Parcours associés à Gargantua de Rabelais : "La bonne éducation" (séries technologiques)
Observation du corpus
Pour se reporter à l'étude de Gargantua
Le parcours étant associé à la lecture de Gargantua de Rabelais nous invite à traiter son enjeu, « La bonne éducation », d'abord au XVIème siècle, époque où se développe l’humanisme. D’où la problématique retenue : « Sur quels principes l’humanisme de la Renaissance fonde-t-il son idéal d’éducation ? »
Conformément à la réalité de la Renaissance, où les idées nouvelles circulent à travers l’Europe et où les penseurs entretiennent entre eux des liens étroits, notre corpus fait appel à des auteurs étrangers, tels l’anglais Thomas More, l’italien Tommaso Campanella ou Désiré Érasme, originaire des Pays-Bas. Il nous a aussi pensé pertinent, en raison de la volonté des humanismes de prendre pour modèle l’idée de l’antiquité gréco-romaine, de rapprocher certains textes étudiés de cet héritage qui les a inspirés.
Enfin, la réflexion autour de l’éducation, sur ses contenus, ses objectifs mais aussi sur le lien entre l’éducateur et son « élève » ne s’est pas arrêtée au XVIème siècle. Elle a nourri d’autres penseurs qui, à leur tout, ont développé leurs propres idéaux, notamment au XVIIIème siècle où les « traités » sur l’éducation se sont multipliés, d’où l’activité proposée autour de Rousseau et de Voltaire. Le corpus s’ouvre donc en conclusion sur la réflexion ultérieure jusqu’à notre époque.
Introduction
"Autour du livre" : recherche
Pétrarque, Le Cose volgari di messer Francesco Petrarcha, 1501. Imprimé à Venise par A. Manuce, vélin enluminé. BnF
Le parcours fait suite à l’étude de Gargantua. Il est donc utile d’en récapituler les acquis, à partir des textes expliqués et lus. On réactivera, notamment, les connaissances sur le contexte, la Renaissance, en proposant une recherche « Autour du livre », à partir d’un corpus et du site de la BnF.
Pour se reporter à au corpus de la recherche, au questionnement et à un corrigé
Mise en place de la problématique
La formulation de l’enjeu du parcours « La bonne éducation » sous-entend qu’il peut en exister une « mauvaise ». À nouveau, on réactivera les connaissances sur Gargantua, la critique de l’éducation scolastique, occasion aussi d’approfondir la réflexion sur le lexique :
Le mot « éducation », par son étymologie « e(x) ducere » (« conduire hors de ») implique un état initial de la personne, semblable dans son enfance, comme Gargantua, à un petit animal, et qu’il faut améliorer pour lui permettre de prendre sa place dans sa société. Mais qui va le conduire ? Comment ? Vers quoi ? Cela pose la question de la pédagogie : quel lien le maître – ou le parent - doit-il établir avec l’enfant ? Quels buts se propose-t-il ?
Cette éducation doit fournir à l’enfant les connaissances indispensables pour qu’il comprenne sa société et puisse y agir, c’est-à-dire une « instruction ». Le radical de ce mot, le verbe « struere » (au participe » structum »), renvoie au domaine du bâtiment : nous le retrouvons dans les mots « structure », « construction » et « destruction ». Accompagné du préfixe « in », il marque l’idée de fabriquer l’enfant en faisant entrer « en » lui des bases fondatrices de sa personnalité. Lesquelles ? Leur choix sera forcément lié aux objectifs que s’est fixés l’éducateur. Et comment s’assurer que ces fondements sont solides, assimilés ?
Ces questions conduisent à poser la problématique suivante : « Sur quels principes l’humanisme de la Renaissance fonde-t-il son idéal d’éducation ? » Le terme même d’« idéal » implique une perfection, ce qui sous-entend que la réalité existante, elle, est loin d’être parfaite. Elle sera donc être critiquée, et, parallèlement, des propositions seront avancées pour l’améliorer.
LECTURE CURSIVE : Aristote, La Politique, V, vers 345-344 av. J.-C.
Pour lire l'extrait
Charles Laplante, Aristote et son élève Alexandre, 1866, in Vie des savants illustres - tome 1, de Louis Figuier
Aristote (384-322 av. J.-C.) est déjà célèbre par son école de philosophie quand Philippe, roi de Macédoine, le fait venir à Pella, en 342 av. J.-C., pour être le précepteur de son fils Alexandre, alors âgé de treize ans. Il restera à ses côtés jusqu’en 335 av. J.-C., où il succède à son père, assassiné. Aristote revient alors à Athènes, où il fonde son école, « le Lycée », où il enseigne à ses élèves en marchant dans les jardins. C’est à cette époque qu’il élabore progressivement les huit livres de La Politique.
Le livre V, intitulé « De l’éducation dans la cité parfaite », met en place un idéal éducatif, dont le philosophe pose d’abord la finalité, avant de s’attacher à son contenu.
Chapitre 1
Deux points sont mis en évidence :
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le but premier de l’éducation : il s’agit de former des citoyens qui assureront le maintien de l’État, en relation avec les souhaits de la constitution : « Partout où l'éducation a été négligée, l'État en a reçu une atteinte funeste. » L’éducation relève donc de la loi.
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le lien entre éducation et morale : pour assurer le salut de la cité, il s’agit de produire des citoyens aux « mœurs pures », donc de favoriser « l’exercice de la vertu », ce qui implique « des notions préalables, des habitudes antérieures », c’est-à-dire un apprentissage.
Cela conduit Aristote a une conclusion : dans une perspective démocratique, l'éducation « doit être nécessairement une et identique pour tous ses membres. » Il en déduit l’exigence d’une éducation « publique et non particulière », contrairement à ce qui était encore largement en usage à Athènes à son époque. Dans sa « cité parfaite », l’individu doit donc s’effacer, au profit de la collectivité : « ce qui est commun doit s'apprendre en commun ; et c'est une grave erreur de croire que chaque citoyen est maître de lui-même; ils appartiennent tous à l'État ».
Chapitre 2
Aristote commence par rappeler les contenus de l’éducation traditionnelle. Il reprend ensuite chacun de ces enseignements en en discutant « l’utilité », notamment pour la musique sur laquelle « on élève des doutes ». Mais notons que cette notion d’« utilité » est prise par Aristote au sens large, puisqu’il l’applique aussi bien à l’État, par exemple pour la gymnastique « propre à former le courage », qu’à l’« activité » particulière de l’individu, mais la lie aussi à « un noble emploi de nos loisirs », pour respecter ce qu’il juge fondamental, considérer l’homme dans la plénitude de sa « nature », corps, esprit et âme : « La nature, pour le dire encore une fois, la nature est le principe de tout. »
Conclusion
De l’antiquité au Moyen-Âge, le rôle joué par Aristote dans la formation d’Alexandre le Grand a été magnifié, pour devenir le modèle même de la façon dont se forme un « roi-philosophe » par une association de l’instruction intellectuelle, physique et morale. Mais le poids de la religion, avec les interdits formulés par le pape, a limité la place accordée à Aristote dans l’enseignement scolastique à la logique, à la rhétorique, en rejetant, notamment, tout ce qui relève de la physique, de la biologie et de la métaphysique. En rejetant la scolastique, la Renaissance a cependant reconnu la dimension éthique des œuvres d’Aristote, notamment l’importance qu’il a donnée à la « nature ».
François Rabelais, Pantagruel, II, 8, de « Pour cette raison, mon fils… » à la fin
Pour lire l'extrait
Couverture du "Livre de poche"
Dans ce premier roman, paru en 1532, où Rabelais met en scène un monde de géants, il inverse la chronologie en déroulant les aventures plaisantes et merveilleuses de Pantagruel, fils de Gargantua. Mais c’est surtout l’occasion de se livrer à la satire de son époque, et de proposer l’idéal éducatif propre aux débuts de la Renaissance, comme dans cette lettre que le héros, alors à Paris avec son précepteur, alors nommé Épistémon, c’est-à-dire « celui qui sait », reçoit de son père.
La lettre s’ouvre sur un éloge des temps modernes, considérés comme supérieurs même à l’Antiquité dans le domaine éducatif : « je crois que ni au temps de Platon, ni de Cicéron, ni de Papinien, il n’était aussi facile d’étudier que maintenant. » Le savoir, en effet, est accessible à tous, contrairement au Moyen Âge : « je vois les brigands, bourreaux, aventuriers, palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs et prédicateurs de mon temps. » D’où les conseils donnés par ce père à son fils.
L'idéal encyclopédique (des lignes 5 à 27)
Les langues anciennes
En premier lieu figure l’intérêt porté par les humanistes du XVI° siècle aux langues anciennes, énumérées, dont la connaissance, sans oublier l’arabe – par exemple pour lire Averroès, qui a longuement commenté Aristote – permet la lecture des textes originels, qu’il s’agisse des philosophes de l’antiquité ou des textes sacrés, auxquels il réserve une mention particulière dans la suite de l’extrait.
Le "quadrivium" complété
D’autre part, il cite les matières du « quadrivium », les « arts libéraux », à savoir l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique. Il exclut, en revanche, ce qui est jugé non-scientifique, « l’astrologie divinatrice et l’art de Lulle », pour y ajouter une discipline directement liée au fonctionnement de la société, « le droit civil » Mais surtout, il consacre un paragraphe entier aux sciences naturelles, ce qui est totalement novateur et qu'il relie à la médecine, rappelant la formation médicale de Rabelais lui-même, avec une allusion à la pratique des « dissections », alors encore condamnées par l’Église. À nouveau ressort la volonté d’universalité et d’exhaustivité (faune, flore, métaux), par l’emploi des négations et l’anaphore dans l’énumération : « qu’il n’y ait mer, rivière ou source dont tu ne connaisses les poissons ; tous les oiseaux de l’air, tous les arbres, arbustes et buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tout l’Orient et du Midi. Que rien ne te soit inconnu. »
Enfin, l’allusion à son avenir de prince sous-entend clairement que l'exercice du corps sera nécessaire, puisqu’il lui faudra « apprendre la chevalerie et les armes ».
L’éducation humaniste, in Institution et administration de la chose publique, 1520
Le "trivium"
D’une part, Rabelais reprend les contenus du « trivium » médiéval, c’est-à-dire la grammaire, l’art de parler et d’écrire (« forme ton style »), l’art du raisonnement aussi quand il évoque, dans la suite du texte, le fait de « souten[ir] des discussions publiques sur tous les sujets, envers et contre tous ». Mais, il va plus loin, en reliant cet apprentissage à celui de l’histoire et de la géographie, qui s’est développée avec les grandes découvertes : « Qu’il n’y ait aucun fait historique que tu n’aies en mémoire, ce à quoi t’aidera la cosmographie ». Notons la formule qui souligne le désir d’exhaustivité.
L’injonction, « En somme, que je voie en toi un abîme de science », résume parfaitement, avec la métaphore, cette exigence humaniste d’un savoir complet et approfondi.
Une pédagogie novatrice (des lignes 1 à 4 et 32 à 35)
Mais, dès l’ouverture du passage, l’aspect novateur de la pédagogie réclamée est mis en valeur, même si la dimension livresque reste très présente, mise en valeur au centre du chiasme : « Tu es à Paris, tu as ton précepteur Épistémon : l’un, par de vivantes leçons, l’autre par de louables exemples, peuvent bien t’éduquer. Mais l’adjectif « vivantes » donne déjà une dimension plus dynamique aux « leçons » du précepteur. De plus, en nommant « Paris », il considère que l’apprentissage se fait aussi par l’observation de la réalité sociale : la ville, en montrant de « louables exemples », offre un apprentissage, ce qu’il précise plus loin en évoquant la fréquentation « des gens lettrés, tant à Paris qu’ailleurs ». Ainsi, les livres, certes précieux, ne suffisent pas. Toute expérience dans la société peut offrir matière à l’apprentissage.
Il est indispensable également de ne pas se contenter d’acquérir « parfaitement » des connaissances, en recourant, conformément à la tradition, au « par cœur », mais d’être capable
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d’une part, d'assimiler le savoir, en étant capable de « comment[er] avec sagesse » les textes étudiés,
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d’autre part, de « mett[re] [l]es progrès en application » par des exercices, ici les « discussions publiques », donc d’inscrire cet apprentissage dans sa vie.
Un idéal moral (de la ligne 36 à la fin)
La religion
La lettre de Gargantua accorde une place importante à la religion, comme il est de règle, et ce jusqu’à la formule de salutation finale: « il te faut servir, aimer et craindre Dieu, et en Lui mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et, par une foi faite de charité, t’unir à Lui de manière à n’en être jamais séparé par le péché. » Cependant, son approche est marquée par le courant de l’Évangélisme, tendance qui souhaite revenir à une religion plus pure. C’est ce qui explique l’insistance sur les langues qui permettront de lire les textes sacrés dans leur langue d’origine, pour mieux en respecter le sens.
L’idéal moral ici posé se rattache directement à la doctrine chrétienne, par exemple dans l’ordre lancé : « Sois serviable envers ton prochain, et aime-le comme toi-même ».
Une morale sociale
Cependant, cette morale dépasse la dimension religieuse en associant plus étroitement, par la métaphore et l'écho sonore sifflant, le savoir et la vertu : « selon le sage Salomon, la sagesse n’entre jamais dans une âme méchante, et que science sans conscience n’est que ruine de l’âme » Cette vertu s’enracine nettement dans la société, au sein de laquelle sont de règle à la fois une forme de prudence, « Prends garde aux tromperies du monde », « fuis la compagnie des gens à qui tu ne veux pas ressembler », et, parallèlement, un engagement courageux conformément aux principes de la féodalité : « il te faudra […] secourir nos amis dans toutes leurs affaires contre les assauts des malfaisants. »
CONCLUSION
La lettre est envoyée du royaume de Gargantua, nommé « Utopie », en souvenir de l’œuvre de Thomas More portant ce titre. Il s’agit donc, conformément à l’étymologie du terme, d’un « pays de nulle part », donc d’un idéal qui peut paraître irréaliste, d’ailleurs destiné à un jeune géant.
Cependant, les exigences formulées par ce père à son fils ne sont que le reflet de la volonté des humanistes de la Renaissance de placer l’homme au centre des préoccupations, dans toutes ses dimensions, physiques, intellectuelles et morales. D’où ce programme d’enseignement, qui, même s’il rejoint l’héritage antique en reprenant certains contenus traditionnels, dépasse la tradition de la scolastique médiévale à la fois par son ouverture à de nouvelles disciplines et, surtout, par sa pédagogie qui vise à rendre l’élève actif et à développer l’esprit critique.
LECTURES CURSIVES : l'idéal encyclopédique
Pour lire le sonnet
Joachim du Bellay, Les Regrets, 1558, "Je me ferai savant..."
Joachim Du Bellay (1522-1560) s’est intéressé très tôt à l’art et à la littérature. Grâce à un de ses oncles, il commence des études de Droit à Poitiers. Il y rencontre alors Ronsard, qui l’incite à entrer au collège de Coqueret, à Paris, pour suivre des études humanistes. Il se lie d’amitié avec ceux avec lesquels il fonde la Pléiade, ardents défenseurs de l’usage de la langue française, comme on peut le constater dans Défense et Illustration de la langue française, véritable manifeste publié en 1549. Puis vient un premier recueil poétique, L’Olive. Alors que ses troubles de santé s’aggravent – il est atteint d’une surdité précoce – son oncle cardinal se voit chargé d’une mission auprès du pape à Rome, et lui propose de l’accompagner en tant que secrétaire. Du Bellay part en 1553, plein d’enthousiasme, pour découvrir l’Italie, berceau de la Renaissance et patrie des humanistes…
Son recueil, Les Regrets, comporte 191 sonnets composés pendant les quatre années que Du Bellay passe à Rome. Comment ce poème illustre-t-il l'idéal humaniste ?
Jean Cousin le Jeune, Portrait de Du Bellay. Estampe, BnF
Les humanistes sont convaincus que l’éducation est essentielle pour permettre le progrès humain, ce que traduit la récurrence du verbe « apprendre », et l’anaphore de « Je me ferai » : l’apprentissage représente un effort sur soi-même, qui doit permettre de s’ « enrichir », jusqu’à une véritable métamorphose de soi. Mais quels apprentissages ?
La lecture s’appuie sur la construction antithétique du sonnet : les deux quatrains présentent les ambitions humanistes, sur un ton enthousiaste, soutenu par les rimes, un vocalisme joyeux sur l’aigu du [ i ], tandis que les deux tercets, eux, traduisent la désillusion, sur un ton bien plus sombre.
L'idéal humaniste : l'ambition encyclopédique
Dans le premier quatrain, cinq disciplines sont citées, en première position la « philosophie », la plus haute et la plus noble, selon le modèle antique offert par Platon et Aristote. Puis viennent « la mathématique » et « la médecine », importante au XVIème siècle, puisque l’humanisme veut mieux connaître le fonctionnement physiologique de l’homme. L’apprentissage du « droit » dans « je me ferai légiste », soutient la volonté de développer la réflexion sur les lois et l’organisation politique. Enfin, la mention de la théologie, permet de s’élever des savoirs terrestres, ceux de l’esprit, à ce qui est « d’un plus haut souci » car cela touche au monde céleste, donc concerne l’âme. Placée en dernier dans l’énumération, elle semble les couronner ; mais, alors qu’elle était alors réservée aux clercs, d’où l’idée de « secrets », l’humaniste qu’est Du Bellay revendique le droit d’ouvrir à tous cet enseignement.
Le second quatrain traite d’abord des apprentissages physiques, qui encadrent la phrase, selon le précepte essentiel, emprunté à l’antiquité : « mens sana in corpore sano ». Les métonymies, le « luth » pour la musique, « le pinceau » pour la peinture, mettent en valeur la pratique des arts, qui connaissent un important renouveau sous la Renaissance. Ils offrent les divertissements (« j’ébatterai ma vie »), nécessaire à une vie harmonieuse. L’« escrime » et « bal » sont, quant à elles, des pratiques considérées comme sportives, propres à donner un corps souple et élégant. Ces apprentissages enrichissent aussi les relations sociales, car l’humaniste ne s’isole pas du reste du monde, bien au contraire !
Mais, au XVIème siècle, le voyage est également un moyen d’apprendre, et les humanistes ont été de grands voyageurs, et l’Italie représente la patrie rêvée, car source même de la Renaissance.
La désillusion
Les tercets, eux, marquent l’échec : il y a loin de l’espoir, immense (« je me vantais ») à ce résultat qui transforme les rêves en illusions : « « Ô beaux discours humains ! » La désillusion ressort des antithèses entre « m’enrichir », verbe mélioratif, et ses trois compléments, péjoratifs, « ennui », « vieillesse » et « soin », puis avec son antonyme « perdre ». La comparaison finale, renforcée par « Ainsi » et « comme moi », met en valeur cet échec, par l’opposition entre les termes à la rime, « trésor » et « lingots d’or », et la pêche dérisoire, des « harengs », poissons sans grande valeur.
Pour conclure
Après avoir formulé, dans les quatrains, l’idéal encyclopédique humaniste, avec l’élan du désir d’une formation complète de la personne humaine, ce sonnet lyrique le détruit dans les tercets, détruisant, parallèlement, l’image méliorative de Rome, capitale des arts et des lettres, cœur vibrant de la Renaissance. Trois interprétations sont alors possibles :
Pour lire l'extrait
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Du Bellay veut affirmer ainsi la vanité du modèle humaniste, car il a pris conscience de la dimension utopique d’un tel modèle.
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Il ne s’agit que d’une plainte fondée sur une expérience personnelle, l’échec n’étant dû qu’à l’âge et à la maladie, impossible donc à généraliser.
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Ou bien encore nous assistons, dans la seconde moitié du siècle, à une évolution dans la pensée humaniste, passant de l’optimisme initial à plus de doutes. La perfection, de l’esprit, du corps, de l’âme, ne suffit pas à l’épanouissement de l’homme…
Pour voir la carte
Désiré Érasme, Traité de la civilité puérile, 1530, "Préambule"
Érasme (1466-1536) est considéré comme le modèle même de l’humaniste, et sa vie en offre un éclatant témoignage.
La carte permet d’observer le parcours européen d’Érasme, et ses diverses activités ainsi que le rôle qu’il a joué auprès des princes. Ainsi, après avoir enseigné à Cambridge, Érasme écrit pour Charles de Habsbourg, futur empereur Charles Quint en 1519, L’Institution du Prince Chrétien, ouvrage publié en 1515. C’est encore à un jeune prince qu’est destiné le Traité de la civilité puérile, publié en 1530 : « Au très noble HENRI DE BOURGOGNE / Fils d’Adolphe, prince de Veere / Jeune enfant de grande espérance, Salut ! »
Mais, comme l’indique le titre, l’ouvrage s’intéresse à une autre dimension de l’éducation, « la civilité », c’est-à-dire les règles de vie en société, qui, selon lui, doivent faire partie de l’éducation.
Les objectifs
Comme une préface, le « préambule » pose les objectifs de l’auteur, ici « l’art d’instruire ». Érasme rappelle alors les principes qui doivent guider l’éducation, à la base, « la piété », c’est-à-dire le rôle de la religion. Ensuite vient l’enseignement traditionnel, « trivium » et « quadrivium », mais avec une insistance particulière sur les « belles-lettres », ce qui renvoie aux textes reconnus, et d’abord aux auteurs antiques. Mais les deux éléments suivants s’éloignent de l’instruction à proprement parler : « qu’il s’initie aux devoirs de la vie », et « qu’il s’habitue de bonne heure aux règles de la civilité ». C’est donc à la dimension morale qu’Érasme s’intéresse, en mettant l’accent sur la façon dont la personne s’insère dans une société, ce qui implique des codes, des « préceptes formels », de ce qu’il nomme plus loin « le savoir-vivre ».
La "civilité"
Ainsi l’humanisme, selon Érasme, ne relève pas de la seule « intelligence », c’est un véritable art de vivre, puisqu’il l’associe au « maintien », aux « gestes » et même au « vêtement ». En posant comme but de cet apprentissage « se concilier la bienveillance », il signale la place essentielle que joue, dans la vie des « hommes honnêtes et instruits », les relations sociales. Érasme, qui a beaucoup fréquenté les grands et les princes, annonce alors la qualité qu’il entend mettre en valeur : « La modestie, voilà ce qui convient surtout aux enfants, et principalement aux enfants nobles ». Mais sa définition de la noblesse, qualité de « ceux qui cultivent leur esprit par la pratique des belles-lettres », est une évidente remise en cause de la primauté accordée à la naissance. Cela rappelle le premier chapitre satirique de Gargantua, intitulé « La généalogie de Gargantua. Ses antiques origines », et le chapitre IX, « La livrée de Gargantua. Ses couleurs », où Rabelais ironise sur le rôle des couleurs et des blasons pour dénoncer ceux qu’il nomme « les glorieux de cour et transporteurs de nom ». Ainsi la phrase finale de l’extrait, en dénonçant l’orgueil superficiel de la noblesse, rattache la « vraie noblesse » aux « arts libéraux ».
Pour conclure
Ce passage apporte, en quelque sorte, une réponse à la désillusion de Du Bellay. Se « faire savant » ne suffit pas, enrichir son esprit ne suffit pas, encore faut-il que cela permettre de mener une vie harmonieuse dans sa société, en s’enrichissant au contact de ses semblables. Tel est l’humanisme d’Érasme. Mais, pour ce faire, il faut aussi s’en faire accepter, ne pas chercher à se différencier d’eux dans son approche, et, surtout, ne pas faire preuve d’un orgueil qui ne serait dû qu’à la seule naissance.
Pour voir un diaporama d'analyse
HIDA : Raphaël, L'École d'Athènes, 1509, fresque
Il s’agit d’une fresque aux dimensions imposantes, 7,70 mètres sur 4,40, réalisée sur un des quatre murs de la chambre de la Signature au Vatican par Raphaël, entre 1509 et 1510. Ce peintre, né à Urbino, foyer artistique alors réputé, en 1483, s’est formé d’abord à Pérouse, de 17 à 21 ans, puis à Florence, pendant 4 ans, avant d’être engagé à Rome, à la cour du pape Jules II.
Elle fait partie d’un plus vaste ensemble, opposant d’une part « la raison païenne » à « la foi chrétienne », d’autre part « le Parnasse », l’art, la poésie, à « la justice », symbole d’un idéal politique et social. Son titre n’a été donné qu’au XVIII° siècle, en accord avec l’habillement des personnages représentés, qui renvoient, pour la plupart, à la Grèce antique.
Raphaël, L'école d'Athènes, 1509-12. Fresque sur toile, 770 x 440. Chambre de la Signature, palais pontifical, cité du Vatican, Rome
La structure
L’observation des lignes permet de mettre en évidence la structure symétrique, l’organisation des plans horizontaux et verticaux, la combinaison des couleurs, afin d’analyser la répartition des personnages, notamment des deux qui occupent le centre de l’œuvre. Cette place centrale est à rattacher aux deux conceptions philosophiques antiques, dont héritent les penseurs humanistes de la Renaissance et sources de débats : d’un côté Platon, tenant de l’idéalisme – qui place la vérité dans le monde supérieur des Idées - , de l’autre Aristote, pour lequel elle s’inscrit dans l’univers créé lui-même.
Personnages et décor
Cette importance accordée à la connaissance s’illustre par le choix des personnages représentés, d’un côté philosophes de l’antiquité, mais aussi Averroès, le philosophe arabe qui a transmis et enrichi la connaissance d’Aristote, de l’autre des savants. On observe notamment la recherche du naturel dans les poses adoptées par les personnages, en fonction de leur rôle, et, plus particulièrement, le réalisme anatomique de la représentation du corps humain pour le personnage de Diogène le Cynique.
L’importance de l’héritage antique gréco-romain se retrouve dans le décor, notamment l’architecture, avec les colonnes, les statues d’Apollon (à gauche) et d’Athéna (à droite) dans leur niche, ou la frise au sol.
Mais la Renaissance renouvelle profondément cette architecture avec la vaste coupole ou le plafond à caissons. L’autre caractéristique de la Renaissance est l’utilisation de divers procédés de perspective, avec point de fuite, ou voûte et cercles concentriques.
L'artiste à la Renaissance
Enfin, l’œuvre met en évidence le lien, à la Renaissance, entre les artistes et le pouvoir. Raphaël se représente lui-même, ainsi que Bramante, architecte de la basilique de Saint-Pierre du Vatican ; il prête à des philosophes les traits de Léonard de Vinci et de Michel-Ange. Mais il accorde aussi une place à deux importants mécènes, Federico della Rovere, duc d’Urbino, fils du protecteur du père de Raphaël et neveu du pape Jules II, et Federico Gonzague II de Mantoue, lui aussi noble mécène à la cour papale.
L’œuvre, tout en rendant hommage à l’illustre héritage antique, est aussi une façon de donner au pape Jules II toute la gloire que mérite son mécénat, en le haussant à la hauteur de la cité d’Athènes.
Tommaso Campanella, La Cité du Soleil, 1602-1623
Pour lire l'extrait
C'est en prison que le moine dominicain italien, Tommaso Campanella (1568-1639), compose en latin La Cité du Soleil, dont la version définitive est publiée en 1623. Platon, qui reproduit la maïeutique socratique, et Thomas More en sont les inspirateurs, puisque, comme pour Utopie de More, il s’agit d’un dialogue entre « le grand maîtres des Hospitaliers », chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et son hôte, « un capitaine de vaisseau génois » qui lui présente la cité découverte lors d'un voyage.
Mais, tout en reprenant le plan établi par More, architecture, organisation politique, économique et sociale, mode de vie, Campanella accorde plus de place que lui à l’éducation des enfants, qui sont le produit d’un eugénisme encadré par l’astrologie, réglant aussi les relations sexuelles en l’absence de tout mariage. Un long passage lui est consacré, qui, tout en reproduisant l’idéal propre aux humanistes de la Renaissance, propose un fonctionnement original.
Portrait de Tommaso Campanella
Les apprentissages (des lignes 1 à 25)
Nous retrouvons dans ce texte une caractéristique fréquente des utopies, depuis La République de Platon, déjà observée dans l’« abbaye de Thélème », chez Rabelais, le fonctionnement collectif, mis en valeur en tête de la phrase d’ouverture : « Tous ensemble sont instruits dans tous les arts. ». L’individu doit s’effacer pour s’insérer dans le groupe.
La petite enfance (l. 1-10)
L’apprentissage nous frappe par sa précocité, mais aussi par sa pédagogie originale, surprenante par son modernisme : « D’un à trois ans ils apprennent l’alphabet et la langue sur les murs, en se promenant. » Les murs de la cité sont, en effet, couverts de peintures représentant les savoirs à acquérir : cet enseignement « par l’image » semble se réaliser sans effort, sous la conduite de « vieillards très instruits », donc aptes à transmettre l’héritage du savoir.
Est aussi posé immédiatement l’idéal encyclopédique, mais associant le principe hérité de l’antiquité, « mens sana in corpore sano », à une formation professionnelle. Le développement du corps est recherché dès le plus jeune âge : « Bientôt on les fait s’exercer aux jeux gymnastiques, tels que la course, le disque et plusieurs autres jeux, qui fortifient également chaque membre. » Le fait de « gard[er] toujours la tête et les pieds nus, jusqu’à l’âge de sept ans », révèle même un désir d’endurcir les corps, qui nous rappelle l’éducation donnée dans l’antiquité grecque, à Sparte. Enfin, très tôt, l’éducation envisage l’orientation professionnelle de l’enfant, dans un premier temps par l’observation pour lui permettre de choisir : « On les conduit tous ensemble dans les lieux ou l’on pratique des métiers, dans les cuisines, les ateliers de peinture, de menuiserie, où l’on travaille le fer et où l’on fait des chaussures, etc., afin que la vocation de chacun d’eux se détermine. »
Ainsi ressort à nouveau l’objectif de l’éducation : former des citoyens utiles à la cité.
Les contenus de l'apprentissage (l. 1-18)
Les apprentissages se multiplient et se complexifient en fonction de l’avancée en âge et des compétences : « Après leur septième année, lorsqu’ils ont appris sur les murailles les termes mathématiques, on leur enseigne toutes les sciences naturelles », « Ensuite ils s’appliquent aux hautes mathématiques, à la médecine et à toutes les autres sciences. » Mais l’accent est mis, contrairement à ce qui est habituel dans l’enseignement traditionnel, moins sur les lettres et la philosophie que sur les disciplines considérées comme scientifiques. Cela rappelle le premier séjour en prison de Campanella, pour hérésie, après la publication, à Naples en 1590, de sa Philosophia Sensibus Demonstrata, qui plaçait les « sens », donc le corps, comme fondement de la connaissance.
Cet enseignement collectif est fondé sur l’organisation d’un emploi du temps rigoureux, mais sans excès puisque « quatre heures » suffisent, et l’alternance des activités permet d’éviter la lassitude : « Quatre professeurs ont ce soin, et dans un espace de temps de quatre heures, les quatre divisions ont reçu leur leçon ; car, tandis que les uns exercent leur corps ou servent aux besoins publics, les autres s’adonnent au travail intellectuel. » Enfin, les livres ne suffisent pas, ils sont complétés par l’observation, l’enseignement est mis en pratique, et l’esprit critique s’éveille par les échanges intellectuels : « On les fait discuter entre eux ». Le résultat de cette éducation donne à la cité des chefs respectables, « des maîtres et des juges », non pas par leur naissance, mais parce qu’ils « se sont distingués dans telle ou telle science ou dans un art mécanique ».
Le rôle de l'utopie (l. 18-25)
Campanella, à la fin du premier paragraphe, met en évidence le rôle d’une utopie. Elle doit surprendre le lecteur par sa différence par rapport à sa société. Qui pourrait considérer, au XVIème siècle, que l’éducation puisse conduire à « aller inspecter les champs et les pâturages des bestiaux » ? De telles tâches sont, à cette époque, propres uniquement aux paysans… Personne, non plus, ne pourrait alors considérer que la valeur d’un homme puisse venir du nombre de métiers qu’il est capable d’exercer : « Celui qui connaît un plus grand nombre de métiers et les exerce le mieux, est le plus considéré. »
Ainsi Campanella illustre bien la dimension critique de l’utopie, ici une évidente attaque de la noblesse et de ses privilèges : « Ils rient du mépris que nous avons pour les artisans et de l’estime dont jouissent chez nous ceux qui n’apprennent aucun métier, vivent dans l’oisiveté et nourrissent une multitude de valets pour servir leur paresse et leur débauche ». Le lexique hyperbolique donne toute sa virulence à cette critique à la fois sociale et morale : « cette manière de vivre engendre de grands maux pour l’état : une foule d’hommes pervers sortent d’une société pareille comme d’une école de vices. »
Le "métaphysicien"(de la ligne 26 à la fin)
Le second paragraphe marque le lien entre l’éducation et le pouvoir politique en soulignant l’importance de bien former ceux qui seront à la tête de l’État, plus particulièrement celui qui est ici nommé « le Métaphysicien », magistrat suprême. Cette appellation montre bien sa supériorité : il est capable de dépasser le monde terrestre pour s’élever vers les vérités d’essence supérieure.
Les connaissances (l. 26-35)
Un idéal encyclopédique
La récurrence du verbe « connaître », prolongée par « savoir » et « étudier » et accompagnée des injonctions, le verbe « devoir » ou « on demande », traduit toute la place prise par l’idéal encyclopédique dans l’instruction de ce magistrat. Cette exigence est encore accentuée par la négation qui introduit l’énumération dans l’hypothèse rejetée : « Personne ne peut occuper la place de Métaphysicien, s’il ne connaît à fond l’histoire, les rites, les sacrifices et les lois de tous les États, tant républicains que monarchiques. » Les énumérations se multiplient dans ce passage, et couvrent tous les domaines de la connaissance, les plus traditionnels, comme « l’histoire », « la physique » ou « les mathématiques », jusqu'à la généralisation : « tout ce qui se passe au ciel et sur la terre ».
L'originalité de cet apprentissage
Mais nous pouvons relever plusieurs différences avec les contenus souhaités par les humanistes.
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Ainsi, contrairement à Rabelais dans la lettre de Gargantua à Pantagruel, Campanella n’exclut pas « l’astrologie », qui se confondait souvent encore, à la Renaissance, avec l’astronomie.
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De plus, s’il reprend l’idée d’acquérir un savoir technique, de « tous les arts mécaniques », la parenthèse précise que ce savoir reste très théorique, « la connaissance pratique n’étant pas exigée ». En fait, le Métaphysicien est celui qui maîtrise le savoir que d’autres vont apprendre à mettre en œuvre. Campanella veille aussi à rendre vraisemblable une instruction si vaste dans la parenthèse, la justifiant par la pédagogie particulière pratiquée depuis l’enfance : « en deux jours ils peuvent s’instruire sur un de ces arts au moins, grâce aux peintures dont nous avons parlé et à leur éducation première ».
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Enfin, une dernière différence est significative, le peu d'intérêt pour les langues : « On ne demande pas aussi sévèrement la connaissance des langues ». De plus, dans l’argument qui nie l’intérêt de ce savoir, « car il y a dans la république une grande quantité d’interprètes », le terme « interprètes », au lieu de « traducteurs », fait référence à des langues modernes, anglais, italien, espagnol, là où les humanistes réclamaient, au contraire, l’apprentissage des langues anciennes, pour pouvoir lire les textes anciens sans leur langue d’origine.
Le savoir suprême (l. 35 à la fin)
À la fin du premier quatrain de son sonnet « Je me ferai savant… », Du Bellay pose un savoir suprême : « et d'un plus haut souci / Apprendrai les secrets de la théologie. » C’est sur ce même savoir religieux que se conclut l’extrait de Campanella : « Mais ce qu’on demande surtout, c’est que l’aspirant connaisse parfaitement la métaphysique et la théologie ». Dans la longue énumération finale le lexique, « l’origine », « le fondement », « la nécessité, le sort et l’harmonie du monde », insiste sur tout ce qui relève de la création divine en évoquant les « œuvres de Dieu » et « les degrés des êtres et leurs rapports avec le ciel, la terre, la mer ». Rappelons que Campanella est un moine bénédictin, et, à ce titre, il est normal que la religion, joue un rôle fondamental dans le gouvernement de son utopie.
Mais il lui donne une dimension très particulière, en mentionnant l’étude des « prophètes » et de « l’astrologie ». Cela renvoie à sa personnalité même, puisque, lors de son premier emprisonnement à Naples, le moine se déclare « premier homme du monde, législateur et messie », et se croit chargé d’une mission sur terre, d'où sa Cité du Soleil. Le Métaphysicien doit la guider pour répondre aux « desseins de Dieu », en se fondant sur trois principes : « la puissance, la sagesse et l’amour des œuvres de Dieu ».
CONCLUSION
Cet extrait illustre parfaitement le double rôle de l’utopie :
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former un contrepoint aux réalités existantes, comme ici l’oisiveté immorale des privilégiés ou l’ignorance des hommes de pouvoir ;
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proposer des solutions innovantes pour améliorer l’homme et, de ce fait, la société, d’où la pédagogie originale proposée par Campanella, et l’importance qu’il accorde à la pratique, pour tous, d’un métier pour se mettre au service de sa cité.
Mais, à côté des éléments novateurs, cette société peut paraître effrayante, déjà par cette vie collective imposée. De plus, même si, prudemment, Campanella prend soin de mentionner « Dieu », l’architecture de la cité, avec ses « sept murailles », à l’image des sept planètes principales, l’organisation qui repose sur le chiffre quatre, à l’image des quatre saisons naturelles, pose une question : accorder une telle puissance à l’astrologie, n'est-ce pas ôter à la personne humaine le sens même de la liberté, de même que ces murs chargés d’images peintes, qui imposent leur savoir dès la plus tendre enfance, peuvent nous paraître, aujourd’hui, une forme de manipulation mentale ?
Illustration pour La Cité du soleil
LECTURE CURSIVE : Thomas More, Utopie, livre II, 3, 1516
Pour lire l'extrait
L’œuvre est écrite en latin, alors que More est en mission diplomatique à Anvers, publiée à Louvain, et elle remporte un vif succès auprès de ses amis humanistes (Érasme, Pierre Gilles, Guillaume Budé), Utopia se voulant un « traité de la sagesse », comme en réponse à Moria (ou Éloge de la folie) qu’Érasme avait lui-même dédié à More en 1511. Elle donne son nom à ce qui devient le modèle d’un genre littéraire, le mot « utopie » étant formé à partir du grec "ou-topos", qui signifie "en aucun lieu" : c’est la description d’un monde imaginaire, l’île d’Utopie, à l’opposé de la réalité anglaise du temps, et représentatif de l’idéal de More.
Dans la seconde partie, Raphaël Hythloday, un marin, décrit longuement à Morus l’île découverte, un monde qui fonctionne à l’envers du monde réel. Il en évoque l’histoire, la géographie, l’économie, mais aussi sa constitution et toutes les lois, les mœurs et les croyances qui organisent la société. Cet extrait présente un des aspects de l’éducation, original.
Johann Froben, vue de l'île d'Utopie, 1518. Pour illustrer l'ouvrage de Thomas More
Une éducation professionnelle
Comme chez Campanella, ce monde utopique a un objectif essentiel : former des citoyens utiles à leur patrie.
L'agriculture
L’accent est d’abord mis sur l’importance de l’agriculture pour la survie du pays qui peut ainsi nourrir, en toute indépendance, ses habitants. Qualifiée d’« art », elle est élevée à un rang supérieur et constitue un apprentissage obligatoire, théorique mais aussi concrétisé par l’observation lors des « promenades récréatives », ce qui nous rappelle l’éducation de Gargantua par Ponocrates. Le narrateur insiste sur cette obligation : « personne n’a le droit de s’[en] exempter » est repris par « l’agriculture, qui, je le répète, est un devoir imposé à tous ». S’y ajoute, comme chez les humanistes, la place accordée au corps : le travail agricole pratiqué par les enfants « a de plus l’avantage de développer leurs forces physiques ».
L'industrie
Mais l’agriculture ne suffisant pas à l’économie, cet enseignement est complété par celui d’une « industrie particulière », c’est-à-dire par l’acquisition d’un métier lié à l'artisanat, comme chez Campanella. Sont cités des métiers traditionnels, manuels, choisis aussi selon « la profession de ses parents » : « Les uns tissent la laine ou le lin ; les autres sont maçons ou potiers ; d’autres travaillent le bois ou les métaux. » Cependant, nous constatons qu’à aucun moment le récit ne mentionne des métiers qui exigeraient une formation intellectuelle de haut niveau. Même dans le chapitre consacré aux « magistrats », rien ne vient expliquer s’ils reçoivent une formation particulière… et qu’en est-il des médecins, des pharmaciens, des avocats… ?
En fait, toute l’éducation est dispensée en fonction des besoins de la collectivité, avec une importance particulière accordée aux valeurs morales qui permettront, précisément, d’accepter cette soumission. Il s’agit, en effet, de lutter contre « l’oisiveté » et « la paresse » qui feraient du citoyen un fardeau pour la société. C’est aussi ce qui explique la remarque sur le choix de l’instructeur : « un père de famille honnête et respectable », c’est-à-dire respectant les valeurs de sa cité.
Deux principes fondateurs : égalité et liberté
L'égalité
L’accent est mis très nettement sur l’égalité : « Tous, hommes et femmes, sans exception, sont tenus d’apprendre un des métiers mentionnés ci-dessus. » La seule différence admise est due à la nature physique : « Les femmes, étant plus faibles, ne travaillent guère qu’à la laine et au lin ; les hommes sont chargés des états plus pénibles. » C’est aussi ce respect d’une égalité entre citoyens que contrôlent les magistrats : ils doivent « veiller à ce que personne ne se livre à l’oisiveté et à la paresse, et à ce que tout le monde exerce vaillamment son état. » La reprise de « personne » par « tout le monde » souligne cette volonté d’égalité.
La liberté
Mais cette égalité pose, parallèlement, la question de la liberté. Si la finalité de l’éducation est de former un citoyen mis au service de son pays, quelle marge de liberté lui reste-t-il ?
Deux précisions tiennent, certes, compte des compétences et du désir personnels dans le choix du métier :
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« Cependant, si quelqu’un se sent plus d’aptitude et d’attrait pour un autre état, il est admis par adoption dans l’une des familles qui l’exercent ». Mais cet apprentissage reste fortement encadré par les deux pouvoirs qui règnent sur l’île, celui du « père » et celui du « magistrat ».
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« Si quelqu’un, ayant déjà un état, veut en apprendre un autre, il le peut aux conditions précédentes. On lui laisse la liberté d’exercer celui des deux qui lui convient le mieux ». Cependant, à nouveau, une restriction est aussitôt posée, « à moins que la ville ne lui en assigne un pour cause d’utilité publique. », qui rappelle que la liberté individuelle doit s’effacer au profit de l’intérêt collectif.
Pour conclure
Ce passage représente parfaitement les avantages et les dangers du discours utopique.
D’un côté, il dépeint une société jugée idéale, parce que chacun y trouve sa place, avec une économie parfaitement organisée à laquelle chacun contribue. Notons que ce rêve de monde parfait constitue un contrepoint à la situation du XVI° siècle, où les sociétés occidentales sont fortement inégalitaires, et avec une pauvreté souvent insupportable. C’est ce que souligne le dernier paragraphe par le lexique péjoratif et les images : « Il ne faut pas croire que les Utopiens s’attellent au travail comme des bêtes de somme depuis le grand matin jusque bien avant dans la nuit. Cette vie abrutissante pour l’esprit et pour le corps serait pire que la torture et l’esclavage. Et cependant tel est partout ailleurs le triste sort de l’ouvrier ! »
D’un autre côté, ce monde idéal, pour assurer l’égalité, place au second plan la liberté individuelle, puisque la collectivité impose ses règles, en partant du principe que tous les accepteront.
Il est aussi frappant de constater qu’en ce siècle où les humanistes insistent tant sur le développement intellectuel, sur l’enrichissement des connaissances, l’utopie imaginée par Thomas More repose sur une conception très traditionnelle, régie par une forme de patriarcat et valorisant l’agriculture et l’artisanat. Ne pourrions-nous pas alors y voir une forme de nostalgie d’un « âge d’or » dont s’éloigne déjà la Renaissance avec le développement des sciences et des techniques.
Michel de Montaigne, Essais, I, 26, 1580-1595 : "De l'institution des enfants"
Pour lire l'extrait
Par ses études, Montaigne est un humaniste. Son père lui fait apprendre le latin et le grec, puis il va au collège de Guyenne à Bordeaux, très réputé. Enfin lui-même ne cessera de découvrir les grands auteurs de l’antiquité, tels Sénèque ou Plutarque. En témoigne sa « librairie », bibliothèque aménagée dans une tour du château de Montaigne dont il hérite à la mort de son père en 1568 et dont les poutres sont couvertes de citations latines et grecques.
Montaigne commence, vers 1571, ses Essais dont la 1ère édition date de 1580. Les éditions se succèdent, avec des ajouts, qu’il nomme « ajoutailles », et des remaniements, notamment une qu’il contrôle en 1588. Elle comporte, par rapport à la première, 641 ajouts, modifiant, notamment, 31 fins de chapitre, avec 543 citations nouvelles, et un troisième livre. La dernière édition, sur laquelle se fondent les éditions contemporaines est dite « édition de Bordeaux », publiée par Marie de Gournay, sa « fille adoptive » rencontrée à Paris en 1588. Elle tient compte de ses dernières annotations manuscrites, placées dans les marges, et paraît de façon posthume, en 1595, trois ans après sa mort en 1592.
Portrait de Montaigne, anonyme, XVII° siècle
Le titre de l’œuvre, apparent sur le frontispice de l’édition de 1582, est Essais de Michel, seigneur de Montaigne ; certaines éditions précisent même ses titres : « Chevalier de l’ordre du Roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre, maire et gouverneur de Bordeaux » (édition de 1582). Ainsi l’auteur affiche hautement son origine nobiliaire, même si, ayant grandi auprès des paysans, il se montrera toujours respectueux des plus humbles. Il est donc tout naturel que, parmi les différents chapitres où il s’intéresse à l’éducation, en digne humaniste, le chapitre XXVI, « De l’institution des enfants », soit dédié à Diane de Foix, comtesse de Gurson, alors enceinte, afin de la conseiller sur la façon d’instruire un jeune noble, une « nature bien née ». Pour lui, un homme mieux formé ne pourra que devenir un meilleur citoyen.
Quel idéal éducatif Montaigne pose-t-il à travers ses critiques ?
Le frontispice des Essais
1ère Partie : le fondement de l'idéal (des lignes 1 à 8)
L'objectif de l'instruction
Après avoir rappelé qui est concerné par sa proposition, « un enfant de maison », c’est-à-dire noble, Montaigne pose, en deux temps, l’objectif de l’enseignement des « lettres ».
Il commence par un rejet insistant, celui du « gain », soutenu, dans la parenthèse, par le lexique violemment péjoratif : « une fin si abjecte ». Ce terme exclut, bien évidemment à cette époque, toute idée d’une carrière professionnelle rémunérée pour un noble : le savoir doit rester désintéressé, le contraire serait « indigne de la grâce et de la faveur des Muses ». Mais il peut aussi renvoyer à tout autre intérêt attendu, par exemple une considération admirative, elle aussi refusée car elle « regarde et dépend d’autrui », ce que reprend la mention des « commodités externes ». C’est ici le pédantisme, l’étalage de savoir pour briller en société qu’il rejette, critique déjà formulé dans le chapitre XXV qui lui est consacré.
En les opposant aux « siennes propres », Montaigne rattache l’enseignement à la seule amélioration personnelle, avec le redoublement verbal mélioratif : « pour qu'il s'enrichisse et s'en pare au-dedans ». Ainsi, le chiasme dans sa comparaison, met en son cœur le mot « homme », l’idéal humaniste : « moi, ayant plutôt envie de faire de lui un habile homme qu’un homme savant ».
Il s’oppose ainsi à la fois à l’éducation scolastique traditionnelle décrite par Rabelais dans Gargantua, qui, pour former un « savant », accumule les savoirs livresques et aux excès de l’idéal encyclopédique, pour poser un autre but : être « habile », c’est ne pas se contenter de la théorie, mais savoir utiliser le savoir acquis pour agir, l’incarner dans son existence.
Le choix du précepteur
De cet objectif découle une conséquence, le choix du « conducteur », terme qui reprend l’étymologie même du mot « éducation », "e(x)-ducere", "conduire hors de". La même exigence est formulée dans la comparaison : « qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine ». Bien évidemment, il n’est pas question de nier l’importance du savoir, mais, là encore, de mettre en valeur deux autres aspects, les valeurs morales et l’esprit critique : « qu’on y requît tous les deux, mais plus les mœurs et l’entendement que la science ». Nous retrouvons la formule de Rabelais, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
2ème Partie : le précepteur idéal (des lignes 9 à 23)
L’idéal pédagogique formulé dans les paragraphes suivants introduit deux temps pédagogiques : celui, préalable d’une évaluation de l’élève, puis celui de l'enseignement.
L'évaluation préalable de l'élève
Avant même que le précepteur ne dispense son enseignement, il l’invite à tenir le plus grand compte de la personnalité de son élève : « Je voudrais […] que, de belle arrivée, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commençât à la mettre sur la montre », comme un commerçant le fait avec ses marchandises pour tenter ses clients. Le même conseil est repris plus loin, avec une métaphore qui compare l’élève à un cheval à l’entraînement : « Il est bon qu’il le fasse trotter devant lui pour juger de son train ». À cela s’ajoute l’importance de préserver la liberté de l’élève, en l’impliquant dans le choix des contenus, tout en le guidant : « lui faisant goûter les choses, les choisir et discerner d’elle même : quelquefois lui ouvrant chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. » Le parallélisme met en valeur l’attention que doit porter le maître à son élève, la relation qui s’instaure ainsi entre eux, mais suggère aussi que l’élève doit être motivé pour apprendre, que l’enseignement doit piquer la curiosité et s’associer au plaisir.
L'évaluation préalable de l'élève
Pour atteindre l’objectif initialement fixé, cet enrichissement personnel, Montaigne s’élève contre un enseignement qui ne serait que magistral, avec une comparaison empruntée au gavage des oies : « On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir », avec le suffixe verbal « criailler » qui renforce l’image péjorative, généralisée à tous les maîtres par le pronom « on », en suggérant une voix aiguë, désagréable. Il rejette ainsi avec force la passivité de l’élève et un enseignement uniquement répétitif, celui de la scolastique: « notre charge n’est que de redire ce qu’on nous a dit. »
Par la répétition du verbe « vouloir », tantôt au conditionnel « Je voudrais », tantôt, plus fortement, au présent, par la négation qui rejette, et l’affirmation qui exige, il renforce son souhait d’une pédagogie active, très novatrice par rapport à la pratique de son époque : « Je ne veux pas qu’il invente et parle seul, je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. » Il y met en valeur à nouveau l’indispensable attention que le maître doit porter à son élève.
Ce n’est pas pour étaler son savoir que Montaigne évoque les philosophes antiques, mais pour rendre plus acceptable cette innovation, en l’appuyant sur l’exemple des philosophes antiques, modèles reconnus par les humanistes. Il évoque ainsi la maïeutique pratiquée par Socrate, jeu de questions destinées à amener le disciple à formuler lui-même la vérité, Archésilas, qui lui aussi utilise le dialogue pour introduire le doute, mais également Cicéron, dont il cite le texte latin, comme souvent dans les Essais. Il montre ainsi à quel point le savoir est assimilé puisqu’il se mêle à ses propres réflexions.
Le maître ex-cathedra, manuscrit médiéval
La relation entre le maître et l'élève
C’est le dernier point qui s’oppose à la pratique traditionnelle, car rappelons que, dans les collèges et les universités, le maître enseigne « ex cathedra », du haut de la chaire, imposant ainsi sa supériorité aux élèves. Pour Montaigne, il appartient au maître de savoir, au contraire, après avoir évalué son élève, se mettre à sa hauteur : « juger jusques à quel point il se doit ravaler pour s’accommoder à sa force. » Il insiste sur cet indispensable renoncement à son pouvoir hiérarchique, « savoir condescendre à ses allures puériles et les guider. ». Il sait à quel point cela diffère de l’habitude de son époque, c’est pourquoi il en souligne la difficulté pour en faire la valeur suprême du pédagogue, en amplifiant son éloge : « À faute de cette proportion nous gâtons tout : et de la savoir choisir, et s’y conduire bien mesurément, c’est l’une des plus ardues besognes que je sache : et est l’effet d’une haute âme et bien forte ». Une image personnelle soutient cet éloge : « Je marche plus sûr et plus ferme à mont qu’à val. ».
3ème Partie : le résultat de l’enseignement (de la ligne 24 à la fin)
L'échec de l'instruction collective
Montaigne, après une première éducation donnée par son père puis par un précepteur, est envoyé, de sept à treize ans, poursuivre ses études de grammaire et de rhétorique au collège de Guyenne à Bordeaux qu’il a longuement critiqué en raison de sa discipline stricte : « Le collège est une vraie geôle pour une jeunesse captive. On la rend déréglée en la punissant de l’être avant qu’elle le soit. La belle manière d’éveiller l’intérêt pour la leçon chez des âmes tendres et craintives que de les y guider avec une trogne effrayante, les mains armées de fouet ! (I, 26) »
Pour lui, l’éducation – et rappelons qu’elle est destinée à un enfant noble – doit donc être individuelle, précisément pour respecter la personnalité de l’enfant. D’où la critique, mise en valeur par les adjectifs qui s’opposent, de « ceux qui, comme porte notre usage, entreprennent d’une même leçon et pareille mesure de conduite régenter plusieurs esprits de si diverses mesures et formes ». La construction de la phrase met en valeur, dans sa seconde partie, l’échec de cet enseignement collectif, amplifié par l’opposition quantitative entre « tout un peuple » et « à peine deux ou trois » : « ce n’est pas merveille si, en tout un peuple d’enfants, ils en rencontrent à peine deux ou trois qui rapportent quelque juste fruit de leur discipline. »
Le contrôle de l'apprentissage
Montaigne en arrive à l’évaluation de l’apprentissage, nouvelle opposition par rapport à l’enseignement scolastique de son époque : « Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. » Le rythme binaire de cet ordre donné au précepteur, avec les oppositions (« ne pas… mais », « non pas… mais ») refuse nettement l’apprentissage par cœur, qui transforme l’élève en perroquet savant : « Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. » Notons la récurrence du verbe « juger », rôle du maître depuis son premier contact avec son élève, en parallèle au résultat attendu chez l’élève. L’attente est, en effet, double : d’une part une véritable compréhension, donc un appel à l’esprit critique, d’autre part, en écho à l’objectif posé au début, former un « habile homme », un savoir qui s’illustre en pratique.
Pour vérifier cela, sont nécessaires des exercices pratiques, sur lesquels les redoublements lexicaux insistent, car il ne s’agit plus seulement de « redire », mais d’assimiler : « Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien fait sien, prenant l’instruction de son progrès des pédagogismes de Platon. » L’idée est renforcée par la métaphore alimentaire finale, fréquente chez Montaigne : « C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée. L’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on lui avait donné à cuire. »
CONCLUSION
Ce passage montre l’importance que les humanistes accordent à l’enseignement, qui est présenté comme le fondement même de l’existence : contrairement à l’instruction alors traditionnelle, il n’est pas une simple accumulation de savoirs, mais, s’inscrivant dans la vie même, il détermine tous les comportements, se charge donc d’une valeur morale.
Pour en savoir plus sur Montaigne
Bien évidemment, cette pédagogie, où un précepteur se consacre à un seul élève, serait plus difficile à appliquer dans le cadre d’une collectivité. Cependant, Montaigne avance des conceptions déjà très modernes, à la fois dans la place qu’il accorde à l’élève, directement impliqué dans son apprentissage, et dans la pédagogie qu’il souhaite voir mise en œuvre par ce précepteur, contrepoint des méthodes alors en vigueur. L’idée sous-entendue est que cette pédagogie adaptée à l’enfant est propre à lui faire aimer l’étude, tout en la rendant véritablement utile à la formation de son caractère.
LECTURE CURSIVE : Michel de Montaigne, Essais, 1580-1595, I, 25
Pour lire l'extrait
L’intérêt de Montaigne pour l’éducation se constate dans de nombreux passages des Essais, comme dans le chapitre XXV, « Du pédantisme », où il fait de l’instruction dispensée à son époque la cause de la critique adressée à ceux qui ne pensent qu’à briller en société en étalant leur savoir.
Les critiques
Le savoir encyclopédique
La lecture de Gargantua, comme la lettre du héros à son fils dans Pantagruel, nous a montré l’importance pour les humanistes d’un savoir encyclopédique, afin de parcourir tout le champ des connaissances humaines. D'où la surprise devant son reproche sur « leur mauvaise façon d’aborder les sciences », soutenu par des négations : « ni les écoliers ni les maîtres ne deviennent pas plus intelligents, bien qu’ils deviennent plus savants », « sans qu’il soit question de jugement ni de vertu ». L’essentiel n’est donc pas, pour lui, la somme des connaissances, ce qui entraîne un second reproche à l’enseignement traditionnel : il ne s’appuie que sur la mémorisation, par cœur. Pour concrétiser sa critique, il s’appuie sur des images, la comparaison à « un perroquet », ou à l’alimentation des oiseaux : « De même que les oiseaux vont parfois chercher du grain, et le portent en leur bec sans même y toucher, pour en donner la becquée à leurs petits, ainsi nos pédants vont grappillant leur science dans les livres, et ne la prennent que du bout des lèvres, pour la régurgiter et la livrer au vent. »
Jean-Jacques Grandville, « L’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin », 1838. Gravure pour illustrer La Fontaine
Le pédantisme
Mais, par-delà cette observation, se cache une erreur plus grave, l’objectif fixé à cet apprentissage, ce « gain » qu’il a dénoncé dans le chapitre XXVI, ces « commodités externes », ici le désir de se faire admirer. C’est pourquoi, s’adressant aussi à « la foule » de ceux qui valorisent ce savoir encyclopédique, la critique est accentuée par le discours rapporté, « Oh qu’il est savant ! », ridiculisé ironiquement : « Oh la grosse tête ! » Montaigne lui-même s’inclut dans ce reproche par le pronom « nous » : « Nous demandons volontiers de quelqu'un : « Sait-il du grec ou du latin ? Écrit-il en vers ou en prose ? »
Le ridicule de ces pédants ressort des exemples, en gradation, qui mettent en scène l’absurdité de leur comportement :
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Le premier est emprunté à un récit de l'antiquité, celui de l’illusion stupide de « ce riche Romain » : « il croyait que ce savoir était le sien, parce qu'il se trouvait dans la tête » des « savants » qu’il paie pour lui fournir le savoir dont il a besoin pour se faire admirer.
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Il élargit ensuite le reproche à ceux qui étalent leur savoir dans de « somptueuses bibliothèques ».
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L’exemple suivant, personnel, est encore plus frappant en raison de l’ironie cocasse de l’hypothèse : « Je connais quelqu'un qui, quand je lui demande ce qu'il sait, me demande un livre pour me le montrer ; et il n'oserait pas me dire qu'il a la gale au derrière sans aller chercher dans son dictionnaire ce que c'est que la gale et ce qu'est le derrière !... »
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Un dernier exemple, élargi par l’emploi du « nous », repose sur une comparaison hypothétique, qui pousse l’absurdité à l’extrême : « Nous ressemblons en fait à celui qui, ayant besoin de feu, irait en demander chez son voisin, et trouvant qu'il y en a là un bien beau et bien grand, s'y arrêterait pour se chauffer, sans plus se souvenir qu'il voulait en ramener chez lui. »
L'idéal humaniste
Par opposition, Montaigne recherche ce que peut être la véritable « intelligence » : « plus savants » s’oppose, dès le début, à « plus intelligents ». Le premier paragraphe se construit d’ailleurs autour d’un chiasme : « sans qu’il soit question de jugement ni de vertu » fait écho, à l’inverse, à la fin du paragraphe, « qu’il soit devenu meilleur et mieux avisé, c’est là l’essentiel ». Au centre du chiasme, mis en valeur, figure le progrès moral, à travers les deux termes de « jugement » et de « vertu », repris ensuite par « intelligence » et « conscience ».
L'importance du "jugement"
Par son souhait, « Il eût fallu s'enquérir du mieux savant, et non du plus savant », Montaigne oppose à l’accumulation du savoir sa profondeur, l’adverbe « mieux ». Il réclame donc un progrès personnel, mis en évidence par l’opposition entre le savoir emprunté et le savoir personnel : « Nous prenons en dépôt les opinions et le savoir des autres, et c'est tout – alors qu'il faudrait qu'elles deviennent les nôtres. » Cette opposition est accentuée par l’insistance sur le pronom « nous » et les questions rhétoriques : « Nous savons dire : « Cicéron a dit cela; voilà les mœurs de Platon ; ce sont les mots mêmes d'Aristote. Mais nous, que disons-nous, nous-mêmes ? Que pensons-nous ? » C’est donc ce que nous nommons "esprit critique" que souhaite Montaigne, avec une nouvelle métaphore alimentaire qui interpelle le lecteur à la fin de l’extrait : « À quoi bon avoir le ventre plein de viande, si elle ne se digère et ne se transforme en nous ? Si elle ne nous fait grandir et ne nous fortifie ? »
Peka, « L’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin », XIXème s. Image d'Épinal
Le progrès moral
Or, la formation du jugement permet à l’homme de choisir ses actions, et c’est là que la « vertu » s’impose comme idéal, pour distinguer le bien et le mal, le juste et l’injuste. Cette idée se traduit par l’opposition entre l’exclamation réelle, « Oh qu’il est savant ! », et l’exclamation souhaitée par Montaigne : « Oh le brave homme ! », adjectif à prendre dans le sens de généreux, altruiste. Il s’agit donc bien d’un progrès moral, qui doit rendre l’homme plus heureux, comme le suggèrent aussi les verbes « grandir » et surtout « fortifier », ce qui permet de mieux résister aux épreuves.
Pour conclure
Montaigne rejoint à nouveau ici la formule de Rabelais, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Mais il reflète une évolution de l’idéal humaniste : il n’est plus question, comme dans la première moitié du siècle, de se contenter d’accumuler un savoir encyclopédique, mais de le mettre au service d’une amélioration de l’homme, et, par contrecoup, de la société. À la fin du siècle les guerres de religion ont introduit des doutes, et de nouvelles exigences.
Nous nous approchons ainsi de l’idéal de ce que le XVIIème siècle nommera « l’honnête homme » : un homme cultivé, mais non pédant, un homme préoccupé des valeurs morales au sein de sa société.
LECTURES CURSIVES : Quintilien - Marguerite Yourcenar
Pour lire l'extrait
Un prédécesseur de Montaigne : Quintilien, L’Institution oratoire, III, extrait, vers 92
La nature de l'enfant
Dans le premier paragraphe, Quintilien reprend la conception traditionnelle du fonctionnement de l’apprentissage « dans le jeune âge » en soulignant l’importance de la « mémoire » et l’aptitude à « l’imitation ». Mais, de façon plus originale, il attire l’attention sur deux types de caractère :
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l’enfant qui « ne cherchera qu’à faire rire » en imitant « ce que les gens ont de ridicule »: il considère qu’il s’agit là d’un défaut, signe d’un enfant méchant ;
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les « esprits précoces » qui vont « courir en avant » et qui « font vite », par excès de facilité. Selon lui, « leur force est toute superficielle », et, en construisant une métaphore à la fin de ce paragraphe, il explique que ce n’est pas un gage de réussite à l’âge adulte.
L'enseignement de Quintilien
Dans le deuxième paragraphe, il montre la variété dans « l’esprit des enfants » en distinguant des catégories opposées : certains ont besoin qu’« on les presse incessamment » quand d’autres refusent le « joug » ; les uns ont besoin qu’on leur inspire de la « crainte », pour d’autres elle est nocive ; les uns ne progressent qu’« à force de labeur », d’autres « par impétueuses saillies ».
Quintilien pose ainsi l’image de l’enfant idéal, « un enfant que la louange excite, qui soit sensible à la gloire, qu’une défaite fasse pleurer », parce que ce caractère est le gage de l’absence de « paresse ». Cependant, tout en insistant sur l’importance du travail, il met en parallèle celle des temps de « repos », parce que « l’air de la liberté » permet aux enfant de « retremp[er] leur âme ». C’est pour cette même raison que, de façon très moderne, il montre l’utilité du « jeu » car il y a « des amusements qui peuvent servir à exercer l’esprit des enfants. »
Enfin, il juge que, dès son plus jeune âge, l’enfant est capable de « discerner le bien du mal », donc que c’est le bon moment pour lui transmettre des valeurs morales.
Le comportement du maître
Dans le premier paragraphe, la première exigence que formule Quintilien est que le maître fasse preuve de discernement sur le caractère de l’enfant qu’il doit éduquer : « Un maître habile doit commencer par bien connaître l’esprit et la nature de l’enfant. »
Dans le deuxième paragraphe, Quintilien, à partir de cette observation, explique que le maître choisira la façon d’enseigner la plus appropriée à l'enfant : « comment l’esprit des enfants veut être manié ».
Mais c’est surtout un équilibre dans l'emploi du temps de l'élève qu'il réclame à ce maître idéal : « il y a un milieu à garder » entre « trop de travail » et « trop de délassement ». Il assigne également au maître, conformément à la tradition, un rôle essentiel, amplifié par le rythme ternaire, celui de « former les mœurs », transmettre des valeurs morales, dès le plus jeune âge en habituant l’enfant à « ne rien faire avec passion, avec méchanceté, avec emportement. »
Dans le troisième paragraphe, à la fin du texte, Quintilien prend le contrepied de l’autoritarisme propre à l’enseignement tant en Grèce qu’à Rome. Il « condamne absolument », en effet, le recours aux châtiments corporels, en s’appuyant sur trois arguments :
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C’est « un châtiment bas et servile », c’est-à-dire traiter l’enfant comme un esclave en lui infligeant un « affront ».
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Certains enfants ont un caractère tel que ces châtiments « ne le corrigent pas », mais produisent l’effet inverse : il « s’endurcira bientôt aux coups ».
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Enfin, ces châtiments sont si extrêmes, alors même qu’il s’agit d’un enfant, qu’il sera impossible d’en trouver de plus importants et efficaces quand il s’agira du « jeune homme » et donc de « choses plus importantes ».
Quintilien en arrive alors à une accusation plus directe. Quand un enfant est puni, c’est parce qu’il n’a « pas fait » ce que l’on attendait de lui, mais qui est responsable, en fait ? L’enfant, ou « la négligence du pédagogue » ? Il propose donc une solution pour éviter ces châtiments injustifiés et inutiles : la présence d’un « surveillant assidu, chargé de lui faire rendre compte de ses études. »
« Le fouet », fin du VI° s. av. J.-C. Vase, Staatliche Museen, Berlin
Pour conclure
Dans ce passage, Quintilien met l’accent sur le rôle et le comportement du maître, mais, parallèlement, élabore une réflexion sur la nature des enfants. En cela, il a largement inspiré Montaigne qui s’est sans doute aussi reconnu dans les portraits de Quintilien.
Cet extrait sonne aujourd’hui de façon très moderne par l’attention portée à la nature même de l’enfant, au rôle du jeu, des punitions… Cependant, notons que, comme Montaigne, Quintilien envisage essentiellement un enseignement particulier, la relation entre un enfant et son précepteur, car les exigences qu’il impose au maître seraient bien plus difficiles à mettre en œuvre dans un enseignement collectif.
Une héritière de l'humanisme : Marguerite Yourcenar, « Diagnostic de l’Europe », 1929, in Essais et mémoires
La date de cet article est significative, sur le plan historique : la crise économique de Wall Street commence à accabler l’Europe, et la montée des nationalismes, du fascisme, laisse planer une menace de guerre. D'où le questionnement sur le rôle du savoir.
Marguerite Yourcenar (1903-1987) n’a que 26 ans, n’a encore publié aucun roman, quand elle compose cette réflexion, très critique, sur le rôle des connaissances. Rappelons qu’elle-même a été instruite, dans l’enfance, avec des gouvernantes dont elle reconnaît qu’elles ne lui ont pas appris grand-chose. C’est son père qui s’est occupé personnellement de son éducation, de lui qu’elle a appris les langues anciennes, l’anglais, et qui lui a fait connaître les plus grands auteurs : elle a passé son baccalauréat sans fréquenter l’école.
Marguerite Yourcenar à 26 ans
L'abondance des connaissances
L’article s’ouvre sur un constat, « la diversité des connaissances » offertes à tous au XX° siècle, qu’elle oppose à la situation « du passé », rappelant l’héritage médiéval qui a longtemps perduré : « L'étroite instruction aristotélicienne et catholique », « des textes peu nombreux, vénérés, toujours les mêmes ». Le XX° siècle vit, à ses yeux, une révolution qui rappelle celle produite par l’imprimerie au XVI° siècle : « le prodigieux effort vulgarisateur du livre et du journal ». Elle dépeint donc cet accès au savoir comme un « laboratoire ouvert ». Le siècle semble donc avoir réalisé l’idéal des débuts de la Renaissance : un savoir encyclopédique.
Mais, loin d’en faire l’éloge, Marguerite Yourcenar inverse le point de vue pour dénoncer le résultat de cette surabondance, à l’aide d’une comparaison évocatrice : « Finances, politique, histoire, littérature de tous les temps, de toutes les races : le cerveau européen, au XXème, s'embouteille comme les carrefours. » En fait, cette abondance de connaissances, ce savoir « hâtif toujours, maladroit souvent », empêche l’esprit de les assimiler : cela n’apporte donc plus que « l’illusion de l’universel savoir ».
Pour lire l'extrait
La destruction de l'homme
Selon elle, le résultat est exactement l’inverse de l’idéal humaniste : cela rend impossible « l’esprit libre », c’est-à-dire capable d’une réflexion personnelle et critique, dont elle cite deux exemples, les philosophes Descartes et Spinoza. Il manque, en fait, en parallèle à ce flot de connaissances, de fournir à l’homme « la méthode » qui lui permettrait de les trier, de les juger, il manque « la discipline de la recherche », puisque ces connaissances sont fournies, en quelque sorte « clé en main ». Une image particulièrement péjorative souligne ce défaut : « la masse ruée dans ce laboratoire ouvert saute à pieds joints la méthode pour atteindre aux formules. » Le savoir n’est plus alors qu’une sorte d’instrument, la « pensée pure s’appauvrit », la réflexion théorique et la dimension critique s’effaçant au profit d’« applications circonstancielles », forcément provisoires.
Le second paragraphe brosse un triste tableau de l'homme ainsi transformé. Certes, elle reconnaît que « Quelques intelligences assimilent ces accablantes matières » ; mais plus nombreuses sont les deux autres catégories, dépeintes par des images violentes : « la plupart se changent en appareils enregistreurs ; d'autres, et non des moins saines, les vomissent. » C’est, à ses yeux, la disparition de la morale, que l’esprit ne peut plus construire, et qui se trouve remplacée par « l’hygiène sportive ». L’esprit, privé d’aliment, n’est plus capable de gouverner le corps qui « triomphe ». Mais ce triomphe n’a plus rien de positif, contrairement à l’idéal de la Renaissance : c’est le triomphe des « sensations » que l’esprit ne sait plus « coordonner », tellement perturbantes que, pour les apaiser, l’homme recourt à ce qu’elle qualifie d’« anesthésiants mystiques », une nouvelle forme de « paradis » mais « artificiel ».
Finalement, une nouvelle vision de l’homme s’est mise en place, faite de « passivité lassée », d’incertitudes, d’où la conclusion sévère : « entre le corps et l'âme profonde, entre l'instinct et l'inconscient, la raison meurt. »
Pour conclure
Cet article expose donc un paradoxe. Alors même que le développement des connaissances, offertes à tous, semble satisfaire l’idéal encyclopédique posé par les humanistes de la Renaissance, la finalité même de la connaissance disparaît : au lieu de développer la « raison », de former « un esprit libre », capable de discernement et de jugement personnel, ces connaissances, trop nombreuses, encombrent l’esprit, qui devient incapable de, comme le dirait Montaigne, les « digérer ». On est alors loin de l’idéal de « tête bien faite », prôné par celui-ci, et d’un harmonieux équilibre entre les composantes de l’homme : le corps, l’esprit et l’âme. C'est la disparition de cet idéal humaniste que déplore Marguerite Yourcenar.
L’on imagine aisément ce que pourrait dire Marguerite Yourcenar face aux nouvelles technologies d’information… qui ne font qu’accenteur cette abondance de connaissances, vrais mais aussi, parallèlement, tant de faux savoirs livrés en vrac à un esprit qui ne sait plus trier !
Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’Éducation, 1762, II
Pour lire l'extrait
Maurice-Quentin de La Tour, Portrait de Rousseau, 1764. Pastel sur papier, 45 x 35,5, Musée Antoine Lécuyer
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) a reçu une instruction très limitée, puisqu’il a été placé en apprentissage à 13 ans, chez un maître particulièrement sévère. C’est donc un autodidacte, il s’est instruit lui-même, mais il a souvent regretté ce manque d’instruction qui a gêné ses relations sociales, notamment quand il a été amené à fréquenter le monde des salons. Cela peut expliquer l’intérêt qu’il porte à l’éducation, dont témoigne le sous-titre de ce qu’il présente pourtant comme un « roman » : une courte introduction précise qu’il s’agit d’un « élève imaginaire », donc d’une fiction. En fait, c’est bien un essai puisque Rousseau se transforme en précepteur pour exposer ses propres réflexions. Leur audace, notamment en matière de religion, a entraîné la condamnation immédiate de l’œuvre par le Parlement, ce qui contraint Rousseau à l’exil.
Dans ce passage,comment soutient son jugement sévère sur l’éducation traditionnellement donnée aux enfants, et quels souhaits formule-t-il ?
1ère Partie : une critique de l'éducation traditionnelle (des lignes 1 à 14)
Une polémique violente
Le texte s’ouvre sur une interpellation du lecteur par la question oratoire qui pose avec force la critique de la violence qu’exercent les éducateurs. Le rythme ternaire des trois subordonnées relatives traduit l’élan d’indignation de Rousseau, marqué aussi par le lexique hyperbolique : « Que faut-il donc penser de cette éducation barbare qui sacrifie le présent à un avenir incertain, qui charge un enfant de chaînes de toute espèce, et commence par le rendre misérable, pour lui préparer au loin je ne sais quel prétendu bonheur dont il est à croire qu'il ne jouira jamais ? ».
Cette attaque repose sur une métaphore, qui compare l’enfant à un prisonnier esclave, prolongée par la comparaison dans l’exclamation mettant en valeur la colère de l’écrivain : « comment voir sans indignation de pauvres infortunés soumis à un joug insupportable et condamnés à des travaux continuels comme des galériens […] ! » L’image est enfin le point d’apogée de l’énumération qui résume la « cruauté » subie par les enfants : « au milieu des pleurs, des châtiments, des menaces, de l'esclavage. »
Nicolas-Bernard Lépicié, L’enfant en pénitence, XVIII° s. Huile sur toile, 72 x 58. Musée des Beaux-Arts, Lyon
L'argumentation
Rousseau s’implique directement pour réfuter l’argument des éducateurs qui soutient cette violence, en introduisant un premier doute : « pour lui préparer au loin je ne sais quel prétendu bonheur dont il est à croire qu’il ne jouira jamais ». On reconnaît, dans cet argument, repris et amplifié par la généralisation, « On tourmente le malheureux pour son bien », le proverbe médiéval, "Qui bene amat bene castigat " ("Qui aime bien châtie bien"), formule chère à l’adulte qui affirme agir pour le bien de l’enfant : il a une origine religieuse, les « Proverbes de Salomon » dans l’Ancien Testament : « Car l'Éternel châtie celui qu'il aime, Comme un père l'enfant qu'il chérit. » (3, 12) ou « Celui qui ménage sa verge hait son fils. Mais celui qui l'aime cherche à le corriger. » (13, 24). Rousseau s’emploie donc à détruire cet argument, à travers l’oxymore qui le qualifie d’« extravagance sagesse ». Ainsi, il lui oppose un contre-argument : l’éducateur « sacrifie le présent à un avenir incertain », ce qui est renforcé par la négation finale: « sans être assuré que tant de soins leur seront jamais utiles ! ». En cela, Rousseau se montre lui aussi fidèle à la conception religieuse qui soumet l’homme à la toute-puissance divine : nul homme ne peut connaître son avenir.
De la tonalité pathétique à la tonalité tragique
Mais plus que l'appel à la raison de ses lecteurs pour les convaincre, Rousseau cherche à les persuader en touchant leurs sentiments, comme le montre la concession, « Quand je supposerais cette éducation raisonnable », préalable à l’image pathétique de l’enfant sur laquelle il insiste : on va ainsi le « rendre misérable », les enfants maltraités sont qualifiés de « pauvres infortunés », le contraste est marqué entre « l’âge de la gaieté » et leur vie « au milieu des pleurs », et le verbe « tourmente », repris par « tourments », est à prendre dans son sens étymologique de « torturer ».
Il en arrive à la tonalité tragique, en invoquant le sort terrible qui guette tout enfant victime de cette violence : « l’on ne voit pas la mort qu’on appelle et qui va le saisir au milieu de ce triste appareil », « le seul avantage qu'ils tirent des maux qu'il leur a fait souffrir est de mourir sans regretter la vie ». Une question oratoire souligne cette mortalité infantile qui menace : « Qui sait combien d’enfants périssent victimes de l’extravagante sagesse d’un père ou d’un maître ? », qui sera reprise dans le second paragraphe : « Pères, savez-vous le moment où la mort attend vos enfants ? »
2ème Partie : un appel aux éducateurs (de la ligne 15 à la fin)
Moreau le Jeune, pour illustrer Émile, 1777, édition de Londres : "l'état de nature"
L'enfance et "l'état de nature"
Le texte fondateur de la pensée de Rousseau est le Discours sur les Sciences et les Arts, paru en 1750, où est posée sa conception ensuite développée dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, en 1755 : « Qu’il sache que l’homme est naturellement bon, qu’il le sente, qu’il juge de son prochain par lui-même ; mais qu’il voie comment la société déprave et pervertit les hommes ».
C’est cette même image qu’il reprend ici, en considérant que les enfants, encore proches de cet « état de nature », sont dotés d’un « aimable instinct », qu’ils sont encore de « petits innocents ». À partir de cette image, Rousseau invite donc les éducateurs à la prudence, pour ne pas gâcher la pureté initiale de l'enfant, donc au respect car l’éducation risque de faire plus de mal que de bien.
Une double image de l'enfance
C’est cette conception de Rousseau qui explique la double image donnée de l’enfance.
D’un côté, son injonction la représente comme un temps radieux, heureux : « Aimez l'enfance ; favorisez ses jeux, ses plaisirs, son aimable instinct. » Le parallélisme qui suit met en valeur « cet âge où le rire est toujours sur les lèvres, et où l'âme est toujours en paix », d’où la formule finale qui l’associe au « plaisir d’être », et sa qualification intensive de « bien si précieux dont ils ne sauraient abuser », puisqu’ils sont encore purs.
De l’autre, il souligne la brièveté de ce « temps si court qui leur échappe », en faisant appel directement à la nostalgie des adultes, dans deux questions oratoires : « Qui de vous n'a pas regretté quelquefois cet âge […] ? », « Pourquoi voulez-vous remplir d'amertume et de douleurs ces premiers ans si rapides, qui ne reviendront pas plus pour eux qu'ils ne peuvent revenir pour vous ? ». On sent, à travers ces questions, que Rousseau lui-même, qui a traversé déjà bien des épreuves quand il compose son roman, ressent cette nostalgie.
Une adresse aux lecteurs
Le second paragraphe s’ouvre sur une double injonction, accentuée par l’anaphore du verbe, et le rythme ternaire en gradation : « Hommes, soyez humains, c'est votre premier devoir ; soyez-le pour tous les états, pour tous les âges, pour tout ce qui n'est pas étranger à l'homme. » Le mot « homme » encadre ce qui sonne comme une prière, repris par « humains » et dans la question oratoire suivante : « Quelle sagesse y a-t-il pour vous hors de l'humanité ? » Une nouvelle injonction, « Aimez l’enfance », se précise ensuite, passant des « hommes » aux « pères », dans une nouvelle question : « savez-vous le moment où la mort attend vos enfants ? ».
En lien avec cette menace de mort qu’il a laissée planer, la fin de l’extrait pose alors une nouvelle double injonction :
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Il pose d’abord un interdit, appel à l’amour qui unit les parents à leurs enfants : « Ne vous préparez pas des regrets en leur ôtant le peu d'instants que la nature leur donne ».
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Puis, vient le redoublement de l’affirmation, dont le verbe, en anaphore, « faites », confirme le ton de la prière associé à la reprise de l’argument religieux posé dans le premier paragraphe : « Aussitôt qu'ils peuvent sentir le plaisir d'être, faites qu'ils en jouissent ; faites qu'à quelque heure que dieu les appelle, ils ne meurent point sans avoir goûté la vie. »
"La fessée à l'école", gravure
CONCLUSION
Dès l’antiquité Quintilien s’était élevé contre « le fouet » infligé aux enfants, et Montaigne avait repris cette critique d’une éducation recourant aux châtiments corporels. La critique n’est donc pas nouvelle, mais la façon dont Rousseau la justifie est novatrice. « On ne connaît point l’enfance », affirme-t-il dans la Préface d’Émile, et à son époque, en effet, on ne voit en l’enfant qu’un adulte en miniature – pour preuve leur habillement d’ailleurs ! – à dresser comme un jeune animal pour lui permettre de s’insérer au mieux dans sa société, dont il doit accepter les codes. Rousseau est le premier à modifier l’image de l’enfance en en soulignant les joies, et il invite ainsi ses lecteurs à porter un regard différent sur cet âge encore « innocent », auquel il convient d’épargner les souffrances des châtiments corporels encore habituels au XVIIIème siècle, et qu’il a lui-même subis, comme cette fessée ou la privation de nourriture racontées dans ses Confessions. Mais, par ses critiques et ses injonctions, il s’inscrit dans la lignée des humanistes du XVIème siècle.
Pour approfondir la conception éducative de Rousseau
LECTURES CURSIVES : des pédagogies novatrices
Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’Éducation, 1762, III
Dans la logique du fondement de sa philosophie, l’enseignement proposé par Rousseau ne se fait pas au sein de la société, qui ne pourrait que corrompre l’état initialement « bon » de l’enfant, mais dans la nature. C’est pourquoi, comme Ponocrates avec son élève Gargantua, chez Rabelais, il accorde un grande importance à la connaissance de l’univers : « Rendez votre élève attentif aux phénomènes de la nature ».
Pour lire l'extrait
Le précepteur idéal
Comme Ponocrates aussi, il fonde sa pédagogie sur l’observation, encore davantage puisqu’il élimine non seulement les livres, mais tout objet éducatif : « Vous voulez apprendre la géographie à cet enfant, et vous lui allez chercher des globes, des sphères, des cartes : que de machines ! Pourquoi toutes ces représentations ? que ne commencez-vous par lui montrer l’objet même, afin qu’il sache au moins de quoi vous lui parlez ! »
Cela implique une modification du rôle du précepteur, qui nous rappelle deux des souhaits de Montaigne :
Il refuse nettement le cours magistral, pour inviter le précepteur à développer l’esprit critique de son élève : « Qu’il ne sache rien parce que vous le lui avez dit, mais parce qu’il l’a compris lui-même ». Comme pour Montaigne, l’hypothèse posée par Rousseau montre que c’est là le seul moyen de faire accéder l’élève à l’autonomie : « Si jamais vous substituez dans son esprit l’autorité à la raison, il ne raisonnera plus ; il ne sera plus que le jouet de l’opinion des autres. » C’est dans ce même objectif, que, comme Montaigne encore qui rappelait la méthode de Socrate et d’Archésilas, il conseille au précepteur de savoir écouter son élève, le maître n’étant plus alors qu’un guide : « Dans cette occasion, après avoir bien contemplé avec lui le soleil levant, après lui avoir fait remarquer du même côté les montagnes et les autres objets voisins, après l’avoir laissé causer là-dessus tout à son aise ». ».
Jean-Baptiste Moreau le Jeune, pour illustrer Émile, 1777
Comme Montaigne qui insistait sur la nécessité de « se ravaler » au niveau de l’élève, Rousseau demande aussi au précepteur de renoncer à sa supériorité de « savant » : « Mettez les questions à sa portée, et laissez-les lui résoudre. » C’est ce qu’il confirme avec force dans le cinquième paragraphe de l’extrait : « Ne tenez point à l’enfant des discours qu’il ne peut entendre. Point de descriptions, point d’éloquence, point de figures, point de poésie. »
Mais, sur ce point aussi il va plus loin, puisque, s’il pose une question, le maître n’y répond pas, laissant l’enfant seul face à lui-même : « vous lui direz : Je songe qu’hier au soir le soleil s’est couché là, et qu’il s’est levé là ce matin. Comment cela peut-il se faire? N’ajoutez rien de plus : s’il vous fait des questions, n’y répondez point ; parlez d’autre chose. Laissez-le à lui-même ».
Une pédagogie "naturelle"
La longue description centrale, au « couchant » puis au lever du soleil, souligne l'importance de l'observation de la nature : « Le concours de tous ces objets porte aux sens une impression de fraîcheur qui semble pénétrer jusqu’à l’âme. Il y a là une demi-heure d’enchantement auquel nul homme ne résiste ; un spectacle si grand, si beau, si délicieux, n’en laisse aucun de sang-froid. » Mais il alerte alors le maître sur un danger. Lui-même, en tant qu’adulte, une « expérience » qui lui permet de projeter ses propres sentiments dans la nature.
Jean-Baptiste Moreau le Jeune, pour illustrer Émile, 1777
L’enfant, au contraire, est d’une totale virginité, incapable donc de partager la vision de l’adulte : « Plein de l’enthousiasme qu’il éprouve, le maître veut le communiquer à l’enfant : il croit l’émouvoir en le rendant attentif aux sensations dont il est ému lui-même. Pure bêtise ! c’est dans le cœur de l’homme qu’est la vie du spectacle de la nature ; pour le voir, il faut le sentir. L’enfant aperçoit les objets, mais il ne peut apercevoir les rapports qui les lient, il ne peut entendre la douce harmonie de leur concert. Il faut une expérience qu’il n’a point acquise, il faut des sentiments qu’il n’a point éprouvés, pour sentir l’impression composée qui résulte à la fois de toutes ces sensations. »
Malgré cette réserve, Rousseau est beaucoup plus optimiste que Montaigne, car il accorde à l’enfant la capacité de construire lui-même son savoir, « qu’il n’apprenne pas la science, qu’il l’invente. », repris dans la conclusion par « accoutumé à tirer tous ses instruments de lui-même ».
Ainsi, la conception centrale dans la pédagogie que propose Rousseau met en évidence l’importance de savoir utiliser habilement la nature même de l’enfant, quand il découvre le monde : « bientôt vous le rendrez curieux ; mais, pour nourrir sa curiosité, ne vous pressez jamais de la satisfaire. » C’est l’immense confiance de Rousseau en la nature de l’homme, qui s’exprime ici : quand elle n’est ni contrainte, ni contrariée, elle lui offre la capacité de puiser en lui-même la connaissance. L’essentiel de la pédagogie consiste donc à savoir susciter l’intérêt de l’enfant, d’abord par l’observation, puis par le questionnement, en une sorte de maïeutique socratique : « Contentez-vous de lui présenter à propos les objets ; puis, quand vous verrez sa curiosité suffisamment occupée, faites-lui quelque question laconique qui le mette sur la voie de la résoudre. » Et dans sa conclusion, il se montre certain de cette aptitude de l'enfant à chercher seul une réponse à une question : « et soyez sûr qu’il y pensera ».
Pour conclure
Rousseau, tout en reprenant plusieurs aspects déjà proposés par les humanistes du XVIème siècle et en se limitant, comme eux, à une éducation individuelle par un précepteur, va beaucoup plus loin qu’eux dans la place accordée à ce dernier. L'enfant, bien guidé, est censé, par sa curiosité naturelle, découvrir seul le savoir. Sans doute Rousseau se souvient-il ici de son propre apprentissage d’autodidacte, et à la séduisante liberté ainsi laissée à l’enfant.
Cependant, pour adhérer à cette pédagogie, n’est-il pas indispensable de partager sa philosophie, de redouter, comme lui, influence nocive du monde adulte sur un enfant ? De plus, tout enfant a-t-il de telles compétences ?
Pour lire l'extrait
Alexander Sutherland Neill, Libres Enfants de Summerhill, 1960
C’est en 1960 – en 1968 en français – qu’Alexandre Sutherland Neill fait paraître son essai pédagogique, d'abord en 1921, en Allemagne près de Dresde, puis, suite aux difficultés politiques et aux contestations, à Summerhill dans le Suffolk. Elle est, à l’origine, destinée aux enfants inadaptés au système scolaire traditionnel, puis, à partir de 1937, à un plus large public. Fils d’enseignants et lui-même instituteur, directeur, puis enseignant à l’université, il conteste les principes rigides et les méthodes d’enseignement autoritaires, héritage de l’époque de la reine Victoria, encore en vigueur au XX° siècle. Le premier chapitre, d'où sont tirés les extraits étudiés, pose les principes fondateurs de l’éducation proposée à Summerhill.
Extrait 1: la critique de l'éducation traditionnelle
Cet extrait construit une réflexion sur la contrainte imposée aux enfants, par l’impératif « Obéis », sous prétexte de leur inculquer la « vertu », des valeurs morales. Ainsi, il oppose le « non », à ses yeux en réalité un « non à la vie », c’est-à-dire aux instincts et aux désirs, et le « oui » qui les habitue à accepter toutes les formes d’autorité. Une brève conclusion, à nouveau à travers des oppositions, dénonce l’hypocrisie de ce que l’on nomme « vertu ».
Extrait 2 : l'autorité
Ces lignes se font l’écho du fonctionnement de l’école traditionnelle, dont les partisans considèrent que l’enfant doit être incité à la vertu, soit par une punition, soit par une récompense. L’auteur nie avec force ces choix éducatifs, car, selon lui, en prétendant inculquer ainsi les valeurs morales, l’éducateur ne fait que développer deux défauts : « la lâcheté », car l’enfant n’obéit que par « peur », et l’appât du gain, car la récompense n’est qu’une forme de « corruption ».
Extrait 3 : le savoir
Ce passage repose sur l’objectif que Sutherland Neill fixe à l’éducation : permettre à l’enfant de « vivre sa vie propre », d’épanouir sa « personnalité », son « caractère », et non pas transmettre un « savoir ». Il formule donc une double dénonciation, contre ceux qui empêchent d’atteindre cet objectif par la « pression » qu’ils exercent sur l’enfant :
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les parents, par leur insistance sur l’acquisition du savoir, fabriquent des « savants névrosés » ;
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les maîtres développent exclusivement le savoir intellectuel, en oubliant de s’attacher à ce que ressentent les enfants ;
S’y ajoute la « pression coercitive de la société », avec ses normes irrespectueuses de la personnalité de l’enfant.
Extrait 4 : liberté et anarchie
Le passage s’ouvre sur l’affirmation du choix à l’école de Summerhill, « Nous accorderions aux élèves la liberté d’expression », et de ses conséquences, faire table rase de l’éducation traditionnelle : « renoncer à toute discipline, toute direction, toute suggestion, toute morale préconçue, toute instruction religieuse quelle qu'elle soit. »
Cependant, Sutherland-Neill répond par avance à une objection, en affirmant la « distinction entre la liberté et l’anarchie ». Il demande donc aux parents de réaliser, à l’égard de leur enfant, un équilibre entre lui accorder « tous » les droits ou « aucun ». À partir de deux exemples, il insiste sur deux critères éducatifs :
L'école de Summerhill
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une obéissance mutuelle entre parents et enfants : l’obéissance serait, en fait, un modèle que les parents donneraient aux enfants.
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une différence entre deux types d’interdit, celui, normal, qui repose sur la seule notion de « droits individuels » à défendre – droits des parents, mais, en parallèle, droits de l’enfant – et celui qui porte un « jugement moral », car il ne blâme pas l’acte en soi, mais l’enfant qui le fait.
Extrait 5 : la liberté et ses limites
Ce passage répond à cette même critique (le risque d’anarchie) en explicitant la notion de liberté pratiquée à Summerhill : « un enfant n’a pas le droit d’agir à sa guise ». Ainsi , par une série d’exemples, il pose deux limites à la liberté :
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La liberté personnelle ne doit pas nuire à autrui. L’enfant appartient à une société, d’où la restriction : « Il n’est libre d’agir à sa guise qu’en ce qui le concerne lui-même ».
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L’exercice de la liberté porte sur des choix, mais le libre-arbitre ne peut concerner ni les sentiments, ni les goûts personnels, ni les valeurs morales.
L’auteur fait donc un éloge de la liberté ainsi conçue, car les limites, loin de nuire aux enfants, leur permettent de mieux se connaître, de devenir « conscients d’eux-mêmes », donc accroissent, en fait, leur liberté.
Pour conclure
Ainsi Sutherland Neill reproche à l’école traditionnelle de chercher à instruire mais non à éduquer. Il critique aussi les parents qui ne voient, comme gage de réussite, que l’insertion sociale, et il dénonce une société qui manipule les esprits dès l’enfance pour mieux soumettre les adultes aux exigences qu’elle privilégie, économiques, religieuses, morales…
Il prône donc un modèle scolaire bien différent de celui encore en vigueur à son époque, libertaire, propre à favoriser l’épanouissement de la personnalité, et il s’appuie, pour ce faire, sur les théories freudiennes. La finalité de l’enseignement, expliquée au début de l’œuvre, est de former des « êtres libres, originaux et créateurs », ce qui implique de mettre l’enfant en situation de se dégager du déterminisme parental et social pour avoir « un meilleur accès à la vérité de son propre désir. » Pour ce faire, l’éducation passe par l’amour et la liberté, et non par la haine et la contrainte.
ÉCRIT D'APPROPRIATION : une utopie
Plusieurs extraits étudiés relèvent d’un genre littéraire, l’utopie, ou, par exemple comme chez Rabelais ou dans l’œuvre de Sutherland-Neill, peuvent paraître tels à des partisans de la tradition. Il est donc intéressant de proposer une rédaction personnelle à partir de la question suivante : quelle serait, selon vous, l’éducation idéale dans le cadre de l'école ? L'utopie tiendra compte à la fois de son organisation, des contenus et de la pédagogie.
Conclusion
L'humanisme de la Renaissance
Au XVI° siècle, les enfants du petit peuple se contentent, pour la plupart, d’apprendre à exercer la profession de leur père. Même dans la bourgeoisie, l’apprentissage se limite souvent à des rudiments de lecture, d’écriture et de calcul. C’est ce qui explique que les textes abordés s’adressent, en fait, à une élite de gens « bien nés », donc que, plus qu’une instruction collective, critiquée notamment par Montaigne, ils envisagent l’enseignement donné par un précepteur à son élève.
Cependant, les quatre questions fondamentales pour l’éducation, présentes dans la réflexion des auteurs de l’antiquité, comme Quintilien, sont déjà posées :
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Quels objectifs lui assigner ?
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En fonction de ces finalités, quels contenus enseigner ?
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Pour enseigner ces contenus, quelle pédagogie adopter ?
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Comment évaluer le résultat de l’éducation ?
L’ensemble des auteurs du parcours, à la suite de Rabelais, se retrouve dans une nette condamnation de l’enseignement médiéval, où règne la scolastique, fondée sur les principes d’Aristote alliés à la théologie. Tous lui reprochent de dispenser un enseignement figé, trop formel, trop livresque aussi qui privilégie l’étude du commentaire sur les textes, c’est-à-dire la « glose », plutôt que l’étude du texte lui-même, l’apprentissage par cœur et recourt fréquemment aux châtiments corporels. Elle coule l’élève dans un moule, en lui ôtant tout esprit critique.
Paolo Véronèse, Jésus parmi les docteurs, vers 1560. Huile sur toile, 236 x 430. Musée du Prado, Madrid
C’est en Italie d’abord, comme le fait Ange Politien dans ses cours à l’université de Florence de 1480 à 1494, que s’affirme le désir d’une nouvelle éducation, qui fasse appel, non pas aux « auctores », les auteurs anciens reconnus, mais au plus grand nombre possible d’auteurs grecs et latins, découverts dans leur langue originale, ce qui implique de les enseigner dès le plus jeune âge. Les humanistes français ont été très influencés par ces recherches italiennes, et la volonté réformatrice finit par s’imposer, symbolisée par la création, en 1530, du rival de la Sorbonne, le Collège royal, par le roi François Ier.
Les principes fondateurs
Mais nous avons observé une évolution au cours du siècle.
Le siècle s’ouvre sur un idéal encyclopédique, prôné par les humanistes, tels Rabelais dans la lettre de Gargantua à son fils, ou même Du Bellay, persuadé qu’en Italie tous les savoirs lui seront accessibles. Ils pensent que, plus l’on acquerrait de connaissances, plus on serait « homme » dans toute la plénitude du terme. Mais à cet enrichissement de l’esprit s’ajoute le désir de former aussi un corps harmonieux et une âme saine, respectueuse de la morale et de la religion.
Mais l’instabilité de la seconde partie du siècle, notamment en raison des guerres de religion, conduit à une remise en cause de cet idéal : il ne s’agit plus d’avoir « la tête bien pleine » mais d’abord « la tête bien faite », pour reprendre la formule de Montaigne. L’accent est alors davantage mis sur le développement de l’esprit critique, gage de liberté. C’est de cet esprit critique que fait preuve Du Bellay, amer et désillusionné. C’est ce désir de privilégier la liberté qui explique aussi le refus de faire preuve de violence envers l’enfant, placé au centre même de l’apprentissage à présent.
Cet intérêt nouveau porté aux questions éducatives se retrouve dans ce genre qui s’épanouit, dans la lignée de Thomas More, l’utopie. Plusieurs auteurs, tel l’Italien Campanella, ont, en effet, élaboré des modèles idéaux, souvent très novateurs, par exemple par la place qu’ils accordent à la formation professionnelle, à un apprentissage tout au long de la vie, ou à des approches pédagogiques originales.
Les principes posés insistent sur trois dimensions :
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l’ouverture sur le monde : l’élève ne doit pas se contenter de recevoir le savoir d’autrui, par le cours magistral ou le livre, mais il est fait appel à l’observation de l’élève, pour qu’il s’approprie le savoir.
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la relation entre l’élève et le maître : l’autoritarisme d’un rapport vertical, où le maître impose son savoir, doit être remplacé par un rapport horizontal, avec un véritable échange entre lui et son élève ; il doit donc savoir se mettre au niveau de ce dernier.
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la mise en pratique de cet apprentissage : il ne suffit pas d’acquérir un savoir qui permette de briller en société, ni même de s’enrichir intellectuellement ; il doit pouvoir s’incarner dans les comportements de la vie quotidienne, et dans les relations avec autrui.
Mais ces utopies posent tout de même une question : toute l’éducation étant déterminée par l’intérêt collectif, quelle marge de liberté personnelle reste-t-il à l’individu, ainsi soumis à la politique, à l’économie et aux modes de vie de sa société ?
L'héritage humaniste
L’humanisme de la Renaissance a ouvert largement la voie à la réflexion sur l’éducation. Elle se poursuivra au XVII° siècle, où s’imposera un objectif très voisin : former « l’honnête homme », en associant des connaissances bien assimilées, un développement physique, mais aussi la pratique des arts et de solides valeurs morales. L’éducation vise à vivre en harmonie avec sa société, dans le respect des « bienséances ».
Les ouvrages sur l’éducation se multiplient au XVIII° siècle, et certains commencent même à s’intéresser à l’éducation des filles, que réclamaient déjà les Précieuses au XVII° siècle. L’approche se fait alors de plus en plus critique, comme chez Rousseau par exemple.
Mais bien du temps va encore s’écouler avant que ne s’élaborent de véritables lois pour démocratiser l’enseignement, par exemple celles de Jules Ferry, sur « « l'école publique laïque, gratuite et obligatoire », ou de Camille Sée, pour ouvrir l’enseignement secondaire aux jeunes filles, à la fin du XIXème siècle.
Enfin, les grands chocs historiques du XXème siècle, avec deux guerres mondiales dont la seconde, avec son génocide, s’est terminée par l’explosion atomique, de graves crises économiques, les conflits de la décolonisation, mais aussi le développement de nouveaux médias…, ont remis au premier plan les questions autour de l’éducation.
L'école de Jules Ferry
Certains ont alors réfléchi à la refondation d'un nouvel humanisme, comme Marguerite Yourcenar, d’autres ont exploré des pistes éducatives originales, comme Alexander Sutherland Neill, et plusieurs réformes ont été faites, notamment après 1968. Mais le fonctionnement de l’école reste très critiqué aujourd’hui…
LECTURES CURSIVES : Jules Ferry et Jean Jaurès
Jules Ferry, Lettre aux instituteurs, 27 novembre 1883
Pendant la Révolution française, Condorcet, dans son Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique, en 1792, lance déjà l’idée d’une école obligatoire et gratuite, laïque et fondée sur l’égalité entre garçons et filles. Mais ce n’est qu’en 1833 que la loi de François Guizot, ministre de l’Instruction publique, oblige toute commune de plus de 500 habitants d’ouvrir une école primaire. Mais, destinée aux seuls garçons, elle n’est encore ni obligatoire, ni gratuite, sauf pour les familles indigentes. Pour les filles, il faut attendre la loi de Victor Duruy en 1867…
Jules Ferry, le 16 juin 1881, établit une totale gratuité, ce qui lui permet, par la loi du 28 mars 1882, de rendre l’instruction primaire obligatoire pour les garçons comme pour les filles, de 6 à 13 ans, mais aussi laïque, c’est-à-dire séparée de l’enseignement religieux, en laissant cependant la possibilité d’une instruction dans la famille, sous contrôle.
Pour lire les extraits de la lettre
Affichage de la loi à Paris
Une morale laïque
L’école est laïque, c’est-à-dire que l’enseignement religieux y est exclu : « L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église », chacun restant libre de ses croyances. Il est remplacé par un « enseignement moral et civique », qui forme le socle d’une « éducation nationale », « fond[ée] sur des notions du devoir et du droit. » Jules Ferry insiste sur la grandeur de cette mission confiée aux instituteurs : « il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul. »
Une pédagogie
Nous reconnaissons des similitudes avec plusieurs textes du parcours dans le rôle accordé à l’instituteur, et dans les conseils formulés : « Des discours ? des dissertations savantes ? de brillants exposés, un docte enseignement ? Non ! La famille et la société vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des honnêtes gens. C’est dire qu’elles attendent de vous non des paroles, mais des actes. » Le recours au livre est donc secondaire, de même qu’un cours magistral, théorique. Au contraire, l’enseignement se fait par l’exemple, doublement. Il y a d’abord l’exemple donné par l’instituteur et son comportement : « d’une longue suite d’influences morales à exercer sur ces jeunes êtres, à force de patience, de fermeté, de douceur, d’élévation dans le caractère et de puissance persuasive. On a compté sur vous pour leur apprendre à bien vivre par la manière même dont vous vivrez avec eux et devant eux. » Il s’appuie aussi sur des situations concrètes empruntées à l’expérience des enfants : « peu de formules, peu d’abstractions, beaucoup d’exemples et surtout d’exemples pris sur le vif de la réalité. » S’y ajoute enfin tout un entraînement, comme pour tout apprentissage : « des exercices pratiques, des efforts, des actes, des habitudes ».
L'objectif de cet apprentissage
Nous retrouvons l’idée, chère à Montaigne, de « tête bien faite » plutôt que « bien pleine » dans l’objectif fixé à cette instruction morale, ce qui se traduit dans la vie même de l’enfant dont le caractère s'est amélioré : « Il ne suffit donc pas que vos élèves aient compris et retenu vos leçons ; il faut surtout que leur caractère s’en ressente : ce n’est donc pas dans l’école, c’est surtout hors de l’école qu’on pourra juger ce qu’a valu votre enseignement. » Jules Ferry souligne l’importance de cet enseignement, dont il fait le gage du progrès de toute une société dans sa conclusion : les instituteurs vont « préparer à notre pays une génération de bons citoyens. »
C’est ce qui vaudra aux instituteurs l’appellation de « hussards noirs de la République », en référence à leur habillement, rigoureux, qui fait d’eux des combattants au service de l’idéal de la démocratie républicaine.
Jean Jaurès, "Aux instituteurs et institutrices", La Dépêche de Toulouse, 15 janvier 1888
Lui-même sorti de l’École Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Jaurès (1859-1914) enseigne au lycée d’Albi, puis à l’université de Toulouse, avant de devenir le plus jeune député de France en 1885, siégeant avec les républicains favorables à Jules Ferry. C’est ce dont témoignent les extraits de cette adresse « aux instituteurs et aux institutrices », publiée dans La Dépêche de Toulouse le 15 janvier 1888.
Pour lire les extraits de l'article
La promotion 1878 de l'École Normale Supérieure : Jean Jaurès assis, au centre, bras croisés
La haute mission des instituteurs
C’est dans la lignée de Jules Ferry que s’inscrit Jaurès dans le premier paragraphe de cette lettre, où il développe les objectifs assignés aux instituteurs, former les citoyens de la république : « Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. » Mais il va plus loin, en retrouvant les grands principes de l’humanisme, une prise de conscience de ce qui fait la dignité de l’homme, « l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct », non seulement « la grandeur de la pensée » mais aussi les aspirations de l’âme, « en éveillant en eux le sentiment de l’infini ».
Quel enseignement ?
Au cœur de cet apprentissage, Jaurès place la maîtrise de la lecture, dont il fait « la clé de tout », pour être « en relation familière avec la pensée humaine : « Il faut d’abord que vous appreniez aux enfants à lire avec une facilité absolue, de telle sorte qu’ils ne puissent plus oublier de la vie » C’est ce qui explique la critique adressée aux examens, qui, à ses yeux, se perdent dans le contrôle de « vétilles », de connaissances accessoires, « en sacrifiant la réalité à l’apparence. » Mais nul besoin d’accumuler les livres : « Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. » Ainsi est fixé un autre enseignement, qui touche à la morale et à la philosophie, le maître leur ayant « parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine ».
Quelle pédagogie ?
Sur ce point aussi, nous retrouvons les souhaits déjà observés chez les humanistes, que le maître soit d’abord un guide : « Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. » Comme Rousseau, Jaurès, sans nier « les difficultés de la tâche » de l’instituteur, fait preuve d’une grande confiance en l’aptitude de l’esprit des enfants : « Les enfants ont une curiosité illimitée, et vous pouvez tout doucement les mener au bout du monde. » En reprenant l’idée que « les enfants ont en eux des germes, des commencements d’idées », il rejoint Socrate, dont la maïeutique repose précisément sur l’idée que le questionnement du maître peut faire "accoucher" les esprits, formule reprise par Jaurès familièrement : « leur âme recèle des trésors à fleur de terre : il suffit de gratter un peu pour les mettre à jour. »
Enfin l’adverbe, « doucement », implique bien évidemment que le maître renonce aux abus d’autorité pour « leur parler avec sérieux, simplicité et grandeur », au moyen de « quelques causeries familières et graves ». Le maître doit donc savoir à quel moment faire preuve de gravité, et quand, au contraire, se montrer plus proche des élèves. Difficile équilibre à trouver !
DEVOIR : contraction et essai
Pour lire l'extrait
Est proposé l’extrait de Petite Poucette, essai de Michel Serres datant de 2012 où il étudie les transformations induites par le développement de l’informatique. « Petite Poucette » est le surnom qu’il donne à une jeune fille qui utilise ses pouces pour taper les messages qu’elle envoie à partir de son smartphone. Dans le chapitre II, intitulé « L’École », il s’intéresse à la « tête de petite Poucette ».
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Ce texte de 586 mots est à contracter en +/- 145 mots.
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La contraction est suivie d’un essai sur le sujet suivant : Vous proposerez une réponse à la question posée par Michel Serres à la fin de ce passage : « Petite Poucette célèbre-t-elle la fin de l’ère du savoir ? » Votre argumentation s'appuiera sur les textes étudiés lors de l'étude de Rabelais et du parcours associé.
Pour voir une proposition de correction
Lecture personnelle : Voltaire, Jeannot et Colin, 1764
Pour lire le conte
Voltaire a toujours considéré ses contes philosophiques comme des « fadaises », qui lui permettent de se délasser en se divertissant, ainsi qu’en amusant ses lecteurs. Pourtant, chaque conte aborde, en fait, des sujets sérieux, tel Jeannot et Colin qui porte sur l’éducation tout en critiquant la « vanité » d’une noblesse acquise par l’argent.
Pour aider la construction d’un dossier propre à soutenir la seconde partie de l’oral de l’EAF, trois pistes d’étude sont proposées :
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dégager le schéma narratif du conte, traditionnel ;
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expliquer, en faisant apparaître l’ironie de Voltaire, le débat autour de l’éducation, en marquant l’opposition entre les apprentissages rejetés – et pour quelles raisons ? – et les objectifs de la « bonne éducation » alors fixés.
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poser clairement la leçon donnée par le conte.
Un écrit d’appropriation peut aussi être proposé. Dans le conte, Colin a écrit « une lettre de compliments à son ancien camarade », qui n’a pas pris la peine de lui répondre. Il sera demandé d’imaginer ce qu’aurait pu être cette réponse, dans laquelle le « jeune marquis » évoquerait les joies de sa vie à Paris, les avantages de la fortune et ses projets d’avenir.
Pour voir quelques pistes de recherche