L'idéal de "l'honnête homme"
Observation du corpus
Tout corpus s’organise en fonction de la problématique choisie pour traiter le thème retenu, en lien avec le XVIIème siècle, « L’idéal de l’honnête homme ».
L'introduction
Une introduction est indispensable pour définir les contours de l’étude, à commencer, puisque le corpus concerne le XVIIème siècle, par un rappel du contexte historique, social et culturel de cette époque. Il est important aussi, avant d’aborder les différents auteurs de cette période, d’expliquer quel a pu être leur héritage, d’abord de l’antiquité, puisqu’eux-mêmes ont revendiqué le fait de prendre pour modèles les auteurs grecs et latins, d’autre part de la Renaissance, à partir de la notion d’humanisme.
De là découle la mise en place de la problématique, c’est-à-dire de la question qui pose l’enjeu du corpus, « Comment les écrivains du XVIIème siècle posent-ils les critères propres à définir l’idéal de ‘‘ l’honnête homme’’ ? »
Déroulement de l'étude
Le corpus, outre les cinq explications de textes, de genres et de tonalités différentes, et les lectures cursives en écho, est enrichi par des documents et des recherches complémentaires. Il accorde une place à l’histoire des arts, ici le portrait pictural, qui se développe à cette époque.
La séquence comporte également deux exercices d’écriture : le premier, un écrit d'appropriation, permet de mieux comprendre les procédés stylistiques propres à la maxime, le second, en fin de séquence, propose le choix entre le commentaire et l'essai afin de s’entraîner à l’épreuve de français au baccalauréat.
Une lecture personnelle d’une section des Caractères de La Bruyère, « De la société et de la conversation », complète cette étude : guidée par un questionnement, elle conduit à la constitution d’un dossier qui sert de support à l’épreuve orale du baccalauréat.
La conclusion
Il est indispensable, en faisant un bilan des textes étudiés, occasion de construire une synthèse sur les caractéristiques sociales, culturelles et littéraires du XVIIème siècle, d’apporter une réponse claire à la problématique.
Il peut alors être intéressant d’ouvrir une réflexion sur les critères qui pourraient fonder un « idéal » moral et social à notre époque…
Introduction
Le XVIIème siècle : contexte historique, social et culturel
Pour revoir le contexte
Pour éviter les contresens et faciliter la compréhension des textes, il est utile de réactiver les acquis historiques. La vidéo proposée permet de concrétiser l'image de la société dans la seconde moitié du siècle.
Mise en place de la problématique
L’enjeu de l’étude est de construire une réponse à la question : « Comment les écrivains du XVIIème siècle posent-ils les critères propres à définir l’idéal de ‘‘ l’honnête homme’’ ? » Analysons-en les composantes :
Une époque, le « XVIIème siècle ». Mais les textes proposés s’inscrivent tous dans la seconde moitié du siècle, à l’époque où Louis XIV assied la monarchie absolue. Pourquoi ? Cela implique de comparer avec les conceptions antérieures, au temps de Louis XIII, d’où l’exposé qui propose une synthèse sur le « modèle héroïque ».
Le thème retenu, « l’idéal de ‘‘ l’honnête homme’’ », fait porter l’intérêt d’abord sur le sens même de la formule, d’où une recherche lexicale autour des termes « honnête » et « honnêteté ». On s’interrogera ensuite sur la notion d’« idéal » : elle induit un double mouvement, s’opposer aux réalités d’une époque, donc entreprendre de les critiquer, pour tendre vers la perfection de l’homme, dans toutes ses dimensions : physiques, sociales, intellectuelles, psychologiques, morales.
Au cœur de cette question, doit être explicitée la formule verbale, « poser les critères propres à définir l’idéal ». Il s’agit donc de dégager les principes indispensables pour atteindre, ou du moins chercher à atteindre, cet idéal.
Enfin, l’adverbe interrogatif, « Comment », amène à s’interroger sur le genre et la forme littéraire choisis par les auteurs et sur les procédés stylistiques mis en œuvre. Le corpus, en effet, comporte l’extrait d’une comédie, d’un roman, de plusieurs essais et de « maximes ».
Recherche lexicale
Pour consulter le site du CNRTL
Après avoir fait un remue-méninges pour mesurer le/s sens des termes « honnête » et « honnêteté » immédiatement proposés par des élèves, on se reporte à la définition proposée par le site du CNRTL (« Centre National de Ressources Textuelles et Littéraires »)
Devant l’adjectif « honnête », ou le terme « honnêteté », aujourd'hui nous pensons immédiatement à une qualité morale : la fidélité à une parole donnée, le respect de ses engagements, la sincérité, la volonté de ne pas tromper…, y compris dans le domaine intellectuel. L’« honnêteté » intellectuelle interdit, par exemple le plagiat, c’est-à-dire de s’approprier l’œuvre d’un auteur, musicien, écrivain… Très souvent, l’adjectif est alors postposé, et s’applique au domaine des affaires, du commerce, de la finance, donc en relation avec l’argent et la loi : un « homme honnête » s’oppose donc à celui qui cherche, sinon à voler, du moins à frauder, à contourner les lois.
Mais la définition présente d’autres sens, qualifiés de « vieillis », qui, tout en gardant une valeur morale, se rattachent davantage à la vie en société, en impliquant le jugement d'autrui. Ainsi, nous relevons l’idée de « respect de la décence, de la pudeur », parfois avec une connotation sexuelle, et de « conformité à la bienséance », c’est-à-dire aux règles de comportement valorisées dans la société, aux normes de politesse, de savoir-vivre, reconnues. Or, les sociétés évoluent, donc ces règles et ces normes changent : écrire sous forme de SMS aurait été impensable au XVIIème siècle. Elles peuvent aussi correspondre à des valeurs religieuses ou à des milieux sociaux. Ainsi, s’il suffisait de « toper » dans la main du vendeur en gage d’« honnêteté » pour conclure un marché dans les campagnes au XIXème siècle, dans la bourgeoisie, seul un contrat signé avait une réelle valeur. Même le vêtement peut jouer un rôle sur ce qualificatif « honnête » : une femme sortant sans chapeau, « en cheveux » comme on le disait encore au XIXème siècle, n’était pas considérée comme une « honnête femme ». Notons que, dans ce sens social, l’adjectif est normalement antéposé.
Notre étude nous conduira donc à comprendre ce que pouvaient être les normes sociales mises en valeur par les écrivains au XVIIème siècle, en les comparant à celles des siècles précédents mais aussi à celles de notre époque. Pourrons-nous ainsi dégager des normes intemporelles ?
L'héritage
Dans l'antiquité
Pour mesurer les valeurs prônées dans l’antiquité, il faut déjà rappeler qu’elles ne vont concerner que les « citoyens » libres, disposant d'un large temps de loisir, auxquels est d’ailleurs réservée l’éducation destinée à inculquer ces valeurs. Elles doivent fonder une vie sociale harmonieuse, d’où l’importance accordée à la sociabilité, donc aux conversations, aux activités partagées, qu’elles soient physiques, intellectuelles ou artistiques. C’est l’image qui ressort aussi bien dans les épopées homériques, par exemple dans l’Odyssée lors du banquet des Phéaciens, que dans les dialogues philosophiques de Platon, qui insistent sur les notions de justice, de pudeur, de respect des lois…
Cicéron, Traité des devoirs (De Officiis), 44 av. J.-C., livre I, § V et XXVII
Le paragraphe V
Cicéron fonde « l’honnêteté » sur « quatre sources principales », qu’il distingue nettement, en explicitant chacune d’elles :
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La première relève de l’esprit, de sa dimension rationnelle, puisqu’il s’agit de « découvrir la vérité » d’abord, donc de s’instruire, puis de « former de bons conseils », donc de pouvoir transmettre ses acquis à autrui. Il l’associe d’ailleurs aux termes de « sagesse » et de « prudence ». Notons que la comparaison et les choix lexicaux, dans « peut la saisir d'un regard perçant et prompt comme l'éclair, et tout aussitôt la faire comprendre », donnent l’impression que cette faculté est innée, et s’exerce immédiatement.
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La deuxième faculté citée, « maintenir la société humaine, en rendant à chacun ce qui lui appartient, et en gardant avec fidélité sa parole », mêle la justice et la morale, et renvoie au premier sens du terme « honnêteté » selon le dictionnaire.
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La troisième est une qualité plus intérieure : « déployer la grandeur et l'énergie d'une âme haut placée et invincible » relève d’une forme de dignité, mais qu’il rapporte plus loin à la condition matérielle de l’homme dans la société. En envisageant tour à tour l’homme qui possède « tous les biens du monde » et « celui qui les méprise », il souligne le fait que les conditions matérielles ne doivent pas influer sur l’« âme », qui doit conserver toute sa noblesse.
Pour lire les deux extraits
Cicéron orateur, statue de marbre, Rome
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La dernière qualité consiste « à mettre dans tout ce que l'on fait et ce que l'on dit cette convenance et cette mesure, qui est le cachet de la modération et de la tempérance. » Le terme « convenance », traduction du latin « decens » et « decorum », correspond à un comportement mesuré en société, que le paragraphe suivant va développer plus longuement.
Le paragraphe XXVII
C’est au grec que se réfère Cicéron pour définir le quatrième critère de « l’honnête », en choisissant le participe « πρέπον », du verbe impersonnel « il faut ». Or, il existe en grec un autre verbe de même sens, dont le participe est « δέον » ; mais celui-ci traduit une obligation liée aux circonstances, à une nécessité d’action. Au contraire, « πρέπον » a davantage une connotation morale, en lien aussi avec les règles sociales, d’où son association à l’idée de « bienséance » : « La bienséance est comme le reflet de l’honnêteté ». Son importance est telle que, par une série d’exemples, Cicéron l’associe à toutes les autres « sources » précédemment énumérées. Ces exemples sont le moyen de mettre en valeur les composantes connexes à la bienséance, c’est-à-dire la relation aux autres, aussi bien dans les « discours » que dans « ce que l’on fait », dans les actions. Justice, dignité, « grand cœur », autant d’exigences aux yeux de Cicéron, qui conclut par une image : « La bienséance est donc une certaine fleur de la vertu. »
Cicéron fait donc le portrait de « l’honnête homme » de son temps, instruit et pondéré, doté, par sa maturité d’un savoir-vivre qui lui permet de prendre sa juste place dans sa société, en entretenant avec ses semblables des liens fondés en justice et en morale.
L'humanisme de la Renaissance
Outre son Traité des devoirs, un autre ouvrage de Cicéron, De l’Orateur (55 av. J.-C.), révèle l’importance que ce philosophe accorde à la sociabilité, à travers sa première manifestation, la parole, dans son lien à la fois à l’esprit, à la raison, mais aussi à la civilité, forme d’attention portée aux autres.
C’est de lui, entre autres, que s’inspirent directement les penseurs de la Renaissance : ils reprennent bien des critères de cette « honnêteté » définie par Cicéron, complétée cependant par leur humanisme. Tous accordent, en effet, une grande confiance à l’homme, capable de s’améliorer, comme le proclame Jean Pic de la Mirandole dans son Discours sur la dignité de l'homme, écrit en 1486 et publié en 1504 : il souhaite y expliquer « pourquoi l'homme est le mieux loti des êtres animés, digne par conséquent de toute admiration, et quelle est en fin de compte cette noble condition qui lui est échue dans l'ordre de l'univers. » Il lui appartient donc de pousser au plus haut degré possible ses capacités physiques, artistiques, intellectuelles, d'où l'importance alors prise par l'éducation.
Léonard de Vinci, L'Homme de Vitruve, dessin à la plume, vers 1492, Galleria dell' Accademia, Venise
Pour lire les deux extraits
Baldassare CASTIGLIONE, Le Livre du courtisan, 1528, livre I
Premier extrait
Le premier extrait met l’accent sur l’instruction, définie par une litote : « Je veux que celui-ci soit plus que médiocrement instruit dans les lettres, du moins dans ces études que nous disons d'humanité », c’est-à-dire liées à l’antiquité. Il invite le courtisan à connaître des genres littéraires aussi divers que ceux pratiqués par les « poètes », « orateurs et historiens », et même à les pratiquer lui-même. Notons cependant que l’objectif n’est pas seulement un enrichissement culturel personnel, mais une sociabilité facilitée : « il ne manquera jamais par ce moyen de plaisants entretiens avec les dames, qui, à l'ordinaire, aiment ce genre de choses. »
Cependant, aussitôt est introduite une réserve morale, invitation à la mesure. Il ne faudrait pas que cet homme ainsi cultivé tombe dans l’excès, et, aveuglé par son amour-propre, étale son savoir pour en recevoir des éloges : « qu'en ceci comme en toute autre chose il soit toujours avisé et timide plutôt qu'audacieux, et qu'il se garde de se persuader faussement qu'il sait ce qu'il ne sait pas. » L’avertissement est souligné par la métaphore qui compare les flatteries aux « voix des sirènes »…
Baldassare Castiglione, Le Livre du courtisan, frontispice de l'édition française de 1538
Second extrait
Par la répétition de « je veux », c’est une véritable liste d’exigences, posées comme absolues, que dresse le comte, à commencer par le statut social. La conversation se tient à la cour, et le locuteur est lui-même noble, d’où sa volonté que « notre courtisan soit né gentilhomme, et de noble maison. » La noblesse serait, en effet, une garantie de « vertu », illustrée par l’image d’une « claire lampe », puisqu’elle privilégie le code d’honneur, le fait de ne pas déchoir par rapport à « ses prédécesseurs », ses aïeux.
Puis il passe aux qualités personnelles accordées « par nature ». Il place en première position l'esprit, « l’entendement », mais il insiste davantage sur les qualités physiques : « une belle présence de personne, et de visage, et aussi une certaine grâce ». Il s’agit donc d’abord de plaire par son apparence.
C’est aussi sa qualité de noble qui fait que son courtisan doit pouvoir se mettre au service de son prince, en tant qu’« homme de guerre », mais peut aussi être amené à défendre son honneur lors de « différents d’un gentilhomme à un autre », allusion à la pratique du duel. Il lui appartient donc de s’exercer au maniement de « toutes sortes d’armes à pied et à cheval », notamment à pratiquer l’art de l’escrime.
L’ouvrage de Castiglione constitue déjà par la forme du récit une démonstration de ce que doit être cet idéal du Courtisan, en peignant cette société élégante et noble, où chacun doit pouvoir participer à des plaisirs variés et, surtout, à des conversations où sont débattues toutes sortes de sujets. Il traduit aussi l’idéal humaniste, en recherchant, comme dans l’antiquité, le « καλὸν κἀγαθόν », c’est-à-dire l’harmonie entre le « beau » et le « bien », entre les qualités du corps et celles de l’esprit.
En cela, le "courtisan" annonce "l'honnête homme" du XVIIème siècle.
On proposera la réalisation d'un exposé pour présenter l'héritage à l'aube du XVIIème siècle, en développant les données suivantes.
Depuis l’antiquité où, à l’origine, le héros était un demi-dieu avant de s’incarner dans les guerriers de l’épopée homérique, l’image du héros s’est modifiée au cours des siècles. Il s’est vu doté des valeurs de la féodalité, marquée par le christianisme durant le Moyen Âge, auxquelles se sont ajoutées celles qui ont fondé l’amour courtois. Puis, à la Renaissance, l’humanisme a mis l’accent sur le développement équilibré entre l’esprit et le corps, comme nous l’avons vu chez Castiglione.
Une nouvelle évolution se dessine au début du XVIIème siècle, sous le règne de Louis XIII : est mise en avant une dimension aristocratique. L’héroïsme se fonde sur un code d’honneur qui impose des devoirs rigoureux, à accomplir jusqu’à la mort pour acquérir la gloire. On en trouve un éloquent témoignage chez Corneille, par exemple dans Don Sanche d’Aragon (1649) : « Et l’honneur aux grands cœurs est plus cher que la vie. », déclare le héros. Et il suffit de lire Le Cid pour constater que tous les personnages, hommes comme femmes, vieux comme jeunes, partagent cette même conception, qui oblige la passion amoureuse à céder devant le soin de la gloire. C’est aussi dans cette perspective que le cardinal de Richelieu, dans sa volonté d’asseoir la puissance du roi – et donc de souligner le mérite de ceux qui la soutiennent – a conçu en 1632, dans le Palais Cardinal (aujourd’hui Palais Royal) la Galerie des Hommes illustres à la gloire des grands hommes de l’histoire de France. Achevée en 1637, elle présentait 26 portraits (dont 3 femmes) « de grand format, encadrés d’emblèmes et de scènes historiques », commandés à deux peintres, Simon Vouet et Philippe de Champaigne.
Philippe de Champaigne, Louis XIII couronné par la Victoire, 1635. Huile sur toile, 228 x 175. Musée du Louvre
Molière, Le Misanthrope, 1666, acte I, scène 1, vers 145 à 166
Pour lire l'extrait
En 1666 est jouée la pièce de Molière, Le Misanthrope, dont le sous-titre "l’atrabilaire amoureux" illustre le caractère du héros, Alceste : l’atrabilaire, en qui prédomine, étymologiquement, la "bile noire", est un homme de mauvaise humeur, à la fois mélancolique et coléreux, d’où la contradiction avec le sentiment « amoureux », qui implique douceur, tendresse et confiance en l’être aimé. Le comble est qu’Alceste est amoureux de Célimène, femme coquette qui attire dans son salon les beaux esprits du temps, alors que lui-même proclame : […] je hais tous les hommes : / Les uns, parce qu’ils sont méchants, et malfaisants ; / Et les autres, pour être aux méchants, complaisants, / Et n’avoir pas, pour eux, ces haines vigoureuses / Que doit donner le vice aux âmes vertueuses. »
Pour voir le début de la scène : mise en scène de J.P. Miquel
Le dialogue dans la scène d’exposition oppose Alceste à son ami, Philinte, qui, loin de ce rejet catégorique, propose un autre idéal permettant la vie en société. Pour dégager les composantes de cet idéal, nous comparerons le portrait des deux personnages en présence.
Le portrait d'Alceste
Le nom du personnage vient du grec « αλκαίος », qui signifie « fort », et c’est cette force, dont il vient de faire preuve dans son rejet des comportements sociaux de son époque, que blâme Philinte.
Un homme du passé
La tirade de Philinte met en valeur une opposition chronologique, entre les réalités propres au siècle de Louis XIV, les « mœurs du temps », et Alceste, que les valeurs qu’il prône rejette dans le passé : « Cette grande raideur des vertus des vieux âges / Heurte trop notre siècle et les communs usages. » L’opposition entre les « vertus », c’est-à-dire les valeurs morales, que les philosophes stoïciens de l’antiquité notamment avaient mises en avant, et les « usages », loin d’être un éloge aux yeux de Philinte, est un reproche, car Alceste refuse ainsi la sociabilité qui s’impose dans la vie mondaine. En fait, selon lui, Alceste vit encore sous les normes morales des temps antiques, à présent dépassées.
Zénon de Kition, philosophe stoïcien. Statue de bronze, Larnaca, Chypre
Une sévérité excessive
Choisissant de prôner les « vertus », Alceste condamne ses contemporains qui ne les respectent guère, d’où la double injonction de Philinte qui souligne son intolérance : « Et faisons un peu grâce à la nature humaine ; / Ne l’examinons point dans la grande rigueur ». Il insiste ainsi sur le principal défaut d’Alceste, son excès de sévérité, une « grande raideur », marqué par la répétition adverbiale, « heurte trop », « Elle veut aux mortels trop de perfection », avec la diérèse qui souligne l’importance de cet idéal recherché par Alceste ; et le choix du lexique péjoratif qui qualifie, avec une hyperbole, son attitude de « folie à nulle autre seconde » confirme cette idée qu’Alceste dépasse les limites de la raison : « À force de sagesse, on peut être blâmable ; / La parfaite raison fuit toute extrémité ».
Un homme colérique
Enfin, Philinte signale une contradiction dans le caractère d’Alceste. Lui qui prône la « sagesse » et pose un idéal de « perfection » morale se laisse emporter par le « courroux ». Or, un sage devrait pouvoir se maîtriser, et éviter la colère, illustrée ici par l’écho au sous-titre : « votre bile ». Elle est d’autant plus blâmable qu’elle ne vise pas un cas particulier, mais s’exerce envers tous, puisqu’Alceste veut « se mêler de corriger le monde ». En cela, c’est aussi d’orgueil qu’il fait preuve, se jugeant supérieur à ses contemporains.
Le portrait de Philinte
Composé à partir du verbe grec « φιλεῖν », qui signifie « aimer », Philinte fait l’éloge d’un tout autre comportement, érigé en norme par le choix du pronom « nous », qui lui permet d’inviter Alceste à le suivre. Son ton est celui d’un conseiller, rendu didactique par les impératifs et la répétition de la forme impersonnelle « Il faut ».
Une forme d'indulgence
La tirade de Philinte s’ouvre sur une exclamation, qui introduit un appel à l’indulgence : « Mon Dieu ! des mœurs du temps mettons-nous moins en peine, / Et faisons un peu grâce à la nature humaine ». Cela ne signifie pas qu’il nie toute idée de « vertu », de morale ; il se montre d’ailleurs tout à fait lucide sur les « défauts » de ses contemporains : « J’observe, comme vous, cent choses tous les jours, / Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours », dont il reconnaît l’importance, puisqu’il les constate « à chaque pas ». Mais, en employant pour les hommes le terme « mortels », il rappelle à Alceste que les hommes restent imparfaits par leur nature même, d’où l’indulgence à leur égard : « Je prends tout doucement les hommes comme ils sont ».
Molière, Le Misanthrope : Alceste et Philinte. Frontispice de l'édition de 1719
La modération
Toute la tirade est donc une invitation à la modération : « La parfaite raison […] / […] veut que l’on soit sage avec sobriété. » Tout un champ lexical met en valeur cette recommandation : « mettons-nous moins en peine », « avec quelque douceur », « tout doucement ». Ainsi, à la « bile » qui caractérise Alceste, il oppose une autre humeur, le « flegme », qui définit un caractère calme, imperturbable, qui garde son sang-froid en toutes circonstances. Mais ce n’est pas pour autant un désintérêt, un choix d’indifférence ou de facilité, car cette attitude exige un effort pour se conserver la maîtrise de soi face aux abus de ses semblables : « J’accoutume mon âme à souffrir ce qu’ils font ». D’où sa conclusion : « Mon flegme est philosophe ».
La sociabilité
Le « misanthrope », étymologiquement « celui qui hait l’homme », ne peut que se couper de ses semblables. Or, le siècle de Louis XIV est celui où se développe la vie mondaine, « à la cour, de même qu’à la ville », puisque les salons s’ouvrent aussi bien aux bourgeois cultivés qu’aux nobles. Il est donc essentiel d’accepter un mode de vie « parmi le monde », de se plier aux « communs usages », règles de politesse et de bienséance, résumée par deux attitudes. La première remplace le pluriel « les vertus » par la formule « une vertu traitable », c’est-à-dire un comportement accommodant et conciliant, prêt à « fléchir au temps sans obstination ». Cette « obstination », refusée par Philinte et amplifiée par la diérèse, rime avec la « perfection » à laquelle aspire Alceste, rappelle la fable de La Fontaine, « Le Chêne et le Roseau » : « Je plie, et ne romps pas », déclare le roseau, mais c’est lui qui, contrairement à la résistance vigoureuse du chêne orgueilleux, triomphe de la tempête.
François-Hippolyte Debon, Le Salon de l’Hôtel de Rambouillet, 1863. Peinture à l’huile, 240 x 319. Musée d’art et d’histoire de Dreux
CONCLUSION
Cette tirade, offrant un portrait contrasté des deux personnages, le héros Alceste, le « misanthrope », et son ami Philinte, montre bien l’évolution de la société au moment où Louis XIV impose son pouvoir absolu. Alceste illustre les valeurs morales traditionnelles, ces « vertus » rigoureuses, prônées depuis les philosophes antiques, auxquelles se sont ajoutés les impératifs moraux du christianisme. Mais, dans une société qui privilégie la vie mondaine, l’esprit qui brille dans les salons où l’on cherche d’abord les divertissements, l’apparence l’emporte sous le regard d’autrui : il faut d’abord plaire et séduire. Ainsi, face à la colère d’Alceste, qui refuse tous les compromis, Philinte fait preuve de modération, d’indulgence envers ses semblables, pour vivre paisiblement dans sa société qu’il accepte telle qu’elle est. Il représente ce que l’on attend alors de « l’honnête homme », et Molière va faire rire des excès d’Alceste.
Antoine Gombaud, chevalier de Méré, Discours, « Des agréments », 1671-1677
Antoine Gombaud (1607-1684), chevalier de Méré, appartient à la petite noblesse de province, mais sa renommée lui vient d’abord, lorsqu’il séjourne à Paris, à partir de 1653, de sa fréquentation des salons, notamment ceux de Mme de Rambouillet et de la duchesse de Lesdiguières. Il y incarne le modèle de « l’honnête homme », notion dont il fait un véritable humanisme : « je ne comprends rien sous le Ciel au-dessus de l'honnêteté ; c'est la quintessence de toutes les vertus [...]. Cette science est proprement celle de l'homme, parce qu'elle consiste à vivre et à se communiquer d'une manière humaine et raisonnable ». (De la vraie honnêteté)
Dans un de ses Discours, « Des agréments », il distingue les « agréments de rencontre », tels la pratique d’un art, un talent acquis après un apprentissage, et ceux qui relèvent de la nature même de l’être, beauté physique, esprit brillant, valeurs morales… Sa pratique des salons l’a amené, en effet, à observer ses contemporains, et, s’il jette sur eux un regard lucide, souvent critique, il s’attache aussi à leur présenter un véritable manuel de « savoir-vivre » en société.
Pour lire l'extrait
1ère partie : la critique de Méré (des lignes 1 à 9)
Un constat sévère
L’extrait adopte un ton didactique. Ainsi, la phrase d’ouverture, avec le pronom indéfini « on » et le superlatif temporel, « le plus souvent », repris ensuite par « pour l’ordinaire », généralise l’observation et le conseil moral que propose Méré. Il pose sa thèse de façon catégorique : « Cette remarque est vraie en toutes les choses du monde ». Pour formuler sa critique, il oppose les verbes « plaire » et « déplaire », c’est-à-dire l’exigence sociale de son époque, une vie mondaine où « l’on cherche à plaire », idée reprise par « ce dessein de plaire », et le résultat, un échec : « on déplaît ». Méré se montre donc sévère envers ses contemporains.
Des exemples
Or, en définissant ce désir de plaire comme « je ne sais quelle curiosité », il marque par avance son échec puisque ce mot sous-entend une volonté d’attirer l’attention des autres, de les surprendre, donc il y a le risque de tomber dans l’excès, de mal choisir « les moyens » d’y parvenir.
Pour prouver cet échec, Méré prend à témoin son lecteur en énumérant différents exemples qui tous relèvent de la sociabilité : « on voit bien que cela ne tend qu’à divertir ou qu’à se rendre agréable. » Les premiers exemples renvoient à la pratique de la conversation. Il souligne d’abord l’importance de la parole, mais surtout le désir de briller en public en faisant preuve d’esprit, et, parfois, d’un esprit médisant : « Dire de bons mots qui ne sont pas bons, user de belles façons de parler qui ne sont pas belles, faire de mauvaises railleries ». La société est donc représentée comme une sorte de scène de théâtre où chacun veut jouer un rôle, d’où l’autre moyen de briller, par son apparence : « se parer de faux ornements et s’ajuster de mauvaise grâce ». Mais le jeu des négations et tous les adjectifs, péjoratifs mettent en évidence le ridicule d’un tel comportement, accentué par le superlatif : « et c’est la plus sûre voie pour se faire moquer de soi. »
Frontispice de l'édition de 1668 des oeuvres du chevalier de Méré
Méré ne remet donc pas en cause le désir de « plaire » en lui-même, mais la façon dont certains de ses contemporains exagèrent pour atteindre ce but.
2ème partie : l’art de plaire (de la ligne 9 à la fin)
L'éloge du naturel
En réponse à cette critique, Méré formule un conseil, rendu catégorique par le superlatif, la force du verbe « assurer », et la négation restrictive : « Le meilleur avis qu’on puisse prendre, c’est de ne rechercher que ce qu’on est assuré qui sied bien ». Sous la forme verbale, est ainsi mise en valeur la notion de « bienséance », clé de cette seconde moitié du siècle, qui se retrouve dans la vie sociale comme dans la littérature, fondement du « classicisme ». Pour atteindre cette « bienséance », une condition est aussitôt introduite, « Encore ne faut-il pas qu’il y paraisse d’affectation», c’est-à-dire que le comportement adopté doit rester naturel, n’être ni forcé, ni contraint.
Or, tous les exemples qui suivent sont autant de preuves que « plaire » naturellement est difficile, et sont autant de fautes de comportement, que Méré attribue en premier lieu aux femmes : « Il y a peu de femmes qui s’y connaissent. » Il retrouve là une critique traditionnelle, celle de la coquetterie excessive des femmes, qui remonte aux satiristes antiques.
Le ridicule des comportements
Trois exemples du ridicule par rapport à la bienséance sont donnés.
Le premier porte sur l’apparence physique : « Celle-ci veut être plus blanche que la parfaite beauté ne le souffre ». Méré fait ici allusion au maquillage de cette époque. La blancheur du teint, obtenue grâce au « blanc de céruse », qui ressort par le fard qui rosit les joues et le taffetas noir des mouches, est, en effet, un signe de noblesse. Mais certaines femmes appliquent une couche de cette poudre blanche tellement épaisse qu’elles perdent cette « parfaite beauté » faite de naturel et de mesure, d’où l’échec que traduit l’hypothèse : « et si elle était un peu rembrunie, on l’en trouverait plus aimable. »
Le second relève du caractère, une volonté de « charmer » là encore ridiculisée par l’hypothèse et la comparaison : « Cette autre croirait charmer le monde si elle pouvait devenir plus douce, plus retenue et plus enfant qu’une poupée ».
Nicolas Régnier, Jeune femme à sa toilette, 1626. Huile sur toile, 130 x 105. Musée des Beaux Arts de Lyon
Le dernier exemple, en gradation concerne le comportement : « et la plupart, pour être de bonne compagnie, ne cherchent que les manières de la cour. » La négation restrictive, « ne…que » met en valeur l’effort fait pour imiter ce qui est posé comme modèle, la « cour », comportement là aussi souvent dénoncé, par exemple par Joachim Du Bellay qui s’en prend aux « vieux singes de cour ». Le ridicule ressort du contraste mis en valeur entre l’apparence, feinte, ces « manières », et la valeur intrinsèque de ces personnes : « Mais ces manières, quand elles sont sans esprit, sont plus lassantes que celles de la campagne. » La condamnation est brutale, puisque ces femmes qui veulent paraître nobles, sont méprisées, étant rabaissées au niveau de simples paysannes, qui, au moins, ont le mérite du naturel.
Le point commun entre tous ces exemples est que toutes ces femmes, telles des actrices sur scène, jouent des rôles qui leur enlèvent toute vérité propre.
L'excès condamné
Mais, à travers un nouvel exemple d’excès, la condamnation est accentuée dans le dernier paragraphe par l’implication personnelle de l’auteur : « J’en connais aussi qui veulent trop de parure et qui sont plus aise d’être riches que belles. » Quand il s’étale sous les yeux par de « grands ornement », l'argent est une autre forme de masque qui cache la nature : « Les grands ornements nuisent quelquefois à la beauté. » C’est donc une autre forme d’échec par rapport à cet équilibre que prône Méré : « Quand une belle femme est si parée, on n’en connaît bien que les habits et les pierreries, du moins c’est ce qu’on a le plus regardé. »
CONCLUSION
Ce passage illustre ce qu’est la société mondaine sous le règne de Louis XIV. Dans la seconde moitié du siècle, la vie à « la cour » met en place des modèles, de comportement, de langage, et même vestimentaires, que « la ville » cherche en suite à imiter. Mais cette imitation conduit à ces excès que ridiculise le chevalier de Méré.
Il offre ainsi à ses lecteurs une sorte de "manuel" du parfait "honnête homme". Il le fonde sur deux critères essentiels, la mesure – comme la conseillait Philinte chez Molière – et le naturel, une forme de vérité : « Le parti qui plaît aux honnêtes gens est celui de la franchise et de la simplicité », affirme-t-il dans un autre de ses discours.
Lecture cursive : Baltasar Gracián, Oracle manuel et art de la prudence, 1647
Pour lire l'extrait
Quand, durant ce que l’on nomme « le siècle d’or » en Espagne, Baltasar Gracián compose Oracle manuel et art de la prudence, il s’agit, pour ce jésuite, de proposer, dans trois cents courtes maximes, des conseils aux hommes de pouvoir dont il est proche, un peu comme l’avait fait Machiavel dans l’Italie de la Renaissance. Ainsi, il construit le modèle d’une sorte de héros mondain, auquel il promet la réussite dans sa société, d’où cette vertu de « prudence » mise en valeur dans le titre.
Mais, quand cette œuvre est traduite en français, en 1684, son nouveau titre, L'Homme de cour, modifie cette perspective et la rapproche de ce qui est alors posé comme un idéal en France, celui de « l’honnête homme ».
Chaque maxime porte un titre qui en indique le thème.
Portrait anonyme de Baltasar Gracián, XVII-XVIIIème s., restauré, Graus
XI. Traiter avec ceux de qui l’on peut apprendre.
Le verbe « traiter », synonyme d’« agir », implique ici un échange, puisque Gracián ouvre sa maxime sur la « conversation. L’injonction de la première phrase marque l’alliance entre l’humanisme de la Renaissance et son désir d’« érudition », repris ensuite par les verbes « apprendre », « instruire », ou l’idéal de « prudence », de sagesse, et la vie mondaine qui se développe au XVIIème siècle, avec la notion de « politesse », associée au « plaisir ». Ces deux perspectives s’unissent au cœur de la maxime, et Gracián insiste sur la richesse de la conversation, aussi bien pour « ceux qui parlent » que pour « ceux qui écoutent ». Enfin, son conseil le conduit à définir « les bons courtisans » par une comparaison, qui rattache à nouveau cet auteur à un idéal caractéristique de l’Espagne de son temps, tout en prônant une forme de modestie : ceux « dont les maisons sont plutôt les théâtres de l’héroïsme que les palais de la vanité ».
Antoine Watteau, La Conversation, 1712-1713. Huile sur toile. Musée d’art de Toledo
CXXIII. L’homme sans affectation.
Gracián rejoint le chevalier de Méré dans son refus de l’« affectation », qui implique de souligner l’importance de montrer son « vrai caractère » : « tout ce qui est naturel a toujours été plus agréable que ce qui est artificiel. » Cependant, notons que ce rejet, rendu insistant par les série de comparaisons, n’est pas dépourvu d’une forme de dissimulation : « mieux on fait une chose, et plus il faut cacher le soin que l’on apporte à la faire, afin que chacun croie que tout y est naturel. » Est-il alors possible de parler de « naturel » ? Il y a chez Gracián une réelle ambiguïté quand il commente l’attitude de « l’homme adroit », dont le comportement relève tout de même d’une sorte de calcul, par exemple le souci de trouver le juste moyen pour faire reconnaître son « mérite » : « moins il paraîtra se soucier de le faire connaître, plus il excitera la curiosité des autres. » Finalement, l’apparence ne compte-t-elle pas autant que la vérité ? Même s’il insiste ici encore sur la modestie qui est une des qualités propres à « l’honnête homme », n’oublions pas que Gracián est un jésuite, donc qu’il maîtrise parfaitement l’art de la casuistique.
Jean-François de Troy, Lecture dans un salon ou Lecture de Molière , 1730. Huile sur toile, 74 x 93. Coll. particulière
CXLVIII. Savoir l’art de converser.
Si, dans la maxime XI, Gracián s’intéressait à la « conversation familière », cette maxime va plus loin, en faisant de la conversation un « art ». Il distingue alors deux types de conversations, celle qualifiée d’« ordinaire », et celle « de cérémonie et de respect ». Dans les deux cas, l’activité, sous le regard d'autrui, est présentée comme le fondement de la « réputation » : « il se fait un examen subit du mérite des gens. » D’où le conseil donné, qui rappelle aussi celui de Philinte à Alceste : « Le moyen d’y bien réussir est de s’accommoder au caractère d’esprit de ceux qui sont comme les arbitres de l’entretien. » S’adapter à chaque « cas », n’est-ce pas là aussi la règle de base des jésuites ? Mais sa conclusion, qui condamne tout excès, et surtout tout pédantisme, rejoint parfaitement l’idéal de « l’honnête homme » : « Parler à propos est plus nécessaire que parler éloquemment. »
Lecture cursive : Charles-Augustin Sainte-Beuve, Portraits littéraires, III, « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au XVIIe siècle »
Pour lire l'extrait
Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869) renouvelle, au XIXème siècle, la critique littéraire, en s’appuyant à la fois sur la biographie et sur les documents historiques qui accompagnent l’œuvre des auteurs. Ainsi, parmi ses Portraits littéraires, celui du « Chevalier de Méré », d’abord paru dans la Revue des deux mondes, l’amène à définir la conception que celui-ci se fait de "l’honnête homme".
Cet article est tout à fait adapté à un des sujets de l'épreuve écrite du baccalauréat, pour les sections technologiques, le résumé, dont la longueur est fixée à 300 mots.
"L'honnête homme" : une double exigence
Sainte-Beuve s’attache à replacer l’expression « honnête homme » dans le contexte de l’époque où écrit le chevalier de Méré, le XVIIème siècle, où il implique de trouver un équilibre entre une « acception légère », car il s’agit à la fois d’un art de plaire dans le respect des règles de la société mondaine, avec ses « agréments » et ses « bienséances », et des valeurs morales, « un fonds de mérite sérieux ». Or, vu que dans cette société mondaine, les dames jouent un rôle essentiel, ce sont d’abord elles qui jugent de cette qualité d’« honnête homme », d’où l’importance de leur « entretien » : elles aident à développer cet idéal chez les hommes qu'elles accueillent.
Un contexte : la vie de cour
Sainte-Beuve nous rappelle que la notion même d’« honnête homme » est lié à la condition sociale de la noblesse : libérés de toute contrainte professionnelle, les nobles disposent de tout le loisir nécessaire pour développer l’art de plaire. Leur noblesse les dispense, en effet, de tout intérêt personnel pour l’argent ou le pouvoir, et Sainte-Beuve, en mentionnant le qualificatif de « fainéants » que leur attribue le chevalier, signale qu’il n’est en rien péjoratif, bien au contraire : n’étant impliqués dans aucune affaire, les nobles peuvent se montrer aimables envers tous, et ne penser qu’à se faire apprécier. Homme du XIXème siècle, Sainte-Beuve déplore le contraste entre ce temps de liberté et son époque où même la noblesse participe au développement économique du pays et à la vie politique : « Être ce qu’on appelle affairé, c’est là proprement la mort de l’honnête homme. M. Colbert, par exemple, était affairé, et de nos jours, hélas ! chacun ne ressemble-t-il pas plus ou moins en cela à M. Colbert ? »
De l'art de plaire à la sagesse
En reprenant l’idéal de Méré, Sainte-Beuve insiste sur le fait qu’il s’agit d’un véritable art de vivre : « il faut prendre part à tout ce qui peut rendre la vie heureuse et agréable, agréable aux autres comme à soi. » Cela implique une sociabilité, ouverte à tous « même à ses ennemis », donc l’aptitude à plaire à tous, « même gratuitement et en pure perte ». À nouveau, nous notons la comparaison que fait Sainte-Beuve à sa propre époque, où chacun – et il cite en exemple un de ses contemporains, prudemment nommé par une initiale, « N. » – pense d’abord à son propre intérêt. C’est ce qui explique qu’il oppose l’inconstance des hommes de son temps à l’équilibre de « l’honnête homme » du XVIIème siècle, d’humeur égale en tout temps, en tout lieu, avec tous, quel que soit le degré de fortune : « la vraie honnêteté est indépendante de la fortune ; comme elle s’en passe au besoin, elle ne s’y arrête pas chez les autres ; elle n’est dépaysée nulle part . »
Sainte-Beuve montre ainsi que l’idéal d’« honnête homme » n’est pas seulement le « savoir-vivre », la politesse propre aux salons mondains du XVIIème siècle, une notion un peu frivole donc, mais la véritable sagesse de celui qui est capable de tolérance, d’ouverture aux autres, de maîtrise de soi. D’où sa conclusion : « son honnêteté n’est plus que la philosophie même, revêtue de tous ses charmes ».
Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1678, 1ère partie : "Portrait du duc de Nemours"
Pour lire l'extrait
Le roman de Madame de La Fayette, paru anonymement en 1678, se déroule en 1558-1559 à la cour d’Henri II. Ce roi a succédé en 1547 à François Ier dont le règne, sous l’influence de la Renaissance italienne, avait ouvert une période brillante à la cour, au Louvre ou dans les châteaux de la Loire, où se déroulent fêtes et divertissements. La noblesse y cultive toutes les élégances et une vie mondaine raffinée. C’est ce contexte que présente le début du roman, introduisant les principaux protagonistes du récit, avant que ne soit présentée l’héroïne, Mlle de Chartres, venue avec sa mère à la cour car elle est en âge de se marier.
Cet extrait présente quatre portraits, les trois premiers étant, en fait, le moyen de mettre en valeur le dernier, celui du duc de Nemours. Comment, malgré le recul temporel, ces portraits font-ils ressortir les qualités de « l’honnête homme » du XVIIème siècle ?
1ère partie : trois faire-valoir (des lignes 1 à 11)
La structure de l’extrait
Trois portraits se succèdent au début de ce passage : celui du duc de Nevers, du prince de Clèves, enfin du vidame de Chartres, trois personnages dont le titre souligne l’appartenance à la noblesse. Ainsi, les trois portraits mettent en valeur, en gradation, l’importance de leur naissance qui garantit le respect d’un code d’honneur, essentiel pour ne pas déchoir de leur rang. Est ainsi mentionné, pour le duc de Nevers, le fait que sa « vie était glorieuse », pour le prince de Clèves, qu’il « était digne de soutenir la gloire de son nom » ; enfin, pour le vidame, sa généalogie à elle seule suffit à garantir sa valeur : il était « descendu de cette ancienne maison de Vendôme, dont les princes du sang n’ont point dédaigné de porter le nom ».
Or, le commentaire du narrateur, permettant d’enchaîner le troisième portrait, qui se conclut sur une hyperbole, « toutes ces bonnes qualités étaient vives et éclatantes », à celui du duc de Nemours, occupant la seconde partie du texte, permet de mettre en avant la valeur exceptionnelle de celui-ci, accentuée par la réserve introduite par l’hypothèse à l’irréel du passé, « enfin il était seul digne d’être comparé au duc de Nemours, si quelqu’un lui eût pu être comparable », puis par le lexique hyperbolique : « mais ce prince était un chef-d’œuvre de la nature ». Les trois premiers portraits ont donc comme fonction première de préparer l’éloge du duc de Nemours.
Les qualités mises en valeur
La bravoure
Dans ce contexte la vie de cour, la noblesse est d’abord au service de son roi, d’où la première qualité mentionnée, celle des guerriers, la bravoure. C’est celle qui est mise en évidence pour le duc de Nevers « dont la vie était glorieuse par la guerre et par les grands emplois qu’il avait eus ». De même, pour son fils, c’est ce mérite que signale le premier adjectif qui le qualifie : « il était brave ». Enfin, cela se retrouve pour le vidame de Chartres qui « était également distingué dans la guerre », ce que confirment deux adjectifs : « vaillant, hardi ».
La beauté
Mais, dans ce monde de la cour où chacun est placé sous le regard d’autrui, il faut d’abord séduire. C’est ce que suggère déjà le premier éloge, celui du duc de Nevers qui « quoique dans un âge un peu avancé, faisait les délices de la cour », terme qui suggère qu’il reste capable de charmer ceux qui l’entourent. Or, le premier moyen pour plaire, le plus immédiat, est l’aspect physique, immédiatement signalé : « Il avait trois fils parfaitement bien faits ». Pour le prince de Clèves, le qualificatif « magnifique » associe cette beauté à une luxueuse élégance. Cela est encore accentué pour le vidame de Chartres par le redoublement « beau, de bonne mine », ce qui explique d’ailleurs son succès auprès des dames, « dans la galanterie ».
Jean Marais dans le rôle du prince de Clèves. Film de Jean Delannoy, 1961
Les qualités d'esprit
Sous-entendues pour le duc de Nevers qui a pu exercer de « grands emplois », elles sont explicites pour son fils : « il avait une prudence qui ne se trouve guère avec la jeunesse », c’est-à-dire une faculté de discernement qui traduit une forme de sagesse dans sa conduite. Enfin, le dernier adjectif de l’énumération des qualités du vidame de Chartres, « libéral », renvoie lui aussi à la formation de l’esprit, qui sait respecter les autres, se montrer ouvert, généreux et tolérant.
2nde partie : le portrait du duc de Nemours (de la ligne 11 à la fin)
Un éloge hyperbolique
Toutes les qualités précédemment citées dans les trois portraits précédents sont reprises pour le duc de Nemours, mais en étant poussées à l’extrême à partir du terme « chef-d’œuvre ».
Jean -François Poron dans le rôle du duc de Nemours. Film de Jean Delannoy, 1961
Les qualités physiques
Dans la phrase qui ouvre ce portrait, l’opposition lexicale entre la négation et le superlatif redoublé pose en premier le physique : « ce qu’il avait de moins admirable était d’être l’homme du monde le mieux fait et le plus beau ». L’accent est ensuite mis sur « son visage », lui aussi mise en valeur par les choix lexicaux, « une valeur incomparable, et un agrément ». Cela est complété par la mention de son élégance vestimentaire : « une manière de s’habiller qui était toujours suivie de tout le monde, sans pouvoir être imitée ». Nous mesurons ainsi ce qu’est cette vie à la cour, où chacun se trouve comme sur une scène, regardé de tous ceux qui cherchent des modèles. C’est ce que résume la conclusion qui accentue sa valeur par la généralisation et la négation restrictive : « et enfin un air dans toute sa personne qui faisait qu’on ne pouvait regarder que lui dans tous les lieux où il paraissait. »
Le comportement
Le portrait mêle les qualités d’esprit et leur traduction dans le comportement du duc. La formule élogieuse, « une valeur incomparable, et un agrément », porte, en effet, sur trois éléments, le « visage » se trouvant encadré par « son esprit », cité en premier, et « ses actions », qui en sont la conséquence. L’éloge est encore renforcé par la double négation du commentaire qui souligne à quel point ce personnage fait figure d’exception : « que l’on n’a jamais vu qu’à lui seul. »
Pour l’esprit, l’accent est mis sur « un enjouement qui plaisait également aux hommes et aux femmes » : pour plaire à la cour, il faut savoir sourire, trouver le bon mot d’esprit, se livrer à un aimable badinage. Enfin, un homme accompli doit pouvoir participer à toutes les activités de la vie de cour, qu’il s’agisse de la chasse, du maniement des armes, du jeu de paume, ou, tout simplement, de la danse : il avait « une adresse extraordinaire dans tous ses exercices ».
La galanterie
Pour assurer sa réputation dans cette cour, le jugement des dames est essentiel, il est donc particulièrement important de les séduire, elles-mêmes tirant leur prix de leur conquête. C’est ce que met en évidence la litote qui montre le succès du duc de Nemours : « Il n’y avait aucune dame, dans la cour, dont la gloire n’eût été flattée de le voir attaché à elle ».
Le bal à la cour : la princesse et le duc de Nemours. Film de Jean Delannoy, 1961
Aucun blâme ne s’attache à sa nature de séducteur, bien au contraire, ce sont les femmes qui témoignent de leur faiblesse : « peu de celles à qui il s’était attaché se pouvaient vanter de lui avoir résisté ; et même plusieurs à qui il n’avait point témoigné de passion n’avaient pas laissé d’en avoir pour lui. » Ainsi, le duc semble irrésistible, mais, en même temps, lui-même sait parfaitement répondre aux femmes qu’il attire : « Il avait tant de douceur et tant de disposition à la galanterie, qu’il ne pouvait refuser quelques soins à celles qui tâchaient de lui plaire ». Il se montre, en cela, un parfait "honnête homme" puisque son comportement reste discret ; il protège ainsi à la fois sa propre réputation et celle des femmes qu’il a pu séduire : « ainsi il avait plusieurs maîtresses, mais il était difficile de deviner celle qu’il aimait véritablement. » Cette discrétion respectueuse est la première qualité du galant homme.
CONCLUSION
À travers ces portraits, le début du roman à la fois introduit les personnages qui joueront un rôle essentiel dans l’action, et le contexte, indispensable pour éclairer les relations entre eux. Or, même si cette action est antérieure à sa propre époque, Mme de La Fayette illustre ici les valeurs qui fondent "l’honnête homme", en imposant un double devoir, en partie contradictoire :
-
d’une part, il faut avoir de l’éclat, "paraître" aux yeux d’autrui pour soutenir dignement son rang, par ses qualités physique, son esprit, sa bravoure, son élégance aussi ;
-
d'autre part, il faut fuir tout excès, dans une recherche permanente de discrétion, de retenue pour ne pas compromettre sa réputation.
Cet extrait prépare ainsi l’histoire d’amour qui va se nouer entre la princesse, jeune épouse du prince de Clèves, et le duc de Nemours, amour passionné, mais condamné par avance, à la fois par la présence d'un époux dont la dignité doit être respectée et par la personnalité d'un amant, soucieux de respecter celle qu'il aime. La princesse ne peut alors qu'elle-même s'inscrire dans ce même code d'honneur.
Histoire des arts : l'art du portrait pictural
Dans la littérature, le « portrait » prend une place croissante, en tant que genre littéraire autonome, mais aussi inséré dans le roman, souvent satirique. Le portrait devient aussi un jeu dans les salons, comme nous le montre Molière dans la scène 4 de l’acte II du Misanthrope, où Célimène s’y livre avec ironie.
Parallèlement, le portrait s’impose dans la peinture, comme en écho au goût pour les miroirs qui permettent de se contempler.
Deux types de portraits se développent alors :
-
le portrait officiel, ou portrait d’apparat, qui répond à la fois à la volonté d’affirmer la monarchie absolue et, pour ceux qui la servent, d’afficher leur grandeur ;
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le portrait intimiste qui correspond à une évolution sociale : peu à peu l’individu, qui affirme sa personnalité propre, comme l’avait déjà fait Montaigne, prend le pas sur le groupe familial ou social.
Pour voir le diaporama
François de La Rochefoucauld, Réflexions ou Sentences et maximes morales, IV, 1679 : "L'art de la conversation"
Pour lire l'extrait
Après l’échec de la Fronde, à laquelle il avait participé, le duc François de La Rochefoucauld (1613-1680) se consacre à la vie mondaine, et son œuvre littéraire est marquée par sa fréquentation assidue des salons, où il acquiert la réputation de courtisan idéal. Ses Mémoires, parues en 1662, révèlent déjà son sens de l’observation psychologique. Il publie ensuite, en 1664, un premier recueil de Maximes, œuvre à laquelle il travaille depuis 1658, auxquelles plusieurs rééditions apportent des ajouts. La pratique littéraire mondaine dans les salons favorise, en effet, des genres littéraires courts, lus en public et qui peuvent faire l’objet ensuite d’un débat. Mais, si les maximes du premier recueil sont très brèves, elles prennent de l’ampleur dans la dernière édition, telle celle intitulée « De la conversation » qui résume, à elle seule, tout l’art des salons. Comment l’échange lors d’une conversation permet-il de définir l’idéal de l’honnête homme ?
Le duc François VI de La Rochefoucauld, gravure, XVIIIème siècle
La sociabilité
L'importance de l'interlocuteur
Avant même d’évoquer celui qui prend la parole, La Rochefoucauld accorde une place essentielle à son destinataire. L’honnête homme, en effet, doit d’abord se préoccuper des autres, d’où l’ouverture de la maxime, en deux temps, d’abord un reproche, ensuite une in jonction :
-
Le reproche renvoie au défaut que La Rochefoucauld place toujours au premier plan, l’amour-propre, c’est-à-dire la recherche égoïste de son propre intérêt, de son plaisir personnel : « Ce qui fait que si peu de personnes sont agréables dans la conversation, c’est que chacun songe plus à ce qu’il veut dire qu’à ce que les autres disent. » Dans un salon, il s’agit, en effet, de briller, d’attirer l’attention sur soi, de s’acquérir une réputation de bel esprit, autant de désirs qui relèvent de l’amour-propre.
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L’injonction est marquée par la reprise des verbes d’obligation, « il faut », suivi d’« on doit », et le parallélisme met en évidence, face à la parole, le rôle de l’attention prêtée à l’interlocuteur, donc, paradoxalement, du silence : « Il faut écouter ceux qui parlent, si on en veut être écouté ».
Abraham Bosse, La Galerie du Palais, vers 1638. Eau-forte, 210 x 240. BnF
C’est cette injonction qui explique une exigence absolue, plusieurs fois reprise dans cet extrait : s’appliquer à l’analyse psychologique des interlocuteurs. Le rythme binaire, qui soutient de longues énumérations, renforce cette nécessité : « on doit, au contraire, entrer dans leur esprit et dans leur goût », parler « selon l’humeur et l’inclinaison des personnes que l’on entretient », enfin, ultime insistance, « On ne saurait avoir trop d’application à connaître la pente et la portée de ceux à qui on parle ». Finalement, c’est de cette attention aux destinataires que naît le mérite de la conversation ; elle a d’abord pour but de les mettre en valeur, d’où la place des pronoms personnels dans les obligations avancées : « montrer qu’on les entend, leur parler de ce qui les touche, louer ce qu’ils disent autant qu’il mérite d’être loué ». Cela implique donc de savoir s’effacer soi-même : « il faut leur laisser la liberté de se faire interrompre, comme on fait souvent. »
Le comportement du locuteur
Dans cette optique, le locuteur se met, en quelque sorte, au service du discours de son destinataire, et c’est cette complaisance qui lui vaudra la qualité d’« honnête homme ». La conversation devient ainsi une sorte de jeu, dans lequel la réussite consiste à laisser le pouvoir aux interlocuteurs : « Il est dangereux de vouloir être toujours le maître de la conversation ». Dans son rôle de moraliste, La Rochefoucauld impose au locuteur de « satisfai[re] aux devoirs de la politesse », qui consistent à ne pas se mettre en avant, à céder le pas à ses destinataires : « ne les presser pas d’approuver ce qu’on dit, ni même d’y répondre. » Pour ce faire, il développe, en gradation ternaire, une liste de comportements blâmables avant de conclure sur la juste attitude : « Il faut éviter de contester sur des choses indifférentes, faire rarement des questions inutiles, ne laisser jamais croire qu’on prétend avoir plus de raison que les autres, et céder aisément l’avantage de décider. » Tous ces éléments se ramènent à une qualité indispensable, la modération, c’est-à-dire la maîtrise de soi, d’où le double interdit, catégorique, aussi bien dans le comportement que dans le contenu du discours : « On ne doit jamais parler avec des airs d’autorité, ni se servir de paroles et de termes plus grands que les choses. »
L'art de la conversation
Une fois ces exigences remplies, La Rochefoucauld s’intéresse au contenu même de la conversation, mais, là encore, la forme l’emporte sur le fond, la façon de parler l’emporte sur le contenu des discours.
Les sujets de conversation
Dans les salons, mais aussi dans tous les lieux de sociabilité, se regroupent des esprits divers, ce qui exclut tout pédantisme, puisque converser est d’abord un art de plaire : « On doit dire des choses naturelles, faciles et plus ou moins sérieuses selon l’humeur et l’inclinaison des personnes que l’on entretient ». L’honnête homme est donc un homme cultivé, ouvert à toute conversation, comme l’illustre l’opposition entre le reproche, « parler trop souvent d’une même chose », et le souhait : « on doit entrer indifféremment sur tous les sujets agréables qui se présentent ». La conversation nécessite donc de trouver un juste équilibre, notamment dans la place que prend le locuteur dans les sujets abordés.
Corneille lisant Polyeucte chez Mme de Rambouillet, vers 1640-41. Gravure du XIXème siècle
D’un côté, en effet, dans l’injonction qui ouvre le troisième paragraphe, les indices temporels insistent sur une forme d’effacement du "moi" : « Il faut éviter de parler longtemps de soi-même, et de se donner souvent pour exemple. » Nous retrouvons ici l’assertion du philosophe janséniste, Pascal, dans ses Pensées, et le rejet de l’amour-propre : « Le moi est haïssable ».
D’un autre côté, La Rochefoucauld n’interdit pas l’expression personnelle. Mais, dans ces deux cas, qu’il s’agisse de ce qui relève du cœur ou de ce qui relève de la raison, des conditions strictes sont posées : « on peut dire ses sentiments, sans prévention et sans opiniâtreté, en faisant paraître qu’on cherche à les appuyer de l’avis de ceux qui écoutent. » L’exigence pour les « sentiments » repose donc sur deux refus liés à la notion d’excès, et nous retrouvons aussi la place accordée aux destinataires, à travers la volonté de partage. De même, pour les « opinions », les conditions exigent à la fois la mesure, et la reprise verbale antithétique négative rappelle le respect des interlocuteurs : « On peut conserver ses opinions, si elles sont raisonnables ; mais en les conservant, il ne faut jamais blesser les sentiments des autres, ni paraître choqué de ce qu’ils ont dit. »
Le masque adopté
Cependant, ce développement, enchaînant rejets et obligations, dépeint une société très codifiée, dans laquelle chacun, sous le regard d’autrui, finit par porter un masque. "L’honnête homme" serait-il alors celui qui sait parfaitement dissimuler sa vérité profonde ?
Tout un champ lexical renvoie, en effet, à ce qui pourrait être qualifié d’hypocrisie. Par exemple, face aux destinataires, en expliquant qu’il faut « louer ce qu’ils disent autant qu’il mérite d’être loué, et faire voir que c’est plus par choix qu’on le loue que par complaisance », s’il y a certes une atténuation, car il ne s’agit pas de se forcer à faire une louange imméritée, il y a tout de même une habileté à mettre en œuvre dans la flatterie. On peut également, se croire supérieur, l’essentiel est de le masquer : « ne laisser jamais croire qu’on prétend avoir plus de raison que les autres ». De la négation à l’affirmation, cette même expression verbale se retrouve dans les réactions que La Rochefoucauld invite à adopter : « se joindre à l’esprit de celui qui en a le plus, et pour ajouter ses pensées aux siennes, en lui faisant croire, autant qu’il est possible, que c’est de lui qu’on les prend. » C’est la même volonté de dissimulation que marque le blâme final : « ne jamais faire voir qu’on veut entraîner la conversation sur ce qu’on a envie de dire. »
Finalement, l’art de la conversation serait l’art de manipuler l’esprit de son interlocuteur, et, si l’on s’efface, c’est en fait pour mieux séduire : « Il y a de l’habileté à n’épuiser pas les sujets qu’on traite, et à laisser toujours aux autres quelque chose à penser et à dire. » Et, si l'on est « choqué », finalement, l'essentiel est de ne pas le « paraître », comme si le regard d'autrui pesait toujours, comme s'il était porteur d'une menace...
CONCLUSION
Ce texte dépasse le cadre traditionnel de la maxime ou de la sentence, car l’écrivain juxtapose, dans de courtes formules, à la fois des refus, autant d’accusations des excès et, surtout, de l’amour-propre présent en tout homme, et les obligations composant cette norme sociale qui fait « l’honnête homme ».
Derrière l’expression générale et impersonnelle propre au discours moralisateur, La Rochefoucauld place sous les yeux du lecteur l’image de cette société du XVIIème siècle. Entrent en conflit
-
le désir de naturel, d’ouverture, de respect d’autrui,
-
l’artifice d’un monde qui ressemble à une scène de théâtre, où chacun joue un rôle. D’où l’interrogation, légitime, sur la part d’hypocrisie qui entre dans cette « politesse » demandée à « l’honnête homme », et, en ce qui concerne le discours, dans ce que Pascal nomme « l’art d’agréer ». Rappelons d’ailleurs que l’étymologie du terme « hypocrite » renvoie aux acteurs du théâtre grec antique qui jouaient masqués…
Mais, pour le moraliste, la parfaite sociabilité doit, en fait, dépasser le jeu de l’apparence pour devenir une sagesse intériorisée.
Écrit d'appropriation : la maxime
Dans leur volonté, héritée de l’antiquité, de « plaire et instruire », les écrivains du XVIIème siècle cherchent à transmettre une leçon de sagesse, mais d’une façon propre à séduire des lecteurs souvent rebutés par de longs discours. D’où le rôle croissant des genres courts, tels les apologues – contes ou fables –, dans la poésie, les impromptus ou les bouts rimés, et, parmi toutes les formes prises par la réflexion, les maximes et les sentences. Même si les termes « maxime » et « sentence » se confondent souvent, déjà par leur objectif moral et leur brièveté, il y a, initialement, une différence entre eux.
-
La maxime, dérivée de l’adjectif latin « maxima », se veut l’expression « la plus grande », la plus vaste, la plus générale, d’une vérité sur l’homme, destinée à guider notre conduite.
CCIV.
Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir.
CCV.
La vertu n’irait pas si loin si la vanité ne lui tenait compagnie.
CCVI.
Celui qui croit pouvoir trouver en soi- même de quoi se passer de tout le monde se trompe fort ; mais celui qui croit qu’on ne peut se passer de lui se trompe encore davantage.
CCVII.
Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes. Les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent.
CCVIII.
Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien.
-
La sentence, elle, ne recherche pas forcément une expression originale, et elle propose davantage une observation subjective, une opinion formulée sur un ton solennel. Elle n’a donc pas forcément de fonction injonctive : au lecteur de poursuivre, à partir d’elle, sa propre réflexion.
Ainsi, les maximes peuvent se lire en dehors de tout contexte, tandis que les sentences sont fortement reliées à leur époque, à celui qui les formule.
Mais l’auteur n'est pas vraiment absent de la maxime : c’est toujours lui qui la crée à partir des aléas de sa vie et du regard qu’il jette sur sa société, sur ses semblables. Ainsi, La Rochefoucauld ne cache pas sa volonté de blâmer ses contemporains : « Voici un portrait du cœur de l’homme que je donne au public, sous le nom de Réflexions ou Maximes morales. Il court fortune de ne plaire pas à tout le monde, parce qu’on trouvera peut-être qu’il ressemble trop, et qu’il ne flatte pas assez. »
Mais les lecteurs apprécient-ils vraiment les maximes pour l’enseignement qu’elles dispensent ? En fait, leur vogue au XVII° siècle correspond aussi au goût, dans les salons mondains, pour le « beau style », l’expression recherchée, certes concise mais brillante. Ainsi, la maxime recourt tantôt au paradoxe, en jouant sur les antithèses et la forme négative, tantôt à l’ironie, et souvent elle se termine par une « pointe » plaisante, qui peut provoquer un effet de surprise, comme dans « L’intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé », toujours chez La Rochefoucauld.
Le style de la maxime
Observons les quelques maximes de La Rochefoucauld ci-dessus. Il sera possible d’y reconnaître :
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le jeu des antithèses, par exemple entre « paraître habile » et « le devenir » (CCIV) ou entre « les vrais honnêtes gens » et « les faux honnêtes gens » (CCVII) ;
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les oppositions lexicales, par exemple entre une qualité, « la vertu » et un défaut, avec l'ajout, ici, d'une personnification dans l’image : « si la vanité ne lui tenait compagnie » ;
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les parallélismes syntaxiques, avec la reprise de « celui qui croit », soutenant à la fois une opposition, entre « se passer de tout le monde » et « se passer de lui », et une gradation de « se trompe fort » à « se trompe encore davantage ». Le rythme binaire est fréquent : les deux compléments indirects, « déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes », s’opposent aux deux verbes, « les connaissent parfaitement et les confessent. »
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l’assertion catégorique, à la façon d’une définition de dictionnaire, enlevant toute place au doute : « Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien. » Cela explique l'emploi répété du pronom démonstratif, « celui qui ».
Pour en savoir plus sur les "genres moraux"
Cette brève analyse doit permettre de mesurer la concision de la maxime, qui doit frapper l’esprit du lecteur en le surprenant par un paradoxe. Chez La Rochefoucauld, elle traduit un jugement sévère sur la nature de l’homme, qui rappelle celui de Pascal évoquant « la misère de l’homme ». Mais, là où Pascal invite son lecteur à adopter une foi sincère, La Rochefoucauld, lui, en reste à lui proposer les clés pour devenir « honnête homme ».
À partir de ces observations, on proposera d’écrire 5 maximes "à la façon de La Rochefoucauld" sur le thème de « l’amitié ».
Jean de La Bruyère, Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, 1688-1694, « De la société et de la conversation » : "Arrias"
Pour lire le portrait
La Bruyère fait paraître, en 1688, Les Caractères de Théophraste, traduits du grec, avec Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle. Par l’ordre des termes dans ce titre, il s’affirme partisan des « Anciens » et se donne ainsi une caution morale utile ; la centaine de pages traduites dissimule ses réflexions personnelles, deux cents pages comptant quatre cent vingt remarques, essentiellement des maximes générales, et une douzaine de portraits, deux genres à la mode dans les salons.
Mais l’ouvrage, divisé en seize « sections », a tellement de succès – notamment les portraits dont les lecteurs cherchent la « clé » – que les rééditions se succèdent, dont la quatrième, en 1689, considérablement enrichie, la sixième en 1691, la première à être signée et inversion la taille des deux intitulés, enfin la huitième, en 1694, atteint un total de mille cent vingt remarques.
La Bruyère, Les Caractères, frontispice de l'édition de 1688
Le portrait d’Arrias s’inscrit dans la section « De la société et de la conversation », et prend pour modèle un portrait de Théophraste, « Le grand diseur », celui d’un bavard qu’il est impossible de faire taire, qu’il amalgame avec un autre portrait « Du débit des nouvelles », qui, lui, dépeint un homme qui se plaît à raconter des « faits remplis de fausseté ».
Comment la satire d’Arrias permet-elle de faire ressortir le comportement attendu de "l’honnête homme" ?
1ère partie : un personnage-type (des lignes 1 à 3)
La démesure
Dès l’ouverture du portrait la démesure du personnage est mise en évidence, d’abord par rythme binaire, avec le pronom répété et l’assonance : « Arrias a tout lu, a tout vu ». Le choix du passé composé, temps de l’accompli, jouant avec le présent de l’énonciation dans la définition qui suit, renforce l’assurance de ce bavard omniscient. Cela se trouve complété par l’adjectif ironique, qui résume son caractère : « c’est un homme universel ». Cet excès est la première faille par rapport à l’idéal de modération et d’équilibre en tout propre à "l’honnête homme".
Le masque arboré
Mais, parallèlement, La Bruyère fait de son personnage un acteur qui joue un rôle, car, tel le metteur en scène dans la coulisse, il glisse dans cette brève présentation, deux indices qui révèlent qu’il s’agit là d’une illusion, habilement construite : « il veut le persuader ainsi », « il se donne pour tel ». Puis l’accusation se fait directe, avec un comparatif qui fait ressortir le défaut : « il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. » Les deux infinitifs, mis sur le même plan, semblent ainsi synonymes, ce qui élargit le reproche : dans cette société mondaine, où seule compte l’apparence, le silence – pourtant souhaitable pour l’homme sincère – n’est-il pas souvent assimilé à une coupable ignorance, voire à de la sottise ?
2ème partie : la parole monopolisée (des lignes 3 à 8)
L'irrespect des bienséances
Après la présentation générale, le portrait se fait en action, dans une situation propre à la vie mondaine du XVIIème siècle, « à la table d’un grand d’une cour du Nord », contexte qui devrait tout particulièrement exiger le respect des bienséances, ensemble des codes de politesse qui régissent la vie publique. Or, la prise de parole d’Arrias est doublement inconvenante, mise en valeur par la présentation chronologiquement inversée : « il prend la parole », avec une brutalité illustrée par l’allitération en [p], « il l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent ». Dans son désir de briller, d’attirer l’attention sur soi, il s’impose donc au premier plan, ce que souligne l’anaphore du pronom sujet « il », et monopolise la conversation, ce que ne ferait en aucun cas "l’honnête homme" qui, lui, veillerait à l’équilibre et la l’harmonie dans une assemblée. De plus, il n’est pas l’hôte, ce « grand » auquel appartient, en principe, le rôle de diriger la conversation.
À cela s’ajoute son manque de discrétion, avec ce rire grossier amplifié par l’hyperbole : « il en rit jusqu’à éclater ». Excessivement bruyant, il se fait remarquer mais surtout, plus grave encore, il s’est coupé de son auditoire en se laissant emporter par ses propres paroles, qu’il « trouve plaisantes », jusqu’à rire « le premier » de ses « historiettes ». Isolé dans son narcissisme, c’est donc un conteur maladroit, qui devance les réactions de ses auditeurs en étant d’abord à lui-même son propre public.
Anonyme, Le Dîner du roi à l’hôtel de ville de Paris. Almanach, année 1681. Musée des arts décoratifs, Paris
La prise de parole
Arrias est bien, pour reprendre le titre de Théophraste, un « grand parleur », défaut annoncé par le verbe de parole introducteur, « il discourt », et reproduit par la structure même de la longue deuxième phrase : l’asyndète, absence de liens, qui permet la parataxe, juxtaposition de courtes propositions, donne l’impression que la parole du personnage a envahi tout l’espace, tel un flux que rien ne peut arrêter. C’est aussi ce que traduit l’énumération des sujets abordés : « il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes » Rien ne lui est étranger, du plus général au plus particulier, jusqu’aux « historiettes », des anecdotes frivoles. Dans ce monologue semblable à un récit de voyage, La Bruyère souligne à quel point tout est faux, « il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire », et le choix du verbe « il récite » en fait une sorte de discours artificiel, préparé, comme celui d’un acteur. Tout cela est l’exact opposé de la conversation attendue d’un "honnête homme".
3ème partie : le mensonge (des lignes 8 à 14)
L'inconvenance grossière
Dans cette conversation, un élément perturbateur s’introduit, désigné par l’indéfini, « Quelqu’un », repris par la périphrase péjorative, « l’interrupteur », qui se place du point de vue d’Arrias. Pourtant, face à l’assurance de celui-ci, ce convive, lui, se montre discret, presque prudent, faisant preuve de calme et de retenue, puisqu’il « se hasarde de la contredire », alors que le lexique choisi par La Bruyère insiste sur le fait que son discours est porteur d’une vérité, martelée par les monosyllabes : il « lui prouve nettement qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies ». La réaction d’Arrias qui « ne se trouble point, prend feu au contraire contre l’interrupteur », avec la métaphore guerrière qui illustre une violence excessive, est donc d’autant plus choquante. A-t-il même écouté l’argumentation de son interlocuteur, suggérée par le verbe « prouve » ? En fait, il n’accepte tout simplement pas que quelqu’un d’autre que lui puisse se faire entendre.
Le mensonge
Le mensonge de sa riposte est mis en relief par le choix du discours rapporté directement. La litote qui l’ouvre, « Je n'avance […], je ne raconte rien que je ne sache d'original », bien loin d’atténuer la certitude du « je », en renforce le ton sec et péremptoire. Il s’agit bien, pour Arrias, de réduire à néant la contradiction, ce qu’accentue l’ampleur de la phrase suivante. Pour soutenir son mensonge, il mentionne d’abord un argument d’autorité, renforcé par le luxe de précisions apportées, preuve du sérieux d’une véritable enquête : « je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours » Toujours pour se mettre en valeur et confirmer le mensonge, tout en se posant en familier de l’ambassadeur, presqu’en confident, la phrase se déploie ensuite en trois relatives en gradation : « que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance. » Vantard, loin de la modestie propre à "l'honnête homme", il compte bien se faire ainsi valoir dans une société où comptent les fréquentations que l’on peut avoir.
4ème partie : la "chute" (de la ligne 14 à la fin)
Le portrait de La Bruyère, soucieux de plaire à ses lecteurs, se termine par une "chute", qui, par le changement de temps, apporte une conclusion à cette scène. Elle fait sourire, car elle enlève le masque que portait Arrias, dont le lecteur peut imaginer la honte subie.
Le comparatif, associé au contraste entre l’imparfait et le passé simple, accentue la brutalité de ce retournement de situation, même si la neutralité du verbe « dire » suggère le ton calme et modéré de l'intervenant : « Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée, lorsque l'un des conviés lui dit ». Le recours au discours direct donne plus de vie et de force à l’intervention, tout en la rendant plaisante, car elle assène un coup définitif à ce bavard menteur en le réduisant au silence. Le présentatif, « C’est Sethon », amplifie la révélation, ainsi que le pronom en apposition, « lui-même », l’apogée étant atteint par la dernière précision apportée : « et qui arrive fraîchement de son ambassade. »
En fait, cette "chute" révèle un ultime défaut d’Arrias, son manque de prudence, car il n’a pas pensé une seule minute qu’un témoin pourrait le démentir.
CONCLUSION
Ce portrait compose une sorte de petite pièce de théâtre, où le personnage, d’abord présenté rapidement, est ensuite, tel un acteur, mis en scène, puis il vit une péripétie, qui conduit au coup de théâtre final. Le désir d’Arrias de jouer le premier rôle dans cette situation mondaine où l’apparence est un signe de qualité, mais aussi son amour-propre, le conduisent à dépasser les limites des convenances sociales en même temps que celles de la morale et du bon sens. Inscrit dans une époque, elle aussi critiquée pour sa superficialité, ce portrait, tout en faisant sourire le lecteur, lui permet, par contrepoint, de dégager les critères de l’idéal de "l’honnête homme". Il a aussi une fonction morale, puisque la vérité finit par triompher.
Ce texte pose aussi les caractéristiques de ce genre littéraire, le portrait, qui, par sa brièveté, impose des contraintes : il doit capter immédiatement l’attention par son amorce, plaire au lecteur en l’intriguant, enfin le surprendre, voire le faire sourire, par sa "chute". De plus, il combine, au XVIIème siècle, la vraisemblance, règle de l’art classique, et la satire, d’où le difficile équilibre à trouver entre les effets de réels (cadre spatio-temporel, gestes, ton, discours direct) et la nécessaire exagération propre à la caricature.
Lectures cursives : Jean de La Bruyère, Les Caractères, 1688-1694, « De la société et de la conversation » : portraits 7 et 8
Pour lire les deux portraits
Le portrait d'Acis
Introduit dans la cinquième édition, ce portrait d'Acis dénonce une autre forme d’excès ridicule, le langage précieux, qualifié de « phébus » et de « galimatias », c’est-à-dire tellement compliqué par une volonté excessive d’élégance qu’il en devient incompréhensible.
L’originalité de ce portrait vient de sa structure.
La première partie, des lignes 1 à 8, est rendue vivante par le dialogue, un jeu de questions-réponses, mis en scène entre Acis et l’auteur, qui traduit d’abord ses phrases, puis répond à une objection : « Mais, répondez-vous, cela est bien uni et bien clair ; et d’ailleurs qui ne pourrait pas en dire autant ? » Ainsi est souligné le premier défaut d’Acis, sa volonté d’attirer l’attention par un discours sortant de l’ordinaire. Lui non plus comme Arrias, n’a donc rien de la discrétion attendue de "l’honnête homme".
Philippe Lajour : huit portraits de La Bruyère, 2008 : Acis(3'49-5'32)
La deuxième partie, des lignes 9 à 14, tout en généralisant la critique par « vous et […] vos semblables », attire l’attention du lecteur par une sorte de double énigme : « une chose vous manque », « il y a en vous une chose de trop ». Ainsi sont mis en valeur deux défauts : la sottise du personnage, et sa prétention aveugle. Il se berce de l’illusion de son propre mérite.
Enfin, la "chute" met en scène l’auteur lui-même, dans son rôle de guide social et moral. Les doutes introduits par l’incise, « ayez, si vous pouvez, un langage simple », et par l’adverbe, « peut-être » soutiennent l’ironie du discours direct qui, en confirmant le manque d’« esprit » d’Acis, ne lui offre comme consolation qu’une éventuelle promesse d’indulgence.
La Bruyère nous rappelle ici à la fois l’exigence de naturel déjà formulée par Nicolas Boileau dans son Art poétique, en 1674, « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. », et le reproche récurrent chez les moralistes du XVIIème siècle, l’amour-propre inscrit dans la nature humaine qui conduit trop souvent aux pires excès.
Le portrait d'un précieux. Gravure
Un beau parleur
Ce portrait, dans la quatrième édition, s’ouvre sur une question qui interpelle le lecteur, mais il diffère des précédents par sa généralisation qui définit le reproche adressé à « certains esprits vains, légers, familiers, délibérés, qui sont toujours dans une compagnie ceux qui parlent, et qu’il faut que les autres écoutent ? »
Dans la première partie de leur mise en scène, des lignes 3 à 10, nous retrouvons cependant ce même désir d’occuper la première place dans la conversation, d’attirer l’attention sur soi, en ajoutant au manque d’esprit l’irrespect des bienséances. Leur comportement, leur indifférence envers l’assistance, va jusqu’à la grossièreté : « ils font taire celui qui commence à conter une nouvelle pour la dire de leur façon ». Comme Arrias, ces bavards sans scrupules n’hésitent d’ailleurs pas à mentir pour se mettre en valeur.
Le beau parleur : illustration
La seconde partie montre la stratégie adoptée pour se donner de l’importance, qui révèle, parallèlement, la place considérable des intrigues de cour et des commérages dans cette société mondaine. Ces beaux parleurs jouent, en effet, sur la curiosité de leurs interlocuteurs, à la fois par leur comportement, quand « ils s’approchent de l’oreille du plus qualifié de l’assemblée », et par le mystère qu’ils laissent planer dans le discours indirect libre. Le lecteur est ainsi invité à participer à la scène : « vous les priez, vous les pressez inutilement : il y a des choses qu’ils ne diront pas, il y a des gens qu’ils ne sauraient nommer, leur parole y est engagée, c’est le dernier secret, c’est un mystère. » Toutes ces protestations entretiennent ainsi l’illusion d’un mérite, que la "chute" va brutalement réduire à néant en remplaçant ce masque du « mystère » par le vide réel de ces personnages : « c’est un mystère, outre que vous leur demandez l’impossible, car sur ce que vous voulez apprendre d’eux, ils ignorent le fait et les personnes. »
Visionnage
À l’issue de ces lectures, le visionnage de l’interprétation d’"Acis" par Philippe Lejour permettra d’observer l'intonation et les effets rythmiques, mais aussi la gestuelle et les mimiques qui mettent en valeur la satire. Il est alors possible de proposer une mise en scène du second extrait, introduisant trois acteurs : l’écrivain-narrateur, le personnage caricaturé et son interlocuteur.
Lecture personnelle : Jean de La Bruyère, Les Caractères, 1688-1694, « De la société et de la conversation »
Les pistes de recherche, en vue d’une présentation de l’œuvre à l’oral de l’examen seront les suivantes :
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Sur l’auteur : à partir du site présentant la biographie de La Bruyère (http://agora.qc.ca/Dossiers/Jean_de_La_Bruyere), on reprendra les circonstances de son existence qui ont pu en faire un observateur de son temps, mais aussi qui expliquent le regard souvent amer qu’il jette sur ses contemporains.
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Sur le titre : on posera, à partir de l’étymologie qui fonde son premier sens (cf. dictionnaire en ligne du CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/caract%C3%A8re), le sens que prend le terme « caractère » dans l’ouvrage de La Bruyère, en l’appuyant sur quelques exemples pris dans la section étudiée.
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Sur l’organisation de la section : on distinguera les portraits de personnages nommés (qui ont donné lieu à des « clefs ») de ceux qui généralisent, et l’on reprendra, pour le reste des remarques, la définition de la maxime, en l’appuyant sur quelques exemples
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On s’intéressera, à partir d’une étude précise des pronoms personnels (« on » et « nous », « je » et « vous »), aux différents rôles que joue La Bruyère, notamment ceux d’observateur et de juge, et au lien qu’il crée avec son lecteur.
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Pour conclure, à partir des défauts blâmés, on commentera le regard sévère, et parfois pessimiste, que La Bruyère porte sur la société de son temps, de façon à dégager ensuite les caractéristiques de « l’honnête homme ».
Conclusion
Synthèse : genres et tonalités
Ce corpus, dans lequel s’affirme la volonté des auteurs d’associer « plaire » et « instruire » a amené à revoir différents genres littéraires, chacun avec sa spécificité et des tonalités visant à renforcer le double objectif de convaincre le destinataire, en lui prouvant l’intérêt de l’idéal proposé, mais aussi de le persuader, en faisant appel à ses sentiments, à ses émotions. Ce sont ces genres, ces tonalités, et les procédés d’écriture observés au cours des explications qui permettent de répondre à l’adverbe « Comment » qui introduit la problématique.
Le théâtre : le comique
L'avantage du théâtre est que l’idéal s’incarne en un personnage mis en scène, tel Philinte dans Le Misanthrope de Molière. Est particulièrement efficace la comédie, parce que son héros, comme Alceste, illustre, lui, le contre-idéal, rendu ridicule dans son opposition aux codes de « l’honnête homme ». L’élaboration des conflits, l’excès dans les gestes et les paroles, le caractère obsessionnel du protagoniste sont autant de moyens au service de la satire. Le rire, qui naît de la caricature, est souvent plus efficace qu’un long discours moralisateur, surtout quand il est collectif lors d'une représentation.
Il aurait été plus difficile de trouver des exemples dans la tragédie, parce que le poids du destin qui pèse sur le héros, ses passions violentes et parfois cruelles, l’éloignent de l’humanité ordinaire, et le font le plus souvent tomber dans « l’hybris », démesure qui le conduit à dépasser même les limites humaines. Cependant, elle peut aussi, comme chez Corneille, introduire ponctuellement des maximes et des sentences, voire un portrait, afin d'illustrer la vertu ou la sagesse de "l'honnête homme".
Le roman : l'épidictique
La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette offre un bon exemple du rôle que peut jouer un roman pour prôner un idéal. Malgré le recul temporel de son intrigue, le lecteur y reconnaît, en effet, le contexte dans lequel il vit, cette vie mondaine vouée aux divertissements, aux réceptions, où les conversations prennent une place essentielle. Derrière les personnages du récit, il mesure ce qui correspond à son propre mode de vie, ce règne de l’apparence qui oblige chacun à respecter les contraintes de la politesse, quitte même à porter un masque. Puisque chacun est ainsi placé sous le regard d’autrui, voire cherche à l’attirer, le roman peut alors développer des portraits, tel celui du duc de Nemours, qui, pour mettre en valeur les qualités d’un personnage, s’inscrivent dans le registre épidictique. Celui-ci se reconnaît à son lexique mélioratif, notamment les adjectifs, au rythme des phrases, aux adverbes modalisateurs par lesquels le narrateur exprime son propre jugement.
Mais le roman n’exclut pas non plus la satire, la caricature, comme dans Le Roman comique (1651-1657) de Scarron.
L'essai : éloquence et volonté didactique
Même s’il s’insère dans le cadre d’une réception, occasion de conversations entre les assistants, le fait que tour à tour chacun y exprime ses conceptions rapproche l’œuvre de Baldassare Castiglione, Les Conversations, de l’essai, genre adopté dans les Discours du chevalier de Méré. L’essai se reconnaît à son objectif didactique affiché nettement, d’où la place prise par les injonctions en réponse aux reproches formulés. Son auteur n'hésite pas à recourir à tous les procédés de l'éloquence, hérités, notamment, de la Rhétorique d'Aristote. L’essai, le plus souvent rédigé au présent de l’énonciation, pose aussi des définitions, justifiées par des exemples : il permet à l’émetteur tantôt de rester neutre, en généralisant, tantôt de s’impliquer plus directement en privilégiant alors le ton polémique, allant jusqu’à interpeller son destinataire.
René-Antoine Houasse, L’Éloquence, vers 1686. Huile sur toile, 96,5 x 154. Musée des Beaux-Arts de Brest
C’est également au genre de l’essai que se rattachent les préfaces ou les postfaces, mais aussi les commentaires critiques, comme celui de Sainte-Beuve sur l’image de « l’honnête homme » dans l’œuvre de Méré.
Des genres brefs
Le portrait
Sous l’influence des romans, le portrait gagne son autonomie au XVIIème siècle, jusqu’à devenir un divertissement dans les salons mondains, comme chez Mlle de Montpensier, où ils donnent même lieu à quatre recueils, intitulés « galeries », publiés entre 1659 et 1663. Le frontispice indique d'ailleurs que le portrait peut s'inscrire dans le genre poétique, en recourant à la versification. Comme l’art du peintre, qui positionne son modèle puis multiplie les coups de pinceau afin de lui donner corps et âme, l’auteur de portraits, dont la Bruyère dans Les Caractères donne les meilleurs exemples, accumule les traits successifs, physiques – gestes, attitudes, intonations – et moraux, notamment à travers les comportements décrits et les discours rapportés, jusqu’à composer son personnage, en recherchant une ressemblance fidèle. Mais, comme il s’agit aussi de plaire, le portrait cherche souvent à faire sourire, d’où le recours aux hyperboles, aux métaphores, à toutes les formes d’exagération, jusqu’à la « chute » finale destinée à provoquer la surprise.
Le premier recueil de Portraits et Éloges, 1659
Réflexion ou pensée, maxime ou éloge
Tous ces genres, empruntés aux auteurs antiques, philosophes, historiens, fabulistes…, visent à énoncer une morale, par le biais du blâme ou de l’éloge, ce qui explique que l’injonction y soit fréquente, comme chez Baltasar Gracián ou La Rochefoucauld. Ces genres sont voisins, comme le montre le titre de l’ouvrage de La Rochefoucauld qui les associe, mais l’on considère en général que la « réflexion » ou la « pensée » peuvent être davantage développées, en particulier en introduisant une explication ou des exemples, comme dans les Pensées de Pascal ou dans l’extrait « De la conversation » de La Rochefoucauld, avec la possibilité d’interpeller le destinataire. La maxime, elle, recherche davantage la brièveté, en privilégiant des formules frappantes, par le jeu des antithèses, des hyperboles ou des métaphores, et originales. La sentence se présente même souvent comme une courte phrase, au rythme nettement marqué.
Pour découvrir d'autres genres brefs
Réponse à la problématique : "L'honnête homme"
Pour compléter la réponse à la problématique, ces analyses effectuées amènent à poser « les critères propres à définir l’idéal de "l’honnête homme" – ou femme – qui s’est peu à peu affirmé au cours au XVIIème siècle, jusqu’à devenir une morale sociale. Tous les auteurs étudiés proposent, en effet, un modèle social et culturel pour s'intégrer au mieux dans "le monde", dans cette société d'élite qui fréquente les lieux à la mode, les salons, la galerie du Palais-Royal, la Cour... Comme l’écrit Nicolas Faret (1600-1646) dans son traité L’honnête Homme ou l’Art de plaire à la cour, paru en 1630, il s’agit, pour tous de « représenter […] comme dans un petit tableau les qualités les plus nécessaires, soit de l’esprit, soit du corps, que doit posséder celui qui se veut rendre agréable dans la cour ». Cet intitulé met déjà en évidence deux éléments :
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puisqu’il s’agit de fréquenter « la cour », la naissance joue un rôle important : être gentilhomme ou noble dame implique un lignage, un héritage familial et une éducation. Cela implique aussi une modération politique : la monarchie n’est pas remise en cause, car c’est elle qui maintient l’ordre social. Tout au plus est-il permis de formuler des critiques relevant de la conscience individuelle de ceux qui exercent un pouvoir.
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l'association entre « l’esprit » et « le corps » : mis sur le même plan, cela implique un idéal d’harmonie entre les qualités physiques et celles de « l’esprit », terme à prendre au sens large comme relevant de la vie intellectuelle mais aussi morale.
Les qualités physiques
La beauté relève de l’inné, et elle est célébrée dans cette société où l’apparence joue un rôle. Elle unit l’aisance physique, entretenue par la pratique de l’escrime, qui développe le courage, la bravoure au combat, du jeu de paume ou de l’équitation par exemple, à l’élégance et à la grâce, qui se révèlent notamment dans la danse et par l’habillement. Mais rien de tout cela ne doit être excessif : l’abus d’ornements et de parures ferait tomber dans le ridicule. S’il faut être distingué, être maniéré, en revanche, est condamné : les gestes doivent rester discrets, la démarche posée, le ton de voix mesuré.
L'élégance au temps de Louis XIV
Les qualités de l'esprit
La Renaissance avait mis au premier plan la figure de l’humaniste, féru des ouvrages de l’esprit, curieux des sciences et des découvertes, mais déjà Montaigne affirmait, contre la tendance encyclopédiste de son temps, que mieux valait une « tête bien faite » que « bien pleine ». Ainsi, si "l’honnête homme" a reçu l’instruction propre à son temps, encore largement fondée sur les auteurs anciens – et celle des femmes se développe considérablement sous l’influence de la Préciosité –, il ne doit ni étaler ses connaissances de façon pédante, ni chercher à briller à tout prix, mais être capable de suivre toute conversation, d’y participer avec esprit, avec finesse quand le sujet s’y prête.
Antoine Touvain, Quatrième chambre, 1696. Gravure pour les appartements royaux. BnF
Les qualités morales
Éduqué dans les valeurs de l'Église chrétienne, "l’honnête homme" les met en pratique par sa « vertu », qui concilie les exigences de la morale religieuse et les modes de vie en société. Ainsi, si une vertu « austère », telle celle d’Alceste, est blâmée, le sont aussi les excès des « passions », qu’il s’agisse de l’amour-propre, de l’égoïsme, du mensonge, voire de la cruauté… Le « bel usage » du monde exige d’être indulgent, ou même complaisant, avec les autres, de leur accorder les marques de politesse conformes à leur rang social et aux bienséances, de respecter les règles de la civilité. ll est donc important d’apprendre à observer, de se taire souvent pour mieux juger : la « prudence » et le contrôle de soi sont des valeurs essentielles.
Ainsi, dans cette société où le regard d’autrui est omniprésent, et souvent dangereux car, pour « parvenir », certains sont prêts à nuire, il faut répondre à une double exigence pour le soutenir : à la fois avoir l’éclat correspondant à son naissance et à son rang, pour « paraître » dans toute sa dignité, mais aussi maintenir une forme de retenue, donc savoir se montrer modeste, s’effacer, et même dissimuler ses émotions. Difficile équilibre à trouver, qui explique qu’être "honnête homme" soit un « idéal » vers lequel on tend, mais bien rarement atteint !
Devoir
Pour lire le texte de Cicéron
Pour répondre au programme du baccalauréat, deux types de sujet sont proposés :
- le commentaire du texte de Cicéron, extrait de son Traité des devoirs, De Officiis, datant de 44 avant J.- C.
- un essai sur le sujet suivant : En vous appuyant sur l'extrait de la lettre adressée par le chevalier de Méré à la duchesse de Lesdiguières, vers 1665, vous vous demanderez si l'idéal posé par Méré pourrait s'appliquer à notre époque.
Pour lire le texte de Méré, support de l'essai
La correction du devoir
Pour le commentaire, un corrigé rédigé est proposé. Mais, outre l'analyse du texte lui-même, ce corrigé est accompagné d'une analyse de la méthode propre à cet exercice, à la fois pour sa structure d'ensemble, introduction, développement construit et conclusion, et pour sa structure interne, la démarche au sein même du paragraphe.
Pour l'essai, exercice plus libre, où chacun peut exprimer son opinion – à condition de la justifier par des arguments, eux-mêmes soutenus par des exemples précis –, la correction rédigée a choisi un plan dialectique, de façon à nuancer la réponse "oui" proposée, en envisageant quelques restrictions
Ouverture
La correction collective, à partir de la conclusion du commentaire comme de l'essai, invite à terminer cette séquence par un débat sur ce que serait un "honnête homme" à notre époque. Il est notamment possible de s'interroger sur
- les formes prises aujourd'hui par la conversation, en particulier le rôle joué par les "réseaux sociaux". Quelles seraient les règles à respecter pour y être "honnête homme"? Permettent-ils vraiment de l'être ?
- les défauts dénoncés subsistent-ils ? Quelles formes nouvelles ont-ils pu prendre ?
- les qualités souhaitées correspondent-elles aux critères actuels ? Quelles autres qualités pourraient composer le portrait de "l'honnête homme" actuel ?