Fernand Léger, Portrait de Paul Éluard, 1947
Poésie et rêve amoureux : du Moyen Âge au XVIIIème siècle
La séquence proposée intègre les quatre éléments figurant dans le programme des lycées :
- le "parcours littéraire", organisé autour de cinq poèmes donnant lieu à une explication ;
- le "groupement de textes complémentaires" : les documents proposés offrent un large choix pour constituer un corpus cohérent et propre à éclairer les enjeux littéraires et à mesurer l’évolution de la poésie lyrique.
- le "prolongement artistique et culturel": plusieurs documents complémentaires présentent le contexte, historique et culturel, par exemple pour expliquer la poésie des troubadours ou la Préciosité, mais aussi pour élargir la perspective en abordant l'histoire des arts, peinture et musique.
- une "lecture cursive", personnelle, peut être reprise collectivement ou être librement insérée dans un "carnet de lecture", être guidée ou en totale autonomie, éventuellement être le support d'un travail d'écriture spécifique.
Plusieurs activités, écrites ou orales, sont suggérées qui peuvent faire l'objet d'une séance collective, préparée ou abordée directement, ou d'un travail personnel destiné, soit à nourrir le "carnet de lecture", soit à donner lieu à un exposé oral.
Mais, outre celles directement liées à l'explication des textes (questions préparatoires ou de synthèse), bien d'autres pourraient être envisagées afin de solliciter la créativité des élèves et d'accroître leur participation : table ronde, mise en voix, illustration d’un poème, constitution d’une anthologie...
La séquence ne mentionne qu'un devoir, pour s'entraîner à l'épreuve écrite du Baccalauréat. Mais un autre devoir reste à élaborer, soit pour une évaluation formative, notamment à partir d'un ou plusieurs documents complémentaires, soit pour une évaluation sommative, en fin de séquence.
Il convient de ne négliger ni l'introduction, ni la conclusion. L'introduction permet à la fois de réactiver les apprentissages antérieurs et de prendre la mesure des enjeux de la séquence. La conclusion doit, en permettant aux élèves d'exercer leur esprit critique, donner sens à l'étude effectuée.
Introduction : la poésie lyrique, un héritage antique
Pour poser les enjeux de la séquence, nous choisissons de partir de l’héritage de l’Antiquité grecque et romaine, lexical, mythique et littéraire. Cela permettra de définir le principal enjeu littéraire, le lyrisme dans la poésie, et de tracer les contours du thème retenu, le "rêve amoureux".
LA POÉSIE : UN GENRE LITTÉRAIRE
Étymologie
Le mot "poésie" vient du verbe grec "poïeïn" qui signifie "faire", dans le sens de "fabriquer". Ainsi, le poète peut être comparé à un artisan : avec son matériau, les mots, et ses techniques propres - pendant longtemps, la versification, par exemple - il fabrique un objet, le poème, à la fois unique, beau et utile. Cette origine souligne déjà le travail exigé par la création poétique.
Le mythe d'Orphée
Mais l'antiquité grecque donne à la poésie une autre dimension, plus complexe, à travers le mythe d'Orphée.
L'une des neuf muses, Calliope, unie à un mortel, donne naissance à un fils, Orphée, auquel Apollon offre une lyre. Ce premier geste place Orphée sous la protection de ce dieu de la lumière, des arts et de la divination. Le mythe affirme ainsi la supériorité du poète, inspiré par les muses, idée souvent reprise, par exemple par les poètes de la Pléiade, ou même chargé d’une mission sacrée, comme pour les poètes romantiques au XIX° siècle. La mention de l'instrument, la lyre, nous rappelle aussi qu'à l'origine la poésie s'associe à la musique, et cela reste le cas pour les troubadours du Moyen Âge. Pour analyser un poème, il convient donc d'en observer les rythmes et les sonorités.
Pour voir une vidéo d'analyse du tableau
Jean-Baptiste Corot, Orphée ramenant Eurydice des enfers, 1861. Huile sur toile, 112 x 137. Museum of fine arts, Houston
Mais Orphée perd sa bien-aimée, Eurydice. Grâce à son chant, il parvient à charmer les êtres infernaux, et obtient du dieu Hadès le droit de ramener Eurydice à la lumière. Nouvelle preuve de la supériorité quasi magique du poète... Mais Orphée ne respecte pas la condition posée : ne pas la regarder sur le chemin du retour au monde des vivants. L'amour n'est-il pas, pour le poète, une force absolue, un des thèmes essentiels de sa création ?
Après avoir perdu définitivement Eurydice, Orphée sombre dans une profonde tristesse. Il chante sa douleur, posant ainsi une des fonctions de la poésie. Mais, de ce fait, il reste sourd à toute séduction. Pour le punir, les Bacchantes, prêtresses du dieu Dionysos, déchiquettent son corps, et jettent sa tête dans le fleuve Euros. Le poète devient alors le maudit, celui qui souffre et qui se trouve rejeté avec violence, image reprise au XIX° siècle. Mais le mythe ajoute qu'enterrée au pied du mont Olympe, la montagne des dieux, sa tête continue à chanter. N'est-ce pas là le symbole de l'éternité de la création poétique, affirmée déjà par les poètes de la Pléiade ?
LE LYRISME DANS LA POÉSIE LATINE
Pour lire les quatre poèmes traduits
CATULLE, Poésies, 29 av. J.-C., V, « À Lesbie »
Tout ce poème s’organise autour des verbes à l’impératif à la première personne du pluriel, signe de l’union amoureuse souhaitée par Catulle :
La première partie est une invitation à l’amour, lancée par le poète amoureux à sa bien-aimée, qu’il juge sienne : « ma Lesbie ». Pour la justifier, Catulle reprend la conception traditionnelle de l'hédonisme, dérivée de l’épicurisme : la condition humaine étant mortelle, il faut profiter de la vie. D’où le verbe en tête du poème, « Vivons », et l’image : « lorsqu'une fois est morte la flamme brève de la vie, il nous faut tous dormir dans la nuit éternelle. »
Mars et Vénus. Fresque de Pompéi, Musée archéologique de Naples
La seconde partie concrétise cet espoir d’union amoureuse, en jouant sur l’anaphore de « puis » qui souligne la multiplication des « baisers » qui semblent ne jamais finir. C’est d’ailleurs sur ce mot que se ferme le poème.
Ainsi s’unissent les amants, dans la joie, contre ceux qui les envient, « les murmures de la vieillesse morose », ou le « méchant » jaloux qui voudrait leur « jeter un sort ».
CATULLE, Poésies, 29 av. J.-C., LI, « À Lesbie »
Ce court poème est construit en trois temps :
La comparaison en gradation, à l’ouverture, souligne la force du « bonheur » vécu par le poète amoureux, uni à celle qu’il aime : il est « l’égal d’un dieu », et même « surpasse[…] les dieux ».
Mais le centre du texte contraste avec cette image initiale, car l’énumération montre les effets de l’amour, douloureux : le poète ne se contrôle plus, ne s’appartient plus, rien d’autre que sa bien-aimée n’existe plus pour lui : « la nuit couvre mes deux yeux ! »
Le poème se conclut par une interpellation personnelle, qui insiste sur le reproche, en gradation, « l’oisiveté ». Tout entier obsédé par son amour, le poète perd tout désir d’action.
Ce poème conduit donc à un questionnement : aimer rend-il vraiment si heureux ? à quel prix s’acquiert ce bonheur si parfait ? faut-il vraiment renoncer à tout – et d’abord à soi-même – pour vivre l’amour ?
TIBULLE, Élégies, vers 30 av. J.-C., V, « À Délie »
On sait peu de choses sur la vie de Tibulle, sinon ce qu’il nous apprend dans ses poèmes, dont ses Élégies, largement consacrées, sous le nom de Délie, à celle qu’il aime. Le poème commence en évoquant la maladie de la jeune femme, et les prières du poète pour son salut… Mais Délie n’est pas fidèle, et le début du texte correspond parfaitement à la définition de l’élégie, expression lyrique des plaintes et des regrets : « Je la sauve, et je perds ses faveurs les plus chères, / Et mon rival jouit du fruit de mes prières ! / Le voilà donc l'espoir dont se flattait mon cœur ! / Insensé ! n'ai-je fait que rêver le bonheur ! »
Joseph Benoît Suvée, Fête à Palès, ou l’été, XVIII° s. Huile sur toile, 321 x 321. Musée des Beaux-Arts, Rouen
Le cœur de l’élégie développe longuement ce rêve amoureux, soutenu par l’emploi des verbes au futur (« je me plairai », « gardera »…), signe de son espoir, et même un passage au présent rapproche ce rêve du réel : « Je la vois consacrer des épis à Cérès ». Les images d’une vie paisible, au sein de la nature, dans le domaine que possède Tibulle à Pedum, entrelacent le « je » du poète et le « elle » de Délie, comme pour illustrer leur rapprochement dans le rêve, jusqu’au pluriel, « nos hameaux » : il symbolise l’union parfaite des amants. Ce rêve est embelli par le décor champêtre, les images d’une terre fertile, qui fournit en abondance « raisins », « troupeau », « fruits », « épis » de blé. C’est une vie heureuse, et tous semblent participer à ce bonheur, depuis le jeune « esclave » jusqu’à l’ami Messala.
Mais ce bonheur n’est qu’un rêve, d’où l’amère conclusion du poème, brutal retour à la réalité marquée par le verbe au présent : « Hélas ! ces vœux, chassés par l’Eurus en furie, / Parcourent maintenant l'odorante Arménie. » Le rêve amoureux n’est donc, chez Tibulle, qu’une illusion dont se berce le poète.
Auguste Vinchon, Properce et Cynthie à Tivoli, vers 1815. Huile sur toile, 46 x 37,8.
PROPERCE, Élégies, 29 av. J.-C., XV, « À Cynthie »
Nous disposons de quelques renseignements sur la relation de Properce avec celle qu’il nomme « Cynthia », allusion au mont « Cynthos », dans l’île grecque de Délos, lieu de naissance mythique d’Apollon. C’est donc une façon de lui reconnaître le statut de muse, et il lui dédie son premier livre d’Élégies, sous le titre « Cynthia monobiblos » qui souligne le rôle unique de son inspiratrice. Mais cet amour, commencé alors que Properce n’a que dix-huit ans, n’a rien de paisible : Cynthie est mariée, mais coquette et elle multiplie les infidélités.
Le texte comporte deux extraits.
Le premier présente un portrait de Cynthie, très critique, s’ouvrant sur un violent reproche, sa trahison : « J'ai souvent redouté, Cynthie, et ton inconstance et ses dangers, mais jamais cette dernière perfidie. » Mais il lui reproche encore plus son insensibilité face à la souffrance de son amant, ici amplifiée avec les termes « abîme » et « terreurs ». Pour elle, la volonté de séduire est bien plus forte : elle peut « consacrer de longues heures pour relever [s]es attraits », au lieu de venir le « soulager ».
Le second passage est construit sur un paradoxe. Il commence, en effet, par l'affirmation d’un amour éternel, répété et illustré par des images : « Oui, quelles que soient tes rigueurs, Cynthie, je t'aimerai toujours ». Mais, aussitôt après, un retour sur le passé, sur les « serments » de Cynthie, conduit à lui lancer trois interrogations, en gradation, violentes accusations qui révèlent la dissimulation trompeuse de la jeune femme : « Qui te forçait à pâlir, à changer de couleur, à arracher de tes yeux une larme feinte ? »
L’élégie se termine par un ultime regret, une sorte de "morale" qui conclut sur le thème de la fidélité et de la douleur d’aimer : « j'apprendrai par mon exemple, aux amants crédules, qu'il n'est pas sûr d'en croire de trompeuses caresses. »
Pour conclure
Ces quatre poèmes nous permettent de définir le registre lyrique, expression de sentiments personnels, toujours exaltés, qu’il s’agisse d’un élan de joie comme dans le premier texte de Catulle, ou, plus fréquemment, de plaintes et de regrets : on parle alors de lyrisme élégiaque, pleurs sur l’amour perdu, sur la séparation, voire la trahison chez Properce.
Le sentiment, qui fait suite à une expérience personnelle, douloureuse sans l’élégie, est tellement intense qu’il place le poète dans un état d’exaltation : plus rien n’existe à ses yeux, il est enfermé dans sa solitude, comme l’explique Catulle dans le second poème, et n’a parfois plus que le lecteur comme confident.
Pour traduire l'intensité des sentiments, les poèmes sont fortement modalisés. Pour ce faire, l'auteur utilise un lexique hyperbolique et des modalités expressives, exclamations, injonction, interrogations.
UN THÈME : LE "RÊVE AMOUREUX"
Le mythe d’Orphée témoigne de la force de l’amour qui l’unit à Eurydice, puisqu’il descend dans les Enfers pour implorer Hadès de la lui rendre, et ne pourra se consoler de sa perte définitive.
Dans le thème retenu, l’adjectif « amoureux » qualifie le « rêve ». Ce terme renvoie d’abord aux images, aux représentations qui traversent l’esprit dans l’état de sommeil : le dormeur peut alors imaginer la plus belle des histoires d’amour, qui réalise tous ses désirs. Mais, au réveil, avec le retour à la pleine conscience, soit le rêve s’est effacé, soit il a conscience qu’il ne s’agit que d’une illusion, contraire à la réalité.
Mais le mot « rêve » peut aussi correspondre à un état conscient, quand l’imagination élabore les images qui concrétisent les projets, les désirs, les visions du rêveur : l’amour atteindrait une perfection idéale. Le rêveur vit alors souvent douloureusement le contraste entre cet idéal et la réalité, moins heureuse. C’est tout particulièrement le cas chez Tibulle.
La poésie médiévale
Rappelons d’abord qu’au Moyen Âge l’immense majorité de la population ne sait pas lire. La transmission littéraire est donc d’abord orale, et, si les fabliaux, les farces, jouées lors des foires, ou les mystères sur le parvis des églises, peuvent toucher un public populaire, les chansons de geste, qui, dès le XI° siècle, racontent les exploits des chevaliers, ne touchent que les gens de cour.
L'art d'aimer au Moyen Âge : un site de la BnF
Une autre raison de l’évolution littéraire est aussi liée à l’Église, qui entreprend de fixer, dès la réforme de 1180, les règles du mariage dont elle fait un sacrement pour imposer plus de rigueur morale et assurer son autorité. Le mariage devient un pacte social, conclu entre les familles, pour protéger les biens et les statuts sociaux. Mais cela en exclut le sentiment amoureux. L’amour ne peut donc plus être vécu qu’en dehors du mariage, mais, en même temps, il doit, lui aussi, dans le respect de la morale religieuse, se soumettre à des règles de comportement. C’est ce que l’on nomme « l’amour courtois », qui prend une place de plus en plus importante, dans les romans et dans les « chansons », telles celles de Guillaume IX d’Aquitaine (1071-1126), considéré comme le premier des troubadours.
Un mariage au Moyen Âge. Enluminure
La fin’amor
L’amour courtois, fondé sur l’idéal de la fin’amor, ou amour parfait, ne peut exister que dans l’adultère qui permet aux amants de se choisir librement. Mais cela ne signifie pas de libres relations : l’amour charnel s’efface au profit d’un amour des « âmes », secret, sublimé, presque semblable à une ferveur religieuse, où le bonheur vient d’abord du plaisir de ressentir l’amour, et d’en cultiver le désir. Les amants inscrivent leur amour dans le contexte de la féodalité : la dame, noble, belle, vertueuse, est la « suzeraine », l’amant son « vassal », qui doit se soumettre à elle, se mettre à son service, subir les épreuves qu’elle lui impose.
L'amour courtois. Enluminure médiévale
Ainsi se crée une relation fictive, que chante le troubadour, une passion amoureuse vécue à la fois comme une douleur, car la dame semble inaccessible, mais aussi comme le rêve de pouvoir, enfin, voir la dame répondre à un hommage si sincère.
La naissance de la poésie lyrique
Les troubadours, outre les chansons de geste, créent des genres poétiques aux formes variées, mais qui, tous, prennent l’amour comme thème. Nous pouvons citer, par exemple, l’alba, chanson qui rapporte l’heureux dialogue des amants, réunis en secret, jusqu’à ce que le chant d’oiseau qui, à l’aube, les alerte du danger. Le rondeau, le madrigal, la chanson de toile aussi, où l’amoureuse pleure la séparation d’avec son amant, expriment souvent une plainte d’amour, tandis que, dans la pastourelle, une bergère fait face à son seigneur qui prétend la séduire.
Mais c’est la « canso », ou chanson d’amour, qui illustre le mieux le double aspect de l’amour courtois, l’idéalisation de la femme aimée, la puissance de l’amour et du désir sensuel que le poète ressent pour elle, mais aussi la douleur car elle reste inaccessible, ou, pire, rejette cet amour sincère. Ainsi se fonde la poésie lyrique.
Troubadours à la cour d'Aquitaine. Enluminure médiévale
AUTOUR DE "TRISTAN ET ISEUT" : UN RÉCIT FONDATEUR
Tristan de Léonois, Tristan et Iseult buvant le philtre magique, 1470. Miniature extraite du livre de Lancelot du lac, version attribuée à Gautier Map. BnF, Paris.
La légende celtique
La légende de Tristan et Iseut, « beau conte d'amour et de mort », d'abord orale, est écrite en prose vers 1170 par le trouvère Béroul, puis reprise, avec des variantes qui multiplient les aventures du héros, par Thomas d'Angleterre. L'ouverture du récit résume son contenu : « Écoutez comment à grand'joie, à grand deuil ils s'aimèrent, puis en moururent en même jour, lui pour elle, elle pour lui. » Ainsi se crée le mythe de l'amour éternel, et fatal.
Tristan, chevalier du roi Marc, est blessé après avoir tué le Morholt, le géant qui dévaste l'Irlande. Il est soigné par Iseut la blonde, la fille du roi. Son suzerain le charge de la lui ramener en Bretagne, car il veut lui-même l’épouser. Mais, lors d'une tempête sur la nef du retour, Tristan et Iseut boivent le « vin herbé », philtre d'amour destiné aux futurs époux. Cela scelle leur amour indestructible, jusqu'au-delà de leur mort.
Pour en savoir plus : le site de la BnF
La légende est reprise dans de nombreux récits, en France et en Europe, par exemple le « Lai du chèvrefeuille » de Marie de France, œuvre datant des années 1160-1180.
On pourra proposer aux élèves de rechercher un extrait du conte de Béroul et Thomas, et de le présenter au cours d’un exposé.
Marie de France, Lais, "Le lai du chèvrefeuille", 1160-1180
Genre musical à l’origine, accompagné de la harpe par les bardes bretons notamment, le lai, construit en octosyllabes à rimes plates, conserve sa force poétique, tout en devenant, au XII° siècle, narratif, s’allongeant de cent à mille vers. C’est Marie de France qui, entre 1160 et 1178, lui donne ses lettres de noblesse. Peut-être cette poétesse, dont on reconnaît l’immense culture, y compris dans les lettres latines, a-t-elle vécu en Angleterre, on ne sait pas grand-chose d’elle, sinon qu’elle se désigne comme « de France ». La réussite de ses douze lais, regroupés en un recueil, vient de la façon dont elle mêle la dimension mythique, empruntée aux légendes celtiques ou arthuriennes, et les codes de l’amour courtois.
Pour lire le lai et découvrir le recueil
"Le Lai du chèvrefeuille" : le texte originel
La poétesse et son rôle
Marie de France intervient trois fois dans son lai. En introduction, elle annonce son récit, d’un « amour suprême qui leur causa tant de peines » ; en conclusion, elle se présente dans son simple rôle de poétesse, une mise en vers, en rejetant la création du lai sur le héros lui-même, « Tristan qui pinçait supérieurement de la harpe en fit un Lai nouveau ». Elle maintient aussi une forme d’oralité, en s’adressant à son lecteur, quand elle commente la douleur d’un amour impossible, qui conduit le héros « au tombeau » : « Ne vous étonnez pas de l'état du chevalier, tous ceux qui aiment loyalement ressentent les mêmes douleurs quand ils éprouvent des maux pareils. »
Tristan et Iseut à la fontaine, épiés par le roi Marc, détail d'un panneau de coffret, ivoire, 1340-1350. Musée du Louvre
Le rêve amoureux
Le cœur du lai suit la chronologie : après un rappel de la situation antérieure, « l’éloignement » des amants, Marie de France présente le stratagème élaboré par Tristan, pour revoir sa bien-aimée, graver son nom sur une « branche de coudrier », puis sa réunion avec elle. Elle donne vie à son récit, en nous faisant partager les pensées des personnages, d’abord de Tristan, « Comment lui apprendre que son amant est si près d’elle ? » ou « Si la reine aperçoit le nom de son ami, ainsi que cela lui était déjà arrivé, il n'y a pas de doute qu'elle ne s'arrête ». Puis vient le tour d’Yseult, dont la question, « Mais comment se dérober à cette suite de chevaliers qui l'accompagne ? », nous fait comprendre l’interdit qui pèse sur leur amour, et oblige au secret. Enfin, nous mesurons, lors de la rencontre, le triple aspect de l’amour vécu par les héros. D’un côté, la joie des retrouvailles est illustrée par les exclamations, comme si la poétesse la partageait avec eux : « Dieu ! quel bonheur, et que de choses à se dire après une aussi longue absence ! » De l’autre côté, la douleur de la séparation se traduit par les « pleurs » de la reine. Mais il reste aussi le rêve amoureux, l’espoir de se retrouver, exprimé par Yseult, « elle lui fait espérer un prompt retour », et directement rapporté : « je ne vis que dans l'espérance de vous revoir bientôt. »
Le chèvrefeuille
Mais son récit doit aussi justifier le titre du lai, d’où l’importance accordée au « chèvrefeuille », symbole de l’amour éternel et de la symbiose des amants, comme le rappelle le héros : « Cet arbuste monte, s'attache et entoure les branches. Tous deux semblent devoir vivre longtemps, et rien ne paraît pouvoir les désunir. Si l'arbre vient à mourir, le chèvrefeuille éprouve sur-le-champ le même sort. » L’union se résume par le chiasme qui les unit dans le discours de Tristan, comme les deux plantes dans la nature : « Bele amie, si est de nus: / Ne vus sanz mei, ne mei sanz vus! », « Belle amie, ainsi en est de nous : / Ni vous sans moi, ni moi sans vous ! »
Pour conclure
Marie de France ne reprend pas l’ensemble de la légende, mais seulement un épisode pour sa valeur symbolique. Elle restitue pleinement à la fois la douleur d’amants séparés, mais aussi la force de l’amour à travers l’espoir de pouvoir le vivre sans se cacher, et sa dimension éternelle, illustrée par la métaphore du chèvrefeuille. Celle-ci rappelle également la fin de la légende telle que la raconte Béroul. Quand le roi Marc apprend la mort des amants, il les fait ensevelir dans une chapelle de part et d’autre de son abside. Mais, pendant la nuit, une ronce verte et feuillue, avec des fleurs odorantes, jaillit de la tombe de Tristan, s’élève au-dessus de la chapelle, et s’enfonce dans celle d’Iseut. Par trois fois, les gens du pays la coupent, par trois fois elle repousse, jusqu’à ce que le roi Marc interdise d’y toucher. Même dans la mort, les amants restent unis.
BERNARD DE VENTADOUR, Chansons, 2nde moitié du XII° siècle, "Quand je vois l'alouette..."
Pour lire l'extrait
Bernard de Ventadour, en ancien occitan Bernart de Ventadorn, a été instruit dans l’art des troubadours par son seigneur, le comte Ebles II de Ventadour, surnommé Le Cantador, lui-même ami de Guillaume IX d’Aquitaine et fondateur d’une école poétique sur sa terre de Ventadour, dontle poète prend le nom. Il dédie ses premières « chansons » à la vicomtesse de Ventadour, ce qui lui vaut l’exil. Quand il arrive à la cour d’Aliénor, duchesse d’Aquitaine, il tombe éperdument amoureux d’elle, mais cet amour est condamné quand, en 1152, celle-ci épouse Henri II Plantagenet, duc de Normandie et d’Anjou, et suit son mari, devenu roi d’Angleterre en 1154.
« Quand vei la lauzera mover… », en français « Quand je vois l’alouette… », est une des quarante-cinq chansons conservées, dont nous avons ici un extrait, les trois premiers et le dernier des sept huitains d’octosyllabes, terminé par un envoi, un quatrain.
Ce poème médiéval permet, à travers les sentiments exprimés, d’étudier les fondements de la poésie lyrique.
Bernard de Ventadour. Enluminure médiévale du XIII ° siècle. BnF
LA PUISSANCE DE L’AMOUR
Le bonheur d'aimer
Dans un premier temps, l’amour est perçu comme source d’une joie intense, ce qu’illustre l’image initiale de « l’alouette », légère, qui monte très haut dans le ciel, et se trouve comme illuminée par les « rayons du soleil », avant de brutalement plonger vers le sol. Elle symbolise ainsi l’extase amoureuse que vivent les amants réunis, représentée tel un envol céleste.
C’est ce qui explique l’interjection et l’exclamation par lesquelles le poète souligne son souhait de partager, lui aussi, ce bonheur : « Ah ! quelle grande envie me vient / De tous ceux que je vois joyeux ! » C’est cette promesse de bonheur, cette « joie » liée à « l’amour » dans le dernier vers, qui justifie le « désir », représenté comme la source d’un sentiment irrépressible, à deux reprises. « Et je m'émerveille qu'aussitôt / Le cœur ne me fonde point de désir » montre la puissance de ce désir, qui semble envahir tout l’être touché par l’amour, tandis qu’il s’associe ensuite au « cœur battant », comme incontrôlé.
Le bonheur de l'union amoureuse. Enluminure
La dame suzeraine
La naissance de l’amour révèle immédiatement la toute-puissance de la femme aimée, puisque c’est elle qui autorise cet amour : « elle me laissa regarder dans ses yeux / En un miroir qui me plaît beaucoup ». S’installe ainsi une image, récurrente dans le lyrisme, les yeux comparés à un « miroir » qui permet l’union des âmes.
Mais, dans cette union, c’est la dame qui garde le pouvoir, telle une suzeraine qui possède tous les droits sur son vassal, d’où la répétition verbale dans le deuxième huitain : « Elle m'a pris mon cœur, elle m'a pris elle-même / Et moi-même et le monde entier ; / Et quand elle me prit ainsi, elle ne m'a laissé rien ». Le huitain suivant s’ouvre sur cette même notion, « Je n’eus sur moi plus de pouvoir / Et je ne m’appartins plus », dont l’immédiateté est soulignée par l’indice temporel, « dès l’heure où » : ainsi s’illustre ce que l’on nomme « le coup de foudre » qui place l’amant dans une totale dépendance de la femme aimée.
L'amant vassal aux pieds de la dame suzeraine. Enluminure
LA DOULEUR D’AIMER
Mais cette toute-puissance conduit à une dépossession, qui, peu à peu, détruit l’amant. Ainsi le bonheur d’aimer s’inverse en douleur d’aimer, et la chanson s’inscrit alors dans le registre élégiaque.
Le mal d'amour
Dès le premier huitain le sentiment mentionné, l’« envie », introduit l’idée d’un manque, que confirme la suite du poème, par l’interjection, sur un ton tragique, et l’exclamation qui révèle l’échec : « Hélas ! je croyais tant savoir / Sur l’amour et j'en sais si peu ! »
La souffrance du poète a une double cause, qui traduit son déchirement intérieur :
D’une part, il insiste, par l’accumulation des négations, sur le rejet de la dame : « Celle dont je n’aurai jamais aucune faveur », « Puisque auprès de ma dame, plus rien ne peut valoir / Ni prières, ni merci, ni le droit qui fut le mien, / Puisque nullement ne lui plaît / Que je l'aime ». Tout espoir lui est donc enlevé, celui qui donne à l’amant la patience d’attendre le bon-vouloir de sa bien-aimée. Sa douleur vient donc de cette prise de conscience, lucide, d’où sa plainte : il ne peut plus jouir de ce « droit qui fut le [s]ien ».
D’autre part, et de façon contradictoire, cette lucidité reste inutile, car l’amour est plus fort qu’elle : « Car je ne puis m'empêcher d'aimer », reconnaît-il, en avouant son impuissance.
C’est ce qu’exprime la reprise du thème du « miroir », les yeux de la dame, rapproché du mythe de Narcisse : « Miroir, depuis que je me suis miré en toi, […] / je me suis perdu comme se perdit / Le beau Narcisse en la fontaine. » Comme Narcisse, qui, en se contemplant dans l’eau pure, croyait voir son image, et ne pouvait s’arracher à cette contemplation, prisonnier de cet amour insensé, le poète est prisonnier d’un amour qui lui est, à présent, refusé. Il ne lui reste plus alors qu’à exprimer sa douleur, amplifiée par les hyperboles : « Les soupirs profonds m'ont fait mourir », « Elle m’a fait mourir, et c’est un mort qui lui répond ».
Le renoncement
Mais la fin de la chanson va au-delà de la plainte, en mettant en scène un double renoncement.
Le premier est un renoncement à voir la dame, à laquelle il annonce son départ, avec une répétition insistante : « Ainsi je me sépare d'elle et je renonce ; », « Et je m’en vais puisqu’elle ne me retient pas / Misérable, en exil, je ne sais où », « Car je m'en vais, misérable, je ne sais où. »
Mais le second est peut-être encore plus douloureux pour un poète, et amoureux. C’est le renoncement à dire son amour : « Puisque nullement ne lui plaît / Que je l'aime, jamais plus je ne le lui dirai », « je mets un terme à mes chants ». C’est sur ce silence que se conclut le poème, dans un envoi où le chagrin, marqué par le lexique (« misérable », « je me cache ») se mêle au ressentiment de l’interpellation de sa destinatrice : « Tristan, vous n’aurez plus rien de moi ».
Le choix de ce nom codé pour la désigner, même s’il est étrangement masculin, forme un écho douloureux à la légende qui chantait l’amour éternel entre Tristan et Iseut, puisqu’au contraire le troubadour n’a pas, lui, pu vivre cet amour parfait.
Manuscrit d'une chanson de Bernard de Ventadour. BnF
CONCLUSION
Le poète, dans ces quelques strophes où s’affirme le « je », manifeste tous les sentiments que son expérience amoureuse lui a fait parcourir : depuis l’élan d’amour, l’émotion et le désir de vivre pleinement cette union, jusqu’à la souffrance de ne pas être récompensé de son amour sincère et fidèle, qui le conduit à une forme de mort puisqu’il renonce même à l’expression poétique. Cette « chanson » a donc toutes les caractéristiques de l’élégie, car l’amour ne mène qu’au malheur, et semble n’être, finalement, qu’une illusion.
LA MUSIQUE DES "TROUBADOURS"
Au Moyen Âge
Il est utile de faire écouter l’interprétation de la « chanson » de Bernard de Ventadour pour mieux comprendre l’alliance, chez le troubadour, de la musique et du texte. On fera observer à la fois le choix des instruments, et la ligne mélodique, dont la langueur reproduit les sentiments exprimés. L’écoute montrera aussi la modulation vocale, adoucie au début, puis s’accentuant progressivement. Cette écoute rappelle à quel point le lyrisme s’est, à l’origine, associé à la musique.
Ensemble "Alla Francesca", 1996 : "Quand vei la lauzeta mover...
Charles Trenet, "Swing troubadour", 1941
Un "troubadour" contemporain : Charles Trenet, "Swing troubadour'
Le swing est une des formes prises par le jazz, jouée dans les clubs américains avant la seconde guerre mondiale, et popularisée en France dans l’après-guerre, car, associé à une danse, il correspondait à l’élan de la jeunesse.
L’ensemble du texte reprend, sur un ton bien plus familier, le thème de la douleur, due à l’amour perdu : « ton p’tit cœur est bien lourd », répète le refrain. Nostalgie des temps heureux, « sérénade » sous un balcon qui ne voit plus apparaître la bien-aimée, mais le chanteur-narrateur, qui, lui aussi, « pleure en secret », et silence affirmé : « Elle est finie ta sérénade ».
Cependant, une importante différence se fait jour entre les paroles de cette chanson et celle d’un troubadour comme Bernard de Ventadour, l’optimisme qui persiste : « T'en fais pas, les beaux jours passés / Reviendront simplement un beau soir et sans même y penser ».
Pour lire les paroles de "Swing Troubadour"
CLÉMENT MAROT, Adolescence clémentine, 1532 : "De l'amour du siècle antique"
Pour lire le poème
Fils d’un père poète, dans la tradition des grands rhétoriqueurs, Marot entre très jeune au service de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre et sœur de François Ier. Mais ses choix religieux, alors que commence la lutte des catholiques contre la Réforme, lui valent plusieurs incarcérations, et le contraignent, à deux reprises à l’exil, notamment en 1534, après l’Affaire des Placards.
La première parution de L’Adolescence clémentine, en 1532, lui vaut un retour en grâce et il compose une suite en 1534, complétée par une dernière publication en 1538. Le thème essentiel du recueil est l’amour, sous toutes ses facettes, la marque même du temps d’adolescence, comme l’affirme le poète dans la dédicace d’un des poèmes, « Le temple de Cupido », « À messire Nicolas de Neuville, chevalier, Seigneur de Villeroy », son premier protecteur :
En revoyant les écrits de ma jeunesse, pour les remettre plus au clair qu’auparavant, en lumière, il m'est entré en mémoire qu’étant encore page, et à toi, très honoré Seigneur, je composai par ton commandement la quête de ferme Amour. Laquelle je trouvai au meilleur endroit du temple de Cupido, en le visitant, comme l'âge alors le requérait.
"Le temple de Cupido". Enluminure, BnF
L’œuvre comporte des ballades, des chansons, et 80 rondeaux. Cette forme poétique (parfois nommé « rondel » ou « rondelet ») est une chanson de danse qui date du XIII° siècle, et dont la structure métrique est variable. Sa principale caractéristique est la présence d’un refrain, lancé en tête et repris deux fois, la dernière à la fin, ce qui justifie la notion de « ronde ». Au XV° siècle, il a déjà évolué de 13 à 15 vers, au refrain s’ajoutent trois strophes : un quintil, un tercet, un quintil. On parle de « rondeau nouveau ». Le poème, en décasyllabes à l’exception du refrain, un tétrasyllabe, se construit sur deux rimes.
Le titre de celui-ci en donne le thème : la nostalgie d’un amour profond, perdu. Ainsi, le « bon vieux temps » s’oppose au temps actuel.
L’AMOUR « AU BON VIEUX TEMPS »
Dans la plus grande partie du poème, les verbes sont à l’imparfait, pour décrire, de façon méliorative, le « train d’amour », c’est-à-dire le comportement amoureux de jadis, mais aussi pour en signifier la durée.
La première strophe
Elle illustre l’âge d’or de la relation amoureuse de jadis par un exemple, celui d’« un bouquet donné d’amour profonde », sans même que soit évoquée sa composition, pour mieux souligner la simplicité de ce cadeau. La reprise du verbe « donner », la rime suivie « profonde / ronde » et l’hyperbole amplifient encore la valeur de ce don, comparé à celui de « toute la terre ronde ». L’importance de cet exemple se traduit par le jeu sonore, des allitérations en [t] et [d] comme pour mieux scander le rythme. Le vers 5 forme une conclusion de cette première strophe, la force sincère de cet amour « antique », mise en relief par l’inversion du complément : « Car seulement au cœur on se prenait ».
"La Cour d'amour en Provence", au XIV° siècle. Manuscrit, BnF
La deuxième strophe
La deuxième strophe met l’accent sur une autre qualité : la durée de l’amour, une fois obtenu. Pour insister sur ce point, le poète interpelle son lecteur par une question oratoire, à laquelle le vers 8 répond : « Vingt ans, trente ans, cela durait un monde ». Le rythme de l’énumération temporelle, et la reprise de la rime féminine, « un monde », semblent étendre cette durée, en rapport avec la durée de vie habituelle au Moyen Âge.
L’AMOUR JUGÉ PAR MAROT
Pour en savoir plus sur l'étude de la versification
La dénonciation
L’adverbe « or », signifiant « maintenant » et le choix du présent, « est perdu », « on oit », « je me fonde », « il faut » marque une nette rupture avec les deux strophes précédentes. La strophe se présente comme un contrepoint de ces temps anciens, d’abord par une généralisation, « est perdu ce qu’amour ordonnait », où la personnification fait de ce changement la trahison d’une loi imposée par une instance supérieure, quasi divine.
Le rythme du vers 11, avec l’anaphore de la négation restrictive « rien que », met en relief cette transformation que suggéraient déjà les négations de la première strophe : en décrivant un comportement amoureux « sans grand art et dons », Marot avançait déjà l’idée d’une relation amoureuse fondée sur des artifices, donc fausse, et sur un intérêt matériel, la valeur des cadeaux… C’est ce que reprend l’accusation, dans les deux compléments d’objet direct antéposés : les « pleurs feints » illustrent l’image d’une expression amoureuse factice, le terme « changes » s’oppose à la durée indiquée dans la deuxième strophe. L'amour a donc perdu son naturel.
L'implication du poète
Après la généralisation du début du rondeau, notamment avec l’emploi du pronom indéfini « on », la fin redonne au poète toute sa place, à travers son injonction, « il faut ». Il répond ainsi à l’incitation traditionnelle, du vers 12 : la jeunesse n’est-elle pas le temps d’aimer ? L’exigence est double, d’abord signalée par le jeu des rimes : « « refonde » fait écho à « fonde », eux-mêmes échos de « profonde », « ronde », « monde ». Nous observons aussi l’écho verbal entre « démenait » dans la première strophe, et le contraste établi entre le présent « mène » et le retour au passé, « menait ». Le poème se ferme ainsi sur le sentiment de nostalgie d’un temps heureux, disparu selon Marot, et le désir de le voir revivre.
CONCLUSION
Le rêve amoureux de Marot est donc un retour vers un temps passé, qu’il dépeint comme l’épanouissement d’un amour naturel, simple, sincère et durable, en l’opposant aux mœurs actuels qu’il dénonce : l’amour du XV° siècle lui apparaît factice, hypocrite, artificiel.
Cette volonté de simplicité est parfaitement représentée par le choix du « rondeau », grâce à sa brièveté, à la légèreté du décasyllabe, au refrain, avec sa formulation familière. Les deux rimes qui le soutiennent en se faisant écho, les allitérations et la scansion du rythme révèlent aussi le lien maintenu entre l’expression lyrique et la musique.
PIERRE DE RONSARD, Sonnets pour Hélène, 1578 : "Madrigal"
Pour lire le poème
Noble, bien considéré à la cour, Pierre de Ronsard (1524-1585) était promis à une brillante carrière, militaire ou diplomatique. Mais la surdité qui l'atteint dès 1540 le conduit à y renoncer : il se tourne alors vers les études, et publie, en 1550, ses premiers recueils poétiques, encore très érudits, avec leurs allusions mythologiques nombreuses. Mais Ronsard est resté célèbre surtout par ses recueils lyriques des Amours, qui tous reprennent le "carpe diem" en chantant la force de l'amour, en trois cycles :
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Les sonnets des Amours de Cassandre (1552) sont dédiés à Cassandre Salviati, fille d'un riche banquier italien, rencontrée à Blois lors d'un bal à la cour, en 1545. Ils sont très marqués par le modèle de Pétrarque.
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La Continuation des Amours, poèmes dédiés à Marie (1555) forment un recueil plus simple, avec des poèmes frais et rustiques, à l'image de la dédicataire, une jeune paysanne angevine de quinze ans.
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Les Sonnets pour d'Hélène (1578), recueil dédié à Hélène de Surgères, demoiselle d’honneur à la cour de Catherine de Médicis, est l’œuvre d'un poète vieillissant pour une femme inaccessible. Un vers y résume son œuvre : "Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie."
Portrait de Pierre de Ronsard, XVI° siècle. Peinture de l'Ecole de Blois.
Cette déclaration d'amour du poète à la jeune femme, qui lui refuse son cœur, ne se change-t-elle pas en l'expression d'un "rêve amoureux" inaccessible ?
LE MAL D’AIMER
Nous retrouvons dans ces quatre quatrains, l’image de l’amour déjà dépeinte dans la poésie courtoise : une souffrance qui ressort de l’autoportrait du poète.
La maladie d'amour
Comme il est fréquent dans les poèmes médiévaux, l’amour est une passion, au sens étymologique, une souffrance subie. Le terme « mal » revient trois fois dans le texte, en gradation : dans le deuxième quatrain « souffrir beaucoup de mal », repris au vers 13, devient, dans le dernier, une affirmation renforcée, où l’adjectif, en écho sonore, suggère la mort : « et sais bien que mon mal est fatal ». L’amour amène, en effet, tous les signes d’une véritable maladie. Ronsard évoque d’abord, en contraste avec le « front joyeux », sa « langueur extrême », amplifiée par l’adjectif hyperbolique, puis le rythme du vers 12 souligne cette image. Ce même contraste se retrouve dans l’opposition des deux adjectifs monosyllabiques, « Chaud, froid », et une personnification de la « fièvre amoureuse » met le poète, représenté par le pronom personnel « me », en fonction d’objet direct, en son pouvoir, comme incapable de guérir.
La dépossession de soi
Mais l’amour touche aussi l’âme même : il emprisonne le poète, en le réduisant à une forme d’impuissance, qui s’accentue au fil des quatrains.
Dans le premier, il montre que l’amour s’est emparé de lui au point de le rendre incapable d’agir, d’où l’énumération verbale, rythmée par la rime intérieure : « Rêver, songer, penser le moyen de vous plaire, / Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire ». La rime accuse nettement l’amour, en plaçant en antithèse le fait de « plaire » à la femme aimée et l’inaction, « rien faire ».
Dans le deuxième, le poète insiste sur son égarement, avec l’effet de suspens provoqué par l’élision du [ ə ] à la césure marquée par une virgule : « De me perdre moi-même, et d’être solitaire ». L’amour provoque donc une double rupture : avec soi-même et avec autrui.
Le troisième quatrain dépeint un déchirement intérieur, illustré par l’image empruntée au contexte féodal : « Sentir au fond de l’âme un combat inégal », entre d’un côté, la force de l’amour, de l’autre la souffrance éprouvée. Comme dans l’amour courtois, l’amant vit son amour comme une épreuve à subir.
Dans le dernier quatrain, l’apogée se traduit par la mise en apposition de l’adjectif « furieux », accentué par la diérèse, qui traduit un état de folie, d’aliénation mentale, une complète dépossession de soi.
LA FORCE DE L’AMOUR
Le chevalier et la dame aux oiseaux. Miniature du XIVème siècle
La dame suzeraine
Tout le madrigal met en valeur la femme aimée, interpellée solennellement dans le premier vers, et quasiment divinisée, au service de laquelle se voue le poète, comme le souligne la négation restrictive et l’enjambement : « et ne vouloir rien faire / Qu’adorer et servir la beauté qui me nuit. » Face à elle, il se place donc en position d’infériorité, tel le chevalier médiéval devant la dame, ce que réaffirme l’opposition du vers 9 : « Si c’est aimer de vivre en vous plus qu’en moi-même ». Il lui est totalement soumis, ne pouvant que subir sa toute-puissance et son rejet, qui ressort de la gradation rythmique, 2 syllabes, puis 4, puis l’hémistiche entier : « Pleurer, crier merci, et m’en voir éconduit. » Il semble comme envahi par la force de cet amour, dès le premier vers avec son parallélisme, « et de jour et de nuit ».
Le poète n’a donc plus que ses mots pour tenter de toucher le cœur de la dame, en lui dépeignant la souffrance qu’elle lui inflige : elle est « la beauté qui me nuit ». Dans des vers où la voyelle aiguë de la rime reproduit son cri, il se place toujours en position d’objet : « un bonheur qui me fuit », « m’en voir éconduit ».
L'aveu paradoxal
Cet aveu représente un évident effort, puisqu'il se trouve retardé par l’hypothèse en anaphore, « Si c’est aimer », en tête des trois premiers quatrains et reprise au vers 14. La difficulté est dépeinte par l’image du poète, avec les choix lexicaux, la gradation rythmique, et la modalité exclamative du vers 13 : « Honteux, parlant à vous, de confesser mon mal ! » L’amant est représenté comme un « pécheur », contraint face à un prêtre, de reconnaître une faute : il n’aurait pas le droit d’aimer. Peut-être faut-il voir là une allusion à l’écart d’âge entre lui et Hélène de Surgères ? Et pourtant, la structure du madrigal conduit à cet aveu, rendu insistant par l’anadiplose affirmative des vers 14 et 15: « je vous aime ».
Un second paradoxe est la contradiction entre la déclaration et le silence. Alors même, en effet, que l’objectif est de déclarer à la dame son amour, le madrigal mentionne à plusieurs reprises le silence. Dès le premier quatrain, l’énumération « rêver, songer, penser » montre que l’amour reste intériorisé, ce que confirme le verbe « me taire » à la rime. C’est aussi ce que met en valeur l’antithèse du dernier vers, la "pointe" du madrigal avec son image : « Le cœur le dit assez, mais la langue est muette. » Tout se passe comme si, à peine l’aveu formulé, le poète le regrettait et se renfermait dans le silence.
Anonyme, Le Bal des noces du duc de Joyeuse, XVI° siècle. Huile sur cuivre, 54 x 39. Czartoryski Muzeum, Cracocie
CONCLUSION
Ronsard illustre ici l’objectif du madrigal, genre qui prend son essor dans le contexte de la Renaissance, où la cour se plaît aux jeux raffinés sur le langage. Il met en forme galante le discours amoureux hérité de la fin’amor médiévale : il s’agit de dédier à la femme aimée, la suzeraine, une déclaration amoureuse du poète, son vassal, de façon originale, propre à surprendre, comme par cette contradiction que fait ressortir la pointe finale.
Le madrigal inscrit pleinement l’image de l’amour dans le registre lyrique, en dépeignant la souffrance du poète qui vit un amour dépeint comme impossible, mais, parallèlement, auquel il ne se résout pas à renoncer. Il ne peut donc plus que tenter d’appeler Hélène à plus de douceur, à lui accorder ce « bonheur » dont il rêve.
RONSARD ET LA PLÉIADE
Pour lire le sonnet
Pierre de Ronsard, Continuation des Amours, 1555, "Marie, si l'on voulait votre beau nom tourner..."
Après Les Amours de Cassandre, recueil inspiré par Cassandre Salviati, une grande dame, érudits et marqués par l’imitation des poèmes de l’italien Pétrarque, dédiés à sa bien-aimée, Laure, Ronsard se trouve une nouvelle source d’inspiration, Marie Dupin. Il nous propose alors des « poèmes simples et clairs » plus simple à l’image de cette jeune paysanne, qualifiée de « fleur angevine de quinze ans ». Quelle image de l’amour cette invitation propose-t-elle ?
Un plaidoyer
Nous retrouvons l’image du poète implorant la dame, héritée de l’amour courtois médiéval : son prénom est lancé en tête du sonnet, et repris à la rime du vers suivant. Le poète se soumet ainsi à elle, tout en insistant sur sa prière par la reprise de l’impératif, « Aimez-moi », avec le connecteur insistant, « donc » et prolongé par « Faites cela ». D’abord séparés, ils se trouvent réunis par le « nous » dans le second quatrain, union dont la force est soulignée par la formule qui marque la réciprocité : « l’un l’autre ».
Pour convaincre sa bien-aimée, plusieurs arguments sont posés, à commencer par la valeur du prénom « Marie ». En jouant sur l’anagramme et le chiasme dans la structure, Ronsard se souvient du Cratyle, dialogue dans lequel le philosophe Platon explique que les mots, plus que des instruments destins à nommer la réalité, sont comme des images qui renvoient à la réalité. Le prénom de Marie lui impose donc l’amour comme une forme de destin.
Ronsard entreprend ensuite son propre éloge, en s’affirmant comme un amant parfait dans sa promesse de fidélité éternelle, partagée : « Votre amour ne se peut en meilleur lieu donner. »
Enfin, les tercets généralisent l’argumentation, en faisant de l’amour une obligation, d’abord neutre, « aimer quelque chose », puis avec une affirmation semblable à un proverbe, « Celui qui n'aime point, celui-là se propose / Une vie d'un Scythe ».
Le sonnet exprime donc la volonté du poète de conquérir le cœur de Marie, en associant la force des arguments aux procédés de persuasion.
Le rêve amoureux
Ce sonnet relève de l’hédonisme, doctrine philosophique qui considère le plaisir comme un bien essentiel, but de l'existence, et qui fait de sa recherche le mobile principal de l'activité humaine, en reprenant la formule latine du « Carpe diem ». Ainsi, l’amour est immédiatement associé à la sensualité, afin de tenter Marie, avec la répétition du mot « plaisir » au pluriel, la reprise de l’hyperbole, « goûter la douceur des douceurs la meilleure » par l’adjectif « doux », et l’image concrète de l’enlacement amoureux et du baiser au vers 7. L’allusion mythologique finale à « Vénus » couronne cette image.
Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus, vers 1485, détail. Détrempe sur toile de lin, 172.5 x 278.5. Galerie des Offices, Florence
Mais Ronsard va plus loin, dans une forme de sacralisation de l’amour. Le prénom « Marie », avec toute l’insistance du premier quatrain, se charge, en effet, d’une connotation religieuse, Marie représentant l’amour total et parfait. L’amour prend ainsi une dimension quasi mystique dans les tercets, par l’opposition entre la « vie », qui tire son sens de l’amour, et l’image du Scythe, traditionnel barbare dans la Grèce antique.
L’élan lyrique, qui ouvre le sonnet, reprend dans la chute finale, soutenu par l’interjection « Eh ! » et la question rhétorique lancée au lecteur. Mais Ronsard introduit dans le sonnet une tonalité tragique, avec l’interjection « Las » qui sonne comme un regret par avance. La chute du sonnet pose une affirmation amplifiée par le contre-rejet du vers 13, suivi de l’enjambement : Ronsard semble évoquer ici l’inéluctable passage du temps, l’amour devenant alors la seule force capable de faire reculer la mort.
Pour conclure
Le sonnet, qui a commencé sur un ton léger, en jouant sur les mots, se change peu à peu en un rêve d’amour idéal, éternel, propre à donner sens à la vie. Ronsard dépasse ainsi le lyrisme amoureux personnel pour affirmer la conception qui soutient l’ensemble de son œuvre, l’hédonisme.
Joachim du Bellay, Défense et Illustration de la langue française, 1549. Frontispice
La Pléiade
C’est un mouvement littéraire novateur, initié par un groupe de jeunes humanistes, parmi lesquels Etienne Dolet, philologue, et plusieurs poètes, dont Pontus de Tyard, Baïf, Ronsard et du Bellay, qui en rédige, en 1549, le texte fondateur : La Défense et l'illustration de la langue française. Le nom choisi illustre déjà leur programme : briller, telles les constellations de la Pléiade, au firmament de la littérature, en rendant leur nom immortel.
Leur programme réclame d'abord la primauté de la langue française sur le latin, à enrichir encore par des emprunts à l'antiquité, mais aussi aux dialectes provinciaux, aux domaines techniques, et même par des créations originales à partir de l'étymologie.
Ils posent aussi une conception élevée de la poésie. Elle doit renoncer à n'être qu'un simple divertissement, un jeu sur les légères formes fixes médiévales, lais, virelais, rondeaux... pour s'anoblir en renouvelant les genres antiques, odes, élégies, ou en empruntant à la Renaissance italienne, par exemple le sonnet pratiqué par Pétrarque.
Ils rejoignent Platon pour faire du poète un être inspiré, capable de guider les princes, de donner l'immortalité aux êtres dont il fait l'éloge. En cela, ils retrouvent la conception générale de l'artiste propre à la Renaissance : il doit accomplir un travail exigeant pour atteindre l'absolue beauté.
Qui veut voler par les mains et les bouches des hommes doit longuement demeurer en sa chambre et qui désire vivre en la mémoire de la postérité, doit, comme mort en soi-même, suer et trembler maintes fois, et, autant que nos poètes courtisans boivent, mangent et dorment à leur aise, endurer de faim, de soif et de longues vigiles.
Ce sont les ailes dont les écrits volent au ciel.
J. Du Bellay, Défense et Illustration de la langue française, 1549
DEVOIR : Louise Labé, Sonnets, 1555, VIII, "Je vis, je meurs..."
Pour lire le sonnet
Lyon, passage incontournable sur la route de l'Italie, est un carrefour intellectuel actif au XVI° siècle, d'abord en raison de son atelier d'imprimerie, où de nombreux auteurs publient d'autant plus facilement que la ville ne dépend d'aucun prince. Cela explique le développement, entre 1540 et 1560, de ce que l'on nomme "l'École lyonnaise", même si ces poètes n'ont pas véritablement voulu fonder un mouvement littéraire. Maurice Scève, ainsi que des femmes, Pernette du Guillet et Louise Labé, surnommée "la belle Cordière", se retrouvent cependant dans leur inspiration empruntée à Pétrarque, notamment à travers le thème lyrique des souffrances amoureuses.
Le devoir demande un commentaire littéraire, organisé pour répondre à deux questions :
- Comment la poésie réussit-elle à exprimer les sentiments contradictoires ?
- En quoi ce sonnet permet-il de parle d’une « passion » amoureuse ?
Woeiriot, Portrait de Louise Labé, 1555. Gravure. BnF
Un support pour le commentaire : une riche explication linéaire
CHARLES DE MONTAUSIER, La Guirlande de Julie, 1641, « Le Narcisse » : deux madrigaux
Pour lire les textes
Nicolas Robert, La Guirlande de Julie. Miniature du XVII° siècle
Dès 1631, Charles de Montausier (1610-1690), familier de l’Hôtel de Rambouillet, fait la cour à Julie d’Angenne, fille de la Marquise de Rambouillet. Il ne conclut ce mariage qu’en 1645, en renonçant à sa religion protestante. Il obtient ensuite son duché et devient Gouverneur du Dauphin, fils de Louis XIV.
L’Hôtel de Rambouillet est le lieu emblématique de la Préciosité, et Julie est, avec sa mère, l’animatrice du salon qui reçoit tous les précieux de temps. C’est ce qui donne au duc, en 1633, l’idée de composer, avec une vingtaine d’autres poètes, un recueil intitulé La Guirlande de Julie, composé de soixante-deux madrigaux sous le nom de différentes fleurs, qui vont toutes représenter une allégorie de l’amour, dont seize écrits par le duc, auxquels les éditions modernes en ont ajouté trente, que le duc avait, à l’origine, rejetés. La jeune femme, dite « l’incomparable Julie », trouve donc, le 1er janvier 1641, suspendu à sa garde-robe, le manuscrit richement décoré, où chaque auteur fait parler une fleur en l'honneur de la jeune fille.
Le madrigal, court poème, sans forme fixe, qui cherche à exprimer un compliment amoureux sous un tour galant, souvent en se terminant par un trait d’esprit, a été particulièrement apprécié dans les salons précieux. Boileau dans l’Art poétique en fait d’ailleurs l’éloge : « Le madrigal, plus simple et plus noble en son tour/ Respire la douceur, la tendresse et l’amour. »
Ce recueil, illustré par le peintre de fleurs, Nicolas Robert, lui fut remis en 1641 (selon certains, dès 1634), le jour de sa fête. Six madrigaux sont consacrés au narcisse.
Nous nous interrogerons sur la façon dont, dans ces deux madrigaux, le mythe de Narcisse est mis au service du rêve amoureux du poète.
LE RAPPEL DU MYTHE
À l'origine du mythe de Narcisse : Ovide, Les Métamorphoses, III
La beauté de Narcisse
Caractéristique du personnage dans le mythe d’Ovide, sa beauté est mentionnée dans les deux madrigaux : « des beautés », au pluriel dans le premier madrigal, ou avec le terme précieux, « les appâts » dans le second.
Mais une différence importante ressort. Cette beauté est dévalorisée par rapport à celle de Julie : « Lui-même des beautés te cède la victoire », « Faire une beauté qui la sienne surpasse », affirme Montausier, et le second madrigal reprend « de qui les appâts ne cèdent qu’à vos charmes ».
L'amoureux de soi-même
La dimension amoureuse du mythe est mise en valeur dans le second poème, avec le rappel des dédains de Narcisse pour Écho : « Pour qui jadis Écho répandit tant de larmes ». Les deux madrigaux insistent sur la fascination du personnage pour sa propre image. Le premier la souligne par la comparaison, soutenue par la rime embrassée et l’alternance entre les alexandrins et les octosyllabes : « Étant jadis touché d’un amour sans pareil, / Pour voir dedans l’eau son image, / Il baissait toujours le visage / Qu’il estimait plus beau que celui du soleil ». Le second mentionne l’aspect insensé de cet amour, une « folie » : « Adorant ma propre beauté ». Mais la mort du personnage est totalement effacée, rien ne devant assombrir la déclaration du poète.
Narcisse se mirant dans la fontaine, vers 1480-1520. Enluminure. Boston Museum of Fine Arts
UN NOUVEAU NARCISSE
Nicolas Robert, Narcisse des forêts, 1676. Eau-forte, 41,5 x 30,5. Musée du Louvre
L'emploi du "je"
Les deux madrigaux introduisent le « je », mais avec deux référents différents.
Dans le premier, il représente d'abord l’auteur, qui fait, dans le premier vers, une dédicace à Julie : « Je consacre, Julie, un Narcisse à ta gloire ». Mais, après ce premier vers, il s’efface, se contentant de devenir narrateur.
Dans le second, le poète, qui dédie la guirlande à Julie, adopte lui-même le rôle de « ce narcisse fameux » qu’il fait parler : « Qui viens pour vous offrir mes vœux ». Mais il joue sur la métamorphose du personnage, « Pour qui jadis Écho répandit tant de larmes », en fleur, puisqu’il n’emploie pas de majuscule au nom « narcisse », comme si le poème se situait après la métamorphose.
Une invitation à l'amour
Mais le Narcisse de Montausier est bien différent de celui du mythe, puisqu'il lui a été touché par l’amour. Le premier madrigal reconnaît, en effet, la supériorité de la beauté de Julie, amplifiée par la rime suivie entre « gloire » et « victoire » et l’ampleur des deux premiers alexandrins : « Je consacre, Julie, un Narcisse à ta gloire,/ Lui-même des beautés te cède la victoire ». Dans le second, un bref octosyllabe lance même un aveu d’amour direct : « ce n’est plus moi, c’est vous que j’aime ».
Le mythe, réinterprété, en transformant l’image du personnage, s’inscrit ainsi dans le contexte de la déclaration amoureuse, telle qu’elle s’est mise en place dans la littérature courtoise.
Nous reconnaissons, en effet, dans le premier madrigal, l’hommage rendu à la dame par l’amant en adoration devant elle, illustré par le fait de « baiss[er] toujours son visage », pris de « honte » devant la beauté de sa bien-aimée, accentuée par le contraste, dans la dernière rime embrassée, entre « basse » et « surpasse ».
Le second madrigal, jouant sur la couleur de la fleur, blanche, et son propre état d’amant malheureux (« ma pâleur », « le teint blême », dernière rime suivie avec « j’aime »), dépeint le poète comme le parfait amant tel que le voyaient les Précieuses, dans la lignée de l’amour courtois. Il se montre conscient de son indignité face à la femme aimée, en élaborant une comparaison entre la « folie » du héros mythique, qui voulait s’étreindre lui-même, considérée comme inférieure à sa propre « témérité », son audace d’oser aimer Julie. Il qualifie même de « crime » cette audace, dans un ample alexandrin.
Il y a donc une inversion par rapport au mythe : c’est « Narcisse », soit le poète, qui remplace Écho, en devenant l’amant éconduit, et qui en appelle à la pitié de Julie par l’impératif : « Oyez donc ce discours ».
Boccace, Le Livre des cleres femmes, 1402-1403. Manuscrit, BnF
CONCLUSION
Le mythe est donc utilisé comme une stratégie de déclaration amoureuse. Les madrigaux inversent son point de départ, prenant comme support la fleur pour, ensuite, l’assimiler au héros mythique, derrière lequel se cache le poète amoureux.
Ces poèmes sont représentatifs de la Préciosité, qui place au centre de ses écrits, le thème de l’amour, avec un souvenir de l’amour courtois. Les poèmes précieux mettent en scène l’image du parfait amant, rendant à sa belle toute sa « gloire », et qui attend, souffrant en silence, qu’elle daigne l’aimer en retour. Rappelons que le mot « Préciosité » exprime l’idée d’accorder du prix à la femme.
Le choix du madrigal correspond aussi à une caractéristique de la Préciosité qui privilégie des genres poétiques courts, dans lequel les rimes et la métrique restent libres, comme ici le mélange de rimes suivies, une rime suivie puis deux rimes embrassées dans le premier poème, croisées dans le second, et l’alternance de l’alexandrin, vers noble, et de l’octosyllabe, plus léger. Nous y retrouvons aussi l’emploi, fréquent dans ce mouvement littéraire, de la métaphore, qui se développe ici en une véritable allégorie pour illustrer concrètement les sentiments amoureux. Enfin, le madrigal se ferme sur un trait d’esprit original, qui forme une « chute ».
Pour en savoir plus sur la Préciosité
Guillaume de Lorris et Jean Meun, Le Roman de la rose, 1575. Manuscrit, BnF
Autour du mythe de Narcisse
Pour lire les textes complémentaires
Deux madrigaux dans La Guirlande de Julie
"Le Narcisse" de Philippe HABERT
Dans ce très bref madrigal, c’est à nouveau le « Narcisse » qui prend la parole pour rappeler le mythe, son propre « malheur », puisqu’il est mort de n’avoir voulu aimer que lui-même.
Mais en rendant hommage, dans le premier alexandrin, à la « beauté suprême » de Julie, Habert fait glisser le sens du madrigal : c’est à présent Julie qui ressemble à Narcisse. Avec les impératifs, le mythe devient alors un « exemplum » à ne pas suivre, reproche d’indifférence adressé à Julie, et une invitation à l’amour, soulignée par le chiasme qui place le verbe « aimer » au centre de l’alexandrine qui amplifie la « chute : « Puisqu’il faut que tout aime, aimez d’autres que vous ». L’amour est présenté comme une loi générale, inscrite dans la nature, donc dans l’ordre divin, d’où la menace des « coups » du « Ciel », d’un châtiment en cas de refus.
"Le Narcisse" de Germain HABERT, abbé de Cerisy
L’éloge des « beaux yeux » de Julie, sur lequel s’ouvre ce madrigal, est un « topos » de la littérature précieuse, d’autant que le poète, dans le rôle de Narcisse, s’incline devant la supériorité de sa beauté : « Je sais que ma beauté ne fut jamais si grande ».
Mais, comme dans le poème précédent, Julie devient elle aussi Narcisse, par son indifférence à l’amour reprochée dans le deuxième vers : ses yeux ne veulent « rien prendre » qu’elle-même. Ce reproche s’accentue, avec le choix d’un champ lexical qui suggère une menace : « suspect », « j’appréhende », chèrement vendu ». Nouvel « exemplum », le madrigal établit, en effet, un parallélisme entre le mythe, le châtiment subi par Narcisse (« comme elle m’a perdu »), et l’attitude de Julie qui, elle aussi, peut entraîner un châtiment divin.
Auguste Mongin, Fontispice de l'édition de 1875 de La Guirlande de Julie
Ces deux madrigaux, dont la brièveté illustre bien ces jeux poétiques appréciés dans les salons précieux, tout en invitant Julie à l’amour, utilisent le mythe pour lui reprocher sa froideur. À la différence de Montausier, c’est elle, en fait, qui est comparée à Narcisse, et non plus le poète.
Histoire de l'art : le mythe de Narcisse dans la peinture
Pour voir un diaporama d'analyse
Nicolas Poussin, Écho et Narcisse, vers 1630 . Peinture sur toile, 74 x 100. Musée du Louvre , Paris
John William Waterhouse, Echo and Narcissus, 1903, Huile sur toile, 109,2 x 189,2, Liverpool, Walker Art Gallery
ANDRÉ CHÉNIER, Élégies, Fragments d'élégies, 1785-1787, « Jeune fille, ton cœur avec nous veut se taire... »
Pour lire le texte
André Chénier (1762-1794), mort guillotiné pendant la Terreur, commence sa carrière de poète en suivant les modèles de l’Antiquité, grecque et latine, bucoliques, élégies, odes, ïambes, de tonalité lyrique, mais aussi satires, épîtres et épigrammes, avant de s’impliquer davantage dans les questions soulevées par la Révolution avec des écrits plus philosophiques et des articles.
Son œuvre n’a été publiée qu’en 1819 : il est alors considéré par les Romantiques comme un de leurs précurseurs. En 1889, une nouvelle édition regroupe l’ensemble de ses écrits, d’où le titre Élégies, Fragments d’élégies pour une partie de cette œuvre reconstituée d’après les manuscrits retrouvés après la mort du poète.
Dès l’origine, l’élégie privilégie le ton mélancolique et s’inscrit dans le registre lyrique, pour exprimer, fréquemment, les limites de la condition humaine, telle la fuite du temps, ou le sentiment amoureux. C’est le cas dans celle-ci, mais nous nous interrogerons sur la forme originale que lui donne Chénier, celle d’un dialogue qui met au premier plan le portrait de la « jeune fille » et non celui du poète.
Joseph-Benoît Suvée, André Chénier lors de son incarcération, 1794. Huile sur toile, 61 x 49. Collection particulière
UNE SCÈNE DIALOGUÉE
Un dialogue paradoxal
Le premier vers ouvre le poème sur une contradiction : l’interpellation, « Jeune fille », lancée en tête et marquée par la coupe, est immédiatement contredite par le verbe à la rime, « se taire ». Le thème de ce dialogue est cependant posé. Comme dans les élégies de Catulle, Tibulle ou Properce, les modèles latins de Chénier, il s’agit de l’amour, indiqué par la métonymie, « ton cœur ».
Le dialogue semble donc impossible, et pourtant le poète tente de le faire naître, par exemple avec l’injonction du vers 12, « conte-moi comment », ou par la question qui suit mais reste inachevée par les points de suspension : « Quel jeune homme aux yeux bleus, empressé, sans audace, / Aux cheveux noirs, au front plein de charme et de grâce… » Aucune réponse, mais la question révèle que visage de la jeune fille la trahit, « Tu rougis ? », ce qui permet au poète de lancer une interprétation, « On dirait que je t’ai dit son nom », et même de suggérer, dans l’hémistiche suivant, que la réponse est inutile : « Je le connais pourtant. » Ainsi le silence se trouve, en réalité rompu.
L'implication du poète
Le poète s’inclut, au début du texte, dans le pronom « nous », pluriel repris au vers 10, et par l’adjectif possessif, « nos nymphes » au vers 22. Son interprétation est malaisée, car le premier semble inclure le poète dans un groupe proche de la jeune fille, famille, amis…, alors que, dans le vers 10, mis en valeur par le rejet, il prend une valeur générale : « Les belles / Nous charment tous. » Le dernier emploi s’éloigne de ce sens général, puisque l’indice temporel, « en ce bois voisin », rétablit une proximité entre les deux interlocuteurs.
Or, ce choix est inhabituel dans une élégie, qui privilégie, en général, l’expression du sentiment personnel, donc l’emploi du « je ». Il occupe cependant le cœur de l’élégie, dont le ton, soutenu par l’interjection, « Ah ! » et l’exclamation du vers 10, se fait alors plus exalté. L’élan imprimé par le connecteur « et » révèle l’aveu personnel : « mon œil est savant et depuis plus d’un jour ; / Et ce n’est pas à moi qu’on peut cacher l’amour. » Le rythme brisé du distique complète cet aveu et, même s’il se présente comme une vérité générale, « Les belles font aimer ; elles aiment. Les belles / Nous charment tous », la répétition du verbe « aimer » et l’exclamation finale trahissent le sentiment personnel : « Heureux qui peut être aimé d’elles ! » Il est possible d’y lire un souhait, peut-être même le regret de n’avoir pas pu vivre cet amour.
Il y a donc un déplacement du lyrisme dans ce poème, puisque Chénier masque sous les sentiments prêtés à la jeune fille ceux qu’il a pu lui-même ressentir.
L’IMAGE DE L’AMOUR
Domenico Fetti, Mélancolie, 1618. Huile sur toile, 179 x 140. Galleria dell’ Accademia, Venise
Le mal d'aimer
L’élégie s’ouvre sur le portrait de la jeune fille, dont chaque élément traduit la douleur. Le lexique, « se taire », « tu fuis », « en vain », traduit sa solitude, tout comme la multiplication des négations : « tu ne ris plus », « rien ne saurait te plaire », « n’anime plus ». Le martèlement des monosyllabes au vers 2, avec l’aigu de la voyelle [ i ], illustre le vide de son existence, dont toute joie est effacée et qui l’amène de renoncer à l’activité traditionnelle chez une jeune fille, la broderie, évoquée dans le deuxième distique.
Ce chagrin se traduit même physiquement, à travers l’image qui symbolise sa langueur : « Et la rose pâlit sur ta bouche expirante ». Ainsi, de même que les « couleurs » de la « soie » restent sans pouvoir sur elle, les couleurs disparaissent de son visage.
Le rêve amoureux
Le vers 5, avec la négation restrictive, montre que l’amour se réduit au seul rêve : « Tu n’aimes qu’à rêver, muette, seule, errante ». La jeune fille se transforme ainsi en une sorte de fantôme, image créée par l’énumération des adjectifs avec le jeu sur le [ ə ], tantôt prononcé devant une consonne comme pour « muette », tantôt élidé devant une voyelle, comme pour « seule » où l’élision, coïncidant avec la virgule, provoque un temps de suspens.
La mention de ce rêve revient à la fin du texte, mais de façon plus précise, puisqu’il se trouve nourri par la présence du jeune homme, « Autour de ta maison / C’est lui qui va, qui vient », que surveille la jeune fille : « et, laissant ton ouvrage. / Tu vas, sans te montrer, épier son passage. » Mais le distique suivant montre que ce rêve, lui aussi, ne conduit qu’au vide, l’amant s’efface, et la jeune fille reste seule face à elle-même : « Il fuit vite ; et ton œil, sur sa trace accouru, / Le suit encor longtemps quand il a disparu. »
François Boucher, Jeune fille au bouquet de roses, vers 1753. Huile sur toile, 55,9 x 45. Collection particulière
L'invitation à aimer
Chénier ne blâme pas la jeune fille d’être amoureuse, bien au contraire la juxtaposition du vers 9 présente l’amour comme une loi générale, valable pour les hommes comme pour les femmes : « Les belles font aimer ; elles aiment ». Il insiste aussi, dans une longue énumération, sur les qualités du jeune homme : « aux yeux bleus, empressé, sans audace, / Aux cheveux noirs, au front plein de charme et de grâce ». Il allie la beauté physique à deux éléments qui prouvent son amour : « empressé », il tente de la séduire, mais tout en maintenant son respect envers elle, « sans audace ». Les derniers vers du texte, par les choix lexicaux, le rapprochent même de la peinture traditionnelle des héros grecs de l’antiquité, méliorative : « Nul n’a sa noble aisance et son habile main / À soumettre un coursier aux volontés du frein. »
Un tel portrait justifie le conseil lancé : « Sois tendre, même faible ; on doit l’être un moment ; / Fidèle, si tu peux. » Sous une forme moins directe avec les adjectifs, « tendre », « faible », il nous rappelle le « carpe diem » des hédonistes, l’appel aussi lancé par Ronsard à celle qu’il voulait conquérir. Mais le dernier adjectif, « fidèle » ouvre une autre dimension, qui suggère à nouveau le sentiment du poète, surtout avec l’hypothèse « si tu peux » : en introduisant cette réserve, ne suggère-t-il pas que l’infidélité fait partie de la nature des femmes ? Aurait-il lui-même été la victime d’une femme infidèle ? On sait que Chénier a vécu une passion pour Michelle de Bonneuil, dont les amours furent très tumultueuses…
CONCLUSION
Cette élégie de Chénier répond à la fonction traditionnelle de cette forme poétique, en restituant le jeu des émotions amoureuses, les mouvements du cœur, déchiré entre la souffrance et l’espoir de voir le rêve se concrétiser. En cela, il retrouve aussi bien les poètes élégiaques de l’antiquité que la double image de l’amour héritée de l’amour courtois, la douleur de l’amour inaccessible accompagnée pourtant d’une invitation à aimer. Il tranche ainsi sur la poésie de son époque, réduite essentiellement à une poursuite des jeux précieux, ou qui, conformément au souhait du « siècle des Lumières », privilégie l’expression de la réflexion philosophique, comme chez Voltaire, dans Le Mondain (1736) ou Poème sur le désastre de Lisbonne (1756).
Cependant, il rompt aussi avec la tradition en prenant une double liberté :
L’expression lyrique ressort du portrait de la « jeune fille », c’est à travers lui que le lecteur mesure les sentiments amoureux. Seuls l’élan lyrique de quelques vers suggère qu’il s’agit là d’un décalage, d'une substitution, que le poète peut, lui aussi, savoir ce qu’implique l’amour.
La versification reste traditionnelle, classique et régulière, ampleur de l’alexandrin, rimes suivies, mais la fiction du dialogue entre le poète et la jeune fille, lui permet d’assouplir le rythme, en multipliant, par exemple, les coupes intérieures, les rejets et les enjambements. De même, la description fait alterner les images familières, quotidiennes, avec celles qui rappellent la noblesse des récits mythologiques.
DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES
Pour lire le texte
Jean de LA FONTAINE, Fables, 1678, IX, 2 : "Les deux pigeons"
En 1678 La Fontaine fait paraître son second recueil de Fables, dédié à Mme de Montespan, favorite du roi, dans une nouvelle tentative pour se concilier les faveurs de Louis XIV. Il le fait précéder d’un « Avertissement » dans lequel il explique avoir « cherché d’autres enrichissements » et avoir « étendu davantage les circonstances de ces récits ». Ainsi, si dans le premier recueil il avait encore beaucoup emprunté à Esope et à Phèdre, ses modèles antiques, ici il va chercher son sujet chez Pilpay, un sage indien, dont le Livre des lumières avait été traduit en français en 1644, mais surtout c’est sa propre personnalité que nous découvrons davantage. Cette fable retrouve cependant un thème cher aux écrivains antiques, depuis l’Odyssée d’Homère, celui du « nostos », du retour plus important que le voyage lui-même.
Gaston Gélibert, "Les deux Pigeons", vers 1885. Gravure, 37,6 x 27,2 . Musée National de l'éducation
Au cœur de la fable, au fil du voyage, les péripéties se succèdent, en gradation. La Fontaine démythifie son « héros » par le contraste entre l’amplification épique des épreuves et le ridicule croissant des échecs successifs. La fable s’inscrit ainsi dans le registre héroï-comique, forme de parodie. Mais cette fable tire aussi son originalité des deux passages qui l’encadrent, la plainte d’un des pigeons au début et la morale à la fin, soutenue par un commentaire de La Fontaine, fondé sur son expérience amoureuse.
La situation initiale
Le premier vers pose le thème, « l’amour tendre » au sein du couple des « deux pigeons », La Fontaine jouant sur le double symbolisme de cet oiseau, l’amour et le voyage. Mais c’est précisément ce qui les oppose, les rimes croisées des quatre premiers vers semblant illustrer leur différence, le désir de nouveauté de « [l]’un d’eux s’ennuyant au logis ». Le discours direct prêté à l’autre, fortement modalisé par les interrogations et les exclamations, donne à sa douleur un ton tragique, tout comme l’interjection, « Hélas », et le cri lancé : « Non pas pour vous, cruel ». Les divers arguments expriment tous la peur de perdre l’être aimé : « Je ne songerai plus que rencontre funeste ». Mais la force de cet amour ne suffit pas à retenir l’« imprudent voyageur ».
Affiche pour la création du ballet Les Deux Pigeons par Jules Chéret, 1886
La fin de la fable
La fin du texte dépasse la fonction ordinaire de la morale dans les fables, puisque, après 5 vers de conseils aux lecteurs, La Fontaine change de ton.
Il adopte d’abord, après l’interpellation qui rappelle le thème, « Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ? », les impératifs proposent une image d’un amour fusionnel, renforcé par l’image et l’insistance lexicale dans un ample alexandrin : « Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau ». La Fontaine joue aussi sur la répétition de l’adverbe « toujours », qui prête à l’amour une valeur éternelle et une force absolue, marquée par l’antithèse : « Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste. »
Les derniers vers sont surprenants, car l’expression lyrique du sentiment amoureux est peu habituelle dans les fables et, de façon générale, dans la poésie du XVII° siècle, davantage marquée par les jeux du langage précieux. Certes, nous les retrouvons ici à travers l’allusion mythologique dans la périphrase, « le fils de Cythère », pour désigner Cupidon, dieu de l’amour, ou la transformation de la femme aimée en « aimable et jeune bergère », qui nous rappelle la mode de la poésie pastorale, héritage médiéval. De même, après l’aveu direct, « J’ai quelquefois aimé », l’énumération hyperbolique, soutenue par les répétitions et le rythme binaire rappelle les éloges propres à la poésie précieuse. Enfin, le vers qui la conclut, « Je servis, engagé par mes premiers serments », appartient encore à l’image du parfait amant, caractéristique de l’amour courtois, amant chevalier fidèle, tout dévoué à la dame.
Mais les derniers vers accentuent l’élan lyrique, avec les interjections, « Hélas ! », « Ah ! », les interrogations et l’exclamation. La Fontaine, alors âgé de soixante-huit ans, y exprime un regret sincère des amours perdus et, surtout, un sentiment mêlé devant la fuite du temps. D’un côté, une forme d’espoir, comme s’il était difficile de renoncer à l’amour : « Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer ! ». De l’autre, la brièveté de l’octosyllabe final met en valeur la peur d’une vieillesse qui interdirait l’amour : « Ai-je passé le temps d’aimer ? »
Vieillemard et Fils, Illustration publicitaire des "Deux Pigeons" pour Le Bon Marché
Pour conclure
Cette fable nous confirme aussi le rôle de ces apologues, bien peu destinés aux enfants contrairement à ce que le premier recueil, dédié au jeune Dauphin alors âgé de neuf ans, avait pu laisser croire. C’est aux lecteurs adultes que s’adresse La Fontaine, et au-delà du conseil de sagesse prudente, fréquemment donné par La Fontaine, c’est aussi lui-même qu’il nous peint, volage en amour, « voyageur » assez semblable au pigeon en fait. C’est ce qui explique que, paradoxalement, à côté d’un idéal d’amour parfait, éternel, il développe aussi le souhait de revivre l’amour, une forme d’hédonisme.
André CHÉNIER, Élégies, Fragments d'élégies, 1785-1787, "Ainsi le jeune amant..."
L’élégie, ici descriptive d’un personnage et narrative, ne choisit pas le registre lyrique habituel, où le « je » du poète s’exprime directement. Mais, comme souvent chez Chénier, un glissement se produit, et derrière ce « jeune amant », se cache l’écrivain et sa propre expérience de l’amour.
Pour lire le texte
Jean-Honoré Fragonard, Le Billet doux ou La Lettre d’amour, vers 1775. Huile sur toile, 83,2 x 67, The Metropolitan Museum, New York
Nous y retrouvons un thème traditionnel, la séparation des amants, avec l’adjectif « seul » mis en apposition dans le premier vers. Mais cette séparation ne peut atténuer l’amour, que la lettre fait perdurer. Elle est l’objet symbolique de l’amour qui les unit, d’où l’insistance hyperbolique : « Il savoure à loisir ces lignes qu’il dévore ; / Il les lit, les relit et les relit encore », il « [b]aise la feuille aimée et la porte à son cœur ». Son exaltation répond à celle de sa « belle amante », qui « pleure et ne vit que pour lui ».
Le récit introduit alors l’élément perturbateur, avec une brutalité marquée par l’énumération verbale : « Tout à coup de ses doigts l’aquilon ravisseur / Vient, l’emporte et s’enfuit. » La dramatisation s’accentue ensuite, avec l’exaltation de la douleur traduite par l’interjection « Dieux ! ». La perte de la lettre, « cher soutien de ses jours » en tant qu’objet du transfert, figure celle de l’amour, résumée dans la gradation : il perd « Son âme et tout lui-même et toutes ses amours ».
La violence de sa douleur est reproduite par l’énumération, soutenue par l’allitération en [ R ] et les échos sonores : « Il tremble de douleur, de crainte, de colère. / Dans ses yeux égarés roule une larme amère. »
Joseph Anton Koch, Torrent de montagne avant la tempête, 1848. Aquarelle
Enfin, le décor joue aussi un rôle dans ce poème, annonçant déjà les lieux prisés des Romantiques du XIX° siècle et renforçant l’expression lyrique. Au début, assis « sous un mélèze au bord des précipices », le jeune homme se trouve dans un paysage qui fait écho à sa solitude et correspond à son exaltation. Mais, à la fin, le décor participe à la quête effrénée de cette lettre, qui représente à présent l’amour perdu : il « [c]ourt, saute, vole, et l’œil sur lui toujours fixé, / Franchit torrents, buissons, rochers, pendantes cimes, / Et l’atteint, hors d’haleine, à travers les abîmes. »
Ainsi, l’élégie illustre les épreuves que doivent subir les amants : la séparation, la peur de perdre l’amour, les efforts à fournir pour le garder…
Conclusion de la séquence
Bilan : l'évolution du lyrisme
Le parcours littéraire réalisé dans cette séquence a permis de mesurer l’évolution à la fois de l’expression du sentiment amoureux et, plus spécifiquement, celle du registre lyrique, dont la source remonte à l’antiquité gréco-romaine, modèle pour les poètes des siècles ultérieurs.
Au Moyen Âge, la poésie reflète l’idéal de l’amour courtois, inscrit dans le contexte féodal et fondé sur les valeurs de la chevalerie, dont la légende de Tristan et Iseut offre l’exemple. Elle reste encore proche de l’origine même du terme « lyrisme », car accompagnée de musique.
À la Renaissance, elle s’affirme comme un genre littéraire à part entière, et le poète, sous l’influence de la Pléiade, proclame sa supériorité, l’immortalité que lui offre son talent. L’inspiration reste marquée par les idéaux de l’amour courtois, hommage du poète à sa bien-aimée, mais l’élan propre au siècle humaniste retrouve aussi l’invitation à aimer, le « carpe diem » de l’hédonisme antique. Parallèlement, grâce aux rhétoriqueurs, les formes se diversifient, odes, rondeaux, ballades…, le sonnet apparaît, imité de l'Italie, et la versification s’élabore aussi, tout en conservant la volonté de musicalité.
Gaston Bussière, Tristan et Iseult, 1895. Peinture sur toile, 103 x 66. Musée des Ursulines, Mâcon
Ainsi, à travers le thème du « rêve amoureux », nous avons pu constater que la poésie oscille entre deux tendances. Tantôt, considérée comme un art du langage, elle élabore la versification, s’autorise des jeux sur les mots, recherche le « trait » frappant, comme dans la chute des madrigaux chers à la Préciosité au XVII° siècle. Tantôt, elle privilégie l’inspiration, et, dans le cas du lyrisme, l’expression des sentiments personnels : appel à l’amour parfois, rêve d’un amour parfait, absolu et fusionnel, mais aussi douleur d’aimer sans être aimé en retour, souffrance de la séparation, épreuves pour maintenir cet amour… Le lyrisme privilégie alors le ton élégiaque pour chanter sa mélancolie, sa nostalgie, sa plainte, ou même l’échec du rêve amoureux.
La mythologie, avec des héros qui symbolisent la puissance de l’amour, tel Narcisse qui meurt de n’avoir voulu aimer que lui-même, nourrit l’inspiration, aussi bien des poètes que des peintres. Elle construit l’imaginaire des artistes et de leur public, ce qui explique sa réécriture de siècle en siècle.
Ouverture : vers de nouvelles formes d'expression lyrique
Pour lire les trois poèmes
Arthur RIMBAUD, Poésies (« Les Cahiers de Douai »), 1870, « Rêvé pour l’hiver »
« Rêvé pour l’hiver » appartient au second des « cahiers de Douai », remis par Rimbaud à son ami, le poète Paul Demeny : une date est indiquée, qui correspond à une fugue vers la Belgique. La dédicace reste non élucidée, mais le poème évoque clairement les premiers émois, les premiers désirs du jeune poète, alors âgé de seize ans.
Ce poème de Rimbaud se présente comme un sonnet, mais original tant par sa forme, qui bouleverse les règles classiques du genre, que par le contenu de ce « rêve amoureux », représentatif de la fantaisie du jeune poète.
Le sonnet marque une rupture avec le lyrisme traditionnel, en accord avec la jeunesse du poète, qui est capable de représenter, avec une distance humoristique et des souvenirs du monde de l’enfance, son propre « rêve » amoureux. Cette même jeunesse explique aussi sa remise en cause des règles traditionnelles du sonnet, avec l’hétérométrie ou les rimes croisées.
Arthur Rimbaud, en octobre 1871. Photographie de Carjat
Il révèle aussi le dynamisme de la poésie de Rimbaud, une poésie faite de mouvement : ici celui du train, restitué par le rythme et les sonorités, est mis en parallèle avec celui du jeu amoureux. C’est aussi une poésie qui rompt avec la mélancolie du siècle romantique, car ici le rêve paraît se concrétiser par la complicité du couple, et le futur qui le pose comme une certitude.
Pour en savoir plus sur Rimbaud, un site très complet
Pour une analyse précise du sonnet
Guillaume APOLLINAIRE, Calligrammes, 1918, « Reconnais-toi »
Apollinaire (1880-1918) est un parfait représentant de son époque. Paris, capitale découverte en 1898, est le centre de son existence. Il y mène, à Montparnasse, la vie des jeunes artistes bohèmes, fréquente les peintres "fauves", se lie à Montmartre avec les premiers cubistes, qu'il défend dans des revues, et avec des écrivains comme Max Jacob, Jarry, puis Cendrars.
L’œuvre de ce poète, qui se surnomme « le mal-aimé », est traversée par le thème de l’amour, avec de nombreuses évocations de femmes, notamment de trois d’entre elles : Annie Playden, jeune anglaise rencontrée alors qu’il est précepteur en Rhénanie de 1901 à 1903, le peintre Marie Laurencin, avec laquelle il vit une liaison passionnée de 1907 à 1912, enfin « Lou », Louise de Coligny-Châtillon, pendant la guerre. Il leur dédie des poèmes, et même un recueil entier, les Poèmes à Lou, publié à titre posthume.
Mais l’expression lyrique d’Apollinaire, tout en s’inscrivant dans la tradition de l’amour courtois et de la Pléiade, dont il hérite aussi sa volonté de musicalité par le choix des rythmes et des sonorités, coexiste avec des audaces qui annoncent déjà le courant surréaliste qu’il revendique d’ailleurs dans un drame, Les Mamelles de Tirésias, joué en 1917. Il fait entrer dans la poésie toutes les réalités du monde moderne, techniques nouvelles, personnages, comportements, bruits, jusqu'aux images terribles de la guerre, dont il reproduit la violence. Les ruptures s’observent aussi dans la versification : même les poèmes de forme classique, recourent à un lexique familier, voire trivial, et à des rythmes brutalement brisés. Certains textes vont encore plus loin, avec une poésie libre, où l’absence de ponctuation crée une sorte de « collage » en juxtaposant les images. Enfin, le recueil Calligrammes, publié, offre une forme originale : la typographie y dessine l’image qui donne sens au texte.
Ce calligramme rappelle le « blason », héritage du XVI° siècle : il est destiné à célébrer la beauté du corps de la femme, ici le visage, avec l’énumération, qui progresse du « chapeau » vers le bas de l’image qui a servir de modèle au poète. L’éloge ressort du choix des adjectifs : « adorable », et surtout « Exquis », mis en valeur par la majuscule comme pour s’appliquer à chaque élément cité. Nous retrouvons aussi, dans ce texte, l’expression lyrique traditionnelle qui divinise la femme aimée, « ton buste adoré », et le glissement d’un portrait chargé de sensualité à un amour sublimé : « c’est ton cœur qui bat ».
La typographie permet de reproduire les contours de l’image, depuis la forme des majuscules, telles celles de « Cette », « La » ou « Ton », ou même dessine l’élément décrit, comme pour le « nez ».
Louise de Coligny, le modèle du "Calligramme"
Paul ÉLUARD, Capitale de la douleur, 1926, « La courbe de tes yeux »
C'est aussi l’expérience de la guerre qui conduit Paul Éluard, pseudonyme d’Eugène Grindel, à fréquenter, dès son retour à Paris, les dadaïstes, puis à participer, avec les surréalistes, aux explorations du domaine des rêves, enfin à signer, avec Breton, le premier Manifeste du surréalisme en 1924 et le recueil poétique en prose, L’immaculée Conception (1930). Un de ses premiers recueil, Capitale de la douleur , publié en 1926, illustre la façon dont Éluard mêle les audaces du surréalisme – syntaxe brisée, multiplication d’images insolites – à un lyrisme plus personnel, qui célèbre l’amour.
La poésie d’Éluard témoigne, en effet, de la place que les surréalistes ont accordée à la femme et à l’amour. C’est sa relation tourmentée avec Gala, une jeune Russe rencontrée en 1913 dans un sanatorium suisse, épousée en 1916), lui inspire le recueil Capitale de la douleur. Viennent ensuite Maria Benz, surnommée Nusch, épousée en 1944, à laquelle il dédie de nombreux poèmes et dont la mort, en 1946, le plonge dans une profonde dépression. C’est sa dernière épouse, Dominique, qui l’inspire à nouveau par exemple dans le recueil Le Phénix, paru en 1951.
Pour une analyse plus détaillée
F. Léger, Portrait de Paul Éluard, 1947
Ce poème reprend la forme du "blason", mais, au lieu d’énumérer les parties du corps féminins, il déroule une série de métaphores, qui font appel à tous les sens et à tous les éléments naturel, pour faire l’éloge de la femme à partir de « la courbe de [s]es yeux ». Il offre ainsi au regard de la femme aimée un double pouvoir. D’une part, elle fait naître le monde, qu’elle semble inclure en elle : « Le monde entier dépend de tes yeux purs ». D’autre part, elle apporte une nouvelle naissance au poète lui-même : « Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu / C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu ». La femme est ainsi représentée comme une médiatrice ente le poète et l’univers, auquel elle donne corps, vie, et sens.
Éluard retrouve ici une forme poétique plus classique, avec les trois quintils. Mais ce n'est qu'une apparence, car il mêle le décasyllabe, qui domine dans le poème, à l’alexandrin, dans les vers 1, 3 et 4, lui-même brisé par l’octosyllabe du deuxième vers. De même, si le poème s’ouvre sur une rime suffisante suivie, les vers suivants reposent surtout sur un système d’assonances, vocaliques ou consonantiques, notamment avec les échos autour du son [ R ].
LECTURE PERSONNELLE : Arthur RIMBAUD, Poésies, "Les Cahiers de Douai"
Le recueil, Poésies, a été constitué après le décès de Rimbaud, et il inclut les « Cahiers de Douai » que Rimbaud avait remis à son ami, le poète Paul Demeny, mais qu’il considérait comme des œuvres de jeunesse sans grande valeur.
Il serait inutile de chercher une structure à cette section du recueil, puisque Rimbaud a écrits ces poèmes spontanément, sans souci d’organisation.
Hormis un poème difficile à classer, « Le Buffet », qui traduit la nostalgie d’un passé disparu, cinq thèmes principaux sont cependant identifiables autour desquels il est possible de proposer aux élèves un travail d’analyse :
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L’errance, la fugue, ce que lui-même nomme la « poésie de bohémien » : « Sensation », « Au Cabaret-vert », « La Maline » et « Ma Bohème » ;
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L’enfance, avec « Les Effarés » ;
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L’anticléricalisme, dans « Le Châtiment de Tartufe », mais aussi à l’occasion d’autres poèmes, tels « Le Mal » ;
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L’amour, la femme et le rêve amoureux : « Les Réparties de Nina », « Vénus anadyomène », « Première soirée », « Roman », « À la musique », « Rêvé pour l’hiver », le poème dédié à « Ophélie » et l’ample poème didactique sur la puissance de l’amour dans « Soleil et chair » ;
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La guerre, la révolte politique et la mort : « Morts de Quatre-vingt douze… », « Bal des pendus », « Rages de Césars », « Le Mal », « Le Forgeron », « Le Dormeur du val » et « L’éclatante victoire de Sarrebrück ».
Pour aider l'analyse