CORPUS : Jean de La Bruyère, Les Caractères, 1688-1694,V-X
Observation du corpus
Le corpus commence par une introduction, qui permet notamment de poser la problématique, et une présentation générale.
Puis il croise cinq explications détaillées d'extraits des Caractères, dont certaines conduisent à une lecture cursive comparative, à des études d'ensemble qui conduisent à des synthèses. Un exposé est proposé sur l'idéal de "l'honnête homme", ainsi qu'une étude du "portrait pictural" en Histoire des arts.
La conclusion fait un bilan des acquis, sur le style de La Bruyère, avec une révision des procédés de modalisation du discours, et répond à la problématique. Le contrôle sera réalisé à travers un commentaire composé.
Introduction
Pour voir l'introduction
On se reportera à l'introduction qui présente les points principaux de la biographie de La Bruyère, puis le contexte de l'écriture, dans ses dimensions politique, tant extérieure qu'intérieure, et culturelle.
La problématique : Comment La Bruyère fait-il ressortir les reproches qui parcourent sa peinture sociale ?
L'observation des titres des différentes sections au programme montre que La Bruyère y parcourt la vie en société, dans les salons mondains et son organisation, jusqu'à son sommet, le « souverain ».
C'est ce qui explique le choix de la problématique, orientée dans deux directions :
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Le mot « reproches » invite à s'intéresser à la dimension critique : quelles sont les cibles visées ? Quels sont ces « reproches » ? Par contrepoint, on s'interrogera sur les souhaits formulés par La Bruyère.
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Le verbe-clé de la problématique, « fait ressortir », introduit par l'adverbe de manière, « Comment », conduit à étudier les procédés mis en œuvre pour sa critique, choix du genre, de la tonalité, indices de la modalisation...
Présentation des Caractères
Pour se reporter à la présentation
Frontispice des Caractères, 1688
Après observation du frontispice de l’œuvre, sont analysés le titre et le sous-titre. Puis, à partir des chiffres romains qui précèdent les différents passages, on soulignera la volonté de La Bruyère d’enrichir constamment son œuvre, tout particulièrement dans la quatrième des huit éditions preuve aussi de son succès. C’est aussi une réflexion sur les titres des seize chapitres, définis, qui permet d’établir la structure d’ensemble, et la place qu’y prennent les chapitres V à X au programme.
Lecture cursive : la Préface
Pour lire la Préface
Il est demandé aux élèves de lire en autonomie la Préface, en effectuant une analyse précise de la première phrase et des deux dernières. Cette lecture est reprise collectivement de façon à dégager le principal objectif que se fixe La Bruyère : faire un « portrait […] d’après nature » du public, de façon à le « corriger » de ses « défauts ».
On attirera l’attention sur la double volonté caractéristique du classicisme : « On ne doit parler, on ne doit écrire que pour l’instruction ; et s’il arrive que l’on plaise, il ne faut pas néanmoins s’en repentir, si cela sert à insinuer et à faire recevoir les vérités qui doivent instruire. »
La fin du texte amène un relevé des formes d’écriture citées, « maximes », « remarques », « sentence », « descriptions », « peinture », « réflexions », et des procédés spécifiques mentionnés, auxquels que La Bruyère invite son lecteur à prêter attention: « par un raisonnement, par une métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une simple comparaison, par un fait tout entier, par un seul trait ».
Étude d'ensemble : "Du souverain ou de la république"
Pour lire le chapitre X
Le corpus commence par l'étude du chapitre X, qui couronne l'édifice social et permet de distinguer les conceptions politiques de La Bruyère, jugement sur la monarchie ou critique de ses dysfonctionnements. Le titre déjà est significatif :
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« Du souverain » (unique titre de la 1ère édition) est plus vaste que ne le serait « Du roi », car le terme renvoie à la fonction même qu’au personnage qui l’exerce. Il n’y aura donc ni anecdote, ni peinture pittoresque, forme de respect de La Bruyère et sans doute de prudence car, par sa charge, il est amené à fréquenter la cour et ambitionne aussi d’être élu à l’Académie.
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Le sous-titre, « ou de la république » élargit encore l’optique : la conjonction « ou » (qui a remplacé le « et » de la 4ème édition) lie étroitement la notion de « souverain » à celle de bien public, aux rapports entre le roi, l’administration de l’État et les sujets.
Lecture cursive : "Le berger et son troupeau", X - 29, édition VII
Pour lire le texte
La mise en place d'un tableau
Une "pastorale" : un monde idyllique
La Bruyère reprend ici un genre mis à la mode, la « pastorale », qui dépeint un monde rural idyllique, avec un calme décor champêtre, « colline » ou « prairie », aux couleurs douces et baigné dans la lumière paisible « vers le déclin d’un beau jour ».
Dans ce cadre viennent s’insérer les personnages, chacun à sa place, « le moissonneur » avec sa « faux », « le berger » avec « sa houlette », formant un monde d’harmonie, où les animaux aussi trouvent leur juste place : les « brebis », le « chien » dans son rôle d’animal domestique et protecteur contre le « loup avide », tel celui des contes traditionnels, mais qu’il « met en fuite » sans tarder.
François Boucher, Pastorale ou Jeune berger dans un paysage, entre 1739-1750. Huile sur toile, 90 x 121. Musée des Beaux-Arts, Caen
Le métier de berger
Au centre de la description, La Bruyère présente le métier de berger, sous une forme énumérative, au moyen de la parataxe, courtes propositions juxtaposées, en trois étapes.
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D’abord il souligne la position de ce berger, avec des adjectifs et des verbes qui soulignent sa supériorité et son rôle protecteur.
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Dans un second temps, il pose deux hypothèses, qui correspondent à deux menaces, l’une venue de la nature même du troupeau, l’autre de l’extérieur, mais toutes deux sources de désordre : « si elles se dispersent », « si un loup avide paraît ». En reproduisant au présent les réactions efficaces du berger, La Bruyère déroule la scène sous nos yeux, tout en lui donnant la valeur d’une vérité générale.
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Enfin une conclusion exprime la durée de sa tâche, la journée dont le rythme de la proposition illustre le cours puisqu’elle s’ouvre sur « l’aurore » et se clôt sur le coucher du « soleil ».
Le sens dévoilé
L'implication du lecteur
Pour donner à ce tableau sa valeur morale, La Bruyère accorde un rôle important à son lecteur.
D’emblée, il le place dans la position d’un témoin privilégié : « Quand vous voyez… » Ainsi les trois exclamations, « quels soins ! quelle vigilance ! quelle servitude ! », semblent prises en charge, non par l’auteur, mais par ce lecteur fictif.
Les questions oratoires, elles, transforment le lecteur en juge. Il est amené à répondre, implicitement, que la « condition » « la plus délicieuse et la plus libre » est bien évidemment celle des brebis, qui n’ont aucun souci et dont le bien-être est assuré. De même, sa réponse à la question de conclusion, le conduit à partager l’indignation de La Bruyère : il se range ainsi dans son camp.
La conception de la monarchie
Le tableau de La Bruyère nous ramène à l’origine de la fonction royale, quand le roi était encore « le berger » de son peuple. D’où ses trois obligations essentielles :
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assurer le bien-être matériel de ses sujets… mais est-ce le cas alors que se multiplient les famines et les guerres ?
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préserver la cohésion de son troupeau. Or les dissensions n’ont pas manqué sous le règne de Louis XIV, depuis la Fonde, jusqu’aux conflits religieux, par exemple la lutte contre le jansénisme, ou contre les protestants avec l’abolition de l’Edit de Nantes, en 1685, en passant par les « jacqueries » fréquentes
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les protéger contre « le loup », c’est-à-dire les ennemis prêts à les dévorer. Mais les guerres menées par Louis XIV n’ont pas toutes été défensives, et la fin de ce XVII° siècle a connu de nombreux échecs militaires.
La Bruyère introduit donc, à travers ce tableau, une critique de la conduite du royaume, en rappelant le sens premier de la monarchie dite « de droit divin » : le roi dépend devant Dieu de la prospérité de son peuple. Ainsi la triple exclamation suggère que c’est à lui que doivent revenir les soucis, qu’il ne s’appartient plus, contraint à une vigilance permanente ; quant à la « servitude », c’est une façon d’inverser le rapport de sujétion, souligné par la réserve « s’il est bon prince ». Enfin, monarque héréditaire, cette responsabilité lui incombe sa vie durant, de « l’aurore » au couchant.
Un blâme : le luxe excessif
Le dernier paragraphe critique le luxe que La Bruyère a pu observer dans ses fonctions de précepteur, à la Cour ou en fréquentant les « grands ». Le luxe s’étale, tel « l’or » repris cinq fois dans la phrase. Le paragraphe forme ainsi une allégorie, dont chaque terme est explicité : sous « le berger habillé d’or et de pierreries », il désigne Louis XIV dans son château de Versailles ; le « chien » avec son « collier d’or » et « sa laisse d’or et de soie » représente les courtisans, comblés de richesses et de récompenses, mais étroitement surveillés. Mais de quelle utilité pourra-t-il être contre « le loup avide » ?
Pour conclure
La Bruyère soutient la monarchie, mais souligne qu’elle est une charge difficile, un sacrifice de soi, une responsabilité écrasante. C’est là une idée originale pour son époque, qui privilégie les plaisirs de la Cour, les fêtes et les divertissements, mais aussi par rapport à la conception qui faisait du roi un être surhumain, bien au-dessus des simples mortels, ses sujets. Pour lui, la grandeur du roi ne se mesure pas aux apparences, mais au bonheur de son peuple.
Ce tableau, original, forme un apologue : les éléments métaphoriques invitent le lecteur à réfléchir sur ce que doit être la monarchie. Soucieux de limiter les excès, La Bruyère s’inscrit dans la lignée des moralistes chrétiens, afin de ramener l’homme, et même les « grands » ou le roi, à la « vertu », rejet des excès et de l’orgueil, faite de modération et d’altruisme.
Cette lecture cursive donne le ton à l’étude d’ensemble qui portera principalement sur deux éléments :
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l’image de la fonction royale, à partir d’extraits des remarques 34 et 35 notamment ;
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la dimension critique, avec une insistance sur le luxe, mais aussi sur la guerre. On s’intéressera aussi à sa vision péjorative des courtisans, tel Ergaste (§ 8), mais aussi du peuple, dont il se méfie.
Pour se reporter à l'étude d'ensemble
Explication n°1 : "Le portrait de Théodecte", V, 12
Pour lire le portrait
Dans le chapitre V, « De la société et de la conversation », La Bruyère propose une vision d’ensemble des comportements qu’il a pu observer dans les salons mondains, en mêlant des constats généraux et des réflexions morales à des portraits, tel celui de Théodecte, introduit dans la 5ème édition, en 1690. Nous nous interrogerons sur le rôle joué par la mise en scène du personnage. La formule « mise en scène » est particulièrement adaptée, car La Bruyère nous fait assister à une petite comédie en cinq actes : une exposition, l’entrée de Théodecte, puis trois moments pour illustrer son caractère, la conversation, le repas, le jeu, avant le dénouement qui conclut le portrait.
L’entrée en scène de Théodecte (des lignes 1 à 3)
L’emploi du « je » transforme le narrateur en spectateur d’une pièce de théâtre, qui présente le personnage depuis les coulisses, en accentuant le niveau sonore : « J’entends Théodecte de l’antichambre ; il grossit sa voix à mesure qu’il s’approche ; le voilà entré : il rit, il crie, il éclate ». La parataxe semble reproduire le rythme de son entrée en scène, sa démarche ainsi solennisée, et la gradation ternaire, avec les jeux sonores, allitération en [ R ] et en [ k ], glissement de l’aigu du [ i ] à l’ampleur de la voyelle ouverte [ a ], souligne immédiatement la caricature : « le voilà entré : il rit, il crie, il éclate ». Aucune autre précision physique ne nous est donnée : comme pour un acteur, sa voix suffit à imposer sa présence.
Mais la réaction des assistants, avec leur gestuelle comique, met en valeur la gêne ainsi occasionnée, imagée par la métaphore : « on bouche ses oreilles, c’est un tonnerre. »
Une conversation grossière (des lignes 3 à 8)
Joseph-Nicolas Robert Fleury, Une lecture chez Madame de Sévigné, 1833. Huile sur toile, 483 x 667. Coll° privée
Le parallélisme introduit par la comparaison fait ensuite glisser le portrait du « ton », qualifié par l’hyperbole sonore, « grand fracas », au contenu même de la conversation de Théodecte : « Il n’est pas moins redoutable par les choses qu’il dit que par le ton dont il parle ». La critique porte alors sur le « caractère » du personnage, chargé de trois défauts. Le lexique péjoratif, le verbe « bredouiller », et le redoublement « des vanités et des sottises » associent sa prétention, gonflé de son importance, au vide de son esprit.
À cela s’ajoute l’irrespect de l’idéal du XVIIème siècle, celui de « l’honnête homme », jusqu’à la grossièreté que traduit la gradation : « Il a si peu d’égard au temps, aux personnes, aux bienséances, que chacun a son fait sans qu’il ait eu intention de le lui donner ». L’antithèse met à nouveau en valeur sa bêtise puisque, tout plein de lui-même, il ne prête aucune attention aux autres et n’est même pas conscient des insultes qu’il lance ainsi : « il n’est pas encore assis qu’il a, à son insu, désobligé toute l’assemblée. »
La Bruyère nous donne donc ici l’exemple parfait du manque de bienséances, à l’opposé de l’attitude attendue dans un salon.
Le repas (des lignes 8 à 14)
La grossièreté de Théodecte
En suivant la chronologie, La Bruyère montre ensuite le moment du repas, nouvel exemple de l’égocentrisme irrespectueux du personnage, souligné par la répétition : « A-t-on servi, il se met le premier à table et dans la première place ». Il décide même de la répartition des convives, « les femmes sont à sa droite et à gauche », outrepassant son statut d’invité, d’où la question rhétorique, commentaire ironique du narrateur : « Est-ce lui, est-ce Euthydème qui donne le repas ? »
L’accumulation verbale poursuit la mise en scène, tel le jeu d’un acteur placé au centre de la scène : « Il mange, il boit, il conte, il plaisante, il interrompt tout à la fois » est repris par le constat plus général, « Il rappelle à soi toute l’autorité de la table ». La caricature se confirme ainsi, le manque de politesse du personnage se trouvant accentuée par les négations : « Il n’a nul discernement des personnes, ni du maître, ni des conviés Il n’a nul discernement des personnes, ni du maître, ni des conviés ».
La réaction des convives
Mais le blâme ne porte pas que sur Théodecte. Face à la grossièreté d’un tel convive, il serait normal, en effet, que les autres invités prennent du recul, une distance. Mais tel n’est pas le cas, bien au contraire, car ils n’osent pas montrer leur désapprobation, d’où le lexique péjoratif qui les associe à la critique : « il abuse de la folle déférence qu’on a pour lui. » Font-ils preuve de lâcheté en ne s’élevant pas contre ce comportement grossier : « Il rappelle à soi toute l’autorité de la table ; et il y a un moindre inconvénient à la lui laisser entière qu’à la lui disputer. » ? Ou bien, ont-ils peur de sa réaction, comme peut le suggérer l’idée que, sous l’effet de l’alcool et d’un riche repas, il perd toute modération : « Le vin et les viandes n’ajoutent rien à son caractère » ?
Le jeu (des lignes 14 à 16)
Le jeu est une occupation incontournable dans les salons mondains. Mais La Bruyère en profite pour poser un nouveau défaut, la malhonnêteté, car l’automaticité du gain sous-entend une tricherie : « Si l’on joue, il gagne au jeu ». Cependant, content de lui-même, à nouveau il se montre à la fois grossier et blessant : « il veut railler celui qui perd, et il l’offense ».
Cependant, à nouveau, personne ne vient s’opposer à ce comportement : « les rieurs sont pour lui : il n’y a sorte de fatuités qu’on ne lui passe. » Tout se passe comme si, face aux « fatuités » d’un puissant, la société s’inclinait avec bienveillance. Tous lui servent ainsi de faire-valoir, ce qui ne peut que l’inciter à se comporter ainsi.
Le dénouement (de la ligne 16 à la fin)
Le dénouement intervient avec le départ du narrateur-spectateur, qui met fin à la comédie. Son choix contraste, certes, avec celui des convives, capables de faire preuve d’hypocrisie ; mais, finalement, il n’intervient pas davantage, car c’est sa fuite que le redoublement verbal met en valeur : « Je cède enfin et je disparais, incapable de souffrir plus longtemps Théodecte, et ceux qui le souffrent. » C’est plus une forme de dégoût que La Bruyère révèle ainsi, et davantage une façon de se protéger lui-même, comme le montre la reprise du verbe « souffrir », que de lutter contre ses contemporains.
CONCLUSION
Théophraste avait déjà critiqué des bavards, dans « De l’impertinent ou du diseur de rien » ou dans « Du grand parleur », excessivement bruyants et importuns à leurs contemporains. Mais le portrait de La Bruyère est plus vivant : l'emploi du présent et le rythme des actions de Théodecte le rapprochent d'une courte comédie. Il illustre le contraire des bienséances réclamées de « l’honnête homme », des valeurs qui associent les règles de politesse à une forme de modestie discrète.
Cependant, face à cette critique, le lecteur s’interroge : de quelle puissance dispose ce personnage auquel personne, pas même le maître de maison, n’ose s’opposer ? Une explication de la flatterie dont fait preuve l’assistance est donnée par une "clé" du XVIIIème siècle, qui a vu en lui, le comte d’Aubigné, frère de Mme de Maintenon, favorite du roi au vu et au su de toute la cour. Cependant, en tenant compte bien sûr des valeurs de notre société actuelle, n'y a-t-il pas encore aujourd'hui de grossiers "Théodecte" ?
Lecture cursive : "Arrias", V - § 9, édition VIII
Pour se reporter au texte et à son analyse
Inscrit dans la même section que le portrait de Théodecte, « De la société et de la conversation », celui d’Arrias, lui aussi emprunté à Théophraste, reprend les mêmes critiques : tous deux ont un comportement qui contredit totalement l’idéal de "l’honnête homme". Comme Théodecte, Arrias manque de discrétion en société par son rire éclatant, veut occuper la première place, monopoliser l’attention par sa parole qui envahit l’espace. Le contexte du portrait, un repas « à la table d’un grand d’une cour du Nord » exige un respect des bienséances, ce dont Arrias ne se soucie aucunement.
Deux différences ressortent cependant :
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Pour caricaturer le personnage, le portrait de Théodecte accumule des actions, toute une gestuelle, tandis que les défauts d’Arrias sont mis en valeur par les discours, narrativisés et même directement rapportés, dont le narrateur commente aussi le ton tout en en dénonçant la fausseté.
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Un défaut est ajouté au portrait d’Arrias, le mensonge. Ainsi, là où nul ne réagissait face à Théodecte, ici, au contraire, l’intervention d’un convive amène le récit, telle une courte pièce de théâtre, à une chute qui fait sourire : le personnage se trouve démasqué.
Explication n°2 : "Le portrait de Clitiphon", VI, 12
Dans tous les chapitres au programme, La Bruyère s’emploie à dénoncer la place occupée par l’argent et le rôle qu’il joue dans les rapports sociaux, à une époque où les financiers sont indispensables à un État lourdement endetté. Un chapitre est particulièrement consacré à cette critique, « Des biens de fortune », titre intéressant car il met moins l’argent sur les riches eux-mêmes que sur les conséquences de leur richesse sur l’ordre social.
La Bruyère a multiplié les portraits au fil des éditions, et l’intérêt de celui de Clitiphon vient du contraste mis en valeur par sa structure. Comment l’opposition de deux types, l’homme d’argent et le philosophe, soutient-elle la critique et les valeurs prônées par La Bruyère ?
Pour lire le texte
1ère Partie : le philosophe chez Clitiphon (des lignes 1 à 11)
La situation mise en scène
Le narrateur s’introduit immédiatement dans le récit, se posant ainsi comme témoin de la situation, tout en commençant une longue interpellation du personnage : « Je vais, Clitiphon, à votre porte. » La Bruyère, partisan des Anciens, se souvient ici du monde antique, non seulement par le nom de son personnage, comme dans l’ensemble des Caractères, emprunté à une comédie du latin Térence, étymologiquement « celui dont la voix est illustre », mais aussi par l’allusion à la société antique. Le lexique renvoie, en effet, à cette réalité romaine où le « client » entretient une relation étroite avec son « patron », au service duquel il se met en échange de sa protection : « le besoin que j’ai de vous me chasse de mon lit et de ma chambre ». L’invocation polythéiste est soutenue par la forme verbale de l’optatif grec choisie dans l’exclamation, qui rappelle également le titre d’une satire d’Horace, « Le fâcheux » : « Plût aux Dieux que je ne fusse ni votre client ni votre fâcheux ! »
Mais les temps d’arrêt marqués par la ponctuation de cette première phrase et ce souhait inversent la situation antique : est sous-entendue la « porte » close, donc l’impossibilité de traiter avec Clitiphon.
Le renvoi
Même si le terme « esclaves » nous maintient dans le monde antique, la réalité est celle de la société du XVIIème siècle, où les domestiques imitent leurs maîtres puissants, comme le dénonce La Bruyère dans « De la cour » (§ 33), en faisant preuve du même mépris dans leur rejet, signalé par la négation restrictive : « Vos esclaves me disent que vous êtes enfermé, et que vous ne pouvez m’écouter que d’une heure entière ». En redoublant la visite, dont l’urgence est soulignée par la précision temporelle, c’est aussi l’humiliation qui est redoublée : Je reviens avant le temps qu’ils m’ont marqué, et ils me disent que vous êtes sorti. »
La dénonciation
La question qui apostrophe le personnage, d’abord neutre « Que faites-vous, Clitiphon », se charge d’ironie par l’emploi de l’adverbe d’intensité qui accompagne l’adjectif : « de si laborieux, qui vous empêche de m’entendre ? » L’hyperbole spatiale, « dans cet endroit le plus reculé de votre appartement », complète cet adjectif, en donnant l’impression que l’occupation du personnage est si importante qu’elle exige la retraite, le secret, le mystère.
Mais la réponse, qui nous fait pénétrer par l’imagination dans le cabinet de travail de Clitiphon, démasque cette apparence à travers l’énumération en decrescendo. La phrase passe du pluriel, complément d’un verbe péjoratif, « Vous enfilez quelques mémoires », à une action unique, « vous collationnez un registre », puis à deux courtes propositions, la seconde réduisant encore la première : « vous signez, vous parafez. » Le recul temporel soutient la critique, en imitant ce personnage, soucieux d’économiser son temps précieux : « Je n’avais qu’une chose à vous demander, et vous n’aviez qu’un mot à me répondre, oui, ou non. »
Le commentaire du narrateur
Ce dialogue fictif se poursuit dans la question oratoire : « Voulez-vous être rare ? » Elle traduit la volonté de Clitiphon de se donner de l’importance en se faisant « rare », à laquelle s’oppose la réponse injonctive : « Rendez service à ceux qui dépendent de vous », explicitée par l’assertion au futur de certitude : « vous le serez davantage par cette conduite que par ne vous pas laisser voir. » La Bruyère prône ainsi une vertu, l’altruisme, pour s’opposer au mépris de Clitiphon, preuve à la fois de son égoïsme, de son amour-propre, et de sa volonté d’imposer aux autres une fausse apparence.
B. Damman and V. Foulquier, « Attente dans l’antichambre », illustration des Caractères, éd. de 1885
2ème Partie : Clitiphon chez le philosophe (des lignes 11 à 24)
Une situation inversée
L’apostrophe à Clitiphon, avec la périphrase emphatique et lyrique, tout en le définissant, « Ô homme important et chargé d’affaires », se charge d’ironie puisque le portrait précédent a, au contraire, démythifié les occupations du personnage. Pour rendre vraisemblable cette situation inversée – car que viendrait faire Clitiphon chez le « philosophe » ? – La Bruyère la justifie, dans la subordonnée relative, « qui, à votre tour avez besoin de mes offices », par un thème traditionnel, qu’il reprend fréquemment dans son œuvre : la reprise du mot « besoin », qui ouvrait le portrait, traduit l’inconstance de la fortune, qui, si elle peut enrichir rapidement, par exemple par un héritage ou par le jeu, peut tout aussi rapidement ôter la richesse et le pouvoir, assertion renforcée par le présent qui l’actualise. Le destin des hommes est soumis à l'instabilité.
En une brève affirmation, l’inversion est alors immédiatement posée : « le philosophe est accessible ».
L'invitation
L’inversion reprend les étapes du portrait de Clitiphon, en quatre temps, étapes indiquées par les impératifs : « venez », « Entrez », « passez », et « Parlez ». Mais la chronologie se trouve modifiée, puisque La Bruyère présente d’abord le « philosophe » au travail avant de mettre en évidence son accessibilité, s’opposant ainsi point par point à la visite chez Clitiphon.
Il insiste, en effet, sur l’ouverture de l’espace, que le pluriel accentue encore : « Entrez, toutes les portes vous sont ouvertes ». Rien ne fait donc obstacle au visiteur. De même, aucun délai n’intervient : « je ne vous remettrai pas à un autre jour », « mon antichambre n’est pas faite pour s’y ennuyer en m’attendant ; passez jusqu’à moi sans me faire avertir. » La disponibilité du « philosophe » est totale, chaleureuse même, totalement contraire au rejet méprisant précédemment essuyé. Enfin, là où il y avait un refus de parole, même pour un simple « oui » ou « non », le discours se développe à présent par les questions multipliées aux lignes 22 et 23, avec l’offre de service.
Le « philosophe » : un portrait élogieux
Face au vide des occupations de Clitiphon, dérisoires, La Bruyère ouvre son portrait en s’appuyant sur l’étymologie du mot « philosophe », celui qui aime la sagesse. D’où la référence immédiate à celui qui illustre la philosophie, pour montrer la profondeur de l’étude : « Vous me trouverez sur les livres de Platon qui traitent de la spiritualité de l’âme et de sa distinction d’avec le corps ». En homme de son temps, La Bruyère y associe la connaissance scientifique, l’astronomie alors à la mode, passant aussi des connaissances livresques à des expériences pratiques : « la plume à la main pour calculer les distances de Saturne et de Jupiter ».
Voltaire : le philosophe dans son cabinet. Estampe, XVIIIème siècle
Mais il complète cette image par une double dimension :
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religieuse, avec le maintien de la perspective chrétienne qui considère que l’étude des sciences conforte la foi : « j’admire Dieu dans ses ouvrages » ;
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morale, avec l’affirmation d’une volonté de progrès intérieur: « et je cherche, par la connaissance de la vérité, à régler mon esprit et devenir meilleur.
Cela nous rappelle le titre de l’ouvrage d’un contemporain de La Bruyère, Bernard Lamy, paru en 1694, Entretiens sur les sciences, dans lesquels on apprend comment l'on doit étudier les sciences, et s'en servir pour se former l'esprit juste et le cœur droit.
Une vertu prônée : l'altruisme
La fin de cette visite fictive complète le portrait du narrateur, qui s’oppose ironiquement, par son généreux altruisme, à la nature même de Clitiphon, pour qui seule compte la richesse : « Vous m’apportez quelque chose de plus précieux que l’argent et l’or, si c’est une occasion de vous obliger ». À cette affirmation fait écho l’exclamation, « Quelle interruption heureuse pour moi que celle qui vous est utile ! », qui commente les deux questions : « Parlez, que voulez-vous que je fasse pour vous ? Faut-il quitter mes livres, mes études, mon ouvrage, cette ligne qui est commencée ? » En développant son offre de service, par ce decrescendo de l’occupation la plus large à la plus réduite, La Bruyère marque à la fois son comportement civil et respectueux, qui, n’est, en fait, que la forme sociale d’une bonté toute chrétienne.
3ème Partie : une réflexion pour conclure (de la ligne 24 à la fin)
Ces portraits antithétiques se ferment par une réflexion du narrateur qui généralise l’opposition des deux personnages, devenant ainsi des « types ».
Clitiphon : le financier
Une double désignation précise clairement la cible de la critique, jusqu’à présent non mentionnée, « Le manieur d’argent, l’homme d’affaires », en en donnant une définition particulièrement ironique par la métaphore animale : « un ours qu’on ne saurait apprivoiser », vivant « dans sa loge ». Cette critique est amplifiée par le jeu des négations sur le verbe « voir », avec un rythme qui réduit progressivement le personnage au néant : « on ne le voit dans sa loge qu’avec peine : que dis-je ? on ne le voit point ; car d’abord on ne le voit pas encore, et bientôt on le voit plus. »
Le narrateur : "homme de lettres"
Le connecteur, « au contraire », oppose à cette critique un éloge qui souligne la dignité de l’écrivain à une époque où il est souvent dévalorisé au point que plusieurs publient anonymement, comme d’ailleurs La Bruyère pour sa première édition, et placent leur œuvre sous la protection des puissants par une dédicace. Son rôle est présenté par la comparaison : il « est trivial comme une borne au coin des places », allusion aux marques qui figuraient à Rome dans les carrefours de trois voies. La répétition en gradation, « il est vu de tous, et à toute heure, et en tous états », suivie de l’énumération, par groupes binaires, de lieux, de vêtements, ou d’états physiques. Là où l’homme d’argent fait triompher une apparence mensongère, l’écrivain, lui, se montre dans toute sa vérité. Mais notons le glissement verbal final qui justifie cette transparence : « il ne peut être important, et il ne le veut point être. » Ne peut-on pas voir dans cette volonté de modestie, en fait, une absence de choix, imposée par la réalité, un statut inférieur de l’homme de lettres, donc une forme d’amertume ?
CONCLUSION
Ce texte, inséré dans la huitième édition, développe le portrait de N**, qui posait le même thème dans la remarque précédente :
N**, avec un portier rustre, farouche, tirant sur le Suisse, avec un vestibule et une antichambre, pour peu qu’il y fasse languir quelqu’un et se morfondre, qu’il paraisse enfin avec une mine grave et une démarche mesurée, qu’il écoute un peu et ne reconduise point : quelque subalterne qu’il soit d’ailleurs, il fera sentir de lui-même quelque chose qui approche de la considération. (VI, § 11, éd. IV)
Il combine l’art du portrait, ici par deux images contradictoires, où la satire s’oppose à l’éloge, à la persuasion propre au discours, puisque sa plus grande partie est une interpellation de Clitiphon. Il offre ainsi un double intérêt :
Il propose une vision socio-historique, en montrant la place prise, à la fin du siècle, par ces hommes d’argent dont l’État a besoin pour soutenir ses finances. Mais la critique de La Bruyère n’est-elle pas excessive, si l’on pense aux grands ministres et financiers qui ont servi Louis XIV ? Son attaque n’est-elle pas due à la blessure due aux mépris qu’il aurait pu subir alors qu’il était lui-même au service des grands ?
Il met en évidence le lien entre les vertus morales, générosité, altruisme, ouverture aux autres – avec leur fondement religieux – et les valeurs sociales : courtoisie, civilité, c’est tout un art de vivre, celui de "l’honnête homme", dont il regrette la disparition en ce temps où l’argent règne.
Explication n°3 : "Le portrait de Giton", VI, 83
Pour lire le portrait
Le chapitre « Des biens de fortune » précède ceux qui nous font parcourir les différentes classes sociales, indiquant ainsi la place prépondérante occupée par l’argent et le rôle qu’il joue dans les rapports sociaux. Dès la deuxième remarque du chapitre, « Une grande naissance ou une grande fortune annonce le mérite et le fait plus tôt remarquer. », La Bruyère marque le lien entre l’argent et le « mérite », c’est-à-dire le regard mélioratif porté sur celui qui a cet avantage. Avec les portraits contrastés de Giton et de Phédon, le chapitre se ferme sur cette même relation : comment l’élaboration du portrait de Giton met-il en place la critique ?
1ère Partie : le portrait physique (lignes 1 et 2)
Le portrait met d’abord l’accent sur le visage, avant de s’élargir progressivement comme pour reproduire l’entrée en scène du personnage, à la façon d’un acteur au théâtre.
Son visage reflète sa vie aisée, qui lui permet de bien manger : « Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes ». Son regard, son « œil fixe et assuré », traduit, lui, son sentiment de supériorité, confirmé par sa carrure et la façon dont il se tient. Il impose ainsi sa présence : « les épaules larges, l’estomac haut ». Le rythme de la première phrase semble reproduire, par l’énumération, le dernier trait mis en valeur à la fin, « la démarche ferme et délibérée » du personnage qui affirme sa présence à chaque pas.
2ème Partie : un comportement grossier (des lignes 2 à 6)
La Bruyère passe ensuite à la peinture du comportement de Giton, en multipliant les verbes d’action qui, par petites touches, confirment le sentiment de supériorité du personnage.
La conversation
Cela se révèle d’abord dans la conversation, qui joue un rôle essentiel dans la vie sociale du XVIIème siècle, comme l’a d’ailleurs indiqué, par le connecteur « et », le titre du chapitre précédent, « De la société et de la conversation ». La gradation rythmique des trois propositions de la phrase fait progresser la critique : « Il parle avec assurance » ne concerne, en effet, que le locuteur, sûr de lui, mais « il fait répéter » ne peut que gêner « celui qui l’entretient », en donnant à son interlocuteur l’impression qu’il s’exprime mal ou que sa pensée est confuse. Enfin, la négation restrictive met en valeur l’hyperbole qui suit, signe du mépris qu’il exprime ouvertement : « et il ne goûte que médiocrement tout ce qu’il lui dit. »
La gestuelle
Les gestes accumulés par la parataxe qui les juxtapose, contredisent totalement les règles de bienséance attendues de "l’honnête homme", fondées sur la discrétion. Au contraire, chez Giton, tout est amplifié, dans l’espace, « il déploie un vaste mouchoir », « il crache fort loin », comme pour le niveau sonore : il « se mouche avec grand bruit », « il éternue fort haut », et même « il ronfle en compagnie ». De plus, alors qu’à cette époque, la bienséance exige de ne pas manifester ce qui relève des fonctions corporelles, Giton, pour sa part, ne fait preuve d’aucune gêne pour les manifester en public. C’est sa grossièreté que La Bruyère met ainsi en relief.
Le parallélisme, « Il dort le jour, il dort la nuit », associe le comportement grossier en public, à une sérénité plus générale, signe d’une vie sans soucis sur laquelle insiste l’ajout « et profondément ».
Antoine Pezey, Louis XIV reçoit le serment de Dangeau, le 18 décembre 1695 (détail), XVIIIème siècle. Huile sur toile. Château de Versailles
3ème Partie : Giton en société (des lignes 6 à 14)
La toute-puissance de Giton
Une phrase générale introduit la façon dont Giton s’impose en société, dans les activités mondaines : « Il occupe à table et à la promenade plus de place qu’un autre. » La Bruyère reproduit ensuite, en juxtaposant les propositions, le rythme de la promenade, en soulignant à nouveau le rôle prépondérant de Giton, par l’opposition des pronoms. Le pronom « il » fait de Giton le sujet de toutes les actions : « il tient le milieu », « il s’arrête », « il continue de marcher », « il interrompt, il redresse », « il veut parler », « il débite ». Face à lui, les pronoms indéfinis, « on » ou « tous », renvoient à un groupe d’assistants, tous soumis, comme le souligne la conjonction « et », qui marque la conséquence dans le contraste symétrique : « il s’arrête, et l’on s’arrête ; il continue de marcher, et l’on marche ».
Une promenade à la cour
La réaction des assistants
Si La Bruyère blâme ce personnage irrespectueux des règles sociales, son blâme vise aussi une société qui lui reconnaît cette supériorité, d’autant plus scandaleuse à ses yeux que rien ne la justifie dans l’ordre hiérarchique : il est « avec ses égaux », et pourtant « tous se règlent sur lui. », se soumettant ainsi à son pouvoir. il s’arrête, et l’on s’arrête ; il continue de marcher, et l’on marche ». Or, ce pouvoir glisse du domaine social, quand « il interrompt », nouvelle marque de grossièreté, au domaine moral : quand « il redresse ceux qui ont la parole », ce verbe sous-entend une supériorité de l’esprit, comme si ses connaissances ou ses vertus, reconnues, l’autorisaient à corriger les autres. Mais nulle révolte, nulle critique, nulle opposition, comme le montre l’antithèse : « il interrompt », « on ne l’interrompt pas ».
Cette soumission est ensuite développée, accentuée dans le temps : « on l’écoute aussi longtemps qu’il veut parler ». Plus grave encore, aucun esprit critique de la part des assistants, « on est de son avis, on croit les nouvelles qu’il débite. » alors même que le verbe choisi par La Bruyère, « il débite », se charge d’une connotation péjorative, suggérant un bavardage frivole sans grand intérêt. Comment expliquer alors cette crédulité ? Le public s’efface-t-il devant celui dont la puissance est reconnue, et dont il vaut mieux ne pas se faire un ennemi ? Ou bien a-t-il tellement bien intégré la supériorité de Giton qu’il ne leur vient même plus à l’idée qu’elle pourrait être remise en cause ?
Une posture significative
Le portrait se termine comme s’il s’agissait de ces tableaux qui fixent le modèle dans une posture symbolique. Le lecteur est alors pris à témoin de la vérité du portrait d’un personnage qui se comporte comme un acteur se mettant en scène. L’énumération marque les étapes successives, du plus général au plus précis, de la posture d’ensemble à la mimique, jusqu’à la façon d’utiliser l’accessoire, le « chapeau » : « S’il s’assied, vous le voyez s’enfoncer dans un fauteuil, croiser les jambes l’une sur l’autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite ». S’associent ici l’ample mouvement, qui lui permet d’occuper pleinement l’espace, et le masque de sérieux adopté, jusqu’au mépris qui le conduit à exclure les autres. La force symbolique de ce jeu d’acteur est mise en évidence par les deux termes qui ferment la phrase, en lui donnant son sens : « découvrir son front par fierté et par audace. »
Pour illustrer le portrait de Giton
4ème Partie : le portrait psychologique (de la ligne 14 à la fin)
L’énumération finale, accumulant les attributs, complète le portrait par des traits psychologiques. Mais ce sont autant de contradictions qui révèlent toutes les libertés que peut prendre Giton. Tantôt, il se comporte en compagnon agréable en société, « Il est enjoué, grand rieur », tantôt, au contraire, il n’a plus rien de plaisant : « impatient, présomptueux, colère ». Tantôt, il prend le risque de s’opposer à la dévotion (qui règne alors à la cour sous l'influence de Mme de Maintenon), en se montrant « libertin », tantôt, au contraire, il est « politique », c’est-à-dire diplomate et respectueux des pouvoirs institutionnels. Mais le dernier trait, « mystérieux sur les affaires du temps », fait de tous ces traits autant d’artifices, qui lui permettent de se donner de l’importance en monopolisant l’attention. Le pire, apogée de la satire, est qu’il finit par être lui-même persuadé de sa propre valeur : « il se croit des talents et de l’esprit. »
C’est à la fin du portrait que, brutalement, La Bruyère en donne la clé qui explique chaque élément dépeint : « Il est riche. » C’est donc l’argent qui, à lui seul, a suffi à déterminer des comportements, et même à construire un caractère, remplaçant toutes les valeurs sociales et morales qui fondaient le mérite personnel.
CONCLUSION
Ce portrait vivant et rythmé, sous forme d’énigme dont la clé est posée à la fin, met en scène un personnage qui résume, à lui seul, les critiques formulées dans « Des biens de fortune », car il concrétise le rôle pris par l’argent à la fin du siècle. Dans cette société, déjà fortement hiérarchisée par les privilèges qu’accordent la naissance et les fonctions institutionnelles, ouvertes à « la cour » comme à « la ville », l’argent a introduit une hiérarchie supplémentaire, comme s’il offrait une supériorité naturelle, du même ordre, alors que rien ne la justifie ni socialement ni moralement.
L’argent est donc un puissant perturbateur, car il remet en cause l’équilibre de la société et les valeurs morales traditionnelles, deux données fondatrices du jugement que La Bruyère, conservateur, porte sur son époque.
Lecture cursive : "Phédon", VI - § 83, 2nde partie
Pour lire le portrait
En juxtaposant les deux portraits, qui forment ainsi un dyptique, La Bruyère fait de celui de Phédon le contrepoint de celui de Giton avec « Il est pauvre » comme clé finale. De même que la richesse expliquait le physique, le comportement et le caractère de Giton, la pauvreté impose à Phédon ses traits caractéristiques. Cependant, en modifiant à la fois la forme de la phrase et la structure du portrait, La Bruyère met en valeur certains détails, davantage développés.
La forme des phrases
Là où le portrait de Giton était constitué d’une accumulation de phrases affirmatives, qui illustrent la façon dont il impose sa présence et sa supériorité, dans celui de Phédon la parataxe accumule la formulation négative, soit à l'aide d'adverbes à connotation péjorative, tels « peu », mal », « froidement », « furtivement », « à peine »…, soit grâce à des négations : « ne… pas », « ne… jamais », « ne… point », « sans », « ne… que ». Ainsi, le personnage s’efface progressivement, d’abord par son absence dans la conversation, ensuite par sa démarche, « il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent », puis il semble disparaître complètement : « il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place ».
Par contraste, les phrases affirmatives montrent sa soumission totale aux autres. D’une part, il n’est plus en position de sujet : « on le prie de s’asseoir » ; D’autre part, des énumérations en gradation, en accélérant le rythme, accentuent son obséquiosité : « Il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis ; il court, il vole pour leur rendre de petits services. Il est complaisant, flatteur, empressé ».
Enfin, dans le portrait de Giton, les propositions sont très fort brèves, souvent des indépendantes ou une succession de verbes juxtaposés, ce qui reproduit l’assurance du personnage, sûr de sa supériorité. Au contraire, le portrait de Phédon introduit fréquemment des subordonnées, notamment les hypothétiques qui, en posant diverses situations, soulignent la vigilance continuelle du timide et craintif Phédon : « s’il le fait quelquefois », pour sa participation à une conversation, « il se retire si on le regarde », « si on le prie de s’asseoir, il se met à peine sur le bord d’un siège », et « si cela lui arrive » d’avoir envie d’éternuer, « c’est à l’insu de la compagnie ». La phrase s’allonge parfois, comme pour rendre compte de l’embarras de sa conversation ou pour mettre en valeur son déplacement dans l’espace par la multiplication du rythme binaire : « il n’y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu. »
Une structure modifiée
Le portrait comporte les mêmes éléments, le portrait physique, la démarche, la posture assise, la prise de parole, la gestuelle et les traits psychologiques et moraux. Mais certains changements dans la construction d'ensemble font ressortir les traits antithétiques. Par exemple, la nature de son sommeil est plus rapidement introduite : « il dort peu, et d’un sommeil fort léger ». Au contraire, La Bruyère repousse à la fin du portrait les manifestations physiques : « il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu’il soit seul pour éternuer ». Son comportement n’est plus alors le signe d’une louable bienséance, mais la négation ultime de sa dimension corporelle.
De plus, dans le portrait de Giton, les caractéristiques psychologiques sont accumulées à la fin, tandis que, dans celui de Phédon, elles sont mentionnées dès le début, « il est abstrait, rêveur, et il a avec de l’esprit l’air d’un stupide », pour introduire sa prise de parole, et se répartissent ensuite, pour introduire, à chaque fois, une nouvelle situation, par exemple « Il est complaisant, flatteur, empressé ; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur ; il est superstitieux, scrupuleux, timide », avant de le dépeindre en société. Le manque d’argent induit donc à la fois une inversion des valeurs, puisque « l’esprit » de Phédon n’est pas reconnu à sa juste valeur, et une dégradation morale, puisqu’il en arrive même à mentir. Dans ce monde, l’apparence l’emporte sur la réalité.
Enfin, notons le jugement sévère sur son époque que La Bruyère prête à son personnage, « chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. » Mais, en cela, ne ressemble-t-il pas au moraliste, dont il semble partager les frustrations et les critiques ?
Pour conclure
Cette combinaison des deux portraits permet à La Bruyère de conclure son chapitre sur le rôle corrupteur de l’argent, aussi bien par son excès que par son absence. Non seulement, les deux personnages s’opposent trait pour trait, mais ils s’opposent aussi par la façon dont eux-mêmes se jugent, fierté pour le premier, néantisation pour le second, et, pire encore, par la façon dont les autres, dupes de l’apparence, les jugent, respect pour le premier, déni pour le second. Dans ce monde, toutes les valeurs sont donc inversées. Mais La Bruyère lui-même ne fait pas plus preuve d’indulgence pour Giton que pour Phédon…
Histoire des arts : l'art du portrait pictural
Pour voir le diaporama
Le succès des Caractères est largement dû aux portraits, dont les contemporains se sont plus à chercher les « clés », c’est-à-dire les modèles. Sous l'influence de la Préciosité, il s’est aussi développé dans les salons, en prenant la forme d’un jeu, comme nous le montrent ceux de Célimène dans la scène 4 de l’acte II du Misanthrope. C’est pourquoi La Bruyère les a multipliés au fil des éditions, et nous trouvons dans son œuvre les deux types de portraits qui existent dans la peinture :
-
Le portrait officiel, ou portrait d’apparat, qui met en évidence la noblesse et la grandeur d’un personnage, par exemple dans « Du souverain ou de la république » celui d’un ministre (§ 12, § 21) ou celui du monarque idéal qui conclut le chapitre.
-
Le portrait intimiste, qui montre le personnage au sein de sa famille, ou dans une occupation familière.
Mais, là où les portraits de La Bruyère se chargent d’ironie, car ils visent une critique sociale et, souvent, morale, le portrait pictural, lui, se veut d’abord un miroir dans lequel le modèle peut se contempler, embelli.
Étude d'ensemble : la satire sociale
L’enchaînement des chapitres V à IX des Caractères illustre l’image que La Bruyère donne de la société : après la présentation générale dans « De la société et de la conversation », il nous fait découvrir, en suivant la hiérarchie sociale, de la bourgeoisie à « la ville » aux privilégiés à la « cour » et jusqu’aux « grands », tous ceux qui affirment leur rôle et la puissance qu’ils doivent à leur fortune ou à leur naissance. Mais aux yeux de La Bruyère les distinctions sociales ne sont qu’une apparence, car « [à] la cour, à la ville, mêmes passions, mêmes faiblesses, mêmes petitesses, mêmes travers d’esprit, mêmes brouilleries dans les familles et entre les proches, mêmes envies, mêmes antipathies. », et, quelque élevées que soient les conditions, « le fond, encore une fois, y est le même que dans les conditions les plus ravalées ». De ce fait, en contrepoint de la critique, ce sont les mêmes vertus que prône le moraliste en tous lieux.
Pour se reporter à l'étude de la satire sociale
Pour en savoir plus sur le moraliste
Recherche : l'idéal de "l'honnête homme"
Pour aborder la recherche
Les "courtisans", sous cette monarchie absolue qui s'affirme, veulent voir leur mérite reconnu. Ainsi se définit peu à peu un idéal de "l'honnête homme", explicité dans des œuvres comme L'Honnête homme ou l'art de plaire (1630) de Nicolas Fouet ou Discours sur la vraie honnêteté (1671-1677) du chevalier de Méré. Il s'agit de proposer un modèle social et culturel pour s'intégrer au mieux dans "le monde" que dépeint La Bruyère, dans cette société d'élite qui fréquente les lieux à la mode, les salons, la galerie du Palais-Royal, la Cour...
Cultivant l'art de plaire, "l'honnête homme" - ou femme, selon le rôle que le XVII° siècle accorde à celle-ci - doit rechercher, dans tous les domaines, la mesure et l'équilibre. L’exposé aura pour objectif de présenter les qualités alors attendues.
Explication n°4 : L'image de la cour, VIII, 74
Pour lire la description
Après la présentation générale de la société dans le chapitre V, La Bruyère passe à une satire plus ciblée, en mettant en valeur le rôle de l’argent dans « Des biens de fortune », puis en s’intéressant successivement à « la ville » puis à « la cour ». Dès la première édition, la remarque 74 en propose une description originale, qui annonce déjà la stratégie chère à Montesquieu dans ses Lettres persanes (1721) ou à Voltaire dans de nombreux contes philosophiques, celle du regard étranger : la satire s’élabore sous le masque du regard naïf d’un observateur.
En suivant les étapes de la description, nous montrerons comment la dénonciation est accentuée par la tonalité adoptée.
1ère Partie : le portrait des habitants (des lignes 1 à 18)
La formule qui ouvre cette description, « L’on parle d’une région… », rappelle l’énonciation d’un récit de voyage, mais semblable à un conte, puisque ce lieu reste inconnu – mais le titre du chapitre fait immédiatement comprendre au lecteur qu’’il s’agit de « la cour », de même que le narrateur, qui semble rapporter une sorte de légende. La description commence par le portrait des habitants, d’abord les hommes, puis les femmes, avant de faire un gros plan sur l’apparence physique.
Les hommes
La construction du passage repose sur l’opposition des générations, qui est aussi celle de deux temps historiques, la cour du temps de Louis XIII, représentée par « les vieillards » face à cette fin de siècle, avec « les jeunes gens ».
D’un côté, La Bruyère présente de façon méliorative l'ancienne cour, par l’énumération ternaire, « les vieillards sont galants, polis et civils ». Elle est encore marquée par la courtoisie médiévale – dont il est cependant permis de sourire car elle est pratiquée par des « vieillards ! – et où s’instaure aussi l’idéal de « l’honnête homme ».
Jean-Antoine Watteau, Les Comédiens français, vers 1720. Huile sur toile, 57 x 73. Metropolitan Museum of Art
De l’autre, une même énumération ternaire en gradation, soutenu par le glissement de la dentale aux sonorités sifflantes, blâme violemment les « jeunes gens », présentés comme dépourvus autant des valeurs morales que du vernis social : « durs, féroces, sans mœurs ni politesse ». Cette première critique se trouve prolongée par un double reproche. « [A]ffranchis de la passion des femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir », ils sont ainsi dépourvus des valeurs sincères relevant du cœur, remplacées par le goût de la débauche, excès dénoncé : « ils leur préfèrent des repas, des viandes, et des amours ridicules. » Nous reconnaissons l’ironie par antiphrase, dans l’éloge redoublé, « sobre et modéré », pour qualifier celui qui « ne s’enivre que de vin », comme s’il s’agissait là d’une vertu. Dans ce portrait, nous reconnaissons ici les libertins, de plus en plus nombreux à la cour, que seuls intéressent les plaisirs du corps, dont l’abus les oblige à toujours les intensifier : « l’usage trop fréquent qu’ils en ont fait le leur a rendu insipide ; ils cherchent à réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueurs les plus violentes ». Ainsi, « jeunes » encore, ils sont déjà blasés, usés par les excès. L’ironie atteint son point d’apogée dans la conclusion, « il ne manque à leur débauche que de boire de l’eau-forte », qui, par la négation restrictive, introduit une hypothèse absurde : « l’eau-forte » est, en effet, un acide fortement oxydant, utilisé notamment pour la gravure sur cuivre, dont l’ingestion conduirait à la mort !
Les femmes
Une longue phrase, toujours sur le ton du récit d’un voyageur, est consacrée à la satire des « femmes du pays ». Le reproche est double.
En premier lieu, La Bruyère critique, comme fréquemment dans son œuvre, le manque de naturel, dont il souligne l’échec : elles « précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu’elles croient servir à les rendre belles ». Il les dépeint comme s’il s’agissait d’une peuplade primitive, ignorante : « leur coutume est de peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules ».
Mais le second reproche les associe à la débauche déjà dénoncée pour les jeunes gens : leurs charmes, elles les « étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. » C’est donc leur manque de pudeur – pensons aux décolletés, et à l’usage des "mouches", suggestives – que blâme La Bruyère en interprétant la façon dont les femmes mettent en valeur leur corps.
Portrait, anonyme, d’une femme en Iris, identifiée à la marquise de Montespan, favorite de Louis XIV, vers 1660. Huile sur toile, 37 x 29. Musée de l’histoire de France
Un gros plan : les perruques
Le portrait se poursuit en soulignant l’étrangeté de ces habitants, indigènes désignés par une périphrase, « ceux qui habitent cette contrée », de même que celle, plus longue, qui désigne la perruque, plaisante feinte d’ignorance : ils « ont une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête : il descend à la moitié du corps ». L’exagération fait sourire, mais, comme pour les femmes, le plus grave est que le naturel est ainsi effacé, jusqu’à modifier la nature même de l’individu : la perruque « change les traits, et empêche qu’on ne connaisse les hommes à leur visage. »
Courtisan, à la fin du XVIIème siècle. Musée de la mode, Lille
2ème Partie : Dieu et le roi (des lignes 18 à 27
"Messe du roi dans la chapelle de 1682", gravure anonyme in l’Imitation de Jésus-Christ, édition de l’abbé de Choisy, 1692. BnF
La religion
La seconde partie du texte s’ouvre sur une phrase a priori élogieuse, puisqu’elle reconnaît que « ces peuples » ont de la piété et une organisation politique : ils « ont leur Dieu et leur roi ». La feinte du regard étranger, ignorant, se poursuit, par les définitions fictives, « un temple qu’ils nomment église » ou « des mystères qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables », et par le flou de l’indice temporel : « à une certaine heure ». Mais il s’agit en fait d’une critique, car, au rythme ternaire des adjectifs qui qualifient le rituel, « saints, sacrés, et redoutables », image d’un Dieu terrible, s’oppose la posture des assistants, qui traduit un irrespect sacrilège : « les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères ».
La religion est ainsi montrée comme une sorte de mise en scène, à laquelle toute valeur est déniée.
La monarchie
La fin de la phrase, toujours certifiée par le narrateur-témoin, renforce la critique par une attaque, non pas du roi lui-même – La Bruyère reste un partisan de la monarchie – mais de l’étiquette qui règne à la cour, liée à une monarchie dite « de droit divin », qui fait du roi un intermédiaire entre Dieu et ses sujets. Il se crée alors une substitution, que dénonce La Bruyère, car la foi religieuse est remplacée par la servilité des courtisans, uniquement préoccupés de plaire au monarque, « à qui ils semblent avoir tout l’esprit et tout le cœur appliqués. » Même si les verbes, « semblent », « paraît », introduisent prudemment le commentaire de ce « on » anonyme, La Bruyère met en évidence sa critique des courtisans qui font du roi une idole, par le lexique péjoratif et la répétition verbale : « On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de subordination ; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. »
"Louis XIV en prière dans la chapelle de Versailles", in Heures de Louis le Grand, II, 1693. BnF
3ème Partie : la clé de l'énigme (de la ligne 18 à la fin)
Comme souvent dans ses descriptions et ses portraits qui prennent la forme de l’énigme, la fin est censée en donner la clé, mais en poursuivant ici la fiction du récit de voyage par l’indication de la latitude : « Les gens du pays le nomment*** ; il est à quelque quarante-huit degrés d’élévation du pôle ». Mais cette "chute" se charge d’ironie en feignant de s’étonner que ce pays soit géographiquement si éloigné des peuples primitifs alors que ses coutumes et les comportements des habitants sont si étranges.
CONCLUSION
La stratégie adoptée par La Bruyère dans cette description lui permet de susciter l’intérêt de son lecteur en le faisant sourire par ce regard étonné d’un narrateur qui ressemble à l’explorateur d’un pays lointain. En créant ainsi une distance entre la réalité connue du lecteur, et sa présentation qui en souligne la bizarrerie, il le conduit à remettre en cause des mœurs et des comportements si habituels qu’ils lui paraissent normaux.
Mais, en parcourant les différents groupes humains, du plus général au particulier, les perruques, et jusqu’au plus haut de l’échelle sociale, les « grands » et le roi, La Bruyère, même s’il recourt à une ironie parfois féroce, et aborde avec audace les domaines de la religion et le fonctionnement de la monarchie absolue, est encore éloigné des critiques de ses successeurs du siècle des Lumières. Il reste un moraliste classique : face aux artifices de son temps, physiques ou moraux, il considère, comme dans l’antiquité, que la sagesse consiste à prendre la nature comme modèle et comme règle, et s’en prend plus aux abus et aux excès qu’à l’ordre social lui-même.
Explication n°5 : Le moraliste, IX, 53
Pour lire le texte
Ce texte, inclus dans le chapitre « Des Grands », qui succède à « De la ville » et « De la cour », s’y rattache étroitement. Il a été composé en deux temps : le second paragraphe intégré dans la quatrième édition, se présente comme une définition, contrastant avec le long ajout de la sixième édition, beaucoup plus critique. Comme fréquemment dans Les Caractères, La Bruyère y fait œuvre de moraliste, en dénonçant l’opposition, valable dans toutes les catégories sociales, entre l’apparence affichée et la réalité profonde. Comment le ton adopté par La Bruyère met-il en valeur sa critique morale de l’homme ?
1ère Partie : une introduction critique (des lignes 1 à 6)
Le blâme des passions
La longue phrase nominale frappe d’emblée par la brutalité de sa construction, une énumération de reproches, qui introduit d’emblée, par la récurrence du déterminant l’indéfini, « mêmes », l’idée d’une identité entre « la cour » et « la ville », reprise en chiasme de l’ordre des deux chapitres précédents.
Le lexique péjoratif, encore amplifié par le choix du pluriel, donne une image violemment critique de l’homme en général : en ouvrant l’énumération sur le mot « passions », La Bruyère s’inscrit dans le courant philosophique et moral de son siècle. Mais, loin de considérer, comme Descartes dans son Traité des passions de l’âme, paru en 1649, que les « passions » peuvent être utiles à l’action, il n’y voit que des dangers : conformément à l’étymologie du mot, du verbe latin « patior », subir, l’homme en devient la victime car elles n’induisent, à ses yeux, que des défauts qu’il accumule dans sa dénonciation.
Un conflit : "Figure allégorique de la Fronde". Gravure in Histoire populaire de la France, de Lahure, 1864
Les deux premiers termes précisant ces défauts, « faiblesses », « petitesses », réduisent déjà l’apparente grandeur qu’affiche l’homme en société, pour le montrer ensuite comme déformé par des « travers d’esprit ». La fin de cette phrase d’introduction s’amplifie encore par l’emploi du rythme binaire, d’abord pour élargir le trouble social induit par les passions, « mêmes brouilleries dans les familles et entre les proches », puis pour montrer qu’elles reposent sur des sentiments qui, même contradictoires, « envies » et « antipathies », ne peuvent que faire oublier la raison et la mesure pour conduire à des excès.
Généralisation de la critique
L’anaphore de l’adverbe spatial, « Partout », soutient cette image critique de l’homme, en généralisant l’idée des « brouilleries » par une nouvelle énumération. Cette phrase nominale se construit en deux temps, décroissant de sept éléments dans la première partie à cinq éléments dans la seconde ; mais, dans les deux cas, la répétition de l’adjectif « mauvais » souligne la critique des conflits générés.
Il commence par la situation au sein des familles, en soulignant, par le rythme binaire, les sentiments qui opposent « des brus et des belles-mères » et « des maris et des femmes », et qui sous-entendent l’échec des mariages, confirmé ensuite par le rythme ternaire : « des divorces, des ruptures, et de mauvais raccommodements ».
Il met ensuite l’accent sur la dimension psychologique. L’énumération souligne, d’une part la subjectivité irrationnelle, qui conduit à l’arbitraire, « des humeurs, des colères, des partialités », d’autre part le rôle nocif que peut jouer le langage dans ces conflits : « des rapports, et ce qu’on appelle de mauvais discours. »
Les conflits familiaux (« À tout péché miséricorde », « Qui n’entend raison veut le bâton »). Gravure vers 1660-1680. BnF
2ème Partie : pour comparer la ville et la cour (des lignes 6 à 17)
La fin du paragraphe entreprend de comparer les deux lieux, la « cour » et la « ville », en trois étapes : il pose d’abord sa thèse, la similitude, puis il établit des différences, ensuite niées brutalement.
La similitude affirmée
À ce à « ce qu’on appelle de mauvais discours », donc à la fausseté, La Bruyère, narrateur masqué par l’’indéfini « on », oppose la vérité de sa thèse, fondée, elle, sur une observation précise : « Avec de bons yeux on voit sans peine la petite ville, la rue Saint-Denis, comme transportées à V** ou à F**. » Les initiales nous rappellent le recours fréquent à l’énigme dans les remarques et les portraits de La Bruyère, ici facile à décrypter par l’opposition entre « la petite ville », adjectif qui reflète déjà le mépris de la cour pour Paris, lieu auquel quoi renvoie la mention de « la rue Saint-Denis », une des plus anciennes rues commerçantes de la capitale. Mais la phrase met en évidence l’identité des comportements, car seul le décor change, les hommes, eux, gardent les mêmes défauts.
Les différences apparentes
La description, ouverte par l’adverbe « Ici », renvoyant au lieu immédiatement cité, se place dans la perspective de la « cour », c’est-à-dire de la classe sociale dominante, d’où la récurrence du comparatif de supériorité. Mais La Bruyère s’emploie à détruire habilement chaque éloge formulé.
Dès le début, le verbe met en avant l’illusion de grandeur, « l’on croit », le pronom excluant ici le narrateur et renvoyant aux « grands », et les termes élogieux, « fierté », « hauteur », « dignité » contredisent le sentiment, négatif, « se haïr ». De plus l’adverbe modalisateur, « peut-être », introduit une distanciation, qui accentue la mise en doute de l’éloge. De la même façon, les qualités, « plus d’habileté et de finesse », en s’opposant à ce qui les motive, avec le pléonasme de l’adverbe « réciproquement » par rapport au verbe pronominal, suggèrent plutôt le recours à des ruses trompeuses. Ce sont donc les conflits qui triomphent.
Est ensuite dénoncé le rôle du langage, avec le décalage entre le signifié, « les colères », « des injures », et le signifiant, la forme, l’expression qui le masque : « plus éloquentes », « plus poliment et en meilleurs termes ». La symétrie souligne ce contraste entre l’apparence, ce beau langage tant prôné par les Précieux et parfaitement respecté, « l’on n’y blesse point la pureté de la langue », et la réalité : « l’on n’y offense que les hommes ou que leur réputation ». Au verbe « blesse », qui personnifie plaisamment le langage, fait écho « offense » mais la négation restrictive, au lieu de minimiser le défaut, l’amplifie en réalité par le double complément, « que les hommes ou que leur réputation », et par le bilan particulièrement péjoratif qui détruit totalement l’éloge : « tous les dehors du vice y sont spécieux ». Le moraliste exprime violemment son indignation contre le « vice », en redoublant son accusation d’un monde où les « dehors », les apparences, triomphent par leur séduction. Les bienséances ne sont donc qu’une tromperie, un voile qui cache une réalité bien plus sombre.
La ressemblance réaffirmée
Le connecteur « mais » introduit la dernière étape de la critique, inversant totalement la description par l’opposition entre « les dehors » et « le fond ». Par la reprise lexicale de « même », La Bruyère nous ramène à l’identité réelle de ceux qui ne sont différenciés que par une apparence trompeuse : « mais le fond, encore une fois, y est le même que dans les conditions les plus ravalées ». Le superlatif, « les conditions les plus ravalées », c’est-à-dire jugées inférieures et méprisées par « les grands », majore même cette similitude, renforcée par les antonymes ternaires qui répondent point par point à l’affirmation antérieure. Aux termes « fierté » et « hauteur » répondent, en un chiasme insistant, « tout le bas, tout le faible », et à « dignité » s’oppose « tout l’indigne ».
La conclusion du paragraphe démythifie ainsi l’illusion entretenue par les « grands », en une phrase dont la construction vise à généraliser la critique :
D’abord le rythme ternaire réunit, par la répétition hyperbolique du « si », « ces hommes », « ces femmes », et, au centre, « ces têtes » qui renvoie aux qualités d’esprit précédemment mentionnées. Ce rythme ternaire, martelé par la conjonction « ou », reprend également les raisons qui fondent la grandeur sociale : « Ces hommes si grands ou par leur naissance, ou par leur faveur, ou par leurs dignités ». Nous y reconnaissons ce privilège initial sous la monarchie, dû à « la naissance », mais aussi le rôle que peut jouer l’ascension sociale que permet la protection d’un puissant.
Puis c’est par le rythme binaire que La Bruyère poursuit sa reprise ironique des qualités attendues de « l’honnête homme » : « ces têtes si fortes et si habiles, ces femmes si polies et si spirituelles ».
"La grandeur des charges" : Hyacinthe Rigaud, Portrait des juristes et présidents du parlement de Provence, Cardin Le Bret et son père, 1697. Huile sur toile, 219 x 186. National Gallery of Victoria, Melbourne
Cette longue énumération se ferme par une généralisation du reproche : « tous méprisent le peuple », thème fréquemment repris dans Les Caractères car La Bruyère, peut-être parce qu’il l’a subi dans ses fonctions chez le Grand Condé, est particulièrement indigné par ce rejet.
La "chute" est alors brutale, avec une double signification. Le connecteur « et » marque d’abord une opposition, afin de démasquer ce qui, pour l’écrivain, n’est qu’une illusion de grandeur. Mais, en l'associant à la reprise lexicale, La Bruyère leur renvoie ce même mépris en remplaçant le nom, « le peuple », qui désigne ce que l’on nomme alors « le tiers-état », par l’adjectif, « et ils sont peuple », qui fait de leur comportement vulgaire l’essence même des « grands ».
3ème Partie : la définition du "peuple"(de la ligne 18 à la fin)
La Bruyère, qui a composé antérieurement ce paragraphe, a veillé à ce qu’il s’enchaîne parfaitement avec l’ajout qui précède en introduisant une définition qui élargit le sens de ce terme : « Qui dit le peuple dit plus d’une chose ». En écho à l’anaphore de l’adverbe « partout » introduite au début de la description, La Bruyère met en évidence l’espace que recouvre le terme, en suscitant la curiosité de son lecteur : « c’est une vaste expression, et l’on s’étonnerait de voir ce qu’elle embrasse, et jusques où elle s’étend. »
Le rythme binaire qui ferme la définition, soutenu par l’anaphore du présentatif « il y a », joue sur le double sens du mot, social et moral, sens propre et sens figuré.
Le premier sens, « le peuple qui est opposé aux grands », reprend le mépris de ceux-ci envers ceux qui sont désignés péjorativement, « c’est la populace et la multitude ». Rappelons qu’en cette fin de siècle la population se compose aux quatre-cinquième de paysans, la noblesse ne représentant qu’1,5%.
Mais le second sens, lui, fait intervenir, avec insistance, les valeurs morales : « il y a le peuple qui est opposé aux sages, aux habiles et aux vertueux ». Le mot « peuple » renvoie alors à ce « vice » dénoncé, à tous ces défauts précédemment dénoncés. À l’apparence, au paraître qui sépare les classes sociales, La Bruyère oppose la vérité intérieure, qui les regroupe dans une même nature, fondamentalement corrompue : « ce sont les grands comme les petits. »
CONCLUSION
Cette remarque repose sur le mot inducteur, « mêmes », lancé en introduction, autour duquel tout le développement se construit, car il est entièrement guidée par la volonté de remettre au premier plan l’égalité intérieure des hommes, qui partagent une nature identique, face à la hiérarchie sociale, fondée, elle, sur la seule apparence. La Bruyère porte ainsi un jugement sévère d’abord sur l’homme, en moraliste chrétien pessimiste puisqu’il montre à quel point il est soumis aux « passions », sources de tous les péchés. Déjà, dans « Des biens de fortune », il déclarait : « Les passions tyrannisent l’homme » (§ 50) Il s’en prend ensuite à sa société, dont il fait une sorte de décor de théâtre, brillant, dont il souligne à quel point ce n’est qu’une illusion.
C’est aussi cet objectif moral qui explique qu’ici l’écrivain ne choisit plus de faire sourire son lecteur par son ironie, parfois cocasse, mais lui préfère la tonalité polémique. Le rythme des phrases multiplie les accusations, assenées dès le début, avec des énumérations destinées à arracher tous les masques, dans un élan d’indignation que met n valeur le lexique violemment péjoratif.
Lectures cursives : deux visions du peuple
Pour lire les textes
Extrait N° 1 : la vision morale dans "Des grands", § 25
Nous retrouvons ce même élan d’indignation qui conduit le moraliste, dans la remarque 25 de ce même chapitre, « Des grands », à opposer la sincérité et le naturel du « peuple », aussi bien dans ses défauts que dans ses qualités, aux artifices des « grands », chez lesquels les vices sont profonds.
La construction de la comparaison souligne cette dénonciation, en amplifiant la critique des grands par le rythme binaire, plus insistant, en recourant à un lexique violemment péjoratif, notamment dans la métaphore, « une sève maligne et corrompue sous l’écorce de la politesse », et en leur appliquant toute une série de négations : « aucun bien », « n’ont point… », « n’ont que… » La formulation catégorique de sa conclusion affirme alors son choix : « Je ne balance pas : je veux être peuple. »
Extrait N° 2 : la vision sociale dans "Des biens de fortune", § 47
Ce second extrait, qui met l’accent sur les « biens de fortune », est lui aussi construit sur la comparaison des classes sociales : « quelques-uns » renvoie au peuple pauvre, « ailleurs » à ceux qui sont « riches », regroupés dans le pronom « on », noblesse et même « de simples bourgeois ».
La Bruyère exprime à nouveau son indignation. Il accentue le contraste entre les « misères », en gradation, et le luxe excessif, dénoncé avec force par l’opposition des chiffres, de ceux qui « ont eu l’audace d’avaler en un seul morceau la nourriture de cent familles. » Mais, parallèlement, il partage avec son lecteur son émotion, d’abord par une formule générale, « Il y a des misères sur le terre qui saisissent le cœur », puis en affirmant son engagement personnel : « Je ne veux être, si je le puis, ni malheureux ni heureux ; je me jette et me réfugie dans la médiocrité. » Ce terme est à prendre dans son sens étymologique, du latin « medium », l’état moyen, et il renvoie à une des clés de la sagesse antique, longuement développée chez Aristote, l’idée de « juste mesure », d’équilibre à trouver. C’est aussi le fondement même de l’idéal social de « l’honnête homme », l’absence de tout excès.
"La misère paysanne". Gravure pour illustrer la grande famine de 1693-1694
Conclusion
Réponse à la problématique
Pour approfondir l'étude du style
Rappelons la problématique posée en introduction : Comment La Bruyère fait-il ressortir les reproches qui parcourent sa peinture sociale ? Les études d’ensemble et les explications nous ont permis de répondre aux deux points soulevés par la problématique, portant sur le fond et la forme.
Les reproches
Nous avons parcouru les reproches adressés par La Bruyère à sa société, et tout particulièrement à ceux qui exercent un pouvoir, par leur naissance, par la fortune qu’ils ont pu acquérir – parfois par des moyens plus que contestables ! – et par les protections et les faveurs qu’ils ont su obtenir. Autant de reproches, qui révèlent, à l’inverse, les composantes de l’idéal de La Bruyère :
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Politiquement, face aux bouleversements provoqués par les "arrivistes", il soutient la monarchie et ne remet pas en cause l’ordre social. Ce sont les abus, les excès qu’il dénonce, souhaitant un retour aux valeurs morales chrétiennes traditionnelles.
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Socialement, ses remarques les plus sévères et ses portraits les plus caricaturaux visent ceux qui occupent une place ou adoptent un comportement que leur seul mérite ne justifie pas, et ceux qui transgressent une règle héritée de la sagesse antique, celle qui réclame en tout une juste mesure.
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Moralement enfin, il démasque ce que beaucoup s’emploient à cacher avec soin, l’âme pervertie par les passions dissimulée sous de séduisantes apparences, notamment par un langage élégant et habile.
La Bruyère donne ainsi l’image d’une société semblable à une scène de théâtre, où les acteurs, parés de beaux costumes souvent, sont, en réalité, des acteurs jouant des rôles, en qui tout est soit faux soit comique : le langage, les gestes, les mimiques… Son but est d’inviter son lecteur à dépasser le cadre de la scène, pour aller découvrir, dans les coulisses, la vérité des êtres, bien moins brillante…
Le style de La Bruyère
Au-delà des courtes maximes, parcourues lors des études d’ensemble, les explications choisies ont porté sur les portraits et les « remarques », des textes où les observations de l’écrivain le conduisent à formuler ses réflexions et ses conceptions. Nous avons pu ainsi mesurer trois des clés de l’écriture de La Bruyère :
La construction qui donne à chaque texte son unité et son sens, avec des jeux de rappels, d’échos ou, inversement, d’oppositions. Souvent, tout est mis en œuvre pour piquer la curiosité du lecteur, par une énigme par exemple, ou un questionnement, et amener à une "chute", créant un effet de surprise saisissant.
La variété des tonalités choisies, depuis le polémique, qui soutient son indignation, jusqu’à toutes les formes du comique – l'ironie et le burlesque transformant notamment ses personnages en marionnettes ridicules –, en passant par le pathétique, car il ne cache pas son émotion devant les injustices sociales.
Ces formes brèves lui permettent aussi un travail au sein même de la phrase, jouant sur les modalités expressives et les rythmes, choisissant avec soin le lexique le plus approprié et recourant aux figures de style propres à mettre en valeur l’expression. Ces procédés de modalisation restituent toutes les nuances de sa pensée.
Langue et méthode : la modalisation
Pour voir une analyse détaillée
Modaliser un énoncé, oral ou écrit, exige la mise en œuvre de procédés stylistiques qui permettent à l'auteur de manifester ses sentiments ou son jugement, auxquels s'ajoutent, pour l'orateur, le geste et l'intonation, le pathos et l’ethos selon Aristote. Étudier la modalisation d'un énoncé aide le lecteur à mieux percevoir l'attitude de l'auteur, ses rejets ou ses convictions, et à mieux distinguer la part de subjectivité qu'il introduit, la façon dont il cherche, par exemple, à l'entraîner dans son camp, à provoquer sa colère ou sa pitié, voire à se présenter comme une victime ou à se disculper d'une accusation.
- Quand il s'agit d'exprimer une plus ou moins grande certitude, un doute, une probabilité, de porter un jugement sur le bien/le mal, le juste/l'injuste, le beau/le laid, le vrai/le faux, on parle de modalisation évaluative.
- Quand il s'agit d'exprimer ses sentiments, le fait d'aimer/de détester par exemple, on parle de modalisation affective.
On nomme "modalisateurs" les outils de la langue qui servent à modaliser l'énoncé.
Devoir : commentaire
Pour lire le texte de Pascal
Commenter l'extrait des Pensées de Pascal (1623-1662), philosophe et moraliste chrétien du XVIIème siècle, portant sur "le divertissement".
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