Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831 : parcours associé
"Les romans de l'énergie : construction et destruction"
Observation du parcours
Le parcours associé à la lecture de La Peau de chagrin de Balzac prolonge l'étude de ce roman, à partir d'une analyse précise des enjeux proposés par le programme : « Les romans de l’énergie : construction et destruction », qui fait l'objet de l'introduction.
Guidées par une problématique, six explications, allant du XVIIIème au XXème siècle, visent à rendre compte des implications de cet enjeu. Elles sont accompagnées de lectures cursives destinées à les compléter, et soutenues par des activités de recherche. Une étude d'ensemble permet une synthèse autour du concept d'énergie. Ce parcours conduit à un devoir de commentaire, puis à une conclusion qui ouvre sur une création particulière, la bande dessinée.
Introduction
Les enjeux du parcours
« Les romans de l’énergie »
L’’intitulé du parcours se compose d’un premier élément : « Les romans de l’énergie ».
La préposition « de » marque la corrélation entre deux termes, avec à l’origine un sens spatio-temporel, celui de point de départ. En transposant cette idée sur un plan littéraire, il s’agirait donc de faire de « l’énergie », le fondement même de ces romans, donc le sujet traité qui les caractérise.
Mais que signifie ce terme « énergie » ? Il vient, étymologiquement, du grec ἐνέργεια (energeia).
Ce terme est composé du préfixe ἐν qui signifie l’intériorité et d’ ἔργον (ergon) qui traduit le travail, le fait d’agir.Ainsi le dictionnaire Robert définit l’énergie comme « Ce que possède un système s’il est capable de produire un travail ». Le philosophe de la Grèce antique, Aristote, l’oppose ainsi, à δúναμις, une force potentielle, mais non agissante. Cependant, à l’origine, ces deux termes figurent dans son essai La Physique. Ils s’appliquent donc au domaine de la science, à l’étude de la matière : on parle d’énergie mécanique, électrique, calorique, nucléaire… C’est encore dans le domaine de la physique que ce mot apparaît au XVIIIème siècle : en 1717 le mathématicien Jean Bernoulli l’emploie pour désigner le produit mécanique de la force mise en mouvement.
Cependant, déjà Aristote, dans un autre essai La Métaphysique, applique ce concept d’énergie à l’être humain, en posant l’idée que l’homme dispose d’une force intérieure qui le rend capable d’agir en transformant le monde qui l’entoure, mais surtout lui permet de se transformer lui-même, de s’accomplir en atteignant une plénitude. Il lui faut alors lutter contre les résistances, l’inertie, qui s’oppose à toute transformation.
La question reste de savoir d’où vient cette force. Certains lui donnent une origine physiologique, par exemple en en faisant un fluide circulant dans les nerfs, donnant plus ou moins de force physique. D’autres l’appliquent aux pouvoirs de l’esprit, jusqu’à faire de l’énergie une qualité morale, liée à la force de la volonté, à la persévérance dans l’action. C’est donc ce que nous observerons dans les personnages mis en scène par les romanciers.
« création et destruction »
La ponctuation, avec les deux points, associe les romans traitant ce thème à deux perspectives opposées, « création et destruction ».
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Le roman pourrait donc faire agir un personnage capable de mettre son « énergie » au service de la création, vision méliorative de sa force. Ainsi, il pourrait enrichir son environnement, créer un nouveau système politique, social, économique, en dépassant des obstacles, en remédiant à des abus, à des injustices, créer aussi des œuvres d’art.
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Mais, inversement, certains personnages de roman emploieraient leur force pour détruire, dans des domaines aussi divers, y compris détruire leurs semblables.
Mais la conjonction « et » introduit une nouvelle question car, si les deux termes s’opposent, la conjonction, en les unissant, suggère l’idée que les deux pourraient s’exercer parallèlement : la « création » ne peut-elle pas obliger d’abord à détruire ? la destruction ne conduit-elle pas à une nouvelle création ? Les deux termes seraient donc en interaction…
Mise en place de la problématique
À partir de cette analyse de l’enjeu proposé, nous avons choisi la problématique suivante : Quels objectifs se fixent les personnages de roman dotés d’énergie : créer ou détruire ?
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Le verbe « se fixent » traduit la volonté des personnages créés par les romanciers qui s’imposent à eux-mêmes d’agir.
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Les romanciers les ont « dotés d’énergie » , donc de force. Nous serons donc amené à étudier la façon dont s’exerce cette force, physiquement, psychologiquement, moralement.
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Le complément d’objet, « quels objectifs » conduit à observer les fins qu'ils se proposent, donc dans quels domaines ils exercent leur force, et les principes, voire les idéaux qui les poussent à agir.
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Enfin, nous reprendrons les deux termes de l’enjeu, « créer », « détruire », priori opposés, d’où la conjonction « ou » qui pose une alternative. Mais nous nous demanderons si cette alternative ne peut pas être dépassée, la création impliquant une destruction préalable, ou pouvant, inversement, amener à détruire.
Lecture cursive : Aristote, La Métaphysique, IVème siècle av. J.-C., Livre IX, extraits des chapitres V et VIII
Pour lire les extraits
1er extrait : Aristote, La Métaphysique, Livre IX, chapitre V
Aristote, pour caractériser ce qu’il nomme « les puissances », c’est-à-dire l’origine de l’énergie en l’être humain, distingue trois causes :
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une cause innée, physiologique, l’ébranlement qu’un phénomène produit sur nos « sens » plus ou moins aiguisés ;
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deux causes qui relèvent de l’acquis, « habitude » ou « étude » : l’énergie est donc, dans ces cas, une force qui se cultive, par un « exercice ».
2nde extrait : Aristote, La Métaphysique, Livre IX, chapitre VIII
Dans un second temps, Aristote distingue deux formes d’énergie. Il y a une énergie « passive » en quelque sorte, quand elle se limite au seul « exercice » d’une puissance, et une énergie « active », quand elle conduit à une production.
Il justifie cette différence par un exemple : l’énergie de la vue permet la vision, mais l’énergie née de « l’art de bâtir » permet, non seulement l’action de construire, mais aussi, simultanément, une production, « la maison ». Ainsi, pour qualifier une puissance, il convient, selon Aristote de déterminer le but qu’elle vise et qu'elle accomplit.
Explication : Denis Diderot, Le Neveu de Rameau, 1762-1773, de « Voilà où vous en êtes… » à « … Tant pis pour eux. »
Pour lire l'extrait
Même si elle est sous-titrée « Satire », l’œuvre de Denis Diderot, Le Neveu de Rameau, écrite entre 1762 et 1773 et publiée bien après sa mort, tient du roman, du récit autobiographique et du dialogue. L’écrivain, représenté par MOI, y rencontre, dans un lieu emblématique du Paris du XVIIIème siècle, le Café de la Régence, proche du Palais Royal, LUI, Jean-François Rameau, neveu du célèbre musicien Jean-Philippe Rameau. Mais Diderot transforme cette rencontre en un roman car le dialogue, interrompu par les portraits et les commentaires de MOI dans le rôle du narrateur, met en scène un véritable personnage, le « type » même de l’artiste qu’on nommera « bohème » au XIXème siècle, vivant d’expédients et jetant sur l’existence un regard sans concession.
Comment cet échange illustre-t-il le concept d’énergie ?
1ère partie : La quête du bonheur (des lignes 1 à 10)
La tonalité polémique
La prise de parole de LUI au début du dialogue introduit aussitôt la polémique, puisque le personnage s’oppose avec force au « philosophe », en généralisant son attaque par son interpellation violente : « Voilà où vous en êtes, vous autres, vous croyez que le même bonheur est fait pour tous. ». L’exclamation, « Quelle étrange vision ! », confirme le conflit sur la conception du bonheur, dans lequel le personnage qualifie de façon péjorative son interlocuteur doté d’« un certain tour d’esprit romanesque que nous n’avons pas, une âme singulière, un goût particulier ».
MOI et LUI au Café de la Régence, illustration du Neveu de Rameau, BnF
Son rejet se traduit par son ironie : « Vous décorez cette bizarrerie du nom de vertu, vous l’appelez philosophie ». Le personnage, en recourant à l’interrogation rhétorique, « mais la vertu, la philosophie sont-elles faites pour tout le monde ? », et à l’injonction, « imaginez », « convenez », « tenez », met toute sa force dans sa volonté de persuader celui qui soutint la thèse adverse, MOI.
La conception du bonheur
Deux conceptions s’opposent nettement.
La première, celle de MOI, correspond à la volonté du siècle des Lumières de proposer un idéal collectif : « le même bonheur est fait pour tous. » D’où leurs luttes pour améliorer la société, pour construire une société éclairée, plus juste, fondée sur « la vertu, la philosophie ».
Face à cela, LUI oppose, dans la réponse implicite à sa question, une conception fondée sur l’individualisme : « mais la vertu, la philosophie sont-elles faites pour tout le monde ? » À ses yeux, chaque être étant différent, chacun dispose de forces différentes pour accéder à « la vertu » et à « la philosophie », ce qu’il exprime par le parallélisme à la façon d’un proverbe : « En a qui peut, en conserve qui peut. »
Pour contredire MOI, le personnage développe alors sa propre conception, un hédonisme matérialiste, qui propose le plaisir comme seul objectif : « Imaginez l’univers sage et philosophe ; convenez qu’il serait diablement triste. » La répétition injonctive, « Tenez, vive la philosophie, vive la sagesse de Salomon », est donc une inversion de l’image traditionnelle de la « sagesse », par la référence à ce roi Salomon qui, dans la Bible, est censé illustrer la vertu. L’énumération qui suit brise, en effet, toute vision morale, puisqu’il s’agit de profiter le plus possible des facultés naturelles, le choix des adjectifs mettant en valeur la pleine satisfaction des sens : « boire de bons vins, se gorger de mets délicats, se rouler sur de jolies femmes, se reposer dans des lits bien mollets ; excepté cela, le reste n’est que vanité. » À chacun donc de construire son bonheur en fonction de sa propre nature.
2ème partie : Les valeurs fondatrices (des lignes 11 à 24)
Le dialogue s’accélère alors par le jeu des questions de MOI, représentant les philosophes des Lumières et qui énumère, en decrescendo, des valeurs illustrant toutes des devoirs collectifs. À chacune LUI riposte en les niant. Ainsi, chaque réplique de LUI s’ouvre par l’exclamation en anaphore « Vanité ! ». Il parodie, en fait, la formule biblique, « Vanitas vanitatum et omnia vanitas » qui ouvre et ferme le Livre de L’Ecclésiaste, un long discours de l’homme censé représenter la sagesse dans l’Ancien Testament.
Le patriotisme
La première valeur citée est celle généralement considérée comme la plus noble, le patriotisme, d’où l’exclamation indignée : « Quoi ! défendre sa patrie ?… » La première négation absolue, « Il n’y a plus de patrie », est justifiée par la négation restrictive : « je ne vois d’un pôle à l’autre que des tyrans et des esclaves. » Ce refus sous-entend que pour « défendre sa patrie », encore faut-il que chacun s’en reconnaisse pleinement citoyen, donc que le système politique quitte le despotisme de la monarchie absolue pour établir l’égalité républicaine de la démocratie. Ainsi, pour respecter une valeur et mettre son énergie à son service, le préalable est que cette valeur soit elle-même respectable.
Le groupe social
Puis vient le groupe social dans lequel on s’inscrit, envers lequel s’imposerait une forme de bienveillance : « Servir ses amis ?… » Il y aurait alors une relation d’amitié fondée sur un échange réciproque.
Le rejet s’exerce à partir des deux questions rhétoriques qui sous-entendent une réponse négative : « Est-ce qu’on a des amis ? Quand on en aurait, faudrait-il en faire des ingrats ? » En faisant appel à son interlocuteur, « Regardez-y bien, et vous verrez que c’est presque toujours là ce qu’on recueille des services rendus », LUI fait reposer son refus sur une image pessimiste de l’homme. Finalement, les « services rendus » ne seraient qu’une contrainte : devoir dire « merci », donc reconnaître la puissance de l’ami qui a aidé, et lui rendre, si le cas se présente, un service en retour. Ainsi, pour ne pas subir cette contrainte, les amis ne peuvent que se montrer « ingrats », d’où sa conclusion, catégorique : « La reconnaissance est un fardeau, et tout fardeau est fait pour être secoué. »
Une fonction sociale
Vient enfin une autre valeur collective, « Avoir un état dans la société été en remplir les devoirs ? », c’est-à-dire occuper, dans la monarchie du XVIIIème siècle, une place en fonction de sa naissance et de sa profession. Mais, en liant cette valeur à l’exigence de « devoirs », la question comporte déjà l’idée d’une contrainte, qui laisse pressentir le refus.
La réponse de LUI s’oppose à toute idée d’universalité du bonheur, puisqu’il le fait reposer sur les particularités d'une société. Ainsi, dans la société matérialiste du XVIIIème siècle, l’homme se fixe comme but ultime pour atteindre le bonheur la richesse : « Qu’importe qu’on ait un état ou non, pourvu qu’on soit riche, puisqu’on ne prend un état que pour le devenir. » D’où la remise en cause de l’idée même de devoir, dont il ne met en valeur que le résultat négatif : « Remplir ses devoirs, à quoi cela mène-t-il ? à la jalousie, au trouble, à la persécution. » Ces trois termes péjoratifs soulignent le fait que la morale, la vertu, finissent par nuire à l’homme de bien qui les pratique. Il n’est plus alors qu’une victime des plus puissants, qui, eux, n’ont aucun scrupule. LUI en réponse à sa question, « Est-ce ainsi qu’on s’avance ? », propose alors une sorte de recette pour atteindre ce bonheur matériel, cette richesse : « faire sa cour, morbleu ! voir les grands, étudier leurs goûts, se prêter à leurs fantaisies, servir leurs vices, approuver leurs injustices : voilà le secret. » À ses yeux, tout dépend de la forme prise par la société, à laquelle il est nécessaire de se plier indépendamment de toute valeur morale, donc dans une société où triomphent les privilèges, le mérite personnel n’a aucun prix et l’avantage est du côté des puissants. Sa conclusion, « voilà le secret », insiste sur cette règle de vie : mettre son énergie au service des usages qui sont devenus une norme sociale, jusqu’à l’hypocrisie si nécessaire.
3ème partie : L’éducation (de la ligne 25 à la fin)
Les questions de MOI
La fin du passage est consacrée à ce qui caractérise le siècle des Lumières – dont l’Encyclopédie fournit le plus illustre témoignage – la place essentielle accordée à l’éducation, dont le premier rôle revient au père : « Veiller à l’éducation de ses enfants ?… »
Face aux rejets successifs de LUI, le philosophe tente d’argumenter, d'introduire des objections, contradiction soulignée par l’anaphore du connecteur d’opposition « Mais ». Chacune de ses questions introduit une hypothèse, qui fait ressortir par le lexique le poids de la morale à ses yeux : il craint qu’un précepteur ne « néglige ses devoirs », que la conséquence pour ceux qu'il a éduqués ne soit que le fait de « se précipite[r] dans la débauche et les vices », ou, pire encore, de « se déshonore[r] ». Son ultime objection consiste à imaginer l’échec même du but visé, la richesse : « S’ils se ruinent ? » Il tente ainsi de rappeler à son interlocuteur le danger de renoncer à œuvrer pour le bien collectif.
La conception de LUI
Son individualisme s’affirme avec force, puisqu’il se dérobe immédiatement au devoir paternel : « C’est l’affaire d’un précepteur. » Quand MOI tente de le ramener à sa propre responsabilité donc au risque d’être « châtié », il confirme son égoïsme : « Ma foi, ce ne sera pas moi, mais peut-être un jour le mari de ma fille ou la femme de mon fils. » Il confirme ainsi son choix de n’accorder de valeur qu’à la fortune : « Quoi qu’on fasse, on ne peut se déshonorer quand on est riche. » Il en arrive enfin à un total cynisme dans sa dernière réplique qui le montre dénué de tout sentiment envers ses propres enfants : à l’hypothèse de leur ruine répond la brutale désinvolture : « Tant pis pour eux. »
CONCLUSION
Ce dialogue introduit, face au philosophe, un personnage original, et même scandaleux car ses conceptions, individualistes, s’opposent aux valeurs morales, qu’elles soient d’origine religieuse ou fondées sur la prévalence de l’intérêt collectif sur l’égoïsme personnel. Si les deux interlocuteurs se rejoignent, en effet, en posant le bonheur comme fin ultime recherchée par tout homme, leur avis diverge, en revanche, sur le chemin à suivre pour y parvenir. Là où le premier, MOI, le philosophe, met en avant des « devoirs » définissant le bien et le mal, le Neveu, LUI, prône la satisfaction des sens, ce qui implique de mettre toute son énergie au service de l’enrichissement qui permettra d’obtenir ces plaisirs. Aux arguments rationnels, aux principes soutenus par la philosophie, force stérile, il riposte donc en employant toute son éloquence pour faire l’éloge des élans de la nature, force vive porteuse de toutes les subversions.
Bernard Naudin, Le Neveu de Rameau, 1924. Gravure de l’édition Blaizot
Lecture cursive : Denis Diderot, Le Neveu de Rameau, 1762-1773
Pour lire l'extrait
L'exercice des "talents"
Au cours du dialogue, un jeu se crée entre les deux personnages à propos de leurs qualités respectives.
D’un côté, le Neveu exprime un regret, fondé sur son admiration du philosophe et de son art du langage : « Ah ! si j’avais vos talents ! », « Si je savais m’énoncer comme vous ! » Il lui oppose sa propre médiocrité, dépeinte avec humour : « Mais j’ai un diable de ramage saugrenu, moitié des gens du monde et de lettres, moitié de la Halle. »
De l’autre, le philosophe, MOI, feint la modestie, « Laissons mes talents, et revenons aux vôtres. », et lui retourne ses compliments : « je ne serais pas même digne d’être votre écolier ».
Mais, quand le Neveu détaille la façon dont s’exercent ces talents, « Si je savais écrire, fagoter un livre, tourner une épître dédicatoire, bien enivrer un sot de son mérite, m’insinuer auprès des femmes ! » , cet éloge du talent de l’écrivain est-il vraiment mérité ?
Cette énumération donne, en fait, à l’écriture, dont la production devient « fagoter un livre », verbe méprisant, un rôle uniquement utilitaire, dénué de toute moralité : une « épître dédicatoire » est destinée, le plus souvent, à rendre hommage au protecteur de l’écrivain, en le couvrant de flatteries pas toujours justifiées : « bien enivrer un sot de son mérite » Enfin, dans cette société du XVIIIème siècle où les femmes dans les salons mondains font et défont les réputations, l’écrivain doit aussi savoir s’« insinuer » auprès d’elles.
Ainsi accusé d’hypocrisie, MOI renvoie l’accusation : « Et tout cela vous le savez mille fois mieux que moi ».
L'exercice des "talents"
Dès le début, le contraste entre eux deux est affirmé par MOI : « vos principes ne sont pas les miens. »
La première différence
Elle touche le contenu du discours : « Je ne sais que dire la vérité » explique le philosophe, affirmant sa volonté morale, tandis que LUI rétorque par un rejet qui, parallèlement, nie toute valeur morale : « Mais ce n’est pas pour dire la vérité, au contraire, c’est pour bien dire le mensonge que j’ambitionne votre talent. »
La seconde différence
Elle porte sur l’objectif assigné à ce « talent ».
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MOI ne se fait pas d’illusion sur le résultat, il sait que « dire la vérité » ne suffit pas toujours à convaincre un lecteur : « cela ne prend pas toujours, comme vous savez. » Mais, en tant que philosophe, il en retire la satisfaction morale, même s’il n’en tire aucun profit matériel, ce que souligne plaisamment son interlocuteur en se moquant de son habillement : « cet habit grossier, cette veste d’étamine, ces bas de laine, ces souliers épais et cette antique perruque. » Ainsi, il ne se plaint pas, en justifiant son choix par un rejet du matérialisme : « il y a des gens comme moi qui ne regardent pas la richesse comme la chose du monde la plus précieuse ». Il s’en amuse même, puisqu’il se range dans ces « gens bizarres » aux yeux de la société.
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LUI, au contraire, ne voit dans ces « grandes qualités » que leur « prix », mot pris dans son sens le plus matériel, car en insistant sur ce qualificatif, « gens très bizarres », il leur assigne un tout autre objectif : « on ne naît point avec cette tournure d’esprit-là ; on se la donne, car elle n’est pas dans la nature. » Il assigne ainsi à l’homme un seul objectif, répondre à une loi naturelle qui conduit tout être à « cherche[r] son bien-être aux dépens de qui il appartiendra », ce qui implique la quête de la richesse et de la puissance, d’où l’énumération finale : tout être désire « être richement vêtu, splendidement nourri, chéri des hommes, aimé des femmes, et rassembler sur lui tous les bonheurs de la vie. »
Pour conclure
Aux yeux du Neveu, le respect des valeurs morales n’a donc aucun intérêt. Seuls comptent des comportements qui, eux, répondent à des passions, au désir de la richesse, du pouvoir, des femmes, de la satisfaction des sens. Ce sont eux qui méritent qu’on y applique ses « talents », son énergie, pour répondre à la fois à sa nature et à la société dans laquelle on vit. Pour construire son bonheur, il est donc nécessaire d'employer son énergie à détruire d’abord la morale qui est un frein, quitte à faire triompher le vice. Faut-il en conclure que Diderot approuve ce rejet de la morale ? Ce serait, certes, excessif, mais le rôle primordial qu'il accorde à la "nature", à la force des sens, à l'énergie que véhicule le corps se retrouve dans plusieurs de ses œuvres, en soutenant, par exemple, le jugement qu'il porte dans ses Salons sur des tableaux tels ceux de Greuze
C'est cette conception que développera le marquis de Sade dans ses romans dont les personnages ne pensent qu'à se livrer à un libertinage sans limites, ne pensant qu'à la seule satisfaction des sens. C'est ce qu'il affirme en 1791 dans l'incipit de Justine ou Les Malheurs de la vertu :
Si, plein d’un respect vain, ridicule et superstitieux pour nos absurdes conventions sociales, il arrive malgré cela que nous n’ayons rencontré que des ronces où les méchants ne cueillaient que des roses, les gens naturellement vicieux par système, par goût, ou par tempérament, ne calculeront-ils pas, avec assez de vraisemblance, qu’il vaut mieux s’abandonner au vice que d’y résister ? Ne diront-ils pas, avec quelque apparence de raison, que la vertu, quelque belle qu’elle soit, devient pourtant le plus mauvais parti qu’on puisse prendre quand elle se trouve trop faible pour lutter contre le vice, et que, dans un siècle absolument corrompu, comme celui dans lequel nous vivons, le plus sûr est de faire comme les autres ? Un peu plus philosophes, si l’on veut, ne diront-ils pas, avec l’ange Jesrad de Zadig, qu’il n’y a aucun mal dont il ne naisse un bien, et qu’ils peuvent, d’après cela, se livrer au mal tant qu’ils voudront, puisqu’il n’est, dans le fait, qu’une des façons de faire le bien ? N’ajouteront-ils pas, avec quelque certitude, qu’il est indifférent au plan général que tel ou tel soit bon ou méchant de préférence ; que si le malheur persécute la vertu, et que la prospérité accompagne le crime, les choses étant égales aux intentions de la nature, il vaut infiniment mieux prendre parti parmi les méchants qui prospèrent, que parmi les vertueux qui échouent ?
Explication : Honoré de Balzac, Louis Lambert, 1832, de « Pour lui donc la Volonté… » à « … notre âme abattue. »
Pour lire l'extrait
Comme La Peau de chagrin et Séraphita (1834), Balzac classe son roman Louis Lambert, paru en 1832 et remanié jusqu’en 1846, dans la catégorie ‘‘Études philosophiques’’ de la « Comédie humaine ». Bien que ces œuvres soient des romans, elles permettent à l’écrivain d’illustrer la façon dont les pouvoirs du cerveau peuvent conduire tantôt à la création, tantôt à la destruction.
Balzac y fait la biographie d’un personnage, présenté comme un de ses camarades au collège de Vendôme. Ses facultés intellectuelles prodigieuses l’amènent, à partir d’un seul regard, à embrasser le passé, le présent, l’avenir, et même à percevoir l’invisible caché sous les apparences en une fulgurante intuition. Louis Lambert, comme Raphaël, met toute sa force dans l’élaboration d’un Traité de la volonté. Mais la dépense d’énergie épuise la pensée, tout comme l’amour intense pour Pauline de Villepoix qui envahit toute son âme, et cela conduit le héros, quelques jours avant son mariage, à une forme de folie. Malgré le dévouement de Pauline, il meurt âgé de 28 ans. Quelle image ce passage donne-t-il du fonctionnement de la pensée et de la production de l’idée ?
Première page de Louis Lambert, édition illustrée de 1851-1853, BnF
1ère partie : La puissance de la pensée (des lignes 1 à 9)
L'esprit humain
L’anaphore ternaire, « Pour lui », soutient le paragraphe qui explicite la conception du personnage. Ainsi sont mises en valeur deux caractéristiques de l'esprit humain : « Pour lui donc la Volonté, la Pensée étaient des forces vives ; aussi en parlait-il de manière à vous faire partager ses croyances. » La majuscule en souligne la puissance, de même que l’italique : « des forces vives ». Cette expression est empruntée au philosophe Leibniz : elle renvoie à une notion de physique, qui désigne la force exerçant son action sur la matière, c’est-à-dire l’énergie liée au mouvement des corps. Mais Balzac, lui, par le biais de son personnage, l’applique au fonctionnement de l’esprit.
Ainsi, dans un deuxième temps, de ces notions abstraites, « Volonté » et « Pensée », il fait des phénomènes concrets, matérialisés : « Pour lui, ces deux puissances étaient en quelque sorte et visibles et tangibles. »
La personnification
La dernière anaphore en arrive ainsi à développer longuement une image qui personnifie « la Pensée », d’abord par les adjectifs qui la qualifient, « lente ou prompte, lourde ou agile, claire ou obscure », avec des groupes antithétiques qui correspondent, en fait, à ce que l’on considère d’ordinaire comme des qualités et des défauts propres aux êtres humains : « il lui attribuait toutes les qualités des êtres agissants ». L’énumération verbale montre l'analogie entre cette production de l’esprit, et le déroulement de l’existence, en une sorte de cercle permanent : il « la faisait saillir, se reposer, se réveiller, grandir, vieillir, se rétrécir, s’atrophier, s’aviver ». Elle est donc dotée d’une « vie » propre, qui peut s’observer et se définir à travers son expression : « il en surprenait la vie en en spécifiant tous les actes par les bizarreries de notre langage ». Le personnage devient, de ce fait, une sorte de génie, puisqu’il est capable, par ce don d’« intuition », inexplicable, de définir « les phénomènes », les manifestations apparentes, de ce qui est une « substance », c’est-à-dire un absolu, existant en soi indépendamment de toute matérialisation : « il en constatait la spontanéité, la force, les qualités avec une sorte d’intuition qui lui faisait reconnaître tous les phénomènes de cette substance. »
2ème partie : La vie de l’idée (des lignes 10 à 18)
Les conditions de sa naissance
Le récit du narrateur laisse place au discours du personnage rapporté directement, qui, en personnifiant l’idée, la rapproche de l’existence humaine. Comme pour elle, il y a le moment de la naissance, qui exige des conditions particulières, d’abord extérieures, « au milieu du calme et du silence », de façon à pouvoir bénéficier de « la douceur du repos ». Ainsi est favorisée une concentration, qui, dans un second temps, s’associe à un vide intérieur car rien ne doit venir parasiter la saisie de l’idée : « lorsque nos facultés intérieures sont endormies, […] qu’il s’étend des espèces de ténèbres en nous ». L’homme peut alors atteindre une sorte d’état second, s’oubliant lui-même : « nous tombons dans la contemplation des choses extérieures ».
Un cycle de vie
La naissance
Quand ces conditions sont réunies, l’idée peut naître et le discours, par l’indice temporel, la juxtaposition des verbes, souligne la brutalité de son surgissement : « tout à coup une idée s’élance, passe avec la rapidité de l’éclair à travers les espaces infinis dont la perception nous est donnée par notre vue intérieure. » Tout se passe comme si l’idée venait de l’extérieur, mais en étant pourvue d’une telle énergie propre qu’elle ne peut être saisie que par une même énergie mise en œuvre par l’esprit humain ainsi doté d’une « vue intérieure ». La puissance de cette naissance de l’idée se traduit par l’adjectif « brillante » et la double comparaison au feu, d’abord dans toute sa violence, « comme l’éclair », puis de façon plus légère, presque fugitive : « surgie comme un feu follet ».
La mort
Mais, de même que toute énergie physique peut disparaître, l’idée est fragile, promise à la mort : elle « s’éteint sans retour ». La personnification poursuit cette comparaison à l’être humain : « existence éphémère, pareille à celle de ces enfants qui font connaître aux parents une joie et un chagrin sans bornes ». Parallèlement, le discours associe à ce cycle de vie les sentiments du penseur qui vit cette expérience : « joie » d’entrevoir l’idée, « chagrin » quand il ne parvient pas à la saisir durablement. Une dernière image dépeint ce fonctionnement : la « pensée » devient un « champ » dans lequel peut pousser une « espèce de fleur », mais qui peut ne pas fleurir, restant alors « mort-née ».
Comment ne pas penser ici à ce que peut vivre un écrivain, illustrant à la fois la puissance de l’inspiration mais aussi sa fragilité ?
3ème partie : De l’idée à la création (des lignes 18 à 25)
Si la description précédente, introduite par « Souvent », présente le cas le plus fréquent, qui conduit à un échec, la suite du texte, ouverte par l’adverbe « Parfois », offre une vision plus rare, certes, très différente, mais plus optimiste.
Déjà son apparition est différente, beaucoup plus lente, ce qui, parallèlement, lui accorde plus de durée de vie : « Parfois l’idée, au lieu de jaillir avec force et de mourir sans consistance, commence à poindre, se balance dans les limbes inconnus des organes où elle prend naissance ». Les verbes reproduisent la lenteur de cette naissance, comme si l’idée hésitait avant de se former. Ainsi est imagé l’effort de la pensée.
Ensuite, comme pour un être humain, la gestation est longue, et l'accouchement épuise l’énergie du penseur : « elle nous use par un long enfantement ».
La juxtaposition des verbes insiste sur les étapes, nombreuses, pour que l’idée puisse accéder à l'existence, s’incarner dans la création : elle « se développe, grandit, devient féconde, et se produit au dehors ». Mais c’est précisément cette lenteur qui lui donne sa force créatrice : elle arrive « dans la grâce de la jeunesse et parée de tous les attributs d’une longue vie ».
Mis, une fois qu’elle s’est incarnée, elle offre à la création toute sa valeur, sa force : « elle soutient les plus curieux regards, elle les attire, ne les lasse jamais : l’examen qu’elle provoque commande l’admiration que suscitent les œuvres longtemps élaborées. » C’est à un véritable éloge du travail du créateur que se livre ainsi Balzac.
4ème partie : La diversité des idées (de la ligne 25 à la fin)
La fin du passage lui apporte une conclusion, à travers une énumération pour dépeindre, en trois images contrastées, les formes que prennent les idées. Mais de chacun de ces tableaux ressort l’image d’un danger :
Le premier tableau marque un foisonnement des idées, avec la métaphore d’un « essaim » qui les comparent à des abeilles. Leur jaillissement, que traduit la parataxe, est mis en valeur, « l’une entraîne l’autre, elles s’enchaînent » , « elles abondent ». Mais, loin d’en souligner l’apport, la fertilité, comme les abeilles elles effraient, « elles sont agaçantes », et conduisent à un égarement.
Le deuxième tableau présente exactement l’inverse : « Tantôt elles se lèvent pâles, confuses, dépérissent faute de force ou d’aliments ; la substance génératrice manque. » Le rythme de la phrase, avec les négations lexicales, « dépérissent », « faute de », « manque », reproduit, depuis leur naissance sans énergie, la stérilité de ces idées, improductives.
Le troisième tableau présente ce que les idées peuvent révéler l’être humain quand elles plongent dans l’au-delà, dans la métaphysique : « Enfin, à certains jours, elles se précipitent dans les abîmes pour en éclairer les immenses profondeurs ». Les images insoutenables conduisent alors l’être aux portes de la folie et du désespoir.
Ces trois tableaux reproduisent ce que Balzac fait vivre à son héros tandis qu’il se livre à la création de son Traité de la volonté et découvre la passion amoureuse : tantôt un égarement, le trouble, tantôt le désespoir devant la stérilité intellectuelle, pour, finalement, sombrer dans la folie qui le mènera à la mort.
CONCLUSION
Cet extrait est intéressant car, de façon indirecte, Balzac construit une réflexion sur son propre travail de création littéraire, en cherchant à expliciter les pouvoirs du cerveau humain.
Deux explications coexistent :
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La première est matérialiste, et même physiologique : la pensée produit une énergie, d’où jaillit, tel « l’éclair », l’idée que, certains, dotés d’un talent spécifique, peuvent visualiser, saisir par leurs sens, pour la mettre ensuite au service de la création.
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La seconde est spiritualiste : elle met en relation l’univers créé, y compris dans sa dimension invisible, et les pouvoirs du cerveau humain. Balzac l'emprunte à Swedenborg (1688-1772), scientifique, théologien et philosophe suédois, qui considère que l’homme, s'il a su développer sa vie intérieure, ses pouvoirs de sentir et de voir le monde autour de lui, s’inscrit dans une des « sphères » qui composent l’univers, en intercommunication. L’idée peut alors jaillir sous ses yeux, jusqu’à lui faire voir les profondeurs de l’inconnu.
Bertall, Louis Lambert, 1846. Estampe, 9 x 12. Maison de Balzac, Paris
Mais, quelle que soit l’explication, il y a un double mécanisme nécessaire à la création de « l’œuvre » : la concentration pour amplifier l'énergie intérieure, puis l’intuition pour mieux concevoir l'idée alors apparue.
Cependant, la création est sans cesse menacée, l’idée est fugitive, elle peut rester stérile et même il est des cas où, comme dans ce roman, on observe « la pensée tuant le penseur », une reprise de l’image appliquée à la seconde des « forces vives », la volonté, dans La Peau de chagrin, où c’est le désir qui tue l’être désirant.
Lecture cursive : Honoré de Balzac, Physiologie du mariage, 1829, extraits des "Méditations" XII, XXVI et XXIX
Pour lire les trois extraits
En 1829, Balzac fait paraître anonymement Physiologie du mariage, essai sous-titré Méditations de philosophie éclectique, sur le bonheur et le malheur conjugal, publiées par un jeune célibataire, qu’il classe, en 1845, dans la catégorie "Études analytiques" de sa « Comédie humaine ». Cette section est destinée à poser les principes fondateurs de la société, dont le mariage est l’un des premiers. Composé de trente « Méditations », l’ouvrage parcourt toutes les étapes vécues par le couple, depuis le mariage et la lune de miel jusqu’à l’échec, avec, dans chacune, un double objectif : comment le mari peut-il éviter l’adultère, sans cesse menaçant ? Comment améliorer l’institution du mariage pour faire le bonheur du couple ? Balzac soutient sa réflexion par de nombreuses anecdotes, en donnant la parole à des personnages mis en scène, ce qui la rend plus vivante.
Extrait n°1 : Méditation XII, « Hygiène du mariage »
Au centre de cet extrait figure la notion d’« énergie », dont, selon Balzac, chacun dispose d’« une somme donnée », qui permet de mettre en œuvre les « désirs », des « passions », des « labeurs d’intelligence » ou des « travaux corporels » : « chacun la distribue à sa fantaisie ». Or, dans son analyse du couple, Balzac considère qu’il faut se méfier de la façon dont cette force s’incarne même chez les « femmes honnêtes ».
Pour éviter tout risque d'adultère, il convient donc de tout faire pour réduire leur énergie, soit par un « régime diététique », soit par « un mouvement toujours croissant ». D’où son conseil : « Trouvez les moyens de faire passer la somme de force, par laquelle vous êtes gêné, dans une occupation qui la consomme entièrement. » L’énergie relève donc bien de la physiologie.
Extrait n°2 : Méditation XXVI, « Des différentes armes »
Ce deuxième extrait compare la force de la pensée à une « arme », qui a donc le pouvoir de blesser les sentiments, voire de tuer : en raison de « l’action vive et tranchante exercée par certaines idées sur les organisations humaines. Une pensée peut tuer un homme ». Balzac imagine alors les explications qui peuvent justifier cela :
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Il pose la possibilité d’une découverte scientifique, physiologique : « la science observera le mécanisme ingénieux de nos pensées, et pourra saisir la transmission de nos sentiments ».
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L’autre explication reprend l’emprunt à Swedenborg, une approche ésotérique, liée à la métaphysique, qui dédouble l’énergie dont dispose l’homme : « l’organisation intellectuelle est en quelque sorte un homme intérieur qui ne se projette pas avec moins de violence que l’homme extérieur ». D’où le danger sur lequel il insiste, quand il y a conflit entre deux êtres : « la lutte qui peut s’établir entre deux de ces puissances, invisibles à nos faibles yeux » dépasse de loin les combats physique. Elle « n’est pas moins mortelle », conclut-il.
Le dernier paragraphe invite donc le destinataire à ne pas se laisser prendre au piège de l’apparence : « De même qu’il se rencontre des âmes tendres et délicates en des corps d’une rudesse minérale ; de même, il existe des âmes de bronze enveloppées de corps souples et capricieux ». Nous reconnaissons ici le portrait que Raphaël fait de Fœdora, la femme au cœur « de bronze » caché sous son apparence si séduisante. Si l’amant se laisse tromper, sa passion le blessera inévitablement : « ses anguleux contours vous déchirent. »
Extrait n°3 : Méditation XXIX, « De la paix conjugale »
Une image de la vieillesse
Cet extrait est le monologue intérieur auquel se livre l’époux, après des années de mariage. Il ressent un épuisement de son énergie, avec l’impression que son cœur est devenu incapable d’éprouver le moindre sentiment, d’où son interrogation : « Est-il donc flétri ? » Il a l’impression que plus rien ne peut ranimer son énergie, car plus rien ne peut le surprendre : « Je connais le monde, et il n’a plus d’illusions pour moi. » Balzac propose ainsi une image terrible de la vieillesse : « Le vieillard possède donc en lui par avance le cimetière qui le possédera bientôt ».
L'usure de l'énergie
Cette image conduit à un souhait, « Oh ! mourir jeune et palpitant !… », que le discours illustre par une représentation de la lente dégénérescence de l’énergie, « le soin que la nature prend à nous dépouiller pièce à pièce de nos vêtements, à nous déshabiller l’âme en nous affaiblissant par degrés, l’ouïe, la vue, le toucher, en ralentissant la circulation de notre sang et figeant nos humeurs ». En mettant en parallèle l’usure du corps et celle de l’âme, il l’applique au fonctionnement du couple, dont il présente les étapes successives par une suite d’allégories : d’abord il y a « le Désir », lié à « la Confiance », puis vient « la Tiédeur », suivie de « l’Indifférence », enfin arrive « l’Expérience » qui est aussi la mort de tous les élans de l’âme : « jadis tout était fluide, maintenant tout s’est minéralisé. » Mais, quand l'énergie s'éteint, s’éteint aussi « le plaisir » pour ne laisser triompher que le matérialisme, dans sa dimension financière, par exemple le calcul de « la dot d’un enfant » ou strictement physiologique, « dans la régularité des repas, du dormir, et du jeu des organes appesantis. »
Explication : Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830, 1ère partie, chapitre X, de « Julien prenait haleine… » à « … un jour la sienne ? »
Pour lire l'extrait
Après une approche plus théorique destinée à observer la façon dont la notion d’énergie se met en place au XVIIIème siècle, à partir de la correspondance établie entre l’état physiologique et les sentiments, les valeurs adoptées, nous allons étudier la façon dont cette notion s’incarne en des personnages de roman. Un des plus représentatifs est Julien Sorel, héros du roman publié par Stendhal en 1830, Le Rouge et le Noir, auquel le romancier attribue ce qu’il nomme la "virtú". Ce terme italien désigne à la fois la force virile et le courage, une énergie qui pousse l’homme à s’accomplir, dont Stendhal trouve le modèle chez les révolutionnaires, français ou les « carbonari » italiens qui luttent pour leur liberté.
C’est ce qu’illustre ce passage qui se situe alors que Julien, devenu précepteur chez M. de Rênal, maire de Verrières, vient d’obtenir une augmentation de ses gages. Comment la description du cadre permet-elle à Stendhal de traduire l’énergie qui anime son héros ?
1ère partie : Une ascension symbolique (des lignes 1 à 7)
Stendhal place son héros dans un décor particulier après une lente ascension, dont il souligne la difficulté : « Julien prenait haleine un instant à l'ombre de ces grandes roches, et puis se remettait à monter. » Le personnage doit reprendre son souffle et le chemin est malaisé : c’est « un étroit sentier à peine marqué et qui sert seulement aux gardiens des chèvres ». Mais, à l’arrivée, sa position devient symbolique de son désir de puissance et de son mépris pour une société dont il se sent supérieur : « il se trouva debout sur un roc immense et bien sûr d'être séparé de tous les hommes. »
Cette élévation se fait donc l’écho de l’état d’âme du héros par un glissement de la focalisation omnisciente à la focalisation interne qui en propose une interprétation : « Cette position physique le fit sourire, elle lui peignait la position qu'il brûlait d'atteindre au moral. » Le verbe « brûlait » souligne la violence de son ambition. Mais avoir surmonté les difficultés pour arriver sur ce sommet imprime en lui la certitude qu’il parviendra à atteindre son idéal, à réussir son ascension sociale, d’où son exaltation : « L'air pur de ces montagnes élevées communiqua la sérénité et même la joie à son âme. »
Édouard Pennequin, pour illustrer le chapitre XII, Le Rouge et le Noir, 1830. Eau-forte, BnF
2ème partie : L’image de la réussite (des lignes 7 à 15)
Le sentiment de supériorité
Julien est le fils d’un simple charpentier qui, par l’éducation reçue du curé, a pu devenir le précepteur des enfants de M. de Rênal. Mais il reste parfaitement conscient de l’écart social entre lui et celui qui est ici introduit par son titre officiel de « maire de Verrières », mais qui prend, en fait une valeur symbolique : il « était bien toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de tous les insolents de la terre ». En qualifiant les « riches » d’« insolents », il exprime le mépris à leur égard pour la façon dont ils écrasent sans scrupules ceux qu’ils jugent inférieurs. C’est ce qui explique que le lexique hyperbolique qui traduit son rejet, « la haine qui venait de l’agiter » et « la violence de ses mouvements ». Mais, en ajoutant que ce sentiment « n’avait rien de personnel », le narrateur place son personnage au-delà du simple désir de revanche. Ce n’est pas par jalousie, par envie, encore moins par admiration que Julien a construit son idéal, son ambition sociale, comme le montre son hypothèse que l’énumération charge de mépris : « S'il eût cessé de voir M. de Rênal, en huit jours il l'eût oublié, lui, son château, ses chiens, ses enfants et toute sa famille. » C’est donc simplement pour se prouver sa valeur à ses propres yeux qu’il ambitionne cette élévation.
Un combat
La méditation de Julien prend plus de force en passant au discours direct pour exprimer ce sentiment de supériorité. Il vient, en effet, d’obtenir une augmentation de ses gages car M. de Rênal a cru que son rival politique allait engager Julien. Celui-ci n’a donc aucun mérite dans cette augmentation, qu’il présente pourtant d’abord comme un succès personnel, encore accentué par l’hyperbole et les exclamations : « Je l'ai forcé, je ne sais comment, à faire le plus grand sacrifice. Quoi ! plus de cinquante écus par an ! » Il se représente comme un soldat au combat en évoquant un autre événement, le risque que soit découvert un portrait de Napoléon caché sous son matelas, auquel il a échappé grâce à la complicité de Mme de Rênal dont il a déjà entrepris la conquête. Mais il s’en attribue à nouveau le mérite : « un instant auparavant je m'étais tiré du plus grand danger. » Sa conclusion confirme cette image de gloire militaire, « Voilà deux victoires en un jour », avant un aveu : « la seconde est sans mérite, il faudrait en deviner le comment ». Or, cette ignorance montre que Julien est loin de maîtriser la place prise par les conflits politiques à Verrières, et surtout son recul, « Mais à demain les pénibles recherches. », est comme une dérobade devant une difficulté alors même que, pour atteindre son but, il serait indispensable de mieux maîtriser les mécanismes politiques et sociaux.
3ème partie : La nature symbolique (de la ligne 16 à la fin)
Le décor
Le dernier paragraphe, avec sa focalisation interne, renforce encore la double dimension symbolique du décor. D’une part, le rappel de la position de Julien et ses regards soulignent sa supériorité : « Julien, debout sur son grand rocher, regardait le ciel », comme pour traduire son élan vers l’idéal ; et sa contemplation, « Il voyait à ses pieds vingt lieues de pays. », illustre l’étendue de la domination qu’il ambitionne.
D’autre part, chaque élément prend un sens en lien avec son idéal :
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Nous avons l’impression que « le ciel, embrasé par le soleil d’août », lui promet les rayons de la gloire.
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Le chant des cigales accompagne cette apothéose, et le contraste créé « quand elles se taisaient », comme soudainement alors que le soleil brille encore, semble, dans ce « silence », lui accorder le respect dû à sa grandeur.
Le vol de l'épervier
Enfin, le choix de l’épervier, « décrivant en silence ses cercles immenses » au-dessus de lui, n’est pas innocent, si nous nous rappelons qu’un aigle était le symbole choisi par Napoléon. Ses mouvements paraissent même auréoler le personnage. À nouveau la focalisation interne souligne le symbolisme de sa nature d’« oiseau de proie » qui révèle la volonté de Julien de s’emparer de tout ce que son origine sociale lui interdit a priori d’acquérir, en détruisant ses ennemis. Le vol de l’épervier semble faire écho au désir de puissance qui l’habite, « Ses mouvements tranquilles et puissants le frappaient », souligné par l’anaphore verbale : « il enviait cette force, il enviait cet isolement. »
Ainsi, la contemplation du vol de l’épervier amène Julien à plonger en lui-même avec la question rapportée dans le discours indirect libre et son parallélisme qui vient confirmer l’identification à son modèle de gloire : « C’était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne ? »
CONCLUSION
Cette ascension du héros dans la montagne image la montée au pouvoir, idéal que Julien s’est fixé, de même que l’épervier image la gloire napoléonienne dont il rêve. Dans cet « isolement », le héros peut alors mesurer son énergie, celle qu’il lui a fallu mettre dans cette marche vers un sommet comme celle qu’il a décidé de mettre en œuvre pour obtenir une reconnaissance sociale. Mais dans cet extrait l’énergie s’associe à un évident orgueil, au sentiment d’être d’une nature supérieure, à la volonté de se créer un destin sublime, nourrie par l’admiration qu’il porte à Napoléon. Toute la question est donc de savoir si ce passage descriptif, qui forme une pause dans le récit, préfigure réellement le destin du héros, si ses actions seront à la hauteur de cette « virtú » affirmée...
Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818. Huile sur toile, 94,4cm x 74,8cm, Kunsthalle de Hambourg
Lectures cursives : Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885, extraits de la 1ère partie, chapitre III, et de la 2nde partie, chapitres II et X
Pour lire les extraits
Quand Guy de Maupassant publie, en feuilleton dans le journal Gil-Blas, en 1885, son roman Bel-Ami, la critique se déchaîne : on reproche à son héros une « vulgarité criante », une « avidité féroce et cynique ». Pourtant Georges Duroy n’a-t-il pas tout pour séduire, comme son surnom l’indique ? Grâce à l’énergie qu’il met pour réussir dans son ascension sociale, les femmes lui tombent dans les bras, il monte peu à peu dans le milieu du journalisme politique, et finit baron Du Roy de Cantel, marié à la fille du richissime Walter ! C’est ce qu’illustrent ces trois extraits.
1er extrait : 1ère Partie, chapitre III : Portrait du héros
Ce passage, qui rappelle le passé du héros, est un de ses premiers portraits, révélateur des sources de son énergie, avec une phrase qui résume la clé de sa personnalité, son ambition sociale : « Mais le désir d’arriver y régnait en maître ».
Bel-Ami, un film de René Daquin, 1955
Les conquêtes féminines
L’extrait, qui s’ouvre et se ferme sur la séduction exercée par Duroy sur les femmes, pose immédiatement le moyen choisi pour son ascension. Ses conquêtes faciles, et même « dans un monde plus élevé », évoquées au début, ne peuvent que soutenir ses rêves relatés à la fin : « une aventure d’amour magnifique qui l’amenait, d’un seul coup, à la réalisation de son espérance. » La dernière phrase montre sa confiance en son pouvoir de séduction, en annonçant d’ailleurs le dénouement : « Il épousait la fille d’un banquier ».
L'absence de scrupules
Maupassant introduit d’abord le jugement de témoins sur son personnage, rapporté directement : « C’est un malin, c’est un roublard, c’est un débrouillard qui saura se tirer d’affaire. » Mais cette objectivité n’est qu’une feinte, puisque le narrateur le corrobore ensuite : « Et il s’était promis, en effet, d’être un malin, un roublard et un débrouillard. » Les adjectifs, ainsi répétés, suggèrent une habileté dans la tromperie, mais de façon qui amuse plus qu’elle n’inquiète.
Les explications, dans la longue énumération qui suit, sont beaucoup plus sévères : elles conduisent à une image qui, en comparant la « conscience » de Duroy à « une sorte de boîte à triple fond où l’on trouvait de tout. », accentue le danger de la dissimulation dont il est capable.
Robert Pattinson, dans Bel-Ami. Film de Donnellan et Ormerod, 2012
Maupassant reprend ensuite l’idée chère à Balzac, l’approche scientifique qui fait de l’homme le produit de son environnement, en deux temps :
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« Sa conscience native de Normand » renvoie une sorte d’hérédité géographique, à partir de l’image traditionnelle du paysan normand, un rustre sans éducation, âpre au gain, habile à ruser.
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Il y ajoute le rôle formateur du métier, celui de soldat en « garnison » en posant d’abord trois exemples concrets de comportements, tous condamnables, révélateurs de son irrespect de la légalité : il ne recule devant aucun profit. Il accuse ensuite le détournement des valeurs militaires, quand « l’honneur » et les « sentiments patriotiques » deviennent des « bravades » ou de la « gloriole », c’est-à-dire sont mises au service d’une revalorisation et d’un succès personnels.
Maupassant confirme l’image d’un personnage capable du pire, animé par un manque total de scrupules : ne croyant à rien, il est capable de tout.
2ème extrait : 2ème Partie, chapitre II : En voiture dans Paris
Ce deuxième extrait offre un premier exemple de la réussite du héros. Grâce à l’appui de Madeleine Forestier, la femme d’un ami qui l’a introduit dans le milieu journalistique, il a conquis sa place parmi les rédacteurs de La Vie française. La première partie du roman se termine sur la mort de Forestier, opportune car elle lui permet d’épouser Madeleine : il s’enrichit grâce à un héritage qu’elle reçoit, scinde son nom en Du Roy et s’achète un titre de baron. C’est au cours d’une promenade dans Paris que Maupassant, à partir de la description du cadre parisien, précise la façon dont se manifeste l’énergie de son héros.
Une première allégorie
À l’issue d’une promenade au bois de Boulogne, la première mention du cadre est l’image des « fortifications », restes des anciens remparts parisiens, qui se chargent ici d’une valeur symbolique : tout se passe comme si Du Roy rentrait dans la citadelle conquise.
La première vision de Paris au soleil couchant conduit à une comparaison de cette « clarté rougeâtre » à une « lueur de forge démesurée ». L’image se fait effrayante, avec la longue énumération qui amplifie le bruit jusqu’à personnifier la ville. Nous pensons à la mythologie, à la forge située au fond des Enfers où régnait Vulcain, Héphaïstos en grec, qui forgeait les armes des héros antiques. Cette première allégorie semble donc expliquer comment, dans une telle ville, un personnage tel que Duroy a trouvé le terrain idéal pour progresser socialement, mais au prix d’épuisants efforts, ce qu’illustre la comparaison finale à « un colosse », image de la force de cette capitale, mais « épuisé de fatigue », comme si l’intense activité de la ville finissait par l’épuiser.
F. Bassano, La Forge de Vulcain, vers 1577. Huile sur toile, 137 x 191. Musée du Louvre, Paris
Une seconde allégorie
L’avant-dernier paragraphe du passage constitue une seconde personnification avec un gros plan sur l’Arc de triomphe. Or, ce monument est, à lui seul, un symbole, d’abord de la puissance française : les victoires de Napoléon, la dimension militaire. Puis il illustre le développement de la ville : « la large avenue » évoque les travaux d’Haussmann dans ces quartiers élégants et mondains de la rive droite, avec son luxe, symbole de la nouvelle richesse dans laquelle s’inscrit le héros. Ce monument forme donc une porte, la phrase marquant l’entrée dans un lieu de prestige et de luxe, où le seul objectif est la puissance, telle celle d’une « sorte de géant ». Cependant, la personnification dévalorise cette image, en en accentuant la laideur : « ses deux jambes monstrueuses », « sorte de géant informe ». Ainsi le monument devient symbolique de l’arriviste sans scrupules, « en marche » vers toutes les possibilités offertes à l’ambitieux.
Le cynisme du héros
Ce parcours est ponctué de discours rapportés directs du héros, de courtes phrases qui formulent les règles de vie propres à renforcer son énergie.
La première repose sur la notion de force, en relation avec les théories évolutionnistes de Darwin et le « struggle for life ». « Le monde est aux forts. Il faut être fort », est repris dans le monologue intérieur : « La victoire est aux audacieux ». La vie est donc représentée comme un combat, une sorte de guerre où celui qui triomphe est celui qui se place « au-dessus de tout », c’est-à-dire des sentiments et des valeurs traditionnelles. Ainsi s’affirme le triomphe de l’individualisme, associé au mépris d’autrui, renforcé dans une phrase elliptique, puis par la négation restrictive : « Chacun pour soi. Tout n’est que de l’égoïsme. » Toute l’énergie doit donc être mise au service de sa progression, dans une conception où s’affirme le matérialisme : « L’égoïsme pour l’ambition et la fortune vaut mieux que l’égoïsme pour la femme et pour l’amour. »
Maupassant crée donc une osmose entre cette ville en plein essor, mais effrayante, et la personnalité de son héros. Même si nous retrouvons l’idée que l’ambition exige un combat, nous ne sommes plus à l’époque des nobles élans du romantisme ; l’énergie se trouve alors mise au service du seul succès matériel.
3ème extrait : 2ème Partie, chapitre X : Le mariage du héros
Ce passage forme l’épilogue du roman. Du Roy, après avoir divorcé de Madeleine Forestier, a pu séduire Suzanne Walter, fille du banquier propriétaire aussi du journal La Vie française, qu’il enlève pour contraindre la famille à accepter le mariage.
Un triomphe
Cet extrait rappelle le sacre d’un roi au sein d’une église « pleine de monde », où le héros est entouré d’une « foule », masse indifférenciée dont la comparaison accentue le nombre : « La foule coulait devant lui comme un fleuve. » Cela lui accorde une supériorité face à un peuple qui semble représenter sa « cour », puisque les gens « se poussaient » pour avoir ce privilège de s’approcher de lui. Sa position à la fin du passage, en hauteur « sur le seuil », confirme cette comparaison à un roi dominant ses sujets : « il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. Le peuple de Paris le contemplait et l’enviait. »
Parallèlement sa sortie de l’église suggère une autre image, celle d’un général romain victorieux qui défile le jour de son triomphe, « entre deux haies de spectateurs ». Il adopte ainsi une allure solennelle, dans une phrase dont le rythme reproduit la démarche avec l’imparfait pour accentuer la durée de ce défilé : « Il allait lentement, d’un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte ». Cette marche devient d’ailleurs symbolique, telle une apothéose qui le fait passer de l’ombre de l’église – de ses origines obscures – à la lumière de « l’éclatant soleil » qui l’illumine de gloire.
Le triomphe d'un général romain
Le cynisme confirmé
Parmi les règles de vie que s’est fixées le héros, nous avions observé le rejet des sentiments, notamment de l’amour. Or, le récit, s’il mentionne la présence de son épouse Suzanne, son geste de lui « repr[endre] le bras » relève de la simple convention sociale, et elle est aussitôt effacée, puisque le roman se ferme sur une toute autre image, celle de Mme de Marelle, une de ses anciennes maîtresses, mais ne mettant en valeur que la relation sexuelle : « rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit. » Tout laisse pressentir que l’épouse, vite trompée, ne sera qu’un accessoire !
Tout l’extrait est, en effet, centré sur Georges, sur ses sensations, « de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. » De même, la négation restrictive à la fin du paragraphe, « Il ne pensait qu’à lui », reprise par la répétition de « pour lui », confirme l’autre règle proclamée, l’égoïsme, le « [c]hacun pour soi ».
Mais Maupassant laisse son dénouement ouvert. L’énergie de son personnage n’est pas encore épuisée, et il continue à construire son ascension, comme annoncée par son regard : « Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. Et il lui sembla qu’il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon. » Ce « bond », tel celui d’un fauve, fixe un nouveau but, le pouvoir politique. L’arriviste ne s’arrêtera pas dans sa soif de puissance et de richesse.
Pour conclure
Ainsi, la victoire promise « aux audacieux » dans la guerre entreprise pour conquérir la forteresse de Paris, qui n’était que symbolique dans le second extrait, devient, dans l’épilogue, réalité. Le triomphe que lui accorde le peuple marque le succès de cette énergie, qui a construit le destin du personnage.
Or, nul ne s’indigne des moyens mis en œuvre par Bel-Ami pour accéder au sommet, nul ne critique les destructions que cette même énergie a pu réaliser : le succès, que personne ne songe à remettre en cause et que chacun rêve d'imiter, justifie toutes les bassesses. Tel est le regard pessimiste que Maupassant jette sur la société de son temps, qui permet le triomphe d’individus dotés d'une énergie dénuée de scrupules.
Explication : Émile Zola, Germinal, 1885, Partie VII, chapitre VI, de « Pour lui donc la Volonté… » à « … notre âme abattue. »
Pour lire l'extrait
Comme c’est fréquemment le cas au XIXème siècle, le roman d’Émile Zola, Germinal, le treizième de sa vaste fresque des "Rougon-Macquart", est d’abord publié en feuilleton dans Gil Blas, de novembre 1884 à février 1885, avant de paraître en volume. Il évoque la dure vie des mineurs dans le nord de la France, et notamment la grande grève à Anzin débutée en mai 1884.
Arrivé démuni à Montsou, le personnage principal, Étienne Lantier, le plus jeune des fils de Gervaise Macquart, héroïne de L’Assommoir, a été embauché à la mine de charbon et a trouvé un logement chez les Maheu. En lutte pour les droits des travailleurs exploités, il a activement mené une grève, dont l’échec oblige les mineurs à reprendre le travail. Mais un anarchiste, Souvarine, sabote un des puits de mine, le Voreux, ce qui provoque une catastrophe et de nombreux morts. Blessé, Étienne décide de partir sur Paris pour continuer ses combats.
Quelles images de « l’énergie » cet épilogue met-il en valeur ?
Annonce de la parution de Germinal dans le magazine Gil Blas du 25 novembre 1884
1ère partie : Un espoir (des lignes 1 à 9)
Construire une force de lutte
Le premier paragraphe dépeint l’état d’esprit du héros alors même que la grève a échoué, que beaucoup de mineurs sont morts, parmi lesquels Maheu, qui laisse derrière lui une veuve et des enfants. Cette épreuve a profondément changé Étienne : « Sa raison mûrissait, il avait jeté la gourme de ses rancunes. » Cette image, qui fait des « rancunes » une maladie contagieuse telle « la gourme », souligne cette évolution, la nécessité de dépasser le simple désir de vengeance pour mettre collectivement l’énergie de chacun au service de cette révolution, ce « grand coup » pour reprendre l’expression de la Maheude.
L’énumération des verbes pronominaux insiste sur l’action collective, sur l'unité : « s’enrégimenter tranquillement, se connaître, se réunir en syndicats, lorsque les lois le permettraient. » La réflexion prêtée à Étienne poursuit ce parcours d’union à travers l’hypothèse qui présente comme certain le succès en raison du rapport de force en faveur des « travailleurs » face aux patrons et aux propriétaires des mines, qualifiés avec mépris de « fainéants » : « puis, le matin où l’on se sentirait les coudes, où l’on se trouverait des millions de travailleurs en face de quelques milliers de fainéants, prendre le pouvoir, être les maîtres. »
L'espoir
Mais l’espoir ainsi exprimé dépasse la simple volonté de « prendre le pouvoir » pour construire son propre destin. L’exclamation exaltée le représente comme la fin d’une longue nuit : « Ah ! quel réveil de vérité et de justice ! » Une allégorie illustre cet espoir d’une victoire de ces « misérables », terme qui rappelle le roman de Victor Hugo, sous la forme d’une vision horrible, comme un souvenir des sacrifices humains des temps anciens : « Le dieu repu et accroupi en crèverait sur l’heure, l’idole monstrueuse, cachée au fond son tabernacle, dans cet inconnu lointain où les misérables la nourrissaient de leur chair, sans l’avoir jamais vue. »
La grève des mineurs. Manifestation des ouvriers après la catastrophe de Courrières. Le Petit Journal, mars 1906
Le lexique violent dénonce le pouvoir abusif de ce « dieu » que tous vénèrent, telle une « idole ». Ce dieu effrayant, qui semble guetter ses proies à dévorer, qui règle les destins humains, c’est l’argent, plus précisément le capitalisme qui fonde l’essor économique sous le Second Empire, promis, par le verbe « crèverait », à une fin violente.
2ème partie : Le décor (des lignes 10 à 17)
Une description réaliste
L’épilogue fait écho à l’incipit, où le lecteur avait découvert, grâce à un narrateur omniscient, le paysage minier lors du chemin parcouru par Étienne pour arriver à Montsou. Mais Zola choisit ici la focalisation interne, marquée par les indices spatiaux, « À droite », « En face », « à l’horizon », « vers le nord ». À la fin du roman, en effet, le héros connaît ce décor, d’où la place prise par les toponymes, « le chemin de Vandame », « Montsou », et, surtout, le nom précis de chaque puits de mine : le « Voreux », et « les autres fosses à l’horizon, la Victoire, Saint-Thomas, Feutry-Cantel ». Ce chemin parcouru, ainsi vu par le regard du héros, donne sens au dénouement, ouvert car ce n’est pas une fuite ; il a un but précis : « S’il voulait ne pas manquer le train de huit heures, il devait se hâter, car il avait encore six kilomètres à faire. » Il conserve donc toute son énergie, soutenue par son espoir de victoire.
Un décor symbolique
Mais Zola dote la perception d’Étienne d’une valeur symbolique. Ainsi les verbes, « il apercevait Montsou qui dévalait et se perdait », ne qualifient pas seulement l’éloignement progressif du héros, mais donnent l’impression que le village s’enfonce dans le malheur. C’est encore pire, quand il évoque la mine détruite par le sabotage de Souvarine, l'inondation provoquée, en la comparant à un lieu infernal : « les décombres du Voreux, le trou maudit que trois pompes épuisaient sans relâche. » Enfin, les gros plans confirment cette image infernale, en associant à ce décor le feu et la fumée : « les tours élevées des hauts fourneaux et les batteries des fours à coke fumaient dans l’air transparent du matin ».
La catastrophe de Courrières, Le Petit Journal, 23 mars 1906
3ème partie : Une vision (de la ligne 18 à la fin)
La tonalité du récit change dans le dernier paragraphe, construit en trois étapes où s’affirme un lyrisme visionnaire.
Un printemps symbolique
Zola est reconnu comme le chef de file du mouvement naturaliste, qui veut restituer le réel dans sa vérité objective, scientifique : l’imagination est donc « l'humble servante qui se contente de rester au second plan », écrit-il dans Les Romanciers naturalistes (1881) Pourtant ici elle passe au premier plan pour mettre en place la métaphore filée qui dépeint le printemps : « Maintenant, en plein ciel, le soleil d’avril rayonnait dans sa gloire, échauffant la terre qui enfantait. » Le romancier retrouve ici la mythologie antique d’Hélios, le dieu qui personnifie le soleil pour célébrer son pouvoir de vie et de création, chanté, par exemple, dans les Papyrus grecs magiques : « La terre fleurit quand tu brilles sur elle et les plantes sont fructueuses quand tu ris, et tu permets la vie aux êtres de la Terre. »
La métaphore se poursuit par l’emprunt à un autre mythe, celui de Gaia, « la Terre » représentée comme la déesse-mère dans son union avec « Ouranos », le « ciel »: « Du flanc nourricier jaillissait la vie ». Se développe alors, à travers les réalités du printemps, l’image d’un enfantement, dont les verbes traduisent l’effort et la violence : « les bourgeons crevaient en feuilles vertes, les champs tressaillaient de la poussée des herbes. De toutes parts, des graines se gonflaient, s’allongeaient, gerçaient la plaine, travaillées d’un besoin de chaleur et de lumière. » La nature s’anime alors dans ce mouvement de fécondation, jusqu’à la personnification : « Un débordement de sève coulait avec des voix chuchotantes, le bruit des germes s’épandait en un grand baiser. » Cette image des « germes » fait directement écho au titre du roman, Germinal, en remplaçant la sombre vision des mineurs au travail par la naissance d’un nouveau « printemps » où règnera, non plus l’exploitation, mais l’amour.
Gaia, la déesse-mère, vers 200-250. Détail d’une mosaïque au sol d’une villa à Sentinum. Glyptothèque, Munich
La promesse d'un monde nouveau
La métaphore se développe encore davantage, en accentuant le lien entre le monde du travail et la promesse d’un avenir nouveau. Ainsi, le récit, par la gradation rythmique, amplifie le bruit des mineurs au travail perçu par Étienne : « Encore, encore, de plus en plus distinctement, comme s’ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient. » Le verbe suggère à la fois leur force, mais aussi une menace latente. Mais, immédiatement, intervient une explication qui ramène au premier plan la métaphore de l’enfantement liée au feu créateur du soleil : « Aux rayons enflammés de l’astre, par cette matinée de jeunesse, c’était de cette rumeur que la campagne était grosse. »
Le glissement s’accomplit dans la dernière phrase qui évoque un autre mythe, celui de Cadmos, qui a fait naître son peuple, les Spartes - étymologiquement Σπαρτοί (Spartoí), les « hommes semés » - de la terre où il a semé les dents du dragon qu’il avait tué. Ont alors surgi du sol des hommes armés qui s’étaient livrés à la guerre, et dont les cinq survivants avaient aidé Cadmos à fonder la cité de Thèbes. Ainsi, par la gradation, Zola reproduit les étapes de cette naissance progressive. Mais l’image est empreinte de violence : les mineurs, souvent qualifiés de « gueules noires », forment une « armée noire, vengeresse », adjectif mis en valeur par l’apposition. Et, si auparavant, les plantes étaient personnifiés, à présent c’est l’humain qui devient une plante.
Virgil Solis, Cadmos sème les dents de dragon d’où naissent les Spartes, 1562. Gravure pour Les Métamorphoses d’Ovide
Le verbe « poussait », pour traduire l’effort de l’accouchement, amène le moment de la naissance avec le verbe « germait », action en train de se faire, qui conduit à la reprise lexicale, à l’action accomplie, à « la germination », présentée comme une certitude : elle « allait bientôt faire éclater la terre », surgir donc à la surface pour s’affirmer, mais toujours dans la violence signalée par le verbe « éclater ». Tel est le sens du roman de Zola : Étienne, le héros, a semé les graines d’une révolte et, si celle-ci a échoué, d’autres se préparent qui offriront une moisson, « les récoltes du siècle futur ».
CONCLUSION
Le réalisme du roman laisse place, dans cet épilogue, à une sorte de prophétie, où Zola prête à son personnage un pouvoir messianique. Il lit, dans l’arrivée du printemps, dans ce mois de « germinal » selon le calendrier révolutionnaire, sous ce soleil éclatant qui semble l’illuminer, la naissance d'un nouveau monde, plus juste, où les travailleurs ne seront plus dévorés par l’exploitation capitaliste.
Par l'intermédiaire de son personnage, Zola souligne ici sa foi en cette énergie collective, que, comme plusieurs de ses héros, Lantier a pu éveiller chez les mineurs. Arrivé seul au début du roman, à la fin il est porté par ses « camarades » qui, eux-mêmes, suivent ses pas : l’énergie prend ainsi une dimension collective. De plus, en rejoignant l’épopée par ce conflit entre deux puissances, cette vision pose une double image de l’énergie, puisqu’il faut passer par la destruction – celle du puits du Voreux, celle du monde capitaliste – et se battre, pour arriver à la construction de ce monde meilleur.
Méthodologie : Deux tonalités, le lyrisme et l'épique
Le lyrisme
Dans son sens strict, la tonalité – ou registre lyrique – qualifie l’expression personnelle d’un auteur, qu'il s'agisse d'élans de joie ou de plaintes douloureuses. Les sentiments sont souvent intenses, exaltés, nés d'une expérience personnelle, qu'il s'agisse d'amour, de mort, d'exaltation créatrice... L'auteur, souvent enfermé dans sa solitude, se réfugiant parfois dans la nature, prend alors le lecteur comme confident. C’est ce qui explique que ce registre soit tout particulièrement présent dans la poésie, mais il peut aussi figurer dans un monologue ou une tirade au théâtre ou dans un extrait de roman.
Dans l’épilogue de Germinal, ce n’est certes pas Zola qui prend la parole directement. Mais la marche de son héros conduit celui-ci à une véritable méditation, à une sorte de monologue intérieur, que met en valeur la focalisation interne et qui présente plusieurs des caractéristiques d’écriture propres au lyrisme.
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L’exaltation est marquée par le lexique hyperbolique, souvent violent, qui soutient la force de sa vision, de même que l’interjection, « Ah ! », ou les modalités expressives, exclamation ou interrogation.
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L’exaltation se traduit aussi par les jeux rythmiques, énumérations, rythme ternaire en gradation, accompagnés d’assonances, par exemple celle du son [è] pour les désinences verbales, et d’allitérations comme la dentale, dans la dernière phrase.
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À cela s’ajoute le recours aux images, hypallage ou personnification, où cette métaphore filée pour évoquer la naissance de ce monde nouveau, quand ls travailleurs, du fond des entrailles de la terre, remonteront à la surface.
L'épique
Trois termes permettent de caractériser la tonalité - ou registre - épique : la force, la foule, la foi. Force, physique ou morale, d'un héros, qui semble prendre même une dimension surhumaine par les exploits exceptionnels qu'il accomplit. Foule, car il inscrit ses exploits dans un contexte collectif, une guerre, une révolte par exemple, et entraîne le peuple à ses côtés. Enfin foi, celle qui correspond aux valeurs de son temps, qu'il s'agisse du polythéisme antique, de la foi chrétienne, ou, tout simplement d'une idéologie politique. Cette tonalité a permis de créer un genre à part entière, l’épopée, mais elle peut aussi bien intervenir dans un épisode de roman, voire dans un poème qui choisirait un sujet historique.
Par bien des côtés Germinal prend une tonalité épique, qu'il s'agisse du moment de la grève, lors du défilé des mineurs révoltés, ou lors de l'inondation du Voreux, par exemple.
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Bien qu’Étienne ait échoué dans la grève qu’il a menée et se retrouve seul dans l’épilogue, il ressent, en une sorte de vision hallucinée, la présence de ses « camarades » qui travaillent sous la terre, et exprime ainsi sa certitude que ses futurs combats seront victorieux. Au-dessus de lui, l’éclat du soleil semble l’auréoler de gloire, lui donnant ainsi la dimension supérieure propre au héros de l'épopée.
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Il s’inscrit dans un contexte, celui du Second Empire, qui permet à Zola de mettre en valeur le conflit entre deux forces, illustré par la métaphore qui fait du capitalisme un « dieu » cruel auquel des « millions de travailleurs » sont sacrifiés.
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Ceux-ci, cependant, ont pris conscience de leur puissance quand ils sont unis, et deviendront un jour, une « armée noire, vengeresse », dont le récit amplifie encore la force en la rattachant à des mythes fondateurs. Ces travailleurs sont donc mus par une foi, qui leur donne une dimension symbolique, que restituent les images.
Le premier roman d’André Malraux, Les Conquérants, d’abord publié en feuilleton dans La Nouvelle Revue Française puis en volume en 1928, présente, sous la forme d’un journal tenu au jour le jour par le narrateur, la grande grève menée à Canton et à Hong-Kong contre l’impérialisme anglais en 1925, dont le romancier a été le témoin. Le récit rend compte des conflits idéologiques qui guident le combat des grévistes et conduit à la prise de pouvoir du Kuomintang, parti nationaliste dirigé depuis 1923 par Tchang-Kaï-chek soutenu par les communistes soviétiques, représenté, dans le roman, par leur délégué, Borodine.
Au cœur de ce roman ressortent la personnalité et les actions d’un personnage, Garine, ami du narrateur. Il dirige la Propagande et veut faire signer, par le Comité des Sept qui contrôle le mouvement des grévistes dans l’île de Hong-Kong, un décret interdisant le passage dans le port des navires étrangers. Ce passage se situe, après « Les approches » et « Les puissances », dans la troisième partie du roman intitulée « L’homme », alors que Garine, à l’occasion de la mort de Tcheng-Daï, partisan lui aussi d’une révolution mais pacifiste, prononce un discours.
Explication : André Malraux, Les Conquérants, 1928, 3ème partie, "L'homme", de « Quelques heures plus tard… » à « … de décomposition. »
Pour lire l'extrait
1ère partie : Le discours de Garine (des lignes 1 à 12)
La propagande
La phrase qui introduit le discours met en évidence l'efficacité de la propagande, en montrant comment il circule, avec une rapidité marquée par les deux indices temporels : « Quelques heures plus tard, bien avant le retour de Garine, certaines phrases de son discours commencent à bourdonner de secrétaire à secrétaire, dans les bureaux de la Propagande. » Le verbe imagé, « bourdonner », qui compare sa transmission au bruit d’un essaim d’insectes, montre, en s’absence de médias intermédiaires, la façon dont il se répand par le bouche à oreille pour servir la « Propagande », terme mis en valeur par la majuscule. Ces représentants de l’idéologie, soviétique pour Borodine, personnage historique conseiller du Kuomintang, et Garine, personnage fictif, Français qui dirige l’action de la Propagande, sont tous deux des étrangers qui ont décidé de soutenir la révolution chinoise, d’où la nécessité d’un « interprète » et les « phrases courtes » afin de faciliter la traduction. Garine maîtrise parfaitement la stratégie de la propagande, qui, pour marquer les esprits, doit s’exprimer de façon simple, et, surtout, user de « formules », faciles à mémoriser et à répéter, comme le souligne le narrateur qui les découvre « au hasard des bureaux et des heures ».
Le contenu du discours
La suite du passage reprend ainsi les bribes de discours perçues par le narrateur.
L’orateur, qui n’a pourtant rien de commun avec les travailleurs chinois opprimés, prend soin de s’identifier à eux pour soutenir sa dénonciation : « Hong-Kong, qui étale en face de notre famine sa richesse ». L’antithèse entre la « famine » et la « richesse » est renforcée par une double critique : « mal acquise » renvoie au profit malhonnête de ceux qui tirent parti du commerce chinois , tandis que la métaphore du « gardien de prison » transforme le peuple chinois en des prisonniers de leur maître, l’impérialisme des puissances européennes, d’où l’image des « porte-clefs ».
Le parallélisme, marqué par l’anaphore d’« en face de ceux », invite, lui, à la lutte armée révolutionnaire en opposant « ceux qui parlent » à « ceux qui agissent », et « ceux qui protestent » à « ceux qui chassent de Hong-Kong les Anglais, comme des rats ». La comparaison méprisante à des rats » donne aussi l’impression que le rejet de ces occupants nuisibles ne sera pas véritablement difficile à accomplir.
Le troisième fragment repris repose aussi sur une comparaison : « Comme l’honnête homme qui coupa d’un coup de hache la main du voleur qui tentait d’ouvrir sa fenêtre ». Elle concrétise le bon droit du peuple chinois à châtier la malhonnêteté du colonisateur, venu le dépouiller de ses biens. Le futur, renforcé par l’indice temporel, souligne la certitude de la victoire, « vous posséderez, demain, la main coupée de l’impérialisme anglais », qui n’aura plus de raison de rester dans une ville, dans « Hong-Kong ruinée » si la grève empêche son port de fonctionner au profit des exploitants.
Tout est donc mis en œuvre pour animer l’énergie collective de l’auditoire.
2ème partie : Le combat (de la ligne 13 à la fin)
Une manifestation de marins et d’ouvriers à Hong Kong en 1925
Le peuple en lutte
L’enchaînement sans transition met en valeur le résultat de cette propagande, ainsi présenté comme immédiat : « Une foule d’ouvriers passe dans la rue ». Le peuple entreprend sa lutte, et le verbe « ils élèvent des bannières sur lesquelles je lis : Vive l’armée rouge » figure leur levée en masse : tout un peuple se met debout, guidé par l’idéologie communiste affirmée sur les inscriptions. Ils cherchent aussi à faire pression sur le Comité des grévistes : « Ils se rendent devant les fenêtres de la salle où siège le Comité des Sept. » Cette énergie collective se traduit par la comparaison, « comme un troupeau », tandis que le chiasme, « Tantôt proches, tantôt éloignés » repris par les verbes « se dispersent et se regroupent », souligne l’impression produite par les « cris ».
L’énumération des adjectifs qui les qualifie montre bien comment les cris d'abord « solitaires » de chaque manifestant, isolés les uns des autres, « séparés », peuvent ensuite être « réunis en clameur », pour intensifier la force collective : ils « emplissent la rue », suggérant la menace formulée.
La force collective
Le narrateur, qu’il est possible de considérer comme un porte-parole de Malraux alors présent en Chine, subit lui-même l’influence de cette force collective du peuple chinois, qui se traduit par le rythme ternaire en gradation de la dernière phrase scandé par la répétition de « la Chine ». La première occurrence, « La Chine entre, s’impose en moi avec ces cris » le montre comme envahi à son tour par cette révolte, qu’il finit par mieux comprendre : « la Chine que je commence à connaître ». La dernière occurrence, prolongée par une longue subordonnée relative, pose un jugement contrasté, soutenu par la comparaison olfactive à partir de « l’odeur qui entre avec l’agitation de la ville par[s]es fenêtres » :
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D’un côté, il y a une image péjorative : la foule illustre « une canaillerie sage et basse », associée à l’odeur de « décomposition », celle d’un peuple affaibli, prêt à renoncer à la lutte, voire à se laisser corrompre.
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Mais s’y oppose une image méliorative, la volonté d’une lutte sans merci pour la liberté, « les élans d’un idéalisme sauvage », associés à la puissance de « l’odeur du poivre ». Or, cette image l’emporte : sa force est capable de « recouvrir » la précédente, elle la « domine ».
CONCLUSION
Cet extrait reflète les mouvements qui agitent le monde depuis la révolution d’octobre 1917 en Russie : l’idéologie marxiste se répand, et le Komintern, IIIème Internationale communiste, soutient activement les luttes de libération des peuples colonisés. Les écrivains, eux aussi, illustrent ce mouvement en ne plaçant plus au centre de leurs romans, des personnages qui mettent leur énergie au service de leurs ambitions ou de leurs valeurs personnelles, mais des héros animés d’élans collectifs. C’est le cas dans les romans de Malraux qui met en scène des hommes d’action qui, tel Garine, font preuve de leur courage dans des luttes collectives, prêts à détruire pour reconstruire en privilégiant la justice et la liberté. Ainsi, l’action fraternelle devint un nouvel idéal chez ce romancier, comme chez beaucoup d’écrivains engagés. Il y voit le moyen pour l’homme de donner sens à son existence personnelle, comme le dit Garine : « Il me semble que je lutte contre l’absurde humain, en faisant ce que je fais ici… »
Lectures cursives : André Malraux, Les Conquérants, 1928
Pour lire les deux extraits
Extrait n° 1 : 1ère partie, « Les approches », portrait de Garine
Un des révolutionnaires dresse au narrateur un portrait de Garine, en mettant l’accent sur son engagement dans une action combattante, puisqu’il rappelle la façon dont « il a organisé l’école des Cadets » afin de former une armée révolutionnaire chinoise, apte à lutter contre l’armée officielle ou même contre l’armée anglaise. Le fait d’avoir réussi « à recruter un millier d’hommes » prouve sa puissance de meneur d’hommes, et son habileté psychologique aussi : il a su comment, en leur donnant des « titres » et des « insignes », il a su leur rendre leur dignité. Il a ainsi transformé les hommes en leur insufflant sa propre énergie, ce que souligne le locuteur : « il leur a fait connaître l’existence du vice peu connu en Chine qui s’appelle courage. »
Deux forces collectives se retrouvent donc face à face, les révolutionnaires, tels Garine ou Chang, le commandant de cette école, à égalité avec le colonisateur anglais : « comme les Anglais ont fait cette ville-ci : homme à homme, courage à courage, en sollicitant, en exigeant, en faisant agir. »
Extrait n° 2 : 2ème partie, « Les puissances », un orateur
La scène se déroule au cours d’une réunion politique, où s’opposent les révolutionnaires appuyés par les délégués de l’URSS marxiste, et les anarchistes, qui appellent avant tout au meurtre. L’un d’eux vient de traiter Mao, engagé depuis longtemps dans la lutte, de « coolie », insulte méprisante dans sa bouche.
Le vieil orateur reprend alors cette insulte en l’inversant pour s’en faire un titre de gloire : « « Coolie ? Oui, coolie ! Je suis toujours allé parmi les malheureux. » Il proclame alors son choix en mettant toute son énergie au service des « sans-abri » et des « sans-riz », pour les convaincre de ne pas suivre les anarchistes qui, eux, n’hésitent pas à les tuer pour servir leur cause, et dont « la gloire sera faite de [leur] sang ».
Tout le passage met en valeur en valeur l’énergie de son discours, d’abord par sa gestuelle, « reprenant d’un coup l’attention par les deux mains élevées au-dessus de la tête », et « les deux bras jetés en avant, les mains ouvertes », comme pour implorer l’auditoire en s’offrant aussi à lui. Participe aussi à cette force son intonation : « doublant soudain le force de sa voix » et multipliant les exclamations dans un vibrant appel à « vous tous ! »
Il réussit ainsi à entraîner les assistants dans son camp, et à nouveau nous constatons le glissement de l’énergie individuelle, puisque la voix encore « faible, hésitante » qui crie « À mort les insulteurs du peuple !... » entraîne la foule : « Mais aussitôt cent voix hurlent : ‘‘ À m-o-o-ort…’’». Le narrateur insiste alors sur cette énergie collective, « C’est un grondement, un cri trouble qui devient clameur », si forte qu’elle conduit aussitôt à l’action contre les anarchistes : ceux-ci « tentent d’atteindre la tribune », mais « ses hommes, maintenant aidés par la foule, en défendent l’accès. »
Mouvement de grève à Hong Kong en 1925
Étude d'ensemble : Autour de l'énergie
Énergie individuelle, énergie collective
Depuis que s’affirme, dès le XVIIIème siècle, la volonté de ne plus s’inscrire uniquement dans la tradition, en en reprenant sans contestation les valeurs, qu’elles soient religieuses, morales ou sociales, telles celles de « l’honnête homme », sont apparus, dans les romans des personnages qui mettent en avant un choix tout personnel, affirmé avec énergie comme le fait le neveu de Rameau, chez Diderot.
Après le retour de la monarchie au XIXème siècle, en lien avec le contexte économique et social, les « romans de l’énergie » se multiplient, des romans d’apprentissage souvent qui dépeignent le parcours de personnages ambitieux, désireux de se faire une place parmi les privilégiés, tels Raphaël et Louis Lambert chez Balzac, Julien Sorel chez Stendhal, ou Bel-Ami chez Maupassant. Tous sont dotés de cette « énergie », forme de force intérieure qui les rend capables d’agir sur leur environnement mais aussi sur eux-mêmes en la mettant, avec persévérance, au service de leur idéal personnel. Mais tous ne l’atteignent pas…
C’est aussi le contexte, en lien avec l’essor du capitalisme qui entraîne, dès la fin du XIXème siècle, une nouvelle idéologie de défense du prolétariat, élargie à la lutte contre l’impérialisme. Cela explique que les romanciers élargissent parallèlement l’image de l’énergie dont ils dotent leurs personnages : leur volonté, leur charisme, leur engagement en font des meneurs d’hommes, décidés à insuffler leur énergie à des exploités, ainsi incités à agir, comme Étienne Lantier dans Germinal. Nous les retrouvons au XXème siècle, poussés par des idéologies, tels les héros de Malraux qui, à l’image de Garine, s’engagent dans l’action collective.
Le rôle de l'énergie : création, destruction
Les extraits expliqués et les documents complémentaires ont conduit à une autre interrogation, sur les objectifs que se fixent de tels personnages, et sur le résultat que leur énergie leur permet d’obtenir.
Nous avons pu alors réunir deux termes a priori antithétiques : « création » qui implique la construction de quelque chose de neuf, et « destruction ». Car, pour se transformer lui-même, pour créer un nouveau système, qu’il soit politique, social, économique, il faut combattre les forces qui font obstacle, donc détruire. La destruction précède donc souvent la construction : elle est même nécessaire pour faire advenir une autres société. Ainsi, le neveu de Rameau rejette, avec cynisme, les valeurs morales et sociale traditionnelles, comme Georges Duroy chez Maupassant, et l’idéal napoléonien de Julien Sorel nous rappelle que son modèle a aussi été un conquérant destructeur. C’est encore plus net quand les héros s’inscrivent dans une perspective révolutionnaire. L’épilogue de Germinal le souligne tout particulièrement, en montrant comment le grand nombre des travailleurs pourra vaincre le petit nombre de ceux qui les exploitent : ce sont les luttes des oppriméss, leurs destructions qui féconderont la terre d’où pourra naître un monde meilleur. C’est ce double mouvement qui anime aussi les héros de Malraux : il faut crier « À mort ! » pour pouvoir offrir aux plus faibles une vie nouvelle.
Explication : René Barjavel, Ravage, 1943, 2ème partie, "La chute des villes", de « Alors, vous pensez... » à « …nous ne savons rien. »
Pour lire l'extrait
Le roman de René Barjavel, Ravage, paru pendant la seconde guerre mondiale, en 1943, commence en 2052. La première partie, « Les temps nouveaux », dépeint un monde utopique où, grâce au développement technologique, fondé notamment sur l’électricité, les hommes vivent dans un environnement qui leur offre l’abondance alimentaire, le plus grand confort et tous les plaisirs des sens. Mais, dans la seconde partie, « La chute des villes », une véritable apocalypse se déchaîne : l’arrêt général du fonctionnement électrique paralyse tout le fonctionnement économique et social. Dans cette panique générale, la violence se déchaîne, et « un mal étrange » frappe les jeunes femmes, dont Blanche, l’ami du héros, François Deschamps, au chevet de laquelle il a fait venir le docteur Fauque. Quelle image de l’énergie propose leur échange ?
1ère partie : L’électricité (des lignes 1 à 7)
À partir de ce qu’il constate, la « disparition de l’électricité », la remarque du personnage principal établit, en en faisant la cause de la « maladie » qui frappe son amie Blanche, un lien entre le phénomène physique, « l’électricité », et la nature intérieure de l’homme : son état corporel en dépendrait.
Le médecin s’oppose immédiatement à ce constat : « Mais l’électricité n’a pas disparu, mon jeune ami. » Cependant, il ne nie pas ce lien, bien au contraire puisque son hypothèse, un irréel du passé, considère que la survie de l’homme à ce cataclysme est la preuve que l’électricité continue à l’animer : « Si elle avait disparu, nous n’existerions plus, nous serions retournés au néant, nous et l’univers. » Son énumération, de l’animé à l’inanimé, en fait ainsi la force créatrice de tout ce qui existe : « Nous et cette table, et ce caillou, tout cela n’est que combinaison merveilleuse de forces. Nous et cette table, et ce caillou, tout cela n’est que combinaison merveilleuse de forces. » D’où sa conclusion, renforcée par le jeu des négations : « La matière et l’énergie ne sont qu’un. Rien ne peut disparaître, ou tout disparaîtra ensemble. ».
2ème partie : Un bouleversement (des lignes 7 à 14)
L’explication alors introduite ne peut alors qu’être celle qu’il avance : « Ce qui se passe, c’est un changement dans les manifestations du fluide électrique. » En même temps, il relativise l’importance de ce changement, en opposant le cataclysme survenu brutalement à son implication sur l’existence du monde créé, avec une comparaison qui concrétise le peu d’effet produit : « Un changement qui nous bouleverse, qui démolit tout l’édifice de science que nous avions bâti, mais qui n’a sans doute ni plus ni moins d’importance pour l’univers que le battement de l’aile d’un papillon. »
Son affirmation, catégoriquement posée par « Il est évident », insiste, par l’énumération verbale, sur sa justification ; elle serait due à la modification de la circulation de l’énergie : « certains corps, comme les métaux, qui possédaient la propriété, dans certaines conditions de capter, de conduire, de garder prisonnier ce fluide, ont tout à coup perdu cette faculté. » Ce qui serait valable pour les « métaux » serait donc valable aussi pour les « corps » humains, d’où la maladie qui surgit. Mais, au-delà de cette explication scientifique, la question, « Caprice de la nature, avertissement de Dieu ? » reste sans réponse : dans les deux cas, la cause dépasse l’homme, confronté à une force plus forte que lui, notamment – souvenir de l’apocalypse biblique – d’essence divine.
3ème partie : L’image de l’homme (de la ligne 14 à la fin)
La fin de l’extrait met l’accent sur l’ignorance de l’homme, qui considère que ce qui a été perdurera à jamais : « Nous vivons dans un univers que nous croyons immuable parce que nous l’avons toujours vu obéir aux mêmes lois ». La seconde partie de la phrase, par opposition, souligne la fragilité dont l’homme peut être victime : « mais rien n’empêche que tout puisse se mettre brusquement à changer ». Les trois exemples cités illustrent cette possibilité de changement, qui inverse ce en quoi l’homme a toujours cru, la nature même de la matière : « le sucre devien[t] amer, le plomb léger, et […] la pierre s’envole au lieu de tomber quand la main la lâche » Sa conclusion, avec le redoublement de la négation, renforce, finalement, l’ignorance de l’homme : « Nous ne sommes rien, mon jeune ami, nous ne savons rien… »
CONCLUSION
Barjavel pose ici une image doublement intéressante de l’énergie. D’une part, si elle a construit la science humaine et expliqué l’univers, il envisage, en effet, qu’elle puisse, en se modifiant, remettre en cause toutes les certitudes humaines. D’autre part, il établit un lien très fort entre l’homme, doté d’énergie, et l’existence de cette même énergie qui anime l’univers. Ainsi, si l’énergie se modifie dans l’univers, elle se modifiera forcément dans l’homme, qui voit son savoir s’anéantir.
L’utopie de la première partie, fondée sur la science-fiction, s’inverse donc en dystopie, une image d’un monde en pleine destruction, qui ramène l’homme à son état primitif de sauvage. Barjavel, né à l’aube du XXème siècle, reflète ainsi les doutes, nés des guerres mondiales et des crises qui ont marqué la première moitié de ce siècle, sur le rôle de la science et sur la capacité de la maîtriser au profit de l’humanité. Le roman conduira ainsi son héros, avec un petit groupe de survivants, à travers la France et de nombreuses épreuves, sur « le chemin de cendres », titre de la troisième partie, avant, dans la dernière partie, « Le patriarche », de refonder une société sur de nouvelles valeurs, dégagées du pouvoir de la science et des techniques, sous la direction du héros.
J.D Morvan et Rey Macutay, Ravage, Bande dessinée, tome 3
Lecture cursive : René Barjavel, Ravage
Pour lire les deux extraits
Premier extrait : 2ème partie, "La chute des villes"
Cet extrait se situe dans la même partie, « La chute des villes », qui montre l’écroulement de l’univers auquel le monde était habitué en 2052. Avec un ami, Legrand, François Deschamps, le héros, découvre l’émission qui montre « l’Empereur Noir », qui règne sur l’Amérique du sud, déclarer la guerre contre le monde blanc de l’Amérique du nord auquel il promet l’anéantissement.
Un nouveau cataclysme s’ajoute donc à « l’aspect dramatique des événements qui ont bouleversé la France. C’est l’occasion, pour le héros, de formuler une violente accusation de ce que l’antiquité grecque nommait l’ὕϐρις (hybris), la démesure de l’homme qui prétend contrôler la nature, tel un dieu dans l’univers : « Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s’en rendre maîtres. »
Barjavel s’oppose ainsi à tout ce qui, depuis l’ancien mythe de Prométhée, le voleur de feu qu’il a offert à l’humanité, a construit les sociétés : « Ils ont nommé cela le Progrès. C’est un progrès accéléré vers la mort. » Ainsi s’inversent les résultats du rôle de la science : « Ils emploient pendant quelque temps ces forces pour construire » s’oppose à « ils tournent celle-ci vers la destruction. » C’est à nouveau l’homme qui est accusé, à travers une image moralement péjorative : « les hommes sont des hommes, c’est-à-dire des êtres chez qui le mal domine le bien ». Barjavel en arrive donc à une vision pessimiste de l’être humain : « le progrès moral de ces hommes est loin d’être aussi rapide que le progrès de leur science ».
Second extrait : 4ème partie, "Le patriarche"
Cet extrait se situe dans la dernière partie du roman alors que, guidé à travers les obstacles par le héros, le petit groupe de survivants s'établit dans une vallée et crée une nouvelle société.
Le premier paragraphe dépeint les efforts accomplis pour survivre, l’énergie qu’il a fallu déployer dans le travail et contre les ennemis. Ainsi s’est fondée une société, dont le récit pose les deux lois : la première se veut une loi d’égalité, empêchant que certains accaparent la seule richesse, les terres ; la seconde affirme le refus du monde urbain et de sa concentration jugée excessive.
Ce monde nouveau rejette catégoriquement le capitalisme et la puissance de l’argent. C’est un monde qui vit des produits de la terre, « selon ses besoins », c’est-à-dire sans l’exploiter outre mesure. Cela permet une vie en autarcie, mais aussi une forme de collectivisme, puisque « [l]es outils et les ustensiles de ménage sont distribués par les chefs de village ». Notons cependant que le remplacement du « fer » et de « l’acier » par le bronze ne sera pas un moyen d’éviter le retour des guerres…
C’est le troisième paragraphe qui, dans une perspective morale, pose les bases d’un refus de la violence, collective comme individuelle : « François a rétabli une religion basée sur l’amour de Dieu, de la famille et de la vérité, et le respect du voisin ». Sur le plan politique, le pouvoir, qui ne sépare pas les domaines « temporel et spirituel », pose une hiérarchie verticale, mais sans se faire d’illusion sur la nature humaine : il faut faire respecter les lois, et ne pas hésiter à punir « sans pitié tout attentat à la douceur des mœurs. »
Histoire littéraire : Utopie et dystopie
L'utopie
Une définition
En raison de son étymologie grecque, "ou-topos", le non-lieu ou le lieu de nulle part, on fait parfois remonter à Platon, et à la société idéale qu’il envisage dans La République, le genre littéraire de l’utopie. Mais cette œuvre est un essai, non un récit. Il est donc préférable d’en faire remonter l’origine à la Renaissance où des humanistes, tel l’Anglais Thomas More dans Utopia (1516) ou Rabelais, dans le passage de Gargantua (1534) qui dépeint l’abbaye de Thélème, ont imaginé d’autres architectures, d’autres modes de vie conduisant au bonheur.
Jean-Michel Racault dans son essai L'Utopie narrative en France et en Angleterre, 1675-1761 (1991) donne une définition très complète de l’utopie :
Illustration pour Utopie de More.
Pour en savoir plus
[O]n appellera utopie narrative la description détaillée, introduite par un récit ou intégrée à un récit, d'un espace imaginaire clos, géographiquement plausible et soumis aux lois physiques du monde réel, habité par une collectivité individualisée d'êtres raisonnables dont les rapports mutuels comme les relations avec l'univers matériel et spirituel sont régis par une organisation rationnellement justifiée saisie dans son fonctionnement concret. Cette description doit être apte à susciter la représentation d'un monde fictif complet [...] implicitement ou explicitement mis en relation dialectique avec le monde réel, dont il modifie ou réarticule les éléments dans une perspective critique, satirique ou réformatrice.
L’utopie s’inscrit donc dans ce rêve humain d’une perfection, déjà présent dans la mythologie antique à travers les descriptions de « l’âge d’or », et dans la tradition judéo-chrétienne dans l’image du « paradis terrestre », perdu. Mais, avec More, dont le récit est sous-titré « La meilleure forme de gouvernement possible », l’utopie s’enracine dans le domaine de la politique : un gouvernement bien organisé doit amener ses citoyens à une vie meilleure, fondée sur une meilleure éducation, une répartition plus juste de la propriété, la fin des guerres et des fanatismes religieux. Le lecteur, dans le récit, souvent pris en charge par un narrateur qui prétend avoir découvert ce pays extraordinaire au cours d’un voyage, comprend alors qu’il doit y voir une vision inversée de son monde réel. Il sera alors conduit à réfléchir à ce que dépeint l’auteur, peut-être même à vouloir améliorer sa propre société…
Les villes flottantes, utopie futuriste née dans la Silicon Valley
Les formes d'utopie
Avec l’inscription de l’utopie dans un roman, deux formes différentes se dégagent :
L’utopie futuriste : Elle se développe particulièrement dans les romans de science-fiction, et se fonde sur le développement de la science et des techniques : des matériaux nouveaux, la maîtrise d’énergies nouvelles permettent la naissance d’une nouvelle société, promesse d’une vie meilleure qui libèrera l’homme du travail et multipliera ses plaisirs, la mise en œuvre du rêve d’un Eldorado. C’est celle que dépeint la première partie de Ravage, avant le cataclysme.
L'utopie rétrospective : Mais, dans la mesure où l’utopie renvoie aussi à la quête d’un « paradis perdu », elle peut aussi s'inverser en rejetant les formes de modernisme et en se fondant sur une nostalgie des temps anciens. C’est celle qu’établit Montesquieu dans ses Lettres persanes, quand il dépeint la vie heureuse des bons Troglodytes, le retour à une société patriarcale, qui privilégie l’agriculture, l’égalité et la justice, en faisant régner l’amour et la vertu. Nous la retrouvons dans la dernière partie de Ravage, intitulée « Le patriarche ».
La dystopie
Mais l’utopie repose le plus souvent sur un postulat : les habitants de ces pays heureux acceptent de fondre leurs désirs et volontés individuels dans les exigences de l’intérêt collectif. Ils subissent donc une forme de contrainte, qui les prive d’une part de liberté, parfois même les infantilise. C’est ainsi que l’utopie a pu s’inverser en dystopie, appelée aussi « contre-utopie » ou « anti-utopie », terme né en Angleterre à l’aide du préfixe grec « dys- » péjoratif qui indique la malformation. C’est ce mécanisme d’inversion qui structure le récit de Charles-François Tiphaigne de la Roche, Histoire des Galligènes : Mémoires de Duncan (1765). Ce peuple des lointaines antipodes vit l’idéal des Lumières, un gouvernement des « Anciens », des sages appuyés par une « assemblée du peuple », les enfants y sont élevés collectivement pour davantage d’égalité, les biens aussi sont mis en commun, nulle rivalité donc, avec, pour religion, un déisme tolérant. Mais, au fil du récit, la situation se dégrade, des amitiés entraînent des jalousies, la constitution est remise en cause pour réclamer plus de reconnaissance individuelle, et l’auteur conclut : « il n’y a pas de liberté possible au royaume d’Utopie, parce que les droits de l’individu n’y sont pas respectés. »
De même, le futurisme peut mettre en évidence un usage de la science qui détruit les valeurs morales, l’égalité, la justice et la liberté, comme dans Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, paru en 1932, avec la répartition d’une société en castes conditionnées à ne pas transgresser les limites imposées, ou dans 1984, roman de George Orwell publié en 1949, où le pouvoir de contrôle absolu de Big Brother aliène totalement les esprits. De même, les excès du monde futuriste conduisent les villes si merveilleuses de Ravage à subir une telle catastrophe que la société retombe dans des épidémies, dans les catastrophes les pires, dans la sauvagerie la plus barbare. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait déjà Rabelais.
Dans Ravage (1943) par exemple, Barjavel, en imaginant que, dans une société qui avait trouvé sa perfection dans une hyper-technicité, soudainement l’électricité disparaît, montre le terrible chaos qui s’ensuit alors. Le lecteur s’y voit aussi comme dans un miroir grossissant, car ce sont ses propres vices qui se donnent libre cours dans l’œuvre, comme dans La Planète des singes de Pierre Boulle : à travers ces singes, qui dans leur planète sont censés représenter le sommet de la création, l’auteur présente en fait les vices de l’homme, sa bestialité qui le conduit aux pires actions. Le développement de la science-fiction fait la part belle à la dystopie.
J.D Morvan et Rey Macutay, Ravage, Bande dessinée, tome 2
Conclusion du parcours associé
Réponse à la problématique
Les formes de l'« énergie »
À travers ces extraits, nous avons pu compléter une double définition de « l’énergie » : pour tous elle est une force, que certains représentent comme une puissance physiquement inscrite en l’homme, comme Barjavel qui l’associe à l’image d’un fluide électrique, tandis que d’autres lui donnent une dimension plus spirituelle, comme Louis Lambert, le héros de Balzac qui montre comment la pensée surgit à la conscience, par une sorte de « vue intérieure » et les difficultés de l’homme pour, ensuite, s’en emparer. Cette « énergie » naît tantôt des expériences du passé, tantôt de la projection vers l’avenir, tantôt d’une combinaison des deux. C’est le cas pour Julien Sorel, dont l’infériorité sociale soutient la volonté de revanche personnelle, ou, dans un objectif plus collectif chez Zola ou chez Malraux : dans Germinal, par exemple, c’est de l’exploitation des mineurs que surgit leur force, comme dans Les Conquérants de la misère des Chinois colonisés, et tous deux mettent en scène des personnages en lutte pour un avenir plus juste.
Ses objectifs : création et destruction
Mais, une fois effectuée la prise de conscience de la présence en soi de cette « énergie », encore faut-il que l’homme qui en est doté l’incarne dans l’action. Il a alors un double choix qui, en fait, associe le plus souvent la destruction et la construction. Ainsi le neveu de Rameau, chez Diderot, a d’abord posé sa volonté sociale, hédoniste et matérialiste, pour mettre toute son énergie dans des valeurs qui détruisent celles moralement admises à son époque, dans un élan cynique totalement assumé. Julien Sorel, lui, héros de Stendhal, donne libre cours à son ambition, qui implique de parvenir d’abord à dominer ceux dont qu’il méprise, une façon de construire son destin. Le personnage de Balzac, Louis Lambert, lui, se détruit psychiquement au fur et à mesure qu’il met en œuvre la force d’inspiration qui doit lui permettre de créer son œuvre, son Traité de la volonté. Chez Zola comme chez Malraux, la destruction est posée comme un moyen de parvenir à une construction, tandis que dans Ravage de Barjavel, trois moments se succèdent : le roman nous présente d’abord ce que la puissance de la science humaine, par l’utilisation de l’énergie électrique, a pu construire, pour ensuite, en raison des abus et du mal inhérent à la nature humaine, détruire toute cette civilisation, avant que, guidée par l’énergie du héros, une nouvelle société puisse être créée, fondée sur de nouvelles valeurs.
Lecture cursive : Henri Bergson, L’Énergie spirituelle, 1919
Pour lire les trois extraits
Si Bergson admet qu’il y a solidarité entre le corps et l’âme, il distingue nettement l’action de chacun : l’esprit existe par lui-même, il n’est pas un seul produit du cerveau, qui n’est que l’outil qui lui permet de connaître à partir des sensations, de la mémoire, du rêve… Cela l’amène à définir le fonctionnement de la conscience, dont il fait la source même de ce qui caractérise l’homme, « l’énergie », avec sa puissance d’action, créatrice.
Extrait n°1 : « La conscience et la vie », conférence à l’université de Birmingham, de 1911
Dans ce passage, Bergson explique ce fonctionnement par un double mouvement qui inscrit l’homme dans le temps : le présent de l’homme est chargé des souvenirs de sa « mémoire », puisqu’il peut « retenir ce qui n’est plus », mais surtout de sa projection dans l’avenir. Il insiste sur l’énergie que lui donne cette anticipation : « L’avenir est là ; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui ». Ainsi, « cette traction ininterrompue » est, selon le philosophe, la source de toute action humaine, qui donne à la vie son élan : « Toute action est un empiétement sur l’avenir. »
Extrait n°2 : « La conscience et la vie », conférence à l’université de Birmingham, de 1911
Cet extrait reprend la conception précédente expliquant « le mouvement vital » par la double faculté de l’esprit : « L’homme, appelé sans cesse à s’appuyer sur la totalité de son passé pour peser d’autant plus puissamment sur l’avenir ». C’est ainsi que « les meilleurs » des hommes peuvent faire vivre en eux « le courant indéfiniment créateur de la vie morale ».
Mais, il va plus loin ici en mettant en valeur l’homme « créateur par excellence » capable, non seulement d’agir avec force lui-même, mais aussi « d’intensifier aussi l’action des autres hommes ». Il fait de cette aptitude une forme d’« héroïsme inventif » dans le domaine de la vie morale, qui peut « allumer, généreuse, des foyers de générosité ». Bergson invite alors ses lecteurs, pour pénétrer « jusqu’au principe même de la vie », à mieux pénétrer l'énergie qui anime de tels hommes : « Considérons-les attentivement, tâchons d’éprouver sympathiquement ce qu’ils éprouvent ».
Extrait n°3 : « L’âme et le corps », conférence à Foi et Vie, 1912
Bergson reprend à nouveau cette double source de « l’acte volontaire », la mémoire d’une part, l’élan vers l’avenir d’autre part, dont il fait une « force consciente » capable « d’apporter sans cesse quelque chose de nouveau dans le monde », de « crée[r] du nouveau, doublement à nouveau, par une action sur l’extérieur, mais aussi sur soi-même : « l’action volontaire réagit sur celui qui la veut, modifie dans une certaine mesure le caractère de la personne dont elle émane, et accomplit, par une espèce de miracle, cette création de soi par soi qui a tout l’air d’être l’objet même de la vie humaine. »
Bergson revient donc ici sur la distinction entre le « corps », avec ses limites spatio-temporelles, et « l’esprit » (souvent nommé « âme »), bien plus puissant : « cette chose, qui déborde le corps de tous côtés et qui crée des actes en se créant à nouveau elle-même ». Il dote l’homme d’une « force qui peut tirer d’elle-même plus qu’elle ne contient, rendre plus qu’elle ne reçoit, donner plus qu’elle n’a. »
HIDA : Les super-héros dans la bande-dessinée
Un héritage
Avant d’apparaître dans la bande-dessinée, les romans populaires du XIXème siècle, souvent parus en feuilleton, ont commencé à mettre en scène des personnages dotés de pouvoirs qui peuvent paraître exceptionnels. Mais leur rôle reste encore ambivalent. Certains, en effet, se distinguent dans le vol et le crime, tels Rocambole, créé en 1857, par Pierre Ponson du Terrail dans le premier tome des ‘‘Drames de Paris’’, L’Héritage mystérieux, ou Fantômas, héros de Pierre Souvestre et Marcel Allain né en 1910, sans oublier Arsène Lupin, le « gentleman cambrioleur » de Maurice Leblanc, en 1950. Mais leur force malfaisante se met aussi souvent au service des plus faibles et leur permet de rétablir l’ordre en résolvant des énigmes.
C’est ce rôle d’enquêteur que revêt Rouletabille, personnage de Gaston Leroux qui apparaît dans Le Mystère de la chambre jaune en 1907, mais ses pouvoirs relèvent seulement de sa pénétration psychologique et de sa force de déduction, et il n’y a en lui aucune zone d’ombre.
Mais tous ne sont-ils pas précédés par le héros éponyme du roman d’Alexandre Dumas, publié en 1844, Le Comte de Monte-Cristo ? Sa longue enquête et son immense fortune, dont l’acquisition reste mystérieuse, lui permettent à la fois de se venger de façon terrible des criminels qui l’ont injustement fait condamner mais, inversement, de secourir généreusement tous ceux qui lui sont restés fidèles, et même de délivrer de l’esclavage Haydé, la fille du pacha de Janina.
Les caractéristiques des super-héros de BD
C’est en Amérique du nord à la fin des années 1930 dans les magazines populaires appelés "comics", que les super-héros se multiplient dans la bande-dessinée de l’après-guerre, avec des personnages comme Fulguros, du dessinateur René Brantonne et du scénariste Henry Musnik, créé en 1947, Satanax (1948) du scénariste Jean d’Albignac et du dessinateur Auguste Liquois, ou encore Atomas créé par René Pellos et Robert Charroux en 1948.
Les histoires qui les mettent en scène dans leurs luttes contre les "méchants" se situent le plus souvent au carrefour de la science-fiction et du roman policier. Ils présentent des caractéristiques qui, toutes, mettent en valeur "l’énergie" surpuissante qui les anime :
Elle s’inscrit dans leur nom – ou surnom – tel Fulguros, dont le radical "fulgur" (du latin qui signifie « l’éclair ») renvoie directement à son surnom, « le maître du tonnerre », tandis que le suffixe « os » le rattache au grec, et l’on pense à la puissance de Zeus. De même, Atomas accompagne la découverte terrible à la fin de la seconde guerre mondiale de la puissance nucléaire, tandis que le surnom d’Arsène Satard, Satanax, indique la façon dont il peut se transformer en démon pour châtier les « méchants ». Il est fréquent, en effet, que les super-héros aient une double identité, vivant aussi une vie quotidienne ordinaire parallèlement au temps de leurs exploits.
HIDA-Le super-héros de BD
Ils possèdent des pouvoirs qui vont bien au-delà de ceux de l’homme ordinaire, des pouvoirs physiques innés parfois, mais le plus souvent dus à une technologie futuriste. Ainsi Fulguros recharge son « fluide », son énergie à partir d’une « mystérieuse machine » qui lui donne la capacité de tout voir et de tout entendre, et même de se déplacer dans l’espace. Ces pouvoirs s’incarnent dans son costume, destiné à mettre en valeur sa force physique tout en préservant son agilité, tandis qu’un masque accentue son mystère, et il hérite aussi de la large cape, marque historique de l’homme de pouvoir. Ils peuvent être aidés par toute sorte d’armes surpuissantes ou d’instruments leur permettant des actions exceptionnelles.
Enfin, le super-héros se distingue aussi par sa force morale, il prône la justice, la liberté, se montre endurant dans l’action et met sa puissance, comme au temps des chevaliers au service des plus faibles, en lutte, le plus souvent, contre des êtres – voire des empires - criminels et destructeurs de l’humanité ?
Dans la bande-dessinée, la multiplication des super-héros a accompagné un double essor : celui du roman policier et celui de la science-fiction. Il s’est ainsi créé un « type », promoteur de l’énergie à la fois destructrice des forces du mal et créatrice d’un monde meilleur.
Le super-héros démythifié
Mais cette image contrastée a pu ainsi permettre la caricature, dont le héros de Jacques Lob et Marcel Gotlib, né dans le magazine Pilote en septembre 1972, puis repris dans Fluide glacial, constitue un modèle : nommé Superdupont, fils du Soldat inconnu, il reste, certes, capable de voler dans les airs, mais son costume, associant les éléments traditionnels au béret à la française, aux pantoufles charentaises et à une ceinture de flanelle tricolore, traduit déjà, comme ses combats de boxe française contre les tenants de « l’anti-France », la volonté de tourner en ridicule le chauvinisme de ceux qui voient en tout étranger une menace à éliminer. D’où des gags qui tournent vite à l’absurde…
Pour voir un diaporama
DEVOIR : Commentaire
Texte : Maurice Barrès, Les Déracinés, 1897, chapitre premier, « Le lycée de Nancy », extrait
Le premier chapitre du roman de Maurice Barrès dépeint l’existence au lycée de Nancy, alors qu’en octobre 1879, vient enseigner, en classe de philosophie, un nouveau professeur, M. Paul Bouteiller. « Le patriarche ».
Le professeur en chaire, à Ault (Somme), 1903. Musée national de l'éducation
Pour lire le texte
Proposition de corrigé rédigé
Lecture personnelle : Joseph Kessel, L'Équipage, 1923
Pour lire le roman
La lecture du roman de Joseph Kessel, L’Équipage, paru en 1923, a été choisie pour nourrir l’entretien de la seconde partie de l’oral de l’EAF, en lien avec l’enjeu du parcours associé : « Les romans de l’énergie : création et destruction ».
Il sera utile d’approfondir les pistes de recherche suivantes :
-
Le lien à établir entre la vie de Kessel et le sujet abordé dans ce roman.
-
La structure du roman, afin de distinguer la part occupée par l’histoire d’amour et celle consacrée à « l’équipage ».
-
L’image de l’énergie en lien avec le contexte militaire.
-
La façon dont peuvent se justifier, dans le roman, les termes de « création » et de « destruction ».
Cette étude sera accompagnée de deux activités spécifiques :
Sur chacun des cinq extraits proposés, proposer quelques lignes d’analyse pour en dégager l’intérêt.
Pour lire les extraits
Écrit d’appropriation : Rédiger la première lettre envoyée par Jean Herbillon à Denise après ces premiers jours au camp militaire.