que la traduction, brisant la rime du texte médiéval entre « preig pou » et « saint Pou », peine à restituer : « […] j’en reçois peu ; / Il me souvient plus de saint Paul / Qu’il ne fait de nul autre apôtre. ». Mais le reproche ressort parfaitement : l’absence de la charité qu’impose la religion, valeur chrétienne illustrée dans les textes et dans les actes des apôtres. Puis l’accusation se poursuit, sous un autre masque, le calembour sur les premiers mots de la prière catholique fondamentale, "Pater noster" : « Bien sais Pater ne sais qu’est nôtre ». Elle est enfin confirmée par l’insistance sur son dénuement extrême, « Elle m’a tant vidé mon logis », suivi d’une subordonnée pour marquer la conséquence : « Que le Credo m’est refusé ».

Pauvreté et charité au moyen- âge. Manuscrit, BnF

Pauvreté et charité au moyen- âge. Manuscrit, BnF

Ultime pirouette sur le verbe, « Credo », "je crois", une affirmation de foi chrétienne, qui prend ici donne un double sens :

  • Déjà on peut y voir un jeu de mots, une allusion à ceux qui lui refusent leur aide, n’acceptant pas de lui faire "crédit", de "croire" que le poète rembourserait un prêt.

  • Dans ces conditions, comment le poète pourrait-il alors avoir lui-même un espoir, "croire" pouvoir échapper à cette terrible pauvreté ?

Mais indirectement, en revenant à son appel au roi dans le dernier vers, ces allusions sont aussi une façon de rappeler à Philippe III aussi l’exigence de charité chrétienne : ce poème devient alors le seul « credo » qui resterait au poète, sa confiance mise dans la protection royale.

CONCLUSION

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À une époque où s’est développée la littérature courtoise, dans les romans, tels ceux de Chrétien de Troyes, comme dans la poésie, comme dans les lais de Marie de France, ce poème de Rutebeuf, lui, propose une expression personnelle, sincère. Même si l’appel au roi, auquel Rutebeuf rend hommage, reste traditionnel, surtout pour un jongleur dont le statut dépend du mécénat, il offre un double intérêt : il est touchant, réellement ému quand il dépeint son extrême pauvreté, mais il est aussi habile dans la formulation de son appel. Il prend soin, en effet, de varier sa versification, ouvrant ainsi la voie à ceux qu'on nommera les rhétoriqueurs, et, surtout, de faire aussi sourire par ses jeux sonores sur les mots, jusqu’au calembour.

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