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Le progrès : espoir ou menace, du XIX° siècle au XXI° siècle ? 

Présentation de la séquence

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La séquence proposée intègre les quatre éléments figurant dans le programme des lycées :

- le "parcours littéraire", organisé autour de cinq textes donnant lieu à une explication ;

- le "groupement de textes complémentaires" : les documents complémentaires proposés offrent un large choix pour constituer un corpus cohérent et propre à éclairer les enjeux du débat et à mesurer son évolution.

- le "prolongement artistique et culturel": plu-sieurs documents complémentaires permettent de mesurer l'héritage antérieur au XIXème siècle, mais aussi d'élargir la perspective en abordant l'histoire des arts à partir de documents iconographiques variés. 

- une "lecture cursive", personnelle, qui peut être reprise collectivement ou être librement insérée dans un "carnet de lecture", être guidée ou en totale autonomie, éventuellement être le support d'un travail d'écriture spécifique.

Plusieurs activités, écrites ou orales, sont suggérées qui peuvent faire l'objet d'une séance collective, préparée ou abordée directement, ou d'un travail personnel destiné, lui aussi, à nourrir le "carnet de lecture" ou à donner lieu à un exposé oral.

Mais, outre celles directement liées à l'explication des textes (questions préparatoires ou de synthèse), bien d'autres peuvent être envisagées afin de solliciter la créativité des élèves et d'accroître la participation : table ronde, procès, débat... 

La séquence propose un choix de devoirs pour s'entraîner à l'épreuve écrite du Baccalauréat : un commentaire littéraire, et une contraction suivie d'un essai. Mais un autre devoir peut être élaboré, soit pour une évaluation formative, notamment à partir d'un ou plusieurs documents complémentaires, soit pour une évaluation sommative, en fin de séquence.

Il convient de ne négliger ni l'introduction, ni la conclusion. L'introduction permet à la fois de réactiver les apprentissages antérieurs, de mesurer l'héritage littéraire, et de prendre la mesure des enjeux de la séquence. La conclusion doit, en permettant aux élèves d'exercer leur esprit critique, donner sens à l'étude effectuée. 

Introduction : "Le progrès : espoir ou menace ?" 

Approche lexicale 

Pour étudier le sens et la connotation

 du mot "progrès": site CNRTL

Étymologie

L’étude est effectuée à partir d’une observation du site CNRTL : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

Le mot vient du latin « progressus », participe passé du verbe « progredior » dont le préfixe indique le sens : marcher en avant. Le terme a, à l’origine, un sens concret, pour qualifier, par exemple, la marche d’une armée, ou celle du soleil de son lever à son coucher.

Synonyme de son dérivé, « la progression », il prend rapidement un sens mélioratif pour traduire un changement d’état vers le mieux, le passage à un état supérieur : au singulier ou au pluriel, il marque un développement, quantitatif ou qualitatif, tel le jugement sur « le/s progrès d’un élève ».

Son antonyme est « la régression ».

Introduction

Du concret à l'abstrait

Au XVIIIème siècle, avec la réflexion des philosophes des Lumières et leur volonté d’améliorer à la fois leur société et l’esprit de homme lui-même, le mot s’emploie davantage dans un sens abstrait, parfois même avec majuscule : il exprime un processus d’évolution vers un terme posé comme idéal, comme l’illustre le titre de l’essai de Condorcet, paru en 1794, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain. Au XIXème siècle encore, Proudhon peut écrire : « Il y a progrès continuel du genre humain vers la vérité, et triomphe incessant de la lumière sur les ténèbres. » (Qu'est-ce que la Propriété, 1840)

C’est alors que se met en place le débat entre « espoir » et « menace », entre ceux qui croient ce progrès possible et utile et ceux qui, au contraire, considèrent qu’il risque de nuire à l’homme et à son environnement.

Le mot poursuit son évolution au XIXème siècle : il s’inscrit, notamment, dans les domaines politique et économique, opposant ainsi deux partis politiques, les « progressistes », qui recherchent ce qu’ils jugent être une amélioration pour la société, et les « conservateurs » qui nient l’intérêt de modifications, dangereuses même à leurs yeux. Les découvertes scientifiques et les améliorations techniques jouent alors un rôle primordial dans cette foi dans le progrès – ou dans son refus, et le XXème siècle ne fait que développer ce débat.  

L'héritage antique : Ovide et Platon 

Pour lire les deux extraits

Pour concevoir l’idée de « progrès », il faut pouvoir poser l’image d’un monde idéal, dont il s’agirait alors de se rapprocher.

Dans l’antiquité grecque, cette image a pris deux formes, opposées par leur temporalité :

         Du poète grec Hésiode, qui le raconte dans deux de ses œuvres, Les Travaux et les Jours et La Théogonie, le poète latin Ovide hérite le mythe de l’âge d’or, repris dans le livre I des Métamorphoses, datant de l’an 8. Mais cet « âge d’or » – comme plus tard l’Eden chrétien – a disparu, remplacé, en une décadence continue, par l’âge d’argent, d’airain et de fer. Si l’on suit cette conception, le « progrès » ne serait plus une « marche en avant », mais un retour en arrière, afin d’éliminer les vices et les défauts qui se sont peu à peu implantés en l’homme et dans la société.

         La démarche est inversée dans La République de Platon. Dans son dialogue imaginaire avec ses disciples, notamment le jeune Glaucon, frère aîné de Platon, le philosophe Socrate développe, en effet, quelle serait l’organisation et le fonctionnement d’une cité idéale, corrigeant les défauts de celles existantes. Il se projette donc dans l’avenir, mettant en place une utopie, le rêve d’un lieu parfait qui reste à construire.

Ovide : « Les quatre âges de l’homme »

L’âge d’or (lignes 1-20)

La société est alors fondée sur deux valeurs : ils « gardaient volontairement la justice et suivaient la vertu sans effort ». Cela induit l’absence de « lois menaçantes », et l’inutilité de toute institution judiciaire. Ce monde idéal est clos, fermé sur lui-même : « Les mortels ne connaissaient d'autres rivages que ceux qui les avaient vus naître. » Est soulignée l’abondance d’une terre fertile où la nature suffit à tous les besoins : « La terre, sans être sollicitée par le fer, ouvrait son sein, et, fertile sans culture, produisait tout d'elle-même ». De ce fait, aucun matérialisme, aucune avidité : l’homme y est « satisfait des aliments que la nature lui offrait sans effort ». 

Lucas Cranach l’Ancien, L’Àge d’or, vers 1530. Huile sur panneau, 75 x 103,5. National Gallery, Norvège

Lucas Cranach l’Ancien, L’Àge d’or, vers 1530. Huile sur panneau, 75 x 103,5. National Gallery, Norvège

Dans un éternel printemps, la description s’inscrit dans le merveilleux avec « les fleurs écloses sans semence », « des fontaines de l’air, des fleuves de nectar ; et de l'écorce des chênes le miel distillait en bienfaisante rosée. » Enfin, bien sûr, pas de guerres : « On ignorait et la trompette guerrière et l'airain courbé du clairon. On ne portait ni casque, ni épée ».

L’âge d’argent (lignes 21-30)

C’est au climat qu'est dû le changement de cet « âge inférieur », avec l’apparition des « quatre saisons » : le froid, ou la chaleur extrêmes, obligent les hommes à la fois à se construire « des abris », et à peiner pour cultiver la terre.

Les âges d’airain et de fer (lignes 31-50)

L’âge d’airain, rapidement évoqué, est marqué par un changement en l’homme lui-même : « Les hommes, devenus féroces, ne respiraient que la guerre ».

L’ultime stade de cette évolution, « l’âge de fer », offre une vision bien sombre de l’humanité, en proie aux plus terribles vices : « dominèrent l'artifice, la trahison, la violence, et la coupable soif de posséder. » C’est cette avidité qui entraîne à la fois une quête effrénée de richesses, notamment de l’or, cause de guerres meurtrières, y compris au sein des familles. Plus rien n’est alors sacré.

Piero della Francesca, La Cité idéale, entre 1486-1492.  Peinture sur bois,   60 x 200. Galleria nazionale delle Marche, Urbino

Platon, «  La cité idéale »

Les dix livres de La République mettent en place un dialogue qui révèle la maïeutique chère à Socrate : ce jeu de questions-réponses est destiné à faire « accoucher » le disciple de la vérité.

Piero della Francesca, La Cité idéale, entre 1486-1492.  Peinture sur bois,

60 x 200. Galleria nazionale delle Marche, Urbino

Quelques qualités de la cité idéale (lignes 1-28)

Dans les livres précédents, Socrate a longuement expliqué comment sera organisée la cité, le rôle et la formation de ses dirigeants et de ses soldats, l’union entre les citoyens, et même la place accordée aux femmes. Toutes ces images s’opposent aux réalités de la Grèce de ce temps. Les soldats se distinguent par leur humanité, notamment pour épargner des souffrances aux civils, et même à l’égard des ennemis. Ainsi est proposée « une loi interdisant aux gardiens de dévaster les terres et d'incendier les maisons. » L’union établie au sein de la cité est aussi une garantie de sa survie. Le lexique mélioratif, dans l’intervention de Glaucon insiste sur la perfection de cette cité : « de bons effets », « tous ces biens », « d’autres avantages », jusqu'à une hyperbole, « tous ces avantages et mille autres ».

Mais c’est précisément cette perfection qui fait naître des doutes dans l’esprit du disciple, interrogeant alors le philosophe, à plusieurs reprises, pour savoir « si pareil gouvernement est possible et comment il est possible ».

L'utopie (lignes 29-79)

Cet extrait pose, en effet, la question du rôle de l’utopie, lié à sa nature même. L’idée qu’il soit possible d’atteindre une société idéale n’est-elle pas qu’une illusion, impossible à concrétiser : « Essayons plutôt de nous convaincre qu'une telle cité est possible, de quelle manière elle est possible » ?

Pour répondre à cette objection, Socrate définit l’utopie comme un « modèle », dont il faut essayer de se « rapproche[r] le plus possible », distinguant ainsi la réflexion philosophique, qui a le droit de rechercher l’idéal, de son application concrète, qui n’appartient pas au philosophe : « notre dessein n'était point de montrer que ces modèles pussent exister. »

En passant par une analogie avec l’art du peintre – la beauté d’un portrait ne dépend pas de l'existence réelle d'un beau modèle – il conclut en conduisant son disciple à admettre que le discours du philosophe, l'utopie élaborée, ne tire pas sa valeur de sa réalisation concrète : « Est-il possible d'exécuter une chose telle qu'on la décrit ? Ou bien est-il dans la nature des choses que l'exécution ait moins de prise sur le vrai que le discours […] ? »

En concluant sur une injonction, « Ne me force donc pas à te montrer parfaitement réalisé le plan que nous avons tracé dans notre discours », Platon cautionne l’utopie : elle ne tire sa valeur que de la justesse des fondements sur lesquels elle se développe. Il ouvre ainsi un vaste horizon à l’imagination des penseurs qui veulent dénoncer leur époque et améliorer leur société.

Histoire des arts : la sculpture 

Miguel Angel Trilles, Le Progrès, 1922. Monument d’Alphonse XII, Parc du Retiro, Madrid

Cette sculpture fait partie du monument conçu par l’architecte José Grases Riera, en hommage au roi Alphonse XII, et inauguré en 1922. Construit dans le parc du Retiro à Madrid, face à un vaste bassin, il présente, en arrière-plan, une double colonnade ionique en hémicycle. En son centre un haut piédestal est surmonté d’une statue équestre du roi. Son socle offre quatre sculptures allégoriques représentant la Patrie, la  Paix, la Liberté et le Progrès. C'est cette dernière qui est étudiée. 

Pour voir un diaporama d'analyse

Miguel Angel Trilles, Le Progrès, 1922. Monument d’Alphonse XII, Parc du Retiro, Madrid

Espoir ou menace ? 

L'argumentation 

L’enjeu de la question posée sur « le progrès » implique un débat, donc une argumentation. Il est indispensable de réactiver les acquis dans ce domaine, en rappelant la différence entre « convaincre », qui concerne la logique de la démarche, et « persuader », qui vise à toucher les sentiments du destinataire par des procédés d’écriture.

On mettra en place les bases de l’analyse, en réservant l’approfondissement pour l’étude des textes, ce qui permettra de formaliser les acquis dans la conclusion.

Pour revoir l'argumentation

Espoir-menace

Histoire littéraire : l'héritage antérieur 

La Renaissance

L’observation du tableau conduit à dégager l’opposition entre

  • L’élan qui marque les débuts de la Renaissance avec l’essor des techniques, notamment l’imprimerie qui permet la diffusion des connaissances, et les grandes découvertes : l’époque ouvre un large espoir de progrès.

  • Le frein brutal apporté par les guerres de religion : elles introduisent un doute. L’humanité est-elle vraiment capable de s’améliorer et d’améliorer sa société ?

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Prévost, le fontispice de l'Encyclopédie, BnF

Le XVIIIème siècle : le "siècle des Lumières"

Cette expression traduit d'abord la volonté de sortir la population des "ténèbres" de l'ignorance, donc de diffuser largement les connaissances afin d'"éclairer", notamment, ceux qui exercent un pouvoir au sein de la monarchie. Mais cette diffusion concerne tous les milieux sociaux, aussi bien les privilégiés qui fréquentent les salons parisiens, tels ceux de Mme Du Deffand, de Mme de Tencin ou de Mme Geoffrin, que ceux qui se réunissent dans les cafés, comme le "Procope" à Paris, les clubs, les loges de la Franc-Maçonnerie, les lecteurs des "gazettes", puis, en 1777, du Journal de Paris, le premier quotidien. C'est aussi le rôle que se donne l'Encyclopédie, ouvrage emblématique du siècle.

Mais le terme de "Lumières" qualifie aussi les hommes "éclairés", intellectuels, artistes, "philosophes", qui réfléchissent sur la société, en critiquent les abus et les injustices, imaginent les utopies d'un monde meilleur, et proposent des idées en faveur de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, notions fondatrices de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, proclamée en 1789.

L'esprit des Lumières représente donc un nouvel élan humaniste, qui veut replacer l'homme au centre des préoccupations, à la fois en tant qu'être doté de raison, capable d'esprit critique, mais aussi qu'"âme sensible", dont il faut toucher l'imagination et le cœur.

Prévost, le fontispice de l'Encyclopédie, BnF

EXPLICATION DU FRONTISPICE DE L'ENCYCLOPÉDIE

SOUS un Temple d’Architecture Ionique, Sanctuaire de la Vérité, on voit la Vérité enveloppée d’un voile, et rayonnante d’une lumière qui écarte les nuages et les disperse.

À droite de la Vérité, la Raison et la Philosophie s’occupent l’une à lever, l’autre à arracher le voile de la VÉRITÉ.

À ses pieds, la Théologie agenouillée reçoit sa lumière d’en-haut.

En suivant la chaîne des figures, on trouve du même côté la Mémoire, l’Histoire Ancienne et Moderne ; l’Histoire écrit les fastes, et le Tems lui sert d’appui.

Au-dessous sont groupées la Géométrie, l’Astronomie & la Physique.

Les figures au-dessous de ce groupe, montrent l’Optique, la Botanique, la Chimie et l’Agriculture.

En bas sont plusieurs Arts & Professions qui émanent des Sciences.

À gauche de la Vérité, on voit l’Imagination, qui se dispose à embellir et couronner la VÉRITÉ.

Au-dessous de l’Imagination, le Dessinateur a placé les différents genres de la Poésie, Épique, Dramatique, Satirique, Pastorale. Ensuite viennent les autres Arts d’Imitation, la Musique, la Peinture, la Sculpture et l’Architecture.

Diderotile.

Nicolas de Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès humains, 1794-96, époque X : « Des progrès futurs de l’esprit humain » 

Malgré le terme introducteur du titre, « esquisse », qui suggère un travail sommaire, schématique, une première approche d’un sujet, l’essai  de  Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, est une œuvre ambitieuse : ses « époques » parcourent l’histoire, depuis que « Les hommes sont réunis en peuplades » (Première époque) jusqu’à « la République Française », la dernière et dixième « époque » Intitulée « Des progrès futurs de l’esprit humain », apporte à l’ouvrage sa conclusion, une projection dans un avenir qu’il voit radieux

Pour lire l'extrait

Nicolas de Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès humains, 1794-96, époque X : « Des progrès futurs de l’esprit humain » 

Condorcet assigne à l’humanité un triple objectif, en decrescendo pour le domaine ciblé mais en gradation pour l’ambition formulée : « la destruction de l’inégalité entre les nations », « les progrès de l’égalité dans un même peuple » et « le perfectionnement réel de l’homme ».

La série d’interrogations qui suit précise les progrès qui restent à accomplir pour atteindre ces objectifs, et la récurrence du verbe « devoir » est déjà une façon de récuser une forme de fatalisme, de résignation face aux situations actuelles de « servitude », de « barbarie ». Un champ lexical péjoratif pour dépeindre toutes ces « inégalités », par exemple « dépendance », « humiliation », « appauvrissement », « préjugés », « stupidité », « misère »…, s’oppose à l’optimisme manifesté par Condorcet. Le passage s’ouvre, en effet, sur le terme d’« espérances » repris dans la dernière phrase, « la nature n’a mis aucun terme à nos espérances », et renforcé par le choix du futur de certitude : « nous trouverons ».

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Comme tous les philosophes des Lumières, et comme leurs prédécesseurs de la Renaissance, Condorcet considère donc que l’homme est perfectible, perfection qu’il fonde sur sa nature même d’être doté de raison. N’est-ce pas le développement de sa raison qui lui a permis d’atteindre « l’état de civilisation où sont parvenus les peuples les plus éclairés, les plus libres, les plus affranchis de préjugés, tels que les français et les anglo-américains », éloge hyperbolique des peuples libérés par leur révolution ?

Pour préciser les sources possibles de ces progrès, Condorcet pose trois hypothèses, introduites par « soit ».

Fête de la Raison à Notre-Dame en 1793. Eau-forte, 1793. BnF

  • La première révèle sa confiance en « de nouvelles découvertes dans les sciences et dans les arts », sources « de bien-être particulier et de prospérité commune ».

  • La deuxième pose l’idée d’un progrès moral.

  • La troisième, soutenue par une gradation, est encore plus ambitieuse : « le perfectionnement réel des facultés intellectuelles, morales et physiques […], ou de celui des instruments qui augmentent l'intensité et dirigent l'emploi de ces facultés, ou même de celui de l'organisation naturelle de l'homme ? » C’est véritablement la naissance d’un homme nouveau qu’imagine ici Condorcet.

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755 : extrait 2nde partie 

En réponse à un concours proposé par l’Académie de Dijon en 1753, Rousseau compose son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, publié en 1755, avec comme objectif de réfléchir sur l’histoire humaine pour « montrer dans son perfectionnement prétendu la véritable source de ses misères. »

Le discours se divise en deux parties. Le première dépeint l’état de « nature », état originel de l’homme ; la seconde étudie l’état de « culture », état social où la propriété engendre toutes les inégalités.

Pour lire l'extrait

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L’homme primitif

Comme il n’a que des besoins naturels, s’alimenter, se protéger des rigueurs du climat, la nature offre des ressources suffisantes pour les satisfaire. De plus, ses  désirs sont limités, il peut donc se suffire à lui-même : « ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains ». Mais il n’est pas pour autant un animal : il sait « se parer », se « peindre le corps de différentes couleurs », « embellir » leurs arcs et leurs flèches et faire de la musique. Rousseau met ici en place ce qu’on nommera le « mythe du bon sauvage » : « ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature ».

L’homme en société

Le connecteur « mais » souligne l’inversion du portrait. Elle vient de l’homme lui-même, du désir d’« un seul » d’avoir « des provisions pour deux ». Outrepassant les limites de la nature, l’homme perd sa liberté originelle : il a « besoin du secours d’un autre ». Parallèlement,  il accuse deux « arts » découverts : « la métallurgie et l’agriculture », reprises par « le fer » et « le blé ». L’homme, en effet, modifie ainsi son environnement naturel, et l’économie se développe.

Les conséquences sont, selon Rousseau, toutes négatives. L’homme n’est plus seul face à la nature, les rapports de force séparent les hommes qui doivent protéger leurs possessions : « l’égalité disparut » et « la propriété s’introduisit ». On passe ainsi de l’idée de survie à celle de production, donc « le travail devint nécessaire », dont Rousseau donne une image douloureuse avec « la sueur des hommes » et « on vit bientôt l’esclavage et la misère croître avec les moissons. »​

La révolution qui s’est déroulée du 22 au 25 février 1848 a conduit le roi à abdiquer et a établi la deuxième République. Hugo a été élu député de la Seine quand s’ouvre, à l’Assemblée nationale législative, un débat sur les lois concernant la prévoyance et l’assistance publique. Nous avons ici la transcription exacte du discours que Victor Hugo, prenant la parole en premier, prononce devant les parlementaires.

Ce discours suit la démarche argumentative d’ensemble fixée à cette forme d’expression depuis l’antiquité. Après un exorde destiné à capter l’attention de son auditoire, Hugo passe à la narration des exemples, suivie de son argumentation, rapide ici. Le discours se clôt par une péroraison, afin d’entraîner l’adhésion de ses collègues.

Par quels procédés Hugo, en dénonçant la misère et en incitant les parlementaires à agir, cherche-t-il à communiquer sa confiance en un progrès social possible ?

Hugo

Victor Hugo : « Détruire la misère », discours du 9 juillet 1849 à l’Assemblée nationale 

Pour lire l'extrait

Hugo à la tribune de l'Assemblée pour le centenaire, en 1878, de la mort de Voltaire

Hugo à la tribune de l'Assemblée pour le centenaire, en 1878, de la mort de Voltaire

La dénonciation de la misère 

La présentation des exemples

Pour soutenir une argumentation, les exemples sont essentiels, et, en les introduisant, Hugo insiste sur leur réalité par la répétition du mot « faits ». Son annonce inscrit ce tableau de « la misère » dans le registre pathétique par la reprise des interrogations rhétoriques dans une gradation spatio-temporelle soutenue par les anaphores : « voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au moyen-âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ? » Ce ton pathétique est d’ailleurs renforcé par le rythme de la parole, signalant dans la transcription que « [l’]orateur s’interrompt », comme s’il reculait devant une terrible description, et par l’image médicale saisissante : « Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ? » Mais il révèle déjà ainsi l’objectif de son discours : il s’agit bien de « guérir » une société malade, donc d’une démarche qui croit en la possibilité d’un progrès.

Des exemples saisissants

Pour ne pas lasser son auditoire, Hugo se limite à trois exemples, de plus en plus courts, mais d’une intensité croissante, marquée par sa façon de les introduire : on passe de la formulation neutre, « Voici donc ces faits », à une question plus insistante, « En voulez-vous d’autres ? », pour finir sur une hyperbole : « Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? » 

La vie du peuple parisien

Le premier exemple est une vision générale de la misère qui règne alors « dans ces faubourgs de Paris », avec une énumération, « des rues, des maisons, des cloaques », qui se ferme sur une métaphore répugnante : un « cloaque » désigne un égout, un endroit prévu pour collecter les eaux sales, les ordures, tous les immondices. Cette généralisation se traduit aussi par l’ensemble du peuple, ce que traduisent la répétition et l’énumération : « des familles, des familles entières », « hommes, femmes, jeunes filles, enfants ». Le même procédé pour amplifier cette vision pathétique se retrouve dans une autre énumération : « n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtement ». 

Karl Girardet, « La visite des pauvres », 1844. Dessin in « Le Magasin pittoresque »

Karl Girardet, « La visite des pauvres », 1844. Dessin in « Le Magasin pittoresque »

La description cherche, par un vocabulaire de plus en plus imagé, « des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes », à provoquer à la fois le dégoût des parlementaires et leur pitié par la vision finale : « des créatures s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver. » Il donne déjà l’impression que la mort menace.

Norbert Gœneutte, La Soupe du matin, 1880. Huile sur toile, 115 x 165. Musée d’Orsay, Paris

Les intellectuels

Pour que les parlementaires, donc des hommes éduqués, se sentent davantage concernés, son deuxième exemple met en scène « les professions libérales » et non plus les seules « professions manuelles », dont la situation misérable pourrait être jugée comme plus « normale ». Il ne s’agit plus alors d’évoquer les conditions de vie, mais de renforcer l’image d’une mort atroce : « un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. »  La « [l]ongue interruption » qui suit cet exemple, laisse cette vision terrible marquer l’esprit de ses destinataires.

Norbert Gœneutte, La Soupe du matin, 1880. Huile sur toile, 115 x 165. Musée d’Orsay, Paris

La faim

Le dernier exemple, malgré sa brièveté, est rendu saisissant, d’abord par le fait qu’il s’agit d’« une mère et ses quatre enfants », puis par la précision géographique. Déjà Montfaucon reste un lieu symbolique dans l’imaginaire français, associé aux pendaisons et exécutions pratiquées jusqu’en 1760, puis cimetière destiné aux criminels exécutés en place de Grève. 

Jean Fouquet, Les Grandes Chroniques de France, « Montfaucon » vers 1460. Détail d’une enluminure, BnF

Jean Fouquet, Les Grandes Chroniques de France, « Montfaucon » vers 1460. Détail d’une enluminure, BnF

Au XIXème siècle, Montfaucon ne sert plus de cimetière, mais est devenu une fosse géante qui recueille le contenu de toutes les fosses d’aisance de Paris, excréments ensuite transformés en engrais agricole, et les cadavres d’animaux. D’où le résumé brutal dans l’exclamation : ils « cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon ! » On imagine aisément  les dégâts que peut provoquer une nourriture récoltée dans un tel lieu !

La démarche argumentative 

Argumenter de façon efficace, pour que le destinataire adhère à la thèse défendue par l’orateur, exige d’associer l’art de convaincre, de faire appel à la logique, et l’art de persuader, de faire appel aux sentiments

L'énonciation

L’implication de l’orateur

Le « je » s’impose dès le début du passage, « Je ne suis pas », « Je suis », et s’affirme tout au long du discours, « Je ne dis pas », « Je dis », jusqu’à la conclusion, avec l’anaphore de « je voudrais ». Ainsi, son discours donne une image d'un orateur engagé, grâce à la transcription qui suggère son comportement, ses gestes, l’intonation de la voix. L’énergie qu’il met à soutenir sa thèse se reconnaît dans la multiplication des exclamations, dans l’élan donné par les énumérations en gradations, par les anaphores. En se dépeignant comme « pénétré » de son sujet, il témoigne de la valeur qu’il accorde à son rôle de parlementaire, évoquant, par exemple, sa « proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation des classes laborieuses et souffrantes en France » et le débat en cours, « la haute importance de la proposition qui vous est soumise. » Mais cela n’empêche pas son émotion, bien au contraire. Elle est soulignée par les moments de suspens (« L’orateur s’interrompt », « Longue interruption »), par l’interjection, « Eh bien », ou l’apostrophe douloureuse, « Mon Dieu », et observable par ses choix lexicaux qui accentuent le pathétique de la situation décrite.

Quillembois, « Hugo à la tribune », in Le Caricaturiste, n°22, 28 octobre 1849

L’implication des destinataires

Hugo met donc toute sa maîtrise de l’art oratoire pour retenir l’attention de ses destinataires qu’il interpelle à plusieurs reprises, avec force : « Remarquez-le bien, Messieurs ». Cependant, il prend soin de ne pas se placer en position de supériorité face à eux, de ne pas jouer les donneurs de leçon, en partageant avec eux une forme de culpabilité : « Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire ». Il tente aussi de dépasser les jeux des partis politiques, en englobant tous ses destinataires dans la décision à prendre : « Je voudrais que cette assemblée, majorité et minorité, n’importe, je ne connais pas, moi de majorité et de minorité en de telles questions ; je voudrais que cette assemblée n’eût qu’une seule âme ».

Quillembois, « Hugo à la tribune », in Le Caricaturiste, n°22, 28 octobre 1849

La transcription, qui indique les réactions de ses collègues, révèle l’efficacité de sa stratégie. Au début, les « [m]ouvements divers », et surtout les « [n]ouveaux murmures à droite », révèlent les réticences des opposants au projet de loi, voire leurs doutes : « Comment ? Comment ? ». Mais peu à peu, nous n’entendons plus cette désapprobation, les approbations de ses partisans dominent : « Oui ! oui ! à gauche », « Très bien ! très bien ». Le terme choisi dans la transcription, « Sensation », signale qu’il a effectivement réussi à émouvoir l’Assemblée, ce que confirme la fin du passage : « Bravo ! — Applaudissement ». Le but semble donc atteint.

La thèse

Elle encadre l’ensemble du discours. Elle est, en effet, posée dès l’ouverture du texte à partir d’une opposition lexicale entre deux mots, « souffrance » et « misère ». En faisant du premier « une loi divine », il se montre sans illusion sur la nature humaine, dont il juge qu’elle aura toujours des raisons de « souffrance ». En revanche, en déclarant, « je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère », il s’inscrit clairement parmi ceux qui croient au progrès social, ce que souligne sa précision lexicale : « je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire ».

Cette thèse est reprise, avec la gradation méliorative, dans la dernière phrase, exclamative et insistante : il s’agit de « marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère ! »

Les arguments

        Le premier argument répond à une objection, l’impossibilité d’atteindre un tel objectif. Il repose sur une comparaison, qui affirme l’espoir à travers un parallélisme : « La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu ».

       Le deuxième argument fait appel à la responsabilité politique. C’est entre les mains de ceux qui exercent le pouvoir que repose la solution : « Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas rempli. » Rappelons que la République vient à peine d’être rétablie, et qu’un « devoir » s’impose donc à ceux que la démocratie a portés au pouvoir. La reprise du verbe « devoir » élargit l’argument à l’ensemble de la société, en l’inscrivant dans le domaine de la morale, de « la conscience » : « ce sont là des choses qui ne doivent pas être », « la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! »

       Enfin, le dernier argument, avec le passage de « torts » à « crimes », va encore plus loin, dans une exclamation qui fait appel à la religion : « de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, […] ce sont des crimes envers Dieu ! » Hugo rappelle ainsi le principe chrétien, l’amour du prochain. Il considère en fait que « la misère » ne détruit pas seulement les corps, elle détruit les âmes, et, en conduisant les hommes à la mort, elle outrepasse l’action divine qui seule doit décider du terme de la vie.

         Mais le discours pose aussi des arguments plus implicites, deux dans le premier exemple.

  • Le premier rappelle des faits historiques, qui sonnent comme une menace : « ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément. » Dans de telles conditions, avec un peuple en proie à une  telle misère, la révolte peut éclater à tout moment.

  • Le second touche à la morale : si ces familles « vivent pêle-mêle », comment les « jeunes filles » pourraient-elles conserver leur vertu, et les « enfants » leur innocence ? La misère, avec la promiscuité qu’elle induit, favorise tous les vices et la délinquance.

Le deuxième exemple également avance un argument : « la recrudescence du choléra ». Hugo rappelle ici les épidémies, dues aux conditions d’hygiène déplorables, qui menacent l’ensemble de la population parisienne.

CONCLUSION

Hugo, qui avait, sous la Monarchie, siégé dans l’aristocratique Chambre des Pairs, soutient, dès la Révolution de 1848, le régime républicain, ce dont témoigne ce discours, dans lequel il s’engage, avec force, contre la misère, comme il le fera plus tard, en faveur de l’instruction obligatoire, de la liberté de la presse, ou de l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort. En plaçant sous les yeux de ses collègues parlementaires l’horreur de la misère, il tente de les émouvoir, tout en affirmant, avec force sa foi dans le pouvoir de l’action politique pour faire progresser la société.

Il associe ainsi les trois éléments que le philosophe grec Aristote assignait à la rhétorique,

  • le « logos », c’est-à-dire le message, son contenu, son organisation et la validité qu’on peut lui accorder en fonction des arguments et des exemples proposés,

  • l’« éthos », la façon dont se présente l’orateur,

  • le « pathos », le fait d’éveiller les sentiments de ses destinataires, leur compassion, leur indignation par exemple.

Ce discours permettra aussi de reprendre, avec les élèves, les fonctions du langage, en les rattachant aux observations effectuées, et de revoir les procédés de la modalisation.

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Un exemple de progrès : autour de l'esclavage 

Esclavage

Pour préparer la lecture cursive des deux textes, elle est précédée d’un exposé sur l’esclavage, destiné à présenter, d'une part la traite négrière, d'autre part la marche vers l’abolition.

Pour voir une vidéo sur "la traite négrière"

Victor Schœlcher, "Discours à Victor Hugo", 18 mai 1879

Révolté par les pratiques esclavagistes qu'il a vues dans les Caraïbes, Victor Schœlcher s'engage dans le combat abolitionniste, publiant livres et articles dans lesquels il réclame la disparition immédiate et totale de l'esclavage. Son combat conduit à l’abolition de l’esclavage promulgué le 27 avril 1848. C’est pour le commémorer que, le 18 mai 1879, un banquet présidé par Victor Hugo réunit cent-vingt convives, dont des députés, des sénateurs, des journalistes, des artistes. Victor Schœlcher prononce ce discours en son honneur.

François-Auguste Biard, L’Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, le 27 avril 1848, 1849. Huile sur toile, 261 x 391. Château de Versailles

François-Auguste Biard, L’Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, le 27 avril 1848, 1849. Huile sur toile, 261 x 391. Château de Versailles

Un hommage à Victor Hugo

Quand Schœlcher prononce ce discours, Victor Hugo, alors âgé de 77 ans, est de retour en France, après dix-neuf ans d’exil, depuis une dizaine d’années. Mais il continue à la fois son œuvre littéraire et sa participation à la vie politique. Il est donc encore considéré comme un guide, un maître à penser, d’où cet « honneur » qu’exprime l’orateur face à lui, et l’accueil que lui réservent les assistants, « tous ceux qui viennent d’acclamer si chaleureusement votre entrée ». L’éloge devient dithyrambique à travers les répétitions et les termes mélioratifs : « Vous, Victor Hugo, qui avez survécu à la race des géants, vous le grand poète et le grand prosateur, chef de la littérature moderne », « le défenseur puissant », le  glorieux apôtre du droit sacré du genre humain. » En concluant, « Quand vous parlez, votre voix retentit par le monde entier », Schœlcher reconnaît la puissance de l’écrivain, qui a choisi de lutter en faveur de ceux qui souffrent, « de tous les déshérités, de tous les faibles, de tous les opprimés de ce monde ».

Pour lire l'extrait

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L'œuvre civilisatrice de la colonisation française, Le Petit Journal, nov. 1911.

Une croyance dans le progrès

En rappelant les combats en faveur de « l’abolition de l’esclavage », Schœlcher souligne le succès obtenu par tous ceux qui se sont unis pour abolir l'esclavage, et les progrès déjà accomplis : « des créoles noirs et de couleur qui peuplent nos écoles ou qui sont déjà lancés dans la carrière ». Cependant, il considère que ces efforts ne sont pas suffisants, qu’il reste encore beaucoup à faire pour défendre « [l]a cause des nègres ».

Mais le dernier paragraphe de l’extrait, avec l’emploi du futur de certitude, révèle la foi dans le progrès qui anime Schœlcher. Il croit en l’expansion coloniale, qu’il associe à une œuvre civilisatrice, bénéfique aux populations indigènes : la « voix » de Victor Hugo « pénétrera jusqu’au cœur de l’Afrique, sur les routes qu’y fraient incessamment d’intrépides voyageurs, pour porter la lumière à des populations encore dans l’enfance, et leur enseigner la liberté, l’horreur de l’esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine » Il fait preuve d’un optimisme fervent dans « ce magnifique mouvement philanthropique », qui défend les valeurs de la « république », d’où sa certitude finira : le XIXème siècle « ne finira pas sans voir proclamer la fraternité de toutes les races humaines. »

Martin Luther King, "Je fais un rêve", 28 août 1963

Des émeutes raciales ont ponctué l’année 1963 aux États-Unis, divisant les représentants politiques entre partisans et adversaires de la ségrégation, au premier rang desquels le président démocrate Kennedy. Le 19 juin un projet de loi sur les droits civiques est adressé au Congrès, visant à interdire toute discrimination dans les lieux publics, les écoles, les listes électorales et pour les emplois. En août, une grande marche « pour l’emploi et la liberté » est organisée par le Mouvement des Droits civiques, non violent, et c’est à cette occasion que, devant le Mémorial de Lincoln à Washington, le pasteur protestant Martin Luther King prononce, devant 250 000 manifestants,  un discours resté célèbre : « I have a dream ». Le passage retenu suit un mouvement chronologique : le rappel du passé, la situation actuelle, l’élan vers le futur.

Discours de Martin Luther King devant le Mémorial de Lincoln à Washington, le 28 août 1963

Pour lire l'extrait

Daniel Chester French, Abraham Lincoln, 1914-1922. Marbre, 6 m x 6 m. Lincolm Memorial, Washington D.C.

Daniel Chester French, Abraham Lincoln, 1914-1922. Marbre, 6 m x 6 m. Lincolm Memorial, Washington D.C.

Discours de Martin Luther King devant le Mémorial de Lincoln à Washington, le 28 août 1963

Le rappel du passé

Le lieu de la manifestation est symbolique, devant le monument construit en l’honneur d’Abraham Lincoln, président de 1860 jusqu’à son assassinat en 1865. C’est lui, en effet, qui promulgua cet « acte d’émancipation » dont Martin Luther King rappelle le centenaire, sur un ton lyrique : il « faisait, comme un grand phare, briller la lumière de l'espérance aux yeux de millions d'esclaves noirs marqués au feu d'une brûlante injustice ». Il joue ici sur l’image de la lumière, reprise par la comparaison : « Ce fut comme l'aube joyeuse qui mettrait fin à la longue nuit de leur captivité. » Des lignes 14 à 17, il introduit une seconde comparaison, faisant de cet acte un « chèque » signé, donc « une promesse dont héritait chaque Américain » : « Aux termes de cet engagement, tous les hommes, les Noirs, oui, aussi bien que les Blancs, se verraient garantir leurs droits inaliénables à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur. »

La situation présente

Le connecteur « Mais », au début du deuxième paragraphe, introduit le contraste, souligné par l’anaphore « cent ans ont passé », avec la situation à l’époque du discours : « cent ans ont passé ». La gradation des images dans ce paragraphe concrétise et amplifie la « honteuse situation » que dénonce Martin Luther King. D’où la conclusion qui poursuit la comparaison au chèque : « Au lieu d'honorer son obligation sacrée, l'Amérique a délivré au peuple noir un chèque sans valeur; un chèque qui est revenu avec la mention "Provisions insuffisantes". » En citant trois États ségrégationnistes du sud des États-Unis, la Géorgie, le Mississipi et l’Alabama, King rappelle le contexte qui a conduit à cette marche, les émeutes, ou l’action du « gouverneur » George Wallace, élu en 1963 sur le slogan « Ségrégation maintenant, ségrégation demain, ségrégation pour toujours », qui avait tenté d’empêcher les deux premiers étudiants noirs d’accéder à l’Université de l’Alabama.

C’est ce qui explique les revendications formulées par l’orateur : « encaisser ce chèque, un chèque qui nous fournira sur simple présentation les richesses de la liberté et la sécurité de la justice. »

L'avenir

Par l’anaphore «  le moment est venu » et en affirmant « 1963 n’est pas une fin mais un commencement », Martin Luther King donne de l'avenir une double image, contrastée :

          D’un côté, il lance une menace. En mentionnant « [c]et étouffant été du légitime mécontentement des Noirs », il rappelle, en effet, les émeutes, et annonce un « péril », un « rude réveil si le pays retourne à ses affaires comme avant ». D’où l’avertissement, avec un futur de certitude, « Il n'y aura plus ni repos ni tranquillité en Amérique tant que le Noir n'aura pas obtenu ses droits de citoyen », et l’image saisissante des « tourbillons de la révolte ».  

       De l’autre, il exprime une réelle confiance dans un progrès possible, qui pourra « réaliser les promesses de la démocratie ». La reprise en anaphore, de Je rêve », qui reprend « je fais pourtant un rêve », développe cette foi en un monde futur qui prouvera « que tous les hommes sont créés égaux. » Sont ainsi soulignés, par des images, les termes clés qui illustrent le progrès : « l’aube brillante de la justice », « la table de la fraternité », une « oasis de liberté et de justice ». Le passage se ferme sur une image souriante de bonheur : «  les petits garçons et petites filles noirs, les petits garçons et petites filles blancs, pourront tous se prendre par la main comme frères et sœurs. »

Méthodologie : vers la contraction de texte 

Pour voir la correction de la contraction

Les textes argumentatifs se prêtent tout particulièrement à une approche de la contraction de texte. Une pratique progressive sur des textes courts est essentielle.

Dans un second temps, on propose une contraction en 90 mots (avec une marge de plus ou moins 10%) sur le début, des lignes 1 à 25, du texte de Martin Luther King.

Verne

Jules Verne, Cinq Semaines en ballon, 1863 

Cinq Semaines en ballon est le premier roman de Jules Verne, publié en 1863 par l’éditeur Hertzel qui crée, à cette occasion, une collection intitulée « Voyages extraordinaires ». Elle regroupera les 62 romans de l’auteur et ses 18 nouvelles, tous illustrés. Son œuvre est influencée par le scientisme qui se développe dans la seconde moitié du XIXème siècle, idéologie qui considère que l’esprit rationnel propre à la science et ses pratiques doivent être appliqués à tous les domaines de l’existence, vie politique, économique, intellectuelle, sociale et morale… Ainsi, ses fictions divertissantes se fondent sur les progrès de la science, mais souvent de façon visionnaire.

Pour voir l'extrait

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Jules Verne,De la Terre à la lune, 1863 : carte du trajet parcouru

Le roman, sous-titré « Voyage de découvertes en Afrique par trois Anglais », raconte les multiples aventures vécues par le docteur Samuel Fergusson, son serviteur Joe et son ami Dick Kennedy, au cours de leur parcours de Zanzibar à Saint-Louis, port de l’actuel Sénégal, survolant l’Afrique d’est en ouest (cf. carte supra) dans un ballon, le « Victoria », gonflé à l’hydrogène. Quelle conception du progrès Jules Verne développe-t-il à travers la description de l’histoire de l’humanité faite à l’occasion de cette conversation ?

La marche de l'humanité 

L'histoire des migrations

Le long récit du docteur représente l’histoire de l’humanité à partir d’une formule évocatrice de l’évolution : « la marche des événements ». Il invite ainsi son ami à le suivre dans son analyse : « considère les migrations successives des peuples, et tu arriveras à la même conclusion que moi ». C’est donc aussi sur la géographie qu’il fonde une description qui souligne la façon dont, à tour de rôle, chaque continent assure sa puissance.

          Il fixe comme point de départ « l’Asie ». En fait, vu la durée fixée, « [p]endant quatre mille ans peut-être », il s’agit, non pas de l’orient lointain mais de l’Asie Mineure (entre autres la Turquie actuelle), celle du temps de l’antiquité grecque, du temps d’Homère qui évoque, à propos de la contrée de Troie dans l’Iliade, les « moissons dorées » produites. C’était donc alors une terre riche et prospère.

        En remontant le temps de « deux mille ans », vient le tour de l’Europe, qui s’affirme, « jeune et puissante ».Pensons à l’européocentrisme qui atteint son apogée au XVIIIème siècle, « siècle des Lumières ».

        Mais, au XIXème siècle, l’Amérique, fondée en tant qu’État indépendant en 1783, prend le relais. Dès cette époque, les États-Unis d’Amérique développent, une politique d’immigration intensive au départ de l’Europe.

Cela conduit forcément à envisager la situation de l’Afrique. Dans ce cycle des continents, l’Afrique, encore largement inexplorée et considérée comme barbare à l’époque et où écrit Jules Verne, est présentée comme la puissance future : « Alors l’Afrique offrira aux races nouvelles les trésors accumulés depuis des siècles dans son sein. » La conquête coloniale a, en effet, déjà commencé en Algérie en 1830, puis, au milieu du siècle, au Sénégal et en Afrique sub-saharienne : une réelle expansion semble s’ouvrir.

La cause de ces migrations

Le discours du docteur développe une métaphore filée, qui reprend une image héritée de l’antiquité, celle de Gaïa, la terre-mère. Dans la mythologique grecque antique, Gaïa, selon la cosmogonie d’Hésiode, sortie du Chaos, a engendré seule Ouranos, le Ciel, lui-même père de Cronos, le dieu qui présida à « l’âge d’or ». Elle a servi de fondement à une allégorie de la terre nourricière de ses « enfants », qu’on retrouve ici : « L’Asie est la première nourrice du monde », l’Amérique a de « nourrissantes mamelles » ; et la formule « dans son sein » employée pour situer « les trésors » de l’Afrique, joue sur le sens banal, « à l’intérieur », et sur cette valeur métaphorique.

Gaïa-nourricière. Panneau de Tellus, 13-9 av. J.-C., Ara Pacis, Rome

Gaïa-nourricière. Panneau de Tellus, 13-9 av. J.-C., Ara Pacis, Rome

Mais  cette fonction nourricière s’épuise, comme pour le lait d’une nourrice : ainsi l’Asie voit « son sein épuisé et flétri ». L’image d’un épuisement des ressources que fournit la terre se répète ensuite pour chaque continent : pour l’Europe, « déjà sa fertilité se perd ; ses facultés productrices diminuent chaque jour », sa « vitalité […] s’altère », annonce « d’un épuisement prochain », et des « terrains à bout de forces » sont le sort futur de l’Amérique.

Selon le récit de Fergusson, l’évolution de l’humanité dépend donc bien des ressources naturelles que fournit la terre. C’est de là qu’il déduit l’avenir de l’Afrique, « quand les régions de l’Europe se seront épuisées à nourrir leurs habitants ».

La marche de l'humanité 

James Mahony, Scène à Skibereen (Irlande), The Illustrated London News, 1847

Un être aveugle

Le point de départ de cette critique est une réalité scientifique : les ressources naturelles sont limitées. Ainsi, le champ lexical, « se seront épuisées », « épuisé », « épuisement », et l’antithèse qui fait de l’Amérique, « une source non pas inépuisable, mais encore inépuisée » renforcent cette idée. Elle est aussi illustrée par des images saisissantes, par exemple de la désertification de l’Asie mineure : « les pierres ont poussé là où poussaient les moissons dorées d’Homère ». Par les verbes qui suggèrent cet épuisement, « sa fertilité se perd ; ses facultés productrices diminuent chaque jour », « une vitalité qui s’altère », Jules Verne évoque aussi les famines, qui se sont succédé aux XVIIème et XVIIIème siècles à cause de « ces fausses récoltes, ces insuffisantes ressources ». L’allusion à « ces maladies nouvelles dont sont frappés chaque année les produits de la terre » est un fait encore plus récent qui a dû frapper Jules Verne : le mildiou, maladie de la pomme de terre en Irlande entre 1843 à 1851, a provoqué une terrible misère, cause d’ailleurs d’une importante immigration aux États-Unis.

James Mahony, Scène à Skibereen (Irlande), The Illustrated London News, 1847

Mais, si les maladies ne viennent pas de lui, c’est bien l'homme qui est coupable car il ne tire pas les conséquences de ces épuisements successifs, n’apprend pas à mieux utiliser les ressources naturelles qui lui sont offertes. Bien au contraire, il ne pense qu’à en abuser, d’où ces verbes qui montrent son excès : les peuples d’Asie vont « se jeter sur l’Europe », ceux d’Europe « se précipiter » sur l’Amérique. Pire encore, il contribue directement à cet épuisement. Le futur choisi pour exprimer l’avenir de l’Amérique marque une certitude, née des observations antérieures d’abord sur la déforestation, « ses forêts vierges tomberont sous la hache de l’industrie », puis sur une surexploitation des sols, soulignée par la répétition adverbiale et le contraste des chiffres : « son sol s’affaiblira pour avoir trop produit ce qu’on lui aura trop demandé ; là où deux moissons s’épanouissaient chaque année, à peine une sortira-t-elle de ces terrains à bout de forces. »

Sa faculté de progresser

         Cependant, l’homme est aussi un créateur, capable des plus extraordinaires inventions. Jules Verne traduit, en promettant à l’Afrique un bel avenir, toute sa confiance en un progrès de la science, qui peut permettre à l’humanité de dominer la nature pour la mettre à son service : « Ces climats fatals aux étrangers s’épureront par les assolements et les drainages ; ces eaux éparses se réuniront dans un lit commun pour former une artère navigable. » Rappelons que c’est en 1859 qu’a commencé, sous la direction de Ferdinand de Lesseps, le percement du Canal de Suez. Le discours devient même visionnaire -  quand il termine sur une promesse exaltée : « se produiront des découvertes plus étonnantes encore que la vapeur et l’électricité. » Certes, c’est en 1855 qu’a été découverte une première source pétrolifère en Iran, mais cette source d’énergie, le pétrole, avec tout le développement induit, ne sera exploitée qu’à partir de la première moitié du XXème siècle.

        Mais, si Joe, serviteur de Fergusson, manifeste un réel enthousiasme face à ce progrès offert, l’autre personnage, Dick Kennedy, se montre lui, plus réservé. Sans nier le progrès, notamment dans « l’industrie », il émet deux réserves sur son intérêt :

  • Son exclamation, «  cela sera peut-être une fort ennuyeuse époque que celle où l’industrie absorbera tout à son profit ! », dissocie nettement les progrès techniques de la promesse de bonheur posée par Fergusson.

  •  Son pessimisme est encore plus net dans ses exclamations finales, où il met en place, en faisant de la machine un monstre dangereux, une vision apocalyptique de la destruction de la planète : « À force d’inventer des machines, les hommes se feront dévorer par elles ! Je me suis toujours figuré que le dernier jour du monde sera celui où quelque immense chaudière chauffée à trois milliards d’atmosphères fera sauter notre globe ! »

Le débat reste donc ouvert : si l’humanité progresse, où ses progrès peuvent-ils la conduire ?

CONCLUSION

Jules Verne développe ici une vision linéaire du progrès, fondée à la fois sur les capacités de l’homme à inventer de nouvelles techniques pour améliorer son environnement, et sur les richesses naturelles nouvelles offertes tour à tour par les différents continents. Mais deux limites freinent cet optimisme, d’une part l’épuisement des ressources naturelles, d’autre part « l’hybris » même de l’homme, ses excès mais aussi le fait qu’il joue, parfois, à l’apprenti-sorcier, risquant alors de se voir détruire par ses propres créations. Il serait donc nécessaire que les efforts de progrès soient rigoureusement encadrés par une éthique.

Ce texte ouvre sur des questions tout à faire actuelles, notamment sur la notion de « développement durable » avec l’importance de l’idée que les ressources naturelles ne sont pas « inépuisables ». Il interroge aussi sur les causes des migrations humaines, souvent liées aux ressources potentielles espérées. Enfin, pensons aux nouveaux lieux explorés depuis Jules Verne, les océans, l’espace – peut-être de futurs lieux de migrations ? – et aux techniques de plus en plus élaborées, aujourd’hui dans les domaines de la génétique, de l’intelligence artificielle, du transhumanisme…

Littérature et prospective : deux lectures cursives 

Prospective

Jules Verne, De la Terre à la Lune, chapitre 28, 1865

Sous-titré « trajet direct en 97 heures 20 minutes », le roman de Jules Verne, De la Terre à la Lune, s’affirme clairement comme une œuvre d’anticipation : une association de militaires et de scientifiques, le Gun Club, décide d’envoyer dans la Lune, au moyen d’un canon géant,  un « projectile », un obus, habité par trois hommes. Après de multiples difficultés, le tir est effectué au chapitre 26… et le chapitre 28 apporte un rapide dénouement, qui interroge sur la valeur des progrès scientifiques.

Pour lire l'extrait

Jules Vene, De la Terre à la Lune, 1865

        Le langage scientifique reproduit dans la note met d’abord en valeur l’échec de l’expérience : c’est l’ignorance qui l’emporte, car aucune des deux hypothèses formulées ne peut être vérifiée.

         Mais les deux exclamations qui suivent, « Que de questions soulevait ce dénouement inattendu ! Quelle situation grosse de mystères l’avenir réservait aux investigations de la science ! »,  introduisent un changement de ton : cet échec, cette ignorance n’empêcheront en rien la poursuite du progrès grâce aux « investigations de la science ».  D’où l’éloge des voyageurs, « hardis explorateurs » : ils « ont joué leur vie » tout simplement pour « agrandir le cercle des connaissances humaines », par désir de découvrir, de pénétrer « tous les mystères » de l’espace et de la lune.         

De Montaut, illustration chap. 26, "Feu !". De la Terre à la Lune, 1865ntaut-feu!.jpg

          La fin du texte met en place un contraste.

  • D’un côté, « un sentiment de surprise et d’effroi » devant, à la fois, l’audace de prendre un tel risque, et l’imagination de la mort qui peut guetter ces explorateurs.

  • De l’autre, la « confiance » de Maston, un des scientifiques qui a participé à l’expérience, accentué par le discours rapporté direct. Il affirme sa foi inébranlable en l’esprit humain : «  À eux trois ils emportent dans l’espace toutes les ressources de l’art, de la science et de l’industrie. Avec cela on fait ce qu’on veut, et vous verrez qu’ils se tireront d’affaire ! »

Le débat reste à nouveau ouvert. La grandeur de l’homme vient de cette volonté d’en savoir davantage, que rien n’arrête. Mais le succès n’est jamais garanti.

De Montaut, illustration chap. 26, "Feu !". De la Terre à la Lune, 1865

Pour lire l'entretien

Entretien avec Thomas Pesquet, réalisé par Anna Musso, L’Humanité, 4 octobre 2017

Thomas Pesquet, né en 1978, intègre, dès 2009, l’Agence spatiale européenne, et est le dixième astronaute français à partir dans l’espace en décollant vers la Station spatiale internationale en novembre 2016. Chargé de la maintenance de l’ISS jusqu’en juin 2017, il réalise de nombreuses expériences scientifiques et effectue deux sorties dans l’espace.

Bill Stafford, portrait officiel de Thomas Pesquet, avant d'embarquer dans la fusée russe Soyouz pour rejoindre l'ISS. ESA 

L’intérêt d’aller dans l’espace

En réponse aux questions posées, l’astronaute explique à quel point faire des expériences dans l’espace permet de « découvrir et de comprendre des phénomènes physiques, biologiques, technologiques impossibles à discerner au sol ». Ces progrès dans « la connaissance » ont, ensuite, des applications sur terre dans de nombreux domaines. L’autre intérêt est d’apprendre « à vivre dans l’espace ».

L’avenir de la conquête spatiale

Mais ses réponses révèlent aussi une projection dans l’avenir : « Nous espérons aussi pouvoir embarquer plus de personnes avec nous, puis, plus tard, l’humanité dans l’espace. » Il reprend un rêve ancien, « aller sur Mars », en en soulignant le double avantage.

  • D’une part, étudier « l’apparition et la disparition de la vie » sur cette planète, « jumelle de la Terre », est utile pour mieux comprendre les mécanismes de la vie.

  • D’autre part, cela préparerait à envisager les conditions de survie des humains sur Mars, si la vie sur terre était menacée : « ces missions amèneront à s’interroger sur la possibilité de présences permanentes ».

Enfin, il insiste sur les menaces que « l’activité humaine » fait peser sur la terre, notamment en constatant davantage, vu de l’espace, « le problème du réchauffement climatique », d’où son injonction finale : « La Terre, nous n’en avons qu’une, il faut s’en occuper. »

Bill Stafford, portrait officiel de Thomas Pesquet, avant d'embarquer dans la fusée russe Soyouz pour rejoindre l'ISS. ESA 

POUR CONCLURE

La mise en relation des réponses de Pesquet avec l’extrait de Jules Verne permet de mesurer ce qu’est la littérature d’anticipation : une projection dans un avenir, certes parfois fantaisiste, mais qui révèle à la fois une confiance dans les possibilités de progrès dans la connaissance, notamment scientifique, et comment l’esprit humain s’emploie à réaliser des rêves, souvent utopiques à l’origine.

On peut penser à L’Histoire comique des États et Empires de la Lune, récit composé vers 1650 par Savinien Cyrano  de Bergerac, qui, pour faire une satire de son époque, imaginait déjà la réalisation de ce vieux rêve de l’humanité, aller sur la lune.

Émile Zola, L’Argent, chapitre II, 1891 

Zola

Pour lire l'extrait

L’Argent est le dix-huitième roman de l’immense ensemble de Zola, « Les Rougon-Macquart », mise en pratique de la théorie naturaliste du romancier qui veut représenter ainsi « L’Histoire sociale d’une famille sous le Second Empire ». À partir de l’ancêtre Adélaïde Fouque, sujette à des crises nerveuses, et de sa descendance, d’une part de son mari Rougon, d’autre part de son amant Macquart, alcoolique, Zola entend illustrer, à travers les personnages, parfois récurrents, de ses romans, les effets de l’hérédité en lien avec le milieu social.

L’intrigue du roman se situe en 1868-69, à la fin du Second Empire, alors que l’essor industriel s’associe à la puissance des financiers, indispensable au développement économique mais aussi cause de scandales retentissants, tel le krach de la banque de l'Union Générale en 1882, ou le scandale de Panama, en 1889.

Arbre généalogique des Rougon-Macquart : mise en pratique de la théorie naturaliste de Zola. Une page d’amour, 1878

Arbre généalogique des Rougon-Macquart : mise en pratique de la théorie naturaliste de Zola. Une page d’amour, 1878

Son héros, Aristide Rougon, dit Saccard, financier déjà présent dans La Curée (deuxième roman de 1871), ne se résigne pas à la ruine qui le frappe après son échec à la Bourse. Il rêve de reconquérir gloire et fortune au moyen d’une nouvelle spéculation. Il fait alors la connaissance de Madame Caroline, et de son frère, l’ingénieur Hamelin, avec lequel elle était partie vivre en Égypte à l’occasion de la création du canal de Suez. Elle a alors réalisé de nombreuses aquarelles représentant ces paysages orientaux, tandis que son frère, lui, a élaboré un projet industriel, qui provoque l’enthousiasme de Saccard, prêt à lui apporter un soutien financier.

Comment Zola représente-t-il les conditions susceptibles de conduire l’humanité au progrès ?

Zola, L'Argent, 1891

L'effet de réel 

Une description réaliste

Le point de départ de la description est les aquarelles que Madame Caroline a peintes lors de son séjour en Égypte : les démonstratifs qui les présentent, « cette gorge du Carmel que vous avez dessinée là », « ces épures sèches », « ces tracés linéaires » inscrivent par avance le paysage dans la réalité.

La description représente un cadre contrasté :

  • D’un côté, le cadre naturel est riche de potentialités : il est ouvert sur la mer, avec un « sol fertile », des « plaines » cultivables,  et un « ciel charmant », donc un climat favorable.

  • De l’autre, le sous-développement est mis en évidence. Les lieux évoqués sont montrés comme sans vie, laissés à l’abandon : « il n’y a que des pierres et des lentisques », avec la négation restrictive, « ces ports encombrés de sable », « ces plaines dépeuplées, ces cols déserts ». Mais, surtout, le lexique péjoratif montre que la misère y règne, à la fois la « crasse », donc le manque d’hygiène, et « l’ignorance », qui maintient le peuple dans un état primitif.

Une image de progrès

Zola fonde sa description sur un fait réel, le percement du canal de Suez, commencé en 1859, 161 kilomètres pour unir la mer Rouge à la Méditerranée réduisant ainsi la distance entre l’Europe et l’Asie, et inauguré en 1869. 

Port-Saïd dans les années 1879-1900. Tropenmuseum

Port-Saïd dans les années 1879-1900. Tropenmuseum

À cette occasion, pour recevoir le matériel venu d’Europe pour le creusement du canal, a été fondée, par Saïd Pacha, la ville de Port-Saïd, d’abord modeste campement destiné à accueillir les ouvriers et leurs familles. Une gradation, marquée par les chiffres et les adjectifs, en reproduit le développement : « ce Port-Saïd qui, en si peu d’années, venait de pousser sur une plage nue, d’abord des cabanes pour abriter les quelques ouvriers de la première heure, puis la cité de deux mille âmes, la cité de dix mille âmes, des maisons, des magasins immenses, une jetée gigantesque. » Ce progrès se résume dans les deux derniers mots : « de la vie et du bien-être ». À aucun moment ne sont évoqués les obstacles rencontrés ou les difficultés subies par les hommes ; au contraire, avec les verbes pronominaux, tout paraît se faire tout seul, « les champs se défricher, des routes et des canaux s’établir ».

Les moyens du progrès

Deux éléments soutiennent ce progrès.

            Influencé par le positivisme d’Auguste Comte, et le scientisme qui s’impose dans la seconde moitié du XIXème siècle, Zola accorde le premier rôle à la science. C’est elle, en effet, qui permet les progrès mentionnés dans l’extrait : dans l’agriculture, avec le défrichement des « champs » ou les « canaux » qui servent à l’irrigation mais aussi aux infrastructures, essentielles au commerce, comme les « routes », les « jetées » qui permettent de créer des « ports », donc la circulation des « navires de haut bord ». La formule méliorative, « tous les raffinements de la science », illustre ce passage d’un état sauvage à une civilisation avancée.​

        Mais la science, selon Zola, a besoin de l’argent pour ses réalisations. Rappelons que le héros est un financier, habitué aux spéculations boursières, une Bourse qui affirme sa puissance au XIXème siècle. D’où l’assertion redoublée à la fin de chaque paragraphe : « Oui ! l’argent fera des prodiges. », « L’argent, aidant la science, faisait le progrès. » Le chapitre II a aussi montré que son intérêt pour le projet d’Hamelin a été éveillé quand celui-ci a évoqué « un filon d’argent sulfuré considérable » dans les gorges du Carmel, ce que rappelle cet extrait : « dès que la mine d’argent sera en exploitation, il y poussera d’abord un village, puis une ville. »

Les deux personnages présents dans cet extrait sont, en fait, des porte-parole de Zola, qui proclame sa foi dans le progrès.

Une vision grandiose 

Tavík František Šimon,  La Bourse de Paris, vers 1900. Eau-forte et aquatinte, 35 x 44. Coll° privée

Tavík František Šimon,  La Bourse de Paris, vers 1900. Eau-forte et aquatinte, 35 x 44. Coll° privée

L'image d'une renaissance

Malgré ses affirmations, les descriptions de Zola dépassent très souvent le réalisme.

Déjà, le choix de l’Orient n’est pas dû au hasard : il prend ses assises sur l’image biblique du « paradis perdu ». Refusant cette perte, l’homme se donne alors le pouvoir de le recréer à la façon d’un nouveau dieu. Le lexique, « prodiges », civilisation prédite », « miracle » conforte d’ailleurs cette image. De même, le choix du futur donne au discours direct du héros la force d’une prophétie, renforcée par la répétition du « oui » : « vous verrez toute une résurrection », « l’argent fera ces prodiges ». Le choix du possessif, « nos lignes », affirme ce pouvoir créateur.

La métaphore de la « résurrection », quasi spontanée, une sortie de la terre de ces créations, accentue cette dimension prophétique : Saccard voit « des cités nouvelles sortir du sol », comme Madame Caroline qui « voyait réellement se lever la civilisation prédite ».

À cela s’ajoute l’image d’une vie cyclique de l’humanité, conception chère à Zola, si l’on pense au titre même d’un de ses romans, Germinal. Par une comparaison, il montre que les civilisations sont des corps vivants, elles peuvent être malades, voire mourir, mais elles peuvent aussi renaître : « la vie enfin revenir comme elle revient à un corps malade, lorsque, dans les veines appauvries, on active la circulation d’un sang nouveau… » Les points de suspension laissent planer cette vision, qui fait de l’argent la source même de la vie.

Du rêve à la vision

La construction du texte, en trois étapes, montre un élargissement.

  • La première étape est le discours direct du héros, qui sonne comme une prophétie, ce que confirme même le ton, « cette voix perçante » selon Madame Caroline.

  • C’est le monologue intérieur, que Zola prête à celle-ci, qui développe, dans un second temps, cette vision, avec la reprise du verbe « voyait ».

  • Mais à la fin du texte, l’omniscience du narrateur conduit le lecteur à s’interroger : qui parle en fait ? Saccard, dont Madame Caroline reprend les termes, celle-ci, affirmant son propre « rêve », ou, en réalité, Zola lui-même, posant sa propre opinion.

Le récit élargit progressivement l’image du progrès, grâce au rythme ternaire qui soutient la longue phrase périodique à la fin du texte, en gradation. Le premier complément, « la marche en avant », renvoie à l’étymologie même du mot « progrès », et sa force est accentué par l’adjectif mis en apposition, « irrésistible ». Le deuxième complément, « la poussée sociale qui se rue au plus de bonheur possible », par son lexique, imprime à cette force une image de violence. Le dernier complément est le plus complexe. Le mot « besoin » se trouve, en effet, lui-même complété par trois à la fois en raison de  la triple reprise verbale « agir » et « aller », répété.

La foi en l'homme

Or, cette phrase conclut aussi le passage sur une image de l’homme, animé par sa volonté de progrès, « d’aller devant soi », nouvelle reprise de l’étymologie. Le mot « besoin » la pose comme inscrite dans sa nature même. Cependant, la négation « sans savoir au juste où l’on va » le représente comme, d’une certaine façon, aveugle : le but ultime n’a, en fait, plus d’importance, seul compte le profit immédiat : « aller plus à l’aise, dans des conditions meilleures ».

De même, un contraste est mis en place entre la petitesse de l’homme, comparé à des « fourmis » dans le discours de Saccard, et l’humanité à une « fourmilière », et l’ampleur des résultats de son action, soulignée par l’hypotaxe, la répétition de la conjonction « et », et, à nouveau, par le rythme en gradation : « le globe bouleversé, « le pouvoir de l’homme décuplé », « la terre lui appartenant chaque jour davantage. » Notons enfin qu’à nouveau Zola n’envisage aucune souffrance pour conquérir ces progrès car le « travail continuel » prend ici une valeur méliorative, car il permet « de nouvelles jouissances conquises », sans le moindre obstacle pour entraver cette conquête.

Progrès-Gravure.jpg

Atelier Currier et Ives, Le progrès au XIXème siècle, vers 1875. USA 

CONCLUSION

Ce texte développe une confiance dans la capacité qu’ont les hommes de faire progresser leurs conditions de vie. Il nous montre une humanité qui « marche en avant », vers un monde qui se veut sans cesse meilleur.

Mais, en associant, dans cette image, la science et l’argent Zola nous pose forcément une question : le fait que la science ait besoin d’argent pour concrétiser ses découvertes implique une attente de la part des investisseurs. Cet argent doit rapporter un profit. Or, le contexte ici est celui de la colonisation : « nos voies ferrées », mentionnées dans le texte, sont celles de l’Europe, donc ce développement, même s’il bénéficie aussi aux populations locales, doit d’abord servir les Européens.

En même temps, la course au progrès, ici représentée, « sans savoir où l’on va », se ferait donc à l’aveugle, et cela rejoint les questions posées, au XXIème siècle, autour de la notion de « développement durable ». Sans doute est-il essentiel de mieux maîtriser, d’encadrer ces avancées…

Autour de Zola

Autour de Zola 

Lecture cursive : excipit de L'Argent, chapitre XII

La lecture des trois paragraphes de l'excipit conduit à une comparaison avec le texte précédemment expliqué.

Les ressemblances 

  • le lien entre les aquarelles de Madame Caroline et l'image du développement, avec ses réalisations au Moyen-Orient, dans l’économie, mais aussi dans « l’éducation » ;

  • la même confiance dans le progrès, présenté à travers de nombreuses expressions mélioratives : « le réveil d’un monde, l’humanité élargie et plus heureuse », « quelque chose de supérieur, de bon, de juste, de définitif » ;

  • le même rôle accordé à la science qui permet de mettre en œuvre de nouvelles techniques, pour réaliser de « grands travaux qui facilitaient l’existence » ;

  • la même insistance sur l’argent, indispensable à ce progrès.

Mais les personnages, eux, ont-ils véritablement réussi ? Madame Caroline et son frère s’expatrient à Rome, Saccard, lui, a dû partir en Hollande. Cependant, cela n’est pas perçu comme un échec, mais seulement comme une façon de « recommencer une existence ». Ainsi, aucun échec ne semble arrêter l’homme dans sa marche vers le progrès, il porte toujours en lui « l’obstiné besoin de vivre et d’espérer ». Les nombreuses questions rhétoriques de ce passage invitent le lecteur à réfléchir à cette conception.

Quelques différences notables 

  • Ce texte ne masque pas les difficultés qu’entraîne l’effort de progrès : « tant de victimes écrasées », « toute cette abominable souffrance que coûte à l’humanité chaque pas en avant ».

  • L’image donnée de l’argent est bien plus violente, par la comparaison qui soutient une autre métaphore filée, celle, non plus d’une « résurrection », mais d’une « fécondation » : « l’argent, jusqu’à ce jour, était le fumier dans lequel poussait l’humanité de demain ; l’argent, empoisonneur et destructeur, devenait le ferment de toute végétation sociale ».

Le dernier paragraphe, enfin, propose, par les nouvelles questions posées, une comparaison entre « l’argent » et « l’amour » : dans les deux cas, des « saletés », mais mises au service de « la vie ».

Histoire des arts : une annonce publicitaire - une caricature

Annonce de la parution de L’Argent, 16 novembre 1890

Comme c’est souvent le cas au XIXème siècle, le roman est d’abord publié en feuilleton dans le quotidien Gil Blas, d’où cette annonce publicitaire, non signée, qui date, elle, du 16 novembre. L’étude d’une publicité oblige à passer de la dénotation – la représentation, associant le texte et l’image – à la connotation : quel est l’effet recherché ? En quoi cette annonce publicitaire peut-elle inciter à acheter le journal pour lire l’œuvre ?

On observe d’abord le texte, et tout particulièrement la typographie et la couleur rouge qui mettent en relief le titre. Mais aucun nom d’auteur, seulement le titre du journal ! Cela peut surprendre… Le journal chercherait-il à ne pas mettre en avant un auteur souvent critiqué pour son « naturalisme » jugé ordurier ?​

Annonce de "L'Argent"-Gil Blas

On passe ensuite à l'illustration. Le titre masque le bâtiment en arrière-plan, le palais Brongniart, la Bourse, reconnaissable par ses colonnes et ses statues : l’une représente la Justice, l’autre l’Industrie, deux autres y figurent alors, mais non visibles ici, le Commerce et l’Agriculture. Dans la rue et sur les marches, on distingue des silhouettes, portant des chapeaux et des habits, ainsi qu’une calèche. Enfin, au premier-plan, une femme, allégorie de la justice, souvent représentée, comme ici, avec les yeux bandés, qui figurent son impartialité. Mais, d’ordinaire, elle porte le glaive et la balance, alors qu’ici sa main laisse pleuvoir des pièces d’or. De plus, sa coiffure, le bonnet phrygien et son sein découvert rappellent une autre allégorie, celle de Marianne, symbole de la République.

Par la place accordée à l’argent, ces hommes riches qui se pressent pour entrer dans la Bourse, l’illustration fait donc directement écho au titre de l’œuvre. Mais elle crée aussi un horizon d’attente, car l’association de la justice à l’argent suggère la corruption, la partialité des jugements qui épargneraient les plus riches. De même, le symbolisme républicain questionne sur le respect des principes de la devise française : peut-il y avoir « liberté, égalité, fraternité » là où seul règne l’argent ? Enfin, la couleur rouge, qui envahit l’image, y introduit une forme de violence, dont l’argent serait la cause.

Gill, caricature de Zola, in L’Éclipse,  16 avril 1876

Gill, caricature de Zola, in L’Éclipse,  16 avril 1876

Elle a été dessinée par un caricaturiste célèbre, Gill, pseudonyme de Louis-Alexandre Gosset de Guines (1840-1885) pour faire la "Une" de L’Éclipse, hebdomadaire satirique (1868-1876) du 16 avril 1876.

Rappelons l’objectif de la caricature : faire une satire, de se moquer d’un défaut, ou, plus généralement, d’une personne, voire, d’un événement, en mettant en valeur la critique, par l’exagération des éléments représentés.

        Le romancier occupe le centre de la caricature, avec un contraste entre sa position, assis et de profit, et son énorme tête, avec un regard attentif qui semble fixer le spectateur. Ce grossissement, qui donne à l’écrivain une dimension exceptionnelle, est confirmé par la taille de la plume placée dans l’encrier, en premier plan. Il est assis sur quatre volumes, portant les titres d’œuvres déjà parues, tandis que le livre isolé correspond, lui, au sixième roman des "Rougon-Macquart" qui vient d’être publié en 1876, Son Excellence Eugène Rougon.

         Le grossissement, qui accentue la fonction de l’écrivain, contraste avec la petitesse du personnage qu’il porte au bout de pincettes, comme s’il s’agissait de tenir une sorte d’insecte. Ainsi suspendu dans le vide, il agite les bras et les jambes, tandis que le chapeau qu’il porte l’inscrit dans un milieu social élevé, en fait, le monde politique qui sert de cadre au dernier roman. L’usage des pincettes, et surtout la loupe qui surplombe le personnage illustre la volonté du naturalisme que veut pratiquer Zola : une méthode d’analyse qui vise à observer, tel un homme de science dans son laboratoire, la nature humaine inscrite dans un milieu social. L’écrivain observe scientifiquement la réalité, chaque roman sera donc comme une expérience qui la retranscrit dans toute sa vérité

Mais l'écrivain peut-il vraiment s'effacer, pour être totalement objectif ? Sa tête démesurée suggère une réponse négative... 

L'exposition de la BnF sur Zola

Cette étude de Zola se termine par une observation de l’exposition que lui consacre la BnF, plus particulièrement de la partie intitulée « Les Rougon-Macquart », document audio-visuel qui propose une intéressante synthèse.

Un écrit d’appropriation terminera cette étude.

Pour voir le document audio-visuel de la BnF

ExpoBnF-Zola.jpg

Sujet : Un journaliste interroge un ouvrier du canal de Suez lors de son inauguration. Il transcrit, pour son journal, ses réactions, contrastées, face aux transformations de sa ville, de son pays, et de sa vie personnelle.

L'argumentation 

Argumentation

Dans un premier temps, on rappelle le but de l’argumentation : faire adhérer le lecteur à l’opinion, à la thèse, de l’auteur, en la soutenant par des arguments qui la justifient. Eux-mêmes sont prouvés par des exemples. Pour cela, il est utile d’associer « convaincre », en faisant appel à sa raison, en usant donc de la logique, et « persuader », en faisant appel à ses sentiments, en l’amenant à réagir, en exprimant , par exemple, son émotion, son indignation...

Pour voir une étude de l'argumentation

Convaincre

Pour « convaincre », il est important d’adopter une démarche logique. Deux exercices permettent de reprendre la composition de cette démarche. C’est l’occasion de réactiver les acquis sur quatre rapports logiques fondamentaux : la cause et la conséquence, l’opposition et l’hypothèse, en révisant les connecteurs, conjonctions de coordination et de subordination, qui les expriment.

Ensuite, l’extrait de Zola, expliqué sert de support à un autre type d’exercice. Il s’agit, en effet, d’une argumentation indirecte, qui se fait à travers la description et les discours des personnages. Une première activité est la transformation du texte en argumentation directe. Le corrigé proposé amène à observer, à la fois la démarche argumentative, et à distinguer la thèse, les arguments et les exemples.

Pour voir les exercices et les corrigés proposés

Persuader

Dans un second temps, en mesurant la différence avec le texte de Zola, on explicite les implications de la volonté de « persuader » : la mise en œuvre de procédés d’écriture, qui relèvent

  • de l’énonciation, donc de la place accordée à l’émetteur et au destinataire ;

  • de l’actualisation spatio-temporelle, qui peut inscrire le texte dans une chronologie et dans des lieux précis ;

  • de la modalisation : choix lexicaux, modalités expressives (l’exclamation, l’interrogation  et l’injonction), figures de style et rythme des phrases.

On reprendra le texte précédemment produit (cf. Corrigé supra) pour en accentuer la force de persuasion.

L’étude est complétée par un exercice à partir d’un extrait de Fabrice Mazerolle, « Les néo-luddistes », texte paru dans le N° 31 (Janvier 2012) de la revue Constructif. On en dégagera la thèse, les arguments qui la soutiennent, la place accordée aux exemples. On fera aussi apparaître la démarche suivie, en observant les relations logiques, soit exprimées par des connecteurs, soit, quand ils sont inexistants, en ajoutant ceux qui pourraient convenir. 

Pour lire l'extrait

Barjavel-Tx.1

René Barjavel, Ravage, 1943 : "La ville radieuse" 

René Barjavel (1911-1985) a commencé une carrière de journaliste, mais s’est rapidement fait connaître comme romancier, puis au cinéma, comme scénariste et dialoguiste. Son expérience de la guerre marque son œuvre, qui affirme, notamment, son antimilitarisme.

Son roman d’anticipation, Ravage, paru en 1943, est construit sur un double retournement :

  • La 1ère partie, intitulée « Les temps nouveaux », met en place une utopie futuriste : en 2052, à Paris, il dépeint la vie quotidienne des vingt-cinq millions d’habitants, gérée par la science et la technique.

  • Les 2ème et 3ème parties, « La chute des villes » et « Le chemin de cendres »,  s’inversent en dystopie. L’électricité ayant disparu, aucune machine ne fonctionne plus, et le roman sombre dans l’apocalypse : sans eau, sans lumière, sans moyen de déplacement, les habitants connaissent le chaos et la violence règne.

  • La 4ème partie, « Le patriarche », reconstruit une utopie : la création d’une nouvelle forme de société.

Barjavel, Ravage, 1943
Le Corbusier, le complexe du Capitole, Chandighar (Inde), 1947

Le Corbusier, le complexe du Capitole, Chandighar (Inde), 1947

La 1ère partie du roman décrit les quatre gigantesques « Villes hautes », construites pour loger la population parisienne par un architecte nommé Le Cornemusier », signe de l’influence exercée sur l’auteur par l'architecte-urbaniste Le Corbusier (1887-1965). En 1935, dans son essai La Ville radieuse, il avait développé, après le choc de la crise économique de 1929 et à partir de ses propres réalisations, une réflexion sur la façon dont l’urbanisme et l’architecture urbaine peuvent conduire la société à une vie plus heureuse.

Comment Barjavel met-il en valeur les principes fondateurs de sa ville utopique ?

Le rôle de la science 

La biologie génétique

Son rôle est mis en valeur par la description des animaux dans le premier paragraphe de l’extrait, qui mentionne la création de races nouvelles, adaptables à d’autres milieux que leur milieu d’origine, telles les « méduses d’eau douce ». Mais cela va encore plus loin ici, avec une liberté totale dans les transformations corporelles. Les couleurs varient, avec « des cygnes rouges, des cygnes bleus » et jusqu’à la fantaisie « des cygnes noirs à pois blancs » ou des « anguilles arc-en-ciel ». C’est la nature même de l’animal qui se trouve ainsi modifiée,  comme pour les « cygnes blancs à trois ou cinq têtes », ou les « poissons échassiers », qu’on imagine dotés de pattes, ou « les poissons-mille-queues » ; enfin les formes se diversifient, d’où les mots composés : « les poissons-roues, les poissons-écharpes, les poissons-mille-queues ». On en arrive à une confusion des catégories naturelles, l’animal se confondant avec le végétal : « leur bouquet de cous », « les parterres éclatants de méduses ». C’est ce qui explique l’oxymore qui les qualifie de « monstres admirables ».

Mais le roman affirme ainsi sa dimension futuriste. Dès la 2nde moitié du XIXème siècle, le savant tchèque, Gregor Mendel, a prouvé l’existence des gênes, mais bien avant les hommes avaient déjà créé des races nouvelles, par exemple en croisant les chiens et les loups. Mais c’est bien après l’écriture de Ravage qu’intervient la transgénèse, imaginée ici, « l’intervention chimique et physique au cœur même de l’œuf. » C’est donc cette manipulation génétique qui produit ces races nouvelles, et trouve son application dans l’industrie alimentaire : « diverses usines fabriquaient des filets de sole plus gros que des baleines, ou, pour la friture, des vermicelles de poissons au goût de vairons ».

La physique

C’est l’utilisation de l’électricité qui fait fonctionner ce monde futur. Le fait que « La maison pouvait pivoter sur sa tige » implique, en effet, un mécanisme assez puissant pour entraîner toute l’architecture. Celle-ci est aussi transformable, et, pour cela, « le concierge appuyait sur un bouton », simple geste qui suffit à métamorphoser tout un immeuble : il « avait la forme d’une galette, mais se développait chaque matin et prenait de la hauteur, comme un chapeau claque ».

Plus banale est l’idée du « petit lac artificiel ».

En revanche, la description met en œuvre de nouveaux matériaux, qui rendent possibles les transformations opérées : « Les bureaux rentraient les uns dans les autres, les meubles s’aplatissaient, les plafonds venaient rejoindre les planchers, et l’immeuble se réduisait au tiers de sa hauteur. » Or, si dès les années 1930, des observations avaient été faites sur les alliages métalliques susceptibles de changer de forme, il a fallu attendre 30 ans pour que l’on découvre les alliages à mémoire de forme… et l’on est loin encore du matériau qui permet ce que dépeint Barjavel. Il le nomme « plastec », terme qui fait, bien sûr, allusion au pastique, mais ici doté de mémoire de forme, procédé qui débute à peine au XXIème siècle.

Les objectifs visés 

La fonctionnalité

L’architecture doit répondre à une efficacité fonctionnelle. Ainsi, elle favorise la captation de la lumière : « La maison pouvait pivoter sur sa tige, et présenter au soleil telle ou telle face ». Il s’agit aussi de faciliter les déplacements, « de laisser le sol à la disposition de la circulation ». D’où l’image de la maison, en forme de « champignon », bâtie sur un « pédoncule ». On retrouve là une technique de Le Corbusier, un système de piliers à la façon de pilotis.

Les étages pivotants d'une tour, à Dubaï, prévue en 2020

Les étages pivotants d'une tour, à Dubaï, prévue en 2020

Enfin, plus extraordinaire encore, l’espace se déploie en fonction de son utilité, comme « la mairie » qui « se développait chaque matin et prenait de la hauteur, comme un chapeau claque », tandis que « [l]e soir, les employés partis, […] l’immeuble se réduisait au tiers de sa hauteur. » Tout est donc fait pour faciliter la vie et le confort des habitants.

Le « plaisir » de l’homme

Ce monde futuriste traduit aussi le désir de satisfaire tous les sens. D’où la recherche pour créer des aliments nouveaux, tels « des vermicelles de poissons au goût de vairons, absolument délectables, et, bien entendu, sans épines. » En témoigne également, le nom des organismes, des « Laboratoires d’Animaux d’Agrément », qui créent de nouvelles espèces animales « pour le plaisir de l’œil » uniquement. Enfin – et là encore en reprenant une idée chère à Le Corbusier – la description de Barjavel accorde une grande importance aux espaces verts, qui doivent satisfaire à la fois, la vue, et l’odorat, dans un environnement auquel l’eau ajoute sa fraîcheur et son bruit apaisant : outre le « lac artificiel », « [s]ur le sol, presque entièrement libéré par l’ascension des bâtiments, les urbanistes avaient disposé des jardins, planté des arbres, et fait courir de multiples petits cours d’eau ».

Même dans le domaine des loisirs, avec l’exemple de la « pêche à la ligne », tout doit favoriser le seul « plaisir gratuit et d’essence purement esthétique ».

La facilité

Mais notons que les expressions choisies soulignent le fait que, dès qu’un désir apparaît, il doit pouvoir être immédiatement satisfait. Ainsi, c’est « selon le désir des habitants » que la maison va « pivoter », sans rationalité climatique particulière. De même, alors qu’en 1942 on descend encore les ordures dans une poubelle collective, ici « le vide-ordures » est directement accessible de l’espace d’habitation. Rien ne doit entraver un plaisir, depuis les poissons « bien entendu, sans épines », terme qui, d’ailleurs, les rapproche de fleurs, jusqu’à la « pêche à la ligne » qui peut se pratiquer sans bouger de chez soi : « au-dessous même des pieds de la table de leur salle à manger ou de leur lit-divan. »

John Constable, Wivenhoe Park, 1816. Huile sur toile, 56,1 x 101,2. National Gallery of Art, Washington , USA

John Constable, Wivenhoe Park, 1816. Huile sur toile, 56,1 x 101,2. National Gallery of Art, Washington , USA

CONCLUSION

Pendant longtemps, la littérature a mis en place des images du paradis héritées du « locus amoenus » antique, lieu idyllique où tout doit favoriser le plaisir des sens, dans un cadre naturel de verdure et d’eau. L’originalité ici est de déplacer cette image dans un cadre urbain, où la science permet de créer un nouveau mode de vie. Son apport apparaît bénéfique, puisqu’elle unit l’efficacité – la population  est de plus en plus nombreuse à loger, à déplacer, à faire travailler… – à l’esthétique. Il est nécessaire, comme dans cet extrait, de trouver un équilibre harmonieux entre la vie collective et la vie individuelle, en accordant un rôle essentiel à l’architecture : s’impose l’idée que l’on influe sur l’homme en modifiant son espace.

Cependant, même si cette conception du progrès réserve une place à l’homme et à sa liberté, il convient d’introduire des réserves.

         D’une part, l’homme est rendu complètement dépendant de la science, puisque, non seulement elle permet à ce monde de fonctionner, mais que, sous prétexte de lui permettre de satisfaire ses désirs, elle transforme ses sensations, ses goûts, par exemple dans le domaine alimentaire.

         D’autre part, il l’habitue à la facilité. Tout est à sa portée, de son domicile même, et il suffit d’appuyer sur un bouton pour que l’espace se modifie. L’homme perd alors tout sens de l’effort : acceptera-t-il un frein à cette facilité ? pourra-t-il même y survivre ?

C’est cette réflexion que développe la suite du roman.

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René Barjavel, Ravage, 1943 : "Le patriarche" 

Pour lire l'extrait

On se reportera à l’explication précédente pour introduire le roman. Cet extrait, lui, se situe dans la dernière partie, intitulée « Le Patriarche ».

François Deschamps, héros du roman, ayant survécu au cataclysme qui, après une panne complète de l’électricité, a détruit toute la civilisation moderne, est devenu le chef d’un petit village du sud-est où il s’est réfugié. Il a reconstruit, avec quelques compagnons, une vie fondée sur la nature, les valeurs familiales, et le refus de toute vie intellectuelle qui pourrait faire retomber l’homme dans se quête du progrès. Peu à peu, le village prospère et en fonde d’autres, dont les habitants viennent régulièrement rendre hommage au patriarche. Mais un soir arrive une machine qui sème la terreur sur son passage, conduite par le forgeron Denis : il présente fièrement son œuvre, résultat de dix ans de travail en secret.

Comment Barjavel, à travers l’opposition entre les deux personnages, conduit-il le lecteur à réfléchir sur la notion de « progrès » ?

Thèse en faveur du progrès 

Le personnage du forgeron

Dans l’antiquité grecque, le dieu des forgerons était Héphaïstos (Vulcain, chez les latins), ce qui rattache le personnage à deux éléments qui représentent des forces créatrices : le feu, notamment celui des volcans, et la terre. Son image est donc celle d’un créateur : il découvrit l’art de travailler les métaux et forgea de nombreux objets magiques destinés aux dieux et aux héros. Mais son pouvoir le rend souvent effrayant, et, dans de nombreuses cultures, un pouvoir proche de la sorcellerie lui est accordé.

Figure d’Héphaïstos. Statuette pierre bronzée, 21 x 10,5 x 10,5

En revanche, Barjavel, lui, en fait un portrait plutôt mélioratif. Déjà, son respect envers le patriarche est marqué par son appellation « père », et la façon dont il lui rend hommage : « Tu es très vieux et très sage. Avec tes conseils, j’espère la rendre plus forte encore ». Le narrateur omniscient renforce également cet hommage en soulignant le sentiment du personnage : « Il est heureux de la donner à celui dont la sagesse fait le bonheur de tous. » D’où sa réaction quand il est rejeté : « Père, père…, répète l’homme éperdu. »

Figure d’Héphaïstos. Statuette pierre bronzée, 21 x 10,5 x 10,5

Le but qui le guide est noble, et le récit le peint le « cœur […] plein d’amour et de joie », car il veut faire le bonheur de l’humanité, avec des machines qui « épargneront aux hommes, mes frères, beaucoup de leurs peines de chaque jour… » C’est ce qui explique son geste d’offrande : il « tend ses mains en avant, en guise de don ».

L'image de la science

Ce personnage symbolise la science. D’ailleurs son prénom, « Denis », et le lien établi entre sa machine et « une marmite sur le feu », avec l’« eau qui bouillait en soulevant le couvercle », sont une allusion directe à Denis Papin (1647-1713) qui, à la fin du XVIIème, imagina le piston à vapeur.

Or, le récit présente la science comme inhérente au génie du cerveau humain. Sa réponse à la question du patriarche « Comment t’est venue l’idée de construire cette machine ? » montre que, l’homme, par sa faculté de tirer profit de son observation, est capable de comprendre les forces naturelles : « en considérant une marmite sur le feu ». À partir de là, il cherche à plier la nature à son service : « J’ai voulu utiliser la force de l’eau bouillante. » Ainsi, même sans livre, le cerveau humain, par ses aptitudes propres, dispose de ce pouvoir créateur.

L'image du créateur

Mais le forgeron ne s’est pas arrêté à sa première découverte. La science entraîne des applications techniques : « J’ai construit d’abord un engin qui faisait tourner la roue de ma brouette au moyen d’un lien de cuir plat », ce qui rappelle le rôle de la courroie du ventilateur dans un moteur à explosion des voitures. Une gradation est marquée par les adverbes temporels, « d’abord », « puis », et les comparatifs : « j’ai voulu faire plus grand », « j’espère la rendre plus forte encore et plus utile, et en construire d’autres ». Elle souligne le fait que l’homme porte en lui ce désir du « mieux » et du « plus », qui l’amène à toujours chercher à se dépasser. C’est ce qui fait sa grandeur, et explique qu’il soit « fier d’avoir construit cette merveille », avec ce terme élogieux.

Quelles réactions peut avoir un lecteur devant ce personnage ? Il ne peut que paraître sympathique, digne de l’admiration légitime spontanément éprouvée pour le scientifique, considéré comme un bienfaiteur de l’humanité.

Thèse opposée au progrès 

La machine du forgeron. Illustration de Ravage, Barjavel

L'image de la machine

Le premier paragraphe rend la machine effrayante, déjà par l’amplification, avec des adjectifs hyperboliques et la répétition de la conjonction « et », des éléments qui la constituent : « Elle est bâtie d’énormes poutres de bois, d’une grande chaudière de cuivre, et de roues et de pistons et d’autres organes de bronze ». Elle est même personnifiée : elle « halète », elle « gicle une vapeur », comme un humain qui respire. 

La machine de Denis. Illustration site Web http://barjaweb.free.fr/SITE/ecrits/Ravage/ravage.html

Enfin, elle se charge d’une valeur symbolique. Elle arrive alors que la « nuit tombe sur le village ». Dans cette obscurité, avec sa « chaudière » qui « rougeoie », couleur de feu, mais aussi de sang, se renforce l’image de la mort qu’elle représente. Quand s’y ajoute « une vapeur qui tournoie autour d’elle », elle prend, dans ces ténèbres, une image infernale, presque satanique.

La perte de l'homme

Par la généralisation hyperbolique, « mille et mille sortes de machines », le discours du patriarche met en valeur une violente critique du rôle des machines. Elles sont accusées de déshumaniser l’homme, avec une gradation.

  • C’est d’abord une perte de ses capacités physiques, celle du geste, avec le rythme binaire, « Chacune d’elles remplaçait un de leurs gestes, un de leurs efforts », puis des sensations, avec l’énumération : « Elles travaillaient, marchaient, regardaient, écoutaient pour eux. » L’idée est redoublée ensuite, avec une anaphore négative : « Ils ne savaient plus se servir de leurs mains. Ils ne savaient plus faire d’effort, plus voir, plus entendre. » La violence subie s’intensifie par une image effrayante, qui réduit l’homme à l’état de squelette : « Autour de leurs os, leur chair inutile avait fondu. »

  • Ce sont ensuite « leurs cerveaux » qui sont atteints : «  toute la connaissance du monde se réduisait à la conduite de ces machines. »

  • L’étape suivante est celle de l’agonie, soulignée par la comparaison : « comme des huîtres arrachées à leurs coquilles. » Les machines sont devenues consubstantielles aux hommes, qui ne peuvent plus vivre sans elles.

  • Ainsi, arrive la dernière étape, la mort, en une brève phrase : « Il ne leur restait qu’à mourir… »

L’image du progrès se trouve donc totalement inversée, en une « cette route de malheur », et non plus une marche en avant vers l’amélioration.

Une utopie régressive

Un personnage symbolique : le patriarche

Déjà, le choix du titre de cette dernière partie, « Le patriarche », met l’accent sur le sens symbolique de ce personnage. Face à la jeunesse du forgeron, plein de créativité, il est, par son âge avancé, celui qui porte la vérité. C’est ce qu’illustre la vision qui suit immédiatement la description de la machine : «  La barbe du patriarche luit doucement dans la pénombre. » Il est la lumière face aux ténèbres infernales.

Après l’élan optimiste du forgeron, le récit introduit une seconde rupture brutale : « Dans la nuit, la voix du patriarche gronde, plus forte que celle de la machine, et lui apporte les mots d’une terrible colère ». Comment ne pas penser ici aux images bibliques, que ce soit celle du Dieu de l’Ancien Testament, chassant les hommes du paradis, ou celle de Moïse contre les adorateurs du Veau d’Or ? D’ailleurs, Barjavel avait prévu d’intituler son roman « La Colère de Dieu » et c’est son éditeur Denoël qui a choisi le titre définitif, Ravage.

Heinrich Frederic Schopin, La Colère de Moïse de retour de la montagne, XIXème siècle. Huile sur toile, 120 x 107. Coll° privée. 

Heinrich Frederic Schopin, La Colère de Moïse de retour de la montagne, XIXème siècle. Huile sur toile, 120 x 107. Coll° privée. 

Le rejet du progrès

Le reproche lancé au forgeron, « Insensé ! », souligne le rejet total du progrès. Deux arguments soutiennent cette thèse, dans deux questions rhétoriques :

           Le progrès porte en lui une menace, une dimension apocalyptique, celle précisément qu’ont racontée les parties 2 et 3 du roman : « Le cataclysme qui faillit faire périr le monde est-il déjà si lointain qu’un homme de ton âge ait pu en oublier la leçon ? » Comment ne pas penser ici à la bombe atomique… qui explosera bien après la parution de Ravage.

         En reprenant le but de l'invention, formulé par le forgeron, il l’inverse : « Ne sais-tu pas, ne vous l’ai-je pas appris à tous, que les hommes se perdirent justement parce qu’ils avaient voulu épargner leur peine ? ». Il propose ici une morale, inspirée par le christianisme : l’homme doit « peiner » pour mériter de vivre.

C’est ce qui explique les lignes qui ferment l’extrait, une absolue négation du progrès : « Cette machine sera détruite. Hélas ! il faut que soit détruit aussi le cerveau qui l’a conçue. »

CONCLUSION

Ce passage répond à celui précédemment étudié, en remplaçant l’éloge de la science par une dénonciation violente du progrès, maléfique car il mène à une déshumanisation de l’homme. Sa grandeur, marque du génie humain dont la « Ville radieuse » donnait l’image, masque, en fait, la démesure qui lui est inhérente et qui le perd. Pour Barjavel, la conséquente, inéluctable, est que la création se retourne contre son créateur.

À travers le personnage du « patriarche », le roman propose donc une utopie régressive, c’est-à-dire une remontée dans le temps, une recherche des temps perdus, un appel à la renaissance d’un homme vrai.

Synthèse : comparaison des deux extraits de Ravage 

Image du cataclysme

Autant, dans l’extrait de « La ville radieuse », l’urbanisme paraît harmonieux, et a pour but d’offrir une vie heureuse à ses habitants, autant, dans le second extrait, « Le Patriarche », tout s’inverse : la machine est représentée comme un monstre, et le vieillard insiste sur le rôle nocif des machines, qui « faillit faire périr le monde ». 

Or, ce résultat de l’excès humain, ce qu’on appelle dans l’antiquité grecque, « l’hybris », sa volonté d’égaler les dieux, n’est pas nouvelle. On la trouve dans toute la mythologie, et dans la Bible. Ainsi s’opposent Caïn, surnommé « le constructeur de ville », meurtrier de son frère Abel, le pasteur. Les « Villes hautes » du roman rappellent aussi la tour de Babel, symbole de cette ambition humaine, que la « colère de Dieu » anéantira, comme le patriarche veut détruire la machine et son créateur. Pensons enfin au « déluge de feu » qui anéantit les villes de Sodome et Gomorrhe.

Cornelis Anthonisz, Destruction de la tour de Babel, 1547. Gravure, Bibliothèque royale de Belgique

Cornelis Anthonisz, Destruction de la tour de Babel, 1547. Gravure, Bibliothèque royale de Belgique
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François Boucher, Pastorale ou Jeune Berger dans un paysage, 1739-1750. Huile sur toile, 90 x 121. Musée des Beaux Arts, Caen 

Une utopie régressive

De même, la tentation de prôner, dans une société qui se « civilise » de plus en plus, grâce aux progrès de la science lui offrant plus de confort, le retour à une vie patriarcale, traditionnelle, ne date pas de Ravage. Déjà, dans l’antiquité, les bucoliques et les églogues dépeignent la vie idyllique des bergers au sein d’une nature paisible, images reprises, au XVIIème siècle, dans les « pastorales » et les « bergeries », ou même dans Les Aventures de Télémaque (1699) de Fénelon, éloge d’une vie naturelle. Au siècle suivant, là où Voltaire, dans Le Mondain, en 1736, fait l’éloge du progrès et du luxe, en s’écriant « Ô le bon temps que ce siècle de fer ! », son contemporain, Rousseau reprend souvent, aussi bien dans ses essais que dans son roman, La Nouvelle Héloïse (1761), ou dans son autobiographie, Les Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778), cette image de vie idéale, simple et paisible, au sein de la nature donc loin des excès de la civilisation urbaine.

On y retrouve également des souvenirs bibliques, déjà par le titre de cette partie, « Le patriarche », allusion directe aux trois patriarches, Abraham, Isaac et Jacob. De même, on note la ressemblance entre la colère du « Patriarche »  et celle de Moïse, qui tonne ici contre le forgeron et sa machine comme Moïse contre les adorateurs du Veau d’Or en transmettant, lui, les Tables de la Loi comme le fait François en posant les règles de sa communauté.

Cette image renaît dans les années Trente, par exemple dans les ouvrages de Jean Giono, depuis son essai Les vraies Richesses, paru en 1936, comme dans ses romans, tels Le Chant du monde (1934) ou Que ma joie demeure (1935). 

Les patriarches Abraham (au centre), Isaac et Jacob.
Fresque d'une église orthodoxe de Maramures en Transylvanie. XVe siècle

Les patriarches Abraham (au centre), Isaac et Jacob. Fresque d'une église orthodoxe de Maramures en Transylvanie. XVe siècle

C’est aussi en 1935 que débutent les rencontres du Contadour, qui réunissent, dans un petit village de la Drôme – région d’où est aussi originaire Barjavel – des intellectuels qui, le temps de ces séjours ruraux, annuels, réalisent, loin de la vie agitée et artificielle de la ville, leur rêve d’un monde idéal au milieu de la nature.

Pour conclure

Ces deux textes conduisent à une double réflexion :

     Peut-on interdire l’accès à la connaissance ? Dans un tel cas, l’absence de livres, donc d’un savoir construit, où les différentes opinions peuvent s’exprimer et se discuter, laisserait l’homme livré à la fois à sa propre subjectivité, à ses émotions, et à tous les pouvoirs qui pourraient chercher à l’endoctriner.

     Peut-on limiter le fonctionnement de l’esprit humain, qui, à partir des observations qu’il effectue, tente de mettre l’environnement à son service ? Cela relèverait d’une sorte de lobotomie… et n’est-ce pas ce fonctionnement qui est à la source de l’optimisme, puisque l’homme peut ainsi résoudre les obstacles qu’il rencontre ?

Histoire des arts : la science-fiction dans la bande dessinée 

Pour voir un diaporama

La ville futuriste dans la bande-dessinée :utopie, dystopie

L’ancrage des textes de Barjavel dans un monde futuriste, le premier décrivant une « ville radieuse », où l’architecture soutient l’utopie, le second fondé sur la dystopie, avec une image d’apocalypse, conduit tout naturellement à envisager, en histoire des arts, la façon dont la bande dessinée fait écho à ce double aspect.

Trois dessinateurs ont été retenus pour la place que leurs œuvres accordent à l’architecture.

       François Schuiten, né à Bruxelles en 1956, formé à la bande dessinée à l’Atelier R, dirigé par le dessinateur Claude Renard, collabore brièvement au journal Pilote, puis, à partir de 1977, au magazine Métal hurlant, édité par Les Humanoïdes associés, qui se spécialise dans la science-fiction.

Bande dessinée

     Moëbius (1938-2012) est le pseudonyme pris par Jean Giraud dans les années 1970, pour marquer sa rupture avec son œuvre antérieure, la série "Blueberry", lieutenant de l’armée américaine après la guerre de Sécession, représentative de l’école franco-belge de la bande dessinée. Tout en poursuivant cette série, sous le nom de Gir, il commence alors sa collaboration à Métal hurlant, dont il est un des fondateurs.

       Katsuhiro Otomo, né au Japon en 1954, très jeune passionné par la bande dessinée et le cinéma, commence à publier dans la magazine Action Comics où il crée une soixantaine d’histoires courtes, au graphisme encore réaliste. Mais à la fin des années 70 il s’oriente vers la science-fiction, et renouvelle l’art du manga par des visions apocalyptiques, notamment, de 1982 à 1990 par la série "Akira", dont il fera un film d’animation en 1988.

Éric Raimond, « Le fil tranché ? », Le Monde, 7-11-1980 

Pour lire l'extrait

Raimond

L’essor économique des « Trente Glorieuses » n’a fait qu’accélérer le progrès, dans les sciences, les techniques, dans les transports et l'urbanisme, dans le confort matériel aussi… Cependant, les événements de Mai 68, avec la volonté de certains de « changer la vie », en refusant la consommation effrénée, et, surtout, la crise pétrolière de 1973, avec ses difficiles conséquences économiques, amorcent un changement des mentalités : le progrès n’apparaît plus si souhaitable ; on souligne davantage comme le fait Éric Raimond dans cet article du journal Le Monde du 7 novembre 1980, intitulé « Le fil tranché ? », ce qu’il détruit que ce qu’il construit. Comment son argumentation soutient-elle sa critique ?

Un environnement transformé (lignes 1-12)

Claude Monet, Régates à Argenteuil, vers 1872. Huile sur toile, 48 x 75. Musée d’Orsay, Paris

Le retour de Monet

Dans le premier paragraphe, le rédacteur de l’article cherche à attirer l’attention du lecteur en racontant une anecdote personnelle, à propos d’une œuvre d’art : « je tombe en arrêt devant une reproduction d’un tableau de Monet ». Tout en exprimant la séduction exercée sur lui par ce tableau, « une symphonie de lumière, de verdure et d’eau », il imagine un retour de Monet dans ce lieu. Les courtes phrases, dont celle elliptique « Sourire jaune », illustre l’ampleur du changement de ce « bord de Seine », accentué par l’antithèse entre la négation, « Dire que "ça a changé", ici c’est ne rien dire »,  et l’insistance en gradation : « C’est un autre univers, une autre planète. Même la lumière a changé. » 

Claude Monet, Régates à Argenteuil, vers 1872. Huile sur toile, 48 x 75. Musée d’Orsay, Paris

Analyse des changements

L’anecdote racontée sert de support à la réflexion générale. Après avoir posé, sous forme de questions rhétoriques, deux objections qui minimiseraient l’importance de ce changement, il les rejette avec force, par la négation hyperbolique, « Non, mille fois non », et la répétition négative également : « n’est pas un décor ». En comparant l’animal, « le poisson », et l’homme, il pose deux assertions, qui vont soutenir son argumentation : « l’homme est conditionné par son milieu. La culture n’est, d’une certaine façon, que le reflet de ce milieu ». 

D’hier à aujourdhui (lignes 12-22) 

Le connecteur « Or » introduit un raisonnement qui va être fondé sur l’opposition entre hier et aujourd’hui, marquée par l’opposition temporelle entre l’imparfait et le présent.

     Le passé est doté d’une qualité, la permanence, que traduit le lexique : « le même d’une génération à l’autre », « immuable », « durer des siècles ».

       L’opposition, malgré l’absence d’un connecteur, est radicale avec « Aujourd »hui », adverbe lancé en tête du troisième paragraphe : « les paysages sont à peine plus durables que l’homme, à peine moins vulnérables. » Le lexique péjoratif souligne le l’ampleur nocive des changements, « puissances de destruction », « barbarie », et son aspect terrible est amplifié par une comparaison historique évocatrice : « les hordes d’Attila n’étaient que des enfants de chœur ».

La Seine à Argenteuil 

Là où certains parlent de progrès, l’auteur du texte, lui, ne voit donc que des catastrophes, présentées sur un rythme ternaire en gradation. Il mentionne  d’abord « des paysages qui disparaissent », ensuite « des villes qui sont rayées de la carte », mais surtout insiste, en reprenant le lieu du tableau de Monet, sur la transformation de la Seine : « le plus grand fleuve de France qui est transformé en canal et sa vallée curetée sans pitié. » Ainsi, l’homme, en voulant maîtriser la nature, a détruit son environnement. Mais la reprise de la négation restrictive « ne…que » sous-entend que la suite du texte va introduire des conséquences encore plus graves.

La Seine à Argenteuil 

Les conséquences culturelles (lignes 23-32) 

Le dernier paragraphe de l’extrait en pose la thèse, en reliant les exemples précédents à l’assertion antérieure : le fait que l’homme dépend de son « milieu » est appliqué à la vie culturelle. La question rhétorique, en ouverture, interpelle le lecteur afin de l’amener à suivre la conséquence avancée. L’évolution de l’environnement induit une évolution intérieure sur la « façon d’être, de sentir, de penser », qui conduit elle-même à une double conséquence, négative : « c’est toute la culture à laquelle paysages, villes et fleuves avaient servi de berceau qui risque de disparaître ou de devenir incompréhensible à ceux qui auront vingt ans en l’an deux mille. »

L’idée est répétée, en accentuant ainsi un violent reproche : « Ceux qui viennent seront des étrangers n’ayant pas de passé ou incapables de le comprendre. » En jouant sur le refrain d’une chanson populaire chantée par Guy Béart en 1960, qu'il inverse, il la formule de façon plus frappante : « il n’y a plus d’avant ».

Les trois Parques. Bas-relief

Les trois Parques. Bas-relief

Ce constat de destruction est soutenu par une image d’abord générale : « La chaîne s’est rompue ». Chaque génération devient alors un maillon isolé, « étranger » à l’ensemble : la forme globale est perdue, « tout ce qui fait notre vie leur sera étranger ». L’image est ensuite reprise dans une comparaison empruntée au domaine textile, puisque le fil de « chaîne » est ce qui construit le tissage, ce qui sert de support à la trame en donnant au tissu sa solidité : « Comme si le fil qui nous reliait d’une génération à l’autre était soudain tranché net. » Mais cette comparaison rappelle aussi l’image des Parques dans la mythologique grecque antique, qui illustre le fil de la vie, tissé, déroulé et, enfin coupé par la dernière, Atropos, pour figurer la mort. 

C’est donc une mort de la culture que l'auteur de cet article annonce.

Analyse des changements

Même s’il ne prononce pas le mot « progrès », c’est bien de ce thème qu’il s’agit dans cet article. Tous les changements présentés ici viennent, en effet, de la volonté de l’homme de développer son économie, d’améliorer sa vie. Or, l’originalité du point de vue, critique, sur le progrès est qu’il inverse la perspective habituelle. Au lieu de se contenter de crier « Non future ! » comme ceux qui annoncent les inéluctables destructions que provoquerait le progrès, Éric Raimond y voit plus grave encore puisque, selon lui, ce futur ne peut que détruire le passé culturel, ou le rendre « incompréhensible ». L’homme ne pourrait alors que vivre dans le présent, ignorant d’où il vient et où il va.

Exposé oral 

Pour voir le site

L’objectif de cette séance est d’associer la pratique de l’oral à un entraînement à une utilisation raisonnée d’Internet. Elle procède donc en deux temps :

  • un temps d’observation collective, à la fois pour s’interroger sur la fiabilité du site (recherche sur Internet de la « qualité » des membres), et sur sa structure, en explorant le contenu des différents onglets ;

  • proposition de réalisation d’un exposé : choisir un des thèmes proposés, et en présenter une brève synthèse en lien avec l’image du « progrès ».

Site info-planèt

Conclusion 

Science & Vie N°1081 - Spécial fin du monde - année 2007

Sur l'argumentation

Les acquis sont récapitulés, autour des deux termes-clés : « convaincre » et « persuader ». On s’interroge sur l’intérêt – mais aussi les inconvénients – d’une argumentation indirecte, en comparant l’efficacité des extraits de romans à l’article de Raimond, qui propose, lui, une argumentation directe.

Conclusion

Sur l'enjeu de la séquence

Le bilan des textes étudiés conduit à distinguer les conceptions qui opposent ceux qui considèrent le « Progrès » comme un « espoir » et ceux qui y voient une « menace », en récapitulant les arguments invoqués. Les deux courtes introductions aux articles de Fabrice Mazerolle et de Sylvestre Huet permettent de reprendre collectivement la réflexion menée à partir des œuvres littéraires et artistiques étudiées.

Science & Vie N°1081 - Spécial fin du monde - année 2007

Expression d'une crainte et d'un rejet du changement, le refus du progrès technique se confond souvent avec celui du progrès scientifique et parfois aussi avec le refus de l'idée même de progrès. À travers les siècles, les progrès techniques ont ainsi été perçus comme contraires aux valeurs philosophiques et religieuses, dangereux pour l'emploi et les intérêts acquis ou encore comme nuisibles pour l'avenir de l'homme et de la planète.

Fabrice Mazerolle, Constructif, « Histoire du refus du progrès technique », n°31, janvier 2012

L’ambivalence du progrès technique ne fait plus débat. Désormais, même dans les écoles d’ingénieurs, la chose est dite : les techno-sciences qui bouleversent les sociétés par leur puissance productive et transformatrice mêlent des conséquences positives et négatives. Ce constat repose sur des « dégâts du progrès » souvent réduits à leurs conséquences environnementales, alors que d’autres effets – sur la vie sociale, la hiérarchie des valeurs, la communication entre individus, l’accélération des mutations culturelles – pourraient également être invoqués. La pire des attitudes serait de sous-estimer l’ampleur de cette ambivalence.

Sylvestre Huet, La Revue du projet, « Le Progrès, ses dégâts, ses promesses », n°23,  janvier 2013

 René Barjavel, La Nuit des temps, 1968

Devoir : essai 

Pour revoir la méthode de l'essai 

Sujet : Le philosophe Jacques Ellul écrit, dans Le Bluff technologique, en 1988 : « Si la technique rend tout possible, elle est devenue elle-même une nécessité absolue. » Cette « nécessité » est-elle, selon vous, une preuve du progrès accompli par l’humanité ? 

Voir des pistes pour la correction 

Lecture personnelle : René Barjavel, La Nuit des temps, 1968 

Un site d'analyse remarquable 

Quelques propositions d'étude 

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