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"Les jeux du cœur et de la parole" : parcours associé à On ne badine pas avec l'amour
d'Alfred de Musset
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Observation du corpus 

À la pièce de Musset est associé un parcours dont l'enjeu est « Les jeux du cœur et de la parole ». Même si les instructions ministérielles ont accepté de réduire à un seul texte ce "parcours" – ce qui enlève d’ailleurs tout sens au terme même de "parcours" ! –, nous continuons à proposer un corpus digne de ce nom, destiné à éclairer l’œuvre afin de maintenir la réflexion critique. À chacun d’y puiser librement…

Une introduction poser une problématique autour du lexique utilisé dans la formulation de l’enjeu, qui fera l’objet d’une recherche : « Comment le théâtre, en représentant les jeux de l’amour, met-il en évidence le rôle que joue la parole ? » Le corpus propose six explications d'extraits, permettant de parcourir l’histoire littéraire, depuis le XVIIème siècle classique jusqu’au XXème siècle, en passant par le siècle des Lumières et le drame romantique. 

Plusieurs de ces analyses sont prolongées par des lectures cursives, une découverte des « notes d’intention » de metteurs en scène et des documents vidéo. L’ensemble intègre aussi une recherche sur l’argumentation, art de convaincre et de persuader, et est accompagné de deux productions écrites, la réalisation d’une note d’intention et une contraction de texte suivie d’un essai qui complète le bilan proposé dans la conclusion

Introduction 

L'enjeu du parcours 

La formulation de l’enjeu repose sur un nom, accompagné de deux compléments qui le déterminent : « les jeux du cœur et de la parole ». Il est donc important, dans un premier temps de mesurer le sens du mot « jeu », en tenant compte de son emploi au pluriel ici, puis d’analyser les implications de chacun des compléments. Mais la conjonction « et » qui les unit pose à son tour question :

  • A priori, elle pose, entre les deux termes, une addition, un rapprochement, une jonction. Ils pourraient donc être mis sur le même plan, et s’associant pour produire un résultat.

  • Mais il est fréquent aussi, et notamment dans les titres – pensons au conte La Belle et la Bête de Mme Leprince de Beaumont, à Racine et Shakespeare, essai de Stendhal, ou au roman d’Hemingway, Le vieil Homme et la mer – que cette conjonction mette en place une dissociation, voire une opposition, comme dans la phrase : « Je lui ai parlé, et ce n’était pas agréable. »

Introduction

La recherche lexicale 

Se reporter au site du CNRTL

Pour effectuer cette recherche lexicale, le site du Centre National de Ressources textuelles et lexicales (CNRTL) servira de support, à partir duquel se construit une synthèse organisée.

Le "cœur"

Le « cœur » n’est pas l’organe biologique, mais prend ici son sens figuré. Il s’agit de l’ensemble des sentiments éprouvés par un être, de façon intime et spontanée – souvent opposée à la raison –, ce qui les rend difficiles à exprimer. Parmi ses sentiments, ceux qui naissent des relations humaines occupent la première place, au sein de la famille comme entre amis, et, surtout, dès qu’il est question d’amour. 

La "parole"

Si tout être animé est doté du langage, la « parole », elle, est une faculté purement humaine qui permet d’exprimer sa pensée en parlant, donc oralement, afin de la communiquer à autrui. Elle implique donc au minimum un émetteur, le locuteur, et, le plus souvent, un récepteur, le destinataire. Elle peut donc, en fonction de l’instruction, du savoir, de l’éducation, du contexte, être plus ou moins élaborée, et se charger d’intentions précises : instruire, convaincre, persuader, émouvoir, séduire, voire manipuler…

Le "jeu"

À côté du latin "ludus", pour nommer le jeu – qui nous a donné l’adjectif "ludique" – le terme « jeu » a pour étymologie "jocus", qui signifie la plaisanterie. Il renvoie donc, originellement à une activité légère, peu sérieuse, un simple divertissement. On pense d’ailleurs immédiatement au jeu des enfants, spontané, libre et gratuit.

         Mais le choix du pluriel pose déjà une question : il y aurait plusieurs formes de jeux, notamment en fonction de ceux qui les pratiquent et de leurs objectifs. Ainsi les jeux des enfants sont bien différents des « jeux du cœur », ceux des adultes autour de l’amour principalement. De plus, certains « jeux » impliquent de respecter des règles, et encore faut-il que les joueurs en reconnaissent la validité. Enfin, s’ils peuvent relever du seul hasard, donc être totalement aléatoires, impossibles à maîtriser, comme lors d’un coup de dés, souvent ils exigent, au contraire, la mise en œuvre d’une véritable stratégie : nous nous interrogerons donc sur les caractéristiques mises en œuvre dans les textes étudiés, qui peuvent obliger chaque joueur à cacher ses intentions et à découvrir celles de l’autre.

         Enfin, pourquoi des jeux ? S'agit-il de simples divertissements, ou bien d’un combat, au sens figuré, d’où doivent sortir un gagnant et un perdant, avec parfois une « mise » de départ, à remporter ? Cette approche pourra s’appliquer aux deux termes de l’enjeu !

  • Dans « les jeux du cœur », à quelles conditions pourra s’obtenir la victoire ? Elle peut dépendre du statut social des deux joueurs, de la force et de la sincérité de leurs sentiments, mais aussi des valeurs qu’ils privilégient, plus ou moins respectueuses de la morale car un joueur peut, bien sûr, tricher. Il est important aussi que chacun accepte d’entrer « dans le jeu », de « jouer le jeu », sinon la relation est impossible.

  • Dans « les jeux de la parole », il est encore plus difficile de remporter la partie, car la maîtrise de la parole n’est pas innée : elle s’acquiert par l’éducation et par la pratique, en fonction du contexte. Cette expression peut aussi faire référence à un procédé linguistique particulier, le jeu de mots, qui amuse par les équivoques et les quiproquos induits. Pensons aussi qu’au théâtre, la parole s’accompagne des « jeux de scène », déplacement, gestuelle, mimique, intonation…

La problématique 

Le parcours invite donc à étudier

  • d’une part ce que seraient ces « jeux » quand ils impliquent « le cœur » et s’exercent par « la parole » ;

  • d’autre part, si le « cœur » et la « parole » peuvent s’associer dans leur fonctionnement, se servir l’un l’autre, ou si, au contraire, ils s’opposent. Il y aurait donc deux possibilités : en cas de jonction, la « parole » serait mise au service du « cœur », et le « cœur » aurait besoin de la « parole » pour s’exprimer ; en cas d’opposition, la « parole » pourrait faire obstacle, voire nuire à l’expression du « cœur », qu’elle trahirait et qui choisirait alors le silence.

Le parcours sera donc guidé par la problématique suivante : « Comment le théâtre, en représentant les jeux de l’amour, met-il en évidence le rôle que joue la parole ? »

Les textes étudiés invitent à approfondir les différents « jeux » mis en scène, en s’attachant au contexte mais aussi à la temporalité du sentiment amoureux : sa naissance, les obstacles rencontrés, le partage progressif, l’issue de la relation… Nous nous interrogerons également sur le résultat pour déterminer le danger de ces « jeux » sur les sentiments mais aussi sur la « parole », ce qui nous conduira à questionner la sincérité des joueurs.

Explication : Pierre Corneille, Le Menteur, 1644, acte III, scène 5,  de "Je vous voulais tantôt..." à "... celui de votre amant." (v. 961-1020) 

Pour lire le texte

La comédie de Corneille, Le Menteur, datant de 1644, se fonde sur une intrigue traditionnelle : un jeune homme, Dorante, étudiant de retour de province à Paris, a entrepris de séduire une jeune fille, rencontrée aux Tuileries, alors que son père, Géronte, souhaite lui imposer une autre épouse. Mais un véritable imbroglio se met progressivement en place : d’abord, pour se faire valoir, les mensonges de Dorante à cette jeune fille, qui avoue « la douceur de [s]e voir cajolée » ; puis Dorante fait une erreur sur son prénom, la confondant avec celui de son amie, Lucrèce, alors qu’elle se nomme Clarice… précisément celle à laquelle son père le destine. Pour échapper à ce mariage, il élabore un mensonge, un prétendu mariage conclu en province. Comme Clarice a entendu cet aveu, elle veut démasquer celui qu’elle croit fourbe, et lui fixe un rendez-vous nocturne, mais échange son rôle avec Lucrèce. C’est ainsi que se met en place une conversation, entre Dorante et celle qu’il croit être Lucrèce, multipliant les quiproquos. Quel rôle joue alors la parole dans cet échange où chacun cherche pourtant la vérité du cœur ?

Hippolyte Pauquet, Le rendez-vous nocturne, édition de 1851

Hippolyte Pauquet, Le rendez-vous nocturne, édition de 1851
Corneille

La première accusation (vers 1 à 23) 

Le mensonge dénoncé par Clarice

Les propos galants adressés par Dorante à Clarice offrent à celle-ci l’occasion d'introduire son reproche : « Je vous voulais tantôt proposer quelque chose ; / Mais il n’est plus besoin que je vous la propose, / Car elle est impossible. » Stratégie habile car, en maintenant le flou, elle pique à la fois la curiosité du jeune homme et son amour-propre par le défi ainsi lancé.

L’interrogation indignée de Dorante, « Impossible ? », marque la réussite de cette approche, mais sa réplique galante, expression de son sentiment amoureux accentuée par la reprise du pronom, « Ah ! pour vous / Je pourrai tout, Madame, en tous lieux, contre tous », entraîne le reproche direct, souligné par la diérèse, chargé d’ironie : « Jusqu’à vous mari/er, quand je sais que vous l’êtes ? »

La dénégation de Dorante

Dorante ignore ce que Clarice sait exactement de ce prétendu mariage, il peut donc rejeter avec force cette accusation, inversion qui fait sourire car, pour une fois, ce "menteur" ne joue plus avec son cœur et ne se joue plus de la jeune fille. Il lui reproche au vers 7 cette crédulité dont il a lui-même tiré profit avec son père ; puis son déni se fait plus énergique avec la négation absolue, « Je ne le fus jamais », et sa phrase inachevée le présente comme victime d’une calomnie.

Mais l’aparté entre les deux jeunes filles met en évidence le piège dans lequel il se trouve enfermé. Son déni reste vain et son état de menteur est affirmé, pour l’une par sa question rhétorique hyperbolique, « Est-il un plus grand fourbe ? », pour l’autre par la négation restrictive : « Il ne sait que mentir. » Devant l’ironie de la question rhétorique de Clarice, avec le choix du subjonctif qui traduit son rejet, « Et vous pensez encor que je vous croie ? », il choisit le serment pour accentuer son déni, « Que le foudre à vos yeux m’écrase, si je mens ! », où l’emploi de « foudre » au masculin renvoie à l’image de Zeus, empruntée à la mythologie. Vaines protestations, vaine vérité du cœur, car Clarice formule un nouveau rejet sous forme de vérité générale : « Un menteur est toujours prodigue de serments. »

Une tentative de preuve

Dorante change alors de stratégie, afin d’apporter une preuve de sa véracité. Preuve aussi de sa confiance en son pouvoir de séduction, car son hypothèse sous-entend sa certitude d’avoir réussi à séduire la jeune fille : « si vous avez eu pour moi quelque pensée / Qui sur ce faux rapport puisse être balancée ». La diérèse sur les verbes, « vous défi/er » et « me justifi/er », opposés à la rime, renforce l’injonction, en suscitant la curiosité de Clarice pour toucher son cœur. Dans un premier temps, son jeu réussit, car l’aparté « à Lucrèce » montre le trouble provoqué : « On dirait qu’il est vrai, tant son effronterie / Avec naïveté pousse une menterie. » Mais cela ne suffit pas : sa preuve ultime, la proposition de mariage, amplifiée par l’adverbe temporel, « Pour vous ôter de doute, agréez que demain / En qualité d’époux je vous donne la main », est à nouveau source d’un rejet ironique : « Eh ! vous la donneriez en un jour à deux mille ».

La seconde accusation (vers 24 à 36) 

Les reproches accumulés

L’indignation de Clarice l’amène à développer un portrait sévère de Dorante, soutenu par la reprise du mot « homme » pour introduire l’anaphore du pronom relatif « qui » : elle énumère quatre reproches où la vérité s’oppose au mensonge :

  • Le premier rappelle sa vantardise initiale, avec une hyperbole pour rappeler les exploits quand il s’est prétendu soldat : « Un homme qui se dit un grand foudre de guerre ». Elle transforme plaisamment les coups d’épée du soldat en la vérité de l’étudiant : des « coups d’écritoire et de verre ».

  • Puis l’ordre s’inverse. Les indices temporels renvoient d’abord à la vérité, s’opposant ensuite au mensonge sur la durée de son séjour à Paris : « Qui vint hier de Poitiers, et conte, à son retour, / Que depuis une année il fait ici sa cour ».

  • Nouvelle inversion, le mensonge que Dorante a fait par vantardise à Alcippe, amant de Clarice, raison de la scène de jalousie qu’il a fait subir à la jeune fille en la croyant destinatrice de la fête donnée, est repris par l’énumération insistante, « Qui donne toute nuit festin, musique, et danse », précédant la subordonnée d’opposition pour poser la vérité : « BIen qu’il l’ait dans son lit passée en tout silence ».

  • Le rythme s’accélère enfin, par la reprise de l’accusation principale, le mariage. L’antithèse verbale remet le mensonge au premier plan : « Qui se dit mari/é, puis soudain s’en dédit ».

L’injonction qui conclut la tirade, « Vous-même, apprenez-moi comme il faut qu’on le nomme », vise à obliger Dorante à cesser de jouer avec son cœur – et avec celui de Clarice – et avec ses discours, donc à avouer ses fautes.

La riposte

Face aux doutes ironiques de Clarice, à son tour Dorante joue d’abord sur l’ironie : « Certes, vous m’allez mettre en crédit par la ville, / Mais en crédit si grand, que j’en crains les jaloux. » Il témoigne ainsi de son amour-propre, en retournant le reproche en un éloge de son pouvoir de séduction. Corneille accentue aussi le conflit par un procédé propre à la stichomythie, puisque le terme « crédit », employé par Dorante, lui revient comme en boomerang dans l’exclamation ironique qui conclut la tirade accusatrice de Clarice : « Sa méthode est jolie à se mettre en crédit ! »

L’échange en aparté entre le valet et son maître commente la situation, selon le caractère de chacun.

  • L’hypothèse de Cliton, « Si vous vous en tirez, je vous tiens habile homme », rappelle sa critique : il avait averti son maître des risques courus si ses mensonges étaient découverts. Mais elle révèle aussi l’ambiguïté de son jugement face au mensonge, un art de la parole qu’il est tout près d’admirer.

  • En revanche, la réplique rassurante de Dorante fait ressortir sa confiance en l’habileté de sa parole : « Ne t’épouvante point, tout vient en sa saison. » Il est sûr de pouvoir se tirer de ce piège.

La justiffication (vers 37 à la fin) 

Un aveu habile

Dorante reprend sa stratégie habituelle, une première dérobade pour effacer l’accusation de ce qu’il nomme, avec une diérèse, « inventi/ons » et non pas « menteries ». Puis, la récurrence lexicale, « J’ai donc feint », « Je l’ai feint, et ma feinte à vos mépris m’expose » soutient l’aveu, la vérité du cœur, mais, à nouveau il se pose en victime d’une injustice. Il reprend son jeu en captant habilement l’attention de sa destinatrice ; il retarde la justification d’abord par la parenthèse où la question rhétorique inverse le blâme en éloge : « (pourquoi désavouer / Ce qui vous forcera vous-même à me louer ?) » Mieux encore, la question rhétorique finale avance une hypothèse qui retourne la culpabilité contre Clarice : « Mais si de ces détours vous seule étiez la cause ? » La réaction de Clarice, « Moi ? », montre le succès de ce jeu.

L’aveu est interrompu par les apartés entre Cliton, « De grâce, dites-moi si vous allez mentir », et la riposte de Dorante. Or, cet échange laisse pressentir un nouveau mensonge, alors que c’est précisément le seul moment où Dorante laisse parler son cœur en expliquant que sa « feinte » était une échappatoire au mariage imposé par le pouvoir paternel : « ne pouvant consentir / Qu’un père à d’autres lois voulût m’assujettir… », « Et par ce mariage au besoin inventé, / J’ai su rompre celui qu’on m’avait apprêté. » »

Une déclaration d'amour

Face à cet aveu, la réaction de Clarice est ambiguë : tout en restant méfiante, elle accepte de poursuivre la conversation, car n’est-il pas toujours agréable d’écouter la déclaration d’amour d’une « âme » dévouée « à la belle Lucrèce » ?

Carlo Goldoni, Le Menteur, mise en scène de Laurent Pelly, 2008. T. N. de Toulouse

Ainsi, cela permet à Dorante de reprendre ses propos galants, avec des injonctions antithétiques qui inversent ainsi le blâme en éloge. D’un côté, conformément au code rhétorique de la Préciosité, il exprime une forme de soumission avec des hyperboles pour amplifier ses fautes : « Blâmez-moi de tomber en des fautes si lourdes, / Appelez-moi grand fourbe et grand donneur de bourdes ». De l’autre, il fait de ses mensonges une preuve de son mérite, en y joignant une vibrante prière : « Mais louez-moi du moins d’aimer si puissamment, / Et joignez à ces noms celui de votre amant. » 

Carlo Goldoni, Le Menteur, mise en scène de Laurent Pelly, 2008. T. N. de Toulouse

CONCLUSION

Quand débute cette scène, au cœur de l’intrigue, le stratagème de l’échange des rôles entre les deux héroïnes, associé au quiproquo entre les pronoms, interroge sur le lien entre la parole et le sentiment amoureux : s’agit-il de « jeux », ou bien d’exprimer la vérité du cœur ? L’échange, renforcé par l’ironie des accusations lancées et par les apartés, aussi bien entre les jeunes filles qu’entre le maître et son valet, balance sans cesse entre ces deux dimensions, sans vraiment mettre fin aux jeux.

Cette situation comique, traditionnelle – le trompeur se retrouvant trompé – amène ainsi à réfléchir au rôle que Corneille assigne à ces jeux. Son héros est, certes, contraint à dire la vérité par la force des critiques de Clarice, mais il réussit à retourner ses mensonges en les mettant au service de son amour. Comment ne pas admirer cette maîtrise du langage, qui nous rappelle que ses études ont formé Corneille à l’éloquence et aux plaidoiries ?

Visionnage : mise en scène de Marion Bierry, bande-annonce 

La saison 2022-2023 du Théâtre de Poche Montparnasse propose une mise en scène du Menteur de Corneille réalisée par Marion Biérry, intéressante car elle associe un absolu respect du texte à des passages chantés comme dans une comédie musicale. 

Le visionnage de la bande-annonce conduira à trois activités :

  • le repérage des passages qui correspondent à la scène étudiée ;

  • à partir de ce repérage, une observation de trois des composantes de la mise en scène : décor, costumes et effets techniques ;

  • une étude du jeu des acteurs, en mesurant plus précisément le choix et le rôle des passages chantés.

Deux extraits correspondent directement à l’extrait :

- le 1er  (de 0, 28 à 0,32) est un premier serment de Dorante ;

- le 2nd (de 0,46 0 à 0,50) est l’argument de Dorante qui accuse Clarice d’avoir été crédule, suivi d’un aparté entre les deux héroïnes.

Une intervention du valet Cliton ne correspond pas à ce passage, mais le cri de protestation de Dorante, « Je disais vérité » (1’15) fait écho à l’enjeu de cette conversation en soulignant comment les « jeux de la parole » trahissent l’expression véridique du sentiment.

Le décor se veut délibérément intemporel, avec une façade lisse, dépourvue de tout élément qui évoquerait le XVIIème siècle. La fin de la bande-annonce montre que deux façades se font face à face, illustration du quiproquo sur les deux jeunes filles, dont le portrait orne chacune des façades. De même, le costume de Dorante, notamment sa redingote et ses bottes, crée un écart temporel, mais ne répond pas non plus à l’habillement d’un jeune bourgeois du XVIIème siècle, comme d’ailleurs l’absence de perruque. Il fait plutôt penser à la mode masculine du XIXème siècle, comme aussi la musique à la fin de la bande-annonce, qui rappelle des morceaux d’Offenbach.

Ce décalage est assumé par Manon Bierry, qui l’explicite dans sa note d’intention, justifiant aussi son choix de faire chanter certains passages pour traduire ce qu’elle qualifie de « Paris futile ».

J’y entendai soudain un Paris tout en bal et en musique. Et, bien malgré moi, ce Menteur m’apparut dans l’atmosphère insouciante qui suivit la fin de la Révolution.  Les « Guerres d’Allemagne » auxquelles Dorante se targue d’avoir pris part durant quatre ans me menèrent de 1792 à 1796 ; quant aux « Guerres d’Italie » - évoquées dans la pièce - elles confortèrent ce Directoire approximatif, somme toute plus près de nous que la Guerre de Trente Ans. […] J’entendais, dans cette effervescence de plaisirs, une musique jouée sur les places de la ville, et chanter les personnages.

L’éclairage nocturne est, bien évidemment nécessaire à la situation, puisque Clarice est censée se faire passer pour Lucrèce. C’est pourquoi elle reste aussi masquée derrière son éventail.  

Le dernier élément remarquable est le rapport de taille dans la scénographie. Dorante, le "menteur" qui donne son titre à la comédie, envahit l’espace dans ces passages, rendu, par la perspective, aussi haut que la façade, La mise en scène, qui sépare fortement Clarice, au sommet de la façade, et Lucrèce à la fenêtre sur l’autre pan du bâtiment, met en évidence à quel point le procédé de l’aparté relève de l’illusion propre au théâtre. Notons aussi la gestuelle de Dorante qui, s’il s’adresse à la jeune fille à laquelle il fait face, se détourne aussi, comme pour représenter son double jeu, sa double face.

L'argumentation : convaincre, persuader 

Pour se reporter à une étude détaillée

La conversation entre Dorante et Clarice montre l’importance de l’argumentation dans la relation amoureuse, à la fois à travers les critiques adressées par la jeune fille et, les dénégations et les preuves en riposte. Mais la volonté pour Dorante de convaincre Clarice de la vérité de ses sentiments, pour la jeune fille de l’obliger à reconnaître qu'il s'est joué d'elle, n’empêche pas chacun d’eux de s’appuyer sur tous les jeux offerts par la parole, stratégie habile pour renforcer leur force de persuasion.

Ce texte permet donc de réactiver, à partir du site "parcours littéraires", les acquis sur l’argumentation, qu’ils relèvent de la rationalité pour convaincre, ou cherchent à toucher les sentiments pour persuader.

Explication : Molière, Don Juan, 1665, acte II, scène 4 

Pour lire la scène

La représentation, en 1665, de Dom Juan ou Le Festin de pierre, une comédie de Molière, fait suite à l’interdiction de la pièce précédente, Le Tartuffe (1664), en raison de la "cabale des dévots" qui s’indignent de voir caricaturée sur scène l’hypocrisie religieuse. Leurs attaques menacent aussi Dom Juan car, en reprenant ce personnage de, Molière insiste sur le libertinage affiché, et attaque à nouveau l’hypocrisie des faux dévots.

L’acte I a permis de découvrir le personnage du grand seigneur libertin, méprisant la foi religieuse. L’acte II, lui, met en évidence le séducteur. Il se déroule dans « une campagne au bord de la mer », car le héros et son valet, viennent d’être sauvés de la noyade par un paysan, Pierrot. À peine est-il ramené au village que Don Juan entreprend de séduire une jeune paysanne, puis s’en prend à la fiancée de Pierrot, Charlotte, en promettant de l’épouser. Mais sa situation se complique quand les deux jeunes filles se retrouvent ensemble avec luiEn mettant en scène leur conflit amoureux, comment Molière représente-t-il le pouvoir du séducteur ?

Molière, Dom Juan, 1665. Le Livre de Poche
Molière

Le double discours (lignes 1 à 22) 

Dom Juan entre Charlotte et Mathurine. Illustration édition Furne-Combet, 1860 

Le séducteur pris au piège

La didascalie, « apercevant Mathurine », qui accompagne l’exclamation de Sganarelle, ouvre la scène en créant un horizon d’attente. Alors que Don Juan est en train de courtiser Charlotte, l’arrivée de Mathurine, qu’il a cherché aussi à séduire, laisse présager une dispute entre elles. L’illustration de l’édition Furne-Combet montre bien que le séducteur va se trouver au centre de ce conflit, qui débute par la question lancée par Mathurine : « Monsieur, que faites-vous donc là avec Charlotte ? Est-ce que vous lui parlez d’amour aussi ? » Sa question l’accuse plus directement que celle de Charlotte qui s’en prend, elle, d’abord à celle qu’elle considère comme sa rivale : « Qu’est-ce que c’est donc que vous veut Mathurine ? »

Dom Juan entre Charlotte et Mathurine. Illustration édition Furne-Combet, 1860 

Le rôle des apartés

La première solution adoptée par Don Juan pour se tirer de ce piège est le mensonge, d’où la multiplication des apartés, procédé de double énonciation caractéristique de l’illusion propre au théâtre : entendu du public, il est censé ne pas être perçu par le destinataire tout proche… Le mensonge de Don Juan consiste à retourner l’accusation contre chacune des jeunes filles, en protestant de sa propre sincérité : « c’est elle qui me témoignait une envie d’être ma femme, et je lui répondais que j’étais engagé à vous. », dit-il à Mathurine, et à Charlotte, « Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudrait bien que je l’épousasse ; mais je lui dis que c’est vous que je veux. » Cette première stratégie amène un premier résultat :  la colère de chacune des deux paysannes se détourne de Dom Juan pour s’exercer contre l’autre.

Le héros choisit alors une autre stratégie pour tenter de se sortir de ce piège. Il interrompt chacune de leurs phrases pour renforcer leur attaque mutuelle. Il accuse d’abord chacune d’entêtement : « elle s’est mis cela dans la tête », « vous ne lui ôterez point cette fantaisie », « Il n’y a pas moyen de lui faire entendre raison », « Elle est obstinée comme tous les diables. » Puis, il va plus loin, en passant à l’insulte : Charlotte est traitée de « folle », Mathurine d’« extravagante ».

Le piège se referme (lignes 23 à 65) 

L'habileté du séducteur

Face à la résistance des deux jeunes filles, Dom Juan trouve un autre moyen d’échapper au piège tendu, toujours en recourant à l’aparté. Formuler lui-même à son compte la cause du conflit permet de la rendre absurde : « Je gage qu’elle va vous dire que je lui ai promis de l’épouser », « Gageons qu’elle vous soutiendra que je lui ai donné parole de la prendre pour femme. »

Habile stratégie, puisqu’à nouveau elles oublient leur attaque initiale contre lui pour laisser parler leur jalousie, se disputant comme des enfants : « C’est moi que monsieur a vue la première », lance Mathurine, et Charlotte lui rétorque : « S’il vous a vue la première, il m’a vue la seconde et m’a promis de m’épouser. » Dom Juan peut alors penser avoir obtenu une victoire, avec des questions qui sonnent comme un triomphe : « Eh bien ! que vous ai-je dit ? », « N’ai-je pas deviné ? »

Pour obtenir la vérité

En jouant sur le parallélisme des répliques depuis le début de la scène, Molière a créé une situation comique : se tournant alternativement vers l’une ou l’autre des paysannes, sur un rythme que s’accélère, Dom Juan se trouve transformé en une sorte de marionnette.

Cependant, à leur tour, les jeunes filles trouvent une autre stratégie, prendre Dom Juan à témoin, mise en valeur par le présentatif en anaphore : pour Charlotte, « Le v’la qui est pour le dire, si je n’ai pas raison. », et pour Mathurine, « Le v’la qui est pour me démentir, si je ne dis pas vrai. » Mais, face aux questions qui traduisent leur volonté de « savoir la vérité », à présent la tentative de Dom Juan, la reprise des apartés, ne fonctionne plus, et ses injonctions, « Laissez-la faire », « Laissez-la dire », ne parviennent pas à rétablir son pouvoir. Ce sont donc les deux jeunes filles qui reprennent l’initiative, cherchent à s’affirmer, d’où le parallélisme de « je veux », et mènent le jeu, avec des impératifs de plus en plus insistants : « Monsieur, vuidez la querelle, s’il vous plaît », « Mettez-nous d’accord, monsieur », « Dites », « Parlez. »

Dom Juan pris à témoin entre Charlotte et Mathurine. Édition anglaise, traduction de Richard Wilbur, XXème siècle

Dom Juan pris à témoin entre Charlotte et Mathurine. Édition anglaise, traduction de Richard Wilbur, XXème siècle

L'art du mensonge (de la ligne 66 à la fin) 

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L'ambiguïté du discours

Par la didascalie, « embarrassé, leur dit à toutes deux », Molière invite son lecteur à mesurer le double discours de Dom Juan, dans son effort pour ne pas voir ses mensonges démasqués, d’où sa question : « Est-ce que chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu’il soit nécessaire que je m’explique davantage ? Pourquoi m’obliger là-dessus à des redites ? » L’argument qu’il introduit est intéressant car, d’une part, il fait appel à la voix du cœur de chacune : « Celle à qui j’ai promis effectivement n’a-t-elle pas en elle-même de quoi se moquer des discours de l’autre » ; d’autre part, en opposant « tous les discours » aux actes, « il faut faire et non pas dire, et les effets décident mieux que les paroles », il nie l'art de la parole, qui fonde, en réalité, sa personnalité de séducteur.

Edmond Hédouin, Pierrot, Charlotte, Dom Juan et Mathurine, 1888. Estampe, BnF

Il est alors pour le moins plaisant de constater comment, en reprenant les apartés alternés en parallèle, il joue précisément sur ce pouvoir de la parole en recourant à la flatterie. À « Je vous adore » fait écho « Je suis tout à vous », puis vient l’éloge hyperbolique de la beauté : « Tous les visages sont laids auprès du vôtre », « On ne peut plus souffrir les autres quand on vous a vue. » Mais, il est allé jusqu’au bout de sa stratégie, donc ne peut que, finalement, choisir la fuite : « J’ai un petit ordre à donner ; je viens vous trouver dans un quart d’heure. »

La vérité du cœur

La tentative de Sganarelle

Seul face aux deux jeunes filles dupées par le discours de son maître, la sortie de Dom Juan permet à Sganarelle de tenter de les ramener à la vérité : « Ah ! pauvres filles que vous êtes, j’ai pitié de votre innocence, et je ne puis souffrir de vous voir courir à votre malheur. » Il fait alors un portrait sévère de Dom Juan pour démasquer sa fausse promesse de mariage : « Mon maître est un fourbe ; il n’a dessein que de vous abuser, et en a bien abusé d’autres ; c’est l’épouseur du genre humain, et… »

L’inversion du discours

Mais le retour de Dom Juan sur scène remet au premier plan le rôle de la parole pour échapper au piège. Sganarelle sait très bien ce qu’il risque dans le contexte du XVIIème qui donne à un maître tout pouvoir sur son serviteur. Conscient de la menace qui pèse sur lui, illustrée par les brèves répliques de Dom Juan, il inverse donc son discours : « Mon maître n’est point l’épouseur du genre humain, il n’est point fourbe, il n’a pas dessein de vous tromper, et n’en a point abusé d’autres. » Il feint ainsi de n’avoir parlé que pour répondre à une prétendue accusation : « comme le monde est plein de médisants, je vais au-devant des choses ; et je leur disais que, si quelqu’un leur venait dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de lui dire qu’il aurait menti. » Ainsi le valet, habile à mentir, suit l'exemple de son maître !

CONCLUSION

Face à ce séducteur, prêt à tout, y compris au mensonge, pour arriver à ses fins, pouvons-nous parler de « jeux du cœur » ? L’expression est plutôt excessive pour ce personnage cynique, sans scrupules. La jalousie des deux paysannes, en revanche, prouve qu’elles ont cru à sa promesse de mariage avec un riche et beau seigneur. D’où la tentative de chacune d’elle pour l’emporter sur sa rivale. Mais leur voix est loin d’avoir la force de celle de Dom Juan, passé maître dans son art de la dissimulation. Cependant la dimension comique de la scène, avec les apartés notamment et la gestuelle qu’ils impliquent, interroge sur la réelle puissance du héros séducteur. Ce procédé renvoie, en effet, à l’expression du philosophe Bergson dans son essai, Le Rire (1900), « du mécanique plaqué sur du vivant », pour expliquer d’où naît le comique. Ainsi, finalement, le public rit des efforts de Dom Juan, pris au piège entre ses deux adversaires, obligé de fuir puis de faire taire par la menace son valet, qui essaie d’intervenir pour rétablir la vérité, l’absence de cœur de son maître. La parole n’a pas véritablement été efficace.

Lecture cursive : Marivaux, Le Jeu de l'amour et du hasard, 1734

Pour lire la pièce

Marivaux? Le Jeu de l'amour et du hasard, 1730couv.jpg

Dans le cadre de ce parcours, est proposée la lecture cursive de la comédie de Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard, jouée en 1730. L’élaboration d’un dossier sera guidée par un questionnaire, dont les réponses s’appuieront sur des exemples précis de l’œuvre. Le point de départ du dossier est le titre de la pièce.

2/ L’amour

- Quel rôle joue le contexte du XVIIIème siècle dans la représentation de l’amour ?

- Quelle image de l’amour se font les principaux protagonistes : Silvia et Lisette, Dorante et Arlequin ?

- Définir le terme « marivaudage ». En quoi fait il intervenir « les jeux de la parole » ? Quelles sont les caractéristiques psychologiques de l’amour ainsi représenté ?

1/ Le « jeu »

À partir de la recherche lexicale effectuée au début de ce parcours, le choix du mot « jeu » est justifié en se posant les questions suivantes :

- Qui joue dans la pièce ? Pourquoi ?

- Qui dirige le « jeu » et qui en a fixé les règles ? Relève-t-il du « hasard » ?

- Comment se mène le « jeu » ? Selon quelle stratégie est-il mené ?

Pour conclure : En quoi cette comédie est-elle représentative du « siècle des Lumières » ?

Explication : Marivaux, Le Jeu de l'amour et du hasard1730, acte III, scène 8,  de "SILVIA, à part. - S'il part..." à la fin 

Pour lire la scène

Refusant d’épouser Dorante, auquel son père, Orgon, la destine, sans le connaître, Silvia décide de se faire passer pour Lisette. Mais, de son côté, Dorante, pour la même raison, change de rôle avec son valet, Arlequin. Seuls Orgon et son fils, Mario, sont au courant de ce double déguisement… L’acte I de la comédie de Musset montre comment chacun des protagonistes voit naître, avec surprise, un amour inacceptable en raison de l’écart social : comment une jeune fille de bonne famille pourrait-elle être amoureuse d’un valet ? Comment un maître pourrait-il aimer une simple suivante ? Dans l’acte II, la relation amoureuse se développe, mettant en évidence l’évolution des sentiments amoureux des deux couples, bouleversés de la transgression qu’ils croient vivre. Quand, dans la scène 12, Dorante avoue à Lisette son identité, le « jeu » pourrait s’arrêter. Mais Silvia décide de le poursuivre pour voir si l’amour de Dorante est assez puissant qu’il lui propose le mariage. 

Marivaux

Au début de l’acte III, Mario intervient, avec la complicité de sa sœur, pour se faire passer pour amoureux de Lisette, amour réciproque, et se dire prêt à l’épouser. Tandis qu’à la scène 6, la vérité se révèle entre le valet et la suivante, la scène 8 remet face à face Silvia et Dorante, qui, jaloux de son lien supposé avec Mario, vient lui annoncer son départ. Comment les "jeux de la parole" amènent-ils le triomphe de l'amour ?

Les jeux de l’amour (lignes 1 à 28) 

Le dépit amoureux de Silvia

L’annonce par Dorante de son départ fait réagir Silvia dans un aparté où l’aposiopèse met en évidence son bouleversement. La double dénégation qui ouvre son monologue, « S’il part, je ne l’aime plus, je ne l’épouserai jamais », révèle en réalité son amour-propre, de même que le pronom tonique qui souligne son refus de faire le premier pas : « et je ne saurais le rappeler, moi ». Autant de signes de son dépit devant ce qu’elle prend comme un échec de tous ses efforts : « je n’ai pas tant de pouvoir sur lui que je le croyais. » De plus, blessée par ce rejet, elle se défend en reportant la culpabilité  sur son frère : « Mon frère est un maladroit ; il s’y est mal pris. Les gens indifférents gâtent tout. »

Le départ de Dorante, mise en scène de Jean-Paul Roussillon, 1976. La Comédie-Française

Le départ de Dorante, mise en scène de Jean-Paul Roussillon, 1976. La Comédie-Française

Mais ces élans d’amour-propre masquent mal son réel sentiment amoureux, déjà illustré par la didascalie, « Elle le regarde aller ». Elle ne peut s’empêcher d’espérer encore : « Il s’arrête pourtant ; il rêve ; il regarde si je tourne la tête ». Les modalités expressives se succèdent, avec l’interjection qui précède son constat, « Ah ! voilà qui est fini, il s’en va », des exclamations exprimant son regret, « Il serait pourtant singulier qu’il partît après tout ce que j’ai fait ! », « quel dénouement ! », et la question oratoire qui traduit son amertume : « Ne suis-je pas bien avancée ? »

Ainsi, le retour de Dorante l’amène, finalement, en de brèves propositions qui marquent l’inversion, à reconnaître ce qu’elle éprouve : « Dorante reparaît pourtant ; il me semble qu’il revient. Je me dédis donc ; je l’aime encore… »

La feinte de Silvia

Poussée par son amour-propre, Silvia entend bien continuer à mener le jeu, elle impose donc à Dorante ce qu’elle-même vient de vivre, son départ : « Feignons de sortir, afin qu’il m’arrête ; il faut bien que notre réconciliation lui coûte quelque chose. » Sa stratégie fonctionne, puisque c’est lui qui fait le premier pas : « Restez, je vous prie ; j’ai encore quelque chose à vous dire. » Ainsi, sa feinte a réussi, puisqu’elle amène Dorante à reprendre le dialogue : « J’ai de la peine à partir sans vous avoir convaincue que je n’ai pas tort de le faire. »

Le départ de Silvia, mise en scène de Jean-Paul Roussillon, 1976. La Comédie-Française

Mais, parallèlement, Silvia pousse son avantage. Par sa question oratoire, elle rappelle leur écart social, afin de provoquer l’offre du mariage qu’elle espère : « Eh ! monsieur, de quelle conséquence est-il de vous justifier auprès de moi ? Ce n’est pas la peine ; je ne suis qu’une suivante, et vous me le faites bien sentir. » Elle obtient ainsi un nouveau succès, puisque Dorante en arrive à protester : « Moi, Lisette ! est-ce à vous de vous plaindre, vous qui me voyez prendre mon parti sans me rien dire ? » Enfin l’habile dérobade de Silvia, une forme de coquetterie, car par son hypothèse, elle cherche à se faire prier : « Hum ! si je voulais, je vous répondrais bien là-dessus ». Réussite, puisqu’elle pique la curiosité de Dorante, « Répondez donc, je ne demande pas mieux que de me tromper ».

Le départ de Silvia, mise en scène de Jean-Paul Roussillon, 1976. La Comédie-Française

Le dépit amoureux de Dorante

Sa feinte a mis Dorante en position de faiblesse, car il en vient à révéler, à son tour, son dépit jaloux, « Mais que dis-je ? Mario vous aime. », que l’affirmation de Silvia exploite : « Cela est vrai. » Il lance alors une accusation, « Vous êtes sensible à son amour ; je l’ai vu par l’extrême envie que vous aviez tantôt que je m’en allasse », mais le conditionnel de sa conclusion traduit, en réalité, son espoir d’être démenti : « ainsi vous ne sauriez m’aimer. » La riposte de Silvia, avec les exclamations et les interrogations, sur un ton qui feint l’indignation, ouvre un doute, donc répond à cet espoir : « Je suis sensible à son amour ! qui est-ce qui vous l’a dit ? Je ne saurais vous aimer ! qu’en savez-vous ? Vous décidez bien vite. » Il en arrive à une supplication, renforcée par les hyperboles : « Eh bien, Lisette, par tout ce que vous avez de plus cher au monde, instruisez-moi de ce qui en est, je vous en conjure. » Ainsi, en s'écriant, « Instruire un homme qui part ! », cette ultime dérobade lui s’assure une première victoire : « Je ne partirai point. »

Le double aveu (ligne 29 à 52) 

L'aveu de Dorante

Il reste à Silvia un dernier effort à faire pour obtenir que Dorante lui propose le mariage, preuve ultime pour elle d’un amour sincère. Pour cela, elle met en œuvre une nouvelle stratégie. En prenant le contrepied de Dorante : alors qu’il renonce à son départ, c’est elle à présent qui le rejette par ses injonctions : « Laissez-moi. Tenez, si vous m’aimez, ne m’interrogez point. » De plus, alors qu’il l’a supplié de s’expliquer sur ses sentiments pour Mario, les sentiments qu’elle lui prête, « Vous ne craignez que mon indifférence et vous êtes trop heureux que je me taise », suivis de sa question rhétorique, « Que vous importent mes sentiments ? » sont une véritable provocation pour le contraindre à un aveu.

La feinte efficace de Silvia, mise en scène de Jean-Paul Roussillon, 1976. La Comédie-Française

La feinte efficace de Silvia, mise en scène de Jean-Paul Roussillon, 1976. La Comédie-Française

L’exclamation indignée de Dorante, « Ce qu’ils m’importent, Lisette ! », amène un premier résultat, la déclaration, une question directe dont le lexique hyperbolique, en la transformant en une divinité, souligne la force de son amour : « peux-tu douter que je t’adore ? » Un amour prêt à franchir l’écart social, comme en témoigne l’interpellation par son prénom et le tutoiement. Mais ce n'est toujours pas une demande en mariage... 

L'aveu de Silvia

Une dénonciation

Silvia se lance dans une très habile tirade, puisque, alors même qu’elle affirme, « Je vais vous parler à cœur ouvert », elle poursuit toujours son but, obtenir une demande en mariage. C’est cet objectif que sous-entend sa riposte à l’aveu de Dorante : « Non, et vous me le répétez si souvent que je vous crois ». Sa double question vise donc à remplacer les beaux discours amoureux par un réel engagement : « mais pourquoi m’en persuadez-vous ? que voulez-vous que je fasse de cette pensée-là, monsieur ? »

Elle se livre alors à une véritable critique de Dorante : « Vous m’aimez ; mais votre amour n’est pas une chose bien sérieuse pour vous. » Dans le portrait qu’elle fait de lui, elle met en valeur l’écart social qui les sépare, « la distance qu’il y a de vous à moi », déjà illustré par son interpellation « monsieur » et par le vouvoiement. Elle commence par une exclamation qui l’accuse de n’être qu’un séducteur inconstant, tout prêt à oublier cet amour qu’il proclame : « Que de ressources n’avez-vous pas pour vous en défaire ! » Dans son énumération ternaire, amplifiée par l’hyperbole, elle imagine toutes les rivales qui pourront le rendre infidèle : « mille objets que vous allez trouver sur votre chemin, l’envie qu’on aura de vous rendre sensible, les amusements d’un homme de votre condition, tout va vous ôter cet amour dont vous m’entretenez impitoyablement. » Ce portrait est sévère car c’est celui d’un homme frivole, qui ne penserait qu’à se jouer d’une fille séduite : « Vous en rirez peut-être au sortir d’ici, et vous aurez raison. » 

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Un aveu masqué, mise en scène de Jean-Paul Roussillon, 1976. La Comédie-Française

Un autoportrait pathétique

À ce portrait critique, elle introduit par le connecteur d’opposition « Mais », le sien, un portrait pathétique pour attendrir son interlocuteur sur l’état de désespoir que connaîtrait une jeune suivante dont il aurait abusé : « Mais moi, monsieur, si je m’en ressouviens, comme j’en ai peur, s’il m’a frappée, quel secours aurai-je contre l’impression qu’il m’aura faite ? Qui est-ce qui me dédommagera de votre perte ? Qui voulez-vous que mon cœur mette à votre place ? » Mais l’aveu reste habilement masqué par des hypothèses qui évitent l’aveu direct. Ainsi, sa dernière question, « Savez-vous bien que, si je vous aimais, tout ce qu’il y a de plus grand dans le monde ne me toucherait plus ? », conduit à une véritable supplication, des impératifs destinés à le faire réagir : « Jugez donc de l’état où je resterais. Ayez la générosité de me cacher votre amour. »

Une ultime dérobade

Après l’avoir ainsi accusé d’une forme de cruauté, elle lui oppose sa propre générosité, présentée comme le noble souci de sa protection : « Moi qui vous parle, je me ferais un scrupule de vous dire que je vous aime, dans les dispositions où vous êtes. » Mais indirectement, sa conclusion, « L’aveu de mes sentiments pourrait exposer votre raison », qui poursuit cette feinte de lui épargner les conséquences d’une transgression sociale, est une forme de prétérition. En le prenant à témoin, en effet, elle fait en sorte d’avouer son amour en faisant semblant de ne pas le dire : « et vous voyez bien aussi que je vous les cache. »

En réalité, toute sa stratégie vise, au contraire, à le pousser à cette transgression.

Le triomphe de l’amour (de la ligne 49 à la fin) 

La demande en mariage

Dorante ne s’est pas laissé tromper par l’ambiguïté de la tirade de Silvia, d’où l’élan lyrique de sa déclaration passionnée : « Ah ! ma chère Lisette, que viens-je d’entendre ? » À sa question répond la métaphore précieuse traditionnelle : « tes paroles ont un feu qui me pénètre. » Il reprend le verbe qui avait entraîné la tirade de Silvia, mais il prend soin de rejeter l’accusation lancée de n’être qu’un séducteur inconstant, prêt à l’abandonner : « Je t’adore, je te respecte. » Enfin, par la triple négation, il rejette aussi, l’obstacle que Silvia avait mis en valeur, en formulant un vibrant éloge : « Il n’est ni rang, ni naissance, ni fortune qui ne disparaisse devant une âme comme la tienne. » Ainsi, la demande en mariage balaie l’écart de leur condition sociale, difficile à transgresser par amour-propre : « J’aurais honte que mon orgueil tînt encore contre toi, et mon cœur et ma main t’appartiennent. »

La demande en mariage, mise en scène de  Muriel Mayette-Holtz, 2020. Nouveau Théâtre de Nice

La demande en mariage, mise en scène de  Muriel Mayette-Holtz, 2020. Nouveau Théâtre de Nice

Les dernières réticences

La suite de leur échange donne un parfait exemple de marivaudage. On aurait pu penser que cette demande en mariage aurait comblé Silvia. Or, ses trois questions traduisent encore une résistance : « En vérité, ne mériteriez-vous pas que je les prisse ? ne faut-il pas être bien généreuse pour vous dissimuler le plaisir qu’ils me font ? et croyez-vous que cela puisse durer ? » Ambiguïté à nouveau car, d’un côté à mots voilés elle révèle son acceptation, mais elle exige la promesse d’un engagement durable, en écho avec le portrait péjoratif des maris fait dans la scène d’exposition. Dans cette attente, elle se dérobe à nouveau à la demande de Dorante, « Vous m’aimez donc ? », en lui refusant l’aveu direct qu’il attend : « Non, non ; mais si vous me le demandez encore, tant pis pour vous. »

Comme Dorante refuse d’entrer dans son jeu, « Vos menaces ne me font point de peur », elle remet en évidence les deux obstacles à ce mariage :

  • Sa question, « Et Mario, vous n’y songez donc plus ? », rappelle la jalousie dont Dorante avait déjà fait preuve, un risque qui pèserait sur une future union.

  • Sa seconde question, rendue insistante par l’exclamation et le rythme ternaire, remet en avant la transgression des normes sociales : « Quoi ! vous m’épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère d’un père, malgré votre fortune ? »

L'union affirmée

À chacun de ces obstacles Dorante riposte par un double mouvement : le déni et la réaffirmation de son amour.

         Ainsi, il nie d’abord toute rivalité avec Mario : « Non, Lisette. Mario ne m’alarme plus ; vous ne l’aimez point ; vous ne pouvez plus me tromper ». Dans un second temps, il reprend l’éloge de Silvia qui justifie la force de son amour pour elle : « vous avez le cœur vrai ; vous êtes sensible à ma tendresse. Je ne saurais en douter au transport qui m’a pris, j’en suis sûr ». Sa conclusion nie donc l’hypothèse de son inconstance, posée par Silvia : « et vous ne sauriez plus m’ôter cette certitude-là. »

        De même, c’est avec force qu’il nie l’obstacle de leur écart social : « Mon père me pardonnera dès qu’il vous aura vue ; ma fortune nous suffit à tous deux, et le mérite vaut bien la naissance ». Dans cette opposition, en forme de maxime, des deux valeurs, le « mérite » l’emportant sur la « naissance », nous reconnaissons l’évolution caractéristique du siècle des Lumières.

Le triomphe de l'amour, mise en scène de  Muriel Mayette-Holtz, 2020. Nouveau Théâtre de Nice

Ces réponses successives amènent Silvia à céder, mais progressivement. D’abord, si elle accepte sa « certitude » d’un amour sincère, un doute subsiste encore : « gardez-la ; nous verrons ce que vous en ferez. » Puis, en répétant l’affirmation de Dorante, « « car je ne changerai jamais », son exclamation, « Il ne changera jamais ! », traduit la joie de sa réussite, mais encore voilée par la forme interrogative : « Savez-vous bien que vous me charmez, Dorante ? » Enfin, devant l’insistance de Dorante, « Ne gênez donc plus votre tendresse, et laissez-la répondre… », après une phrase qui, telle un aparté, exprime son triomphe, « Enfin, j’en suis venue à bout. », la récurrence verbale formule une ultime hésitation : « Vous… vous ne changerez jamais ? ».

L’assurance donnée, « Non, ma chère Lisette », en confirmant la totale soumission de Dorante, permet alors l’union des cœurs : « Que d’amour ! »

Le triomphe de l'amour, mise en scène de  Muriel Mayette-Holtz, 2020. Nouveau Théâtre de Nice

CONCLUSION

Cet extrait illustre le terme "marivaudage", mais dans son acception positive. Nous y observons, en effet, les jeux du langage avec les stratégies successives de Silvia pour obtenir le mariage : elle profite pleinement de son avantage puisque, si Dorante lui a révélé son identité, elle a continué à cacher la sienne. Elle peut ainsi multiplier les dérobades, pour dire son amour tout en se plaisant à le cacher pour troubler Dorante et le contraindre. Mais il ne s’agit ici ni de simple coquetterie, ni de superficialité, mais de la mise en scène de ce que peut revendiquer une jeune fille au XVIIIème siècle : le droit d’épouser un homme qui l’aime sincèrement, pour ce qu’elle est et non pas pour respecter les normes sociales. Bien évidemment, Marivaux n’est pas pour autant un révolutionnaire, qui contesterait les privilèges de la naissance. Mais il commence à prôner d’autres valeurs : la prévalence des sentiments, le droit de toute personne au libre choix et au bonheur, le poids plus important à accorder au « mérite ». Ces « jeux » ne sont donc pas gratuits : ils ont bien un but estimable, faire triompher l’amour sincère.

Lecture cursive : Philippe Calvario, note d’intention de la mise en scène, 2023, Théâtre de l’Épée de Bois 

Pour lire le texte

La lecture de ce court texte permet de définir ce qu’est une note d’intention et son rôle. Rédigée par le metteur en scène, elle est destinée à justifier ses choix à partir de son interprétation de la pièce. 

Le premier paragraphe

Après une première phrase qui pose rapidement ce qui fonde l’intrigue, en parlant d’« ironie du sort », il introduit déjà un premier jugement, qu’il accentue ensuite en évoquant « le jeu de « massacre amoureux ». Il charge ainsi la pièce d’une violence cruelle.

Le deuxième paragraphe

C’est cette cruauté que développe ce deuxième paragraphe, car au terme de « comédie », il oppose l’idée de « la souffrance des quatre personnages principaux ». Il insiste sur leur bouleversement, qui se traduit « dans le langage amoureux » par une nouvelle opposition entre « la légèreté et la gravité ». De même, dans les cœurs, « le bonheur » s’oppose à « la crainte ». Il conclut sur la place accordée au public, qualifié de « voyeur » : il observe, sans pouvoir intervenir, mais n’oublions pas qu’il est en position de supériorité puisqu’il sait ce que les personnages ignorent, l’échange des rôles.

Le troisième paragraphe

Le metteur en scène rappelle le contexte du XVIIIème siècle, les mariages imposés, et propose une interprétation qui fait de Marivaux un précurseur des revendications féministes : il « a sans aucun doute le désir que les femmes aient une place plus grande et qu’elles cessent d’être dépendantes des hommes. » Mais n’oublions pas que ces revendications ne sont pas nouvelles : ce sont déjà celles des Précieuses au XVIIème siècle, nous les trouvons aussi chez Molière, par exemple dans L’École des femmes, et Marivaux lui-même a beaucoup fréquenté les salons mondains, tenues par des femmes cultivées et in dépendantes, telles Mme du Tencin ou Mme Geoffrin.

Mais la fin de cette note donne une nouvelle indication propre à guider la mise en scène. La question posée et sa réponse, « Est-ce un territoire si éloigné du nôtre aujourd’hui ? Je ne pense pas », laissent supposer qu’il va mettre en évidence la modernité de la pièce.

Pour conclure

Ainsi, en observant ses choix, on notera le décalage des costumes : ils ne correspondent pas vraiment au XVIIIème siècle, mais ne sont pas non plus contemporains. Ils évoquent plutôt la mode du XIXème siècle bourgeois. Une façon donc de marquer l’intemporalité de la pièce… De même, le décor n’a rien d’un salon élégant tel que pouvait l’être celui de M. Orgon, mais est nettement symbolique : côté jardin, le mannequin d’enfant suggère le rôle traditionnel de la femme dans le mariage, procréer, de l’autre l’échelle pourrait figurer la hiérarchie sociale, le risque d’en briser les codes en épousant une femme de condition inférieure. 

Enfin, le désordre qui règne sur le plateau illustre la perturbation qui serait introduite dans la société s’il ne s’agissait pas d’un simple « jeu »… L'ordre social en serait alors fortement menacé. 

Explication : Alfred de Musset, Les Caprices de Marianne1833, acte II, scène 3,  de "OCTAVE. - Marianne ! Quelle que soit..." à "... Il sort." 

Pour lire l'extrait

Affiche (détail) de la mise en scène de  Sébastien Azzopardi, au théâtre du Lucernaire

Cette pièce de Musset est sous-titrée "comédie", même si, comme plus tard On ne badine pas avec l’amour, elle se termine par une mort. L’intrigue repose sur un trio : trop timide pour parler d’amour à Marianne dont il est éperdument amoureux, Cœlio demande à son ami Octave, désinvolte libertin, de plaider en sa faveur à celle qui est sa cousine. Mais les trois premières conversations n’ont amené qu’un rejet de Marianne, qui met en avant sa vertu d’épouse et sa volonté d’indépendance. Tout bascule quand son mari, le vieux Claudio, un des "grotesques" chers à Musset, lui reproche violemment ces rencontres qui brisent les règles de bienséances. Cet extrait est leur quatrième rencontre, à la demande de Marianne, qui, emportée par la colère, lui annonce sa décision de « prendre un amant ». En lui confiant son « écharpe en gage », elle remet entre les mains d’Octave le choix de cet amant : « qui vous voudrez, la rapportera. ». Quelles formes prend ici le jeu amoureux ?

Affiche (détail) de la mise en scène de  Sébastien Azzopardi, au théâtre du Lucernaire, 2009

Musset

Le plaidoyer d'Octave (de la ligne 1 à 21) 

L'exorde

Comme le veut la rhétorique depuis l’antiquité, l’intervention d’Octave, dans son rôle d’avocat de son ami Cœlio, commence son plaidoyer par un exorde, destiné à capter la bienveillance de sa destinatrice. L’interpellation initiale conduit d’abord à justifier le plaidoyer, trois causes attribuées au changement de Marianne dont il a remarqué la colère : « quelle que soit la raison qui a pu vous inspirer une minute de complaisance, puisque vous m’avez appelé, puisque vous consentez à m’entendre ». Jusqu’à présent, en effet, Marianne s’était montrée intraitable, refusant de répondre à l’amour de Cœlio pour lequel plaidait Octave. 

Une prière ardente. Mise en scène filmée de  Lambert Wilson, 1998

Une prière ardente. Mise en scène filmée de  Lambert Wilson, 1998

La narration

Après l’exorde, la tradition place la narration : la présentation des faits.

L’éloge de Cœlio

Ainsi, au cœur de ce plaidoyer Octave place un éloge de Cœlio, introduit par une hypothèse que la répétition et le rythme ternaire rend dithyrambique : « Si jamais homme au monde a été digne de vous comprendre, digne de vivre et de mourir pour vous, cet homme est Cœlio. » Il met ainsi en évidence la valeur de son ami, en amplifiant la force de l’amour que celui-ci voue à Marianne par son choix lexical, soutenu par l’exclamation et la comparaison : « Ah ! si vous saviez sur quel autel sacré vous êtes adorée comme un Dieu ! » Il tente ensuite de susciter sa compassion, en utilisant la prétérition pour donner des preuves de cet amour : « Je ne vous parle pas de sa souffrance, de cette douce et triste mélancolie qui ne s’est jamais lassée de vos rigueurs, et qui en mourrait sans se plaindre. » La répétition insistante, « Oui, Marianne, il en mourra », dramatise l’état de Cœlio, auquel Musset prête toutes les caractéristiques du héros romantique en proie à la douleur.

Un autoportrait sévère

Pour renforcer cet éloge de la dignité de Cœlio, il l’oppose, à deux reprises, à son autoportrait critique : « Je n’ai jamais valu grand’chose, et je me rends cette justice, que la passion dont je fais l’éloge trouve un misérable interprète. » Ses deux questions rhétoriques le montrent conscient de son peu de mérite : « Que puis-je vous dire ? qu’inventerais-je pour donner à mes paroles la force qui leur manque ? » Mais, si ces questions remettent en cause son talent d’orateur, la brève négation qui suit, « Je ne sais pas le langage de l’amour », va plus loin, en suggérant une autre impuissance, car que serait l’amour sans la parole pour l’exprimer ? L'amour lui serait donc interdit.

Sa réplique devient alors une véritable supplication, marquée par l’appel insistant, par les impératifs, « au nom du ciel, restez la même une minute encore ; permettez-moi de vous parler », et surtout par sa gestuelle : « Il se jette à genoux. » En adoptant cette position, il joue alors le rôle de l’amant aux pieds de la femme adorée telle une divinité. Mais, en même temps, Musset, en soulignant ce changement, introduit ici un portrait sévère d'une héroïne versatile, abusant de son pouvoir. La froideur de sa question confirme d’ailleurs ce reproche.

La confirmation

Deux arguments soutiennent ce plaidoyer, qui concernent non plus seulement Cœlio mais Marianne elle-même.

    Le premier est construit sur une opposition qui dénonce le mariage vécu par Marianne. En l’interpellant dans une exclamation, il oppose son éloge, sur un rythme ternaire hyperbolique, « Vous, si belle, si jeune, si pure encore », à la réalité qui en fait une proie, victime d’un mari que sa double négation en gradation critique violemment : « livrée à un vieillard qui n’a plus de sens, et qui n’a jamais eu de cœur ! »

        Le second, inversement, vise à la rapprocher de Cœlio, par la juxtaposition des pronoms : « Si vous saviez quel trésor de bonheur, quelle mine féconde repose en vous ! en lui ! » Sa double métaphore hyperbolique associe leur amour à une promesse, qu’il prolonge en les liant par leur jeunesse, face à ce « vieillard », son époux : « dans cette fraîche aurore de jeunesse, dans cette rosée céleste de la vie, dans ce premier accord de deux âmes jumelles ! » Son exclamation s’appuie sur la conception, caractéristique du romantisme et empruntée au mythe de l’androgyne, rapporté par Alcibiade dans Le Banquet de Platon, d’un amour unissant deux âmes-sœurs, deux êtres qui ont été séparés et se retrouvent.

Un plaidoyer argumenté. Mise en scène de  Sébastien Azzopardi, au théâtre du Lucernaire, 2009

Un plaidoyer argumenté. Mise en scène de  Sébastien Azzopardi, au théâtre du Lucernaire, 2009

La péroraison

Toujours en suivant la rhétorique traditionnelle, ce plaidoyer se termine par une péroraison, un appel direct à sa destinatrice : « Regardez dans votre âme ; c’est elle qui peut vous parler de la sienne. » Il reprend ainsi l’image des deux âmes-sœurs. Les deux questions finales tiennent comptent de la personnalité de Marianne, dont l’insensibilité a été soulignée depuis le début de la pièce, « Y a t-il un pouvoir capable de vous toucher ? », et surtout dépeinte comme dévote : « Vous qui savez supplier Dieu, existe-t-il une prière qui puisse rendre ce dont mon cœur est plein ? » Mais l’emploi du déterminant possessif, « mon cœur », introduit une ambiguïté dans cette conclusion : s’agit-il d’exprimer la force de son amitié pour Cœlio, dont il connaît le désespoir, ou d’un aveu personnel de son amour pour Marianne ?

Les jeux de la parole (des lignes 22 à 34) 

La réception du plaidoyer

Face à ce long plaidoyer, les réactions de Marianne sont brèves. Il est évident que, compte tenu du contexte du XIXème siècle, elle pense d’abord à sa réputation, d’être vue avec un homme à genoux à ses pieds : « Relevez-vous, Octave. » Mais, parallèlement, sa question est chargée d’ironie : « En vérité, si quelqu’un entrait ici, ne croirait-on pas, à vous entendre, que c’est pour vous que vous plaidez ? » En précisant cette ironie, « Êtes-vous sûr qu’il ne me soit pas permis de sourire ? », elle met l’accent sur toute l’ambiguïté de la fin du plaidoyer, en démasquant comment, alors qu'il se fait l’avocat de Cœlio, le portrait qu’Octave fait de Marianne exprime aussi son regard personnel, son attirance pour elle.

La reprise du plaidoyer

Octave ne répond pas à l’ironie de Marianne, mais reprend son plaidoyer, en réitérant sa prière insistante et son accusation d’insensibilité : « Marianne ! Marianne ! au nom du ciel, ne souriez pas ! ne fermez pas votre cœur au premier éclair qui l’ait peut-être traversé ! » Pour soutenir cette prière, la phrase suivante fait référence au titre de la pièce : « Ce caprice de bonté, ce moment précieux va s’évanouir. » Il revient alors sur le début de leur conversation : « Vous avez prononcé le nom de Cœlio, vous avez pensé à lui, dites-vous. » Marianne, en effet, avait ouvert sur lui leur dialogue : « J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit sur le compte de votre ami Cœlio. » Avec le terme « fantaisie » qui reprend l’idée de « caprice », il lui ôte toute légèreté, en suggérant le poids de la décision attendue de Marianne : « Ah ! si c’est une fantaisie, ne me la gâtez pas. Le bonheur d’un homme en dépend. »

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L'aveu d'Octave

Dans un second temps, face à l’ironie il adopte une stratégie de détournement. Il feint de ne pas y lire l’accusation d’ambiguïté, le fait que ses mots ne renvoient pas vraiment à Cœlio mais expriment ses propres sentiments. Ainsi, il la déporte vers son autocritique : « Oui, vous avez raison, je sais tout le tort que mon amitié peut faire. Je sais qui je suis, je le sens ; un pareil langage dans ma bouche a l’air d’une raillerie. » Il reconnaît ici être l’exact opposé de Cœlio par sa réputation de libertin, passant d’une femme à une autre sans jamais s’attacher. 

Pour tenter de persuader Marianne. Mise en scène de Frédéric Bélia-Garcia, 2015. Nouveau Téâtre d'Angers

De ce fait, il légitime le sourire moqueur de Marianne, mais en lui prêtant un autre sens : « Vous doutez de la sincérité de mes paroles ». L’antéposition de la négation dans sa dernière phrase sonne alors comme un douloureux aveu : « jamais peut-être je n’ai senti avec plus d’amertume qu’en ce moment le peu de confiance que je puis inspirer. » Que traduit cette « amertume », sinon une forme de regret ? Mais que regrette-t-il vraiment ? Ne pas arriver à persuader Marianne d’accepter l’amour de Cœlio, ou bien d’avoir adopté un mode de vie qui lui interdit de partager un amour semblable ?

Un caprice (de la ligne 35 à la fin) 

Le portrait de Marianne

En rejetant la critique d’Octave, son propre constat d’impuissance mais aussi l’indifférence qu’il lui reproche, « Pourquoi cela ? vous voyez que j’écoute. », Marianne l’invite, en réalité, à s’engager lui-même : « Cœlio me déplaît ; je ne veux pas de lui. Parlez-moi de quelque autre, de qui vous voudrez. » Mais, indirectement, le défi qu’elle lui lance par sa double injonction n’est-il pas aussi une invitation qu’elle lui adresse : « Choisissez-moi dans vos amis un cavalier digne de moi ; envoyez-le-moi, Octave. Vous voyez que je m’en rapporte à vous. » ? Comment expliquer qu’elle cède ainsi, sinon, pour elle aussi, par une forme de révolte contre son mari, un vieillard jaloux, et, plus généralement, contre la façon dont les femmes sont considérées comme des proies à conquérir ? Ce serait une façon donc de reprendre le pouvoir, en menant elle-même le jeu par la menace qui accompagne son ordre : « Faites ce que je vous dis, ou ne me revoyez pas. »

La réaction d'Octave

L’extrait se ferme sur une double réaction d’Octave, d’abord sa colère face à Marianne, puis un monologue révélateur de ses propres sentiments.

        L’exclamation lyrique, « Ô femme trois fois femme ! », introduit un reproche qui illustre une misogynie fréquente chez Musset : « Cœlio vous déplaît, — mais le premier venu vous plaira. » Le tiret et l’opposition temporelle font de Marianne un modèle de la versatilité féminine, une irrationalité sentimentale, reproche sur lequel insistent les trois exclamations qui le développent. La répétition insistante, « celui-là vous déplaît ! », « mais il vous déplaît ! », s’oppose, en effet, à la double énumération qui magnifie l’amour de Cœlio, « L’homme qui vous aime depuis un mois, qui s’attache à vos pas, qui mourrait de bon cœur sur un mot de votre bouche », et mat en valeur ses qualités : « il est jeune, beau, riche et digne en tout point de vous ». Ainsi, une nouvelle répétition, « et le premier venu vous plaira ! », souligne le blâme de ce « caprice » qui donne son titre à la pièce.

      Le monologue montre qu’Octave, auquel Marianne a laissé son écharpe en gage, a parfaitement compris l’invitation formulée : « Ton écharpe est bien jolie, Marianne, et ton petit caprice de colère est un charmant traité de paix. » Le tiret marque le moment de la décision, d’abord un temps d’hésitation, car il pourrait profiter lui-même de cette occasion offerte de rencontre nocturne : « — Il ne me faudrait pas beaucoup d’orgueil pour le comprendre : un peu de perfidie suffirait. » Le connecteur d’opposition révèle alors la personnalité d’Octave : « Ce sera pourtant Cœlio qui en profitera ». Au-delà de sa désinvolture, de son libertinage, et même de son cynisme, il est un ami fidèle.

CONCLUSION

Cette quatrième rencontre introduit l’élément de résolution, qui devrait introduire le dénouement attendu dans une « comédie » : Cœlio pouvant vivre le moment d’amour tant espéré, qu’a tenté d’obtenir le plaidoyer d’Octave en sa faveur. Mais, si l’éloge de Cœlio, de la puissance de son amour fait de lui le modèle du héros romantique, le jugement sévère d’Octave sur lui-même révèle une autre facette du romantisme : le mal du siècle pèse sur les jeunes gens qui, comme lui, ne parviennent pas à s’engager en amour, incapables de révéler le fond de leur cœur dans une société matérialiste qui fait bon marché des sentiments sincères. Le public, lui, ne peut qu’éprouver un malaise, car la réaction de Marianne laisse planer un doute : vu son rejet de Cœlio, comment l’accueillera-t-elle s’il va à ce rendez-vous ? Ainsi, la décision d’Octave, une forme de sacrifice offert à son ami auquel il reste fidèle, n’ouvre-t-elle pas un horizon d’attente dangereux ?

En fait, le dénouement sera un coup de théâtre. Octave reçoit un billet de Marianne l’informant que son époux a disposé des tueurs autour de la maison, mais trop tard pour empêcher Cœlio de se rendre au rendez-vous, où Marianne tente de l’alerter, mais en le nommant « Octave ». Il se jette alors au-devant des assassins, sa mort conduisant Octave à rejeter irrévocablement l’amour que lui offre Marianne.

Un dénouement tragique. Mise en scène filmée de Lambert Wilson, 1998

Un dénouement tragique. Mise en scène filmée de Lambert Wilson, 1998

Écrit d’appropriation : la note d’intention 

Sujet : Rédiger la note d’intention réalisée par un metteur en scène de la comédie de Musset, Les Caprices de Marianne.

L’explication précédente permet de construire l’argumentation et de soutenir l’interprétation proposée. Pour effectuer ce travail, il est utile de s’appuyer sur le modèle de celle étudiée, sur Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux.

Explication : Victor Hugo, Ruy Blas1838, acte III, scène 3, de "Pourquoi donc étiez-vous..." à "... m'intéresse à tout." 

Pour lire l'extrait

Victor Hugo s’affirme comme chef de file du mouvement romantique, d’une part avec la préface de Cromwell (1827), où il explique sa conception du drame par opposition aux règles classiques, d’autre part avec Hernani (1830), qui l’illustre avec une force dont témoigne la « bataille » provoquée par la pièce.

La pièce se déroule à la cour d’Espagne, au XVIIème siècle, et son intrigue repose sur un stratagème. Pour se venger d’avoir été disgracié par la reine d’Espagne, don Salluste de Bazan décide d’utiliser son valet, Ruy Blas, dont il a découvert qu’il aime en secret la reine : il l’introduit à la cour en le faisant passer pour son cousin don César de Bazan, avec pour ordre de séduire la reine. L’acte II amène la reine à reconnaître, en celui qu’elle croit être un noble seigneur, l’adorateur qui en secret dépose sur un banc ses fleurs préférées et qui lui a écrit une lettre d’amour. L’appui de la reine hausse Ruy Blas – prétendument don César – à la fonction de premier ministre, et l’acte III s’ouvre sur un conseil où il accuse violemment les ministres qui pillent l’État et abaissent ainsi l’Espagne. Mais la reine, cachée dans un cabinet a surpris cet échange, et se présente devant lui. Le dialogue qui occupe la scène 3 amène ainsi un aveu mutuel. Comment leur discours renforce-t-il l’expression de l’amour ?

Victor Hugo, Ruy Blas, 1838
Hugo

L’aveu de Ruy Blas (des vers 1 à 20) 

L'interpellation de la reine

N’oublions pas que la Reine, même si elle a déjà reconnu en Ruy Blas celui qui lui offre des fleurs et lui écrit une lettre d’amour, n’en a rien dit et ne voit en celui qu’elle a fait nommer premier ministre que le noble don César de Bazan. Mais la colère de Ruy Blas contre ceux qui gouvernent l’Espagne, conseillers et ministres, l’a non seulement impressionnée, mais aussi étonnée car une telle fidélité à la grandeur de l’Espagne n’est guère habituelle. D’où sa question : « Pourquoi donc étiez-vous, comme eût été Dieu même, / Si terrible et si grand ? » La comparaison, « comme eût été Dieu même », qui précède la double hyperbole de sa question, révèle la force de son admiration pour la puissance et la dignité de son ministre.

L'aveu du ministre

Le rythme ternaire des trois subordonnées, trois exclamations soutenues par l’anaphore de « Parce que », formule un aveu. Même s'il est orienté par l’argumentation, l'exclamation, en réponse à la question, « Parce que je vous aime ! », est un cri d’aveu spontané et direct.

Mais, cet aveu est d’abord rattaché à sa fonction de ministre, obligé de lutter contre de nombreux rivaux, dont il rappelle qu’ils jalousent sa fonction. Le deuxième argument, avec la reprise verbale, met donc en valeur sa fidélité au royaume, menacé de destruction : « Parce que je sens bien, moi qu’ils haïssent tous, / Que ce qu’ils font crouler s’écroulera sur vous ! ». Le troisième argument insiste sur la force mise au service de la reine, avec une double hyperbole, d’abord par l’affirmation renforcée, « Parce que rien n’effraie une ardeur si profonde », ensuite par la répétition du verbe, avec une hypothèse qui élargit encore son engagement : « et que pour vous sauver, je sauverais le monde ! » L’action politique du héros est donc motivée par l’amour.

L’aveu à la reine. Mise en scène de Jean Vilar, 1954, TNP

L’aveu à la reine. Mise en scène de Jean Vilar, 1954, TNP

Domenico Gandini, gravure de Ruy Blas, 1838, in édition Bonfanti, Milan

Domenico Gandini, gravure de Ruy Blas, 1838, in édition Bonfanti, Milan

L'aveu du laquais

Mais derrière le ministre, Ruy Blas dévoile sa douloureuse conscience de n’être, en fait, qu’un valet, donc de nourrir un amour impossible : « Je suis un malheureux qui vous aime d’amour. » La polyptote lexicale accentue cet écart social, dont l’interjection « Hélas ! » traduit la dimension tragique. Ainsi, la puissance du ministre disparaît par la comparaison : « je pense à vous comme l’aveugle au jour. » Mais, son appel à la reine montre qu’il ne renonce pas pour autant à dévoiler le fond de son cœur : « Madame, écoutez-moi. J’ai des rêves sans nombre. » Pour traduire cet écart social, accentué par la gradation, « Je vous aime de loin, d’en bas, du fond de l’ombre », le discours joue sur l’opposition entre les ténèbres, réservées au héros, et la lumière qui illumine la reine : « Et vous m’éblouissez ». Le héros transforme alors la femme aimée en déesse intouchable, « Je n’oserais toucher le bout de votre doigt », et l’exclamation finale avec sa comparaison, « comme un ange qu’on voit ! », achève de la diviniser.

L'expression de la douleur

         Les tirets qui scandent la fin de la tirade marquent le bouleversement du héros, qui lance d’abord un appel insistant à la pitié de la reine : « — Vraiment, j’ai bien souffert. Si vous saviez, madame ! » L’antithèse temporelle, « Je vous parle à présent », oppose le silence antérieur à son aveu actuel, mais l’audace en est ensuite excusée par la preuve redoublée de son respect passé, cause de sa souffrance. Le verbe placé en rejet pour exprimer sa lutte intérieure, « Six mois, cachant ma flamme, / J’ai fui », est renforcé par sa reprise à l’imparfait, qui en souligne la durée, de même que la répétition de sa douleur, hyperbolique : « Je vous fuyais et je souffrais beaucoup. » Pour renforcer cette prière, il rejette la première image de ministre fidèle qu’il avait posée, « Je ne m’occupe pas de ces hommes du tout », pour réitérer plus directement son aveu : « Je vous aime. »

      Le rythme haché de la fin de la tirade met en valeur l'égarement du héros à l’issue de cet aveu, avec l’exclamation et l’enjambement qui rappelle, par le titre donné, l’écart entre lui et la reine : « — Ô mon dieu ! j’ose le dire en face / À votre majesté. » L’interrogation exprime cet égarement, « Que faut-il que je fasse ? », confirmé par l’hyperbole lexicale : « J’ai l’effroi / Dans le cœur ». De même, l’hypothèse souligne encore la force d'un amour prêt à aller jusqu’au sacrifice : « Si vous me disiez : Meurs ! je mourrais. » L’impératif final, lui, renouvelle l’appel à la pitié, en même temps qu’il révèle le sentiment de son indignité.

L’aveu de la reine (du vers 20 à la fin) 

L’aveu de la reine. Mise en scène de Pierre Billon, 1948

Une femme délaissée. Mise en scène de Pierre Billon, 1948

La souffrance de la reine

Par son cri introduit par l’interjection, dont le rythme haché, en gradation, est soutenu par les impératifs et par l’exclamation, l’émotion de la reine fait écho à celle de Ruy Blas : « Oh ! Parle ! ravis-moi ! » Ce verbe se charge ici son double sens : il exprime le plaisir extrême que produit en elle cet aveu, mais aussi, au sens plus concret, son souhait de liberté, d’être emportée loin de sa prison royale. Derrière la reine, c’est  donc la femme délaissée qui avoue son désir d’être aimée, avec une insistance marquée par l’antéposition de la négation : « Jamais on ne m’a dit ces choses-là. J’écoute ! » Loin de s’être indignée de l’audace de Ruy Blas, elle s’inscrit dans la même conception romantique de l’amour, une union des âmes, « Ton âme, en me parlant, me bouleverse toute », et à son tour, elle met en valeur son émotion, d’abord avec le verbe qui occupe cinq syllabes, puis par le parallélisme, « J’ai besoin de tes yeux, j’ai besoin de ta voix », qui souligne sa solitude.

Leur union se traduit aussi par l’accent mis sur la souffrance : là où Ruy Blas s’écriait « Vraiment, j’ai bien souffert. Si vous saviez, madame ! », elle reprend avec insistance « Oh ! c’est moi qui souffrais ! Si tu savais ! » ; et, là où il mentionnait la durée de son silence, six mois, elle va plus loin avec la répétition en amorce de vers de la fin du vers précédent : « cent fois, / Cent fois, depuis six mois que ton regard m’évite… » Cet aveu reste inachevé, tandis que le tiret marque un retour sur soi, le rappel de son statut de reine et d’épouse : « — Mais non, je ne dois pas dire cela si vite. » En répétant sa souffrance, accentuée, « Je suis bien malheureuse », elle introduit une dimension tragique dans ce dialogue : « Oh ! je me tais, j’ai peur ! » Toute cette première partie dresse le portrait pathétique d’une femme privée d’amour, enfermée dans la prison de son palais.

L'aveu

Au verbe « ravir », employé par la reine, répond la didascalie, « Ruy Blas, qui l’écoute avec ravissement. », qui ouvre son appel à un aveu plus direct : « Ô madame ! achevez ! vous m’emplissez le cœur ! »

Les mêmes tirets qui marquaient le bouleversement de Ruy Blas se retrouvent dans le discours de la reine qui se résout à l’aveu, effaçant l’écart entre eux par son tutoiement : « Eh bien, écoute donc ! » La didascalie donne l’impression d’une imploration destinée à lui donner la force de transgresser l’interdit religieux d’adultère, « Levant les yeux au ciel. » Elle se résout ainsi à surmonter ce frein terrible, « — Oui, je vais tout lui dire. / Est-ce un crime ? Tant pis. » L’antéposition de la subordonnée temporelle, « Quand le cœur se déchire », fait de la souffrance, amplifiée, la justification de l’aveu avec le verbe d’obligation qui en fait le seul remède salutaire : « Il faut bien laisser voir tout ce qu’on y cachait. »

Un nouveau tiret met en évidence le moment de l’aveu, avec le chiasme dans le jeu de question-réponse qui les unit : « Tu fuis la reine ? Eh bien, la reine te cherchait ! » Le portrait qui suit scelle leur union, « Tous les jours je viens là, — là, dans cette retraite — », mais en inversant l’image posée par Ruy Blas. Cette reprise du lieu et le rythme ternaire montrent, en effet, que c’est elle, à présent, qui reste dans l’ombre, et dans le silence, en magnifiant la puissance du héros : « T’écoutant, recueillant ce que tu dis, muette, / Contemplant ton esprit qui veut, juge et résout ». Le dernier vers, « Et prise par ta voix qui m’intéresse à tout. », confirme le verbe initial, « ravir » :  l’amour de Ruy Blas a fait d’elle sa captive.

L’aveu de la reine. Mise en scène de Christian Schiaretti, 2012. TNP

L’aveu de la reine. Mise en scène de Christian Schiaretti, 2012. TNP

CONCLUSION

S’il y a des "jeux de l’amour" dans Ruy Blas, c’est parce que l’écart social impose un interdit absolu : un laquais ne peut s’autoriser à aimer l’épouse du roi, une reine ne peut envisager de transgresser la loi du mariage ni ses obligations. Mais le stratagème mis en place par don Salluste, qui souhaite ainsi assouvir sa vengeance en déshonorant la reine, est une nouvelle carte dans ce "jeu". Elevé à la fonction de ministre, Ruy Blas peut, en effet, se rapprocher de la femme qu’il aime, ce qui le libère du silence et laisse place aux "jeux de la parole".

Son aveu lyrique, traduisant l’intensité d'un amour qui offre toutes les caractéristiques du romantisme, entraîne un duo amoureux, à travers le partage, chez les deux personnages, tous deux victimes de la hiérarchie sociale, d’une même quête d’idéal, d’une même souffrance, et d’une même peur des conséquences de leur amour. L’extrait ouvre ainsi un horizon d’attente, la menace d’une tragédie.

Explication : Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac1897, acte III, scène 10, du début à "... Bonjour, cousin !" 

Pour lire l'extrait

Représentée le 28 décembre 1897 au théâtre de la porte Saint-Martin, la pièce d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, s’inspire librement de l’écrivain libertin du XVIIe siècle, Savinien de Cyrano de Bergerac, doté d’un nez si volumineux qu’il attirait les railleries de tous, auxquelles il ripostait avec verve

La pièce débute un jour de 1640, à l’hôtel de Bourgogne. Elle se poursuit le lendemain, dans la boutique d’un rôtisseur pâtissier, puis sur une petite place du quartier des Marais où se déroule la scène étudiée. Grâce à une lettre rédigée par son ami Cyrano, Christian a obtenu un rendez-vous de Roxane, dont il est amoureux. Mais elle le rejette à cause de la banalité de son discours. Devant son désespoir, Cyrano, lui-même amoureux de Roxane sa cousine, mais sans espoir en raison de sa laideur, lui propose à nouveau son aide : « […] Mets-toi là, misérable ! / Là, devant le balcon ! Je me mettrai dessous… / Et je te soufflerai tes mots. Le stratagème réussit, Roxane est séduite mais il reste encore à obtenir de Roxane un baiser. Comment les « jeux de la parole » sont-ils révélateurs des « jeux de l’amour » ? 

Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, 1897
Rostand

Le discours amoureux (des vers 1 à 27) 

La scène du balcon, collection A.R.T.

L'amour masqué

La question de Roxane qui ouvre l’extrait, « C’est vous ? », souligne le stratagème dont elle est dupe. Comme la scène se déroule de nuit et à distance, avec Roxane « sur le balcon », Christian et Cyrano dans la rue, Cyrano a pu se faire passer pour Christian, d’abord en se contentant de lui souffler les mots, puis en prenant lui-même la parole à voix basse. Or, l’hésitation de Roxane, « Nous parlions de… de… d’un… », montre à quel point ces déclarations l’ont troublée, et surtout l’audace finale, la demande d’un « baiser ». Au XVIIème siècle, époque où se déroule la pièce, les bienséances interdisent à une jeune fille d’accéder à cette demande, d’où l’injonction répétée de Roxane : « Taisez-vous ! ». Mais elle ne se retire pas du balcon. Elle accepte donc d’entrer dans le jeu de l’amour en écoutant la suite du discours.

La scène du balcon, collection A.R.T.

Les étapes de l'argumentation

         Il fait d’abord appel à la vérité des sentiments, exprimant, de ce fait, son amour car son exclamation révèle ce dont lui-même rêve : « Baiser. Le mot est doux ! » Il cherche ensuite, par l’hypothèse dans sa question, chargée d’ironie, à amener Roxane à admettre son propre désir : « Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l’ose ; / S’il la brûle déjà, que sera-ce la chose ? »  

       La question rhétorique qui ouvre sa seconde tirade poursuit cette volonté de minimiser l’importance du baiser : « Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ? » Sa réponse en fait un acte naturel, inscrit dans la logique de l’amour : « Un serment fait d’un peu plus près, une promesse / Plus précise, un aveu qui veut se confirmer, / Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ». Pourtant, le baiser ne relève pas du jeu ; il est la preuve de la vérité du cœur. Mais pour l’obtenir, il est tout de même nécessaire de mettre en œuvre les "jeux de la parole", telles les métaphores multipliées ensuite qui inscrivent l’argument dans un lyrisme poétique : « C’est un secret qui prend la bouche pour oreille, / Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille, / Une communion ayant un goût de fleur, / Une façon d’un peu se respirer le cœur, /Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme ! ». Rostand emprunte ici une caractéristique de la poésie symboliste de la fin du XIXème siècle, les synesthésies : les sensations se mêlent et s’associent pour créer l’image, propre au romantisme, d’un amour fusionnel, qui dépasse en fait la sensualité pour toucher « le cœur » et même « l’âme ».

En reprenant le langage précieux du XVIIème siècle, il s’emploie à la rassurer, « Ne vous en faites pas un épouvantement. ». Ainsi, il banalise ce baiser qu’il inscrit dans l’itinéraire amoureux de la Préciosité, illustré par la carte de Tendre : « N’avez-vous pas tantôt, presque insensiblement, / Quitté le badinage et glissé sans alarmes / Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes ! » L’exclamation finale invite Roxane à céder à ce désir, avec l’impératif et la négation restrictive insistant sur la facilité de cette ultime étape de l’aveu d’amour : « Glissez encore un peu d’insensible façon : / Des larmes au baiser il n’y a qu’un frisson ! » 

La Carte de Tendre, in Clélie, histoire romaine de Mlle de Scudéry, 1654. Paris, 1856. BNF

La Carte de Tendre, in Clélie, histoire romaine de Mlle de Scudéry, 1654. Paris, 1856. BNF

          Devant le refus réitéré de Roxane, Cyrano recourt à un dernier argument, dit d’autorité : il recourt à l’exemple de la reine Anne d’Autriche, à laquelle la rumeur prêtait comme amant le duc de Buckingham, qu’avait reprise Alexandre Dumas dans son roman Les trois Mousquetaires. L’insistance soutient cet argument a fortiori, puisque si la reine a pu rompre la bienséance, toute femme en a le droit : « Un baiser, c’est si noble, Madame, / Que la reine de France, au plus heureux des lords, / En a laissé prendre un, la reine même ! » La brève réplique de Roxane, « Alors ! », annonce son acceptation. 

Le discours quitte alors sa dimension argumentative, et la didascalie, « s’exaltant », brise le "jeu" en introduisant l’expression personnelle de Cyrano : « J’eus comme Buckingham des souffrances muettes, / J’adore comme lui la reine que vous êtes, / Comme lui je suis triste et fidèle… ». La répétition ternaire de la comparaison lui offre un masque commode pour laisser parler son cœur. L’hommage rendu à Roxane révèle ainsi la douleur et la force de son amour caché.

Les jeux de l'amour (du vers 28 à la fin) 

La scène du balcon : Cyrano et Christian. Film de Jean-Paul Rappeneau, 1990

La scène du balcon : Cyrano et Christian. Film de Jean-Paul Rappeneau, 1990

L'inversion de la situation

Les quatre images du « baiser » reprises par Roxane dans son invitation, « Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille… », « Ce goût de cœur… », « Ce bruit d’abeille… », « Cet instant d’infini !... », montrent que l’argumentation lyrique de Cyrano a été efficace

Mais Roxane arrête le jeu, car, en poursuivant la comparaison au duc de Buckingham, elle ramène brutalement Cyrano à la réalité : « Et tu es / Beau comme lui ! » C’est ce qu’indique la didascalie, « dégrisé », qui introduit son aparté amer : « C’est vrai, je suis beau, j’oubliais ! » Il sait, en effet, qu’il est trop laid pour être aimé de Roxane, sensible à la beauté. Tout cela n’était donc bien qu’un "jeu", certitude qui le conduit à rétablir la vérité en rendant à Christian son rôle par son injonction répétée : « Monte ! »

Cependant, c’est bien le discours amoureux de Cyrano, jouant le rôle de Christian, qui a permis d’accorder ce baiser, d’où la réticence du jeune homme, « hésitant », qui manifeste ainsi sa conscience morale : « Mais il me semble à présent que c’est mal ! » Mais le geste, « le poussant », et l’insistance de Cyrano, « Monte donc, animal ! », met fin à l’émotion par son insulte cocasse.

Le gain du "jeu" ?

Cyrano a si bien joué le jeu qu’il a fini par permettre à son rival de recevoir le baiser de Roxane, geste entraperçu dans l’obscurité : « Il l’enlace et se penche sur ses lèvres. » Mais il est alors obligé de s’avouer à lui-même la douleur ressentie : « Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre ! » Cependant, cette exclamation qui la concrétise est aussi une façon de la minimiser, tout comme la comparaison biblique : « — Baiser, festin d’amour dont je suis le Lazare ! » En s’identifiant à ce personnage malade et pauvre qui survit grâce aux restes des festins d’un riche, il tente de se consoler : « Il me vient de cette ombre une miette de toi / — Mais oui, je sens un peu mon cœur qui te reçoit ». Pour justifier cette consolation, il rappelle que c’est bien sa parole, son discours amoureux, qui a séduit Roxane, ainsi trompée : « Puisque sur cette lèvre où Roxane se leurre / Elle baise les mots que j’ai dits tout à l’heure ! »

Paul Albert Laurens, le baiser de Roxane, 1910. Estampe. Coll° particulière

Paul Albert Laurens, le baiser de Roxane, 1910. Estampe. Coll° particulière

La didascalie renvoie au rôle accordé par Cyrano, avant cette rencontre amoureuse, à des pages : ils devaient avertir de l’arrivée d’un gêneur à l’aide de leurs « théorbes », par un signal précis, « Un air triste », s’il s’agit du « capucin », un moine cherchant la maison d’une certaine Magdeleine Robin, nom de naissance de Roxane. Cela oblige les deux personnages à reprendre le jeu. Cyrano le met en scène en surjouant son arrivée impromptue, « Il feint de courir comme s’il arrivait de loin, et d’une voix claire », et son innocence : « Moi. Je passais… Christian est encor là ? » De même, Christian le suit dans cette feinte surprise : « très étonné. – Tiens, Cyrano ! » Feinte pleinement réussie : le salut final de Roxane prouve qu’elle n’a pas identifié la voix de Cyrano lors du jeu.

La scène du balcon La scène du balcon, dans Roméo et Juliette, film de George Cukor, 1930

CONCLUSION

Les scènes de balcon, qui rappellent les sérénades données, en Italie et en Espagne par l’amant à la femme aimée, sont fréquentes au théâtre : elles illustrent la distance entre le désir amoureux et sa satisfaction. La femme, placée en position supérieure, y prend sa revanche sur son infériorité sociale, puisque la décision d’accepter, ou non, l’amour lui appartient. On la trouve souvent dans les comédies, par exemple dans L’École des femmes (1662) de Molière ou dans Le Barbier de Séville (1775) de Beaumarchais : elle permet alors de tromper la tyrannie des barbons jaloux. Mais Edmond Rostand se souvient certainement de Roméo et Juliette (1597), exemple du drame shakespearien remis à l’honneur par les auteurs romantiques, où Juliette et Roméo, malgré la haine entre leurs deux familles, partagent un amour profond, tel celui de Christian pour Roxane.

La scène du balcon, dans Roméo et Juliette, film de George Cukor, 1930

L’originalité de Rostand vient des jeux qui sous-tendent la scène, Cyrano faisant l’aveu d’amour en prenant la place de Christian, jusqu’à lui permettre d’obtenir le baiser de Roxane en réponse, feinte destinée à la tromper. Mais, au-delà de la fiction du jeu, c’est, en fait, sa propre vérité qu’il exprime, car il est lui-même sincèrement amoureux de sa cousine Roxane, mais sans espoir en raison de sa laideur.

Le personnage de Christian, lui, est, certes, ridiculisé par son incapacité de prendre lui-même la parole, car n'est-il pas le gagnant du jeu ? De plus, en hésitant à recevoir un baiser dont il sent bien qu’il ne l’a pas réellement mérité, qu’il a été conquis par un autre que lui, ne se réhabilite-t-il pas moralement, car lui aussi aime sincèrement Roxane ? Quant à Cyrano, quand Roxane le ramène à la réalité, sa laideur, donc son amour impossible, l’expression de sa douleur transforme en sacrifice ses injonctions plaisantes à Christian… Rostand retrouve ainsi une caractéristique du drame romantique, le mélange des tonalités comique et tragique.

Lecture cursive : : Lazare Herson-Macarel, note d’intention, mise en scène, 2017, théâtre de Suresnes

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Dans une note d’intention, le metteur en scène justifie ses choix, celui d’abord de monter la pièce qui entraîne ceux de sa mise en scène. Lazare Herson-Macarel avance quatre raisons, qui traduisent son regard et son jugement sur Cyrano.

    Sa première justification repose sur le terme « jubilation », expression d’une joie vive, particulièrement expansive, aussi bien chez les spectateurs, les plus divers, que chez les comédiens. L’intrigue, soutenue par un texte brillant, la fait jaillir sans contrôle.

         Il met ensuite l’accent sur les personnages, au premier titre le caractère du héros, dont il souligne à quel point sa « liberté » et toutes ses conséquences tranchent sur la passivité de notre société actuelle. Mais ce héros est mis en valeur par la foule de personnages qui l’entourent, jusqu’aux plus simples figurants. Cette « profusion » enrichit considérablement la pièce.

Affiche de la mise en scène de Herson-Macarel

       Il insiste aussi sur l’acteur choisi pour incarner Cyrano, Eddie Chignara, un acteur déjà expérimenté, dont les qualités correspondent précisément à la fois à celles du héros, notamment par « le caractère héroïque de l’énergie qu’il offre », et à celles, plus générales de la pièce : « c’est un acteur-monde », « un rythmicien génial ». Le metteur en scène est certain que cette pièce assurera sa « révélation » auprès du public.

      Le dernier paragraphe développe son interprétation de la pièce, d’abord en proposer « une lecture politique radicale, profonde, sans concessions », en faisant ressortir le mélange, dans le personnage comme dans l’écrivain, de « l’héroïsme » et de « la mélancolie ». À ses yeux, la pièce illustre l’exigence même du théâtre, « la nécessité de porter un masque pour dire la vérité ». Ainsi, il souhaite réaliser une mise en scène qui traduise « cet idéalisme essentiel qui dépasse de très loin les satisfactions poétiques, rhétoriques et militaires », de la pièce de façon à montrer le rôle du théâtre : « c’est le dernier refuge de la réalité. » Le "jeu" théâtral, fondée sur une fiction, n'en a donc que l'apparence. 

Explication : Jean Giraudoux, Intermezzo1933, acte III, scène 5, du début à "... ne vit que par vous." 

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Giraudoux, Intermezzo, 1933

Conformément à son titre, Intermezzo, la pièce de Giraudoux, jouée en 1933, offre un « intermède » fantaisiste, une parenthèse dans la réalité : dans la petite ville où Isabelle, l’héroïne, est institutrice, tout fonctionne à l’envers, « toute la morale bourgeoise est cul par-dessus tête ». Or, on y signale l’apparition d’un spectre, avec lequel Isabelle entretient une étrange relation, d’où l’accusation lancée contre elle et la tentative, vaine d’ailleurs, d’assassiner ce fantôme. Face à ces critiques, seuls deux personnages apprécient le rôle du spectre. Le droguiste en « trouve les effets assez sympathiques » car il « sape peu à peu tous les principes, faux d’ailleurs, sur lesquels se base la société civilisée » (I, 4), et fait donc l’éloge d’Isabelle, jusqu’à lui prêter un rôle métaphysique : « Près de chaque être, de chaque objet, elle semble la clef destinée à le rendre compréhensible. » (I, 3). Le contrôleur, lui, en est réellement amoureux, « Elle est la pureté et l’honneur même » (I, 5), et décide de l’écarter du monde des morts représenté par le spectre. Ainsi, dans la scène 3 de l’acte III, il vient lui faire sa demande en mariage. Comment Giraudoux illustre-t-il ici le « jeu de l’amour » ?

Giraudoux

Le choix du monologue (du début à la ligne 26) 

La didascalie initiale, qui introduit le personnage, annonce la situation. L’émotion du Contrôleur est déjà révélée par la délicatesse de son entrée : « La porte s’ouvre doucement ». Mais c’est surtout le soin apporté à son costume qui traduit la solennité du moment et laisse supposer au lecteur le but de sa venue : « Il est en jaquette. Il tient dans ses mains, qui sont gantées beurre frais, son melon et une canne à pomme d’or. » Un étrange discours débute alors.

La mise en place du monologue

La didascalie signale clairement la présence d’Isabelle qui « s’est tournée vers lui », mais par sa double exclamation, soutenue par une prière, le contrôleur lui impose avec force le silence : « Pas un mot, Mademoiselle ! Je vous en supplie, pas un mot ! » Ainsi, la double négation, « Pour le moment, je ne vous vois pas, je ne vous entends pas », en niant la présence de la destinatrice, transforme ce dialogue en un monologue. Sa justification, « Je ne pourrais supporter à la fois ces deux voluptés », par le choix de ce terme hyperbolique ensuite explicité, est déjà révélatrice de la force de son amour. Cette explication, introduite par « primo », « secundo », rappelle la fonction technique et juridique de ce personnage, Contrôleur des Poids et Mesures : fonctionnaire habitué à mettre en ordre les objets, il met aussi en ordre les deux causes de son émotion. En même temps, l’adresse à sa destinatrice, « être dans la chambre de Mademoiselle Isabelle » et « y trouver Mademoiselle Isabelle elle-même », marque cette volonté d’effacer sa présence en plaçant une distance entre eux. En revanche, l’injonction finale, « Laissez-moi les goûter l’une après l’autre », démasque le jeu ainsi mis en place : le refus du dialogue direct n’est, en fait, qu’un moyen d’amplifier la valeur de cette situation exceptionnelle.

La description de la chambre

L’interruption d’Isabelle, « Cher Monsieur le Contrôleur… », qui, pourtant, prouve sa bienveillance à son égard, est aussitôt rejetée, par une nouvelle négation de sa présence : « Vous n’êtes pas dans votre chambre, et moi j’y suis. » Cette négation feinte du réel est, en fait, plutôt habile, car le personnage se rapproche ainsi de cette héroïne qui, elle aussi, dans son rôle d’institutrice comme dans sa communication avec le spectre, a montré son aptitude à entrer dans une autre réalité, rejetée par la société. Mais cette feinte révèle surtout un sentiment traditionnel chez un amoureux, le bonheur ressenti lors du partage du cadre de vie de la femme aimée, premier signe de l’espoir d’une vie commune : « J’y suis seul avec ces meubles et ces objets qui déjà m’ont fait tant de signes par la fenêtre ouverte ». La suite de cette réplique marque la reprise de son métier de « contrôleur » par l’énumération des objets, désignés par le déictique et passés en revue l’un après l’autre à la façon d’un inventaire officiel : « ce secrétaire », « cette gravure », « ce porte-liqueurs ». Mais le contrôleur se met à la hauteur de sa destinatrice : il est capable comme elle de percevoir l’invisible, en prêtant même vie aux objets, qu’il charge d’un sens symbolique par les passages entre tirets.

       Pour le « secrétaire », ce sens caché repose sur son étymologie. Il « reprend ici son nom » : il « représente pour moi l’essence du secret », affirme-t-il, tout en relevant un léger défaut, « le pied droit est refait », qui ne remet pas en cause l’essentiel : « mais le coffre est bien intact ». Or, c’est là que se dissimule le secret.

        Pour la « gravure de Rousseau à Ermenonville », le jeu va plus loin puisque, non content de la décrire, le Contrôleur lui donne vie en interpellant familièrement l’écrivain, dans un double mouvement : un blâme, plaisamment formulé, « tu as mis tes enfants à l’Assistance publique, décevant Helvète », mais aussi une complicité affirmée : « mais à moi tu souris ». Comment expliquer ce sourire, sinon par la reconnaissance, par l’écrivain, de sa ressemblance au Contrôleur, la « rêverie » peut-être, ou le désir de « confesser » sa vérité intérieure ?

        Le « porte-liqueurs » aussi se retrouve personnifié, doté d’un sentiment qui le rapproche de l’observateur en attente : « l’eau de coing impatiente attend l’heure du dimanche qui la portera à ses lèvres... » Mais la mention des « lèvres » permet le glissement vers les précisions, avec la répétition de l’adjectif : « Du vrai baccarat... Du vrai coing... » Adjectif paradoxal, puisque sur scène, tout le décor est faux… Mais c’est par cette illusion que le théâtre traduit la vérité, comme ici l’objet illustre finalement la personnalité même d’Isabelle : « Car tout est vrai, chez elle, et sans mélange. »

Ainsi l’effacement d’Isabelle n’est bien qu’un jeu, puisque chaque objet renvoie à sa destinatrice, reflète son âme, et traduit l’amour qu’éprouve pour elle le Contrôleur.

Le portrait d'Isabelle

Par cette deuxième intervention, Isabelle tente de mettre fin au jeu en réaffirmant avec force sa présence : « Monsieur le Contrôleur, je ne sais vraiment que penser ! » Mais son exclamation confirme aussi le jugement du Contrôleur, car elle lui réclame ainsi la vérité.

C’est ce qui entraîne la répétition de cet éloge, « Car tout est vrai, chez Isabelle. », et la reprise de la distanciation. Mais la préposition prend un sens nouveau : il ne s’agit plus des objets qui sont « chez Isabelle », dans sa chambre, mais de l’héroïne elle-même, dont il brosse le portrait à travers des antithèses.

  • La première, par l’hypothèse, oppose Isabelle à ceux qui l’ont critiquée pour ses choix et ses échanges avec le spectre : « Si les mauvais esprits la trouvent compliquée, c’est justement qu’elle est sincère... »

  • La seconde oppose les adjectifs, « compliquée » et « simple ». Le premier, rattaché à l’adjectif « sincère », sous-entend que la vérité est complexe, qu’il faut savoir, comme le fait Isabelle – mais comme l’a fait aussi le Contrôleur par sa description symbolique – voir au-delà des apparences – et même des fantômes, car la mort est une composante de la vérité humaine. Mais les gens préfèrent ce qui est « simple », à tort comme le souligne la négation restrictive : « Il n’y a de simple que l’hypocrisie et la routine. » Il est, en effet, plus facile, d’échapper aux difficultés par « l’hypocrisie », ou en s’engluant dans une vie jouée d’avance, sans imprévu. Renforcé par la répétition de l’adjectif, l’éloge est mis en valeur par l’hypothèse qui souligne qu’elle pénètre l’invisible, celui de la mort inscrite en l’homme, sans se satisfaire des faux-semblants : « Si elle voit les fantômes, c’est qu’elle est la seule aussi à voir les vivants. C’est qu’elle est dans le département la seule pure ».

Sa conclusion, « C’est notre Parsifal », la compare au héros de l’opéra éponyme de Wagner, datant de 1882, emprunté au cycle médiéval du roi Arthur. Dans ce récit légendaire, Perceval est un jeune homme tenu à l’écart du monde, naïf car il a grandi dans la forêt, mais qui, devenu chevalier, participe à la quête de l’objet mythique le Graal. De même, Isabelle participe à la vie de la nature, et cherche auprès du spectre, le « secret » de l’invisible, du monde des morts.

La conclusion du monologue

La troisième intervention de l’héroïne, « Puis-je vous dire que j’attends quelqu’un, Monsieur le Contrôleur ? » (en fait le spectre) est une dérobade, qui met fin, brutalement, au monologue : « Voilà, j’ai fini. »

Giraudoux réalise alors une mise en abyme, puisque son personnage commente lui-même le monologue auquel il vient de se livrer, en justifiant ainsi le rôle de ce qui n’est qu’une illusion : « Je voulais me payer une fois dans ma vie le luxe de me dire ce que je pensais d’Isabelle, de me le dire tout haut ! » Double illusion ici, puisqu’il fait une vérité choisie de ce qui n’est, en principe, qu’une fiction au théâtre, destinée à informer le public des sentiments du personnage, et que celui-ci n’a pas été un soliloque, contrairement à ce qu’il affirme à deux reprises, « le luxe de me dire », « de me le dire tout haut », mais a eu, malgré son  absence feinte, une destinatrice qui a pu entendre « ce qu[‘il] pensai[t] » d’elle.

Le commentaire, sous couvert d’une réflexion générale, « On ne se parle plus assez tout haut. On a peur sans doute de savoir ce qu’on pense », joue sur l’ambiguïté du pronom indéfini. D’un côté, le personnage dévoile la raison du jeu adopté :  il fallait feindre l’absence d’Isabelle pour pouvoir laisser parler son amour pour elle à travers sa description des objets et le portrait dressé. Il a pu ainsi surmonter sa « peur » de se dévoiler, et faire exister véritablement son amour en le disant ainsi, ce qui conduit à l’assumer : « Et bien, maintenant, je le sais. » Mais, d’un autre côté, le pronom « on » concerne aussi Isabelle, car c’est bien à elle qu’il demande à présent de « parler », de surmonter sa « peur » d’aimer.

Un aveu indirect. Intermezzo, fantaisie. Adaptation de Giraudoux, mise en scène par Stéphane Aucante, 2015. Théâtre de Ménilmontant

Un aveu indirect. Intermezzo, fantaisie. Adaptation de Giraudoux, mise en scène par Stéphane Aucante, 2015. Théâtre de Ménilmontant

Du monologue au dialogue (de la ligne 26 à la fin) 

La fin du "jeu"

Par sa réaction, qui exprime son émotion en la mettant au diapason de son interlocuteur, « Moi aussi, et j’en suis touchée. », Isabelle confirme la fin du jeu, en obligeant le Contrôleur à reconnaître sa présence : « Ah ! vous voici, Mademoiselle Isabelle ? ». L’échange s’accélère quand Isabelle brise plaisamment l’illusion : « ISABELLE. – Soyons sérieux ! Me voici. » LE CONTRÔLEUR. – Tant pis, Mademoiselle, tant pis ! Il faut donc vous parler... ISABELLE. – Me parler de qui ? LE CONTRÔLEUR. – De moi. De moi, simplement. » Même si la double exclamation du Contrôleur exprime d'abord un regret de sortir de l’expression détournée, qui avait obligé sa destinatrice au silence, il redouble ensuite l’annonce d’un aveu direct de ses propres sentiments.

La demande en mariage

Les prémices de la demande

Le dialogue se rétablit alors, à travers le constat souriant d’Isabelle : « Vous vous êtes fait très beau pour parler de vous, Monsieur le Contrôleur. » Réaction qui joue à nouveau sur une mise en abyme du rôle joué par le "costume" au théâtre. La riposte du Contrôleur, « Ne raillez pas mon costume. Lui seul en ce moment me soutient », renvoie, en effet, non seulement à la situation présente, sa demande en mariage, mais aussi au rôle général du "costume" pour tout acteur, une aide pour qu’il entre dans son rôle. 

Mais, en explicitant le choix de son costume, rattaché à « l’idée de celui, de ceux que devrait habiller ce costume », mais tous morts à présent, le Contrôleur révèle qu’il partage ce lien avec l’invisible propre à Isabelle, puisque, selon la tradition, cette demande devrait être faite officiellement : « Oui, au fait, ceux qui devraient être là sont justement ceux à qui appartiennent ces vêtements, mon grand-père dont voilà la canne, mon grand-oncle dont vous voyez la chaîne de montre, et mon père, qui jugea cette jaquette encore trop neuve pour l’emporter dans la tombe. » Plaisante résurrection du mort qui décide du vêtement destiné à revêtir son cadavre... Elle montre à nouveau que, comme Isabelle, le Contrôleur est capable d’entrer dans un autre monde, où les vivants s’inscrivent dans le prolongement des morts. De même, le « melon », objet inanimé, se trouve doté d’un pouvoir sur la conscience de son possesseur : « Seul ce melon est à moi. Aussi il me gêne, surtout moralement. » Son ultime demande, « Permettez-moi de le déposer », traduit donc son désir d’être profondément lui-même, « sincère » totalement comme Isabelle. 

Intermezzo, fantaisie. Adaptation de Giraudoux, mise en scène par Stéphane Aucante, 2015. Théâtre de Ménilmontan

La formulation de la demande

Les questions successives d‘Isabelle, « Votre père ? Votre grand-père ? Que viennent-ils me demander ? », « Ma main ? », ne facilitent pas la parole du Contrôleur. Mais elles correspondent à la personnalité de cette jeune fille auquel tout ce qui relève d’un comportement officiel en société reste étranger. Elle oblige ainsi le Contrôleur à réitérer sa demande, mais lui aussi joue avec ce que serait la situation attendue, en se plaçant en décalage : « Ne me répondez pas, Mademoiselle. Je demande votre main et non une réponse. » Lors d’une demande en mariage, en effet, le jeune homme est censé espérer une réponse immédiate.

Intermezzo, fantaisie. Adaptation de Giraudoux, mise en scène par Stéphane Aucante, 2015. Théâtre de Ménilmontant

Mais l'explication du Contrôleur est habile :

  • d’une part, parce qu’il réaffirme son amour en imaginant par avance par le superlatif, « le jour le plus heureux de ma vie », une réponse favorable ;

  • d’autre part, parce qu’il dépeint avec intensité son espoir pendant ce temps d’attente : « les vingt-quatre heures pendant lesquelles je me dirai qu’enfin vous savez tout, que vous n’avez pas encore dit non, que vous êtes émue, malgré tout, de savoir que quelqu’un ici-bas ne vit que par vous... » Les trois subordonnées en gradation soulignent à nouveau la force de son amour, encore renforcé par la négation restrictive, et son souhait d’avoir réussi à en persuader la jeune fille.

CONCLUSION

Pour le Contrôleur l’amour n’est pas un « jeu », car il est profondément ressenti et sincère : tout en partageant avec celle qu’il aime sa perception de l’invisible, il veut, par son amour, l'ancrer dans le monde des vivants, de ceux qui savent écouter leur cœur. Mais sa demande en mariage passe tout de même par les « jeux de la parole », par les détours mis en place : détour du monologue feint d’abord, qui feint d’effacer la destinatrice, mais aussi détour par la description des objets et leur valeur symbolique, détour par le costume, détour même par la réponse non réclamée immédiatement. Cette scène baigne donc dans un monde d’illusion, mais destiné à dire la vérité, celle du cœur, du désir qui a peur de s’avouer. Mais Giraudoux n’illustre-t-il pas ainsi l’essence même du théâtre, où tout est faux pour signifier le vrai ?

Se cacher pour mieux se faire voir

La demande du contrôleur

Visionnage : mise en scène pour l'École des vedettes, 1956, ORTF 

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Pour voir la scène : cliquer sur l'image

Conclusion
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