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Incipit : du début à "... se donner la peine de naître." 

La passion
Stendhal, Vanina Vanini, 1829 : explications d'extraits

Pour lire l'extrait

Vanina Vanini est la première nouvelle que Stendhal publie dans la Revue de Paris, en 1829, alors qu’expulsé de Milan, il séjourne à Paris. La publication dans des revues, qui se développe au début du XIXème siècle, favorise l’essor de ce genre court, et cette nouvelle à la fois illustre l’époque qui lui sert de cadre et porte en germe les caractéristiques de l’écriture stendhalienne. Sa brièveté, qui interdit les longues descriptions et les portraits tels que ceux que peut peindre Balzac, n’empêche pas cet incipit de remplir, en trois temps, son double rôle : informer le lecteur tout en retenant son attention

1ère partie : La description du contexte (du début à la ligne 14) 

Le cadre spatio-temporel

L'époque

Quoiqu’incomplète, « un soir du printemps de 182* », la date indique que les faits rapportés dans le récit sont contemporains de son écriture, et correspondent aussi à l’époque où Stendhal a séjourné en Italie, pays de la passion et patrie des arts, pour lequel il a toujours manifesté un amour inaliénable. Stendhal rappelle ici la situation historique de ce pays, dans lequel, depuis la chute de l’Empire, les puissances étrangères jouent un rôle politique prépondérant, d’où la mention, à côté des « plus belles femmes de Rome », de celles venues « de la noble Angleterre », reprise lors de l’arrivée des « étrangers ».

Le lieu

Stendhal ne décrit pas de façon détaillée le lieu, mais déjà la formule introductive, « son nouveau palais de la place de Venise », en plein centre de cette capitale des États du pape, nous fait pénétrer dans un cadre luxueux. C’est ce sur quoi insiste le rythme binaire et les hyperboles d’une phrase qui, tout en restant dans l’abstraction, nous permet d’imaginer la beauté et la richesse du décor : « Tout ce que les arts de l’Italie, tout ce que le luxe de Paris et de Londres peuvent produire de plus magnifique avait été réuni pour l’embellissement de ce palais. »

Luigi Rossini, Piazza Venezia, 1850. Gravure.

Luigi Rossini, Piazza Venezia, 1850. Gravure.
 Le bal  : Vanina et Livio. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

L'image de la société

La phrase « Tout Rome était en mouvement » renvoie, en réalité, à une société restreinte et choisie, reflet en Italie de la monarchie qui a repris, lors de la Restauration en France, ses privilèges. Pour renforcer le réalisme de sa nouvelle, Stendhal cite l’organisateur du bal, « M. le duc de B*** », et, même si son nom reste masqué, la précision, « ce fameux banquier », fait croire à son existence, comme s'il était connu de tout lecteur.

 Le bal  : Vanina et Livio. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

Mais il nous montre aussi que la noblesse a retrouvé sa puissance, sa richesse, ce que confirme la remarque sur « la magnificence de ce bal », rapportée au discours direct : « « Les fêtes d’aucun des rois de l’Europe, disaient-ils, n’approchent point de ceci. » C’est aussi ce qui explique que chacun se presse pour assister à ce bal : « Le concours était immense. », « elles arrivaient en foule ». L’effet de vérité est accentué la focalisation interne, due à l’ambiguïté du pronom indéfini « on voyait », qui donne l’impression que le narrateur est lui-même un des invités du bal, témoin qui relate ses propres impressions. C’est donc une société oisive et frivole, qui veut avant tout se donner en spectacle, au point que certaines femmes « avaient brigué l’honneur d’assister à ce bal. »

L'entrée de l'héroïne

Le premier paragraphe braque le projecteur sur les femmes, pour en souligner la séduction, qu’il s’agisse des « beautés blondes et réservées de la noble Angleterre » ou des Italiennes : « Les plus belles femmes de Rome leur disputaient le prix de la beauté. » Mais cette présentation permet de faire ressortir l’arrivée de l’héroïne, « conduite par son père », comme l’exigent les règles de bienséance. De même que Stendhal ne décrivait pas précisément le lieu, pas de réel portrait ; seuls deux éléments sont signalés : « Une jeune fille que l’éclat de ses yeux et ses cheveux d’ébène proclamaient Romaine entra ». Pour la mettre en valeur, Stendhal joue sur la réaction des assistants : « tous les regards la suivirent ». Cependant, cette objectivité est aussitôt démentie par l’interprétation qui interprète la vision, en insistant sur ce que ce "narrateur-témoin" juge exceptionnel : « Un orgueil singulier éclatait dans chacun de ses mouvements. »

2ème partie : Le portrait de l'héroïne (des lignes 15 à 31) 

Le rôle des femmes

En mettant à nouveau l’accent sur la place occupée par les femmes, Stendhal les représente, de façon méprisante, comme des objets décoratifs, telles des colonnes sculptées, ou des statues : « Les rois n’ont pas un palais d’architecture romaine : ils sont obligés d’inviter les grandes dames de leur cour ; M. le duc de B*** ne prie que de jolies femmes. » Ce présent de vérité générale leur assigne pour seule fonction celle de faire-valoir de la richesse et du luxe de l’organisateur du bal : « Ce soir-là il avait été heureux dans ses invitations ; les hommes semblaient éblouis. » Ainsi, comme s’il s’agissait d’accorder un prix à des tableaux ou à des objets précieux, se met en place un concours : « Parmi tant de femmes remarquables il fut question de décider quelle était la plus belle ». Cela lui permet, comme lors de son entrée dans la salle de bal, d’isoler l’héroïne en la valorisant par la métaphore : elle « fut proclamée la reine du bal ». Ainsi le récit met en relief la puissance de sa séduction : « Aussitôt les étrangers et les jeunes Romains, abandonnant tous les autres salons, firent foule dans celui où elle était. »

Stendhal, Vanina Vanini

Une jeune fille distante

Cependant, Stendhal ne précise toujours pas le portrait de Vanina. Il se contente de reprendre en chiasme les deux traits déjà relevés, « l’éclat de ses yeux et ses cheveux d’ébène », par « cette jeune fille aux cheveux noirs et à l’œil de feu », qui suggèrent la force de son tempérament. Cela se confirme par son comportement au cours du bal. Conformément aux rapports sociaux de cette époque, elle se soumet, certes, au pouvoir de son père : « Son père, le prince don Asdrubale Vanini, avait voulu qu’elle dansât d’abord avec deux ou trois souverains d’Allemagne. Elle accepta ensuite les invitations de quelques Anglais fort beaux et fort nobles ».

Cependant, au-delà de son statut social de princesse, cette soumission tranche avec la confirmation de son « orgueil singulier », déjà signalé lors de son arrivée. Sous prétexte de reproduire le jugement de son héroïne, Stendhal donne ici libre cours à son ironie, dirigée contre la frivolité et le vide culturel de ces jeunes nobles tels ces jeunes Anglais qui n’ont comme seul mérite que leurs bonnes manières, « leur air empesé l’ennuya ». L’ironie s’accentue par l’antithèse entre le jugement général sur Livio Savelli, rendu mélioratif par l’hyperbole, « C’était le jeune homme le plus brillant de Rome, et de plus lui aussi était prince », et l’indigence intellectuelle qui, sous couvert de traduire le jugement de Vanina, « un désavantage », révèle le mépris de l’écrivain envers ses jeunes contemporains, accentué par le discours rapporté indirect : « mais, si on lui eût donné à lire un roman, il eût jeté le volume au bout de vingt pages, disant qu’il lui donnait mal à la tête ». Cela lui permet aussi de compléter le portrait de l’héroïne, que ce même mépris amène à exercer son pouvoir de séduction par un jeu cruel : « Elle parut prendre plus de plaisir à tourmenter le jeune Livio Savelli qui semblait fort amoureux. »

3ème partie : Un événement perturbateur (de la ligne 32 à la fin) 

L'évasion du carbonaro

La situation initiale de la nouvelle, peinture d’un moment d’insouciance légère, est interrompue par un élément perturbateur, qui, lui aussi, renvoie à la situation historique en Italie, la montée du carbonarisme après la chute de l’Empire, mouvement libéral qui lutte contre les autorités italiennes et réclame l’unité du pays. Stendhal n’a jamais caché ses sympathies pour ce mouvement, qui lui ont valu, d’ailleurs, son renvoi à Paris en 1821. Ce mouvement menace, bien sûr, le pouvoir des états européens, sur l’Italie, d’où la réaction des invités : « Vers le minuit une nouvelle se répandit dans le bal, et fit assez d’effet. »

La rumeur accentue l’héroïsme de ce « jeune carbonaro, détenu au fort Saint-Ange », prison romaine redoutable, qui « venait de se sauver le soir même ». Son évasion, « à l’aide d’un déguisement », commentée de façon méliorative, le transforme en héros de roman : « par un excès d’audace romanesque, arrivé au dernier corps de garde de la prison, il avait attaqué les soldats avec un poignard ». Un effet de suspens est également introduit, puisqu’une menace pèse sur lui : «  mais il avait été blessé lui-même, les sbires le suivaient dans les rues à la trace de son sang, et on espérait le ravoir. »

Le rôle du dialogue

 

Le récit, toujours par le choix de la focalisation interne, attire l’attention du lecteur sur l’importance de cet événement perturbateur par l'insertion du dialogue direct entre Vanina et Livio. Introduit par la mention hyperbolique des sentiments du jeune Livio, « presque fou d’amour », ce dialogue fait d’autant plus ressortir le rejet brutal de Vanina : « Mais, de grâce, qui donc pourrait vous plaire ? — Ce jeune carbonaro qui vient de s’échapper ». 

Orgueil-prejuges.jpg

Pour exprimer le mépris de son héroïne, Stendhal reprend une phrase du Mariage de Figaro de Beaumarchais, comédie dans laquelle le valet dénonce les privilèges de son maître noble, selon lui immérités : « au moins celui-là a fait quelque chose de plus que de se donner la peine de naître. » Mais Stendhal crée aussi un horizon d’attente, car le lecteur est immédiatement frappé par l’intérêt que l’héroïne porte à ce jeune révolutionnaire courageux, et pressent qu'il pourra jouer un rôle dans la nouvelle.

Une jeune fille rebelle, dans Orgueil et préjugés. Film de Joe Wright, 2005

CONCLUSION

Ce début de la nouvelle répond bien au double rôle traditionnel d’un incipit.

        D’une part, il apporte le lecteur les informations indispensables pour qu’il puisse suivre le récit, ici la situation de l’Italie en ce début du XIXème siècle, que Stendhal connaît bien puisqu’il y a déjà effectué plusieurs séjours et en fait sa patrie de cœur. Son parti pris réaliste ne l’empêche pas de jeter un regard sévère sur les luttes politiques qui s’y livrent alors et sur une société dans laquelle la noblesse étale ses privilèges. Il y présente aussi le contexte dans laquelle se meut son héroïne, dont il met en valeur à la fois la beauté et « l’orgueil ».

        D’autre part, il cherche aussi à captiver immédiatement son lecteur, en évitant les longues descriptions et portraits pour mentionner très vite l’évasion qui fait figure d’élément perturbateur et crée un horizon d’attente par la réaction de son héroïne. Il met aussi en évidence l'originalité du style de Stendhal, son parti pris de réalisme mais aussi ses intrusions dans le récit, notamment par le recours à l'ironie.

La passion : de "Vanina venait toutes les nuits... " à "... l'excès de son bonheur." 

Pour lire l'extrait

Après un rapide incipit, l’élément perturbateur, l’évasion d’« un jeune carbonaro », conduit à nouer l’action : Vanina découvre que son père maintient caché, dans le plus grand secret, dans « les combles » du palais, une « inconnue » blessée. Immédiatement, l’héroïne, romanesque, se prend d’un vif intérêt pour cette femme mystérieuse, qui, elle-même, lui manifeste la plus grande tendresse, allant jusqu’à « pr[endre] sa main qu’elle couvrit de baisers. » Mais, quand celle-ci lui avoue sa réelle identité, et les circonstances de son évasion, Vanina prend ses distances, ce que le narrateur explique par « l’expression d’un caractère altier que l’on vient de blesser. » Non seulement, elle s’est laissée tromper, mais aussi le récit fait par Pietro amoindrit son héroïsme. Cependant, elle ne renonce pas. 

Un geste d'amour. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

Un geste d'amour. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

Comment, en marquant les mouvements contradictoires qui agitent les deux héros, Stendhal représente-t-il la naissance de la passion ?

1ère partie : Les premiers doutes de Vanina (du début à la ligne 11) 

L’extrait s’ouvre sur une représentation contradictoire de l’héroïne. L’indice temporel, souligne sa curiosité : « Vanina venait toutes les nuits coller sa joue contre les vitres de la fenêtre du jeune carbonaro. ». Mais son orgueil combat cet élan, combat intérieur qui révèle sa pleine conscience de l’amour qu’elle éprouve et de la transgression dont elle fait preuve : « Si je lui parle, se disait-elle, je suis perdue ! Non, jamais je ne dois le revoir ! »

L’énonciation joue sur deux ressources :

  • Dans un premier temps, le narrateur omniscient intervient pour expliciter ce que ressent son héroïne, d’un côté son attirance quand elle ignorait l’identité de « l’inconnue », de l’autre cette « résolution » due à son orgueil blessé mis en évidence par l’adverbe insistant : « quand si sottement elle le croyait une femme. »

  • Puis l’exclamation dans le discours indirect libre fait entrer le lecteur dans la pensée même de l’héroïne, expression d’un regret révélatrice déjà de son attachement : « Après une intimité si douce, il fallait donc l’oublier !

  • Enfin, le narrateur réapparaît pour élargir l’analyse, en soulignant la transformation de Vanina : « Depuis que Missirilli s’était nommé, toutes les choses auxquelles elle avait l’habitude de penser s’étaient comme recouvertes d’un voile, et ne paraissaient plus que dans l’éloignement. 

Cependant, cette analyse n’est pas dénuée d’ironie, dans la façon dont Stendhal met en évidence l’opposition entre l’amour et la raison, qui bouleverse tout l’être : « Dans ses moments les plus raisonnables, Vanina était effrayée du changement qui avait lieu dans ses idées. » N’oublions pas l’éducation reçue par Vanina ni son statut social : comment une princesse pourrait-elle aimer un ennemi de l’Italie ? Mais, en précisant que tous ces mouvements contradictoires se déroulent « malgré elle », Stendhal met l’accent sur la force du sentiment amoureux naissant.

2ème partie : Une double stratégie ( des lignes 12 à 30) 

Du refus à l'acceptation

 

L’enchaînement des indices temporels révèle les sentiments qui agitent Vanina, et d’abord sa faiblesse, alors même que le récit venait d’affirmer sa « résolution », traduite physiquement : « Une semaine ne s’était pas écoulée, que Vanina, pâle et tremblante, entra dans la chambre du jeune carbonaro avec le chirurgien. » Mais elle s’est trouvé le meilleur prétexte, la blessure à soigner, et « le chirurgien » lui offre une sorte de protection, et la négation insiste sur la brièveté de cette visite : « Elle ne resta pas dix secondes ». Cependant, parallèlement, sa demande, rapportée au discours indirect, peut apparaître comme une volonté de pouvoir poursuivre tranquillement ses visites, sans risquer de se faire surprendre par son père : « Elle venait lui dire qu’il fallait engager le prince à se faire remplacer par un domestique. »

Puis ces notations temporelles marquent une évolution.

  •  D’abord, le délai introduit, « mais quelques jours après elle revint encore avec le chirurgien » confirme sa résistance intérieure, mais la raison invoquée, « par humanité », est bien hypocrite : elle continue à tricher avec elle-même.

  • Une étape est franchie, par la transgression des règles de bienséances imposées aux jeunes filles, avec une visite que la blessure ne justifie plus : « Un soir, quoique Missirilli fût bien mieux, et que Vanina n’eût plus le prétexte de craindre pour sa vie, elle osa venir seule. » La conscience de sa faute se manifeste à nouveau physiquement par son « front couvert de rougeur ».

Une double distanciation

 

        Pietro, lui, n’est pas dupe de ces réactions : la poursuite des visites de Vanina, et surtout le fait qu’elle vienne « seule », lui prouve qu’il est aimé, d’où l’hyperbole : « En la voyant, Missirilli fut au comble du bonheur ». Mais, à son tour, il entre dans un jeu de dissimulation : « il songea à cacher son amour ». L’explication donnée par le narrateur omniscient est d’abord présentée comme un gage de respect : « avant tout, il ne voulait pas s’écarter de la dignité convenable à un homme », ce qui le conduit à afficher une « amitié noble et dévouée, mais fort peu tendre ». Il fait preuve d’une froideur qui s’oppose à la fois où, avant d’avouer son identité, il avait, au contraire, cherché, à la retenir. La phrase nominale, cependant, nous invite à lire, dans ce comportement, une véritable stratégie : « Quelques jours après, lorsqu’elle revint, même conduite, mêmes assurances de dévouement respectueux et de reconnaissance éternelle. »

Les doutes de l'héroïne. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

        Ce comportement désarçonne Vanina, et révèle toute l’ambiguïté de son sentiment initial : « craignant des propos d’amour ». Ironie de l’écrivain, car le fait qu’elle soit alors « déconcertée » nous invite à penser que, bien au contraire, elle espérait des déclarations d’amour, peut-être parce qu’elle aurait alors pu faire preuve de son orgueil habituel face à ses prétendants, tel Livio. C’est avec ironie que Stendhal éclaire le souhait inconscient de son héroïne « d’être occupée à mettre un frein aux transports du jeune carbonaro ». C’est à nouveau son orgueil qui guide ses doutes, exposés par le narrateur omniscient : elle « se demanda si elle aimait seule », «  Cette jeune fille, jusque-là si fière, sentit amèrement toute l’étendue de sa folie. » 

Les doutes de l'héroïne. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

Prise elle-même au piège d’un amour qu’elle ne maîtrise pas, qualifié ici de « folie », elle n’a pas d’autre choix que d’adopter à son tour une stratégie, jouant l’indifférence : « Elle affecta de la gaieté et même de la froideur, vint moins souvent ». Mais l’amour impose toute sa puissance : « mais ne put prendre sur elle de cesser de voir le jeune malade. »

3ème partie : La passion reconnue ( de la ligne 31 à la fin) 

Par Vanina

 

Face à la stratégie adoptée par Pietro, Vanina tente de résister à son conflit intérieur : « L’orgueil de la jeune princesse combattit pied à pied. » Mais le discours rapporté direct met en valeur un alibi : « Eh bien ! se dit-elle enfin, si je le vois, c’est pour moi, c’est pour me faire plaisir ». Stendhal prête, en fait, à son héroïne sa propre représentation de l’existence comme une « chasse au bonheur », fondée sur l’égotisme, c’est-à-dire sur l’exaltation du moi. Elle est, d’ailleurs, commode, car à la fois cela lui permet de faire « de longues visites » et de préserver son orgueil, lui aussi trait de caractère propre à son héroïne, d’où l’alibi, renforcé par la négation antéposée, « jamais je ne lui avouerai l’intérêt qu’il m’inspire. », et qui se révèle pleinement par le terme « intérêt » remplaçant le sentiment réel, l’amour.  

Stendhal démasque plaisamment cette réalité par la juxtaposition de deux sentiments, la résistance, longuement développée et soutenue par un lexique hyperbolique,  contrastant brutalement avec la brièveté de l’aveu, rapporté au discours indirect : « Un soir, après avoir passé la journée à le détester et à se bien promettre d’être avec lui encore plus froide et plus sévère qu’à l’ordinaire, elle lui dit qu’elle l’aimait. » C’est par une rapide litote, « Bientôt elle n’eut plus rien à lui refuser. », peut-être pour préserver la pudeur de la jeune fille, que Stendhal montre le triomphe de l’amour. D’où l’affirmation catégorique, et fort ironique, par laquelle Stendhal conclut cet épisode : « Si sa folie fut grande, il faut avouer que Vanina fut parfaitement heureuse. »

L'amour reconnu. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

L'amour reconnu. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

Par Pietro

 

La stratégie mise en place par Pietro afin de masquer ses sentiments, amplifiés par l’hyperbole, « brûlant d’amour », se poursuit, mais Stendhal lui donne une autre explication que la précédente, le respect d’une jeune fille : « songeant à sa naissance obscure et à ce qu’il se devait, s’était promis de ne descendre à parler d’amour que si Vanina restait huit jours sans le voir. » Stendhal démasque ici un trait de caractère de son héros, qui le rapproche de Vanina, son orgueil, puisqu’il se représente un aveu d’amour à une « princesse » comme le fait de « descendre », donc de s’abaisser au risque d’un humiliant rejet en raison de sa « naissance obscure ». L’orgueil du héros provoque l’ironie de Stendhal, le verbe « croyait » marquant une distanciation par rapport à son orgueil : « Missirilli ne songea plus à ce qu’il croyait devoir à sa dignité d’homme ». Chez lui aussi, c’est l’amour qui triomphe, avec une force qui nous rappelle l’image de l’Italie chère à Stendhal, le pays de l’amour : « il aima comme on aime pour la première fois à dix-neuf ans et en Italie ». Mais il y a aussi une forme de naïveté dans sa réaction : « Il était étonné de l’excès de son bonheur. »

Lui aussi rejoint la conception égotiste de l’écrivain, mais, à nouveau, nous notons son ironie car la formule « la politique dont il avait usage pour se faire aimer » démasque les raisons, beaucoup plus nobles, précédemment invoquées, et le terme « scrupules » sous-entend qu’il éprouve des remords en ayant conscience d’avoir agi de façon peu sincère.

CONCLUSION

 

Cet extrait est particulièrement significatif de la conception développée par Stendhal dans De l’Amour, où il explique ce qu’il nomme la « cristallisation », c’est-à-dire l’opération de l’esprit qui, peu à peu, transforme tout ce qu’il observe chez l’être aimé – y compris des défauts – en nouvelles perfections qui ne font qu’accentuer l’amour éprouvé. Ainsi, Vanina n’en veut pas à Pietro de sa froideur – pas même quand il avoue sa « politique » – mais, bien au contraire, y voit sa fierté confortée puisqu’il lui laisse ainsi l’initiative de la déclaration d’amour. De même, Pietro, par la stratégie mise en place, rehausse à ses propres yeux son infériorité sociale par la résistance dont il fait ainsi preuve. Pour Pietro comme pour Vanina, toutes les luttes intérieures, les hésitations, alibis et prétextes, construisent l’amour-passion qui permet au « moi » de se contempler dans une heureuse plénitude. Mais quelques indices traduisent l’ironie de Stendhal face à ses héros : l’amour ne recouvre-t-il pas d’un « voile » la réalité ? Si tel était le cas, il ne serait qu'une illusion, donc serait condamné à l'échec...

Les retrouvailles : de "À peine arrivée en Romagne... " à "... où elle l'avait caché." 

Pour lire l'extrait

Retrouvailles

Après bien des obstacles, extérieurs – l’écart social entre eux – et intérieurs, leur orgueil et, pour Pietro, son appartenance au carbonarisme, les deux amants de la nouvelle de Stendhal, Vanina Vanini se sont avoué leur amour, et ont vécu pleinement « quatre mois » de passion. Mais, Pietro, guéri de la blessure reçue lors de son évasion du château Saint-Ange, n’a plus de raison réelle de rester à Rome. Son retour en Romagne pour reprendre le combat avec ses compagnons carbonari est donc décidé, et Vanina réussit à le rejoindre, lui apportant aussi  une somme très importante pour l’aider dans sa lutte. Entre temps, Pietro Missirilli est devenu chef de la « vente », c’est-à-dire de la section locale des carbonari, et a pris ses distances avec Vanina. Comment Stendhal met-il en scène les retrouvailles des amants ? 

1ère partie : La déception (du début à la ligne 10) 

La jalousie

 

La première phrase, « À peine arrivée en Romagne, Vanina crut voir que l’amour de la patrie ferait oublier à son amant tout autre amour », met en évidence la déception de Vanina, qui espérait vivre la même passion intense que celle des débuts de sa relation avec Pietro. Mais, même si la forme verbale, « crut voir », sous-entend qu’elle se trompe, ses réactions soulignent la part que prend son orgueil dans sa passion : « La fierté de la jeune Romaine s’irrita. » Elle vit alors tous les tourments de la jalousie, à cette différence que sa rivale est une abstraction, le patriotisme de Pietro : « elle se surprit à maudire la liberté. » Stendhal nous montre alors ce qu’est véritablement la passion, à partir de son étymologie, le verbe latin « patior », subir. C'est une souffrance qui vient du fait de ne plus s’appartenir : « un noir chagrin s’empara d’elle », elle ne fut pas maîtresse de sa douleur ».

Une douloureuse déception. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

Les premiers conflits

 

Alors même qu'elle est mue par l’amour-propre, la jalousie conduit, paradoxalement, à blesser cet amour-propre, en laissant libre cours à des « reproches », et même à des « larmes », d’où l’explication donnée par le narrateur omniscient : « c’était de honte de s’être abaissée jusqu’aux reproches ».

Le discours direct rapporté, « En vérité, lui dit-elle, vous m’aimez comme un mari ; ce n’est pas mon compte. », illustre ce qu’a représenté cette passion pour l’héroïne, une aventure telle que celles, exceptionnelles, relatées dans les romans, le contraire de ce qu’exige l’ordre social, un sage mariage.

Une douloureuse déception. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

La réaction de son amant, que le récit nomme à nouveau « Missirilli » et non plus par son prénom Pietro, comme c’était le cas lorsque tous deux étaient emportés par la passion, marque nettement son changement. Alors que ces mêmes larmes l’avaient fait prolonger son séjour à Rome, à présent, il « répondit à ces larmes en homme préoccupé », renforçant ainsi la jalousie de Vanina.

2ème partie : La rébellion de l’héroïne (lignes 11 à 22) 

Les sentiments de Vanina

 

Deux sentiments se mêlent en Vanina, tous deux signes de son orgueil :

           Le désir de se venger de l’indifférence de Pietro, pour se revaloriser à ses propres yeux, en satisfaisant son orgueil blessé par ses reproches : « Tout à coup Vanina eut l’idée de le quitter et de retourner à Rome. » C’est ce qui explique qu’elle cède à sa colère en choisissant le départ, animée par « l’idée de n’avoir pu obtenir l’amour de l’homme pour qui elle avait fait tant de folies ». Elle cherche donc à son tour à faire souffrir l’amant qui l’a blessée : « Elle jouissait de sa surprise douloureuse quand il la chercherait en vain auprès de lui. »  

Une héroïne rebelle. Film de Luigi Magni, Les Conspirateurs, 1969

Vanina-vengeance.jpg

         Mais le commentaire du narrateur omniscient, « elle se fût trouvée indigne de Missirilli si elle ne l’eût pas quitté. »  montre aussi sa volonté d’égaler l’héroïsme de son héros. Son amour subsiste donc encore. C’est ce qui explique qu’elle vive ce départ comme une souffrance, qu’elle s’inflige à elle-même : « Elle trouva une joie cruelle à se punir de la faiblesse qui venait de la faire parler. » La plus belle preuve d’amour est qu’au moment même où elle a pris cette décision, elle n’accepte pas son échec qui « l’attendrit profondément », et continue à se battre pour que son amant lui revienne : « Alors elle rompit le silence, et fit tout au monde pour lui arracher une parole d’amour. » S’il cédait alors, son humiliation serait effacée.

Un carbonaro. Film de Luigi Magni, Les Conspirateurs, 1969

Les sentiments de Pietro

 

Le narrateur se met à la place de l’héroïne pour présenter les sentiments de Pietro, en soulignant des oppositions, d’abord entre le contenu des paroles, « des choses fort tendres », et la façon de les prononcer, « d’un air distrait ». La seconde est entre ce ton pour parler d’amour et l’émotion qui transparaît quand il s’agit de ses sentiments patriotiques : « ce fut avec un accent bien autrement profond qu’en parlant de ses entreprises politiques, il s’écria avec douleur ». Notons d’ailleurs que les paroles d’amour ne sont signalées que par le discours narrativisé, tandis que son engagement politique, lui, est mis en valeur par le discours rapporté directement : « Ah ! si cette affaire-ci ne réussit pas, si le gouvernement la découvre encore, je quitte la partie. » Mais cette phrase révèle aussi que son héroïsme est fragile, puisqu’un échec de la conspiration l’amènerait à renoncer à son combat.

Un carbonaro. Film de Luigi Magni, Les Conspirateurs, 1969

3ème partie : Un plan caché (de la ligne 23 à la fin) 

Un tournant tragique

 

Le récit met en valeur le rôle joué par la phrase de Missirilli dans l’esprit de Vanina, d’abord par son comportement : elle « resta immobile », puis elle plonge dans la « rêverie ». C’est ensuite le narrateur omniscient qui intervient pour expliquer ce qu’elle ressent : « Depuis une heure, elle sentait qu’elle voyait son amant pour la dernière fois. » Est-ce de son propre départ qu’il s’agit, ou bien de la perte de Pietro Missirilli, alors envisagée et admise ? Mais, dans la phrase « Le mot qu’il prononçait jeta une lumière fatale dans son esprit. », c’est surtout le choix de l’adjectif, associant l’idée du destin à celle de la mort, qui frappe le lecteur en créant un horizon d’attente, inquiétant.

Les contours d'un plan d'action

 

Trois étapes prolongent cette inquiétude :

            D’abord, le discours intérieur rapporté directement rappelle la façon dont elle a choisi de soutenir la lutte de Pietro, et des carbonari : « Les carbonari ont reçu de moi plusieurs milliers de sequins ». Mais pourquoi ce rappel ? Pourquoi ajoute-t-elle « On ne peut douter de mon dévouement à la conspiration. », et qui se trouve inclus dans ce « on » ? Les conspirateurs ? Mais pourquoi alors pourraient-ils « douter » ? Cela ne laisse-t-il pas présager qu’elle voit ce don d’argent comme une forme de protection, ce qui suggérerait qu’elle envisagerait donc de leur nuire ?

         La deuxième étape est sa proposition à Pietro de vivre un moment d'amour, mise en valeur par le discours direct qui permet d’observer le jeu des pronoms :

  • Le « vous » initial renvoie à l’action politique de Pietro, marque de respect aussi pour sa fonction de chef, avec la mention de « votre assemblée de ce soir ». La question veille aussi à lui laisser l’initiative d’accepter – ou non – cette proposition d’un moment d’amour.

  • Le « nous », au centre,  traduit l’union d’un couple qui serait ainsi réuni : « Demain matin, à San Nicolò, nous pourrons nous promener ».

  • Le « tu » final recrée entre eux l’intimité. Mais surtout, Vanina est très habile, en invoquant comme premier argument, le souci de son amant, « cela calmera ton agitation », mais en concluant sur un argument politique, propre à flatter l’orgueil du jeune héros : « [cela]  te rendra tout le sang-froid dont tu as besoin dans ces grandes circonstances. »

        La troisième étape, après l’acceptation de Pietro, rappelle le début de la nouvelle, quand le père de Vanina fermait soigneusement « à clef » la « petite chambre » du palais où il « avait caché » le jeune carbonaro blessé. Finalement, c’est à nouveau à la fois le danger qu’il court et sa faiblesse qui sont rappelés, puisque, ce jeune combattant de la liberté, accepte finalement un nouvel emprisonnement

Face à la succession de ces trois étapes, le lecteur ne peut que voir croître son inquiétude face à ce qui semble un plan fort menaçant

CONCLUSION

 

En  jouant sur l’alternance entre la focalisation omnisciente et les discours rapportés, prononcés ou intérieurs, Stendhal cherche à offrir à son lecteur une transparence totale des cœurs, mais tout est, en fait, dépeint du point de vue de l’héroïne. Venue en Romagne pour vivre pleinement sa passion pour Pietro Missirilli, constater que sa rivale, la liberté de la patrie, l’emporte dans le cœur de son amant, est une terrible désillusion, qui suscite la jalousie de Vanina. Ses réactions, sa blessure d’orgueil qui inverse l’amour en désir de vengeance, ouvrent au lecteur un horizon d’attente, qui, tel que le construit peu à peu le récit, laisse supposer un épisode tragique. La faiblesse de Pietro, prêt à renoncer en cas d’échec, et la mention finale de son enfermement renforcent le pressentiment du lecteur : l’amour apparaît menacé, tout comme l’action des carbonari.

Avec monseigneur Catanzara : de "Comme il revenait près de la fenêtre... " à "... la récompense." 

Avec Catanzara

Pour lire l'extrait

Après bien des obstacles, les deux amants de la nouvelle de Stendhal, Vanina Vanini, se sont avoué leur amour, et ont vécu pleinement « quatre mois » de passion. Mais, Pietro quitte Rome et retourne en Romagne pour reprendre le combat avec ses compagnons carbonari. Vanina, quand elle le rejoint avec la volonté initiale de soutenir cette lutte, constate que son amant place son combat pour la liberté de l’Italie avant son amour. Mue par une blessure d’orgueil, sa vengeance est alors terrible : elle dénonce au légat les carbonari conspirateurs, mais met à l’abri Pietro en en le gardant près d’elle. Cependant, pour ne pas passer pour traître aux yeux de ses compagnons, il se livre aux autorités. Vanina retrouve alors toute l’intensité de sa passion et agit pour lui éviter la peine de mort, jusqu’à réussir à s'introduire, armée, chez le tout puissant ministre de la justice, monseigneur Catanzara-Savelli, oncle de Livio auquel son père l’a fiancée. Alors que celui-ci, lui aussi armé, la menace, comment, à travers leur dialogue, Stendhal utilise-t-il son héroïne comme porte-parole de sa satire ?

La force de l'héroïne 

Le déguisement

 

La nouvelle a commencé par la rencontre entre Vanina et Pietro Missirilli, alors déguisé en femme, ce qui a permis son évasion de la prison du château Saint-Ange. Or, le déguisement de Vanina, ici précisément décrit, celui d'un « jeune homme, couvert de sa livrée », « en valet de pied de la casa Savelli, avec des bas de soie bien tirés, une veste rouge, son petit habit bleu de ciel galonné d’argent », souligne le contraste avec celui de Pietro : femme, donc jugée inférieure et par avance soumise, elle affirme ainsi sa volonté d’agir avec une force masculine.  À cela s’ajoute « le pistolet à la main » qu’elle braque sur le ministre, sans avoir peur de la menace alors que lui aussi est armé : «  À cette vue, le ministre approcha le pistolet de son œil ; il allait tirer. » Elle semble avoir tout prévu, puisqu’elle sait que le « pistolet n’est pas chargé », sans doute une manœuvre préalablement organisée car le ministre en reste « étonné », adjectif mis en valeur par l’apposition.  

Un séduisant costume

Un séduisant costume

Un double jeu

 

L'assurance affichée

Forte de son costume – et, sans doute des précautions prises – Vanina ne manifeste pas la moindre émotion. Quand elle est menacée par le pistolet, elle dévoile son identité « en riant », puis, face à la « colère » de Catanzara, elle reste imperturbable : « Raisonnons froidement ». De même, quand celui-ci « tira un poignard de la poche de son gilet », son discours reste calme, « Asseyons-nous, monseigneur », tout comme son comportement : « Et elle prit place tranquillement sur un canapé », « son air doux et tranquille ». Enfin, lors de son argumentation, elle impose son pouvoir, par son « air d’autorité », ou en retrouvant toute sa « hauteur » pour s’affirmer. C'est ainsi son courage que le récit met en relief.

La séduction

Mais, parallèlement, elle reste féminine par la façon dont elle joue de son charme, en cherchant à séduire Catanzara comme elle le fait avec les jeunes gens qui la courtisent. Le récit, par les deux adjectifs qui encadrent  l’image masculine, « un petit air d’autorité charmant », met en évidence la séduction exercée par le contraste entre le vêtement masculin et sa féminité : « Vanina était ravissante. » Consciente de son pouvoir, elle en joue,  par la promesse, audacieuse pour une jeune fille, qu’elle lance, « pour vous y engager, mon cher oncle, si vous m’accordez la vie du protégé de mon amie, je vous donnerai un baiser », et remplit : « en voici la récompense dit-elle en l’embrassant. » 

Une habile argumentation

 

Vanina présente très habilement sa requête, en faisant alterner l’apaisement et la menace, en fonction des réactions de son interlocuteur.

        Dans un premier temps, en constatant sa méfiance, elle le rassure sur ses intentions : « Quel intérêt aurais-je, dit Vanina d’un air doux et tranquille, d’attenter aux jours d’un homme modéré, qui probablement serait remplacé par quelque homme faible à tête chaude, capable de se perdre soi et les autres ? ». Sa flatterie, quand elle le qualifie d’« homme modéré », s’associe à une menace : « Ce que je vais ajouter [...] importe à vous plus qu’à moi », encore vague. Elle suggère cependant que la réaction plus vive d’« une tête chaude » serait dangereuse, d’abord pour lui-même.

          Puis, elle recourt au mensonge. D’une part, accusée de « folie », elle se préserve elle-même de tout reproche et cache son amour interdit en prétendant parler « pour servir une de [s]es amies » : « Je n’ai aucun intérêt à tout calcul ». D’autre part, le choix du pronom indéfini « on » lui permet à la fois de masquer son mensonge et d’accentuer une menace qui viendrait des rebelles eux-mêmes : « On veut que le carbonaro Missirilli ait la vie sauve : s’il est exécuté, vous ne lui survivrez pas d’une semaine ».

        Elle revient ensuite à la flatterie, en jouant les jeunes filles respectueuses des lois familiales : « J’ai voulu, continua Vanina, en reprenant son air de bonne compagnie, j’ai voulu rendre service à un homme d’esprit, qui bientôt sera mon oncle, et doit porter loin, suivant toute apparence, la fortune de sa maison. » Flatterie bien menée, puisqu’elle lie l’éloge personnel, « un homme d’esprit », à l’éloge professionnel, la promesse d’une brillante carrière.

         Par son ton de léger badinage, elle s’efforce de créer une intimité entre elle et Catanzara, tout en lui redonnant un pouvoir, celui de trahir son intervention, renforcée par la reprise de l’éloge, hyperbolique : « J’espère qu’un personnage aussi sage, répondit Vanina, me gardera le secret, et surtout envers don Livio ». Elle brise ainsi l’impression première produite par son arme, et Stendhal intervient pour poser un jugement personnel, sous forme de vérité générale sur « ce ton de demi-plaisanterie, avec lequel les dames romaines savent traiter les plus grandes affaires. » Elle a réussi à amoindrir ainsi son audace, transformée en « une visite faite par la jeune princesse Savelli à son oncle le gouverneur de Rome. », et à rassurer Catanzara, dont l’autorité se trouve rétablie.

        Mais il ne s’agit pas, non plus, de trop le rassurer. Les derniers gestes de l’héroïne complètent son déguisement, véritable jeu d’actrice destiné à concrétiser la menace. Elle utilise habilement le verre de « limonade » qu’elle « laissa tomber dans le jardin comme par distraction », ou la « pastille de chocolat » qu’elle lui « enleva » en relançant la menace : «  Prenez donc garde, tout chez vous est empoisonné ; car on voulait votre mort. » Cela lui permet de remettre au premier plan le lien familial, sur lequel elle conclut : « C’est moi qui ai obtenu la grâce de mon oncle futur, afin de ne pas entrer dans la famille Savelli absolument les mains vides. »

La satire de Stendhal 

Le palais de la Curie romaine. Gravure

Un pouvoir menacé

 

Comme en France sous la Restauration, l’Église catholique retrouve sa pleine puissance en Italie après le Traité de Vienne, en 1815, et tout particulièrement dans les États pontificaux. Au sommet de la hiérarchie romaine, le pape est soutenu par un gouvernement central constitué de religieux, tel monsignor Catanzara-Savelli, à la fois gouverneur de Rome et ministre de la police, avec de nombreux légats en province. Ses fonctions lui assurent donc un important pouvoir.

Le palais de la Curie romaine. Gravure

Mais ce pouvoir en fait précisément la cible des attaques des résistants rebelles qui, comme les carbonari, veulent rendre à l’Italie sa totale liberté et rétablir une république, libérée des influences des puissances européennes, France, Angleterre, Autriche. C’est ce qui explique sa peur quand surgit devant lui ce « jeune homme » armé, et le fait qu’il soit lui-même armé. Or, à propos de son « poignard », Stendhal ajoute une note intéressante : 

Un prélat romain serait hors d’état sans doute de commander un corps d’armée avec bravoure, comme il est arrivé plusieurs fois à un général de division qui était ministre de la police à Paris, lors de l’entreprise de Mallet ; mais jamais il ne se laisserait arrêter chez lui aussi simplement. Il aurait trop de peur des plaisanteries de ses collègues. Un Romain qui se sait haï ne marche que bien armé. On n’a pas cru nécessaire de justifier plusieurs autres petites différences entre les façons d’agir et de parler de Paris et celles de Rome. Loin d’amoindrir ces différences, on a cru devoir les écrire hardiment. Les Romains que l’on peint n’ont pas l’honneur d’être Français.

Par son ironie, en réduisant le fait « pour un prélat romain »  d’être armé à la « peur des plaisanteries de ses collègues », peu honorable « bravoure », Stendhal dénonce sur le fonctionnement d’une Église, qui, pour se maintenir au pouvoir, n’hésite pas à se servir des armes, donc à tuer, contrairement à ce qu’affirme le dogme chrétien.

C’est de cette menace, dont le pouvoir est parfaitement conscient, que joue Vanina, en répétant qu’il risque la mort : « s’il est exécuté, vous ne lui survivrez pas d’une semaine ». Elle prend parfois une forme perfide, l’empoisonnement, tradition religieuse rendue célèbre depuis les Borgia, sous la Renaissance : « Prenez donc garde, tout chez vous est empoisonné. »

Un pouvoir faible

 

Si ses fonctions assurent à Catanzara un pouvoir politique, ce qui justifie que Vanina s’adresse à lui pour obtenir la grâce de Pietro Missirilli, ce pouvoir est-il réel ?

Dans un premier temps, le texte nous amène à constater que Vanina le domine aisément, en se moquant de lui par sa question, « Eh quoi ! monseigneur, ne reconnaissez-vous pas Vanina Vanini ? », ce qui le déconcerte : « Que signifie cette mauvaise plaisanterie ? répliqua le ministre en colère. » Même après lui avoir révélé son identité – ce qui devrait le rassurer – sa crainte subsiste, au point qu’il « s’assura du fait » que son pistolet n’était pas chargé. De même, alors qu’elle lui affirme être « seule », « C’est ce que le ministre eut soin de vérifier : il fit le tour de la chambre et regarda partout. » Ces précautions, qui paraissent excessives pour un homme puissant, contrastent avec la calme assurance de l’héroïne. Quand, enfin, il tente d’affirmer son autorité par son injonction « Que voulez-vous donc, mademoiselle ? dit le ministre avec humeur. Cette scène ne me convient point et ne doit pas durer. », il se heurte à une résistance telle qu’il finit par céder. Non seulement, il accepte sa requête, mais le passage se conclut donc par une inversion : pris au piège, c’est lui qui « remercia sa nièce ».  

Un cardinal à la Curie

Un cardinal à la Curie

La corruption

 

La satire met aussi en évidence la corruption qui règne au sein du pouvoir, particulièrement grave ici puisque Vanina joue sur son charme avec un homme d’Église qui a prononcé un vœu de chasteté. Stendhal fait preuve d’une évidente ironie, à travers l’expression « sans doute », suivie du pronom « on » qui, en généralisant, transforme l’hypothèse en une certitude : « Le ministre quitta l’air fâché : la beauté de Vanina contribua sans doute à ce changement rapide. On connaissait dans Rome le goût de monseigneur Catanzara pour les jolies femmes ». C’est ce que confirme plaisamment la dernière phrase, « Le ministre prit la récompense »,  qui, en reprenant le terme de Vanina, efface la réalité, le « baiser », tout en rappelant que le destinataire, celui qui dispose d’un pouvoir, le « ministre », s’est laissé corrompre.

CONCLUSION

 

Cet extrait offre un double intérêt, la peinture de l’héroïne et la critique de Stendhal qu’elle sous-tend.

        Par cette intervention, l’écrivain met, en effet, en valeur la force de caractère de Vanina, son énergie pour sauver la vie de celui qu’elle a trahi, en utilisant toutes les armes dont elle dispose en tant que femme. C’est, pour elle, une façon à la fois de se racheter à ses propres yeux par une forme d’héroïsme, mais aussi de vivre encore un amour romanesque.

        Nous y découvrons aussi l’anticléricalisme de Stendhal, dont lui-même explique, dans Vie de Henry Brulard, qu’il l'a hérité de son grand-père voltairien. Sa détestation s’est incarnée dans la figure de son abbé précepteur, ce qu’il nomme « la tyrannie Raillane », « noir coquin » dont il souligne toute l’hypocrisie. C’est bien cette hypocrisie qui transparaît dans cette conversation entre Catanzara et l’héroïne, et qu’il développera longuement dans son roman Le Rouge et le Noir.

Épilogue : de "Missirilli se taisait ... " à la fin. 

Épilogue

Pour lire l'extrait

Après que Vanina a trahi les carbonari pour se venger  de son amant, Pietro Missirilli, qui place son amour de la liberté avant son amour,  celui-ci déjoue son plan en se livrant lui-même aux autorités, pour ne pas paraître coupable aux yeux de ses compagnons. Vanina retrouve alors toute l’intensité de sa passion pour lui éviter la peine de mort, grâce obtenue grâce à son intervention auprès du ministre de la justice, monseigneur Catanzara-Savelli, oncle de Livio auquel son père l’a fiancée. Elle parvient également à organiser une rencontre avec Pietro dans la chapelle de la prison de Citta-Castellana, avant son transfert au fort de San Leo. Mais, quand il arrive devant elle, chargé de chaînes, elle constate son « accueil glacé » et son sentiment de culpabilité, le fait d’avoir été auprès de Vanina lors de l’arrestation, lui dicte des paroles de rejet. Quel sens cet épilogue, par sa progression, donne-t-il à la nouvelle ?

Ultime rencontre. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

Ultime rencontre. Vanina Vanini, film de Roberto Rossellini, 1961

1ère partie : Un douloureux rejet (du début à la ligne 10)

Stendhal accentue la dramatisation de la situation en multipliant les pauses dans le discours rapporté : « Missirilli se taisait », « Il y eut encore un silence ». Il en va de même pour l’héroïne, dont la description du comportement souligne la douleur : « Vanina semblait sur le point d’être étouffée par ses sanglots », « évidemment Vanina ne pouvait parler : elle l’essayait en vain. »

Mais le portrait de Missirilli interroge le lecteur, déjà dans le choix de l’adverbe qui minimise ses sentiments : « d’un air un peu ému lui-même ».

        Son premier discours, même s’il s’ouvre sur une déclaration d’amour,  mais déjà avec un vouvoiement qui signe la froideur, « Si j’aimais quelque chose sur la terre, ce serait vous, Vanina », la détruit aussitôt après : « mais grâce à Dieu, je n’ai plus qu’un seul but dans ma vie : je mourrai en prison, ou en cherchant à donner la liberté à l’Italie. » Cette proclamation d’héroïsme ne s’associe-t-elle pas à une forme de soulagement, car ce choix le délivre de tout conflit intérieur ?

        La question posée dans son second discours accentue cette impression que le choix du jeune carbonaro est dicté d’abord par le souci de sa propre image : « Le devoir est cruel, mon amie ; mais s’il n’y avait pas un peu de peine à l’accomplir, où serait l’héroïsme ? » Tout se passe comme si, n’ayant pas pu prouver son héroïsme lors d’un combat réel, il ne lui restait plus que le sacrifice de son amour pour accomplir cet exploit. Mais, parallèlement, son injonction, « Donnez-moi votre parole que vous ne chercherez plus à me voir. », traduit sa faiblesse, puisqu’il compte sur l’acceptation de Vanina pour qu’elle l’aide dans cet héroïsme.

2ème partie :  La rupture (des lignes 11 à 26) 

La corruption

 

Comme au début de la nouvelle, Pietro Missirilli se trouve, à la fin, empêché d’agir, prisonnier de « sa chaîne assez serrée » : « il fit un petit mouvement du poignet, et tendit les doigts à Vanina. » Il ne lui reste donc que la parole pour se donner encore l’illusion d’« héroïsme », en imposant sa décision à la jeune fille. Mais ses paroles sont est particulièrement humiliantes :

        Sous couvert de respect, « Si vous permettez un conseil à un homme qui vous fut cher », sa première injonction, « mariez-vous sagement à l’homme de mérite que votre père vous destine », la renvoie à son statut social, à la règle qui lui impose la soumission à la puissance paternelle. Il nie ainsi toute la force que Vanina avait mise pour transgresser, par amour, cette règle en affirmant sa liberté d’aimer ; pire encore, son absence de jalousie confirme que l’amour est mort en lui.

        Puis, après avoir commencé, noblement, par exprimer le souci de sa réputation, car une « confidence » pourrait provoquer un scandale, aussitôt après, il redouble l’ordre de rupture définitive, de façon à lui ôter tout espoir : « d’un autre côté, ne cherchez jamais à me revoir ; soyons désormais étrangers l’un à l’autre. »

      La dernière phrase est encore plus blessante, puisque, niant l’amour qui a rangé Vanina à ses côtés dans la lutte, il la considère seulement comme une créancière, à laquelle il faudra rembourser de l’argent versé : « Vous avez avancé une somme considérable pour le service de la patrie ; si jamais elle est délivrée de ses tyrans, cette somme vous sera fidèlement payée en biens nationaux. »

L'ultime adieu

 

Le commentaire du narrateur omniscient souligne le tragique de cette scène ultime pour l’héroïne, en reproduisant, par la négation restrictive, sa conscience de son échec, l’anéantissement de l’amour : « Vanina était atterrée. En lui parlant, l’œil de Pietro n’avait brillé qu’au moment où il avait nommé la patrie. » Ainsi, blessée dans son « orgueil », elle n’a comme seule issue que de ne pas s’abaisser à lui « répondre », et de lui offrir sa liberté en lui permettant de s’évader par ce don de « diamants » et de « limes ». Elle affiche ainsi sa supériorité, puisqu’elle continue à agir, à affirmer sa libre décision, alors qu’il est lui-même impuissant. Peut-être aussi garde-t-elle l'espoir que, s'il s'évade, elle pourra réussir à le reconquérir...

Mais la réaction de Pietro est un nouveau rejet de l’amour auquel il répond par l’affirmation de son choix patriotique : « J’accepte par devoir, lui dit-il, car je dois chercher à m’échapper ; mais je ne vous verrai jamais, je le jure en présence de vos nouveaux bienfaits. » Le terme « adieu », définitif, encadre l’injonction renforcée par les négations et la force de l’image tragique : « Adieu, Vanina promettez-moi de ne jamais m’écrire, de ne jamais chercher à me voir ; laissez-moi tout à la patrie, je suis mort pour vous : adieu. »

3ème partie :  Le dénouement (de la ligne 27 à la fin) 

Après avoir développé les paroles d’adieu et les explications de son héros, Stendhal accélère le dénouement, qui gagne ainsi en intensité tragique.

Un double aveu

 

Le récit fait d’abord alterner le discours rapporté direct et le discours narrativisé d’une héroïne « furieuse » et blessée, qui  cherche à se venger en blessant à son tour son amant  et en lui montrant sa puissance d’action. 

  • Dans un premier temps, elle lui impose la force de son amour, en le tutoyant familièrement : « je veux que tu saches ce que j’ai fait, guidée par l’amour que j’avais pour toi. » Mais Stendhal se contente d’un résumé de ses interventions, de « toutes ses démarches » qui lui ont permis d’obtenir la grâce de Pietro.

  • Le second aveu, introduisant un effet de suspens, « Tout cela n’est rien, dit Vanina : j’ai fait plus, par amour pour toi. » est plus brutal, résumé par le seul mot « trahison ». Elle oblige ainsi Pietro à mesurer sa faiblesse, quand il comprend commet il s’est laissé tromper.

La rupture. Vanina, film muet d’Arthur von Gerlash, 1922

La rupture

 

La vengeance de Vanina est réussie, puisqu’à son tour Pietro est « furieux », colère qui se traduit par l’insulte redoublée, « monstre » et la reprise du tutoiement. Mais il reste toujours réduit à l’impuissance, d’abord à cause du « geôlier », et même son geste de mépris reste limité : « en lui jetant, autant que ses chaînes le lui permettaient, les limes et les diamants ». Or, finalement, en rejetant la possibilité d’une évasion, il révèle à nouveau une contradiction : c'est bien son orgueil qui guide son rejet d'une offre confirmant la façon dont Vanina l’a toujours dominé, illustré par son cri, « je ne veux rien te devoir », et qui l’emporte sur le « devoir » de s’évader, précédemment invoqué, donc sur son patriotisme. C’est encore l’amour – ici pour le rejeter – qui signe son échec.

La rupture. Vanina, film muet d’Arthur von Gerlash, 1922

La "chute" de la nouvelle

 

Le terme choisi dans la brève phrase de conclusion, « Vanina resta anéantie », confirme la dimension tragique de la nouvelle, une mort de l’héroïne, non pas physique, mais psychologique.

La dernière phrase l’efface même du récit, puisqu’elle n’est plus que l’objet d’une banale annonce dans la presse : « le journal annonce qu’elle vient d’épouser le prince don Livio Savelli. », avec un présent d’énonciation qui rappelle la présence du narrateur-témoin, déjà notée dans l’incipit. Cette phrase fait écho, en effet, à l’incipit, mais pour l’inverser : Vanina, qui refusait alors le mariage souhaité par son père, se soumet ici à sa volonté en épousant celui qu’elle avait traité avec mépris lors du bal, et quand elle l’avait mise au service de ses efforts en faveur de Missirilli. Princesse, en acceptant « d’épouser le prince don Livio Savelli », elle rentre dans l’ordre social.

CONCLUSION

 

Cette scène de rencontre en prison – que Stendhal renouvellera dans La Chartreuse de Parme et dans Le Rouge et le Noir – donne sens à la nouvelle, car l'écrivain y met en place une nouvelle forme de  fatalité tragique. Elle n’est plus due à une force extérieure, tels les dieux dans le théâtre antique ou chez Racine, ni au poids de l’Histoire et de ses tyrans comme chez Corneille ou dans le drame romantique, mais elle vient des seules passions des héros, et tout particulièrement ici de l’amour aveugle d’une héroïne orgueilleuse qui l’amène à transgresser à la fois les règles sociales et les lois morales. Stendhal lui prête ainsi sa propre conception de l’existence, vue comme une « chasse au bonheur » mise au service de l’exaltation du « moi », quel que soit le prix à payer, jusqu'à l'auto-destruction de Vanina pour rester fidèle à soi-même. De même, le désir de rester fidèle à sa propre image de héros patriote conduit Pietro à l'échec.

Mais en cela, cet épilogue d'une nouvelle située en Italie ne reflète-t-il pas aussi le jugement de Stendhal sur sa société française ? Les audacieux élans de la Révolution et de l’épopée napoléonienne y sont devenus impossibles, car la Restauration, en imposant l'ordre monarchique d'essence religieuse qui prône comme seules valeurs le matérialisme et la stricte morale, condamne l’héroïsme à n’être qu’une illusion. Vanina et Pietro, tous deux victimes des illusions dont leurs âmes romanesques se sont bercées, ne l'ont-ils pas découvert douloureusement ?

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