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Le procès de la peine de mort : du XVIIIème siècle à nos jours
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Présentation de la séquence

La séquence se rattache à l’objet d’étude « Littérature d’idées et presse », prévu pour conduire du XIXème siècle à notre époque. Cependant, nous avons choisi de faire précéder cette étude d’une contextualisation, pour mieux comprendre, en nous reportant aux origines antiques, comment on en arrive à la notion de « peine capitale », et à sa contestation, qui a commencé au XVIIIème siècle.

Le corpus s’organise autour d’une problématique : Comment se développe le débat autour de la peine de mort, entre ses partisans et ses adversaires ? Six explications sont proposées, afin de montrer comment l’argumentation, art de convaincre mais aussi de persuader, varie selon le genre littéraire adopté, essai, roman, poésie, discours. Cela conduit à approfondir, tout particulièrement, les procédés de modalisation, et la pratique de l’éloquence. Elles sont prolongées par des lectures cursives de documents en écho.

Plusieurs activités doivent permettre aux élèves de s’approprier les stratégies argumentatives, depuis la mémorisation d’un poème jusqu’à un exercice préparatoire à l’épreuve de français au baccalauréat : la contraction de texte, suivie d’un essai. En classe de 2nde l’accès à l’autonomie et la pratique de l’oral sont à renforcer, d’où les recherches à présenter sous forme d’exposé ; mais il serait aussi possible, selon le niveau de la classe, d’élaborer un débat oral, par exemple en conclusion, voire la tenue d’un procès.

Enfin, le thème permet d’aborder l’histoire des arts, à travers l’étude de la gravure de presse ou l’analyse filmique.

Introduction 

Pour en savoir plus sur les procès d'Assises

Le thème traité 

Les « acteurs » d’un  procès de Cour d’Assises aujourd’hui

Le terme "procès"

 

Ce terme, du participe passé latin « processus », signifie, à l’origine, l’action de s’avancer, un progrès. On parle ainsi du procès dans la pensée ou dans l’acquisition du langage. Mais, dès le XIIIème siècle, il prend un sens juridique : il désigne une action en justice, devant un tribunal. Il suppose donc une organisation qui doit répondre à une culpabilité, celle de l’accusé. Celui-ci fait alors face à un/des juge/s, qui doivent prononcer la peine, formuler donc le verdict, la sentence. Au fur et à mesure de l’évolution des institutions judiciaires,  les procès se sont complexifiés : le juge a des assesseurs, et, dans les cas les plus graves, des jurés décident de la culpabilité et de la peine. Pour cela, ils disposent des témoins, de l’accusation et de la défense, et des plaidoiries, réquisitoire de l’avocat général, ou procureur, qui accuse au nom des victimes, des plaignants, voire de l’État, eux-mêmes parfois soutenus par leur propre avocat, et plaidoyer de l’avocat de la défense.

Les « acteurs » d’un  procès de Cour d’Assises aujourd’hui
Introduction
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La "peine de mort"

 

Faire mourir le coupable d’un crime remonte aux temps les plus lointains, et s’observe dans les sociétés les plus diverses : Jacques Pirenne, historien étudiant la préhistoire égyptienne, a, par exemple, étudié des documents qui représentent des coupables condamnés à être pendus ou tués par la hache. Les modes d’exécution ont, en effet, été très variés, et le singulier « la peine de mort » n’est intervenu qu’au moment où la société a choisi une forme unique d’exécution, comme la guillotine en France, ou, aux États-Unis, la chaise électronique ou une injection létale.

L’usage de la guillotine en France a conduit à employer, de façon plus officielle, l’expression « peine capitale ». Du latin, « caput », la tête, elle illustre la réalité concrète, avoir la tête tranchée, tout en semblant, parallèlement, effacer la référence immédiatement perceptible à la « mort ».

Ainsi, s’il y a « procès de la peine de mort », cela implique un débat, avec des partisans qui la défendent, et des adversaires, qui, eux, veulent la supprimer, l’abolir. Des arguments s’opposent alors, fondés sur des exemples qui font fonction de témoins. C’est aux destinataires, auditoire d’un discours ou lecteurs d’un texte, que revient, après avoir délibéré, le rôle de juge, pour poser sa propre opinion.

Mise en place de la problématique 

Dans un corpus qui couvre plusieurs siècles, nous observerons forcément une évolution dans le débat, d’où le verbe de la problématique : « Comment se développe le débat autour de la peine de mort, entre ses partisans et ses adversaires ? » Pour comprendre cette évolution, il est indispensable d’inscrire le "débat" dans le contexte d’une époque, à la fois les conditions historiques et les valeurs socio-culturelles, qu’elles relèvent de la politique, de l’économie, de la morale, notamment religieuse…

L’adverbe interrogatif, « Comment », fait porter la réflexion sur les moyens utilisés par ceux qui argumentent :

  • Le genre littéraire joue un rôle déterminant. Un essai, par exemple, permet une argumentation plus directe, parfois prise en charge par un auteur qui s’engage par le « je », qu’un roman, où un personnage peut servir de porte-parole, ou qu’un poème, qui peut s’inscrire dans une tonalité polémique ou lyrique.

  • Outre l’appel à la raison, pour convaincre le destinataire, l’argumentation doit aussi le persuader, c’est-à-dire l’émouvoir, toucher ses sentiments. Pour cela, il modalise son expression à l’aide de procédés d’écriture qui la renforcent.

L'héritage antique 

Le code d'Hammourabii

Le code d'Hammourabi

Dans toutes les sociétés antiques, le point de départ est la loi du talion, reformulée « Œil pour œil, dent pour dent », c’est-à-dire l’idée d’un châtiment à l’échelle  du délit, à titre compensatoire. Mais, quand il s’agit de condamner à mort, s’y ajoute la protection du groupe social, en excluant celui qui est « impur », dont le crime souille le groupe lui-même. Mais dès les temps les plus reculés, en remontant au code d’Hammourabi, le plus ancien texte de lois rédigé vers 1750 av. J.-C., du nom d’un roi babylonien, est posée l’idée d’un "procès" avec écoute de témoins et une assemblée de quartier qui formulera la sentence appropriée. Ainsi, dans le cas, par exemple, où une épouse se refuse à son mari, si elle « n’a pas commis de faute, que son mari est coureur et la discrédite, cette femme n’est pas coupable ; elle reprendra sa dot et retournera à la maison de son père. Si elle est coureuse et brise son foyer, discrédite son mari, cette femme, on la jettera à l’eau ».

Antiquité

La loi à Athènes

 

Dracon

Les premiers textes de lois remontent à Dracon, vers 621 av. J.-C., et sont destinés à éviter la vengeance privée : le « genos », le groupe familial, devait, en effet, pour permettre à l’âme de la victime d’un crime de trouver le repos dans les Champs-Élysées, infliger la mort au criminel. Ses lois offrent l’intérêt de ne pas distinguer les classes sociales, mais, pour faire accepter la fin de la vengeance, il fallait établir la certitude que les peines infligées par la collectivité seraient aussi sévères que les vengeances privées, d’où la sévérité de ces lois, dont nous avons hérité l’adjectif « draconien » pour qualifier l’extrême rigueur. Ainsi, un simple vol était puni de mort, et l’on attribue à Dracon cette phrase : « Les plus petites fautes m'ont paru dignes de la mort, et je n'ai pas trouvé d'autres punitions pour les plus grandes». C’est à cette époque que l’on  fait remonter la fondation de l’Aréopage, où siègent les archontes, des magistrats nommés à vie à l’issue de leur charge, qui appartiennent aux Eupatrides, classe supérieure de citoyens. 

Pour en savoir plus sur la justice dans la Grèce antique

Solon

Il faut attendre Solon (640-558), et l’établissement de la première démocratie athénienne, en 594 av. J.-C., pour que soit créé le tribunal populaire de l’Héliée, composé de 6000 citoyens de plus de trente ans, désignés par tirage au sort par l’Ecclésia, l’assemblée politique. Il efface peu à peu le rôle de l’aréopage, car il fait fonction de « cour d’appel ».

Nous pouvons déjà y voir l’ancêtre de nos tribunaux, avec des jurés, séparés par une barrière de l’assistance – l’audience est publique –, un président, qui siège sur une estrade, et deux tribunes pour l’accusation et la défense, enfin, au centre, une table pour compter les votes. Une clepsydre, horloge à eau, mesure le temps de parole, équivalent pour les deux parties. Cette organisation a largement contribué à l’essor de la rhétorique, avec des logographes, tels Lysias ou Isocrate, précurseurs de nos avocats actuels.

Puis seront créés des tribunaux spécialisés en fonction des délits.

Une clepsydre

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William Adolphe Bouguereau, Les Remords d’Oreste ou Oreste poursuivi par les Furies, 1862. Huile sur toile, 231,1 x 278,4. Chrysler Museum, Norfolk, USA

Les premiers débats

Ce sont les mythes qui, les premiers, posent la question du châtiment des criminels, en les montrant irrémédiablement victimes d’une punition divine : Œdipe, parricide et incestueux, se crève lui-même les yeux pour que la cité de Thèbes, souillée par son crime, échappe à la peste, Agamemnon, assassin de sa fille Iphigénie, est tué par son épouse Clytemnestre, elle-même tué par son fils Oreste : en fuite, il est alors poursuivi par les Érinyes, les déesses de la vengeance. Mais, dans Les Euménides, troisième tragédie de L’Orestie, jouée en 458 av. J.-C., Eschyle introduit une autre forme de justice. Tandis que le spectre de Clytemnestre et les furies vengeresses réclament vengeance auprès d’Apollon, Oreste, lui, s’adresse à ce dieu et à Athéna pour implorer leur pardon. C’est sous cette égide divine qu’est fondé le tribunal de l’Aréopage :

William Adolphe Bouguereau, Les Remords d’Oreste ou Oreste poursuivi par les Furies, 1862. Huile sur toile, 231,1 x 278,4. Chrysler Museum, Norfolk, USA

Se reporter aux lectures cursives

ATHÉNA.

Écoutez encore la loi que je fonde, peuple de l'Attique, vous qui êtes les premiers juges du sang versé. Ce tribunal, désormais et pour toujours, jugera le peuple Égéen. Sur cette colline d'Arès, les Amazones plantèrent autrefois leurs tentes, quand, irritées contre Thésée, elles assiégèrent la ville récemment fondée et opposèrent des tours à ses hautes tours. Ici, elles firent des sacrifices à Arès, d'où ce nom d'Aréopage, le rocher, la colline d'Arès. Donc, ici, le respect et la crainte seront toujours présents, le jour et la nuit, à tous les citoyens, tant qu'ils se garderont eux-mêmes d'instituer de nouvelles lois. Si vous souillez une eau limpide par des courants boueux, comment pourrez-vous la boire ? Je voudrais persuader aux citoyens chargés du soin de la république d'éviter l'anarchie et la tyrannie, mais non de renoncer à toute répression. Quel homme restera juste, s'il ne craint rien ?

Or, ce tribunal, après avoir écouté les deux parties, vote l’acquittement d’Oreste, à la grande colère des Érinyes. Pour les apaiser, Athéna leur promet alors les honneurs et le respect, et leur nom se change en "Euménides", les "bienveillantes". Ainsi sont introduites l’idée de tenir compte des circonstances pour juger, et la possibilité de clémence

Du côté des philosophes, de même, deux conceptions s’opposent :

        Pour Platon, dans la lignée de Protagoras, aucune remise en cause de la peine de mort, mais elle n’est plus justifiée comme une juste punition de la faute passée, car « on ne saurait empêcher que ce qui est fait ne soit fait », mais doit servir d’éducation : empêcher la récidive, et qu’elle « retienne ceux qui en ont les témoins ». Cependant, dans Les Lois, il considère que, si le criminel peut être réhabilité, la mort ne s’impose pas : elle ne doit être que l’ultime solution. De même, Aristote insiste sur le rôle de la justice, réparer une inégalité : elle « traite les parties à égalité, se demandant seulement si l'une a commis, et l'autre subi, une injustice, ou si l'une a été l'auteur et l'autre la victime d'un dommage. » Mais il invite tout de même à peser la situation avant d’appliquer une stricte réciprocité entre la faute et sa punition et, surtout, à mesurer si l’acte commis a été volontaire ou non.

          Face à eux, la réponse de Diodote à Cléon, à l’Assemblée, en 427 av. J.-C., pose déjà tous les arguments critiquant la peine de mort. La décision porte sur le châtiment à infliger aux habitants de Mytilène, capitale de l’île de Lesbos, alliée d’Athènes mais qui s’est rebellée contre elle. Cléon réclame la mort de tous les hommes adultes de Mytilène, car ne pas punir la rébellion est la reconnaître comme justifiée, et encourager d’autres cités à la révolte. Aucune indulgence ne serait juste envers ceux qui étaient prêts au massacre… Diodote, lui, nie toute valeur d’exemplarité à la peine de mort : elle n’a jamais empêché les criminels de suivre les élans de leurs passions, elle n’offre aucune « sûre garantie ». Pire encore, en n’offrant aucun espoir à des insurgés, elle ne peut que les inciter à résister encore davantage. Il invite, enfin, à mettre au premier plan l’intérêt d’Athènes, car un siège pour détruire la ville coûte cher, et une ville détruite ne rapporte rien, d’où sa conclusion : « Ayons soin plutôt, en infligeant aux Mytiléniens un châtiment proportionné à leurs fautes, de laisser ces villes disposant de ressources pécuniaires nous être utiles. » C’est Diodote qui l’emporte : le décret obtenu par Cléon est annulé.

Les lois romaines

 

Comme en Grèce, c’est d’abord le sacré qui fonde l’application de la peine de mort, et il faut attendre la Loi des Douze Tables, code rédigé vers 450 av. J.-C., pour que s’impose une loi civile. Mais, pour qu’il y ait peine de mort, il faut que l’acte commis relève du sacrilège, par exemple prononcer un maléfice, se livrer à la magie… Du moins pour un citoyen, car les étrangers et les esclaves, eux, peuvent être plus facilement condamnés... De façon générale, l’établissement de la République a favorisé des peines de remplacement : l’exil, la confiscation des biens, l’envoi dans les mines, la prison ; le consul Pompée la supprime même en cas de meurtre d’un proche parent, en la remplaçant par le bannissement. Il a fallu des cas extrêmement graves, telle la conjuration de Catalina qui a mis en péril le pouvoir, et tout l’art oratoire de Cicéron pour obtenir la mort du coupable. Dès cette époque est pratiquée l’"indulgentia", qui permet au Sénat d’annuler ou de modifier la peine.

Mais les arguments en sa faveur restent identiques : dissuader les criminels potentiels, d’où la crucifixion le long des routes afin  d'impressionner le peuple, et de satisfaire les victimes. Ce sont encore ceux invoqués par Sénèque : « Le sage ne prononce pas une peine parce qu’une faute a été commise, mais pour qu’il ne soit plus commis de fautes. » (De Ira)

Cependant, la décadence des mœurs, les luttes de pouvoir et la volonté de lutter contre le christianisme voient, sous l'Empire, se multiplier les raisons des condamnations à mort, une longue liste : meurtre, castration lèse-majesté, haute trahison, désertion, adultère, inceste, pédérastie, bigamie, faux monnayage… et toutes les formes de ce que l’on nomme « hérésie ». Seule peut l’empêcher la grâce de l’empereur, qui poursuit l’ancienne "indulgentia", et que prône Sénèque dans le De Clementia, en 55-56. 

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Dans la Grèce antique comme à Rome, les formes de mises à mort sont extrêmement diverses, selon le crime puni mais aussi le statut social ou le genre : de la peine la plus douce, telle celle de Socrate empoisonné par la ciguë, la mort par inanition, comme celle destinée à l’héroïne de Sophocle, Antigone, la noyade ou l’ensevelissement, enfin, plus violentes, la précipitation, la pendaison, le bûcher ou la décapitation par la hache ou le glaive. Mais est aussi nommée « peine capitale », l’exil, considéré comme tel car le condamné, privé du sol de la patrie, est privé de tout droit et des dieux protecteurs.

L'héritage biblique

 

Dans la Bible

        Dans l’Ancien Testament, la peine de mort renvoie aux temps où l’État n’est pas encore constitué. Le patriarcat donne tout pouvoir au chef de clan sur ses membres, et autorise une terrible vengeance : « Qui répand le sang de l’homme, par l’homme son sang sera répandu, car à l’image de Dieu l’homme a été fait. » (Genèse 9, verset 6) Alors que les tribus commencent à former un embryon d’État, la loi du talion introduit une forme d’équilibre, en imposant l’égalité entre la faute et le châtiment. Quant au commandement « Tu ne tueras point », il exclut le crime de guerre, la légitime défense et la sentence d’un tribunal. La peine de mort ne punit d’ailleurs pas le seul homicide, mais les infractions à la loi religieuse, telles le blasphème, la sorcellerie, et les fautes qui portent atteinte à la famille, adultère et inceste.

       Le Nouveau Testament constitue une importante rupture. Le message du Christ appelle à faire cesser le cycle de la violence : « Vous l’avez appris : il a été dit œil our œil, dent pour dent. Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui l’autre aussi. » (Évangile selon Matthieu  5, verset 38-39), ou, pour la femme adultère, « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ! » (Évangile selon Jean, 8, verset 7). Cependant, même si le Christ invite au pardon, il ne refuse pas qu’une sanction soit appliquée dans le « royaume terrestre », en laissant le jugement ultime au « royaume de Dieu », dans l’au-delà.

L'influence du christianisme sur la justice

À partir des textes bibliques, se fonde la réflexion des Pères de l’Église et, plus largement, des penseurs chrétiens. Tous rappellent les principes de l’Évangile, au premier rang desquels la charité, insistant sur le refus d’infliger la mort, comme Saint-Augustin qui écrit dans une épître de 408 : « Subir la mort plutôt que la donner ; corriger les impies, non les tuer ». En fait, l’Église des origines refuse de faire couler le sang, mais admet qu’une justice civile puisse prononcer une peine de mort.

Cette attitude prédomine au Moyen Âge, car la peine de mort, contrairement à l’image que l’on s’en fait, reste rare. Sa valeur d’exemplarité s’exerce, davantage que par sa fréquence, par la façon dont s’exerce cette « malemort », parfois précédée de torture : décapitation, écorchement, écartèlement, pendaison parfois après avoir été bouilli, et bûcher, sort réservé aux hérétiques ou sodomites, le tout en public, afin de l’impliquer dans le jugement. Le lien avec la religion reste prégnant, car la peine de mort entraîne non seulement la confiscation des biens mais le refus d’une sépulture chrétienne. En fait, la justice, préservant le droit de grâce du seigneur ou du prince, reste marquée doublement, par le christianisme qui le charge d’appliquer le droit divin, et par le droit antique, d’où le souci de tenir compte du statut social de l’accusé – il ne faut pas s’aliéner une famille qui voudrait le venger, donc on condamne plus volontiers des marginaux – et de sa « réputation », pour prendre en compte son aptitude à se corriger, qui rejoint l’idée de « rédemption » chrétienne.

La pendaison. Enluminure, Moyen Âge

La pendaison. Enluminure, Moyen Âge

Contextualisation : le "siècle des Lumières" 

La justice sous l'Ancien Régime 

Différents échelons organisent la justice civile, les pouvoirs de l’Église ayant été limités, depuis le XVIème siècle, à la seule question des sacrements.

Le roi, monarque « de droit divin », garde, officiellement, le droit de juger, et, surtout, celui de gracier, mais il délègue son pouvoir, d'une part, à la justice seigneuriale, qui a ses tribunaux propres mais qui, si elle peut décider des châtiments corporels, n’est pas apte à appliquer la peine de mort, d'autre part, aux Parlements, comme celui de Paris qui couvre la moitié du royaume : ils doivent enregistrer les lois, ils servent de cour d’appel et jugent les grands criminels, donc ceux qui risquent la peine de mort.

Or, cette organisation pose deux problèmes :

  • Rendre la justice est une charge royale, qui s’acquiert par paiement d’une taxe ou par héritage. Cette vénalité ne garantit en rien la compétence du juge, et, surtout, incite à la corruption pour compenser ce coût : c’est ce que l’on nomme les « épices »…

  • Les Parlements représentent de plus en plus un pouvoir politique, et, en ce sens, peuvent inciter à une peine – ou l’empêcher. Les condamnations sont donc souvent arbitraires, dépendantes du statut social de l’accusé.

Contexte
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Pour lire l'ordonnance de 1670

L'ordonnance de Louis XIV, 1670

C’est pourquoi, sous Louis XIV, une ordonnance, sous l'égide de Colbert, en 1670, qui restera valable jusqu’à la Révolution de 1789, codifie plus rigoureusement la torture (ou « question »), l’envoi aux galères et la peine de mort, qui est maintenue, uniquement « reportée » dans le cas d’une femme enceinte…

Mais les cas où il est possible de condamner à mort sont nombreux, et, comme la condamnation relève du seul aveu, obtenu sous la « question », son exécution est plus fréquente. Elle concerne, en effet, le meurtre ou homicide, avec ou sans guet-apens et préméditation, le rapt, le vol domestique, la banqueroute frauduleuse, et même, avant le XVIIe siècle le faux témoignage, l’adultère de l’homme, l’inceste, la bigamie, l’attentat aux mœurs, et, bien sûr, le crime de « lèse-majesté ». 

Les arguments qui justifient la peine de mort n’ont pas varié depuis l’Antiquité : elle empêche un criminel, jugé irrécupérable, de récidiver, lui évite donc de poursuivre dans la voie du péché. Intervient toujours l’héritage de la loi du talion : l’assassin ne peut survivre à sa victime, qui serait alors doublement lésée. Enfin, nous retrouvons l’idée d’exemplarité : dissuader par la peur de potentiels criminels.

Lectures cursives : Montesquieu et Beccaria 

Montesquieu, L’Esprit des lois, 1746, livre VI, chapitre XII

 

Publié en 1748, cette œuvre de Montesquieu, lui-même magistrat, est à la fois une étude politique, économique et sociale, qui analyse les lois de toutes les sociétés connues, à travers les formes de gouvernements, républicain (démocratique ou aristocratique), despotique et monarchique.  Il ouvre ainsi une réflexion sur le pouvoir et la liberté, qui nourrit toute la pensée des Lumières.

Le titre du livre VI, « Conséquences des principes des divers gouvernements, par rapport à la simplicité des lois civiles et criminelles, la forme des jugements, et l’établissement des peines », montre la complexité de sa réflexion, qui le conduit, dans le chapitre XII, alors qu’il s’interroge sur « la puissance des peines », à remettre en cause la peine de mort.

Son analyse repose sur un constat simple : si une peine est destinée à dissuader du « mal » en faisant peur par une « grande peine », vu que l’esprit s’habitue à tout, c’est une course sans fin, car il faudra toujours établir une peine plus effrayante. Montesquieu rejette ainsi l’idée d’exemplarité de la peine de mort, en prenant l’exemple de la désertion : « on établit la peine de mort contre les déserteurs, et la désertion n’est pas diminuée ». Il souligne même l’absurdité d’une telle peine pour un soldat qui risque sans cesse la mort…

Pour lire l'extrait

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Pour lire l'extrait

La conclusion de l’extrait  invite donc à, certes, refuser « l’impunité des crimes », mais à modérer les peines, d’où son injonction : « Suivons la nature, qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau ; et que la plus grande partie de la peine soit l’infamie de la souffrir. » Il prouve ainsi sa confiance en l’homme, doté d’une conscience morale, réintroduisant de ce fait la notion de « repentir », héritage chrétien. 

Beccaria, Des Délits et des peines, 1764, chapitre XVI

L’essai du philosophe italien, Beccaria, publié en 1764, est traduit en français dès l’année suivante, et inspire toute la réflexion des Lumières sur la justice. Beccaria, en posant la séparation des pouvoirs religieux et judiciaires, y réclame, comme l’indique le titre, une plus juste proportion entre les délits et les peines, et dénonce tout particulièrement la torture et la peine de mort.

1ère partie : le droit de tuer (des lignes 1 à 19)

L’interpellation violente du destinataire, «  Qui peut avoir donné à des hommes le droit d’égorger leurs semblables ? », marque d’emblée l’indignation de Beccaria. Son  raisonnement repose sur un argument : en fondant la justice, les membres d’une société renoncent, à de « petites portions de liberté », mais il est impensable qu’ils aient pu ainsi aller jusqu'à risquer la mort. Si c’était le cas, il faudrait admettre le droit au suicide. N'étant donc, « appuyée sur aucun droit. », la peine de mort n'a qu'une seule justification :  être « nécessaire et utile » à la nation. 

2ème partie : l'absence de nécessité (des lignes 20 à 34)

Beccaria oppose alors deux situations historiques.

  • Il admet que, dans des temps troublés, la peine de mort puisse s’appliquer, pour protéger « la sécurité publique ».

  • En revanche, il considère que, dans une nation bien gouvernée et prospère, la peine de mort ne peut être justifiée que pour « empêcher de nouveaux crimes ». La question est donc de savoir si elle est efficace pour ce faire…

3ème partie : l'absence d'utilité (des lignes 1 à 19)

La fin de l’extrait s’emploie à prouver l’inefficacité de la peine de mort, d’abord par référence à des exemples historiques, l’antiquité romaine ou la Russie.

Prévoyant cependant l’objection de ceux qui invoquent la tradition pour défendre la peine de mort, il fait appel ensuite à « la nature » même de l'homme, permanente, et au « cœur », suivant ainsi l’évolution philosophique du XVIIIème siècle qui associe à la raison la force de la sensibilité. Il part ainsi d’un constat : « notre sensibilité est plus aisément et plus constamment affectée par une impression légère mais fréquente, que par une secousse violente mais passagère. » car l’homme s’habitue à tout. Ainsi, pour imposer des vertus morales, il faut « des impressions répétées ». D’où sa conclusion : une peine de longue durée dissuade davantage un criminel de récidiver, et elle offre aussi l’intérêt de « répar[er] par des travaux pénibles le dommage qu’il a fait à la société. »

Voltaire

Voltaire, Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines, 1766, du début à "... tirer rarement."  

Pour lire le texte

Toute la vie de Voltaire témoigne de son combat contre le fanatisme et l’intolérance, qui le conduit à un engagement actif lors de l’affaire Calas, protestant accusé,  en 1761, d’avoir tué son fils qui voulait se convertir au catholicisme. Voltaire s’implique pour faire appel de sa condamnation à mort par le Parlement de Toulouse, mais Calas est supplicié puis exécuté en mars 1762. Voltaire poursuit cependant son combat, soutenu par son Traité sur la Tolérance, publié anonymement à Genève en 1763, et réussit à faire casser le jugement : Calas est réhabilité en mars 1765, et sa veuve et ses enfants recouvrent leurs droits et leurs biens. Il intervient ensuite dans d’autres affaires liées à la religion, avec succès pour Sirven mais échec pour le chevalier de La Barre, autant d’occasions de s’indigner contre les pratiques judiciaires, et tout particulièrement contre la peine de mort. C’est ce qui explique son intérêt pour l’ouvrage de Beccaria, Des Délits et des Peines, signalé dès son introduction :

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Louis Carrogis, dit Carmontelle, La Malheureuse famille Calas, 1765. Lithographie, 37,2 x 48,5. Musée du Louvre.

J’étais plein de la lecture du petit livre Des Délits et des Peines, qui est en morale ce que sont en médecine le peu de remèdes dont nos maux pourraient être soulagés. Je me flattais que cet ouvrage adoucirait ce qui reste de barbare dans la jurisprudence de tant de nations ; j’espérais quelque réforme dans le genre humain, lorsqu’on m’apprit qu’on venait de pendre, dans une province, une fille de dix-huit ans, belle et bien faite, qui avait des talents utiles, et qui était d’une très-honnête famille.

Il en fait l’éloge en le commentant en 23 chapitres, dont le chapitre X, consacré à la peine de mort. 

1ère partie : l’inutilité de la peine de mort (des lignes 1  à 18) 

La stratégie argumentative

 

L’argumentation dans la première partie de cet extrait suit une démarche rigoureuse pour convaincre :

         La première phrase pose la thèse, reprenant la question la plus souvent traitée par les partisans et les adversaires de la peine de mort, celle de son utilité : « les supplices inventés pour le bien de la société doivent être utiles à cette société. » Il pose ainsi une prémisse rationnelle, tel un axiome que chacun doit pouvoir admettre, écartant d’emblée la notion, ancienne, de vengeance.

        Il résout ensuite cette question en montrant que les travaux forcés imposés à un coupable sont de loin préférables à la peine de mort, à l’aide d’exemples empruntés à l’Angleterre et à la Russie.

         Il conclut cette partie en insistant sur les bienfaits du travail, qui éloigne de tous les vices, conception qu’on retrouve dans de nombreuses œuvres, à commencer par la conclusion de Candide : « Cultivons notre jardin ».

L'art de persuader

 

Voltaire soutient son argumentation par les procédés d’écriture qu’il adopte, d’abord l’énonciation. Ainsi la formule d’ouverture « On a dit, il y a longtemps… » lui permet de généraliser sa conception en la rattachant à une tradition, une façon de répondre aussi aux partisans de la peine de mort qui la présentent comme inscrite dès l’origine dans l’histoire de l’humanité. De même, commencer sa justification par la formule impersonnelle « Il est évident que… » veut obliger le lecteur à l’accepter. Enfin, il interpelle ce lecteur, feignant d’abord de partager sa réaction de surprise, « Ce changement heureux nous étonne », avant l’antithèse qui le ramène à sa thèse « mais rien n’est plus naturel ». Puis, il lui adresse une injonction, dont il pose, avec le futur, la conséquence comme assurée : « Forcez les hommes au travail, vous les rendrez honnêtes gens. » Enfin, c’est à nouveau par une généralisation qu’il impose son jugement au lecteur : « On sait assez que ce n’est pas… »

À cela s’ajoute la modalisation, déjà une façon de concrétiser son discours par un lexique évocateur : « un homme perdu n’est bon à rien », « vingt voleurs vigoureux ». Nous notons aussi son ironie, empreinte d’amertume : « leur mort ne fait de bien qu’au bourreau, que l’on paye pour tuer les hommes en public ». Enfin, le rythme des phrases souligne les avantages du travail, assertion catégorique, «Les occasions du vice leur manquent : ils se marient, ils peuplent. », ou doute fictif : « excepté peut-être quand il y a trop de fêtes, qui forcent l’homme à l’oisiveté, et le conduisent à la débauche ».

Le rôle des exemples

 

Les deux pays cités ne sont pas choisis au hasard : d’un côté, l’Angleterre, une monarchie parlementaire dont Voltaire fait souvent l’éloge, par exemple dans ses Lettres philosophiques ou Lettres anglaises, publiées en 1734, à son retour d’exil, de l’autre la Russie, une monarchie despotique, sous « l’empire de l’autocratrice Élisabeth », qui régna de 1742 à sa mort en 1761, puis de Catherine II. L’opposition de ces deux régimes vise à montrer que le choix de renoncer à la peine de mort est indépendant de tout système de gouvernement.

         Pour l’Angleterre, Voltaire met en avant, accentuée par l’antéposition de l’adverbe, lancé en tête de phrase, la puissance que le refus de la peine de mort a donné au royaume : « Rarement les voleurs sont-ils punis de mort en Angleterre ; on les transporte dans les colonies. »

Alexi Petrovich Antropovore, Portrait de Catherine la Grande de Russie, vers 1762. Huile sur toile

         Pour la Russie, c’est Élisabeth Ière qui abolit la peine de mort, et, par un oukaze de 1760, elle autorise les seigneurs à punir leurs serfs rebelles de déportation afin de peupler la Sibérie : « on n’a exécuté aucun criminel ». Ce libéralisme est poursuivie par Catherine II, qui, aux yeux des philosophes des Lumières, représente l’exemple même du "despote éclairé", notamment pour Voltaire, dont elle a lu les œuvres et avec lequel elle correspond dès 1763 : il fait ici un vibrant éloge de son « génie très supérieur ». À sa mort, elle racheta d’ailleurs sa bibliothèque à sa nièce, Pour son texte de 1767, Instruction pour la commission chargée de dresser le projet d’un nouveau code de lois, dite le Nakaz, elle reconnaît s’être largement inspirée de Montesquieu et de Beccaria.

Ces deux exemples soutiennent sa thèse en faveur de l’inutilité de la peine de mort, d’abord par la négation de l’argument adverse, « Les crimes ne se sont point multipliés par cette humanité », redoublée par l’insistance affirmative : « il arrive presque toujours que les coupables relégués en Sibérie y deviennent gens de bien. »

Alexi Petrovich Antropovore, Portrait de Catherine la Grande de Russie, vers 1762. Huile sur toile

2ème partie : autour de la loi pénale (de la ligne 19 à la fin) 

Le rôle de la loi

 

La seconde partie revient au fondement de la question, la loi et son rôle.

Dans un premier temps, il rappelle les origines du droit français, le code romain, « nos premiers législateurs », et la négation restrictive souligne la limite de la peine de mort : « On ne condamnait un citoyen romain à mourir que pour des crimes qui intéressaient le salut de l’État. » L’antithèse lexicale, entre jadis « ils ont respecté le sang de leurs compatriotes », et la situation actuelle, « nous prodiguons celui des nôtres », exprime fortement sa critique du droit français, qui trahit ainsi ceux qu’il qualifie pourtant de « maîtres ».

Il pose ensuite une question fondamentale en matière de justice, l’opposition qui peut survenir entre la loi et ce que l’on nomme la jurisprudence, c’est-à-dire la possibilité de tenir compte d’une situation particulière pour prononcer une peine qui peut différer de celle originellement prévue par la loi. En qualifiant cette question de « délicate et funeste », Voltaire dénonce le pouvoir ainsi accordé à des juges, et, de ce fait, la disparité des jugements d’un tribunal à l’autre pour une culpabilité a priori identique. Il prend ainsi l’exemple du roi Henri VI d’Angleterre pour soutenir sa critique.

Cependant,  il illustre lui-même la difficulté de traiter cette question, en admettant, dans un second temps, la nécessité de tenir compte des « cas singuliers » : « Il y a des affaires criminelles, ou si imprévues, ou si compliquées, ou accompagnées de circonstances si bizarres, que la loi elle-même a été forcée dans plus d’un pays d’abandonner ces cas singuliers à la prudence des juges. » Il s’agit, en effet, de tenir compte des dimensions variables propres à la nature humaine.

L'appel à la clémence

 

Enfin, en approfondissant sa réflexion, il arrive à une synthèse, en prônant, qu’il s’agisse de la « loi » ou de la jurisprudence,  la clémence. En posant une antithèse hypothétique entre « une cause » et « mille causes », il place au-dessus des deux situations un respect absolu de la vie humaine. L’opposition entre « la vie » et « la mort » rend son injonction finale particulièrement catégorique : « l’humanité, plus forte que la loi, doit épargner la vie de ceux que la loi elle-même a dévoués à la mort. »

La déesse Thémis. Statuette

Une image renforce cet appel, à partir de l’allégorie de la justice, la déesse Thémis de l’antiquité, traditionnellement représentée avec une balance, car elle doit peser la faute, les yeux bandés, pour signifier son impartialité, et un glaive, symbole de sa force punitive, lui-même emprunté à l’antique divinité grecque de la vengeance, Némésis. Or, Voltaire rappelle qu’à son époque, le pouvoir civil détient la fonction de juger : « L’épée de la justice est entre nos mains ». Mais, en refusant l'idée même de vengeance et en rappelant la suprématie du monarque, devant lequel il est interdit de sortir l’épée de « son fourreau », il généralise son appel à tous les lecteurs, et les invite à la même clémence que celle, depuis longtemps, recommandée aux rois : « nous devons plus souvent l’émousser que la rendre plus tranchante. On la porte dans son fourreau devant les rois, c’est pour nous avertir de la tirer rarement. »

La déesse Thémis. Statuette

CONCLUSION

 

Ce chapitre offre un double intérêt. D’une part, il montre la volonté des philosophes des Lumières de s’adresser aux lecteurs afin de faire évoluer les mentalités : si les juges appliquent la peine de mort, n’est-ce pas d’abord parce que le peuple lui-même la réclame avec force ? Voltaire reprend ainsi un argument ancien, l’inutilité de la peine de mort, en montrant qu’il existe une solution bien préférable pour la société, le travail forcé. D’autre part, il fonde sa réflexion sur une remise en cause du fonctionnement des tribunaux, avec des juges écartelés entre la loi, et une jurisprudence parfois plus sévère encore. C’est donc, en réalité, un appel à la sensibilité, à l’humanité qu’il lance ici, car il a pu lui-même mesurer l’horreur de la peine de mort. Nous le retrouvons d'ailleurs dans l’ensemble de son œuvre, aussi bien dans ses contes, comme Candide ou L’Ingénu, que dans Questions sur l’Encyclopédie, en 1770 : « Il n’y a point d’année où quelques juges de provinces ne condamnent à une mort affreuse quelque père de famille innocent, et cela tranquillement, gaiement même, comme on égorge un dindon dans sa basse-cour. On a vu quelquefois la même chose à Paris. » (« Lois criminelles »)

Exercice : la contraction de texte) 

Pour lire le texte

La contraction de texte est une des deux épreuves écrites prévues au baccalauréat pour les séries technologiques. Il est nécessaire de l’approcher à travers une méthodologie progressive. Le texte proposé est un discours d’Adrien Duport, en faveur de l’abolition de la peine de mort, prononcé devant l’Assemblée constituante le 31 mai 1791. Il compte 647 mots, donc la contraction, au quart, demande 160 mots +/- 10 %.

Député de la noblesse lors des États généraux de 1789, Adrien Duport (1759-1798) rejoint en juin le Tiers État et cet avocat puis conseiller au Parlement de Paris participe activement à la lutte contre les abus de l’Ancien Régime, notamment pour abolir le système juridique encore féodal et réorganiser la magistrature. Il est, par exemple, à l’origine de la fondation des jurys, et chargé de soutenir un projet d’abolition de la peine de mort, qu’il veut remplacer par l’emprisonnement en cachot, au pain et à l’eau. Mais ce discours n’empêchera pas l’Assemblée de maintenir la peine de mort, et la guillotine fera son œuvre…

Adrien Duport

Pour voir la correction

Contraction

Alphonse de Lamartine, Odes politiques, 1830, « Ode contre la peine de mort », de " … " à " … "... tirer rarement."  

Pour lire l'extrait

Lamartine

Lamartine (1790-1869) est aujourd’hui connu pour le recueil qui fit son succès, Méditations poétiques, en 1820, et reste l’exemple même du mouvement romantique. Mais ce poète n’est pas seulement un amoureux chantant sa douleur au sein de la nature. Il a participé activement à la vie politique de son époque : né pendant la Révolution, il grandit sous l’Empire, connaît la Restauration avec Louis XVIII et Charles X et vit les journées de juillet 1830, enfin entre dans la diplomatie en 1833, sous Louis-Philippe. Il est ensuite élu, à plusieurs reprises, député, et, quand est proclamée la Seconde République, en 1848, sa participation au gouvernement conduit à l’abolition de la peine de mort, de la contrainte par corps, de l’esclavage dans les colonies, à la proclamation de la liberté de la presse, du droit de réunion et du droit de vote pour tout électeur. 

Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, Lamartine refusant le drapeau rouge devant l’Hôtel de Ville, vers 1848. Huile sur toile. Petit Palais

Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, Lamartine refusant le drapeau rouge devant l’Hôtel de Ville, vers 1848. Huile sur toile. Petit Palais

Ce libéralisme républicain se traduit dans ses œuvres politiques, moins connues, notamment dans ses Odes politiques, dont celle « contre la peine de mort », long poème de 199 vers enflammés, dédié « Au peuple du 19 octobre 1830 ». Alors qu’en juillet 1830, Paris s’insurge contre les lois absolutistes promulguées par Charles X, ses ministres le soutiennent, ce qui leur vaut d’être accusés, quand Louis-Philippe accède au pouvoir. Or, si Louis-Philippe est prêt à la clémence, demandant d’abolir la peine de mort en matière politique, de violentes manifestations populaires réclament la mort pour quatre d’entre eux, Chantelauze, Peyronnet, Guernon-Ranvile et le prince Jules de Polignac, ancien président du Conseil.

L’ode débute par un long rappel des luttes révolutionnaires, à la fois noblesse et grandeur du peuple qui conquiert sa liberté, mais horreur aussi du sang qui coula alors à flot : « Quand on presse du pied le pavé de ta ville, / On craint d’en voir jaillir du sang ! » Lamartine lance alors une question, « Quatre têtes sans tronc, est-ce donc là l’offrande / D’un grand peuple à sa liberté ? », à laquelle répond cet extrait. Il est construit en deux temps : trois strophes pour argumenter contre la peine de mort, la dernière strophe faisant, elle, l’éloge de la clémence.

1ère partie : l'horreur de la peine de mort 

Estampe anonyme :  la Terreur

1ère strophe : Le rappel historique

 

Cette ode forme un long discours que Lamartine adresse au peuple, familièrement tutoyé, en lui lançant, par l’anaphore de l’injonction, « Songe », un appel vibrant dans l’octosyllabe qui ouvre le dizain. En lui rappelant le « passé », les pages de la Révolution, il choisit une tonalité polémique, car, si la Révolution a ouvert une ère nouvelle, imagée ici par « l’aurore » et les « berceaux », elle a été un « jour orageux » et s’est faite dans le sang. Lamartine le concrétise par une hyperbole saisissante, mise en valeur par la brièveté des octosyllabes qui rompent le rythme, plus ample, des alexandrins : « Son ombre te rougit encore / Du reflet pourpré des ruisseaux ! »

Estampe anonyme :  la Terreur

Au cœur du dizain, la rime suivie rappelle les années qui ont suivi la Révolution : « Il t’a fallu dix ans de fortune et de gloire / Pour effacer l’horreur de deux pages d’histoire. » Lamartine tente alors, par la reprise de l’injonction et l’écho de la rime embrassée qui associe l’Europe qui « suit » à la France qui « conduit », de rappeler au peuple français le rôle qu’il a joué en Europe, en lui offrant le modèle de la liberté. Une nouvelle métaphore, accentuée par la modalité exclamative, illustre cette marche vers le progrès : « Songe à l’Europe qui te suit / Et qui dans le sentier que ton pied fort lui creuse / Voit marcher tantôt sombre et tantôt lumineuse / Ta colonne qui la conduit ! » Mais le parallélisme des adjectifs antithétiques, « tantôt sombre et tantôt lumineuse », revient sur la double image, péjorative et méliorative, des temps révolutionnaires.

2ème strophe : La situation actuelle

​

Après l’injonction et l’exclamation, ce deuxième dizain est construit sur quatre interrogations oratoires, scandées par l’anaphore, « Veux-tu ». Le rythme s’accentue, d’abord binaire par la subordination, puis ternaire, avec le rejet des octosyllabes 7 et 10.

         Dans les quatre premiers vers, la rime croisée met en valeur les deux instruments qui symbolisent la mort : « la faux », les « échafauds ». Le lexique, « carnage », « fange », particulièrement violent, vise à provoquer le dégoût, en accusant violemment la « cohorte » des émeutiers de 1830 : il considère que la « liberté », au nom de laquelle ils manifestent, ne peut être que « feinte », fictive, quand elle réclame la peine de mort, ici contre les ministres accusés.

Anonyme, Louis-Philippe prêtant serment à la Charte constitutionnelle (9 août 1830), 1ère moitié du XIXème siècle. Huile sur toile, 78 x 110. Musée du Louvre

         Au centre de la strophe, la rime suivie des deux alexandrins introduit, par la mention du « drapeau » et du « trône », la projection vers l’avenir. La monarchie, après les « Trois Glorieuses » de  juillet 1830, se fonde sur un retour aux valeurs de la Révolution. Louis-Philippe devient « roi des Français », et garantit le respect de la Charte de 1814, révisée pour renforcer le pouvoir de Chambre des pairs et de celle des députés, rétablir le drapeau tricolore, et les libertés publiques, religieuse et de la presse, et élargir le nombre des électeurs en abaissant l’âge du vote à 25 ans et le cens, le revenu exigé pour voter. L’image finale d’un « remords » qui servirait de « piédestal » aux « degrés du trône » fait appel à la conscience morale du peuple.

Anonyme, Louis-Philippe prêtant serment à la Charte constitutionnelle (9 août 1830), 1ère moitié du XIXème siècle. Huile sur toile, 78 x 110. Musée du Louvre

        La dernière question se lie à la précédente par la rime embrassée où l’idée du « remords » fait écho à la formule violemment expressive : « hurler la mort ». Elle oppose, en effet, l’éloge de Louis-Philippe, avec « sa main pleine de grâces », qui rappelle le pouvoir traditionnel de clémence propre au roi, et un peuple comparé à un animal sauvage.

3ème strophe : La Terreur

 

        La question au début de la strophe, « Aux jours de fer de tes annales / Quels dieux n’ont pas été fabriqués par tes mains ? », nous ramène à l’époque de la Révolution de 1789, à travers un lexique historique, « tes annales », et un héritage de l’antique mythologie. Elle distinguait cinq « âges »  successifs de l’humanité : l’âge d’or, celui du bonheur où elle vivait comme les dieux, puis, en une décadence continue, l’âge d’argent, l’âge d’airain, l’âge dues héros, jusqu’au stade le pire, l’âge du fer. Les hommes, devenus méchants et égoïstes, ont perdu toutes les vertus : les dieux les ont abandonnés, et ils vivent au milieu des malheurs.

Atelier de Charles Le Brun, L’Âge de fer, 1640-1660. Huile sur bois, 40 x 52. Musée du Louvre

Atelier de Charles Le Brun, L’Âge de fer, 1640-1660. Huile sur bois, 40 x 52. Musée du Louvre

        Quatre exclamations, qui traduisent l’indignation de Lamartine, répondent à cette question. Les images, à connotation religieuse, mettent en évidence le triomphe de la cruauté, d’abord dans les deux octosyllabes, plus violents : « Des divinités infernales / Reçurent l’encens des humains ! », puis, au centre du dizain, avec l’énumération : « Tu dressas des autels à la terreur publique, / À la peur, à la mort, Dieux de ta République ; » L’allusion au règne de la guillotine se fait encore plus directe au vers 7 : « Ton grand prêtre fut ton bourreau ! »

        L’accusation s’accentue dans la dernière exclamation, soutenue par l’interpellation, « ô peuple ! » et par l’antithèse au cœur de la rime embrassée : le reproche, violent, de « démence », s’oppose à ce que prône Lamartine, « la Clémence », terme solennisé par la majuscule.

         La strophe se ferme sur une injonction, « Essayons d’un culte nouveau », mais il s'unit à présent, par la 1ère personne du pluriel, à ce peuple auquel il s’adresse, pour mieux le persuader.

2ème partie : l'éloge de la "clémence" 

La dernière strophe, avec les verbes au futur, se projette dans l’avenir promis si la peine de mort est abolie, ce qui est présenté comme « le dernier effort ». Lamartine, par la comparaison dans l’alexandrin, « Comme un lutteur grandi qui sent son bras plus fort », cherche à inverser l’argumentation traditionnelle, qui fait de la peine de mort un signe de l’autorité et de la puissance de la justice, tandis que la clémence serait, au contraire, un signe de faiblesse. L’allitération du [ R ] et l’antéposition syntaxique dans la proposition principale soulignent cette image : la clémence, qui exige de vaincre l’instinct primitif de vengeance inscrit en l’homme, devient la marque de « l’héroïsme populaire ».

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La clémence est concrétisée, dans la subordonnée relative, par le discours rapporté direct, « Je triomphe et pardonne ! », et conduit à une double conséquence méliorative.

  • L’éloge, hyperbolique à la fois par le comparatif de supériorité et le rejet dans l’octosyllabe, est d’abord moral : « Ta vertu montera plus haut que ta colonne / Au-dessus des exploits humains ; »

  • Il s’élargit ensuite dans l’allégorie finale, qui, en conservant la connotation religieuse, «  dans des temples voués à la miséricorde » - valeur associée, par la rime embrassée, à « la force et la concorde » - est comme une annonce de la future célébration du « génie » français par la Colonne de Juillet qui porte sa statue à son sommet, voulue par Louis-Philippe pour célébrer les Trois Glorieuses et inaugurée en 1840.

Joseph-Louis Duc, Le génie français au sommet de la Colonne de Juillet, 1840. Place de La Bastille

Le dernier octosyllabe, « Et les siècles battront des mains ! », est une ultime personnification qui généralise chronologiquement la promesse de gloire pour le pays qui abolira la peine de mort.

CONCLUSION

 

La tonalité polémique de ces strophes, soutenue par les modalités, le lexique et le rythme expressifs, ainsi que par la multiplication d’images évocatrices, met en évidence la volonté de Lamartine de mettre fin à la peine de mort, qui pour lui n’est qu’une marque de vengeance : « La soif de la vengeance, ils l’appellent justice ». Son argumentation fait appel à la fois au passé, aux souvenirs, encore présents, de la Terreur qui a ensanglanté le pays, et à l’avenir, en promettant une gloire éternelle à la nation qui abolira la peine de mort : « C'est ici que la France a de ses lois sauvages fermé le livre ensanglanté ; / C'est ici qu'un grand peuple, au jour de la justice, / Dans la balance humaine, au lieu d'un vil supplice, / Jeta sa magnanimité. » La place que le lexique accorde à la religion sous-entend un autre argument : il est impossible que des hommes ôtent la vie, car ce pouvoir est entre les seules mains de Dieu.

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Victor Hugo, Le dernier Jour d'un Condamné, 1832, chapitre I 

Pour lire l'extrait

En 1829, Victor Hugo, qui a fait précéder son drame, Cromwell, d’une préface marquant sa différence avec les conceptions du théâtre classique, s’est déjà affirmé comme le chef de file du mouvement romantique. Il fait déjà preuve aussi de la variété de son talent, avec des recueils poétiques, Odes et Ballades (1826), Les Orientales (1829) et des romans : Bug-Jargal (1820) et 1826), Han d'Islande (1823) et le Dernier Jour d'un Condamné, en 1829.

Ce roman, monologue intérieur d’un condamné à mort, introduit un thème, la peine de mort, que Victor Hugo a combattu activement durant toute sa vie. Avant d’en expliquer le premier chapitre, deux documents sont utiles pour éclairer la pensée de l’écrivain.  

Lectures cursives : Adèle Foucher et Victor Hugo 

Pour lire l'extrait

Adèle Foucher, Victor Hugo raconté par une témoin de sa vie, 1863

 

Nous disposons d’un document précieux à ce sujet, les mémoires que son épouse, Adèle Foucher, fait paraître en 1863 : Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. Dans le chapitre L, « L’échafaud », elle rappelle à quel point la volonté abolitionniste de l’écrivain a été nourrie des scènes d’exécution vues dans sa jeunesse. Elle conclut, en effet, les trois cas évoqués par cette phrase : «  Il se mit le lendemain même à écrire le Dernier jour d’un condamné, et l’acheva en trois semaines. » 

Anonyme, Exécution de Victor Prévost devant la prison de La Roquette, le 19 janvier 1880. Gravure sur bois

Anonyme, Exécution de Victor Prévost devant la prison de La Roquette, le 19 janvier 1880. Gravure sur bois

Louvel

Hugo a dix-huit ans lors de cette première expérience d’exécution capitale, et le récit souligne le contraste entre son opinion politique, opposée au condamné, et les sentiments qu’il éprouve : « il avait senti sa haine pour l’assassin se changer en pitié pour le patient. » Elle rapporte alors le premier argument posé : est-il logique que la société tue, pour punir celui qui a tué ? C’est ainsi que serait née « l’idée d’écrire un livre contre la guillotine. »

Jean Martin

Le récit, beaucoup plus détaillé, précise pourquoi Hugo décide d’assister à cette exécution : « l’affreux spectacle l’exciterait à sa guerre projetée contre la peine de mort. » Deux éléments sont mis en valeur :

  • L’image des assistants, une « foule » pour laquelle il s’agit d’une véritable « fête », qui trouve son apogée au spectacle de la mort : « Mais bientôt la coquetterie cessa pour un plaisir plus vif ; la charrette arrivait. »

  • L’image du condamné lui-même, pitoyable : il « grelottait sous une pluie croissante », et Hugo est saisi d’effroi à la vue de son « jeune visage effrayé et hagard ».

Cette exécution, insoutenable, ne peut que renforcer Hugo dans sa conviction.

Les dernières rencontres

C’est à nouveau l’aspect des condamnés qui attire l’attention de l’écrivain dans ses dernières rencontres, tantôt un vieillard, tantôt deux jeunes gens. Mais, là où l’un « tremblait et vacillait », l’autre « allait mourir comme s’il allait dîner », ce qui pose une question implicite : son insensibilité face à la mort ne nie-t-elle pas l’exemplarité prétendue de ce châtiment ?

L’ultime indignation naît de la vision du « bourreau » qui « répétait la représentation du soir », alors même qu’il « s’apprêtait à […] tuer » un homme. Il oppose ainsi la banalité de cet scène, presque joyeuse, à « la terreur » du condamné. C’est donc elle que son roman cherchera à mettre en valeur.

Victor Hugo, préface du Dernier Jour d’un condamné, 1832

Pour lire l'extrait

Au début de sa préface, Hugo explique comment l’écriture de son roman a eu pour lui une fonction cathartique, en le libérant de l’idée qu’il pouvait être complice du sang versé si, en tant que membre du corps social, il ne s’y opposait pas avec force. D’où sa décision de s’engager dans cette lutte : « Se laver les mains est bien, empêcher le sang de couleur serait mieux. » C’est ce qui le conduit à cet échange où il répond à trois arguments des partisans de la peine de mort :

  • Alors qu’elle est censée empêcher la récidive, il suffirait, selon Hugo, de garantir un peine de « prison perpétuelle » : « Pas de bourreau où le geôlier suffit. »

Laisné, Le gibet de Montfaucon, 1844. Gravure sur bois d’après un dessin de Daubigny
  • Il rejette les deux rôles de la peine de mort, « Se venger est de l'individu, punir est de Dieu. », qu’il remplace par une autre fonction, essentielle pour la société : « corriger pour améliorer ».

  • Enfin, il nie toute valeur d’exemplarité à cette peine qui, en n’étant qu’une forme de spectacle pour le peuple, « ruine en lui toute sensibilité ». Or, c’est la précisément l’absence de « sensibilité » qui peut conduire au crime.

L’indignation de Victor Hugo se manifeste avec force par son ironie amère, « rendez-nous le seizième siècle », rendue insistante par l’anaphore, qui l’amène à une longue énumération des supplices pratiqués, tous plus horribles les uns que les autres.

Laisné, Le gibet de Montfaucon, 1844. Gravure sur bois d’après un dessin de Daubigny

​Ce premier chapitre est situé à « Bicêtre », à l’origine un hôpital, mais devenu, au XVIIème siècle, une des plus terribles prisons, destinés aux condamnés au bagne, qui y attendent leur transfert, ou à la peine de mort. Le ton est donné par l’exclamation nominale brutale qui l’encadre, « Condamné à mort ! », rappel obsédant du verdict et image de l’effroi provoqué chez le prisonnier, renforcé par le choix du monologue à la première personne. Dès ce début, le tragique ressort, car cette sentence est inexorable. 

Une seconde exclamation présente la terrible situation du personnage, mise en valeur par le présentatif qui introduit la durée, et par le rythme ternaire en gradation, qui personnifie la « pensée » de cette mort promise : « Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids ! »  L’extrait oppose deux périodes, avant et après la condamnation.

Gabriel Cloquemin, Bicêtre, le ferrement des forçats, 1832-33. Aquarelle, 44,4 x 55,7. Musée Carnavalet 

Gabriel Cloquemin, Bicêtre, le ferrement des forçats, 1832-33. Aquarelle, 44,4 x 55,7. Musée Carnavalet 

"Autrefois" (des lignes 1 à 13) 

Le recul dans le temps

 

Ce paragraphe à l’imparfait souligne la rupture produite par l’emprisonnement, avec un recul temporel accentué par la perte de la notion du temps : « il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines ». La comparaison posée, « j’étais un homme comme un autre homme », explique la tonalité de cette vision du passé, empreinte de nostalgie. Mais notons qu’il reste anonyme, car, en réalité, à travers lui, Hugo développe le thème de la peine de mort, et non pas le jugement et la situation particulière d’un condamné. Cette liberté n’est pas tant, d’ailleurs, celle d’agir, mais celle de penser que l’action est possible, donc le pouvoir de se projeter dans l'avenir, ce que mettent en valeur l’anaphore dans la gradation ternaire, « Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. », et la conclusion, où la parataxe se charge d’une valeur causale : « Je pouvais penser ce que je voulais, j’étais libre. »

La pensée libre

 

Le lexique fait ressortir la joie de cette liberté, illimitée : « Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies », « C’était toujours fête dans mon imagination ».

         La première de ces  affirmations est illustrée par une métaphore : « Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. » Image de joie et d’insouciance totale, elle accentue la puissance de l’imagination, « brodant d’inépuisables arabesques », d’autant plus précieuse qu’elle permet d’embellir« cette rude et mince étoffe de la vie », dont sont ainsi rappelés les difficultés et l’aspect éphémère.

       La seconde suit une énumération qui résume tous les plaisirs et les rêves de la jeunesse, multipliés par les pluriels, avec une insistance particulière sur l’amour, avec la répétition : « C’étaient des jeunes filles » est concrétisée par l’image romantique, « et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. » Sont aussi mentionnés les rêves de gloire, par l’ascension sociale, dans l’Église ou dans l’armée, « de splendides chapes d’évêque, des batailles gagnées », et les divertissements qui animent la ville : « des théâtres pleins de bruit et de lumière ».

Mais Hugo est aussi un poète, et il joue ici, non seulement sur les rythmes et les images, mais aussi sur les sonorités, particulièrement sur les assonances, en faisant alterner l’ampleur du [ a ], pour marquer les mots-clés des images de ces « arabesques », « chapes », « théâtres », « promenades », « marronniers », et l’aigu du [ i ] qui ponctue l’enthousiasme.

"Aujourd'hui" (de la ligne 14 à la fin) 

La mort obsessionnelle

 

L’opposition est immédiate, avec le passage au  présent et le parallélisme syntaxique : le début du paragraphe, « Maintenant je suis captif », fait écho à la fin du précédent : « j’étais libre ».  Un second parallélisme associe, par une métaphore, la réalité physique à l’état psychologique, « Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. », accentué par la gradation ternaire de la phrase nominale exclamative : « Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! » La négation restrictive fait ressortir le tragique, en reprenant, dans une nouvelle gradation, l’idée de fatalité, et en répétant l’exclamation qui ouvre et ferme le chapitre : « Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : condamné à mort ! »

Le paragraphe suivant image cette mort obsessionnelle, en la personnifiant, d’abord par une comparaison : « Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtés ». Elle apparaît dans toute son agressivité, telle une rivale interdisant tout ce qui pourrait rattacher l’homme à la vie, « seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable, et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. » Dans ce « face à face », le prisonnier, lui, reste impuissant, « misérable ». La  longue phrase énumérative qui termine le paragraphe renforce cette personnification

          Dans une première gradation ternaire, son aspect sournois, suggéré par les verbes, remplace l’agressivité. L’obsession progresse ainsi, de l’extérieur, « Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir », à l'intérieur, en pénétrant le langage, car elle « se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu’on m’adresse », enfin finit par devenir le double du prisonnier : elle « se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ». Son aspect inexorable est renforcé par la répétition de « toutes », et par les adjectifs qui la qualifient : « infernale », « un refrain horrible ».

         La nouvelle gradation ternaire, dans la seconde partie de la phrase, inscrit l'obsession dans le temps : elle « m’obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d’un couteau. » Après la journée, puis c’est la nuit qui est troublée, et, quand enfin il réussit à dormir, la comparaison fait surgir en rêve une image qui annonce la guillotine. 

Une cellule au XIXème siècle. Estampe 

La torture redoublée

 

La fin du texte marque le redoublement de la torture en mettant l’accent sur la réalité horrible de l’emprisonnement, déjà signalée précédemment par l’image des « grilles hideuses » du « cachot ».

        La personnification se poursuit, conduisant à une sorte de dialogue intérieur, qui traduit la lutte contre la peur : « Je viens de m’éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : – Ah ! ce n’est qu’un rêve ! » Mais, à la fin du texte, la terreur revient, obsessionnelle : « il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille : – Condamné à mort ! »

Une cellule au XIXème siècle. Estampe 

         Elle est associée à une description réaliste de la prison, celle de Bicêtre étant alors considérée comme une des pires : « voir cette fatale pensée écrite dans l’horrible réalité qui m’entoure ». L’énumération, en multipliant les adjectifs, fait ressortir l’horreur du lieu : « la dalle mouillée et suante de ma cellule », « les rayons pâles de ma lampe de nuit », « la trame grossière de la toile de mes vêtements », « la sombre figure du soldat de garde dont la giberne reluit à travers la grille du cachot. » L’aspect répugnant de ces conditions de vie est souligné par le jeu de la lumière, à peine diffuse, en contraste avec le brillant de la boîte dans laquelle le garde place ses cartouches, signe de l’impossibilité de fuir pour échapper à la sentence.

CONCLUSION

 

Ce premier chapitre, qui fait fonction d’incipit, tranche sur la tradition qui lui donne comme rôle d’informer : Hugo ne nous dit rien du personnage, ni des raisons de sa condamnation ou de sa vie antérieure. En revanche, il procède in medias res, en faisant immédiatement entrer le lecteur dans la pensée obsessionnelle de son personnage, confronté à l’attente d’une mort horrible. Malgré cet anonymat, l’énonciation choisie, ce monologue à la 1ère personne, fait immédiatement, partager sa terreur. Enfin, la structure même du texte, avec la répétition de la sentence qui l’encadre et est reprise en son centre, figure l’enfermement inexorable, dont le tragique est accentué par le rythme, avec les gradations, et les images évocatrices.

Ce combat pour abolir la peine de mort, Hugo le poursuivra toute sa vie, notamment quand il est élu pair de France, en faveur de Pierre Lecomte, accusé de tentative d’assassinat sur Louis-Philippe, puis à l’Assemblée constituante où son discours du 15 septembre 1848 marquera longtemps les esprits :

Le citoyen Victor Hugo. […] Qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. (Mouvement.) Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. (Mouvement.)

Ce sont là des faits incontestables.

L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le XVIII° siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le XIX° abolira certainement la peine de mort. (Adhésion à gauche.)

Plusieurs voix. Oui ! oui !

Le citoyen Victor Hugo. Vous ne l’abolirez pas peut-être aujourd’hui ; mais, n’en doutez pas, vous l’abolirez ou vos successeurs l’aboliront demain !

Les mêmes voix. Nous l’abolirons ! (Agitation.)

Lecture cursive : Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné, 1829, chapitre XXXIX 

Pour lire le chapitre

Présentation à l’Assemblée, en 1791, de la machine dessinée par Joseph-Ignace Guillotin et le chirurgien, Antoine Louis

Les quarante neuf chapitres du roman, le plus souvent très brefs, scandent l’approche de l’aube de l’exécution, qui voit monter, parallèlement, la terreur du condamné. Le chapitre XXXIX répond à l’argument des partisans de la peine de mort : « Ils disent que ce n’est rien, qu’on ne souffre pas, que c’est une fin douce, que la mort de cette façon est bien simplifiée. »

C’est toute l’indignation de Victor Hugo que nous reconnaissons dans sa réponse, double :

  • D’une part, cet argument oublie la souffrance psychologique de l’attente de la mort, que fait ressortir le parallélisme : « Ne sont-ce pas les mêmes convulsions, que le sang s’épuise goutte à goutte, ou que l’intelligence s’éteigne pensée à pensée ? » C’est précisément ce que le roman a voulu montrer.

  • D’autre part, la mise en scène macabre de l’exécution, avec le discours direct rapporté, la charge d’une ironie cruelle : « Conte-t-on que jamais une tête coupée se soit dressée sanglante au bord du panier, et qu’elle ait crié au peuple : Cela ne fait pas de mal ! »

La fin du chapitre se fait encore plus violente pour interpeller et accuser les partisans de la peine de mort, en opposant leur insensibilité et leur argumentation sur l’avantage de la guillotine, sa rapidité, « une demi-seconde », à l’image qui la concrétise, soulignée par l’énumération ternaire : « le lourd tranchant qui tombe mord la chair, rompt les nerfs, brise les vertèbres… »

Présentation à l’Assemblée, en 1791, de la machine dessinée par Joseph-Ignace Guillotin et le chirurgien, Antoine Louis

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Victor Hugo, La Légende des siècles, 1859-1883, « L’échafaud », vers 1 à34 

Pour lire le poème

Écrits dès 1859 pour certains mais écartés des publications de 1859 et 1877, les vingt-trois poèmes de la dernière série de La Légende des siècles, publiés en 1883, complètent cette épopée dans laquelle Hugo veut montrer le long chemin de l’humanité des ténèbres vers la lumière.

Mais, dans cette avancée, un obstacle reste à supprimer : la peine de mort. Son abolition, votée en 1848 pendant la Seconde République, confirmée sous le Second Empire en 1853, ne vaut, en effet, que pour les condamnés politiques. L'abolition complète a été refusée à deux reprises, en 1838, où Lamartine l’avait soutenue, puis en 1848, où Hugo avait aussi plaidé en sa faveur. Par rapport à ses romans ou à ses discours, en quoi la poésie peut-elle renforcer sa dénonciation ?

1ère partie : la fin d’un spectacle (vers 1 à 18) 

L'échafaud personnifié

 

Le poème s’ouvre sur deux neuvains aux rimes suivies, dont le premier propose un gros plan sur l’échafaud, en écho au titre. Le mot, cependant, n’est pas prononcé, et une longue énumération précède sa mention au vers 7. Sur un rythme ternaire scandé par l’assonance en [ è ], l’instrument est désigné par une périphrase qui le personnifie en le dotant d’une joie cruelle : « Le fatal couperet relevé triomphait. »

Hugo n’a pas, non plus, choisi de montrer l’exécution, dont la rapidité est illustrée par le rythme brutal : « C’était fini. » Sa description, en revanche, donne à l’échafaud une dimension quasi divine, en mettant l’accent sur la lumière que diffuse la lame, elle-même amplifiée par l’ampleur de l’assonance en [ a ] : « Luisant sur la cité comme la faux sur l'herbe, / Large acier dont le jour faisait une clarté » La comparaison concrétise son action en la banalisant, ce qui contraste avec les trois adjectifs dont le rythme, 2 / 4 / 2, au contraire, avec l’élision sur la virgule qui semble suspendre la voix sur le premier, la rend solennelle : « Splendide, étincelant, superbe ».

C’est cette puissance divine que prolonge l’interprétation posée par le poète, accordant à l'échafaud le pouvoir des croyances antiques, des dieux cruels, insensibles, qui accablaient les humains de leur cruauté : « Ayant je ne sais quoi dans sa tranquillité / De l'éblouissement du triangle mystique, / Pareil à la lueur au fond d'un temple antique ». Hugo mêle ici, par l’allusion au « triangle mystique », le souvenir des Pythagoriciens, pour lesquels il exprime la perfection, à l’image de l’église catholique, où, dans le tabernacle, est perpétuellement allumée la lampe du Saint-Sacrement. Ainsi, la « tranquillité » qu’il prête à l’instrument vient de son ancienneté – la peine de mort  renvoie aux temps les plus reculés de la justice humaine –, argument souvent invoqué par ses partisans. Mais Hugo ne nous rappelle-t-il pas aussi l’accusation lancée par ses adversaires contre une justice humaine qui, en tuant le criminel, prend la place du châtiment qui appartient à Dieu seul ?

Cette longue description contraste avec la brièveté des deux vers qui ferment la strophe, avec la négation restrictive et les adjectifs qui minimisent la culpabilité de l’instrument : « Il n'avait rien gardé de ce qu'il avait fait / Qu'une petite tache imperceptible et rouge. » Mais le dernier adjectif, lui, insiste sur le sang qui a coulé.

Les assistants

 

Mais, après le premier neuvain qui personnifie l’échafaud, dans le second Hugo, élargissant la personnification, rappelle au lecteur que, sans les hommes, la peine de mort ne peut s’appliquer. Bien sûr, le premier cité est celui qui le fait fonctionner, qualifié ici avec mépris par la bassesse de son logement, un taudis misérable : « Le bourreau s'en était retourné dans son bouge ». Mais, au-delà, il y a tous ceux qui participent à l’exécution, l’Église s’associant à l’État, qualifiés péjorativement, en opposition avec la valorisation de la prison : « Et la peine de mort, remmenant ses valets, / Juges, prêtres, était rentrée en son palais / Avec son tombereau terrible ». Hugo utilise ici des allitérations, les consonnes occlusives [ p ] et [ t ] liées à la dureté du [ R ] pour reproduire le roulement sur les pavés de la charrette qui transporte le corps supplicié. Celle en [ s ], pour sa part,  imite la coulée continue du sang, « la roue, / Silencieuse, laisse un sillon dans la boue / Qui se remplit de sang sitôt qu'elle a passé. », image finale de la réalité, la mort d’un homme.

L’accusation de Victor Hugo vise enfin le public, venu assister à ce qui est semblable à un spectacle. Il met en évidence, par le discours rapporté direct, sa satisfaction face à cette exécution : « La foule disait : bien ! » Le terme de « foule » au lieu de « peuple » est déjà méprisant, mais le blâme est accentué par l’explication, « l’homme est insensé », et par les répétitions lexicales : « Et ceux qui suivent tout, et dont c'est la manière, / Suivent même ce char et même cette ornière. » Hugo reproche ainsi au peuple son aveuglement, dû à sa soif d’une vengeance sanglante.

Le condamné guillotiné : un spectacle public

2ème partie : la tombée de la nuit (vers 19 à 34) 

Le condamné guillotiné : un spectacle public

Une méditation

 

Le rythme se modifie ensuite, avec deux huitains dont le premier s’ouvre sur le rôle du poète, plongé en pleine méditation, ce que souligne le rythme scandé du premier hémistiche : « J’étais là. Je pensais. »

La guillotine au soleil couchant

La strophe s’inscrit dans une progression temporelle, nettement soulignée : un contre-enjambement d’abord, « Le couchant empourprait / Le grave Hôtel de Ville », puis « Le crépuscule vint, aux fantômes pareil », enfin, s’installe « la nuit ». Mais cette temporalité image le sens même de la méditation, une réflexion sur la marche de l’humanité, à travers les combats dont l’Hôtel de Ville « aux luttes toujours prêt » est le symbole : « Entre Hier qu’il médite et Demain dont il rêve ». Les majuscules soulignent ce qui fonde la conception du poète dans La Légende des siècles : se nourrir de la connaissance du passé pour bâtir un avenir meilleur. Or, cet avenir meilleur, pour Hugo, ne peut se réaliser quand règne encore la peine de mort, dont il rappelle qu’elle se tenait devant l’Hôtel de Ville, autrefois place de Grève.

La guillotine au soleil couchant

En poursuivant la personnification de la guillotine, comme épuisée par son activité, Hugo met en parallèle la mort ainsi infligée avec la mort du jour : « L'échafaud achevait, resté seul sur la Grève, / Sa journée, en voyant expirer le soleil. » L’énumération finale complète la méditation, en marquant le contraste entre l’ampleur du décor et l’instrument de mort : « Et j'étais toujours là, je regardais la hache, / La nuit, la ville immense et la petite tache. » La rime oppose l’horreur de « la hache » à ce qui reste de l’exécution, presque dérisoire, « la petite tache ». 

Victor Hugo, Justitia, 1857. Dessin encre, fusain et rehauts de gouache. Hauteville House, Guernesey

Victor Hugo, Justitia, 1857. Dessin encre, fusain et rehauts de gouache. Hauteville House, Guernesey

L'horreur des ténèbres

 

Le dernier huitain de l’extrait revêt une tonalité fantastique, car la nuit métamorphose l’échafaud, en imposant l’image d’une mort terrifiante.

        La nuit elle-même est rendue effrayante, déjà par l’adjectif qui assombrit la voûte céleste, « firmament obscur », dépourvu d’étoiles. La reprise lexicale accentue encore cette impression, de même que la comparaison : « L'obscurité croissait comme un effrayant mur ». Aucun au-delà ne semble alors ouvert, et seule la mort s’impose : « Les horloges sonnaient, non l'heure, mais le glas ». Le rythme, qui souligne cette fermeture, tandis que le pluriel donne le sentiment que ce bruit sinistre envahit la ville. 

      La description de l’échafaud, présenté comme une masse effrayante, progresse aussi dans l’horreur, en s’associant encore notamment à la mort, marquée notamment par les rimes suivies : « L'échafaud, bloc hideux de charpentes funèbres, / S'emplissait de noirceur et devenait ténèbres ; ». Le gros plan sur sa lame, « sur l’acier », en accentue également la terreur qu’il provoque dans l’enjambement : « quoique le coutelas  / Ne fût plus qu'une forme épouvantable et sombre ». Est alors mis en évidence, par le contraste des couleurs, avec le noir placé à la rime, le sang, qui n’était jusqu’alors qu’une « petite tache » : « La rougeur de la tache apparaissait dans l'ombre. »

CONCLUSION

 

Cet extrait, qui s’ouvre sur « C’était fini. », contrairement aux romans, Le Dernier Jour d’un condamné et Claude Gueux, se situe après l’exécution : l’échafaud a fait son œuvre, le public est parti, le corps du condamné a été ôté à la vue de tous, le « spectacle » est terminé et la nuit tombe, progressivement au fil des strophes. Mais la souillure, elle, subsiste, car, pour Hugo, la scène conduit à une profonde méditation : cette « tache » « sur l’acier » est, en fait, une tache sur l’humanité. Certes, Hugo ne nous montre pas le condamné, mais l’accent mis sur « l’échafaud » n’en suscite pas moins l’émotion du lecteur. En personnifiant cet instrument de mort, en multipliant les visions fantastiques, en jouant sur les rythmes et les sonorités, il le rend encore plus effrayant : il ressemble à un monstre repu de sang, satisfait du travail accompli.

​

Ce poème, en raison du rythme des alexandrins et du rôle des adjectifs, se prête tout particulièrement à un exercice de mise en voix, avec une vigilance particulière sur  les [e muets], pour respecter leur élision ou, au contraire, leur prononciation devant une consonne.

Lecture cursive : Victor Hugo, La Légende des siècles, 1859-1883, "L'échafaud", du vers 35 à la fin

Pour lire le poème

Les vingt derniers vers forment un bloc unique, prolongeant la vision fantastique tout en donnant un sens métaphysique à la méditation du poète.

Le fantastique

 

En intitulant son recueil poétique, paru en 1840, Les Rayons et les Ombres, Hugo met en évidence une caractéristique omniprésente dans son œuvre, le contraste entre la lumière, symbole du bien et d’essence divine, et l’obscurité, signe du mal et de la mort.

C’est ce que nous observons dans cette fin de poème :​

  • La présence de l’astre, « le premier qu’on aperçoit le soir », donc l’étoile du berger, censée guider les hommes, est redoublée. Il éclaire « le ciel noir » mais aussi se reflète sur la lame de l’échafaud, en se chargeant de sa dimension symbolique religieuse : « Il y jetait ainsi qu’en un lac son reflet / Lueur mystérieuse et sacrée ». Ce symbolisme se confirme ensuite quand l’image le définit comme « de l’éternité calme auguste éclaboussure ».

  • Il contraste ainsi avec la nuit, « le ciel noir » d’abord, mais aussi avec la noirceur de l’échafaud, image de la mort, « Sa lumière rendait l'échafaud plus difforme. », et tout particulièrement sur le couperet : « […] sur la hache horrible, aux meurtres coutumière, / L'astre laissait tomber sa larme de lumière. »

Victor Hugo, La Planète (Saturne), vers 1857. Dessin encre, fusain et rehauts de gouache. Coll° privée

Victor Hugo, La Planète (Saturne), vers 1857. Dessin encre, fusain et rehauts de gouache. Coll° privée

La méditation

 

En conservant le sens symbolique de cette opposition entre la lumière et l’obscurité, mis en valeur par l’adjectif au centre du chiasme, « Sur la justice humaine et sur l’humaine loi », Hugo en fait le signe du regard que Dieu jette sur l’humanité,  à la fois expression de sa douleur par l’image, « L’astre laissait tomber sa larme de lumière », et de sa colère : « Son rayon, comme un dard qui heurte et rebondit, / Frappait le fer d'un choc lumineux […] ». Les interrogations rapportées dans le discours rapporté, « Est-ce au ciel que ce fer a fait une blessure », « […] Sur qui donc frappe l’homme hagard ? », interpellent le lecteur, car la réponse est implicite : en tuant le criminel, l’homme usurpe le pouvoir divin de donner la mort. C’est ce que résume l’image du dernier vers, qui met en parallèle le sang versé et la présence divine inscrite dans l’univers : « De la goutte de sang à la goutte d’étoile. »

Maurice Barrès, Discours à la Chambre des députés, 3 juillet 1908, de « Cette suppression de la peine de mort… » à « …arrivé à l’humanité. » 

Pour lire l'extrait

Barrès

Il a suffi d’un crime pour relancer, au début du XXème siècle, le débat sur la peine de mort. En janvier 1907, Albert Soleilland viole et écorche la petite fille de ses voisins, âgée de onze ans. Il est condamné à mort mais le président de la République, Armand Fallières (1906-1913), partisan de l’abolition de la peine capitale, le gracie le 13 septembre et, en novembre, un projet de loi pour l’abolir est déposé à l’Assemblée. Cela déchaîne une telle colère populaire que Le Petit Parisien, journal anti-abolitionniste, organise un référendum : 74% des lecteurs qui y participent par courrier s’y déclarent favorables, ce qui conduit, le 3 juillet 1908 à ouvrir les débats à la Chambre des députés. Face à Aristide Briand, à Jean Jaurès, et au Garde des Sceaux Guyot-Dessaigne, qui soutiennent l’abolition, Maurice Barrès (1862-18923) intervient en faveur de son maintien. Ce député, directeur de la revue La Cocarde, titre révélateur de son nationalisme, y affirme son antisémitisme, s’oppose à Dreyfus puis à la panthéonisation d’Émile Zola ; il représente, à l’Assemblée, une opposition nationaliste, prenant la défense de la religion et des traditions.

« Soleilland devant ses juges », Le Petit Journal, Le Petit Journal, supplément illustré du 4 août 1907

« Soleilland devant ses juges », Le Petit Journal, Le Petit Journal, supplément illustré du 4 août 1907

Au début de son discours, lors de la séance du 3 juillet, il proclame clairement son opinion : « Je suis partisan du maintien de la peine de mort, du maintien et de l’application. » Comment l’éloquence du discours soutient-elle son argumentation ?

1ère partie : le rôle de la science (des lignes 1 à 19) 

Avec l’essor des sciences au XIXème siècle, s’est développé le scientisme, philosophie considérant que la science est la seule source de savoir fiable : elle permet, comme l'écrit Ernest Renan dans L’Avenir de la science : pensées de 1848, d’« organiser scientifiquement l’humanité ». Le scientisme souhaite, en effet, étendre l’approche scientifique à l’ensemble de la vie intellectuelle et morale. Au début du XXème siècle, s’est ainsi solidement installée l’idée que la science est susceptible de guérir tous les maux de la société, qui va soutenir l’argumentation dans ce passage.

La reprise de la thèse adverse

 

Barrès ouvre son argumentation par une question rhétorique, mais la locution adverbiale, « du moins », restrictive, introduit déjà un doute sur l’argument des abolitionnistes qui voient là un progrès de l’humanité : « Cette suppression de la peine de mort sera-t-elle du moins un ennoblissement de notre civilisation ? »

Par son hypothèse, « Si quelques-uns sont disposés à le croire », il reprend la thèse adverse en l’explicitant par le rôle prépondérant alors accordé à la science : « c'est qu'ils désirent mettre, de plus en plus, notre société d'accord avec les données que nous fournit la science. » Pour soutenir cette thèse, il introduit le discours direct des « médecins » face aux « assassins », qui expliquent l’acte criminel par un double déterminisme : « Ils sont nécessités ». Le libre-arbitre des criminels viendrait, selon eux :

  • soit de « l’atavisme », c’est-à-dire de leur hérédité ;

  • soit « du milieu dans lequel il a été plongé, c’est-à-dire de son statut social, des conditions de vie dans sa jeunesse, de son éducation…

Un raisonnement par concession

 

Accepter la thèse adverse

Très habilement, dans un premier temps, Barrès feint d’admettre cet argument adverse, avec l’insistance de l’adverbe initial : « Assurément il y a quelque chose à retenir de ces dépositions des médecins ». Mais, en réalité, il ne garde que le second point du constat, le rôle du « milieu » par la double proposition qu’il avance : « ; ce qu'il faut en retenir, me semble-t-il, c'est que notre devoir est de combattre les conditions qui ont préparé cet atavisme, d'assainir le milieu dans lequel tel ou tel homme s'est perverti. » Sa stratégie fonctionne, comme le signale la réaction du public reproduite dans la transcription écrite du débat : (Très bien ! très bien !). Il se présente, en effet, comme un partisan du progrès et de l’action sociale, en cautionnant le rôle la science : « La science nous apporte une indication dont nous tous, législateurs, nous savons bien que nous avons à tirer parti ; combattons les causes de dégénérescence. » Son injonction renforce le choix du pronom « nous », et invite ses collègues députés à se ranger dans son camp.

Poser sa propre thèse

Cependant, il ne perd pas de vue sa propre thèse, que le connecteur d’opposition introduit en une longue phrase qui en retarde la formulation, certes habile à nouveau, puisqu’il entre dans le jeu de ses opposants, en proclamant sa volonté de servir le pays : « c'est l'intérêt social qui doit nous inspirer ». Mais la critique est bien présente dans le rejet : « et non un atten­drissement sur l'être antisocial. » Il les dépeint, en effet, comme excessivement sensibles à celui qui n’est, après tout, qu’un criminel qui refuse les lois de la société.

Pour sa part, il souligne, au contraire, la culpabilité du criminel d’abord qualifié violemment de « membre déjà pourri ». Il reprend ensuite sa stratégie d’adhésion à la thèse adverse, en l’appelant « ce malheureux », mais la parenthèse entre tirets remet au premier plan la feinte par les deux hypothèses qui s’opposent :

  • d’un côté, il justifie ce terme en revenant sur le rôle déterminant du milieu : « et malheureux, si nous considérons les conditions sociales dans lesquelles il s'est formé » ;

  • de l’autre, il le remplace par une accusation directe, qui le rend responsable de son acte : « mais misérable si nous considérons le triste crime dans lequel il est tombé ».

Le public ne s’est cependant pas laissé prendre par sa stratégie, puisque la mention « (Bruit à l’extrême gauche) » traduit le désaccord du camp socialiste, le plus opposé à celui des nationalistes, députés de droite.

2ème partie : la dénonciation des adversaires (des lignes 20 à 33) 

Un reproche masqué

 

L’injonction, « Allons au fond de la question »,  sert de transition pour poser plus clairement son attaque, une « erreur » de jugement de ses adversaires. Cependant, ce terme atténue en partie son reproche, de même que les adjectifs qui les décrivent : « un grand nombre d’esprits éminents, généreux ». Mais cet éloge est, en fait, particulièrement ironique, puisqu’il prolonge l’« attendrissement » précédemment évoqué, en mettant l’accent sur le soutien qu’ils apportent au criminel : ils s’emploient « à prendre en considération les intérêts de l'assassin, à s'y attarder, avec une sorte d'indulgence ». Finalement, ceux-ci en arrivent à plaindre le coupable, en lequel ils voient « une sorte de barbare tout neuf, auquel il a manqué quelques-uns des avantages sociaux que, nous autres plus favorisés, nous possédons. »

Un exemple illustre

 

Or, Barrès sait qu’il a face à lui un adversaire de taille, Victor Hugo. Il sait à quel point il peut encore être respecté en ce début du XXème siècle, et, d’une certaine façon, il lui rend hommage en  reconnaissant son rôle essentiel dans le combat contre la peine de mort : « C'était, si je ne me trompe, la conception de Victor Hugo et l'on doit l'examiner dans un débat politique sur la peine de mort, car cette littérature de Hugo a eu certainement une grande action sur la formation intellectuelle du parti républicain, au cours des dernières années du second Empire. » Mais cette « grande action » a été, pour Barrès, nocive, car elle repose sur un optimisme qu’il juge excessif : « Hugo a cru que l'assassin, c'était un être trop neuf, une matière humaine toute neuve, non façonnée, qui n'avait pas profité des avantages accumulés de la civilisation ». Il lui reproche donc cette indulgence envers le  criminel, dont il fait une victime d’une société inégalitaire. En citant les mots mêmes de Victor Hugo, « :« Si vous lui aviez donné le livre, vous auriez détruit le crime. », il lui oppose implicitement sa propre conception : cette hypothèse, même si elle est exacte, n’empêche pas la réalité : à présent, c’est un criminel coupable que la société doit juger.

3ème partie : le criminel à condamner (de la ligne 34 à la fin) 

Barrès adopte alors un ton plus polémique, scandé par les interjections, « Eh bien ! », « Ah ! », pour contredire ses adversaires en reprenant son argument initial, fondé sur les connaissances scientifiques : « cette hypothèse n'est pas d'accord avec les renseignements que nous donne la science. » Il construit à nouveau un raisonnement concessif :

       Dans un premier temps, il se lance dans un éloge du progrès, du rôle formateur de l’éducation, ce qui lui permet de se définir comme un héritier de Victor Hugo, : « les éléments neufs, ce qui sort de la masse et qui n'a pas encore pris la forme civilisée, c'est précieux, c'est sacré. Ces éléments neufs valent mieux que nous, sont plus précieux peut-être que tel civilisé arrivé à un degré élevé de développement. » Son insistance, marquée par le rythme et les adjectifs mélioratifs, est à rattacher aux conditions historiques : en ce début du siècle, la France ne justifie-t-elle pas sa politique coloniale par la mission civilisatrice qu’elle exerce sur des peuples jugés primitifs ? La reprise de l’adjectif, « neuf », pour un député qui, lui, défend la tradition, montre bien sa stratégie, feindre d’entrer dans l’idée de ses adversaires : « Ce barbare tout neuf a encore tout à fournir. »

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« L’apache est la plaie de Paris », Le Petit Journal, 20 octobre 1907

        Le second temps de la démarche, introduit par le connecteur « Mais », apporte la contradiction, et Barrès souligne avec force sa propre thèse : la nécessité d’éliminer les criminels. Déjà, en reprenant le terme d’« apaches », qui les qualifie depuis la montée de la délinquance des adolescents dans les quartiers populaires, dans les années 1900, il cherche à susciter l’émotion des destinataires en rappelant le danger qu’ils représentent. Son rejet est accentué par l’antithèse qui rythme la phrase jusqu’à la désignation méprisante : ils « ne sont pas des forces trop pleines de vie, de beaux barbares qui font éclater les cadres de la morale commune : ce sont des dégénérés. » En revenant sur l’idée initiale d’« atavisme », il en fait des êtres irrécupérables : « Loin d'être orientés vers l'avenir, ils sont entravés par des tares ignobles. » Le rythme ternaire de la dernière phrase soutient une gradation qui les exclut même de l’humanité : « Et, à l'ordinaire, quand nous som­mes en présence du criminel, nous trouvons un homme en déchéance, un homme tombé en dehors de l'humanité et non pas un homme qui n'est pas encore arrivé à l'humanité. »

L’approbation qui conclut cet extrait, « (À droite. Très bien !) », montre que le discours a parfaitement illustré la thèse des partisans de la peine de mort, celle des députés de « droite », des tenants du nationalisme, qui la défendent face au « bloc des Gauches », qui regroupe les socialistes et les radicaux.

CONCLUSION

 

Alors que la guerre de 1870 a fait perdre à la France l’Alsace et la Lorraine, la droite réclame un réarmement patriotique, militaire certes, mais aussi moral : elle veut redonner toute leur force à la religion et aux traditions. Mais l’affaire Dreyfus, puis la crise du boulangisme, ont affaibli les députés de droite dans l’Assemblée face au « bloc des Gauches », qui regroupe les socialistes et les radicaux, et qui triomphe en faisant voter, en 1905, la loi de séparation de l’Église et de l’État.

L’émotion suscitée par l’essor de la délinquance des adolescents au début du siècle offre à la droite l’occasion de relancer le débat sur la peine de mort, qu’illustre cet extrait du discours de Barrès. Par une stratégie argumentative habile, car il n’attaque pas frontalement ses opposants, il inverse ce qu’il considère comme un excès d’indulgence envers les criminels, et met les conceptions scientifiques au service de la rigueur judiciaire qu’il réclame avec force. Il emportera l’adhésion : la peine de mort est maintenue lors du vote de décembre, avec 330 voix pour et 201 voix contre. Et ce n’est qu’en 1939 que les exécutions cessent d’être publiques, jusqu’à son abolition en 1981.

« La prison n’effraie pas les apaches. – La guillotine les épouvante ». Le Petit Journal, supplément illustré du 9 octobre 1907 

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Lecture cursive : Jean Jaurès, Discours du 18 novembre 1908 

Pour lire l'extrait

C’est Aristide Briand, le Garde ses Sceaux socialiste, qui a présenté à la Chambre le projet de loi sur le réforme pénale, prévoyant la suppression de la peine de mort : il répond le premier à Barrès, puis c’est Jean Jaurès, défenseur de Dreyfus et fondateur, en 1904, du journal alors socialiste, L’Humanité, qui prend la parole, le 18 novembre pour défendre l’idée qu’il faut guérir la cause du crime, la condition misérable des classes sociales défavorisées, et non pas se contenter de punir le criminel.

Le premier paragraphe ouvre le discours sur la reprise de l’argument de Barrès, inclus dans le pronom indéfini « on »,  qu’il nomme « doctrine de fatalité » et qu’il exprime avec le même lexique violement péjoratifs : certains criminels sont « tarés, abjects, irrémédiablement perdus », si bien que seule « la guillotine » peut les empêcher de récidiver.

Vient ensuite l’argumentation.

Le premier argument

 

Comme l’avait fait Barrès, la stratégie de Jaurès consiste à adopter le point de vue de l’adversaire : les députés de droite proclament, en effet, leur attachement aux traditions, christianisme, d’une part, liberté républicaine, d’autre part. Il s’emploie alors à montrer à quel point la peine de mort est «  contraire  à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution. » Tout chrétien ne croit-il pas à l’existence du « péché originel », qui peut conduire tout homme au pire des crimes ? Et, parallèlement, cette religion n’affirme-t-elle pas la possibilité de « rachat divin », en considérant que tout coupable est « susceptible de réparation et de relèvement » ? Dans sa dernière phrase, coupée par les applaudissements des députés de gauche, Jaurès enferme ainsi, habilement, ses adversaires dans leur propre contradiction : aucun chrétien ne peut justifier la guillotine. Il fera la même démonstration dans le passage supprimé, en montrant que la République s’est fondé sur une Révolution qui a affirmé la « liberté fraternelle », en faisant confiance en la capacité du peuple de s’instruire et de progresser. 

Jaurès  à la tribune de l'Assemblée Nationale

Jaurès  à la tribune de l'Assemblée Nationale

Le second argument

 

Dans un second temps, il reprend, au discours direct, l’argument principal de ses opposants : « La peine de mort ! Elle est nécessaire, elle est exemplaire ; si on la supprime, les crimes vont se multiplier ». Le ton se fait polémique pour les interpeller, les conduire à réagir : « C'est à vous, messieurs, de faire la preuve, par des faits décisifs, qu'elle est, en effet, indispensable. » Il mène alors sa réflexion dans deux directions : 

  • Il insiste, par la répétition lexicale, sur le risque de l’erreur judiciaire, à ses yeux, statistiquement inévitable : « Ah ! Si vous la maintenez, si vous la développez, il y aura demain une certitude, la certitude que des têtes humaines tomberont ; mais il y aura cette certitude aussi que parmi ces têtes qui tomberont, il y aura des têtes d'innocents. »

  • Par un jeu de questions-réponses, il nie ensuite le rôle de la guillotine pour mettre « un frein » au criminel, en soulignant l’impossibilité de toute « démonstration de [son] efficacité », car cela relève de la « psychologie des criminels », mais en reconnaissant bien volontiers qu’il est tout aussi impossible de prouver le contraire. Donc, cet argument s’annule car il relève de « conjectures ».

Pour Jaurès, la peine de mort est donc, en fait, une solution de facilité, inhumaine et dangereuse, qui elle empêche les détenteurs du pouvoir d’envisager les solutions réelles pour, sinon empêcher, du moins limiter le crime : améliorer les conditions de vie des plus misérables.

Histoire des arts : la gravure de presse, Le Petit Journal 

Pour voir un diaporama d'analyse

Numéro du 20 octobre 1907
Numéro du 19 juillet 1908

Numéro du 20 octobre 1907

Numéro du 19 juillet 1908

Le Petit Journal, quotidien du soir républicain et conservateur, paraît de 1863 à 1944, avec un essor particulier quand, en 1884, il y ajoute, le dimanche, un supplément illustré en couleurs. Outre son prix (5 centimes au lieu de 15 pour les autres journaux), son succès est dû à un double choix éditorial :

  • un contenu distrayant, avec des feuilletons, des chroniques, et, surtout, une place importante accordée aux faits divers, parfois les plus horribles ;

  • une orientation qui se veut « apolitique », mais est en fait nettement conservatrice et traditionaliste, par exemple en prenant parti contre Dreyfus ou pour la peine de mort.

Vers 1900, avec 2 millions d’exemplaires vendus, il est le premier journal au monde pour son tirage. Les deux numéros choisis, des 20 octobre 1907 et du 19 juillet 1908 correspondent à la période où la question de la peine de mort revient dans les débats.

Albert Camus, Réflexions sur la guillotine, 1958, de « Le châtiment, qui sanctionne... » à « … à la victime. » 

Pour lire l'extrait

Déjà dans son roman, L’Étranger, paru en 1942, Camus a abordé le sujet de la peine de mort, son héros, Meursault étant condamné à la guillotine pour avoir tué un Arabe. Il reprend ce thème dans l’essai qu’il publie, en 1957, avec l’écrivain anglais, Arthur Koestler (1905-1983), intitulé Réflexions sur la peine capitale, dans lequel son propre article s’intéresse à la guillotine et celui de Koestler à la pendaison. Un an après, il republie cet extrait sous le titre Réflexions sur la guillotine. Il y rappelle un souvenir raconté par sa mère sur son père, qui avait assisté à une exécution publique peu avant la guerre de 14 : « Ma mère raconte seulement qu’il rentra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s’étendit un moment sur le lit et se mit tout d’un coup à vomir. Il venait de découvrir la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait. » En 1945, les exécutions ne sont plus publiques : elles se tiennent dans la cour de la prison. Mais l’indignation de Camus n’en est pas moins vive pour autant, même s’il la restitue à travers une argumentation rigoureuse.

Camus et Koestler, Réflexions sur la peine capitale, 1957-couv.jpg
Camus

1ère partie : la loi du talion (des lignes 1 à 20) 

Le premier paragraphe est construit sur la comparaison entre « la loi du talion » et la loi dans l’institution judiciaire, qui, en les différenciant, vise à condamner la peine de mort infligée par un tribunal.

La loi du talion

 

Camus remonte à l’origine des sociétés, aux temps antiques où celles-ci, pour punir et se préserver, se contentaient de « la vengeance », ce qui avait conduit, comme dans le code d’Hammourabi en Mésopotamie, à ce que Camus qualifie de « réponse quasi arithmétique ». Il rappelle ainsi son expression, dans la Bible : « Cette réponse est aussi vieille que l'homme : elle s'appelle le talion. Qui m'a fait mal doit avoir mal ; qui m'a crevé un œil, doit devenir borgne ; qui, a tué enfin doit mourir. » Mais sa reformulation, qui remplace, par exemple, « œil pour œil » par « qui m’a crevé un œil, doit devenir borgne » donne la parole à la victime : la peine devient alors seulement un geste dicté par la colère, « un sentiment » donc. La reprise verbale, « doit », souligne la force de ce sentiment, « particulièrement violent ».  

Il relève de la dimension la plus primitive de l’homme, dont Camus rappelle la sauvagerie, « il nous vient des forêts primitives », avant que ne se fondent rationnellement les institutions judiciaires. Il ne nie pas, d’ailleurs, la force de ce désir de vengeance, que chacun peut connaître, d'où le choix du pronom « nous » qui l'associe à ses lecteurs : « Nous avons tous connu ce mouvement, souvent pour notre honte ». La « honte » intervient précisément quand l’homme prend du recul et réussit à contrôler sa colère, qu’il regrette alors.

La loi civile

 

En multipliant les négations, à cette « loi » primitive, celle du « talion », Camus oppose la « loi » civile, qui, elle, relève d’un « principe », et doit, au contraire, contraindre la nature, empêcher le mouvement naturel du sentiment : « Or le talion se borne à ratifier et à donner force de loi à un pur mouvement de nature. » En poursuivant cette opposition, il pose ainsi ce qui est le but même de la « loi » judiciaire : « La loi, par définition, ne peut obéir aux mêmes règles que la nature. Si le meurtre est dans la nature de l'homme, la loi n'est pas faite pour imiter ou reproduire cette nature. Elle est faite pour la corriger. » Le but est donc de permettre à l'homme de s'améliorer par la punition.

La peine de mort en France

 

Cette comparaison le conduit à conclure sur la situation judiciaire en France. Pour l’introduire, il part de l’exemple de l’application de la « charia », telle qu’elle est appliquée dans la justice des pays qui suivent un islam rigoriste. Ainsi, Camus cite l’exemple de l’Arabie Saoudite : « nous autres Français qui nous indignons, à juste titre, de voir le roi du pétrole, en Arabie Saoudite, prêcher la démocratie internationale et confier à un boucher le soin de découper au couteau la main du voleur ». Sa description, concrète, renforce encore l’horreur du châtiment. Mais, en fait, cet exemple lui permet de dénoncer l’hypocrisie de cette indignation française : « nous vivons aussi dans une sorte de Moyen Âge qui n'a même pas les consolations de la foi. »

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Le talion: l'équilibre de la balance

Il rapproche ainsi la peine de mort, exécutée par la guillotine, de l’antique loi du talion dont elle est, à ses yeux, une survivance : «Nous définissons encore la justice selon les règles d'une arithmétique grossière. » Celui qui a donné la mort reçoit la mort, en une sorte de « vengeance légale »…

Une question rhétorique, interpellant le lecteur, ferme cette première partie : « Peut-on dire du moins que cette arithmétique est exacte et que la justice, même élémentaire, même limitée à la vengeance légale, est sauvegardée par la peine de mort ? » En mettant l’accent sur l’idée d’« arithmétique », Camus invite à peser le contenu des deux plateaux de la balance : d’un côté, la victime d’un meurtre, de l’autre côté le meurtrier guillotiné. Est-il possible d’y voir une stricte équivalence ? La réponse, immédiate, annonce la seconde partie : « Il faut répondre que non. »

2ème partie : l'injustice de la peine de mort (de la ligne 21 à la fin) 

La feinte argumentative

 

Camus développe cette réponse négative sur l’absence d’« équivalence » dans le second paragraphe. Habilement, il feint d’abord d’entrer totalement dans la thèse de son adversaire, partisan de la peine de mort : « Admettons qu'il soit juste et nécessaire de compenser le meurtre de la victime par la mort du meurtrier. » Mais cette concession a été précédée par une injonction, qui montre bien sa propre opinion, son rejet : « Laissons de côté le fait que la loi du talion est inapplicable ». Il la renforce même par deux exemples destinés à montrer l’absurdité d’un châtiment reposant sur une sorte d’hypothétique arithmétique : « il paraîtrait aussi excessif de punir l'incendiaire en mettant le feu à sa maison qu'insuffisant de châtier le voleur en prélevant sur son compte en banque une somme équivalente à son vol. »

La comparaison de deux "meurtres"

 

L'absence d'"équivalence"

Pour justifier l’idée de peine injuste, Camus développe la comparaison de deux meurtres, en partant d’une autre comparaison à propos de l’enfermement : « Mais l'exécution capitale n'est pas simplement la mort. Elle est aussi différente, en son essence, de la privation de vie, que le camp de concentration l'est de la prison. » Il adopte, à nouveau, un raisonnement par concession, soutenu par la répétition lexicale : « Elle est un meurtre, sans doute, et qui paie arithmétiquement le meurtre commis. » Mais, aussitôt, il marque la différence entre eux, renforcée par le rythme ternaire en gradation : « Mais elle ajoute à la mort un règlement » est prolongé par les deux adjectifs qui précisent, « une préméditation publique et connue de la future victime », puis par la relative qui amplifie encore l’idée, « une organisation, enfin, qui est par elle-même une source de souffrances morales plus terribles que la mort ». Il accuse donc les partisans de la guillotine d’une forme de cruauté, car ils font durer la souffrance, ce qui les rend pires que le criminel lui-même. C’est donc sur le plan moral qu’il place son argumentation, d’où sa conclusion, en une brève phrase négative : « Il n’y a donc pas d’équivalence. »

La notion de préméditation

Cependant, il n’approfondit pas d’emblée ce jugement moral pour se replacer sur le plan strictement  juridique, la loi tenant compte de la notion de « préméditation » pour aggraver la peine du criminel : « Beaucoup de législations considèrent comme plus grave le crime prémédité que le crime de pure violence. » D’où l’interpellation de son lecteur dans la question rhétorique, à laquelle le superlatif apporte une réponse  implicite : «  Mais qu'est-ce donc que l'exécution capitale, sinon le plus prémédité des meurtres, auquel aucun forfait de criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé ? »

C’est par le biais d’une hypothèse qu’il justifie l’injustice de cette vengeance qu’est la peine capitale : « Pour qu'il y ait équivalence, il faudrait que la peine de mort châtiât un criminel qui aurait averti sa victime de l'époque où il lui donnerait une mort horrible et qui, à partir de cet instant, l'aurait séquestrée à merci pendant des mois. » Mais il nie aussitôt cette hypothèse : « Un tel monstre ne se rencontre pas dans le privé. » Mais il sous-entend ainsi qu'il se rencontre dans le domaine public : c’est celui qui pose la sentence de peine de mort.

L'appel à l'émotion

 

L’indignation de Camus se traduit à la fin du paragraphe. Il accuse violemment les juges qui invoquent l’absence de souffrance de la guillotine, considérée comme un progrès par rapport aux formes anciennes d’exécution : « Là encore, lorsque nos juristes officiels parlent de faire mourir sans faire souffrir, ils ne savent pas ce dont ils parlent et, surtout, ils manquent d'imagination. » Il cherche alors à faire précisément appel à cette « imagination » du lecteur, en provoquant son émotion par la gradation insistante sur ce que subit le criminel condamné : « La peur dévastatrice, dégradante, qu'on impose pendant des mois ou des années au condamné est une peine plus terrible que la mort, et qui n'a pas été imposée à la victime. » De nombreux exemples ont montré, en effet, qu’entre le verdict initial, l’appel à la cour de cassation, enfin la demande  d’une grâce présidentielle, et le matin de l’exécution, plusieurs années peuvent s’écouler…

« Quatre ans d’attente ». France3 - pays de la Loire

« Quatre ans d’attente ». France3 - pays de la Loire

CONCLUSION

 

L’argumentation de Camus est rendue originale par sa démarche, doublement accusatrice : après l’avoir rapprochée de la loi du talion, premier fondement de son accusation, qui renvoie la société à des temps primitifs, il l’en distingue en montrant que ce « meurtre » officiel est injuste car plus cruel encore que le meurtre initial. Ainsi, la peine capitale est une survivance de cette barbarie que, très hypocritement, la France reproche à d’autres codes judiciaires. Il ne s’intéresse donc pas ici aux arguments le plus souvent invoqués, l’inutilité de la guillotine pour empêcher les crimes en protégeant la société, ou l’idée que tout homme peut être corrigé par la prison pour éviter la récidive.

Même si son argumentation se veut particulièrement rigoureuse, jouant sur les concessions pour convaincre ses lecteurs, il cherche aussi à le persuader en faisant appel à leur émotion par des modalités expressives, un lexique évocateur, des procédés d’insistance.

Lectures cursives : deux extraits d'Albert Camus 

Pour lire les deux extraits

L’Étranger, 1942 : Partie II, chapitre V

 

Le dernier chapitre du roman, L’Étranger, paru en 1942, Camus montre la longue attente de son héros, Meursault, de cette « aube » où il sera conduit à la guillotine. Ce portrait explique l’argument qu'il mettra plus tard en valeur dans Réflexions sur la guillotine : la barbarie de cette mort « préméditée », pire que le crime commis.

Une terrible attente (des lignes 1 à 17)

Camus souligne la dimension inhumaine de la peine de mort, quand le condamné, ignorant la date de son exécution, attend, à chaque « aube », qu’on vienne le chercher : « C'est à l'aube qu'ils venaient, je le savais. En somme, j'ai occupé mes nuits à attendre cette aube. », « l'heure douteuse où je savais qu'ils opéraient d'habitude ». 

"Meursault en cellule" : Luchino Visconti, film, 1967

"Meursault en cellule" : Luchino Visconti, film, 1967

Même si l’affirmation, « Je n'ai jamais aimé être surpris. Quand il m'arrive quelque chose, je préfère être là. », peut paraître inappropriée pour un homme qui attend la mort, elle se justifie précisément à présent parce qu’il ressent la peur dans son corps même : « Même si le moindre glissement me jetait à la porte, même si, l'oreille collée au bois, j'attendais éperdument jusqu'à ce que j'entende ma propre respiration, effrayé de la trouver rauque et si pareille au râle d'un chien, au bout du compte mon cœur n'éclatait pas et j'avais encore gagné vingt-quatre heures. » 

Ainsi, c’est finalement le prix de la vie que la certitude de la mort conduit à mesurer au jour le jour, à partir des couleurs du ciel, à chaque battement de cœur : « J’écoutais mon cœur. »

Le pourvoi (de la ligne 18 à la fin)

Le système judiciaire ouvre au condamné un ultime espoir, celui d’un « pourvoi » qui casserait le jugement. Il est ici curieusement présenté, comme la source d'un chef d’œuvre de dialectique : « Je crois que j'ai tiré le meilleur parti de cette idée. Je calculais mes effets et j'obtenais de mes réflexions le meilleur rendement. »

Pour accepter le rejet du pourvoi en cour de cassation, donc l’idée de la mort soulignée par le discours direct rapporté, « Eh bien, je mourrai donc », l’argument invoqué est le fondement même de la condition humaine, la mort inéluctable, « que ce soit maintenant ou dans vingt ans ». S’ensuit un argument connexe : « tout le monde sait que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. Dans le fond, je n'ignorais pas que mourir à trente ans ou à soixante-dix ans importe peu puisque, naturellement, dans les deux cas, d'autres hommes et d'autres femmes vivront, et cela pendant des milliers d'années. » Si, en effet, la mort est une certitude, quel sens alors donner à la vie d’une seule personne, dans un univers qui perdurera sans elle ? Meursault s’emploie à cette construction rigoureuse du raisonnement, jusqu’à introduire, dans une sorte de dialogue intérieur, une objection, le prix de la vie : « À ce moment, ce qui me gênait un peu dans mon raisonnement, c'était ce bond terrible que je sentais en moi à la pensée de vingt ans de vie à venir. » L’effort pour se convaincre se traduit dans la formulation même, négation restrictive ou mise en valeur syntaxique : « je n’avais qu’à l’étouffer… », « Du moment qu'on meurt, comment et quand, cela n'importe pas, c'était évident. » Le connecteur « donc » introduit la conclusion de ce premier mouvement, « je devais accepter le rejet de mon pourvoi », mais la parenthèse crée une distance qui démasque par avance tout ce que ces « raisonnements » ont de forcé et d’artificiel finalement.

Le premier Homme, 1994

 

Lors de la mort de Camus d’un accident de voiture, le 4 janvier 1960, est retrouvée dans le véhicule une sacoche qui contient un manuscrit, inachevé. Il s’agit de la première partie d’un roman autobiographique, puisque, sous les traits de son personnage, Jacques Cormery, âgé de 40 ans lors de l’écriture, il retrace sa propre enfance en Algérie. « En somme, je vais parler de tous ceux que j’aimais », écrit-il dans une note sur ce roman qui ne sera publié qu'en 1994. C’est l’occasion de revenir au thème de la peine de mort, à travers une anecdote

Cet épisode a manifestement marqué le jeune Camus, car il a déjà été raconté par le héros de L’Étranger, Meursault, alors qu’il attend la mort. Ce court récit repose sur une opposition.

  • Le père choisit d’assister à cette « punition exemplaire » – car tel est l’argument principal des partisans de la guillotine, son exemplarité –, et Camus reprend l’idée, développée dans Réflexions sur la guillotine, que cette peine répond à un sentiment naturel face à un meurtre qui « avait indigné » son père.

  • Mais la suite met en évidence l’horreur alors éprouvée par son père, qui va jusqu’à rentrer « livide », puis « vomir plusieurs fois ». Cependant, pour l’enfant qui n’a pas vu la scène, même les mots pour la relater suscitent une même « nausée d’horreur ».

La fin de l’extrait peut expliquer la place prise par cette image de la peine capitale dans l’œuvre de Camus, puisque qu'elle vient régulièrement hanter ses nuits. Peut-être même a-t-elle contribué à fonder la première étape de sa philosophie, ce moment où l’homme prend conscience de sa condition mortelle, et éprouve "l'Absurde". 

Devoir : essai 

Pour se reporter au texte de la contraction

SUJET : En 1791, Duport critique la justice de son époque qu’il définit comme un « système de répression. » Pour remplir le rôle qu’elle doit, selon vous, jouer, comment doit fonctionner la justice ?

Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question en prenant appui sur les textes du corpus étudiés et sur celui de Duport que vous avez contracté. Vous pourrez aussi faire appel à votre culture et à vos lectures personnelles.

Essai

Préparation de l'essai

 

Dans un premier, temps, il peut être utile de rappeler le rôle de l'essai, et ce qui est attendu dans une argumentation : une démarche logique pour convaincre le destinataire, illustrée par des exemples, et des procédés de modalisation, pour le persuader en touchant ses sentiments. 

Il est indispensable ensuite d'analyser précisément le sujet.

La question posée

Elle n’invite pas à une discussion, mais à une analyse, double :

  • Le point de départ demande une réflexion sur « le rôle que doit jouer » la justice dans notre société.

  • Dans un second temps, pour « remplir ce rôle », le verbe au conditionnel place le candidat face à une hypothèse : imaginer « comment  devrait fonctionner la justice ». Cela implique d’aller du moment où le « présumé coupable » se trouve devant le juge d’instruction, à celui où la sentence est exécutée, en passant par le temps du tribunal.

Cela indique déjà la construction de l’essai, en deux parties.

Une citation introductive

Le texte de Duport a déjà fait l’objet de la contraction, 1ère partie de l’épreuve écrite du baccalauréat pour les séries technologiques. Il dénonce avec force la peine de mort, qui sévit durant la période révolutionnaire, donc une justice qu’il définit comme un « système de répression ».  Ces deux termes traduisent à la fois l’idée de toute une organisation élaborée par une société, et son objectif, punir rigoureusement ceux qui refusent de respecter les lois imposées.

Le candidat peut, lui, soutenir ce rôle punitif, ou bien privilégier d’autres rôles : protéger les citoyens ? répondre aux exigences de la victime ? éduquer le coupable pour empêcher une récidive ? imposer le pouvoir de la loi, de la morale ?

La consigne

  • Elle insiste sur la démarche rigoureuse de l’essai : il commence par une introduction et conduit à une conclusion. Son développement comporte deux parties, elles-mêmes structurées en paragraphes marqués par un alinéa, qui permettent d’ordonner et d’enchaîner les arguments.

  • Elle demande de soutenir les arguments par des exemples, pris, soit dans les « textes du corpus », soit dans celui de Duport qui a servi à la contraction, soit dans des connaissances personnelles.

Pour lire une proposition de correction

Conclusion 

Lectures cursives : deux extraits de Robert Badinter

Pour lire l'extrait du discours

Robert Badinter à la tribune de l'Assemblée, le 17 septembre 1981

Discours à l’Assemblée Nationale du 17 septembre 1981

 

Dans son programme électoral, François Mitterrand avait inscrit l’abolition de la peine de mort. Dès son élection, il confie donc à Robert Badinter, avocat nommé Garde des Sceaux et fervent partisan de l’abolition, le soin de faire promulguer cette loi. D’où le débat qui s’ouvre à l’Assemblée Nationale, dans lequel il prononce, le 17 septembre 1981, un discours qui sera déterminant pour faire voter le texte de loi.

Après avoir rappelé les débats antérieurs, il y développe une argumentation rigoureuse, dont nous reprenons les principaux points.

Robert Badinter à la tribune de l'Assemblée, le 17 septembre 1981

Abolition

1er paragraphe : des lignes 1 à 17

Cet argument, qui nie la « valeur dissuasive » de la peine de mort, a souvent été invoqué auparavant. Badinter rappelle que le risque d’être tué est oublié quand un homme est mu par une passion, qu’elle soit positive, comme pour un soldat, ou négative, pour un criminel : « C'est seulement pour la peine de mort qu'on invente l'idée que la peur de la mort retient l'homme dans ses passions extrêmes. » Les exemples cités sont saisissants, puisque Patrick Henry avait réclamé la mort lors d'un procès célèbre... avant d'être lui-même jugé pour meurtre.

2ème paragraphe : des lignes 18 à 42

Il développe ensuite l’idée que la peine de mort est, en fait, un signal politique : « elle procède de l'idée que l'Etat a le droit de disposer du citoyen jusqu'à lui retirer la vie. » Elle est donc propre aux dictatures, tandis que, dans une démocratie, il est impossible d’accorder, à l’issue d’un simple procès, ce droit à douze jurés, ni d’ailleurs au président de la République qui dispose du droit de grâce. Ce qui était valable au temps où la monarchie était « de droit divin » ne l’est plus dans une démocratie.

3ème paragraphe : des lignes 43 à 55

Il en vient ici à la dimension morale du sujet car ne s’agit-il pas de donner la mort ? C’est pourquoi, il cite l’opinion de trois religions, catholicisme, protestantisme et judaïsme, qui s’y opposent, auxquelles il associe toutes les associations qui « militent de par le monde pour la défense des libertés et des droits de l'homme ».

4ème paragraphe : des lignes 56 à 82

Il reprend alors le très vieil argument qui blâme la peine de mort en tant que survivance de la loi du talion : « La mort et la souffrance des victimes, ce terrible malheur, exigeraient comme contrepartie nécessaire, impérative, une autre mort et une autre souffrance. » Habilement, il répond à l’objection d’adversaires qui considèrent que le crime est un « malheur » tel qu’il doit entraîner un « sacrifice expiatoire », la mort du coupable. En insistant et en élargissant cette image du malheur, il montre que, si la volonté de vengeance est naturelle pour la famille de la victime, la société, elle, a institué des institutions judiciaires dans un autre but : « tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. », la société, elle, a institué des institutions judiciaires dans un autre but : « tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. »

5ème paragraphe : des lignes 83 à 95

En reprenant un autre argument adverse, «  L'assassin doit mourir tout simplement parce que, ainsi, il ne récidivera pas. » Mais, au lieu d’insister sur les garanties que peut offrir une peine d’emprisonnement, il déplace le débat en introduisant un doute : « la justice qui tue le criminel doit tuer en connaissance de cause. » Il suggère ainsi que c’est loin d’être toujours les cas…

6ème paragraphe : de la lignes 96 à la fin

Dans un premier temps, il réclame plus d'indulgence : « il n'est point d'hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. » Il rappelle là, d’une part, l’ancien argument des abolitionnistes, que l’homme est déterminé par son milieu, d'autre part, la conception humaniste qui considère que tout homme est perfectible.

C’est enfin le doute sur le fonctionnement de la justice qu’il développe longuement à travers trois  arguments :

  • la possibilité d’erreurs judiciaires ;

  • le fait qu’une sentence puisse être « cassée » lors d’un procès en appel ;

  • le déroulement même du procès, où des éléments psychologiques jouent un rôle dans le verdict.

D’où sa conclusion brutale, qui traduit son  indignation : « Cette sorte de loterie judiciaire, quelle que soit la peine qu'on éprouve à prononcer ce mot quand il y va de la vie d'une femme ou d'un homme, est intolérable. »

L'Abolition, 2000

Pour lire l'extrait

L’Abolition, récit paru en 2000, est comme le second volet, après L’Exécution, en 1973, dans lequel Robert Badinter raconte son expérience d’avocat, qui explique son combat en faveur de l’abolition de la peine de mot

Dans le premier, il relate le procès de Claude Buffet et Roger Bontems, tous deux guillotinés malgré le fait que Bontems n’a pas lui-même tué. En revanche, alors que tous réclament sa mort, Badinter réussit à éviter la guillotine à Patrick Henry, qui avait kidnappé et tué un enfant : c’est lui qui est au cœur de L’Abolition, dont, dans une préface écrite ultérieurement, il explique l’objectif :

« Ce livre est le récit de ma longue lutte contre la peine de mort. Il commence au jour de l’exécution de Claude Buffet et de Roger Bontems le 24 novembre 1972, et s’achève avec le vote de l’abolition, le 30 septembre 1981. Depuis lors, l’abolition s’est étendue à la majorité des États dans le monde. Elle est désormais la loi de l’Europe entière. Elle marque un progrès irréversible de l’humanité sur ses peurs, ses angoisses, sa violence. » 

Malo Kerfriden et Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, L’abolition, Le combat de Robert Badinter, 2019

Malo Kerfriden et Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, L’abolition, Le combat de Robert Badinter, 2019

Les deux extraits choisis ici mettent en parallèle la présentation du criminel et des faits par l’avocat en charge de l’affaire, Maître Bocquillon, qui lui demande de participer avec lui à la défense, et le regard de Badinter lors de sa première rencontre avec Patrick Henry. 

Une première présentation (des lignes 1 à 41)

Le portrait de l’avocat

Dans le premier paragraphe, Badinter, en mettant en évidence les qualités de son confrère, trace un portrait de ce que doit être un avocat, un homme apte à rester neutre, car « il ne ressentait à l'égard de celui-ci aucune prévention ni antipathie » :  il tient d’abord compte des « faits », car ce sont eux qui font l’objet du procès.

La plaidoirie de l'avocat. Film L'Abolition, 2009, de D. Verhaeghe

La plaidoirie de l'avocat. Film L'Abolition, 2009, de D. Verhaeghe

Mais, cela n’implique pas, pour autant, un froid « détachement », car il sait que la personnalité de son client joue un rôle essentiel face aux jurés : « Ce qui le préoccupait, c'était l'effet que la personnalité de Patrick Henry ferait sur les jurés ». Ce sont eux que l’avocat  doit « émouvoir », pour sauver la vie de son client, et Badinter souligne le poids que cela fait peser sur lui, une sorte de droit de vie et de mort : « Déjà, Bocquillon se sentait responsable de cette vie que le destin - ou Dieu - avait remise entre ses mains. » Mais la remarque entre tirets n’est-elle pas déjà une dénonciation de la peine de mort, qui délègue à l’homme un pouvoir qui ne devrait appartenir qu’à Dieu ?

La présentation de l'affaire

Face à son confrère, Badinter réagit immédiatement comme l’exige son métier, en se mettant à la place des jurés, dont il comprend, par ce récit, à quel point il sera difficile d’éviter qu’ils ne prononcent la peine de mort. Il prévoit « un désastre judiciaire programmé » : « Les faits étaient cruels, les détails accablants. » En imaginant leurs réactions, refus de croire à un meurtre accompli par « égarement chez un homme aussi calculateur », et, surtout, identification à la souffrance du père de l’enfant assassiné, c’est un nouvel argument contre la peine capitale qu’il suggère : la vie d’un homme dépend d’hommes qui ne jugent pas uniquement rationnellement, mais en fonction de leurs émotions. S’ils concluent à « une monstrueuse insensibilité » de l’accusé… comment l’avocat pourra-t-il contrebalancer ce sentiment premier ?

La rencontre « à La Santé » (de la ligne 41 à la fin)

Une première image

Cette première rencontre est importante car elle forge la première impression de l’avocat sur son client, qui pourra aussi être celle donnée aux jurés. Il souligne ici sa jeunesse, « plus proche de l'adolescence que de l'âge adulte », et le contraste entre l’horreur du crime commis et l’apparence du criminel : « Sur ce visage lisse que la vie n'avait pas encore marqué, rien n'évoquait le personnage monstrueux que la presse avait tant dénoncé. » Cette remarque sous-entend deux éléments essentiels dans le combat de Badinter en faveur de l’abolition :

Calvi, Robert Badinter et Patrick Henry lors du procès, en janvier 1977. Croquis d’audience, Le Figaro

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  • D’une part, il dénonce le rôle des médias : ils condamnent avant même le procès, qu’ils influencent en accentuant l’indignation publique. Les jurés peuvent-ils échapper à cette influence ?

  • D’autre part, en ajoutant « Et pourtant, ce jeune homme était bien ce criminel-là », il invite à ne pas oublier que, dans tout criminel, au-delà de son acte, il y a un homme. C’est donc lui qu’il faut découvrir, « tenter de comprendre ».

Le récit des faits

Avant même de reprendre le long récit des faits présentés par Patrick Henry lui-même, Badinter mentionne sa façon tranquille de les relater, « Il s'exprimait sans effort, d'une voix calme. », répétée à la fin : « Il reprit son récit, d'une voix toujours aussi calme, sur ce qui était advenu après la mort de l'enfant. » Cette remarque renvoie forcément l’avocat à cette image de « monstrueuse insensibilité » attribuée à son client. Mais ce « calme » présente un autre inconvénient. Il contraste avec le récit dans lequel Patrick Henry insiste sans cesse sur ce qui a conduit au crime : « il avait commencé à paniquer », « il s’était enfui », « une peur insurmontable l’avait envahi », « Il ne savait plus comment sortir de ce piège où il s'était lui-même enfermé. », « l'angoisse qui le gagnait ». L’enlèvement d’un enfant pour obtenir une « rançon » se transforme ainsi en un terrible engrenage. Mais cela n’est-il pas d’abord une façon de s’excuser, en écartant aussi toute idée de maltraitance de l’enfant : « Il ne lui avait pas administré de somnifère, ni fait boire de vin. Le petit était très calme, très gentil, il regardait la télévision, il croyait que ses parents allaient venir le chercher. » ? 

Faut-il aussi voir un remords dans l’absence de récit précis du moment du crime ? Badinter en fait plutôt une caractéristique habituelle : « comme d'autres meurtriers, il ne pouvait raconter l'acte de mort. » Cela pourrait rappeler l’argument des adversaires de la peine capitale, que l’acte criminel relève d’une pulsion que rien ne peut arrêter, même pas le risque de la guillotine. Comment alors interpréter la réponse de Patrick Henry, « Et alors? - Alors, j'ai perdu la tête » ? A-t-il été conscient de ce qu’il risquait, et donc a-t-il tué parce qu’il ne voyait pas d’autre moyen pour arrêter cet engrenage ? Ou bien, vu qu’il ne peut pas s’agir d’un humour, qui serait bien macabre, est-il totalement inconscient de ce qu’il risque ? Sa réponse, en tout cas, renvoie l’avocat à son rôle : sauver la tête de son client.

Visionnage : Daniel Verhaeghe, Abolition, film, 2009 

Est proposé le visionnage de la bande-annonce, qui résume l’itinéraire de Robert Badinter, d’abord sa rencontre en prison avec son client, Bontems, dont l’image de la guillotine, dressée dans la cour de la prison, révèle le risque qu’il court. L’accent est ensuite mis sur la plaidoirie de Badinter, qui tente de faire ressentir aux jurés toute l’horreur de la peine de mort, par son insistance sur l’homme que « l’on coupe vivant, en deux ». La bande-annonce conclut sur la force de ce combat, qui conduit au discours à la tribune de l’Assemblée, en 1981. L’ultime image, inscrite dans un cercle qui s’efface, ne fait ressortir que le bruit sinistre du glissement du couperet de la guillotine, ce bruit que personne n’entendra plus grâce à l’abolition.

Conclusion

Réponse à la problématique 

Rappelons la problématique : « Comment se développe le débat autour de la peine de mort, entre ses partisans et ses adversaires ? »

Ce corpus nous a permis de mesurer l’ancienneté du débat autour de la justice et des lois, et, plus particulièrement, autour de la sanction la plus terrible que les sociétés antiques appliquaient, la mort, parfois infligée de façon particulièrement horrible. Mais déjà certains, comme le philosophe Diodote dans la Grèce antique, combattait ce châtiment : il le jugeait inutile et, pire encore, inefficace car propre, non pas à servir d’exemple mais plutôt à renforcer la violence des ennemis.

L'évolution du débat

 

Mais ces voix sont restées faibles, et, encore au Moyen Âge règne la torture, et même l’Église n’hésite pas à envoyer sur le bûcher ceux qu’elle juge hérétiques… Il faut attendre le XVIII° siècle – et l’essai de l’Italien Beccaria Des Délits et des Peines a joué un rôle fondamental sur ce sujet – pour que les philosophes des Lumières accentuent le combat : en 1791, un premier pas est fait, dont témoigne le discours de Duport, avec une réduction du champ d’application de la peine de mort. Le mouvement d’abolition, un temps freiné sous l’Empire, reprend au XIXème siècle, porté par des auteurs illustres, tels Victor Hugo ou Lamartine : en 1832, est généralisée la prise en compte des « circonstances atténuantes », puis la révolution de 1848 l’abolit dans le domaine politique. Il était donc indispensable de lier l'étude des textes au contexte politique, économique et social propre à chaque époque.

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Au XXème siècle, nous avons pu étudier le débat sur l’abolition qui a repris à l’Assemblée Nationale : adversaires, pour les députés de droite, comme Barrès, partisans pour ceux de gauche, comme Jaurès, division qui se retrouve dans la population, car la presse s’associe au débat. Deux guerres, un pays à reconstruire, une crise économique… le débat est suspendu jusqu’à ce que Robert Badinter, ministre de François Mitterrand,  obtienne à l’Assemblée, en 1981, le vote de son abolition, malgré une volonté populaire encore contraire à cette époque. Même aujourd’hui, les sondages montrent qu’une large fraction du pays reste convaincue que seule la peine capitale pourrait servir la justice et faire baisser la criminalité.

Rapport n° 3611, 2007, fait par le député Houillon

Les moyens mis en œuvre

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Les genres littéraires

Le parcours a permis d’aborder des genres divers, chacun ayant ses propres caractéristiques.

  • Les essais offrent l’avantage de poser le débat de façon très rationnelle, en permettant d’approfondir l’argumentation et de la soutenir par des exemples précis, comme le font Voltaire ou Camus.

  • Les discours, comme ceux de Victor Hugo, de Barrès, de Jaurès ou de Badinter, même si nous n’en avons que la transcription écrite, révèlent sans doute davantage la conviction de leurs auteurs qui ne se privent pas d’interpeller leurs destinataires en leur transmettant avec force leur indignation.

  • Les romans, eux, procèdent différemment, car la présence d’un personnage, comme le « condamné » qui vit son dernier jour chez Hugo, ou Meursault chez Camus, fait entendre une voix plus personnelle. Ils font ainsi ressortir la présence humaine, parfois trop absente dans les essais ou les discours, plus théoriques, et font appel au cœur des lecteurs.

  • La poésie, elle, dispose d’un double atout. D’une part, elle peut accentuer la tonalité polémique, par la force de ses rythmes notamment, et parce que l’engagement personnel du poète y prend toute sa place ; d’autre part, elle met en œuvre des images qu’elle sait rendre saisissantes par les choix lexicaux et les jeux sonores.

Enfin, il ne faut pas oublier la façon dont tous les autres artistes, dessinateurs créateurs d’estampes, ensuite largement diffusées par des gravures, peintres et sculpteurs, par exemple par des allégories, ont contribué au débat. Leur rôle, qu’il s’agisse d’adversaires ou de partisans de la peine de mort, s’est encore accru avec le développement de la presse au XIXème siècle, car ils ont pu alors toucher  un bien plus large public.

Convaincre et persuader

Le corpus est intitulé « Le procès de la peine de mort », ce qui implique d’inscrire les textes dans le déroulement d’un procès. L’accusée est la peine de mort, et ses avocats, ceux qui la défendent, face à des procureurs, qui, eux, cherchent à la condamner. Paradoxe, puisque, du côté des avocats se rangent les familles et les proches des victimes et que, là où leur rôle habituel consiste à empêcher une condamnation, les voilà qui réclament le maintien de cette peine capitale… Inversement, là où le procureur plaide, au nom de la société, pour la plus grande sévérité, ici les auteurs engagés plaident en faveur de l’abolition…Ce paradoxe fait ressortir toute la difficulté de ce débat où, comme dans un tribunal, il faut introduire des arguments, apporter des preuves, pour convaincre les jurés, les lecteurs. Mais, pour emporter leur adhésion, pour les persuader, susciter leurs émotions est indispensable, d’où la mise en œuvre de tous les procédés stylistiques qui accentuent l’indignation, en fonction du genre littéraire choisi.

La situation actuelle 

En France

 

En France, le débat a pris fin avec la loi d’abolition votée en 1981… du moins, juridiquement puisque cette abolition s’inscrit dans la Constitution et est une exigence aussi bien pour la participation à la Communauté européenne que pour l’image de la France sur le plan international. Mais qu’en est-il dans les mentalités ?

En France, nous n'en sommes plus aux 67% qui, en 1981, refusaient l’abolition… mais plus d’un Français sur deux reste favorable à la peine de mort ! Il suffit d’un crime particulièrement horrible, notamment quand la victime est un enfant ou rendue particulièrement vulnérable par son âge, pour que l’opinion publique revienne à ce qui, comme l’ont montré les textes étudiés, relève de l’élan naturel propre à la "loi du talion". On peut penser aussi que la montée du terrorisme, avec des crimes aveugles et odieux, a joué un rôle dans cette volonté d’éliminer les meurtriers. 

Sondage d'opinion sur le rétablissement de la peine de mort-actuel.jpg

Enfin, elle révèle, de façon plus large, le sentiment que la justice est trop laxiste, puisque la demande de sévérité porte aussi sur une demande de peines d'emprisonnement plus lourdes, appliquées avec plus de rigueur… Sans doute, certains verraient-ils bien un prisonnier jeté au cachot… nourri au pain et à l’eau…

Dans le monde

carte mondiale de la peine de mort
La peine de mort aux Etats-Unis

Mais la carte mondiale des pays non abolitionnistes est éloquente : bien des pays, certains pour des raisons religieuses, souvent dotés de régimes dictatoriaux, continuent à maintenir la peine de mort. Elle subsiste même, par injection létale, dans une démocratie puissante comme les États-Unis, où le condamné attend parfois plusieurs années dans le "couloir de la mort". Mais 19 États l’ont déjà aboli, d’autres ne l’ont pas supprimée mais ne l’appliquent plus, et les mouvements abolitionnistes restent actifs pour étendre sa suppression légale… Mais, dans un pays où la loi accorde à chaque citoyen le droit de posséder une arme pour assurer sa défense, il est difficile d’ôter des mentalités l’élan qui pousse à cette vengeance primitive.

Il y a donc encore du chemin à faire pour exaucer le souhait formulé par Robert Badinter dans son discours à l’Assemblée : « À considérer cependant les exécutions pratiquées aux États-Unis, en Chine, en Iran et dans de nombreux autres pays, le combat contre la peine de mort est loin d’être achevé. Puisse l’évocation de ce qui advint en France servir la grande cause de l’abolition universelle. »

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