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Dire la ville : entre dégoût et fascination 

Présentation de la séquence

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La séquence proposée intègre les quatre éléments figurant dans le programme des lycées :

- un "parcours littéraire", organisé autour d'explications de textes ;

- des "textes complémentaires", proposés en lecture cursive et propres à éclairer les enjeux du débat et à mesurer son évolution.

- un "prolongement artistique et culturel" : plu-sieurs documents complémentaires permettent de mesurer l'héritage antérieur, mais aussi d'élargir la perspective à partir de documents iconographiques variés. Des exposés peuvent compléter cette approche.

- un choix entre deux "lectures cursives" personnelles qui peuvent être reprises collectivement ou être librement insérées dans un "carnet de lecture", être guidées ou en totale autonomie, éventuellement être le support d'un travail d'écriture spécifique.

Plusieurs activités, écrites ou orales, sont suggérées qui peuvent faire l'objet d'une séance collective, préparée ou abordée directement, ou d'un travail personnel destiné, lui aussi, à nourrir le "carnet de lecture" ou à donner lieu à un exposé oral.

Mais, outre celles directement liées à l'explication des textes (questions préparatoires ou de synthèse), bien d'autres peuvent être envisagées afin de solliciter la créativité des élèves et d'accroître la participation : table ronde, procès, débat... 

La séquence propose un choix de devoirs pour s'entraîner à l'épreuve écrite du Baccalauréat : un commentaire littéraire, et une contraction suivie d'un essai. Mais un autre devoir peut être élaboré, soit pour une évaluation formative, notamment à partir d'un ou plusieurs documents complémentaires, soit pour une évaluation sommative, en fin de séquence.

Il convient de ne négliger ni l'introduction, ni la conclusion. L'introduction permet à la fois de réactiver les apprentissages antérieurs, de mesurer l'héritage littéraire, et de prendre la mesure des enjeux de la séquence. La conclusion doit, en permettant aux élèves d'exercer leur esprit critique, donner sens à l'étude effectuée. 

Nous avons choisi de parcourir les siècles, du XVIème à nos jours. Il reste possible de conserver cette vision d'ensemble, éventuellement en sélectionnant les textes selon une perspective thématique (par exemple, la critique ou l'éloge, les lieux ou les habitants, la dimension utopique...) ou de se limiter à une période spécifique. En revanche, il est souhaitable de maintenir les explications de textes de genres variés. 

INTRODUCTION : les enjeux du parcours 

Mise en place de la problématique

Déjà dans la Bible l’image de la ville est présente, le plus souvent chargée, notamment dans l’Ancien Testament, d’une connotation péjorative. Dès que les hommes se sont regroupés dans des « villes », elles deviennent le lieu de toutes les débauches, de toutes les corruptions à l’image de Sodome et Gomorrhe, de Babel avec sa tour qui défie Dieu, ou de Babylone. Pourtant à ces villes s’oppose Jérusalem, la ville sainte, capitale de la terre promise, et, surtout, image d’une Jérusalem céleste, lieu de la réconciliation de l’homme avec son créateur.
Cette double image, ainsi mise en place, parcourt toute la littérature, variable en fonction des périodes.

Jacob Jacobsz de Wet, Sodome et Gomorrhe en feu, 1680. Huile sur toile. Hessisches Landesmuseum, Darmstadt

Jacob Jacobsz de Wet, Sodome et Gomorrhe en feu, 1680. Huile sur toile. Hessisches Landesmuseum, Darmstadt
Problématique

        Parfois les écrivains vont critiquer l’urbanisme, les modes de vie urbains, le caractère que la ville imprime à ses habitants : elle apparaît alors menaçante, destructrice… par rapport à une « nature » qui serait le lieu des vraies valeurs, des âmes pures. 

       Par opposition, d’autres chanteront le progrès qu’illustre la ville, la beauté de ses édifices, son confort et ses richesses, et l’élan créatif qu’elle stimule. Enfin la ville sera aussi le thème de prédilection des utopistes, le lieu de toutes les expériences, à modeler pour que l’homme puisse y trouver le bonheur auquel il aspire.

D’où la problématique choisie pour ce corpus sur l’objet d’étude « Littérature d’idées et presse », regroupant des textes d’époques, de genres et de tonalités différentes : « Dire la ville : entre dégoût et fascination ».

Contextualisation des représentation de la ville

Après un rappel de l’héritage de l’antiquité gréco-romaine, qui pose une première réflexion sur la ville et son rôle, nous aborderons la vision des humanistes, qui introduisent les premières critiques, mais aussi les premières utopies sur la ville. Puis, nous montrerons comment, aux XVIIème et XVIIIème siècles, naissent les premiers débats : vivre en ville ou s’en éloigner ? Autour du roi, la vie des privilégiés ne se conçoit pas loin de Paris. Rappelons que, quand Alceste, héros du Misanthrope de Molière,  parle de quitter Paris, la belle Célimène refuse de le suivre dans son « désert ». D’ailleurs l’exil loin de Paris reste, encore au XVIII° siècle, une sanction judiciaire redoutée ! C’est pourtant en ce siècle qu’est relancé le conflit entre la « ville » et la « campagne », pour les uns, opposition entre lieu du progrès, de la civilisation face au lieu de l’inculture, pour les autres, opposition entre lieu de corruption des âmes face à la nature, lieu de pureté et de sincérité… Débat ardent entre Voltaire et Rousseau !

Le débat se fait encore plus intense avec l’entrée de la France dans l’ère industrielle au XIX° siècle. L’exode rural s’accentue, on « monte » à Paris des plus lointaines provinces… La ville fascine, elle représente alors pour beaucoup tous les espoirs de réussite : « À nous deux, Paris ! « , lance le jeune Rastignac, héros du Père Goriot de Balzac. Mais la vie est dure aux plus faibles dans la ville, et, à côté des plus puissantes fortunes, toutes les misères s’y côtoient. Les Romantiques rejettent avec violence la ville, pourtant ils continuent à vivre et à publier à Paris, qui devient un centre intellectuel cosmopolite. Fascination, dégoût, élan vital, enfer des vices, les images s’opposent et se combinent

La ville est ainsi le thème qui permet de cristalliser les caractéristiques des grands mouvements littéraires entre le XVII° et le XX° siècle, jusqu’aux surréalistes qui en font leur lieu de prédilection, car la ville est ouverte à tous les « hasards », jaillissement de toutes les rencontres, de toutes les surprises. Pourtant c’est aussi au XXème siècle que reprend l’attaque contre la ville, que poursuit aujourd’hui le débat autour de l’écologie, mais, parallèlement, qu’est relancée la recherche de ce que pourrait être une ville idéale

INTRODUCTION (2ème partie): l'héritage antique 

Antiquité

Dans l'antiquité grecque : la "polis"

La Grèce antique propose un modèle, la « cité », ou « polis » (étymologie du terme « politique »), un territoire organisé autour d’une ville, parfois de dimensions fort réduites, et  de la campagne alentour qui la nourrit. Pour résister aux attaques, la  cité est protégée par des murs et gardée par une armée. Elle regroupe ses « citoyens », mais aussi des étrangers, les « métèques » à Athènes par exemple, et surtout un très grand nombre d’esclaves, autour dun culte religieux et d’institutions. Sous divers régimes, tyrannique, oligarchique, monarchique, démocratique…, elle pose des lois, organisation que révèle nettement le plan de la cité d’Athènes, avec sa ville haute, siège des différents pouvoirs, et sa ville basse, siège de la vie économique. 

Athènes au Vème siècle av. J.-C.

Athènes au Vème siècle av. J.-C.

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LECTURES CURSIVES : Hérodote et Thucydide 

Pour lire les extraits

Hérodote sur Babylone

Dans ces deux extraits des Histoires, Hérodote (vers 484-420 av. J.-C.) manifeste toute son admiration pour Babylone, capitale du royaume de Mésopotamie, qui connaît son apogée sous Nabuchodonosor (625-562 av. J.-C.)Il se montre impressionné par son immensité, par sa « muraille » et ses « cent portes d’airain massif », dont il détaille longuement le procédé de construction. Il crée ainsi un mythe autour de sa splendeur, qui s’inverse dans la Bible à partir du récit de destruction de la tour de Babel.

Thucydide dans Histoire de la Guerre du Péloponnèse

Thucydide (480-vers 425 av. J.-C.), lui, nous présente une description d’Athènes, qui tranche avec l’image de la grandeur de cette ville, car il nous la montre alors que sévit une épidémie de peste. Il nous dépeint l’exode rural qui conduit à un entassement dans la ville : « Faute de logement pour les accueillir, ils vivaient dans des baraquements où l'atmosphère, en cette saison de l'année, était irrespirable. » Il insiste sur la vision des morts, des « cadavres » gisant dans les rues. C’est toute la vie de la cité qui se trouve alors anéantie, et tout respect envers la mort a disparu : ils « en vinrent à ne plus se soucier des lois divines ou humaines ».

Dans l'antiquité romaine : l'"urbs"

 

Sous l’Empire, Rome, avec ses nombreux habitants (entre 600.000 et 1200000 habitants) est, avec Alexandrie, la plus grande ville du monde romain. Comme de tradition, la ville, avec en son cœur le forum, est construite autour du croisement de deux larges voies, le « decumanus » et le « cardo », et elle voit la construction de nombreux monuments, religieux ou civils. Mais, son développement entraîne la construction, beaucoup plus anarchique, d’immeubles d’habitat collectif, les « insulae » où les gens s’entassent sans hygiène, et où les risques d’incendie sont considérables, dont nous donne un exemple celui qui détruit une grande partie de la ville sous Néron, en juillet 64.

Ruines de Pompéi

Plan de Rome sous l'Empire

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Une remarquable vidéo sur Pompéi : cliquer sur l'image

En revanche, des villas, les « domus », offrent aux habitants un habitat plus vaste, plus confortable, et, souvent, un luxueux décor, tel celui qu’ont révélé les ruines de Pompéi.

LECTURE CURSIVE : Juvénal, Satires 

Pour lire les extraits

L’âpreté de la satire de Juvénal, sur un ton violemment polémique, (vers 45-65 – 130) s’explique par l’évolution de Rome sous l’empire, de Claude, de Néron, de Domitien : « Il est difficile de ne pas écrire la satire », écrit-il devant le spectacle de tant de corruptions. Les Satires sont son œuvre unique, seize poèmes composés entre 90 et 127, ici dans la traduction de Jean Dusaulx, en 1770.

Pour voir la lecture cursive

Cet héritage antique met donc en place le débat autour de « la ville », avec sa double image : celle qui effraie, car elle illustre un désordre, menaçant, une surpopulation qui induit la misère, face à celle qui conduit à admirer la grandeur d’un pouvoir politique, et la beauté des créations humaines. Pour certains, la ville représente la victoire de la culture, pour d’autres elle est le lieu où règnent tous les vices.

EXPLICATION n°1 : Thomas More, Utopia, 1516, livre II, de "La ville est reliée..." à "à ces jardins." 

Pour lire le texte

More

Le titre donné à son récit par Thomas More, est formé sur le grec, d’un préfixe « ou », la négation, et de « topos », le lieu. Il pourrait donc se traduire par « ce qui n’a pas de lieu », insistant alors sur la dimension imaginaire qui rendrait impossible une telle île, alors même que l’auteur la situe à proximité du Nouveau Monde et en propose une carte géographique. Sous-titrée « Le Traité de la meilleure forme de gouvernement », l’œuvre est écrite en latin, alors que More (1478-1535) est en mission diplomatique à Anvers ; elle est publiée à Louvain, et remporte un vif succès auprès de ses amis humanistes, Érasme, Pierre Gilles, Guillaume Budé. 

Le narrateur explique d'abord à Morus, son interlocuteur, que Raphaël Hythlodée, marin voyageur ayant découvert l’île d’Utopie, a observé  « chez ces nouveaux peuples […] un grand nombre de lois capables d'éclairer, de régénérer les villes, nations et royaumes de la vieille Europe ». Ainsi, après une violente critique, dans le livre I, des monarchies anglaise et française de son temps, dans le livre II, More dépeint, par l’intermédiaire du récit d’Hythlodée, le fonctionnement de cette île et décrit sa capitale, Amaurote. ​

Quelle vision de la société cette description d’un urbanisme idéal soutient-elle ?

L’île d’Utopie, Frontispice de l’édition de 1518, Gravure sur bois, 17,8 x 13,3. New York Public Library  

Un urbanisme idéal : paragraphes 1 à 3 

L’île d’Utopie, Frontispice de l’édition de 1518, Gravure sur bois, 17,8 x 13,3. New York Public Library  

Le souci de la protection

 

À l’époque où écrit Thomas More, l’Europe est encore déchirée par d’incessants conflits, et les villes sont donc menacées, d’où la protection assurée par ceux qui ont construit la cité, située « sur la hauteur » d’une colline, que souligne le deuxième paragraphe : « Un rempart haut et large ferme l'enceinte, coupé de tourelles et de boulevards ; un fossé sec mais profond et large, rendu impraticable par une ceinture de buissons épineux, entoure l'ouvrage de trois côtés ; le fleuve occupe le quatrième. » Tout a été prévu pour que les habitants puissent vivre en sécurité

Abraham Ortelius, Carte d’Utopia, 1595-96. Gravure sur cuivre, fondation du roi Baudouin

Cette sécurité implique d’assurer la première nécessité, l’approvisionnement en eau, source de vie. Longée sur un côté par un fleuve « l’Anydre », la capitale dispose d’eau potable, mais une « autre rivière, peu importante mais paisible et agréable à voir, a ses sources sur la hauteur même où est située Amaurote, la traverse en épousant la pente et mêle ses eaux, au milieu de la ville, à celles de l'Anydre. » Au cas où la ville serait cernée, la source de cette seconde rivière doit donc elle aussi être protégée car elle est « quelque peu en dehors de la cité » : « les gens d'Amaurote l'ont entourée de remparts et incorporée à la forteresse, afin qu'en cas d'invasion elle ne puisse être ni coupée ni empoisonnée. » Enfin, il y a eu une véritable réflexion – et un souci d’hygiène – autour de l’eau, avec des réalisations déjà très élaborées : « De là, des canaux en terre cuite amènent ses eaux dans les différentes parties de la ville basse. Partout où le terrain les empêche d'arriver, de vastes citernes recueillent l'eau de pluie et rendent le même service. » 

Le souci de l'utilité

 

Une capitale doit également se soucier de son développement économique et du confort de ses habitants. La mention des « vaisseaux qui longent les rives » du fleuve signale un commerce qui remonte de la mer vers la ville, et les urbanistes ont veillé à ce qu’il puisse se dérouler sans obstacle, d’où le choix du lieu pour construire le pont qui « se trouve dans la partie de la ville qui est la plus éloignée de la mer, afin de ne pas gêner les vaisseaux ». De même, « les rues ont été bien dessinées […] pour servir le trafic. », et elles sont larges, par comparaison aux réalités du XVIème siècle, « vingt pieds », mesure anglo-saxonne à peu près équivalente à 6 mètres actuels. La capitale évite ainsi les encombrements et le désordre qui règnent alors dans les rues étroites de Londres comme de Paris. S’ajoute à cela le souci du confort des habitants, avec une prise de conscience des aléas climatiques, puisque se marque aussi la volonté de « faire obstacle aux vents ». 

Abraham Ortelius, Carte d’Utopia, 1595-96. Gravure sur cuivre, fondation du roi Baudouin

Un idéal esthétique

 

Enfin, l’architecture révèle aussi le désir l'esthétique à l’utilité, ce que montre déjà la rapide description du pont, au début du passage, union de la solidité à la beauté, non « pas soutenu par des piliers ou des pilotis, mais par un ouvrage en pierre d'une fort belle courbe ». Le choix de la « pierre » révèle aussi le souci de faire une œuvre durable, transmissible aux descendants. Dans leur île idéale, ces hommes sont capables d’apprécier aussi bien la nature, leur rivière « paisible et agréable à voir » que les constructions urbaines, qui répondent à la symétrie chère à la Renaissance : « les constructions ont bonne apparence. Elles forment deux rangs continus, constitués par les façades qui se font vis‑à‑vis ». Il y a d’ailleurs un souhait de préserver la place de la nature dans la ville même : « Derrière les maisons, sur toute la longueur de la rue, se trouve un vaste jardin, borné de tous côtés par les façades postérieures. »

Ainsi la construction d’Amaurote a été soigneusement pensée, pour associer le bien-être, le confort, et une harmonie d’ensemble. Nous reconnaissons là la conception humaniste, qui vise à placer l’homme au centre de toute préoccupation, en reprenant la formule de l’antiquité grecque, « kalos k’agathos », qui associe le « beau » et le « bien ».

Une société idéale : paragraphe 4 

Les conséquences de l'architecture

 

De  l’urbanisme, organisation générale de la ville, la description passe à l’architecture particulière en s’attachant aux maisons. Nous y retrouvons l’idée de fonctionnalité, par exemple pour favoriser l'aération, la circulation, tout en permettant de disposer à la fois des avantages de la vie urbaine et de la nature : « Chaque maison a deux portes, celle de devant donnant sur la rue, celle de derrière sur le jardin. »

Mais nous constatons rapidement que cette architecture induit aussi une organisation sociale où règnent l’égalité et la liberté, dans une société paisible. Rien ne signale, en effet, une différenciation dans l’habitat, ni même dans les quartiers, qui renverrait à des écarts sociaux. Ressort aussi le contraste entre l’insécurité du XVIème siècle, qui oblige les habitants des villes à se barricader derrière de lourdes portes et à employer, pour les plus riches, des gardiens afin d’éviter les vols, et cette ville où les portes « s'ouvrent d'une poussée de main, et se referment de même, laissant entrer le premier venu. » Aucune méfiance donc entre les concitoyens… D’ailleurs, la propriété privée est abolie : « Il n'est rien là qui constitue un domaine privé. Ces maisons en effet changent d'habitants, par tirage au sort, tous les dix ans. » Le « tirage au sort », donc le seul hasard,  assure de ce fait l’abolition des privilèges.

Une harmonie sociale

 

La fin de l’extrait, à propos des jardins, conduit le narrateur à s’impliquer directement en formulant un vibrant éloge, soutenu d’abord par l’adverbe « admirablement », puis par le rythme binaire de l’hyperbole : « ils cultivent des plants de vigne, des fruits, des légumes et des fleurs d'un tel éclat, d'une telle beauté que nulle part ailleurs je n'ai vu pareille abondance, pareille harmonie. » À nouveau, nous retrouvons l’alliance de l’utilité, avec les productions alimentaires qui offrent aux habitants une vie en autarcie et leur permettent de ne pas connaître la famine, si fréquente au XVIème siècle, et de l’esthétique, avec l’insistance sur la beauté des « fleurs ». Parallèlement, le récit montre comment cet entretien des jardins, qui exige tout de même un effort de la part des citoyens, a été pensé par « le fondateur » de la cité pour amener à une amélioration de la nature humaine, en jouant sur deux ressorts psychologiques, l’un personnel, l’autre social : « Leur zèle est stimulé par le plaisir qu'ils en retirent et aussi par l'émulation, les différents quartiers luttant à l'envi à qui aura le jardin le mieux soigné ». Ainsi, les luttes qui, dans les cités du XVIème siècle, opposent des « confréries », des « ligues », des groupes, sociaux ou religieux, sont remplacées par une lutte bénéfique, car chaque individu met son mérite personnel au service du bien-être collectif.

La dernière phrase apporte une conclusion enthousiaste à cet extrait, mise en valeur par l’adverbe qui l’introduit, et par la formulation sous forme de vérité générale : « Vraiment, on concevrait difficilement, dans toute une cité, une occupation mieux faite pour donner à la fois du profit et de la joie aux citoyens et, visiblement, le fondateur n'a apporté à aucune autre chose une sollicitude plus grande qu'à ces jardins. » Le jugement du narrateur, porte-parole de l’humanisme de Thomas More, est accentué par le lien établi entre « profit » et « joie », et par son éloge final de la sagesse qui a guidé cette organisation, renforcé par l’adverbe en apposition et par l’hyperbole : « visiblement, le fondateur n'a apporté à aucune autre chose une sollicitude plus grande qu'à ces jardins. »

lllustration  de la 1ère édition d'Utopie : carte de l'île et alphabet en usage, accompagné d'un poème

CONCLUSION

 

Cet extrait est doublement représentatif de l’humanisme de la Renaissance dans lequel s’inscrit Thomas More.

         D’une part, en reprenant des philosophes antiques, il ouvre la voie à l’utopie, genre littéraire qui développe la vision d’un monde idéal, permettant à l’homme de vivre mieux.

       D’autre part, nous en reconnaissons les principes , une volonté de paix, d’harmonie, de respect de la dignité humaine, mais en veillant à ce que l’individu trouve sa place dans sa société.

Il développe ainsi l’idée de l’altruisme, le bonheur de tous dépendant de l’action de chacun, et sa foi dans l’influence du cadre de vie sur les comportements. Il prouve ainsi sa foi en l’homme, en sa capacité de raisonner et de créer pour rendre sa société plus fraternelle

lllustration  de la 1ère édition d'Utopie : carte de l'île et alphabet en usage, accompagné d'un poème - "Utopus, mon souverain, m'a transformée en île, moi qui jadis n'étais point une île. Seule de toutes les contrées, sans le secours de la philosophie abstraite, j'ai représenté pour les mortels la cité philosophique. De bonne grâce, je partage mes bienfaits avec d'autres; volontiers, j'adopte des autres ce qu'ils ont de mieux."

LECTURES CURSIVES :  Tommaso Campanella et Voltaire 

Pour lire le texte

Tommaso CAMPANELLA, La Cité du soleil ou Idée d'une république philosophique, 1602-1604

 

Le moine dominicain italien, Tommaso Campanella (1568-1639), compose entre 1602 et 1604, alors qu'il est en prison, La Cité du Soleil, sous-titrée « Idée d’une république philosophique », dont la version définitive en latin est publiée en 1623. Platon, qui reproduit la maïeutique socratique, et Thomas More en sont les inspirateurs, puisque, comme pour Utopia, il s’agit d’un dialogue entre « le grand maîtres des Hospitaliers », chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et son hôte, « un capitaine de vaisseau génois » qui lui présente la cité qu’il a découverte. Après quelques lignes qui introduisent le sujet, la découverte par le navigateur génois de « la cité du Soleil », quelque part « sous l’Équateur. Celui-ci commence sa description par l’architecture, en deux temps, de l’extérieur à l’intérieur.

Le premier paragraphe

Comme chez Thomas More, la première exigence est que la cité, dont le narrateur souligne « la grandeur », puisse résister aux attaques. Elle comporte donc « sept enceintes », et le Génois ajoute ce commentaire : « Je pense, quant à moi, qu’on ne pourrait pas même forcer la première enceinte, tant elle est solide, flanquée de terre-pleins munie de toute sorte de défenses, telles que tours, bombardes et fossés. » Mais nous observons aussi une structure qui traduit la volonté des hommes de la Renaissance de s’inspirer, pour les œuvres humaines, de l’univers créé : « La cité est divisée en sept cercles immenses qui portent les noms des sept planètes. » L’astrologie a donc joué un rôle dans le choix de cette construction.

Gravure pour illustrer Campanella, La Cité du soleil

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Le second paragraphe

Outre la reprise de la notion de sécurité, avec la porte « de fer », qui rappelle les ponts levis des forteresses médiévales, le champ lexical souligne l’immensité de l’architecture : les « palais » sont « immenses , les « corniches » sont « larges », les « colonnes » sont « grandes », les « galeries » sont « vastes ». Toujours s’affirme le souci de protection, mais, là encore comme dans l’Amaurote de Thomas More, la volonté esthétique est manifeste, avec l’utilisation d’un matériau aussi recherché que le « marbre », une harmonie d’ensemble, dont est donné un exemple, avec les « corniches […] soutenues par de grandes colonnes qui forment, au-dessous des terrasses, un élégant portique semblable à un péristyle ou aux cloîtres qu’on voit dans les couvents. » La mention de « la partie la plus élevée, qui est fort belle et percée de fenêtres du côté convexe ainsi que du côté concave » reprend également la formule antique « kalos k’agathos », alliance du beau, avec l’entrée de la lumière, et du bien, car elles permettent aussi l’aération, donc sont utiles à l’hygiène des habitants. 

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VOLTAIRE, Candide, 1759, chapitre XVIII

 

Publié en 1759 à Genève sous le pseudonyme du « Docteur Ralph » et prétendument traduit de l’allemand, le conte, écrit  peu de temps après le tremblement de terre qui avait détruit Lisbonne, pose la question de l’existence du mal dans la création divine, d’où son sous-titre « L’Optimisme ». Voltaire s’y oppose aux philosophes « providentialistes », tel Leibnitz, qui affirment que ce mal entre dans un plan divin, incompréhensible à l’homme mais mis en œuvre pour son bien. Son héros, Candide, comme dans un roman d’apprentissage, quitte le château paradisiaque dans lequel il a grandi, et traverse de multiples épreuves qui vont le rendre moins naïf, plus lucide sur le monde et sur les hommes.

Il arrive ici, avec son serviteur Cacambo, dans le pays d’Eldorado, autre forme de paradis

Pour lire le texte

Une utopie

        La dimension imaginaire de l’utopie ressort est plus marquée ici par les éléments qui relèvent du registre merveilleux, tel ce « carrosse » attelé de « six moutons » qui « volaient » ! Plus loin Voltaire insiste sur toutes sortes de matériaux inconnus, dans l’architecture, comme ce « portail », dont « il était impossible d’expliquer quelle en était la matière » ou les « robes d’un tissu de duvet de colibri », qui seraient totalement irréalisables vu la taille minuscule de ces oiseaux, et les « places pavées d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du gérofle et de la cannelle » achèvent de nous plonger dans un monde imaginaire.

      De plus, tout se trouve agrandi, embelli, avec des dimensions prodigieuses, par exemple les « édifices élevés jusqu’aux nues », édifices élevés jusqu’aux nues », la « galerie de deux mille pas », c’est-à-dire d’un kilomètre quatre cents mètres, ou les « mille colonnes » d’un marché.

      Nous retrouvons aussi l’alliance de l’utilité et de l’esthétique. Dans ce monde d’abondance et de luxe, tout est fait pour satisfaire le plaisir des sens : le toucher, avec le « tissu », l’ouïe avec les « musiciens », la vue avec la splendeur des édifices, même les plus ordinaires comme les « marchés », l’odorat avec les « pierreries », enfin le goût avec les « fontaines d’eau rose, celles de liqueur de canne de sucre ».  Mais ces « fontaines » qui « coulaient continuellement » dans de « grandes places pavées », offrant à la fois l’eau à tous et évitant les rues boueuses apportent à tous les habitants davantage d’hygiène et de confort que dans les villes du XVIIIème siècle.

L'idéal des Lumières

Mais Voltaire lie ce décor à une vie politique et sociale, fondée sur un double idéal.

  • D’une part, les rapport humains ne sont pas entravés par le protocole mais fondés sur l’ouverture aux autres, la tolérance et l’égalité, comme le prouve la façon dont le roi reçoit les voyageurs. De plus, comme tous les biens sont abondants, et que l’or n’y a aucune valeur, la justice devient naturelle, les querelles internes disparaissent, et même les lois deviennent inutiles : il n’y a plus besoin de « parlement ».

  • Enfin, Voltaire, philosophe des Lumières, souligne immédiatement la place accordée à la volonté de diffuser les connaissances, et surtout celles qui peuvent combattre les préjugés et l’obscurantisme religieux : « « Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences ».

Le cadre de vie, dépeint à l'occasion du voyage de Candide dans un pays imaginaire, permet de suggérer la possibilité de construire un monde meilleur et de faire progresser l’homme.

Boileau

Pour lire le texte

EXPLICATION n°2 : Nicolas Boileau, Les Satires, 1666, VI, "Les embarras de Paris", vers 27-60 

Frontispice des œuvres de Boileau, édition de 1779

Nicolas Boileau (1636-1711) est considéré comme un théoricien du classicisme, notamment avec son Art Poétique, où il pose les règles de la versification et du « bon goût » à travers l’analyse des différents registres littéraires. Mais il met lui-même en pratique ces recommandations dans ses poèmes, telles Les Satires dont les sept premières paraissent en 1666. Ce passage, inspiré de Juvénal, ne comporte ni thèse ni argument, et ne cherche pas à imposer un idéal d’urbanisme, ni à expliquer les causes de cet état de fait. Mais, à travers le tableau pittoresque qu’il peint de la capitale, le texte accumule tant d’exemples qu’il finit par prendre une dimension critique. Ainsi le rejet formulé par l’auteur permet d’engager un débat : vivre à Paris, capitale alors admirée, est-il vraiment un sort enviable ?

Frontispice des œuvres de Boileau, édition de 1779

Pour se reporter à l'explication

LECTURES CURSIVES : Rousseau et Taine 

Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Confessions, 1765-1770, livre IV

 

Rousseau a souffert d’être rejeté par ses contemporains, notamment par ses amis philosophes, et le principal objectif des Confessions, autobiographie composée entre 1765 et 1770, est de se justifier, comme il l’explique dans le Préambule : « Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. »

Après avoir évoqué son enfance et les difficultés de son apprentissage, puis sa fuite de Genève et sa vie chez Mme de Warens, il raconte ses premières expériences professionnelles, occasion de plusieurs voyages, dont l’un en Italie. Dans le livre IV, il est de retour en Suisse, où il effectue,  un long séjour, avant de se voir offrir la possibilité d’aller à Paris pour entrer « en service » d’un de ses protecteurs. Il part seul et à pied, muni de lettres de recommandation et plein d’enthousiasme. Mais la découverte de cette capitale contredit ses espérances.

M.-Quentin de La Tour, Portrait de Jean-Jacques Rousseau,   Pastel, 52,3 x 37,4. Musée J.-J. Rousseau, Montmorency

Le texte de Rousseau

M.-Quentin de La Tour, Portrait de Jean-Jacques Rousseau

Pastel, 52,3 x 37,4. Musée J.-J. Rousseau, Montmorency

L'image de Paris

La description se fonde sur un contraste entre

  • ce que Rousseau avait imaginé avant de se rendre à Paris, à partir de sa connaissance de Turin, dont il fait l’éloge : « La décoration extérieure que j’avais vue à Turin, la beauté des rues, la symétrie et l’alignement des maisons ». Il s’était donc construit une image idéalisée de la capitale, que le récit accentue par le rythme en gradation de la phrase : « Je m’étais figuré une ville aussi belle que grande, de l’aspect le plus imposant, où l’on ne voyait que de superbes rues, des palais de marbre et d’or. » C’est ce que confirme sa comparaison à « l’ancienne Babylone », et le redoublement de l’allusion à « l’Opéra » ou à « Versailles », deux lieux emblématiques de la beauté et de la grandeur.

  • la réalité, bien différente, une énumération violemment péjorative qui dénonce à la fois l’architecture, le manque d’hygiène et la misère.

La fin de l’extrait rapporte aux habitants la même démarche critique, à partir d'un exemple. D’un côté, un homme a priori estimable, « vivant philosophiquement », dont on pourrait attendre une ouverture d’esprit et une hospitalité puisque c’est auprès de lui qu’il était « le plus recommandé », alors que, tout au contraire, il se montre grossier : « jamais il ne m’offrit un verre d’eau. »

La désillusion

L’exclamation d’ouverture donne le ton, en traduisant la déception de Rousseau : « Combien l’abord de Paris démentit l’idée que j’en avais ! » De là, un sentiment dominant qu’il affirme, « un secret dégoût pour l’habitation de cette capitale. » Il attribue, certes, sa réaction à son « imagination trop active, qui exagère par-dessus l’exagération des hommes ». Cependant, il fait aussi de cette première visite à Paris un moment fondateur, qui explique son choix « d’en vivre éloigné »

Celui qui connaît l’œuvre de Rousseau pourrait même y voir la source de son rejet d’une société corruptrice de la nature originelle de l’homme...

Gabriel Lemonnier, Une soirée chez Madame Geoffrin, 1812. Huile sur toile, 129,5 x 196.  Château de Malmaison

Hippolyte Taine, Les Origines de la France contemporaine, 1875, Tome 1er, livre II, chapitre II, § 4

 

Le texte de Taine, description et explication de l’importance des salons dans la vie parisienne du XVIIIème siècle, fournit un support intéressant pour s’initier à la pratique du résumé.

Déjà, on observera l’exigence de longueur : ce texte de 387 mots est à résumer au quart, donc 94 mots, avec une marge de + ou – 10%. Lors de la lecture, on annote le texte, pour en dégager la structure, et en repérer les phrases ou mots-clés. On veille aussi à distinguer l’expression des idées du récit  des exemples.

Le texte de Taine

Gabriel Lemonnier, Une soirée chez Madame Geoffrin, 1812. Huile sur toile, 129,5 x 196.  Château de Malmaison

Cette recherche conduit aux observations suivantes :

On souligne la phrase d’ouverture, en s’assurant de comprendre le sens du terme « urbanité ».

        Une première partie de texte (jusqu’au tiret qui marque une rupture) développe une série d’exemples, soutenus par une citation de Voltaire. Il est impossible de les reprendre tous dans le résumé, qui ne gardera que ce dont ils témoignent.

        Le tiret marque le passage de la description à l’analyse, ce qui rend beaucoup plus complexe la seconde partie du texte : elle nécessitera donc plus de mots.

  • Une phrase est à souligner, car elle en donne la clé, en expliquant la cause qui rend si plaisante la vie mondaine parisienne : « Il consiste d’abord dans le plaisir de vivre avec des gens parfaitement polis ».

  • Une notion psychologique explique que cette politesse satisfait « l’amour-propre », terme à définir : chacun aime se sentir important, apprécié, reconnu, et même flatté.

  • Il reste à repérer le verbe « il fallait » qui, dans la dernière phrase, pose les règles de comportement dans les salons.

La dernière étape est la rédaction, en sachant que le premier essai risque de ne pas respecter l’exigence de longueur, et qu’il sera probablement nécessaire de réduire le nombre de mots. On rappellera la double obligation : conserver l’énonciation sans commenter le texte ni donner son opinion, et le reformuler, en ne reprenant un mot  que quand son remplacement serait impossible, comme pour « amour-propre ».

Voir un corrigé explicité

EXPLICATION n°3 : Montesquieu, Lettres persanes, 1721, XXIV, du début à "... m'étonner." 

Pour lire le texte

Montesquieu

Dans ses Lettres persanes, parues en 1721, Montesquieu réalise un roman épistolaire, qui rencontre un grand succès. Ses deux personnages principaux, Usbek et Rica, ont quitté Ispahan, en Perse, pour découvrir l’Europe. Les premières lettres échangées entre ces voyageurs persans et leurs correspondants rappellent les circonstances de ce voyage. Puis, à partir de la lettre 15, leurs observations se précisent.  La lettre XXIV, écrite par Rica, raconte ses premières impressions lors de son arrivée à Paris, dont il propose une description plaisante.

Quel jugement sur Paris le regard persan permet-il de formuler ?

La fiction épistolaire 

L'énonciation

 

Montesquieu respecte les indices d’énonciation propres au roman épistolaire. La lettre mentionne, en effet, le destinataire, « Ibben », et son lieu de résidence, « À Smyrne », et le scripteur, « Rica », son lieu de séjour, et, à la fin, la date de l’écriture : « De Paris, le 4 de la lune de Rebiab 2, 1712. »  Notons déjà le recul temporel par rapport à la date des Lettres persanes, stratégie courante pour contourner la censure : c’est encore le règne de Louis XIV et non pas la Régence. Le personnage de Rica rappelle, par le pronom « nous » du début, la présence d’Usbek à ses côtés.

La lettre acquiert ainsi le réalisme d’un témoignage, tandis que l’interpellation fréquente du destinataire, par exemple par « Tu juges bien » ou « Tu ne le croirais pas peut-être », permet d’impliquer plus fortement le lecteur.

Le regard persan

 

Pour maintenir la fiction épistolaire et l’intérêt de son roman, Montesquieu doit aussi rendre crédible l’origine persane de son scripteur. Outre les noms des personnages, le lieu, une ville de Turquie, « Smyrne », et la date inscrite dans la réalité persane, soit le mois de juin, la lettre comporte plusieurs allusions au monde oriental :

  • Les comparaisons, de l’urbanisme, « Paris est aussi grand qu’Ispahan », et des moyens de transports, « les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux » mettent en évidence les ressemblances et les différences entre le monde connu et le lieu découvert.       

  • La formule plaisante, « j’enrage quelquefois comme un chrétien », inverse tout naturellement l’expression habituelle « jurer comme un païen ».

Lacroix, "Voyage en Perse", dessin

Lacroix, "Voyage en Perse", dessin

Enfin, Rica rappelle, avec modestie, son statut d’étranger, pour expliquer sa surprise : « Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et des coutumes européennes : je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu à peine que le temps de m’étonner. »

Une description satirique 

La description ironique fait directement écho à celle de Boileau, dans la sixième de ses Satires, parues en 1666, avec la même image introductive, « un mouvement continuel », « un bel embarras ». Cette image est doublement explicitée : par l’urbanisme, par le mode de vie des habitants. 

L'urbanisme

 

Derrière l’admiration première de l’architecture parisienne, « Paris est aussi grand qu’Ispahan », « les maisons sont si hautes », se développe en fait une description ironique, qui va jusqu’à la caricature,

  • à travers la comparaison ridicule : « on jugerait qu’elles ne sont habitées que par des astrologues » ;

  • par la vision cocasse d’une ville suspendue dans l’espace, « bâtie en l’air » ;

  • à partir de l’image plaisamment naïve d’un gigantesque jeu de cubes, due au glissement du mot "étages" à« six ou sept maisons les unes sur les autres ».

Vue générale de Paris au XVIIème siècle

L’aspect imposant de la ville et sa splendeur architecturale ne sont donc qu’une façade : en réalité, la ville est mal organisée, sans plan d’urbanisme structuré. De plus, déjà au XVIIIème siècle, où la population passe de 500000 à 750000 personnes, malgré ce grand nombre de maisons, elle est trop petite pour tous ceux qui veulent s’y installer. Enfin, la ruine économique du royaume fait que les institutions, notamment celles chargées d’approvisionner la ville et d’assurer la circulation des biens, fonctionnent mal, d’où la critique, sur un rythme ternaire en gradation, à la fin du premier paragraphe : « Il faut bien des affaires avant qu’on soit logé, qu’on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu’on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois. »

Ainsi, sous la description plaisante perce déjà la critique politique.

Vue générale de Paris au XVIIème siècle

Les Parisiens

 

La seconde critique découle de la première. Dans une ville « extrêmement peuplée », le rythme de vie a perdu sa dimension humaine, et les contacts deviennent difficiles. C’est déjà l’élément mis en valeur dans le premier paragraphe : il est malaisé de « trouv[er] les gens à qui on est adressé », sans doute parce que tous sont trop occupés pour vous recevoir.

       Au cours du texte, la critique tourne à la caricature à travers l’excès des notations, d’abord une assertion négative : « depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne ». Il reprend le procédé de la feinte admiration, « Il n’y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Français »,  créant ainsi une sorte d’énigme ; mais, très vite, l’excès traduit l’ironie, et le rythme binaire, qui marque l’accélération, « ils courent, ils volent », forme un plaisant contraste avec la lenteur du rythme ternaire (8, 8, 8) pour le transport oriental : « les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope ». La chute de cette phrase parachève l’effet comique puisqu’elle inverse la réalité médicale : c’est la vitesse qui peut provoquer une « syncope », et non la lenteur, comme le suggère Rica…         

        La critique s’accentue ensuite, car à l’agitation excessive s’ajoute l’irrespect des Parisiens, qui croient être cependant le peuple le plus poli… Les mésaventures de Rica le transforment en victime d’une voirie qui ne fonctionne pas : « on m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à la tête ». Comme sur une scène de théâtre, Montesquieu joue ensuite sur le comique de gestes, en utilisant le procédé que Bergson définit, dans Le Rire (1899), comme celui du « diable à ressort », « du mécanique dans du vivant ». Ainsi, son personnage est transformé en girouette, qui tourne et retourne à force de « coups de coude », reçus « régulièrement et périodiquement » : « Un homme qui vient après moi et qui me passe me fait faire un demi-tour ; et un autre qui me croise de l’autre côté me remet soudain où le premier m’avait pris. » Cette caricature se ferme sur l’exagération due au contraste des chiffres : « et je n’ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j’avais fait dix lieues. »

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Nicolas Guérard, « Le Pont-Neuf vu du côté de la rue Dauphine », 1715. Gravure. BnF

CONCLUSION

 

Dans cette première partie de la lettre, Montesquieu reprend une satire traditionnelle de la ville, mais l’enrichit par le regard étranger qui met déjà en évidence la relativité des jugements et les préjugés présents en chaque peuple. Il permet aussi la mise en œuvre de procédés comiques, exagérations caricaturales notamment. Le recours à la fiction épistolaire permet enfin à Montesquieu de jouer sur les rythmes, sur la tonalité burlesque, sur les contrastes et l’antiphrase, pour éveiller la curiosité du lecteur et l’obliger ainsi à s’étonner, comme ses personnages.

ÉTUDE D'ENSEMBLE : le mythe de Paris chez Balzac 

Pour lire les extraits

Les romanciers du XIXème siècle, Stendhal, Balzac, Flaubert, Zola, Maupassant… nous ont tous proposé leur vision de Paris à travers le parcours prêté à leurs personnages. Mais Balzac a la particularité, en voulant se faire « l’historien de son siècle », comme il l’explique en 1855 dans l’Avant-Propos de "La Comédie humaine", titre choisi pour l’ensemble de son œuvre, de se donner un autre rôle en mettant en scène ses personnages : « Conçus dans les entrailles de leur siècle, tout le cœur humain se remue sous leur enveloppe, il s’y cache souvent toute une philosophie. » Il élabore ainsi, notamment dans sa peinture de « la vie parisienne », une véritable vision qui soutient son jugement sur la capitale : « pour mériter les éloges que doit ambitionner tout artiste, ne devais-je pas étudier les raisons ou la raison de ces effets sociaux, surprendre le sens caché dans cet immense assemblage de figures, de passions et d’événements ? » Balzac prend ainsi une place fondamentale dans le débat sur la ville : « fascination  ou dégoût ? »

Louis-Auguste Bisson, Honoré de Balzac, 1842. Daguerréotype, Maison de Balzac, Paris

Louis-Auguste Bisson, Honoré de Balzac, 1842. Daguerréotype, Maison de Balzac, Paris
Balzac

Nous avons retenu des extraits de quatre romans : Ferragus, chef des Dévorants (1833), Le Père Goriot (1834), La Fille aux yeux d’or (1835) et Illusions perdues (1837-1843). Dans Ferragus, un oxymore à lui seul illustre l'alternative posée dans le débat : « Paris est le plus délicieux des monstres ».

Ferragus, chef des Dévorants, 1833 

Le cadre spatial

 

S’il cite des lieux parisiens, Balzac ne s’attache pas à leur description précise, mais préfère mettre en valeur les contrastes entre le luxe et la beauté de la ville et l’horreur des endroits où règne la misère, plus sinistres, en les juxtaposant, par exemple dans une exclamation : « ô Paris ! qui n'a pas admiré tes sombres paysages, tes échappées de lumière, tes culs-de-sac profonds et silencieux ; qui n'a pas entendu tes murmures, entre minuit et deux heures du matin, ne connaît encore rien de ta vraie poésie, ni de tes bizarres et larges contrastes. »

La mise en place du mythe

 

Ces contrastes spatiaux induisent des contrastes humains, entre luxe et labeur, et c’est sur ce point qu’insiste le romancier : « À peine le dernier frétillement des dernières voitures de bal cesse-t-il au cœur que déjà ses bras se remuent aux Barrières ».  Même au sein des immeubles, ces oppositions se retrouvent selon les étages, entre les étudiants, dans les « greniers, espèce de tête pleine de science et de génie », les plus riches, dans les « premiers étages, estomacs heureux » et les commerces, au rez-de-chaussée, « ses boutiques, véritables pieds ».

Balzac se hausse à la dimension du mythe en filant la métaphore du « monstre », qu’il anime peu à peu, restituant ainsi le principe qui sous-tend cette vision, celui d’une énergie vitale, d’un « immense courant de vie », qui caractérise Paris et la rend fascinante et attractive, notamment pour les jeunes gens qui vivent dans une province endormie.

Louis Édouard Fournier, illustration de Ferragus, édition George Barrie and son, 1897, Philadelphie

Louis Édouard Fournier, illustration de Ferragus, édition George Barrie and son, 1897

Le Père Goriot, 1834 

1er extrait : 1ère partie, "Une pension bourgeoise"

C’est précisément le cas de son héros, Rastignac, dans Le Père Goriot. Monté du sud pour poursuivre ses études à Paris, et logé dans la miséreuse pension Vauquer, il découvre très rapidement le monde du luxe, et n’a plus qu’un souhait, parvenir à s’y faire une place : « Tout à coup la richesse étalée chez la comtesse de Restaud brilla devant ses yeux ». Là non plus, pas de description détaillée, quelques notations suffisent à recréer cette fascination, « des dorures, des objets de prix en évidence », « le  grandiose hôtel de Beauséant ». Mais c’est ce luxe même qui crée le « monstre » en anéantissant la « conscience », les valeurs morales, d’où la réflexion du jeune héros : « Il vit le monde comme il est : les lois et la morale impuissantes chez les riches, et vit dans la fortune l’ultime ratio mundi. — Vautrin a raison, la fortune est la vertu ! se dit-il. »

Anonyme, illustration du Père Goriot, éd° G. Barrie and son, 1897, Philadelphie

Anonyme, illustration du Père Goriot, éd° G. Barrie and son, 1897, Philadelphie

2ème extrait : 1ère partie, "Une pension bourgeoise"

 

Alors que Rastignac retourne à la pension Vauquer, le récit remet au premier plan le contraste, cause première de cet intense désir de « parvenir » pour jouir des plaisirs de la capitale. D’un côté, les « misères », « de sinistres tableaux bordés de fange », de l’autre, « les merveilles de l’art et du luxe » : « La transition était trop brusque, le contraste trop complet, pour ne pas développer outre mesure chez lui le sentiment de l’ambition. » Les deux sentiments se combattent alors : la fascination irrésistible, illustrée par les « offres captieuses » que lui offre une relation avec madame de Beauséant, face au dégoût, représenté par l’image de la « fange ». Rastignac espère alors pouvoir échapper à cette « fange », conserver sa vertu, naïveté que démasque le jugement final de Balzac : « Rastignac résolut d’ouvrir deux tranchées parallèles pour arriver à la fortune, de s’appuyer sur la science et sur l’amour, d’être un savant docteur et un homme à la mode. Il était encore bien enfant ! Ces deux lignes sont des asymptotes qui ne peuvent jamais se rejoindre. » Selon lui, la fascination exercée par la ville, la volonté d’accéder à son luxe, implique irrémédiablement une corruption de l’âme.

3ème extrait : 4ème, "La mort du père"

 

L’excipit confirme cette fascination, à la fois

  • par la focalisation interne qui fait suivre au lecteur le regard de Rastignac sur la ville, qui s’attarde sur sa splendeur, « la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides », et les « lumières » qui la font « briller » ;

  • par la caractérisation du personnage, comme hypnotisé : « Ses yeux s’attachèrent presque avidement » C’est ce que confirme le discours rapporté direct, qui suggère l’idée d’une conquête à entreprendre, comme pour entrer en possession d’un nouveau territoire, accentué par la majuscule, « la Société ».

Charles Huard, Rastignac dans le cimetière du père Lachaise, 1910-1950. Estampe. Maison de Balzac, Paris

Charles Huard, Rastignac dans le cimetière du père Lachaise, 1910-1950. Estampe. Maison de Balzac, Paris

La métaphore, « Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel », réaffirme le principe fondateur du mythe balzacien : l’activité fertile qui anime Paris. Mais, parallèlement, sa décision d’aller « dîner chez madame de Nucingen » montre la corruption puisque l’adultère est présenté comme le meilleur moyen de réussir.

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La Fille aux yeux d'or, 1835 

"Physionomies parisiennes"

 

Dans ce passage, aucune description du décor. Balzac se concentre sur l’analyse des parisiens, à la façon des scientifiques observant une espèce animale. Or, dès les premières lignes, l’image met en place le « mouvement de dégoût » de ceux qui découvrent la capitale : « peuple horrible à voir, hâve, jaune, tanné ». Mais ce dégoût ne les empêche pas de rester dans la ville et, à leur tour, de « s’y déformer volontiers ». Les aspects physiques mis en évidence, « les visages contournés, tordus », sont le reflet des « poisons » qui rongent les citadins parisiens. Mais d’où viennent ces « poisons » ? De cette « haletante avidité » que suscite en eux l’image de la capitale, ce qui conduit Balzac à une métaphore filée : « la teinte presque infernale des figures parisiennes » fait écho à l’affirmation, « Paris a été nommé un enfer ». 

Élan de vie, menace de mort

Cette métaphore introduit dans le texte l’image du feu, dans sa double acception, qui s’entrecroise dans l’énumération, « Là, tout fume, tout brûle, tout brille, tout bouillonne, tout flambe, s'évapore, s'éteint, se rallume, étincelle, pétille et se consume »,  et se trouve résumée par « Jamais vie en aucun pays ne fut plus ardente, ni plus cuisante. » D’un côté, c’est le feu de la forge, force de vie, de création, source « ardente » au sens mélioratif de cet adjectif, de l’autre, c’est le feu destructeur, celui du gigantesque incendie qui apporte la mort. C’est ce que confirme la métaphore du « cratère » dans le paragraphe suivant, qui laisse jaillir une lave, certes fertile, mais aussi destructrice.

Paris associe donc l’élan de vie à la menace de mort. Mais de là naît l’ultime paradoxe du jugement de Balzac. Pour lui, l’homme est un être de désir, qui dispose d’« une somme donnée d’énergie » et, comme l’impose la loi physique, il est condamné à croître, à s’épanouir, puis à disparaître. Or, ce texte ne met en valeur, à Paris, que « deux âges, ou la jeunesse ou la caducité », l’âge de la force ou l’approche de la mort. Cependant, tout s’inverse alors dans le portrait des parisiens : la jeunesse est « blafarde et sans couleur », tandis que la vieillesse est « fardée [et] veut paraître jeune ».

Balzac, au-delà d’un réalisme qui se veut étude scientifique objective, cherche en fait à argumenter pour soutenir un jugement totalement subjectif sur Paris. C’est une ville où se côtoient toutes les créations aptes à satisfaire les désirs de l’homme, mais aussi toutes les forces susceptibles de la conduire à sa perte. Le Parisien est donc la parfaite illustration de la ville qui le crée, lui aussi être de feu, énergie vitale créatrice, mais aussi promesse de mort.

Illusions perdues, 1837-1843 : 2ème partie, "Un grand homme de province à Paris" 

Anonyme, illustration pour Illusions perdues de Balzac, édition Houssiaux, tome VIII, 1874

Anonyme, illustration pour Illusions perdues de Balzac, édition Houssiaux, tome VIII, 1874

L’extrait choisi contraste nettement avec le titre du roman, car cette lettre, écrite à sa sœur par le jeune héros, Lucien de Rubempré, exprime un enthousiasme vibrant. Épris de gloire littéraire et fuyant les commérages de province que lui vaut sa relation avec sa noble et riche maîtresse, madame de Bargeton, Lucien est parti avec elle à Paris. C’est ce que raconte la deuxième partie du roman, ses débuts difficiles dans le monde et sa rupture avec madame de Bargeton.

Mais cette lettre ne souligne que l’élan vital stimulé par Paris, souligné par la triple anaphore, « Là seulement », en offrant aux créateurs, aux « écrivains », aux « penseurs », aux « poètes », les images et les moyens de la réussite et de la gloire, « dans les musées et dans les collections » comme dans « d’immenses bibliothèques ». Nous y retrouvons aussi une métaphore fréquente chez Balzac, celle d’une ruche « où toute abeille rencontre son alvéole » et pourra donc produire son miel.

Cependant, quelques remarques posent des réserves et rappellent les contrastes observés dans les extraits précédents. Par exemple, au cœur du chiasme, « Un excessif bon marché, une cherté excessive », ressort l’opposition entre la richesse et la pauvreté – celle que connaît le jeune homme qui « souffre en ce moment » et évoque son « cœur un moment endolori ». De même, l’énergie, l’activité intense propre à la capitale, font naître l’oxymore : « La vie y est d’une effrayante rapidité. »

CONCLUSION

 

Ce parcours nous a permis de mesurer ce double mouvement, d'une part, de fascination pour une ville qui étale aux yeux de tous le luxe, la richesse, les plaisirs, une ville animée d'une vie intense, qui la rend attractive, surtout pour les jeunes personnages que Balzac met en scène, d'autre part la dénonciation violente du romancier, qui souligne le dégoût qu'elle lui inspire parce qu'elle corrompt l'âme de ses habitants. C'est pour cette raison qu'au-delà du réalisme, il fait un véritable mythe de ce lieu qui participe pleinement à la "Comédie humaine". 

EXPLICATION n°4 : Victor Hugo, Discours sur la misère, 9 juillet 1849, de "Voici les faits..." à "... abolition de la misère."  

Pour lire l'extrait

Hugo

La révolution qui s’est déroulée du 22 au 25 février 1848 a conduit le roi à abdiquer et a établi la deuxième République. Hugo a été élu député de la Seine quand s’ouvre, à l’Assemblée nationale législative, un débat sur les lois concernant la prévoyance et l’assistance publique. Nous avons ici la transcription exacte du discours que Victor Hugo, prenant la parole en premier, prononce devant les parlementaires, le 9 juillet 1849.

Ce discours suit la démarche argumentative d’ensemble fixée à cette forme d’expression depuis l’antiquité. Après un exorde destiné à capter l’attention de son auditoire, Hugo passe à la narration des exemples, suivie de son argumentation, rapide ici. Le discours se clôt par une péroraison, afin d’entraîner l’adhésion de ses collègues.

Quelle réalités de la vie parisienne Hugo dénonce-t-il, et dans quel but ?

Pour se reporter à l'explication

Hugo à la tribune de l'Assemblée pour le centenaire, en 1878, de la mort de Voltaire

Hugo à la tribune de l'Assemblée pour le centenaire, en 1878, de la mort de Voltaire

Béranger, "Les cinq étages", 1830 : pour voir une analyse musicale détaillée

HISTOIRE DES ARTS : la chanson réaliste

Après avoir vécu les difficultés de la période révolutionnaire et exercé différents métiers, Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) s’impose, dès la Restauration en 1815, comme la voix du peuple par ses publications dans des journaux d’opposition républicaine en attaquant les magistrats, les députés, le clergé… Ses premières chansons paraissent en 1821. Cela lui vaut des peines de prison, en 1821, en 1828, et plusieurs amendes, d’ailleurs acquittées par souscription, ce qui en dit long sur sa popularité. En 1848, il participe aux activités révolutionnaires et est élu député, mais démissionne en constatant les divisions entre paris et la province. Sa renommée n’empêche pas qu’il meure dans la misère.

Avant que ne triomphe, à Montmartre (1851-1925) Aristide Bruant, comme créateur de la chanson réaliste, Béranger a été le premier chansonnier à représenter son époque et les réalités de la vie parisienne, alors même que la presse, elle, est soumise à une stricte censure.

La chanson « Les cinq étages », datant de 1830, s’inscrit dans le courant romantique qui s’est souvent attaché à représenter ce que vivent les filles pauvres, contraintes à se vendre pour survivre. L’originalité de sa chanson  vient de la dénonciation de la prostitution, qui, au fil des années, fait passer son personnage du luxe des courtisanes à la misère, mise en parallèle avec l’organisation d’un immeuble parisien, dont chaque étage représente un statut social. Ainsi, au « rez-de-chaussée », on trouve « la soupente du portier », aux premier et deuxième étages, l’aristocratie : la jeune fille est alors à l’apogée de son succès, avec de nombreux et riches amants. Mais l’âge la fait monter d’un étage, celui de la bourgeoisie mais aussi d’un « prêtre » et d’un « escroc » : c’est le début de sa chute, car elle a « les cheveux gris ». Ne pouvant plus elle-même se prostituer, elle « fai[t] le ménage, au « quatrième étage », pour de plus jeunes prostituées, plaisamment nommées ses « nièces ». Il ne lui reste plus, avec l’âge, que la misère du « cinquième étage », et la survie par le balayage de l’escalier de l’immeuble.

La chanson, interprétée ici par Germaine Montero (1909-2000), la présente, en fait, comme une victime, depuis son adolescence, du désir masculin, qui exploite la naïveté d’une jeune fille qui ne cherchait qu’à être aimée.

Pour lire les paroles

LA MODALISATION

Ce discours permet de reprendre les fonctions du langage, en les rattachant aux observations effectuées, et de revoir les procédés de la modalisation.

ÉTUDE D'IMAGE : Grandville et Bertall

Sous son pseudonyme, Jean-Jacques Grandville (1803-1847) est, dans les années 183O, un dessinateur qui, dans la presse satirique, La Caricature ou Le Charivari par exemplese fait connaître par des dessins parfois féroces, ou par des illustrations d’œuvres populaires, de La Fontaine ou de Swift, par exemple, ou, comme ici, de la chanson à succès de Béranger.

Sous son pseudonyme, Bertall (1820-1882), comme Grandville, s’est fait connaître d’abord comme caricaturiste, puis comme illustrateur, par exemple de Balzac. L’illustration, « Les cinq étages du monde parisien », représente un immeuble en coupe. Elle paraît en noir et blanc, en 1845, gravée par Lavielle, dans un recueil, Le Diable à Paris, sous-titré  « Paris et les Parisiens », et est ensuite colorisée.

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Maupassant

EXPLICATION n°5 : Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885, 1ère partie, chapitre 1, de "C'était une de ces soirées ..." à "... la gorge."  

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Dans son roman, Bel-Ami, paru en feuilleton du 6 au 30 mai 1885, puis édité en volume le 11 mai, Maupassant montre l’ascension sociale de son héros, Georges Duroy, dans le milieu du journalisme politique grâce à l’appui des femmes qu’il séduit. 

Nous sommes dans le premier chapitre de la première partie du roman, où l’auteur pose la situation initiale, avec un double objectif : informer, en présentant le héros dans son décor et son époque, mais aussi séduire en créant chez le lecteur un horizon d’attente, qui lui donnera le désir de découvrir la suite. Cette dernière fonction est encore plus importante lorsqu’il s’agit d’une publication en feuilleton : pour d’évidentes raisons économiques, il est nécessaire d’inciter le lecteur à acheter le numéro suivant. Dans ce passage, Maupassant entrecroise l’image de la ville et celle de son héros, créant ainsi une sorte de parallèle entre le décor et l’homme, pour s'inscrire ainsi dans le débat entre fascination et dégoût.

L'image de Paris 

Camille Pissarro, Boulevard Montmartre, matin, temps gris, 1897. Huile sur toile, 73 x 92. National Gallery of Victoria

Les lieux

 

Dès ces premières pages, le rôle de Paris s’affirme. Les lieux nommés nous plongent dans la capitale, selon une gradation. Le héros passe des petites rues populaires au « boulevard », domaine des cafés et des théâtres sur la rive droite de Paris : « Les grands cafés, pleins de monde, débordaient sur le trottoir, étalant leur public de buveurs sous la lumière éclatante et crue de leur devanture illuminée. » Le rythme de cette phrase amplifie progressivement l’image de ces lieux où se dépense l’argent, lieux des plaisirs, qui semblent inonder la ville, rendus fascinants par leur clarté qui se diffuse largement.

Camille Pissarro, Boulevard Montmartre, matin, temps gris, 1897. Huile sur toile 73 x 92. National Gallery of Victoria
Jean Béraud, Scène sur les Champs-Élysées, vers 1890. Huile sur toile, 36,8 x 53,3.  Collection particulière

Jean Béraud, Scène sur les Champs-Élysées, vers 1890. Huile sur toile, 36,8 x 53,3.  Collection particulière

Mais, le passage marque un tournant, en évoquant le désir de Duroy : il éprouve l’« envie maintenant de gagner les Champs-Élysées et l’avenue du Bois-de-Boulogne », c’est-à-dire les lieux de l’élégance et du luxe parisiens, beaucoup plus encore que les grands boulevards. L’allusion à la possibilité de « trouver un peu d’air frais sous les arbres » symbolise l’élévation sociale, une respiration pour ainsi dire facilitée par la richesse. Cette progression révèle déjà un autre désir du héros, celui d’ascension sociale, qui se marque par cette marche : « Il tourna vers la Madeleine ». Si nous rapprochons ce passage de la fin du roman, nous mesurons l’itinéraire du héros qu’annonce déjà ici sa marche, puisque c’est précisément dans l’église de La Madeleine que le héros épouse la fille du riche banquier Walter.

Les figurants

 

Dans ce décor, les figurants, « concierges » et « passants », jouent également un rôle symbolique. Le concierge, en effet, est, traditionnellement, celui qui est au courant de tous les secrets des familles. Il observe, surveille, épie, il sait tout sur les habitants de son immeuble. Or, c’est cette même connaissance, pas toujours très propre, qui, tout au long du roman, permettra au héros de progresser socialement, d’abord au sein du journal, La Vie Française, quand il sera reporter pour les « Échos », puis dans les milieux économiques et politiques, en tirant profit de tous les scandales. Les « passants », eux, permettent d’établir un contraste avec le héros : ils « allaient d’un pas accablé, le front nu, le chapeau à la main », lexique repris à la fin du texte par « le flot de foule qui coulait accablée par la chaleur. » Face à leur épuisement, Duroy, malgré quelques hésitations, a choisi le but de sa promenade.

Jacques Doisneau, La concierge aux lunettes de la rue Jacob, 1945. Photographie

Jacques Doisneau, La concierge aux lunettes de la rue Jacob, 1945. Photographie

L'atmosphère

 

Enfin, le choix du moment, souligné par le présentatif qui fait appel à la connaissance du lecteur, n’est pas innocent, car il permet au romancier de jouer sur la chaleur : « C'était une de ces soirées d’été où l’air manque ».  

En insistant sur cette impression d’étouffement, il introduit le thème de la soif qui parcourt ce passage, soif physique, mais aussi symbolique dans l'ensemble du roman, celle d’argent et de femmes. Les images qui dépeignent la ville, « chaude comme une étuve » qui « paraissait suer dans la nuit étouffante », la personnifient peu à peu : « Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées ». Il crée ainsi une image répugnante, Paris devenant un monstre, à deux niveaux. Il y a l’apparence peu ragoutante, le trottoir, la surface, à l’atmosphère viciée par les odeurs des déchets qu’on y jette, les « miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces », formule aux sonorités expressives, et les lieux souterrains, ceux des « égouts », « eau de vaisselle et vieilles sauces ».

L’écriture de Maupassant, juxtaposant de petites touches, à la façon des peintres impressionnistes, recrée cette atmosphère suffocante. Mais il la charge aussi d’une fonction symbolique : le roman montrera précisément toutes les « cuisines souterraines » qui fonctionnent  dans Paris, dans le journalisme, la finance, la politique…

Le mouvement du héros anime l’espace qui l’entoure, tout en annonçant sa volonté de ne pas rester à la place sociale où il se trouve au début du roman, tout en rendant son portrait plus vivant.

L'image du héros 

Le rôle de l'argent

 

En mentionnant la « poche vide » du héros, Maupassant introduit une des caractéristiques du roman dit « d’apprentissage », qui présente, dans la situation initiale, un héros totalement démuni dont le récit montrera la progression. Son état de manque est renforcé, puisqu’il empêche le héros de satisfaire son besoin d’un bref moment de « rencontre amoureuse », en fait sexuelle, que peuvent offrir les « filles publiques ». Maupassant met ici en place l’image d’une nature quasi animale de l’homme, qu’entrave une société où tout dépend de l’argent.

Une "soif" symbolique

 

La période choisie par le romancier pour le début de son roman, avec sa chaleur pesante, induit le développement d'un dernier thème, symbolique, celui de la soif, sur laquelle se ferme cet extrait : « l’envie de boire lui séchait la gorge. »

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La description, qui met en valeur la boisson,  traduit, malgré le pronom indéfini « on », la focalisation interne, le regard fasciné du héros : « sur de petites tables carrées ou rondes, les verres contenaient des liquides rouges, jaunes, verts, bruns, de toutes les nuances ». Au-delà de ce chatoiement de couleurs, Maupassant insiste sur la fraîcheur promise : « dans l’intérieur des carafes on voyait briller les gros cylindres transparents de glace qui refroidissaient la belle eau claire. » Cette soif, impossible à satisfaire par manque d’argent, annonce une autre « soif », celle de progresser dans la hiérarchie sociale.

Paul Renouard, Café Tortoni, 1889. Harper’s News Monthly Magazine, avril 1889

Duroy et les femmes

 

La sensualité définit le caractère de Duroy, mais l’affirmation, « un désir aussi le travaillait, celui d’une rencontre amoureuse », renvoie à nouveau à l’image quasi animale de l’homme pour Maupassant, ce « sang bouillant » montrant un homme dominé par ses pulsions. Le verbe « travaillait » est à prendre, en effet, dans son sens étymologique, celui d’une torture, ici due à un état de manque. Le glissement du récit à la focalisation interne, dans l’interrogation rhétorique du discours rapporté indirect libre, qui reproduit un monologue intérieur, « Comment se présenterait-elle ? », insiste, par le rythme de la réponse, sur la violence de son désir : « Il n’en savait rien, mais il l’attendait depuis trois mois, tous les jours, tous les soirs. »

Cependant, comme pour le décor, la structure du passage introduit une alternance, significative de la psychologie du héros.

        Le début du texte, dans un lieu populaire tel « le boulevard », évoque la prostitution de celles qualifiées péjorativement de « rôdeuses », auxquelles le récit donne vie par le discours direct rapporté : elles « murmurent à l’angle des rues : « Venez-vous chez moi, joli garçon ? » » Le verbe « il s’allumait » met en valeur la réaction immédiate du héros, totalement physique attir,é par elles.

      La fin de la phrase, elle, montre que, pour les femmes aussi, la volonté d’ascension sociale de Duroy est bien présente : « il espérait toujours plus et mieux. » est précisé ensuite par « et il attendait aussi autre chose, d’autres baisers moins vulgaires. »

         Mais, ensuite, Maupassant en revient à la prostitution. Le paragraphe entier consacré aux « filles publiques » montre que, au-delà de son apparence, le héros reste un homme du peuple, avec des goûts populaires : « Il aimait cependant les lieux où grouillent les filles publiques, leurs bals, leurs cafés, leurs rues ; il aimait les coudoyer, leur parler, les tutoyer, flairer leurs parfums violents, se sentir près d’elles. »

Eugène Atget, La Villette, rue Asselin, fille publique faisant le quart devant sa porte, 1921. Photographie, 22 x 17. Musée d’Orsay

Eugène Atget, La Villette, rue Asselin, fille publique faisant le quart devant sa porte, 1921. Photographie, 22 x 17. Musée d’Orsay

Finalement, Maupassant présente un personnage mené par sa sensualité, que la vulgarité ne fait pas reculer, pour lequel toute femme est une proie, comme le montre la répétition qui reproduit sa pensée : « C’étaient des femmes enfin, des femmes d’amour. Il ne les méprisait point du mépris inné des hommes de famille. »

Pour ces conquêtes, il dispose de deux atouts : « grâce à sa belle mine et à sa tournure galante ». Mais, en présentant ses succès ponctuels, « il volait, par ci, par là, un peu d’amour », Maupassant choisit un verbe péjoratif, qui fait de son héros un être sans scrupules, prêt à exploiter une femme pour satisfaire son désir.

CONCLUSION

 

Ce début de roman représente un texte essentiel et caractéristique du roman d’apprentissage, car il marque nettement la situation initiale du héros. Nous y découvrons ses manques : l’argent, et les femmes puisqu’il est ici seul. Mais il possède aussi des atouts. Ne porte-t-il pas d’ailleurs un nom prémonitoire : « Duroy » ? Ne peut que jouer en sa faveur sa séduction, selon le titre du roman, Bel-Ami, liée à un évident manque de scrupules : il semble prêt à tout pour avancer, au sens propre et au sens figuré. En cela, il n’a pas la naïveté souvent caractéristique du héros de roman d’apprentissage.

Il constitue aussi une première approche de Maupassant romancier. Même s’il a toujours refusé cette étiquette, le texte peut s’inscrire dans le courant naturaliste, qui fait suite au réalisme : l’homme est le produit de son hérédité et de son milieu, le héros est donc marqué par sa nature profonde, son aspect physique, ses origines, sa profession. Aucun milieu, aucun lieu ne sera exclu, aucune réalité, même les plus vulgaires, comme les « filles publiques » ici présentes.​ 

En revanche, sa technique pourrait plutôt être rattachée à la peinture impressionniste : en créant une constellation de détails, avec des touches successives qui se mêlent, voire s’opposent, il cherche à créer une impression d’ensemble sur le lecteur, subtilement guidé par le romancier. De même, les variations de la focalisation omnisciente, avec un romancier extérieur, à la focalisation interne, où il se confond avec le personnage, est une autre façon d’influencer notre jugement. Son héros, vulgaire certes, mais séduisant, est le reflet du double aspect de Paris : une façade brillante, des bas-fonds répugnants.

LECTURE PERSONNELLE : Émile Zola, Pot-Bouille, 1882 : chapitre 1 

Pour lire le chapitre

Zola, Pot-Bouille, 1882

La lecture du 1er chapitre de ce roman de Zola s’inscrit dans le prolongement de l’étude de l’image de Paris chez Balzac, de l’illustration de Bertall, « Les cinq étages du monde parisien », et de l’extrait de Bel-Ami de Maupassant. Mais il fait écho aussi à d’autres passages du parcours sur « Dire la ville ».

La lecture sera orientée autour de trois pistes de recherche. L’analyse de l’incipit donne une première indication sur le jugement de Zola. Dans un deuxième temps, la description de l’immeuble est précisée, pour faire ressortir l’opposition, soulignée par Zola, entre l’apparence et la réalité. Cela conduit à dégager, à partir de l’image des Parisiens, la dénonciation de Zola.

Pour voir l'étude

Zola

EXPOSÉ : autour de la presse au XIXème siècle - L'Illustration 

L'Illustration, numéro 1, 4 mars 1843

L’exposé a pour objectif de faire observer l’évolution de la presse au XIXème siècle.

C’est pendant ce siècle, en effet, de la monarchie de Juillet à la première guerre mondiale, période parfois surnommée « civilisation du journal », que la presse prend véritablement son essor. La presse est « criée » dans les rues, elle trouve un large lectorat en s’adressant à des publics très diversifiés, elle devient attractive par ses illustrations, les écrivains y publient leurs œuvres en feuilletons, et le métier de journaliste s’affirme.

Il sera donc important de construire l’exposé pour expliquer les raisons de l’essor de la presse :

L'Illustration, numéro 1, 4 mars 1843
  • En introduction, le rôle joué par la Révolution française : on pourra consulter, pour cette période, les écrans 5, 6 et 7 de l’exposition proposée par la BnF

  • le rôle des progrès techniques, et l’évolution du lectorat : la suite de l’exposition de la BnF (écrans 8 à 13) offre une vision d’ensemble, de même que l'onglet sur "la presse illustrée" dans le site correspondant

Il est important de mesurer les conditions de cet essor, notamment les lois qui régissent la presse, tantôt pour la censurer, tantôt pour garantir la liberté d’expression, en montrant le lien avec la place prise par l'illustration. Un onglet du site de la BnF, intitulé « liberté et répression – la censure contournée », apporte d’utiles informations.

Comme il est impossible de proposer un panorama exhaustif de la presse au XIXème siècle, on choisira de présenter le premier magazine hebdomadaire d’information d’actualité, fondé le 4 mars 1843, dont le titre, l’Illustration, illustre le parti-pris. Il est possible de choisir d’éclairer cette présentation par des Unes de ce magazine, dont plusieurs sont aisées à trouver sur Internet.

Pour lire le poème

EXPLICATION n°6 : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1861, section "Tableaux parisiens", "Le crépuscule du matin" 

Baudelaire

Pour voir l'explication

« Le crépuscule du matin » est le dernier des dix-huit poèmes ajoutés, pour former la section "Tableaux parisiens" dans la deuxième édition des Fleurs du Mal afin de reconstruire l’itinéraire du recueil après la censure de plusieurs poèmes à l’issue du procès. « À une passante » a apporté au recueil une de ses dernières fulgurances, les poèmes suivants marquent une plongée continue dans le « spleen », avec la peinture des vices et une lente avancée vers la mort, interrompue un instant par le souvenir nostalgique du bonheur de l’enfance.

Le titre, qui fait écho à un poème précédent, intitulé « Le crépuscule du soir », est un oxymore : le terme « crépuscule » correspond à la fin de la journée, et non pas au « matin ». Quel sens prend alors l’image de Paris dépeinte dans ce "tableau" ?

Baudelaire, Les Fleurs du Mal

LECTURES CURSIVES : visions poétiques 

Pour « dire la ville : entre dégoût et fascination », la poésie dispose, outre de la vision propre à son créateur, de toutes les ressources de la versification, notamment sur le rythme et les sonorités.

Arthur Rimbaud, Poésies, 1871, « L’Orgie parisienne ou Paris se repeuple » : vers 45-56 et 61-76

 

Publié dans le recueil Poésies de Rimbaud le poème est daté du 28 mai 1871 sur le manuscrit, soit à la fin de la « semaine sanglante » de la Commune. Son titre est double :

        « L’Orgie parisienne » renvoie à l’origine du terme, les débauches auxquelles se livraient les participants aux fêtes de Dionysos dans la Grèce antique : elle suggère tous les excès, nourriture, alcool, et plaisirs sexuels. Nous retrouvons là l’image romantique traditionnelle de la grande ville, corrompue et corruptrice.       

Pour lire le poème

Rimbaud, "L'Orgie parisienne"e.jpg

        « Paris se repeuple » peut se comprendre par les circonstances historiques. La défaite française de Sedan, le 2 septembre 1870, face à la Prusse, a fait chuter le Second Empire, et de nombreux parisiens ont fui avant que la ville ne soit bombardée, et que les Prussiens ne s’y installent, le 1er mars 1871, après un long siège. Cependant, malgré cette occupation, les parisiens rentrent, les commerces rouvrent, les affaires reprennent : « Paris se repeuple » donc. Mais le 18 mars éclate l’insurrection de la Commune, qui culmine avec les 30 000 morts de la « semaine sanglante », entre le 21 et le 28 mai 1871.

Rimbaud, pour peindre la ville, qu’il interpelle, suit la chronologie.

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830. Huile sur toile, 260 x 325. Musée du Louvre

Le passé

En évoquant le Paris du « sombre passé », Rimbaud en fait une ville de luttes et de révoltes : « Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères ». Cette allusion aux nombreuses révolutions (1789, 1830, 1848), autant de « coups de couteau » qui ont marqué l’histoire de la capitale. Souvenirs artistiques aussi, par exemple de la chanson révolutionnaire, avec sa danse, « La Carmagnole »,  ou, à travers la personnification allégorique, du tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple. Ces luttes donnent à la ville une dimension sacrée, « L’orage t’a sacrée suprême poésie », mais l’ont conduite, « quasi morte », à son agonie.

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830. Huile sur toile, 260 x 325. Musée du Louvre

Le présent

Mais la ville est forte, elle conserve en elle un reste de vie dans ses « prunelles claires », un reste d’âme : « retenant un peu de la bonté du fauve renouveau ». Le présent est donc celui d’une résurrection, marqué par le champ lexical, notamment les verbes avec leur préfixe : « se repeuple », « remagnétisé », « tu rebois », « te revoir ».

Cependant, cette renaissance n’apporte que des visions d’horreur, d’« énormes peines », une « vie effroyable », jusqu’à l’image répugnante de l’« ulcère plus puant ». C’est qu’en fait, la ville prépare une nouvelle révolte, mise en valeur par plusieurs images : « ton œuvre bout » donne l’impression d’un immense chaudron dans lequel se prépare une explosion nouvelle, suggérée par le rythme ternaire du vers posant l’idée, « la mort gronde ».

Cette menace se précise au vers 20, « Amasse les strideurs au cœur des clairons sourds », avec le jeu des sonorités, à la fois violentes, puis devenant plus graves telles celles de cet instrument guerrier qui, dans la Bible, ont permis d’abattre les murailles de Jéricho. Les « strideurs » des « clairons » menaceraient donc les « murailles rougies » de cette ville ensanglantée, menaceraient ceux qui ont tant fusillé d’insurgés communards, pendant la « semaine sanglante », 147 morts devant le « mur des Fédérés ».

Alfred Henri Darjou, Le mur des fédérés, vers 1871-1874. Dessin au crayon rehaussé de gouache. Musée Carnavalet, Paris 

Alfred Henri Darjou, Le mur des fédérés, vers 1871-1874. Dessin au crayon rehaussé de gouache. Musée Carnavalet, Paris 

Le futur

Mais, si l’avant-dernier quatrain montre la lutte du poète, devenu prophète, pour purifier la ville, le dernier brise cet espoir. Tout renaît à l’identique : « Société, tout est rétabli. » Rimbaud en revient donc à l’image traditionnelle de la grande ville, lieu de toutes les débauches, d’une part par la mise en relief en contre-rejet du mot du titre, « orgies », puis par la répétition de l’adjectif  « ancien » : « Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars », allusion directe à la prostitution. Les deux derniers vers du poème créent autour du modernisme de la ville, éclairée par des réverbères au « gaz », une véritable vision d’enfer, soutenue par le jeu des sonorités : « gaz en délire », « murailles rougies », « sinistrement », « les azurs blafards ».

Pour conclure

Rimbaud nous propose ici une image de Paris encore très marquée par les caractéristiques du romantisme. Nous y retrouvons, en effet, l’horreur de la grande ville, « Ulcère […] à la Nature verte »), mais aussi la ville de la révolution, des combats pour un avenir meilleur, ce poème étant très marqué par l’actualité. Enfin, on y voit aussi la ville De Balzac, et, surtout de Zola, point de rencontre de toutes les misères, de toutes les exclusions.​

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Émile Verhaeren, Les Villes tentaculaires, 1895, « L’âme de la ville » de « les toits… » à « … carnassières. »

 

Verhaeren (1885-1916) est  un poète belge flamand, d’expression française, influencé par le symbolisme. Il a fréquenté à Bruxelles un salon littéraire animé par des écrivains et des artistes d’avant-garde, et les luttes sociales des années 1886 l’amènent à s’engager dans le parti socialiste, et dans la poésie également. C’est cette conscience politique qui le pousse à évoquer les grandes villes, et la beauté de l’effort humain, comme dans ce poème, le deuxième des Villes tentaculaires, recueil paru en 1895. Il résume tout ce que peut représenter la ville, l’essor du monde moderne, la grandeur du passé, mais aussi les aspects les plus sordides et un mélange d’angoisses et d’élans vers l’avenir. 

Pour lire le poème

L'espace urbain

L’extrait s’ouvre sur une vue générale, comme aérienne, qui, en ne laissant percevoir que les éléments saillants de l’architecture, énumérés, donne l’impression d’un chaos total : « les toits », « et les clochers et les pignons ». On ne voit pas les bâtiments eux-mêmes, car tout est assombri, noyé dans un brouillard qui justifie l’adjectif emprunté au lexique de la physique, « fuligineux », c’est-à-dire couleur de suie, comme si l’atmosphère en était imprégnée, image aussi de la pollution urbaine. Le dégoût s’impose alors : « Un air de soufre et de naphte s'exhale, / un soleil trouble et monstrueux s'étale ». Dans cette obscurité ambiante, seuls les « feux », les « signaux » des voies ferrées se distinguent, par leur couleur « rouge[…] », violente et agressive. 

À travers les transports évoqués, ces premières strophes mettent l’accent sur un monde moderne, amplifié jusqu’à la monstruosité. Dans ce décor démesuré, les habitants sont alors comme effacés, ce que soulignent la récurrence « des ombres et des ombres » et la métaphore des « fantômes ».

Camille Pissarro, Le Pont Boieldieu à Rouen, matin, temps mouillé, 1896. Huile sur toile, 54,3 x 65, 1. Metropolitan Museum, New York

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Une image contrastée

Par ces images, au-delà de la description, Verharen invite son lecteur à une réflexion sur la ville moderne, en posant l’alternative : « crime ou vertu ».

         Une exclamation incantatoire, « ô les siècles et les siècles sur cette ville ! », rappelle que le passé a légué à la ville sa beauté, des « places », « un pilier d’or », « un fronton ».  C’est la grandeur de ses créateurs, leur « géant rêve »,  ou même leurs « désirs fous », que célèbre alors le poète dans son éloge. La ville illustre à la fois l’intensité de vie et la puissance du génie humain.

       Mais, comme le marque l’interrogation, est-il possible d’y discerner cette dimension quand l’atmosphère se trouble, devient sinistre et que « l’esprit s’effare » ? Par opposition, la reprise de l’exclamation au vers 29, fait ressortir le jugement opposé, rabaissant l’homme à l’état animal avec ses « colères carnassières ». La ville devient alors le lieu du « crime », de toutes les pulsions les plus terribles, d’une violence effrayante que reproduisent les sonorités martelées dans les trois derniers vers.

Conclusion

En associant le travail sur le rythme, le jeu sur les sonorités aux images juxtaposées et aux « synesthésies », correspondances des sensations, Verhaeren dépeint une ville, certes grandiose, mais inquiétante, à la limite du fantastique. Son jugement fait écho à l’esprit de la « décadence » qui anime, à cette époque, de nombreux poètes symbolistes.

HISTOIRE DES ARTS : Paris dans la peinture de la fin du XIXème siècle 

Paris dans la peinture de la fin du XIXème siècle

Après le romantisme, rupture avec le classicisme, qui s’est développé dans le premier tiers du siècle, s'opère une nouvelle rupture, premier germe de ce qui se passera dans la littérature : la volonté de restituer la réalité nue, vraie, que représente tout particulièrement Gustave Courbet (1819-1877) avec ses tableaux de la vie quotidienne, sans idéalisation.

Mais la seconde partie du siècle voit naître, progressivement, un nouveau courant, l’impressionnisme, qui s’affirme dans le dernier quart du texte. La clé de l’impressionnisme est sa recherche sur la lumière, dans ses rapports optiques avec les formes et les couleurs. D’où la technique particulière que la plupart d'entre eux développe, des touches juxtaposées, qui, en désintégrant, en apparence, le sujet, le recomposent en fait par l’effet d’optique d’ensemble produit.

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Les peintres impressionnistes

EXPLICATION n°7 : Blaise Cendrars, Dix-neuf poèmes élastiques, 1919, "Contrastes", vers 15 à 44 

Pour lire l'extrait du poème

Cendrars

Les poètes, au début du XX° siècle, associent volontiers, comme Blaise Cendrars dans cet extrait de « Contrastes », le modernisme de Paris à leurs recherches d’une poésie novatrice. Tous les voyages de l’écrivain l’ont toujours ramené à ce point fixe, Paris, où il fréquente tous ceux qui, au début du siècle, sont à la recherche d’un art nouveau, dans la peinture avec Braque, Picasso, les Delaunay (fauvisme, cubisme, simultanéisme), et dans la poésie, tels Apollinaire ou Max Jacob…

       Le titre du recueil, Dix-neuf poèmes élastiques, est déjà un signe de rupture avec tout ce qui, pendant des siècles, a enfermé le poème dans une forme, en affirmant au contraire un choix d’« élasticité » du cadre et de la versification.
        Le titre du poème, lui, conduit à une perspective : des « contrastes » dans les thèmes retenus, c’est-à-dire diverses images de Paris qui s’opposent, et une poésie elle-même faite de « contrastes » avec des formes, des couleurs, des bruits qui s’opposent dans la plus grande liberté du vers.

Blaise Cendrars, le "baroudeur"

Blaise Cendrars, le "baroudeur"

Nous nous interrogerons donc sur la façon dont cet extrait met en valeur les contrastes de Paris, en procédant strophe par strophe pour mieux montrer comment ils surgissent et l’effet ainsi produit.

Première strophe 

Elle introduit un premier contraste dans les thèmes d’inspiration, où se tient le poète, observant, à travers « les fenêtres grand’ouvertes sur les boulevards », tout ce qu'il s'y passe à l'extérieur, le déroulement de la vie moderne, elle aussi faite de « contrastes ». Les allusions au luxe, « vitrines », « limousines », s'opposent, en effet, au monde ouvrier, signifié par le peintre « pocheur »,  ou les « linotypes », machines à imprimer qui permettent à la ligne imprimée de se fondre en un seul bloc.

En même temps, la métaphore du vers 1, qui transforme les « vitrines » des boutiques en celles de la poésie, crée d’autres contrastes nés des choix poétiques. Ainsi peut se réaliser un étalage de bruits opposés, « violons » et « xylophones », et de couleurs qui explosent en « taches » ; contraste aussi des images qui associent la banalité terrestre (« se lave dans l’essuie-main », « les chapeaux des femmes ») à l’immensité céleste, avec « l’essuie-main du ciel », « des comètes dans l’incendie du soir », qui se charge, elle aussi, de multiples couleurs.

Enfin, la longueur du vers libre marque, elle aussi, le contraste avec le verbe isolé, « brillent », donc mis en valeur : la poésie transfigure le réel, comme si chaque élément exposé dans les « vitrines » devenait un bijou.

Deuxième strophe 

Dès son ouverture, la strophe fait naître un monde déstructuré, fondé sur le contraste entre le mot lancé en tête, « L’unité », immédiatement démenti par la triple anaphore qui suit : « plus d’unité », « plus de temps » (les « horloges » en indiquant minuit, semblent totalement déréglées), « plus d’argent ». Le poète donne ainsi l’impression d’un monde qui a perdu tout ce qui l’organisait et lui donnait un sens.

Ce temps organisé est remplacé par l’immédiateté de l’actualité, qui pénètre la poésie, ici « la Chambre » des députés, avec ses débats de nuit, traduits par le pronom « on ». Le vers 14, qui évoque la « matière première » fait sans doute allusion aux crises coloniales, liées aux richesses minières, par exemple en 1911 les accords d’Agadir qui concèdent aux Allemands une partie du Congo en échange de la liberté pour la France d’exploiter les richesses du Maroc.

Troisième strophe 

Les lieux

 

Dans cette strophe, apparaît le contraste des lieux. Après l’allusion à « la Chambre », le poème nous transporte « chez le bistro », lieu de la vie la plus ordinaire. De même, la banalité des « rues », suggérées dans les strophes précédentes et par la mention de l’ « automobile », s’oppose aux monuments célèbres, eux aussi en opposition, des anciens, tel « l’Arc de Triomphe, aux modernes, dont le plus récent, la « Tour Eiffel ».

L'arrestation de Bonnot, in Le Petit Journal, 12 mai 1912

L'arrestation de Bonnot, in Le Petit Journal, 12 mai 1912

Les personnages

 

À cela s’ajoute le contraste des personnages parmi lesquels nous trouvons d’abord « les ouvriers en blouse bleue », c’est-à-dire tous les humbles, les anonymes, auxquels s’opposent les célébrités, tel « un bandit » célèbre. Cendrars fait ici allusion à la bande à Bonnot, célèbres voleurs qui opéraient en voiture, arrêtés en 1912, et jugés en 1913. Puis « un enfant joue avec l’Arc de Triomphe », allusion à plusieurs aviateurs qui se sont amusés à passer sous ce monument pour atterrir ensuite sur les Champs-Élysées. En août 1912 un arrêté du préfet de police de Paris interdit les atterrissages dans la capitale. En dernier vient « Monsieur Cochon ». Il s’agit de Georges Cochon, militant anarchiste (il passe 3 ans aux Bats’ d’Af’ pour objection de conscience), ouvrier tapissier, dont l’expropriation, en 1911, qu’il refusa (il tient un siège de 5 jours contre la police, en clouant des poutres en travers de la porte, en en allumant une lampe à sa fenêtre pour chaque jour de siège) conduisit à la création de la Fédération nationale et internationale des locataires. Donc « ses protégés » sont les sans-abris, que Cendrars propose plaisamment de loger « à la Tour Eiffel ».

La temporalité

 

Cendrars joue enfin sur le contraste dans les temps, passant du temps quotidien, habituel, « au café », « tous les samedis », où se déroule la « poule au gibier », jeu de loto, avec mise dont le gagnant remporte une pièce de gibier, au moment d’exception : « de temps en temps ». Il fait, de ce fait, alterner l’ancien, la tradition, et le nouveau.

Ainsi la poésie naît de ces contrastes, que l’on retrouve aussi dans les couleurs (« blouse bleue » et « vin rouge »), et mis en relief dans les vers courts d’« On joue » et « On parie ».  Ressort alors la notion de hasard : c’est lui aussi qui assemble les images, prises çà et là dans Paris.

Quatrième strophe 

Cette strophe s’ouvre sur la brutalité de l’adverbe de temps, « Aujourd’hui », affichant le désir d’une poésie de l’immédiat, de l’actuel, qui marque un nouveau contraste entre la tradition et le modernisme.

          Du côté de la tradition, se range la religion propre à ce vieux pays chrétien, identifiée par les mentions du « Saint-Esprit » et de « Saint-Séverin », une des plus vieilles églises du Quartier Latin, mais aussi « la Sorbonne », la plus ancienne université parisienne. Elle est montrée dans toute la force de sa tradition immuable à travers l’image, « Les pierres ponces […] ne sont jamais fleuries », niant toute possibilité de printemps, donc de renouveau. La permanence de la ville se traduit par l’évocation de « la Seine », fleuve symbole même de Paris. ​

    Le modernisme vient contredire cette première vision. Le « Changement de propriétaire » signalé, formule accompagnée des « plus petits boutiquiers » montre que c’est le commerce, donc l’argent, le matérialisme, qui est devenu la nouvelle valeur du monde moderne, en remplacement de la religion. De même, l’image, « l’enseigne de la Samaritaine laboure [...] la Seine », le grand magasin, symbole du commerce moderne, suggère aussi qu’un nouveau Paris pourra naître de ce sillon.

Plus violentes sont les images suivantes, par exemple l’allusion aux manifestations par « les bandes de calicot / De coquelicot ». Le rejet et le jeu sonore mettent en valeur cette fleur, rouge, symbole de la révolte. Pendant  ces manifestations, alors nombreuses, pour protester contre la loi qui voulait faire passer le service militaire à 3 ans, des banderoles étaient brandies. 

"La Samaritaine", face à la Seine et au Pont-Neuf

"La Samaritaine", face à la Seine et au Pont-Neuf

Après les couleurs lumineuses viennent les bruits. Ce sont les transports modernes, tels les « tramways » dont la 1ère ligne avait été inaugurée en 1910, que nous entendons par l’écho vocaliques du [ è ], au lieu des cloches sonnant à l’église  : « les sonnettes acharnées des tramways ».

Cinquième strophe 

Du microcosme au macrocosme

 

Avec l’arrivée de la nuit naissent les derniers contrastes, d’abord entre les lieux parisiens, énumérés : « Montrouge, gare de l’Est, Métro nord-sud, bateaux-mouches », et l’immensité du monde.

  • Ainsi, nous découvrons le microcosme parisien, illustré notamment par la « rue de Buci », rue populaire de Paris, d’où partit le cri « Vive la République » lors des journées révolutionnaires de 1848, avec barricades, d’où le lien établi avec le fait de crier les titres des journaux dans les rues. 

  • Face à lui, le macrocosme, aussi vaste que « l’aérodrome du ciel » : outre le rappel du développement de l’aviation, Paris, alors carrefour des arts, semble donc concentrer en lui l’immensité, le monde entier. Et cela nous renvoie aussi au titre Du monde entier au cœur du monde donné à un recueil qui regroupe l’ensemble de l’œuvre poétique de Cendrars, à l’image de la vie de cet écrivain.

Allumage des réverbères

Ombre et lumière

 

Le second contraste, dans cette strophe, vient des jeux de lumière et d’ombre. D’une part, on note l’opposition entre l’extrême luminosité et le flou, toujours mise en relation avec les temps modernes face à l’ancien. Ainsi le vers « Il pleut des globes électriques », où allitération de la consonne liquide reproduit la coulée de lumière, contraste avec le terme « halo », effet de la lumière qui engendre le flou, et empêche la « profondeur », la vision pénétrante, qui figure pourtant au vers suivant. D’autre part, ce même terme de « halo », atténuant la lumière, contredit l’éclat porté par l’adjectif « embrasé », mis en relief par l’apposition, et la comparaison du ciel au couchant à « un tableau de Cimabue », peintre et mosaïste médiéval célèbre pour la luminosité de ses couleurs.

Allumage des réverbères

Cette luminosité est, par la suite, elle-même contredite par l’omniprésence du noir à la fin du poème. Cendrars y place, en effet, au premier plan (« par devant ») des hommes devenus silhouettes. Les 3 adjectifs, « Longs / Noirs / Tristes », occupent chacun un vers unique, ce qui les souligne, tandis que le jeu de mots final, en associant les « cigarettes » et la fumée des usines, nous ramène au monde du travail et à ses souffrances.

CONCLUSION

 

Ce poème nous présente bien des images de Paris qui s’opposent et se heurtent, donnant ainsi l’impression d’une ville en pleine effervescence, en plein renouveau, fascinante par toutes les surprises qu’elle offre aux regards errant au hasard.

Elle est dépeinte par une poésie faite elle aussi de « contrastes », grâce à la juxtaposition des images.  C’est le procédé de base du Simultanéisme, courant parallèle aux recherches des cubistes. Or, Cendrars s’associa précisément avec Sonia Delaunay, représentante du simultanéisme, pour son long poème La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Il s’agit de désintégrer « l’unité » apparente du réel, des lieux, des objets, des êtres, pour créer un réel discontinu, où les éléments se juxtaposent comme au hasard, avec une liberté totale dans la longueur du vers. La seule unité devient donc l’espace du poème, « vitrine » donnée par le poète qui voit, écoute, lit, associe des perceptions dans une sorte de kaléidoscope mental, qui rappelle les synesthésies baudelairiennes.

Blaise Cendrars, La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France, 1913. Manuscrit peint par Sonia Delaunay

Blaise Cendrars, La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France, 1913. Manuscrit peint par Sonia Delaunay

EXPLICATION n°8 : Jacques Prévert, Histoires, 1946, "À la belle étoile" 

Prévert

Ce poème de Jacques Prévert, nouveau regard d’un poète sur Paris, a été, à l’origine, composé en 1934 pour un film de Jean Renoir, Le Crime de monsieur Lang, et mis en musique par Vladimir Kosma. Prévert l’a repris et remanié pour le recueil Histoires, recréant ainsi l’atmosphère liée à la période précédant et suivant immédiatement la 2nde guerre mondiale.

Prévert (1900-1977), par ses origines, connaît bien le Paris populaire. Marqué par le surréalisme, dont il a fréquenté les représentants dans les années vingt, il quitte le mouvement en 1928, car il ne supporte plus l’autorité de Breton. Mais il en gardera toujours le goût des images originales, la liberté de ton et le sens de la révolte. Il s’affirme alors comme un auteur engagé et militant. Il est aussi le scénariste de plusieurs films célèbres, tel Les enfants du paradis de Marcel Carné. Il se rapproche ainsi d’une poésie plus populaire par son choix d’une langue simple et familière, des rythmes proches de la chanson et des thèmes empruntés à la vie quotidienne.

Robert Doisneau, "Jacques Prévert et son chien, au bistrot quai Saint-Bernard à Paris", 1955. Photographie, 22,5 x 20,5

Robert Doisneau, "Jacques Prévert et son chien, au bistrot quai Saint-Bernard à Paris", 1955. Photographie, 22,5 x 20,5

Le titre de ce recueil en désigne le contenu. Il s’agit bien de poèmes, en vers ou en prose, dont chacun comporte une ou plusieurs « histoires », de la simple anecdote, jusqu’au conte, en passant par des « fables », représentatives de la vie quotidienne. Comment Prévert met-il en valeur sa vision personnelle de Paris ?  

Les lieux 

Pour lire le poème

Le Paris populaire

 

L’anaphore de « Boulevard » dans les quatre premières strophes situe, en effet, ce tableau dans les quartiers populaires, en compagnie de ceux qui y vivent. Prévert en recrée l’atmosphère, un peu comme un décor de théâtre qui reprendrait quelques accessoires symboliques de cette ville : le « métro aérien », « les bancs » publics, « le « réverbère », le restaurant au nom bien français « Chez Dupont » avec son enseigne qui joue sur les sonorités…

Des lieux au sens symbolique

 

Mais déjà Prévert montre sa fantaisie, en jouant sur chacun des noms des boulevards, en donnant à chaque lieu une valeur symbolique, par des associations d’idées à la façon des surréalistes.

  • Ainsi le nom du  « Boulevard de la Chapelle » confère au lieu une connotation religieuse, que complète « le métro aérien », qui semble occuper le ciel. Est ainsi mise en place une nouvelle religion des temps modernes, qui se rapproche à sa façon du ciel. Plaisamment, par antithèse, il y place « les filles très belles », l’adjectif formant une rime intérieure avec « Chapelle », ici, en fait, des prostituées, qui ne sont pas vraiment des images de piété.

Eugène Galien-Laloue, Paris, Le Boulevard de la Chapelle et le métro aérien, vers 1913. Gouache, 19 x 32. Collection particulière

Eugène Galien-Laloue, Paris, Le Boulevard de la Chapelle et le métro aérien, vers 1913. Gouache, 19 x 32. Collection particulière

  • Pour le « Boulevard Richard Lenoir », il procède aussi par antithèse, car le personnage est nommé « Richard Leblanc », et nous comprenons, par son discours, qu’il est un voyou, alors que Richard Lenoir était un industriel très riche, un des principaux négociants en coton du XIX° siècle.

  • De même, le « Boulevard des Italiens » s’oppose à « un Espagnol », cependant le fait qu’il s’agisse de deux peuples d’immigrants en France à cette époque les rapproche.

  • Enfin, pour le « Boulevard de Vaugirard », l’association sonore avec « veinard » prépare le contraste avec le « nouveau-né » qui est mort.

Prévert s’amuse donc à jouer avec les sons, à surprendre le lecteur par un décor planté rapidement et des associations d’idées antithétiques, autant de caractéristiques héritées du surréalisme.

Les personnages 

Les filles

 

C’est sur les « filles » que Prévert ouvre le poème, image traditionnelle des « p’tites femmes » de Paris, car ici on comprend vite qu’il s’agit de prostituées, vu l’association avec « les vauriens » – et si elles ne le sont pas encore, elles peuvent le devenir très vite dans cet environnement. Ainsi se crée un contraste entre le vers 1, où elles sont « très belles », encore jeunes, séduisantes, et le vers 4 avec « de vieilles poupées ». Cette expression populaire donne une vision pitoyable de ce qu’elles deviennent dans leur vieillesse, obligées de se maquiller à l’excès pour continuer à faire leur métier le plus longtemps possible. Prévert trace donc leur avenir, une condamnation à vie.  Le recours à l’argot (« faire le tapin ») restitue bien l’ambiance de ce quartier populaire.

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Le petit peuple

 

Vient ensuite le petit peuple. Avec « beaucoup de vauriens » on pense tout de suite à des proxénètes et, dans la deuxième strophe, le langage argotique du discours direct montre bien qu’il s’agit d’un jeune voyou.

Mais le poème insiste surtout sur la misère, celle des « clochards affamés », sans abri, épuisés, qui n’ont même plus la force de réagir. L’autre affamé de la 3ème strophe est l’immigré espagnol qui « fouillait les poubelles ». De nombreux Espagnols ont, en effet, émigré en France à cause de l’arrivée de Franco au pouvoir après la guerre civile de 1936. Nous noterons le douloureux jeu de mots entre l’enseigne, « chez Dupont tout est bon », et les « poubelles » : « tout est bon » au sens propre, quand on est affamé…

Robert Doisneau, Clochard, vers 1959. Photographie, 24 x 18,2

Enfin, le « nouveau-né » est mis en valeur à la fin de cette galerie de portraits. Là encore Prévert crée un effet de surprise, d’abord par l’endroit où il se trouve et son lit, « une boîte à chaussures ». Il renforce cela par le contraste entre l’alexandrin (vers 17), avec la récurrence de « dormait », et l’hexasyllabe, vers court, à la rime suivie, dont la périphrase annonce la mort du « nouveau-né » : « de son dernier sommeil ». Le lecteur s’interroge alors : pourquoi cette mort ? Il a pu mourir de misère, dans une famille qui n’avait même pas de quoi payer un enterrement ; il a pu aussi être abandonné par une fille-mère, incapable d’assumer la honte sociale, encore forte à cette époque, ni la charge d’élever seule d’un bébé.

Les portraits brossés par Prévert évoquent aussi bien la misère du Paris des années 30 que celle qui règne encore dans l’immédiat après-guerre.

Le jugement sur Paris 

Le poème est pris en charge par un narrateur, présent par le pronom « je » (« j’ai rencontré », « j’ai aperçu »), lui aussi un errant dans ce Paris populaire, dont on pourrait penser qu’il s’agit du poète…Mais la dernière strophe lui donne une autre image : lui aussi est un exclu, un marginal sans lieu pour dormir, un miséreux, ce que suggérait déjà le titre « À la belle étoile », renvoyant à l’ expression « dormir à la belle étoile ». Là encore Prévert exerce sa fantaisie en jouant sur deux expressions en parallèle, l’une existante, vivre « au jour le jour », l’autre  inventée, « à la nuit la nuit ».

La dénonciation

 

Prévert porte un regard critique sur Paris.

       D’abord ressort l’idée d’une injustice, exercée par les forts contre les faibles. La première dénonciation est celle de la police, ici en argot, « les flics ». Le recours au discours rapporté direct, tout en donnant vie au texte, souligne le plaisir que semblent éprouver des policiers abusant de leur pouvoir, presque une cruauté gratuite : « Histoire de s’réchauffer ils m’ont assassiné ». Cette mort est figurée par la rime suivie entre « Leblanc » et « sang ». Les policiers l’ont abandonné là, presque mort, et la récurrence de l’impératif « tire-toi d’ici » exprime l’idée d’un risque pour le narrateur s’il reste près de lui. On sent la complicité du personnage avec le narrateur, qu’il tutoie.

       Il dénonce aussi le racisme, plus précisément l'antisémitisme, avec le même choix du discours rapporté direct. La violence de ce discours ressort dans l’insulte « youpin » (vers 13), mise en valeur par la rime intérieure avec « pain », et celle du vers suivant, « bien ». Mais peut-on qualifier de « monsieur très bien » celui qui insulte ainsi ? Cette ironie par antiphrase permet, en fait, à Prévert d’attaquer la bourgeoisie qui n’a pas combattu la montée du nazisme, car elle était alors très imprégnée d’antisémitisme. De plus, puisque Prévert garde ce poème en 1946,  il sous-entend que l’antisémitisme n’a pas disparu, même après la découverte des horreurs du nazisme. Le titre « A la belle étoile » peut ainsi se charger d’une autre signification : l’étoile jaune porté par les Juifs sous l’Occupation.

Les sentiments exprimés

 

La sympathie du narrateur va aux victimes, pas à ceux en charge du pouvoir. Masqué derrière lui, Prévert exprime sa compassion pour tous ceux qui souffrent, nettement mise en évidence dans l’ensemble du texte. C’est particulièrement net à propos du nouveau-né, avec la récurrence de « dormait », qui exprime comme un attendrissement devant ce bébé, avec l’interjection « ah ! » et l’exclamation « quelle merveille ! », alors qu’en fait il est mort. De plus, en le qualifiant de « veinard » en conclusion, Prévert suggère que la mort vaut finalement mieux qu’une vie de misère.

La dernière strophe traduit ainsi une absence d’espoir, marquée par le contraste entre l’expression « À la belle étoile », et la question oratoire « Où est-elle l’étoile », suivie d’une réponse immédiate : « Moi je n’l’ai jamais vue ». L’explication qui suit exprime une forme de résignation : « Elle doit être trop belle pour le premier venu ». L’étoile rappelle donc ici celle de la Bible, porteuse d’un message d’espoir. Mais elle serait réservée à ceux qui en seraient plus « dignes », ceux qui sont nés riches, puissants tels les rois mages, inaccessible aux gens ordinaires du peuple, qui, eux, sont « nés sous une mauvaise étoile ». Cette interprétation se complète par le jeu de mots de l’avant-dernier vers, « c’est une drôle d’étoile », avec son double sens. 

« À la belle étoile »

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  • D’une part l’adjectif « drôle » signifie « bizarre » : étrange que cette étoile n’apparaisse jamais à ceux qui, pourtant, dorment « à la belle étoile » ! Prévert s'amuse à souligner ce  paradoxe du destin...

  • D’autre part, cet adjectif conserve son sens premier, c’est-à-dire « amusante », et forme ainsi une antithèse avec celui qui suit, « triste », répété dans le dernier vers, avec ses sonorités aiguës en [ i ] qui semblent imiter un cri de souffrance. ​

Ce poème, avec le refrain de sa dernière strophe, devient comme une chanson populaire, dédiée à tous ceux qui souffrent.

Prévert, Histoires, 1946

CONCLUSION

 

Le poète n’est plus ici l’artiste qui observe les « tableaux parisiens », comme le faisait Baudelaire, il s’y est inséré sous forme de narrateur pour en raconter les « histoires ». Chaque personnage représente un morceau de vie, une image des souffrances d’un Paris populaire, restitué dans toute sa vérité, avec son langage, sa vie, ses injustices, un Paris de la misère et de l’exclusion. Prévert se caractérise par sa poésie engagée en faveur des plus faibles.

C’est aussi une poésie simple par sa structure et ses choix lexicaux, qui adapte avec souplesse la musicalité des vers plus traditionnels, tel l’alexandrin, afin d’atteindre le cœur des lecteurs. Mais en même temps, à la suite des surréalistes, Prévert joue sur les mots, en associe les sonorités,  crée des effets de surprise, pour mettre en valeur son jugement sévère sur Paris.

Le poème chanté par Marianne Oswald

EXPLICATION n°9 : Oxmo Puccino, Le Roi sans carrosse, 2012, "Pam Pa Nam" 

Puccino

Pour lire les paroles de la chanson

Première strophe 

Abdoulaye Diarra, né en 1974 au Mali, se fait connaître sous le nom d’Oxmo Puccino en 1998 par son premier album, Opéra Puccino, disque d’or en 2006. En reprenant la rythmique scandée propre au rap, il l’associe à un travail poétique original, jouant sur les métaphores et les associations d’idées. Le titre de son sixième album, Un Roi sans carrosse, en 2012, introduit déjà une opposition entre la puissance et le dénuement. Ce sont aussi les contrastes qu’il fait ressortir dans les trois strophes de « Pam Pa Nam », deux douzains et un huitain, suivies d’un refrain, titre qui reprend le surnom familier de Paris, « Paname ». L’explication linéaire permet de montrer les variations qu’introduit le poète dans l’image, à la fois de la ville et de ses habitants.

L'image de la ville

 

Une périphrase, « une île sans mer », renvoie à la situation de Paris, dans la région nommée « île de France ». Elle introduit la métaphore, « aux vagues sèches et grises », qui image les immeubles, offrant une vision d’ensemble, froide et peu attractive. Puccimo, qui a longtemps habité le XIXème arrondissement, d’où le point de vue « [s]ur les hauteurs », celles des Buttes Chaumont notamment, développe ensuite un panorama complet, en jouant sur le double sens des expressions qui lui permettent de personnifier la ville de façon horrible, en « cannibale ».

Ainsi, il lui prête des « artères bouchées », les rues devenant le lieu de circulation du sang, mais embouteillées avec des « globules métissés », les voitures de toutes couleurs ; de même, l’expression, « les bouches du métro », illustre l'action dévorante, accentuée par les verbes, « crachent », « mangent », de ce qu’il nomme un « monstre » à la fin de la strophe. L’horreur est complétée par la mention des « mille pattes métalliques roulant » qui représentent les wagons du métro. Une autre image animalise Paris en « un escargot à la coquille dure à pénétrer », allusion à la répartition des arrondissements, mais aussi idée sous-entendue qu’il est difficile, dans cette ville inhumaine, de trouver sa place.

Les arrondissements parisiens

Cependant, le dernier vers inverse brusquement cette impression première, « Mais le monstre est beau » suggérant le plaisir de retrouver la ville «  à chaque retour ». Ainsi la strophe est liée au refrain, « Pam Pam Pa Nam / Pam Pam Nam / Pam Pa Nam », qui, scandant le rythme du rap, produit un martèlement, à double connotation, soit les coups de la violence, soit les battements d’un cœur joyeux. Puccino reprend l’appellation familière de Paris, généralement interprétée en lien avec le scandale du canal de Panama qui, à la fin du XIXème siècle, a conduit le petit peuple des maraîchers, qui devaient payer une taxe à l’octroi, à l’entrée dans la ville, à s’indigner par comparaison à tous ceux, financiers et politiques, alors appelés « panamistes », qui avaient tiré profit de la corruption. Le surnom « Paname », s’implantant au début du siècle, est donc, à l’origine, péjoratif, mais la guerre inverse cette connotation : les soldats envoyés sur le front rêvaient de leur « retour » dans la grande ville pour en retrouver ses plaisirs.

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Oxmo Puccino, image du clip, 2012

Les personnages

 

L’image du locuteur s’impose au début de la strophe, à la façon d’une autobiographie, « J'ai grandi », mais il joue aussi le rôle d’une sorte de guide, qui analyse scientifiquement sa ville : « je démontre ». C’est pourquoi, tel un guide, il interpelle son destinataire, « vous reconnaîtrez ». Il se présente aussi sous une image, souvent présente dans la littérature, celle de Rastignac lançant « À nous deux, Paris », le désir de se faire une place dans cette ville « dure à pénétrer », de s’en emparer pour en posséder les richesses : « « Sur les hauteurs, je flottais en visant les autres rives ».

               Dans cette ville, ce sont d’abord les travailleurs qu’il nous montre, ceux qui ont passé la nuit avec les métros « [q]ui à l'aube crachent des gens qui bâillent », ou se pressent vers leur lieu de travail « aux heures de pointe ».

                 Mais Paris est aussi la capitale qui attire les étrangers, touristes ou immigrés : « « les passants viennent de loin ».

         Les derniers cités, « les titis », renvoient à l’image traditionnelle du gamin parisien, dégourdi, débrouillard et volontiers insolent. Apparu dans les années 1830, et illustré par le personnage de Gavroche dans Les Misérables de Victor Hugo, le terme désigne alors les « p’tits », enfants, jeunes adolescents, qui, sans argent, traînent en bandes dans les quartiers populaires de Paris, en se moquant de tout et en n’hésitant pas à voler. Mais ils « n’ont pas le temps de leur ville » car elle s’est tellement modifiée qu’ils ne pourraient plus y trouver leur place.

Le « je » se fond alors dans un pronom collectif, « nous », faisant référence aux nouvelles bandes qui sévissent à Paris, celles des jeunes voyous : « Nous, dès qu'on veut profiter d'elle un peu la vie se complique / Courir sans la forme olympique, vous trace le regard oblique ». « Profiter » de la ville, cela exige de l’argent, quitte à voler, donc à prendre des risques, à devoir « courir » pour s’enfuir, et à avoir toujours « le regard oblique » pour surveiller les alentours. Mais l’on finit par s’habituer à ce mode de vie sous surveillance : « À force de pression constante, la tension va s'estomper ».

Émile Bayard, Gavroche, illustration des Misérables, édition Hughes, 1879-1880

Émile Bayard, Gavroche, illustration des Misérables, édition Hughes, 1879-1880

Dans ces conditions, quelle place reste-t-il au sentiment traditionnellement associé à Paris, l’amour ? L’affirmation, « Par imprudence des gens qui s'aiment, sans gare, se laissent tomber », l’efface, comme s’il n’était plus possible de le maintenir dans cette ville trop « dure », et que la rupture était inévitable. Elle est sèche et brutale, « sans gare », c'est-à-dire ou bien jeu sur l'expression "sans crier gare", ou bien sans adieu sur un quai, comme on en voit souvent dans les films, ce qui ferait de la séparation un moment passager.

Deuxième strophe 

La froideur de la ville

 

La deuxième strophe renforce cette personnification de Paris, qualifiée de « créature », mais toujours monstrueuse, une ville froide et agressive, où règne le « bitume » gris. Il met en évidence la façon dont elle ne cesse de se développer, mais, faute d’espace, sa population déborde : « Sans changer de taille il grossit au risque / De serrer sa ceinture jusqu'à déchirer le périphérique ». À nouveau Puccino joue sur les mots, les boulevards intérieurs, dits « de ceinture », amenant l’expression « se serrer la ceinture », qui, elle, suggère une vie où l’argent manque, où la population, trop nombreuse, ne peut plus survivre, obligée alors d’envahir la banlieue, en dépassant la limite du « périphérique ».

À cela s’ajoute le bruit, quand Paris se transforme en « une créature de bitume » qui « chuchote au marteau piqueur », bruit violent mais que le verbe « chuchote » affaiblit par rapport au bruit ambiant, avec un nouveau jeu sur l’orthographe qui personnifie le bruit métallique des trains : « sa voix ferrée te crie dessus ». La ville devient alors menaçante, « Quand le monstre s'assombrit, que les sourires diminuent », soit parce que la nuit tombe, avec tous ses dangers, soit à cause du climat perturbé, où la métaphore accuse l’urbanisme : « C'est à cause des gratte-ciel que les nuages éternuent / Alors l'orage gronde et la foudre précède ».

La vie des parisiens

 

La vie des parisiens est totalement dépendante de ce cadre spatial et temporel, dans lequel Puccino intègre familièrement son destinataire, familièrement tutoyé, pour l’impliquer davantage. Dans cette ville dure, pour survivre il est indispensable de se durcir, tout sentiment est une faiblesse : « les petits cœurs sont des fissures ». La ville « monstre » a aussi avalé le temps, qui semble s’accélérer, et ce rythme emprisonne alors les habitants, dévorés par la ville, obligés de s’y soumettre : « Au plus profond du « monstre » précédemment évoqué « Le temps se divise par quatre dans son œsophage / C'est lui la bête mais c'est nous qui sommes en cage ».

Puccino retrouve ainsi une image déjà observée à propos de Paris, par exemple dans la satire de Boileau ou dans la lettre persane XXIV de Montesquieu, celle d’une foule dans laquelle l’individu se sent minuscule, emprisonné, comme dans une fourmilière, par la foule qui l’entoure : « À part sur l'avenue tu feras pas dix mètres sans toucher le mur / Ou, sans qu'on te bouscule face aux fourmis, tu te sens ridicule ».

Batman-1939.jpg

Cependant, la fin du douzain, par la question rhétorique, « Après tout, que serait Batman sans Gotham ? », met en place une image différente. À l’homme écrasé par la ville, répond le personnage de Batman dans la ville de Gotham, allusion au héros de Detective Comics qui, créé en 1939 par Bob Kane et Bill Finger, est ensuite popularisé au cinéma. Batman n'est en fait qu'un humain ordinaire, qui entreprend de lutter contre le crime après avoir vu ses parents se faire assassiner par un voleur dans une ruelle de "Gotham City", image de New York ainsi surnommée par Washington Irving dans un périodique satirique de 1807. La question sous-entend donc que les excès, les monstruosités, offrent aussi à l’homme la possibilité de prendre une dimension héroïque, en entrant en lutte.

La vision finale de « l’orage » et de la « foudre » peut ainsi prendre un sens symbolique, celui de la révolte, que Paris a souvent représentée, comme dans « Orgie parisienne » de Rimbaud. Le refrain scanderait alors les coups échangés.

Batman, Detective Comics, n° 27, mai 1939

Troisième strophe 

La ville transformée

 

Plus court, le huitain contraste avec les strophes précédentes, car il remplace l’horreur par la beauté de la ville avec l’arrivée du printemps, « au mois de mai ». C’est une véritable métamorphose où la grisaille disparaît : « Même dans ses rares passages, le soleil sait se faire beau ». La froideur aussi s’efface, même si l’oxymore, « un joli fardeau », suggère que « [l]a chaleur accueillie » peut rapidement devenir étouffante au cœur de l’été. Le bitume et la pierre sont, eux, remplacés par la verdure : « Les quais sont florissants, inondés de coulées vertes ». Sont alors mis en valeur tous les plaisirs qu’offre la ville, « les terrasses », « les parcs », le fleuve avec les « bateaux-mouches », dont le jeu sur le nom crée une image de légèreté : « Agrippés aux ailes des bateaux mouches ».

Bateau-mouche en croisière sur la Seine

Bateau-mouche en croisière sur la Seine

Le triomphe de la joie

 

Cette transformation explique que la joie triomphe, en jouant sur le double nature de « capitale », adjectif et nom qualifiant Paris. La précision antéposée, « À demi nues sur les terrasses », permet de comprendre que la métonymie qui suit, « les fraîcheurs », remplace par ce mot abstrait la réalité des jeunes filles légèrement vêtues à cause de la chaleur, « admirables » en s’offrant aux yeux des passants. L’anonymat précédemment dénoncé et la bousculade des « fourmis » pressées n’existent plus puisque, comme le mettaient en valeur les surréalistes dans leur éloge de Paris, « Chaque rencontre se change en amicale découverte ». La chanson se ferme alors en généralisant cette gaieté par le pronom indéfini « on » : « Dans les parcs on pique-nique en chantant », vers qui introduit le dernier refrain, qui se charge alors d’une totalité plus joyeuse. 

CONCLUSION

 

Après cette analyse, il est utile de réécouter le morceau, pour mieux en percevoir les variations rythmiques, en observant également le lien entre les images choisies pour le clip et le sens dégagé. 

Oxmo Puccino concentre, dans son morceau, le double mouvement face à une grande ville, telle Paris. Nous y retrouvons, en effet, à travers les nombreuses images, le jeu sur le double sens des expressions, et le rythme même du rap

  • le dégoût face à une ville froide, bruyante, dont le rythme effréné accable les habitants et tue l’amour. L’époque contemporaine n’a fait, semble-t-il, que renforcer toutes les critiques formulées par ses prédécesseurs.

  • la fascination pour une ville qui, outre les moments de beauté qu’elle propose, offre de multiples promesses à celui qui réussit à y trouver sa place. Mais, pour cela, la lutte reste indispensable…

HISTOIRE DES ARTS : Paris dans la chanson réaliste 

La chanson réaliste au XXème siècle

Pour lire les paroles des six chansons

C’est au XIXème siècle – nous l’avons vu avec Béranger – que se développe la chanson réaliste, dans les rues, dans les cours d’immeubles, mais aussi, après la chute du second Empire où la censure est levée, dans les cabarets. À Montmartre, dans le cabaret « Le Chat noir », Aristide Bruant lui donne, à la fin du siècle, ses lettres de noblesse.

Mais c’est pendant l’entre-deux-guerres que s’opère une évolution significative, avec les voix de femmes qui chargent la dimension sociale réaliste d’une nouvelle tonalité, moins engagée politiquement, plus intimiste et plus tragique. Le développement du disque accompagne cette évolution, en popularisant les chanteuses. Ces chansons mettent en scène le peuple des prolétaires, tous les marginaux à la dérive, les douleurs de la misère et de l’abandon amoureux, en prenant souvent pour cadre Paris, ses quartiers populaires et ses lieux emblématiques.

Chansons

Cette étude s’appuie sur six exemples : 

  • Fréhel (1891-1951), « Où est-il donc ? », 1926, reprise en 1937 pour le film Pépé le Moko de Julien Duvivier

  • Maurice Chevalier (1888-1972), « Paris sera toujours Paris », 1939 

  • Damia (1889-1978), « La rue de notre amour », 1941

  • Édith Piaf (1915-1963), « Paris », 1949

  • Juliette Gréco (1927-2020), « Sous le ciel de Paris », 1951

  • Jacques Dutronc (né en 1943), « Il est cinq heures, Paris s’éveille », 1968

Les lieux parisiens

 

Maurice Chevalier est le seul qui ne mentionne aucun lieu parisien, en ne gardant que l’image symbolique de « la ville lumière », tandis que Fréhel, conformément à la tradition de la chanson réaliste,  évoque Montmartre, le quartier des cabarets, « le Moulin d’la Plac’Blanche », la rue des « Abbesses » et la « Place du Tertre », et son décor familier : « Mon tabac et mon bistro du coin ». C’est sans doute à ce même cadre populaire que fait allusion Damia, parlant de son « vieux faubourg », qualifié de coin romantique et fané ». Piaf élargit la vision spatiale dans son énumération, « Montparnasse, le Café du Dôme / Les faubourgs, le Quartier latin, / Les Tuileries et la Place Vendôme. », mais elle aussi s’attache à des détails emblématiques : « les marronniers », « le bois » – de Boulogne ou de Vincennes – et les bistros, avec « [l]es cafés crèmes du matin ».

La Place Blanche et le Moulin Rouge

C’est une autre image que mettent en place Gréco ou Dutronc, en lien avec un autre mode de vie. Juliette Gréco situe sa chanson dans le cœur de Paris, autour de la Seine, « fleuve joyeux » chanté par tant de poètes, « Notre-Dame », l’« île Saint-Louis ». Dutronc, au contraire, choisit deux types de lieux, d’une part ceux de la vie nocturne, tantôt plus élégants, « la place Dauphine » et « Montparnasse » avec ses « cafés », tantôt populaires, « la place Blanche » et « la Villette », d’autre part les monuments les plus célèbres, « la tour Eiffel », « l’Arc de Triomphe », et l’Obélisque ». Mais en en personnifiant certains, par exemple « la place Blanche a mauvaise mine » et « La tour Eiffel a froid aux pieds », il les transforme en personnages de la vie parisienne.

Les Parisiens

 

Fréhel hérite de la tradition du réalisme les gros plans effectués sur ceux que nous pourrions nommer les exclus. Ainsi, la première strophe englobe dans le pronom indéfini, « on y part », tous ceux qui ont concrétisé le « rêve américain », mais se retrouvent « [a]u milieu des gueus's, des proscrits, / Des émigrants aux cœurs meurtris ». La deuxième met en scène, toujours avec l’emploi du « on », l’escroc qui se retrouve, d’abord en prison, « Monsieur couch'ra ce soir au dépôt ! », puis déporté « à Nouméa ». Le petit peuple ne peut donc pas échapper à la misère, et même « les gosses à Poulbot », ces enfants, ces « titis » montrés par Puccino, perdant le cadre familier de leur quartier de Montmartre puisque l’essor économique la détruit : « Sur les terrains vagues de la butte / De grandes banques naîtront bientôt ».

Francisque Poulbot, "Les petits Poulbots de la butte Montmartre" . Illustration pour la Ligue nationale contre les taudis, 1937

Francisque Poulbot, "Les petits Poulbots de la butte Montmartre" . Illustration pour la Ligue nationale contre les taudis, 1937

La chanson réaliste présente le petit peuple parisien, notamment les clochards, cités par Damia et Gréco, qui énumère en gradation « Un philosophe assis / Deux musiciens quelques badauds / Puis les gens par milliers ». Paris est une ville active, où gravite tout un peuple mêlé, sur lequel insiste Piaf en répétant comme en un refrain « Paris, tes gamins, tes artisans, / Tes camelots et tes agents ».

La chanson de Dutronc s’inscrit aussi dans cette vision sociale de Paris, car il met l’accent sur tous les travailleurs, matinaux, parfois « banlieusards », depuis les livreurs avec leurs « camions […] pleins de lait » et les « balayeurs », jusqu’aux « boulangers », ou aux bouchers de « la Villette », en les englobant dans un même épuisement : « Les ouvriers sont déprimés / Les gens se lèvent, ils sont brimés ». Mais il nous rappelle aussi le poème de Baudelaire, « Crépuscule du matin », en nous montrant tous ceux qui vivent la nuit, « Les travestis vont se raser / Les stripteaseuses sont rhabillées », les touristes aussi qui visitent le « Paris by night ».

Les narrateurs

 

Une première différence ressort entre Juliette Gréco, qui se place en observatrice de la ville, ou Maurice Chevalier, qui, par le choix du « on » ou du « nous », s’associe à l’ensemble de la population parisienne qui vit la guerre, tandis que les autres, en employant le « je », s’insèrent dans leur description et participent aux scènes dépeintes. Mais Dutronc affiche sa vie de noctambule,  marquant le contraste entre « Il est cinq heures / Paris s’éveille » et « C'est l'heure où je vais me coucher […] Je n’ai pas sommeil », tandis que Fréhel, Damia ou Piaf mettent d’abord l’accent sur leurs sentiments. 

Place Blanche-Moulin Rouge

Fréhel exprime toute sa nostalgie d’un Paris qui n’existe plus, « en regrettant le temps jadis », celui de ce que l’on nommait « la Belle Époque », celui de la bohème montmartroise dont elle reprend même l’argot, une vie joyeuse malgré la misère : « Où sont-ils tous mes vieux bals musette ? / Leur javas au son d'l'accordéon ? / Où sont-ils tous mes r'pas sans galette ? / Avec un cornet d'frites à dix ronds ». Cette même nostalgie se retrouve chez Piaf, qui, loin de Paris – elle est alors en tournée en Amérique – évoque les souvenirs qui reviennent à sa mémoire : « On se rappelle », ranimant les images, et, surtout, les « odeur[s] », en parcourant le temps, d’ « [u] soir d’hiver » aux « matins de printemps ».

Cette nostalgie, pour Piaf, est aussi celle de temps heureux, « Paris, c'était la gaieté, Paris, / C'était la douceur aussi. », car c’était le temps des « amours » mais, contrairement à ce que ressent Fréhel, ce temps n’a pas irrémédiablement disparu : « Je pense à toi sans cesse. / Paris, je m'ennuie de toi, mon vieux. / On se retrouvera tous les deux, / Mon grand Paris... » C’est donc sur cette personnification pleine d’espoir qu’elle conclut la chanson.

Dans la chanson réaliste comme dans la littérature, Paris est souvent lié au thème de l’amour, les amours de rencontre, que suggère Fréhel lors des « bals » ou Dutronc, avec les « travestis » et les « stripteaseuses », mais, face à ces amours que Piaf rappelle avec nostalgie, au passé, Damia, elle, en chante la permanence, sur laquelle, en écho au titre, s’ouvre et se ferme la chanson : « Nous aimons toujours toujours / La rue de notre amour. » La rue est, en effet, le rappel de toute une histoire d’amour heureuse, dont la chanson déroule les épisodes successifs, sa naissance, les premiers aveux, puis la vie commune « des cœurs fidèles ». De même, de façon certes moins personnelle, toute la chanson de Gréco est un hymne à l’amour, dont la ville devient l’emblème : « Sous le ciel de Paris / Marchent des amoureux » Cet amour, même « le ciel de Paris » le ressent : « Depuis vingt siècles il est épris / De notre île Saint Louis », et le texte joue sur cette personnification pour expliquer toutes les variations climatiques, selon que le ciel « sourit », est « malheureux » ou bien « jaloux / De ses millions d’amants ».

Raymond Peynet, La Saint-Valentin-Les amoureux

Raymond Peynet, La Saint-Valentin-Les amoureux

En changeant à la fin le refrain, ce qui personnifie la ville, « Paris sera toujours Paris / La plus belle fille du monde », c’est un chant d’amour que Maurice Chevalier adresse à Paris, mais surtout un chant d’espoir alors que la guerre impose ses contraintes, ses interdits et ses restrictions : « « Plus on réduit son éclairage / Plus on voit briller son courage / Sa bonne humeur et son esprit ». La ville reste donc le modèle symbolique d’un mode de vie dont le chanteur affirme la permanence et la survie : « Sa distinction son élégance ».

Musiques et voix

 

La musique : instruments et rythme

Il est frappant de constater que les quatre chanteuses, à la façon d’une mise en abyme, associent leur vision de Paris à la musique. Fréhel se souvient des « vieux bals musettes » et « Leurs javas au son d’l’accordéon », et finit sa chanson sur un « De Profundis », un chant de deuil pour ce Paris disparu. Damia, elle, rappelle les « rengaines que chante un clochard », et même le chant d’« un moineau » en écho. C’est aussi sur « les chansons » que s’ouvre le texte de Piaf, repris ensuite par la mention des « airs légers, graves ou tendres. » Il en va de même chez Juliette Gréco, « Sous le ciel de Paris / S'envole une chanson », et la musique envahit tout le texte, en un véritable chœur, où nous retrouvons « [l]’accordéon / D’un marinier », instrument emblématique.

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C’est d’ailleurs l’accordéon qui accompagne les chansons des quatre chanteuses, omniprésent en solo chez Piaf ou à l’ouverture ou pour le refrain chez Fréhel, comme chez Damia où il ressort sur le son du piano, de la trompette et du reste de l’orchestre, et encore chez Juliette Gréco où il marque le rythme de la valse musette, rythme que nous reconnaissons aussi, mais plus lent, chez Damia et Piaf. Très différents sont les rythmes des chansons de Chevalier, influencé par le jazz et ses ruptures, et surtout, de Dutronc, accéléré par la scansion de la guitare et de la batterie, fond sonore sur lequel se détache la flûte pour marquer les instants de pause vocale.

Émile Flammarion, Intérieur d’un bal musette, 1931. Photographie

Les voix du réalisme

Comment ne pas être frappé aussi par l’évolution des voix

  • Dans la première partie du siècle, les chanteuses et Maurice Chevalier ont cet accent parisien aux inflexions significatives, celui des quartiers populaires, avec le [R] encore roulé, les [Ə] fortement prononcés, et l’allongement de la voyelle [a] chez Damia.

  • La seconde partie du siècle voit disparaître cette particularité, dans la voix gouailleuse de Dutronc ou dans la voix grave, aux inflexions sensuelles de Gréco, notamment lors du murmure répété, « Hum hum ».  

Mais les élans vocaux de Chevalier, qui veut ranimer l’espoir dans le contexte difficile de la seconde guerre mondiale, contrastent avec la plainte que fait entendre la colère de Fréhel, en alternance avec la tonalité du refrain, plus mélancolique. Cette mélancolie, caractéristique de la chanson réaliste, se retrouve chez Damia et Piaf, à la voix si particulière avec le décalage entre les élans plus aigus et les temps de gravité, approfondis et ralentis.

EXPOSÉ : Paris chez les surréalistes 

Pour lire un extrait du Paysan de Paris d'Aragon

Paris exerce une véritable fascination sur les surréalistes, car la ville représente le lieu où tout peut arriver à chaque instant, où le hasard provoque les rencontres les plus inattendues, le choc des contrastes les plus hétéroclites. Paris offre du nouveau à chaque coin de rue, et ouvre la possibilité de tous les rêves par ses contrastes architecturaux et ses éclairages nocturnes. Paris correspond donc parfaitement à ce qu’Aragon nommes, dans Le Paysan de Paris, en 1926, « le stupéfiant image ».

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Cabarets du Ciel et de l’Enfer, en bas de l'atelier de Breton, 42 rue Fontaine.

Paris, ce sont aussi les bistros où se réunissent Breton, Éluard, Aragon, Desnos, où ils écrivent collectivement des « poèmes automatiques » et remettent en cause radicalement la société, dans la recherche d’une liberté totale.

L’objectif de l’exposé est triple :

  • présenter le mouvement du surréalisme, en expliquer les principes et les principales caractéristiques ;

  • proposer une « promenade surréaliste » dans Paris, en présentant les lieux emblématiques du mouvement à l'aide d'un plan de la ville et d'illustrations ;

  • appuyer cette étude sur quelques textes représentatifs, par exemple du Paysan de Paris d’Aragon (cf. supra) ou des poèmes de Desnos.

EXPLICATION n°10 : Roger Ikor, Les Fils d'Avrom, tome II, "Les Eaux mêlées", 1955, extrait 

Ikor

Pour lire l'extrait

Roger Ikor (1912-1986) obtient le prix Goncourt en 1955 pour « Les Eaux mêlées », second tome des Fils d’Avrom, saga organisée autour de Yankel Mykhanowitzki qui, pour fuir les persécutions contre les juifs dans son petit village russe de Rakwomir, décide d’émigrer en France, pays où « tous les hommes sont libres et égaux en droit ». Les deux tomes retracent son itinéraire, puis celui de sa famille, un long parcours pour devenir de « vrais » Français. Si le héros reste profondément marqué par ses origines, son fils, Simon, lui, réalise la rupture avec sa religion en épousant Jacqueline,  fille de Baptistin Saulnier, originaire d’un faubourg proche de Paris. Il aura fallu trois générations pour que les « eaux » jaillies de sources différentes se mêlent vraiment…

Parallèlement, Ikor montre le contexte français dans l’entre-deux-guerres, avec des mentalités encore très imprégnées des traditions, puis l’atmosphère troublée de la guerre, enfin son évolution, accélérée par les enjeux de l’après-guerre : le pays est à reconstruire, l’économie repart, la natalité explose. Cet extrait se situe à cette époque, contemporaine de l’écriture. Comme souvent dans le roman, Ikor utilise son personnage, le vieux Baptistin, en promenade dans son bourg de Virelay, image du développement de la banlieue dans les années 50,  pour se livrer à une réflexion sur l’essor urbain et ses conséquences.

Roger Ikor, Les Eaux mêlées, 1955

L'opposition chronologique 

Le passé

 

Le passé renvoie à une époque déjà lointaine, ce que marque la récurrence de la formule « en ce temps-là », comme s’il s’agissait d’un temps de légende, lointain. Une allusion permet pourtant de l’identifier, celle à « la silhouette encore insolite d’une tour Eiffel toute neuve », si l’on se rappelle que ce monument fut construit à l’occasion de l’exposition universelle de 1889. Le personnage nous ramène donc à la fin du XIX° siècle, en évoquant également un moment important de son enfance, sa découverte de Paris : il avait alors « quatorze ans ».

La Tour Eiffel dans le lointain

Ce passé, antérieur à la première guerre mondiale, se caractérise par une séparation marquée entre la campagne et la ville, perçue comme lointaine. Cet éloignement était alors vécu comme une frustration, soulignée par l’exclamation : « Mais Paris semblait si loin! ». La campagne se sentait isolée, comme privée du modernisme de la ville : « on soupirait d’être si loin de la ville, on rouspétait contre la rareté des trains ». La troisième phrase du premier paragraphe reproduit même, par sa structure et ses choix lexicaux, cet éloignement. Pour « apercev[oir] » la tour Eiffel, il faut, en effet, effectuer d’abord tout un parcours (« Dans les collines, là-haut, au-dessus du plateau, quand on escaladait certains arbres ») et même alors le monument, en fonction de complément d’objet direct, est encore reculé par les groupes nominaux juxtaposés qui accentuent l’effet de flou : « à l’horizon, presque irréelle dans la brume ».

La Tour Eiffel dans le lointain

La distance se trouve donc amplifiée entre Virelay et « la VIlle » , et le paysage qui domine alors est rural, avec « verdure », « forêts », « champs ». Il induit un mode de vie traditionnel, celui du paysan avant tout attaché à sa terre : « les gens n’avaient pas la bougeotte », déclare familièrement le personnage, sur un ton un peu méprisant.

Le présent

 

Une rupture brutale est introduite par les points de suspension, à la ligne 9, qui marquent le passage au présent de l’énonciation. Le rythme de la phrase s’accélère simultanément, comme pour correspondre à un mode de vie lui aussi plus rapide.

Les indices temporels juxtaposés s’accumulent : « Maintenant, aux heures de pointes, le matin et le soir, il y a un train tous les quarts d’heure ». Cette même rapidité se retrouve dans la formule ouvrant le troisième paragraphe, « Et voici que », reprise quatre fois : les actions ainsi introduites paraissent s’enchaîner comme par magie, sans que rien ne puisse arrêter cette évolution. Le style illustre l’accélération avec l’imitation des abréviations propres aux petites annonces immobilières, jusqu’à l’exclamation mise en valeur par l’italique, « Occasion à saisir ! » qui restitue bien cette impression qu’il n’y a pas de temps à perdre.

L'essor des trains de banlieue

L'essor des trains de banlieue

Le futur

 

La troisième étape chronologique est la projection dans le futur qui, pour le personnage déjà âgé, provoque une certaine angoisse, perceptible par exemple dans la question qui ferme le premier paragraphe : « Et qu’est-ce que cela sera quand la ligne aura été électrifiée ?... » Les points de suspension créent un horizon d’attente qui, dans l’esprit du personnage, ne peut guère être favorable. Cette même inquiétude s’inscrit dans les adverbes temporels redoublés, « déjà », « bientôt », aux lignes, qui ne laissent aucune place à une pause dans cette évolution.
En fait, l’avenir est fortement associé, dès le début du passage, à une image de mort, « la mort de Virelay », « agonie finale » du peu de nature qui subsiste encore, mort surtout d’un mode de vie : « le paysan [...] s’étonne d’étouffer, citadin ». Le discours direct qui conclut l’extrait met d’ailleurs en parallèle la mort d’un cadre familier, où « ville » et « campagne » étaient bien distinctes, et celle du personnage. Même si elle est exprimée « en rigolant », sur un ton familier, l’exclamation « Bon ! je claquerai avant ! » traduit l’impuissance et la résignation d’un personnage vieillissant qui n’apprécie guère ce nouvel univers, dans lequel il ne se sent plus guère à sa place.

L'urbanisation croissante 

Ikor choisit de nous faire voir ce cadre à travers le regard de son personnage, qui, comme fréquemment chez les gens âgés, se livre à un long monologue intérieur, alternance de souvenirs de jeunesse et de réflexions sur le temps présent. Cela lui permet aussi d’utiliser le présent, celui de l’énonciation certes, mais qui donne aussi l’impression que l’évolution se produit sous nos yeux tandis que la présentation, pourtant très subjective, prend ainsi valeur de vérité générale.

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Le développement des grands ensembles HLM

L'expansion de la ville

 

La couleur grise, dominante dans le passage, est due à l’urbanisation accrue. Paris, au loin, dresse ses immeubles comme un « front pierreux », et cette pierre gagne sur la campagne : la verdure « grisaille » à cause des « routes » et des « maisons » qui les bordent. C’est même une véritable guerre qui semble être menée contre la nature, comme à grands coups de sabre : « des routes taillent et tranchent à travers la campagne, se fortifient d’une double carapace de maisons, d’un double rempart de pierre ». Le gris de la pierre s’accompagne de « l’acier » des voitures et, à la fin de l’extrait, le gris triomphe totalement : le « mâchefer », résidus des déchets du charbon et du coke, s’unit au « goudron » pour recouvrir les quelques « chemins de terre » qui restaient encore. 

De même, les formes ont perdu leurs courbes, et le troisième paragraphe restitue, par son rythme, cette rigidité du paysage : « les routes « transversales » « vont se raidir, se rectifier, et leur quadrillage rectiligne isolera des carrés vers que couperont [...] des transversales de transversales ».
Le paysage n’a donc plus rien de naturel, de coloré : il a perdu toute chaleur humaine.

La destruction de la nature

 

En même temps, sous cette poussée de l’urbanisation, l’espace paraît se rétrécir au fil de l’extrait. Le premier paragraphe ouvre encore, en effet, une perspective sur « l’horizon », et Paris se situe à une « énorme distance ». Mais le deuxième introduit déjà des restrictions, dans le raisonnement par concession mis en place. Sa première partie affirme encore, à l’aide de l’adverbe « certes », l’existence de la verdure, mais ce n’est plus qu’une illusion.

Les « kilomètres de verdure apparemment ininterrompue » ne sont, en réalité, qu’un effet d’optique, immédiatement contredit dans la phrase suivante, qui recourt à un decrescendo pour dépeindre ce nouveau décor : « les forêts ne sont plus que des parcs, les champs des terrains vagues, sinon des plaines d’épandage ». Ce decrescendo installe simultanément un crescendo dans la laideur, car les « terrains vagues » suggèrent l’abandon et la saleté, et les  « plaines d’épandage » reçoivent les eaux usées et les déchets qu’elles charrient. Le paragraphe suivant accentue ce rétrécissement, avec les « carrés verts » incessamment coupés par des routes, et il se ferme sur l’image d’une nature amoindrie, des « potagers étiques », emprisonnés « entre des palissades »  jusqu’à leur « agonie finale ». 

L'extension de Paris sur sa banlieue

L'extension de Paris sur sa banlieue

Le dernier paragraphe enfin reprend la même idée, mise en relief par les participes placés en apposition et la métaphore : avec la progression de l’immobilier « les champs, raréfiés, rétrécis, se frottent les uns contre les autres, réduits en tranches de jardin parallèles ».

Bondy : un exemple de banlieue pavillonnaire

Bondy : un exemple de banlieue pavillonnaire

L'urbanisme de la banlieue

 

Cette même réduction s’observe dans l’immobilier dans le quatrième paragraphe, puisque les annonces vont du plus vaste, et même luxueux, au plus médiocre. Le paragraphe commence, en effet, par une présentation méliorative de la banlieue à travers les exclamations successives : « Site résidentiel ! Site classé ! Belle vue sur la Seine, sur la vallée, sur les forêts, sur les collines de l’horizon ! Yachting ! Bon air !  » Cela explique que la première annonce, d’ailleurs non abrégée, soit si séduisante : « A vendre belle propriété, huit pièces, billard, garage tout confort, vue imprenable, parc de 4 000 mètres carrés, verger ! » Puis nous n’aurons plus qu’un « pavillon meulière », de « 4 pièces princ. » avec « gd. jardin, jolie vue », enfin un « terrain 350 m2″ pour lequel ce n’est plus la « vue » qui est « jolie » mais seulement l’environnement :  » jolie banl. ». 

Cette énumération se conclut par une sorte de lutte entre les constructions pour un bout de terrain, un morceau de vue : « les maisons se bousculent, se prennent l’une l’autre des coins de vue imprenable ». À la fin du passage, aucun espace ne subsiste plus entre les maisons, collées les unes aux autres puisque « se querellent les murs mitoyens ».
Quelle place pourra prendre l’humain dans ce cadre ? Il paraît condamné aux yeux de Baptistin si l’on en juge par le choix du verbe « étouffer » qui s’associe à cette évolution du « paysan » en « banlieusard » puis en « citadin ».

Des métaphores évocatrices 

Un monstre dévorant

 

Pour traduire cette urbanisation croissante, une métaphore parcourt l’extrait, déclinée sous différentes formes et lancée par l’exclamation nominale : « La ville vorace ! » Il s’agit de celle d’un monstre dévorant tout sur son passage, animé d’une force insurmontable, illustrée par le rythme ternaire : « Elle avance, elle pousse, elle gagne ». La « Ville », devenue allégorie avec sa majuscule, ressemble d’abord  à une sorte de gigantesque araignée, douée du pouvoir de « sécr[éter] » son fil pour tisser la toile qui va emprisonner sa proie, la campagne : « les fermes, bloquées, agonisent ». Ainsi « jaillissant droit de la Ville en rayons d’étoile » sont créées les routes principales, puis « perçant chaque zone, pointent et s’allongent des transversales qui sécrètent à mesure leur carapace de maisons ». Cette impression d’un monstre doté du pouvoir de détruire est accentuée par l’emploi de très nombreux verbes pronominaux, qui éliminent totalement toute intervention humaine : une force semble à l’œuvre, indépendante de la volonté de l’homme, mais irrésistible.

Une inondation

 

Dans un second temps, le monstre devient marin, une espèce de pieuvre capable de multiplier à l’infini ses tentacules, jusqu’à s’emparer de tout ce qui l’environne, en une véritable frénésie qu’imite le rythme de la phrase : « Chaque maison solitaire se dédouble, chaque bourg, chaque village, chaque hameau bourgeonne et multiplie [...] » Ainsi, sous la poussée de ce monstre se produit une véritable crue, dont le point de départ est le « front pierreux » de Paris constituant sa « première vague ». Cette vague court peu à peu jusqu’à devenir une « inondation pierreuse » à laquelle rien ne peut résister car elle sait se faire sournoise : elle « s’étend, glisse ses langues autour des points de résistance, les encercle, puis monte, monte jusqu’à les submerger ».

Face à cela, que faire ? « On se rassure, on se dit qu’on a le temps », mais l’évolution est inexorable : « un matin le paysan, déjà devenu banlieusard, s’éveille en plein faubourg industriel », conclut Baptistin. Pour lui, l'extension de la ville ne peut être que destructrice.

CONCLUSION

 

Cet extrait donne une forme littéraire à un phénomène alors en pleine expansion : l’essor de la banlieue autour de Paris, commencé pendant l’entre-deux-guerres sous l’effet combiné de l’exode rural et de la crise du logement qui sévit alors. L’agglomération parisienne s’étend alors jusqu’à une trentaine de kilomètres en de vastes zones essentiellement pavillonnaires, aux dépens des espaces naturels, agricoles ou boisés. Mais cela s’accentue encore avec le baby-boom de l’après-guerre, qui voit naître les premiers grands ensembles. Dans ce passage, l’extension est surtout dépeinte comme horizontale, mais déjà le rythme des phrases, les choix verbaux, les métaphores, en nous la faisant vivre comme « en direct », suggèrent parfaitement la menace de l'expansion urbaine pour l’environnement naturel. Notre époque permet d'en mesurer les dégâts, contre lesquels s’élèvent, notamment, les courants écologistes.

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Les constructions pour étendre l'urbanisme urbain

À travers le personnage, Ikor nous fait aussi ressentir le bouleversement que vivent alors les plus âgés. Ils rejettent cette transformation complète de leur mode de vie, parallèle à un basculement d’une France encore largement agricole à une France industrielle. 

LECTURE CURSIVE : articles sur l'écologie 

L’extrait de Roger Ikor, datant de 1955, à une époque où, après la guerre, le pays a commencé une politique de reconstruction en intensifiant le développement urbain, conduit tout naturellement aujourd’hui à une réflexion sur l’écologie, dans le domaine de ce que l’on nomme plus précisément « éco-urbanisme ».

Quatre étapes progressives sont proposées, pour permettre une recherche propre à nourrir la réflexion.

Conclusion

À partir du site « ecovilles.fr »

 

On proposera de choisir un des sujets proposés dans le sommaire, de faire un résumé de l’article correspondant, soit pour nourrir le « dossier de lecture » personnel, soit pour en faire une rapide présentation orale.

À partir du site de Science et Vie : « Biodiversité : vive la ville ! », 2018

 

Le site offre un dossier, riche en documents d’informations statistiques et en graphiques, dont l’observation permet de poser les enjeux du débat. Mais on n’entrera pas dans le détail du sommaire en fin de dossier.

Jean-Paul Thibaud, « Vers une écologie ambiante de l’urbain », Open Edition Journals, volume 13, 2018

 

La lecture exige d’abord de s’assurer de la compréhension lexicale, en cherchant le sens des mots soulignés. Puis on fera un relevé des différents aspects de la ville que met en évidence l’article. Enfin, on s’interrogera sur les deux questions qu’il soulève autour de la notion d’« ambiance ».

Un travail d’écriture d’appropriation peut alors être proposé sur « l’ambiance » qui serait souhaitable pour un des

aspects ici cités, à choisir librement.

Pistes pour la correction

On peut alors se demander comment les ambiances participent de diverses figures de la ville contemporaine : de la patrimonialisation de la ville historique aux nouvelles scènes de la ville créative, du design fonctionnel de la ville mobile à la végétalisation de la ville durable, de la climatisation de la ville souterraine à l'animation de la ville événementielle, du conditionnement de la ville marchande à la gentrification de la ville centre, autant d'interventions singulières qui participent de l'esthétisation ambiante en donnant le ton à de tels espaces. Assistons-nous alors à l'émergence d'une ambiance-manifeste, attentive à devenir la vitrine de l'urbain, exposant une image de marque séduisante, et soucieuse d'afficher un environnement attractif ? L'ambiance serait-elle devenue un domaine à montrer et à exposer ? Une pluralité de mondes urbains se déploie ici, et l'ambiance y joue un rôle spécifique dans chacun d'eux, dans sa capacité à les installer, à les qualifier et à les faire vivre. On le comprend, les modes d'existence des ambiances urbaines sont multiples et variés, jouant aussi bien des milieux naturels que des environnements artificiels. 

Zélia Darnault, site "Demain la ville" : « La ville sensorielle, une ville plus humaine à l’échelle de l’homme », 25 juin 2020

 

Cette recherche peut se terminer par la lecture collective des pistes avancées dans l’article de Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique, qui s’intéresse précisément à la question de « l’ambiance » urbaine, par les réponses originales à la question : « comment davantage prendre en compte l’utilisation des sens dans l’espace urbain ? »

HISTOIRE DES ARTS : la ville futuriste dans la bande dessinée 

Pour analyser la B.D.

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Après les réflexions autour de l’écologie, il est intéressant d’observer la façon dont les créateurs de bandes dessinées, dès le début du XXème siècle, ont, eux, imaginé et représenté la ville du futur

Pour préparer cette étude, on se reportera à un site proposant les moyens d'analyse de la bande dessinée.

On consultera ensuite, avant d'observer le diaporama, le remarquable panorama effectué dans le site « Demain la ville », qui procède en deux temps :

  • 1ère partie : la période allant des origines de ce thème aux années 70 ;

  • 2nde partie : les réalisations à la fin du XXème siècle et au XXIème siècle.​

Pour voir un diaporama 

DEVOIR : le commentaire littéraire 

Pour lire l'extrait

Rédiger un commentaire construit de l'extrait d' "Ariane", nouvelle tirée du recueil de Jean-Marie Gustave Le Clézio, La Ronde et autres faits divers, paru en 1982.

Pour voir une proposition de correction 

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