Introduction : l'héritage
Pour étudier le sens et la connotation du mot "esclavage"
Le mot « esclave », « sclavus » en latin médiéval, vient de l’origine « slave » de nombreux esclaves dans les Balkans, réduits à ce statut par les Germains et les Byzantins. Le terme latin, « servus », a, lui, donné le « serf » du Moyen Âge, travailleur attaché à la terre du roi, du seigneur ou de l’Église, dont il dépend mais qui a aussi des devoirs envers lui. Aucun droit, en revanche, pour l’esclave, totalement privé de liberté.
L'héritage antique : en Grèce et à Rome
Pour une analyse précise : "L'héritage antique"
Documents complémentaires
Pour lire les documents complémentaires
ARISTOTE, Politique, I, § 13, 14 et 20
Ce texte pose trois caractéristiques de l’esclavage.
Dans le paragraphe 13
Aristote justifie l’esclavage, comme étant naturel : l’esclave est un être « inférieur » car, là où l’homme libre est à la fois « corps » et « âme », l’esclave, lui, n’est qu’un « corps », dépourvu d’un usage propre de la faculté proprement humaine, la raison, même si, contrairement à l’animal, il peut « comprendre la raison quand un autre la lui montre ». Donc, il est, par nature, destiné à « se soumettre à l’autorité du maître ».
Dans le paragraphe 14
Il insiste sur cette condition naturelle de l’esclave, dictée par son corps : « La nature même le veut, puisqu’elle fait les corps des hommes libres différents de ceux des esclaves. » Aux premiers, les tâches nobles, les « fonctions de la vie civile », aux seconds « les gros ouvrages de la société » puisque, par nature, leur corps s’y prête.
Aristote, d’après un bronze de Lysippe. Œuvre romaine, Ier-IIème siècle. Musée du Louvre
Dans le paragraphe 20
Deux autres adjectifs sont introduits pour définir l’esclavage.
-
D’abord, il est « utile » : de même que, dans l’être humain, le « corps » et « l’âme » sont indissociables, utiles l’un à l’autre, de même, dans la société, les « corps » que sont les esclaves sont utiles aux « âmes » que sont les hommes libres, et réciproquement : « il est utile pour l'un de servir en esclave, pour l'autre de régner en maître. »
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Il affirme ensuite que l’esclavage est « juste » puisqu’il répond au « vœu de la nature ».
Cependant, à partir de ces caractéristiques il tire une conséquence sur la relation souhaitable entre le maître et l’esclave : « il existe un intérêt commun, une bienveillance réciproque. » Aristote blâme donc « l’abus de cette autorité » qui revient au maître, et l’esclavage qui ne se fonderait que sur « la loi » et sur « la force ».
Même s’il cautionne donc totalement l’esclavage, pour des êtres jugés inférieurs par nature, Aristote réclame une harmonie au sein de la cité entre « esclaves » et « hommes libres ».
Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne, 1961, extrait
Hannah Arendt jette un regard original sur la conception de l’esclavage dans le monde antique, qui s’appuierait, selon elle, sur la philosophie et non plus sur des exigences économiques, « se procurer de la main-d'œuvre à bon marché ». Elle lie son existence au fait que les Anciens considèrent le travail comme une aliénation de l’homme, « un asservissement à la nécessité », puisque tout être humain doit travailler pour vivre. Donc, si l’homme veut échapper à « la nécessité » pour se définir comme un être libre, il lui faut user de la « force » pour imposer le travail à d’autres, ses « esclaves ».
Elle explique ainsi la différence de « nature », expliquée par Aristote, entre celui qui mérite pleinement le nom d’« homme » et celui qui reste « proche des animaux domestiques ». Mais il suffit que l’esclave soit affranchi, ou qu’il exécute une tâche plus noble, car liée aux « affaires publiques », et « la ‘‘nature’’ de l’esclave changeait automatiquement. »
Certes, elle introduit une nuance, en précisant « du moins au début » de l’esclavage, mais son raisonnement nous permet de mesurer la grande différence avec les débuts de l’esclavage auquel les Européens ont soumis les peuples indigènes conquis. Pour eux, il s’agissait avant tout de « faire des bénéfices », de développer économiquement de nouvelles terres à moindre coût : tout était question de prix d’achat, d’investissement, et de prix de vente. Aucune philosophie pour soutenir le bien-fondé de l’esclavage sinon le sentiment de supériorité du vainqueur blanc, se jugeant civilisé, sur l’homme indigène vaincu, considéré comme primitif.
La traite négrière en France
Pour en savoir plus sur la traite négrière
Introduction : les premiers combats contre l'esclavage
Même si, en 1435, le pape Eugène IV condamne formellement l’esclavage, il ne s’agit encore que des indigènes des îles Canaries, la question des Africains ne se pose pas. Mais, dès 1454, avec les premiers esclaves faits par les Portugais, aucune condamnation religieuse, bien au contraire puisqu’il s’agit des « Sarrasins » et des « autres infidèles ». Cependant, si la traite se développe, par les Portugais entre le XV° et le XVI° siècle, puis par les Espagnols, Hollandais, Français, Anglais qui se lancent dans ce commerce lucratif, la vente d’esclaves reste officiellement interdite en « terre chrétienne ». Cette hypocrisie ne dure guère…
Les nécessités du développement économique dans les colonies, masquées par le prétexte de « sauver les âmes païennes », amènent l’Angleterre à autoriser la traite dès 1620, et Louis XIII l’autorise dans les colonies françaises en 1642.
VOLTAIRE, Candide, 1759, XIX, "Le nègre du Surinam"
Lire le texte et son explication
Le portrait de l’esclave : le registre pathétique
Dans la présentation du personnage, tout accentue son infériorité : il n’est même plus un humain entier, et doit subir tous les mauvais traitements infligés par son maître au nom évocateur, M. Vanderdendur, châtiments mis en valeur. Ce terrible portrait, confirmé par son affirmation, « Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous », vise à émouvoir le héros, Candide, qui verse des « larmes », et, à travers lui, le lecteur.
L'argumentation pour dénoncer l'esclavage
Malgré le déplacement de l’épisode au Surinam, nom de la Guyane hollandaise, Voltaire dénonce une réalité bien française. La formule, « c’est l’usage », fait, en effet, allusion au "Code noir", promulgué sous Louis XIV par Colbert, qui fixe le statut de l’esclave, ses devoirs et ceux du maître pour réguler le fonctionnement de l’esclavage dans les colonies.
Le choix du discours direct donne plus de force à la dénonciation, incluse dans l’argumentation de l’esclave.
Ainsi, l’argument économique des esclavagistes, le « prix » réduit du sucre grâce à la gratuité du travail de l’esclave, est annulé par le décalage entre sa souffrance et sa cruauté, montrées par le portrait qui précède, et le luxe, la gourmandise des consommateurs européens.
Puis, en évoquant le commerce triangulaire, l’achat de l’esclave en Afrique, le discours rapporté de la mère démasque le pouvoir des colonisateurs européens, fondé sur le mensonge.
Jean-Michel Moreau, illustration du chapitre XIX de Candide, 1787
Le dernier argument souligne la contradiction dans le domaine religieux. En jouant sur le texte biblique, Voltaire rappelle au lecteur la fraternité prônée par la morale chrétienne, alors même que l’Église, exigeant le baptême de l’esclave, cautionne totalement une réalité qui nie l’idée même d’humanité chez l’esclave.
L’ensemble de l’argumentation met en évidence le racisme qui sous-tend l’esclavage : si les Européens sont, pour les peuples africains, « nos seigneurs les blancs », l’esclavage se trouve d’emblée justifié par une infériorité fondée sur la couleur de la peau.
CONCLUSION
Cet extrait illustre le combat contre l’esclavage mené par les écrivains des Lumières : tous soulignent les contradictions fondamentales de l’esclavage, une réalité cruelle, qui relève du racisme, mise au service du profit des privilégiés, et du luxe européen. Que cette critique soit directement exprimée, dans un essai comme le font Montesquieu, Rousseau, Condorcet…, ou introduite dans une fiction, comme dans ce conte philosophique, il s’agit toujours d’associer l’art de convaincre, en argumentant, et l’art de persuader, pour toucher le cœur du lecteur.
Le "Code noir"
Pour voir un diaporama d'analyse
La recherche porte sur le premier "Code noir", préparé par Colbert et promulgué par Louis XIV en mars 1685. Un second "Code noir" le reprend en 1724, à l’intention de la colonie de Louisiane.
L’objectif de la recherche est triple :
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comprendre ce qui a motivé cet « édit du roi », destiné aux colonies des Antilles, de Guyane et de l’île Bourbon, et les conditions de sa rédaction ;
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mesurer comment les soixante articles de ce Code déterminent le fonctionnement de l’esclavage dans la monarchie absolue, en en fixant le statut : le Code noir était censé limiter les abus des maîtres… et, surtout, empêcher les révoltes d’esclaves, et le « marronnage », fuite des esclaves. Mais à quel prix ? Celui d'une déshumanisation totale de l'homme.
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lire les articles pour observer ce qui relève des obligations du maître et des devoirs de l’esclave.
Victor HUGO, Bug-Jargal, 1826, chapitre X
Pour lire le texte et le document complémentaire
Hugo a commencé très jeune son combat contre l’esclavage : écrite à seize ans, une première version de Bug-Jargal paraît dans une revue, Le Conservateur littéraire, en 1820. Dans la préface de l’édition qui, publiée en 1826, enrichit la première rédaction, il signale que son inspiration vient de la révolte des esclaves en 1791 à Saint-Domingue. Mais le roman, lui, mêle la dénonciation de l’esclavage à l’histoire d’amour entre le héros, le capitaine Léopold d’Auverney, et sa fiancée, Marie. Le récit, pris en charge par d’Auverney et centré sur le personnage éponyme, commence au chapitre IV, et s’enchâsse dans les événements d’une nuit de veille dans un camp militaire : « Nous sommes convenus de raconter chacun une de nos aventures pour abréger cette nuit de bivouac. »
Le narrateur, après s’être présenté, en arrive à un événement qui, tout en présentant la relation entre un colon et ses esclaves, révèle le jugement de Victor Hugo sur l’esclavage.
UNE DOUBLE IMAGE DE L’ESCLAVE
Dans ce chapitre, deux types d’esclaves sont dépeints, en totale opposition.
Peur et soumission
Dès le début du chapitre, ce sont ces sentiments qui sont mis en évidence, « J’eus lieu de voir dans cette promenade combien le regard d’un maître est puissant sur des esclaves », confirmés par leur comportement en présence du maître : « Les nègres, tremblants en présence de mon oncle, redoublaient, sur son passage, d’efforts et d’activité ». Cela empire encore face à la colère du maître, comme le souligne la mise en apposition du participe, « Le nègre, effrayé, se lève », et le geste symbolique, tel une prière adressée à un dieu tout-puissant : « le nègre tombé à genoux ».
Menace et révolte
Parallèlement à l’attitude de soumission, Hugo place dans la bouche de son narrateur une exclamation qui suggère la menace qui place sur les colons : « mais qu’il y avait de haine dans cette terreur ! » L’intervention de l’esclave – qui se révèlera être Bug-Jargal – confirme cette menace en mettant en valeur sa force, sa « main puissante », mais aussi, « son geste, son regard, l’accent impérieux de sa voix ».
Sa révolte se traduit, non seulement par le geste audacieux, mais dans les deux passages de discours rapporté. Dans les deux cas, il se permet de donner des ordres à son maître, mais, surtout, il montre son « calme », sa « dignité », et une courageuse générosité. Il est prêt à accepter de mourir pour épargner un frère esclave opprimé : « si tu veux me frapper, prends au moins cette hache. »
Jean-Adolphe Beaucé et Édouard Riou, Bug-Jargal, 1873. Gravure pour l’édition Hetzel
L’IMAGE DU MAÎTRE
Un représentant du système colonial
Propriétaire d’une plantation, ce colon, comme la plupart, voit d’abord son intérêt économique. Seul compte donc le travail des esclaves, qui, malgré leur « lassitude », n’ont aucun droit au repos. D’où la colère du maître contre « ce qu’il appelait la paresse de l’esclave » et son ordre « de se remettre à l’ouvrage ».
D’après George Morland, Execrable human traffic. Reproduction d’une huile sur toile, 85,1 x 121,9. The Menil collection, Houston, Texas
Les caractéristiques prêtées au maître insistent sur « son autorité outragée », en soulignant, en gradation, sa colère : « irascible par habitude », irrité », « furieux », « hors de lui », « fureur », « la rage », « exaspéré », « l’esprit ulcéré ». L’apogée est atteint par son portrait physique « Ses yeux s’agitaient comme prêts à sortir de leur orbite ; ses lèvres bleues tremblaient ». Il semble presque devenu fou, et la précision « qui ne se connaissait plus » contraste totalement avec le « calme » de Bug-Jargal.
Enfin l’épisode rappelle la place prise par les châtiments dans l’esclavage. Le maître est toujours prêt à frapper l’esclave : « il détache de sa ceinture le fouet armé de lanières ferrées qu’il portait dans ses promenades ». Et, bien sûr, comme le montre la fin du chapitre, il n’est pas question de permettre une telle révolte. Le discours rapporté du maître annonce indirectement la peine de mort pour le « coupable d’avoir porté la main sur un blanc. »
Le jugement du narrateur
Face au comportement de son oncle, le narrateur ne reste pas neutre. L’introduction du chapitre montre qu’il n’approuve pas le système colonial, ce que confirme le glissement lexical de « mon oncle » à « le maître » pour arriver à « colon ».
Il fait preuve d’abord de compassion envers les esclaves, « Il m’était trop pénible de voir souffrir des êtres que je ne pouvais soulager », qu’il qualifie de « malheureux ». Même s’il n’intervient pas au début, il est évident qu’il blâme ce maître cruel, en jugeant qu’il devrait « rougir » de son abus de pouvoir qui consiste à accorder plus de valeur à un rosier qu’à un être humain. C’est ce qui explique aussi son geste final, « je m’emparai lestement de la cognée » pour sauver Bug-Jargal, et son plaidoyer pour lui accorder « la liberté ».
Mais, parallèlement, il se montre lucide, conscient de la possibilité qu’un jour ces esclaves se révoltent contre leur maître, ce que traduit le parallélisme de son observation : « J’eus lieu de voir dans cette promenade combien le regard d’un maître est puissant sur des esclaves, mais en même temps combien cette puissance s’achète cher ». Son affirmation au futur de certitude, « Je n’oublierai jamais ce moment », en fait un acte fondateur, promesse d’autres révoltes.
La conclusion du chapitre exprime l’horreur devant le châtiment promis au révolté : « Ces paroles sinistres me glacèrent. Marie et moi le suppliâmes inutilement. » La brièveté de la dernière phrase sonne comme une ironie amère, à comprendre comme une antiphrase : « De l’esclave au maître, c’était un crime capital » qu’un noir ose « port[er] la main sur un blanc ».
Massinet, Incendie de la Plaine du Cap : le massacre des Blancs par les Noirs à Saint-Domingue en août 1791. Gravure par Masson, 15,5 x 10,5. B.M. de Lyon
CONCLUSION
Derrière ce narrateur, le lecteur reconnaît l’écrivain, qui, dans bien d’autres œuvres, a toujours combattu en faveur des « misérables », victimes de violence, d’oppression, d’injustices. L’esclavage est forcément au premier rang de son engagement car il regroupe tous ses combats. Le racisme qui le soutient nie les idéaux de la révolution, liberté, égalité, fraternité, les droits de l’homme, et les esclaves sont aussi très souvent les premières victimes de la peine de mort, que veut abolir Hugo.
Ce roman est donc, pour lui, un moyen de s’engager, à la fois en revalorisant l’image de l’esclave, auquel il restitue toute sa dignité d’homme, et grâce au choix d’un narrateur qui lui sert de porte-parole en guidant le jugement des lecteurs.
Hugo plaide en faveur de l’abolition, combat qu’il poursuit dans la lettre ouverte écrite après la pendaison, le 2 décembre 1859, de l’américain abolitionniste John Brown, pour son appel à l’insurrection armée : « République blanche et république noire sont sœurs, de même que l’homme noir et l’homme blanc sont frères. Il n’y a qu’une humanité, car il n’y a qu’un Dieu.[…] Blancs et Noirs , tous frères, tous égaux, serrons-nous plus que jamais autour du principe des principes : LIBERTÉ. »
David Lucas, L’Émancipation des esclaves, 1ère moitié du XIX° siècle. Gravure d’après un tableau d’Alexander Rippingille
Document complémentaire : Victor HUGO, Bug-Jargal, 1ère version, 1820
Le conflit
Le récit de cet épisode est beaucoup plus court, éliminant déjà la relation amoureuse entre le narrateur et Marie.
Le roman, lui, développe largement le conflit entre le maître et l’esclave, en le redoublant, puisque l’arme du maître est d’abord le « fouet » avant d’être la « hache », et que sont rapportées deux phrases au discours direct, ce qui accentue la dignité et le courage du révolté. La formule qui caractérise Bug-Jargal limite, dans la première version, son portrait à sa « stature colossale », là où le roman accroît la peinture psychologique. De même, le roman amplifie le contraste entre lui et le maître, en insistant sur les signes de la colère excessive de celui-ci.
Le narrateur
La différence la plus frappante est la part réduite encore réservée au jugement du narrateur. Par exemple, le début du passage ne mentionne pas ses réticences devant le travail imposé aux esclaves, ce qui réduit sa compassion. De même, sa lucidité, sa conscience de la menace qui pèse sur les maîtres n’apparaît pas : le récit se limite au seul épisode. La fin du récit est plus brève, ce qui permet d’apprécier la force de la phrase de conclusion introduite dans le roman, qui signe davantage l’engagement de l’écrivain.
Victor SCHŒLCHER, Des colonies françaises : abolition immédiate de l'esclavage, 1842, extrait
Pour lire le texte et le document complémentaire
Deux ans avant la naissance de Victor Schœlcher (1804-1893), en 1802, Bonaparte, alors consul, a fait rétablir l’esclavage, qui avait été aboli par la Convention pendant la Révolution en 1794. Dans sa jeunesse, Schœlcher fréquente les jeunes artistes romantiques, puis, envoyé par son père aux États-Unis, au Mexique et à Cuba, pour y développer l’entreprise familiale, il découvre avec horreur les réalités de l’esclavage dans les Caraïbes.
Cette découverte est la source d’un combat inlassable, d’abord comme journaliste, puis en tant que Sous-secrétaire d’État aux Colonies et à la Marine pendant la Deuxième République, née à la suite de la révolution de février 1848. En tant que président de la « Commission d’abolition », il est à l’origine du décret du 27 avril 1848 qui abolit définitivement l’esclavage en France et dans les colonies. Élu député, d’abord de la Martinique puis de la Guadeloupe, il participe aux barricades lors du coup d’État du 2 décembre 1851, ce qui le contraint à s’exiler lorsque Napoléon III devient empereur. Il ne reprend ses combats politiques qu’en 1870, lorsque la République est rétablie, par exemple contre la peine de mort.
Victor Schœlcher, photographie figurant sur le site du Sénat
Dans son essai, Des colonies françaises, abolition immédiate de l'esclavage, paru en 1842, il combat les partisans de l'esclavage, en dénonçant leurs arguments, pour fonder sa revendication en faveur de la liberté.
LA DÉNONCIATION DE L'ESCLAVAGE
Le rejet de l'argument économique
Il occupe le premier paragraphe, lancé en tête de l’extrait, parce que c’est l’argument soutenu politiquement, à une époque où la colonisation se développe et où les hommes politiques se préoccupent de l’enrichissement du pays. C’est d’ailleurs ce qui explique la concession posée dans la phrase de conclusion, qui cautionne la colonisation : « Autant que qui que [ce] soit nous apprécions la haute importance politique et industrielle des colonies ».
Mais sa présentation, le verbe « prétendre » qui l’introduit, et le conditionnel, sont déjà deux façons de contester la valeur de cet argument : « Celui qui prétend avoir le droit de garder des hommes en servitude, parce qu'on ne trouverait pas de bras libres pour planter des cannes ». Le raisonnement repose sur l’absurde par la comparaison qui suit, avec la mise en parallèle de l’esclavagiste à « et celui qui soutiendrait qu'on a le droit de voler parce qu'on n'a pas d'argent ». Cette comparaison est destinée à frapper la raison du lecteur qui ne peut logiquement fonder comme un « droit » ce qui est un délit, « voler ».
Le danger de la force
Pour convaincre son adversaire, Schœcher le conduit à réfléchir sur la source de l’esclavage, né de la supériorité du vainqueur sur le vaincu, de la « violence », exercée sur le « plus fort » contre le plus faible qui devient alors sa « victime ». Il procède alors par une hypothèse qui inverse la situation. Puisque seule la force légitime l’esclavage, le maître d’aujourd’hui peut être, demain, esclave : « La violence commise envers le membre le plus infime de l'espèce humaine affecte l'humanité entière ; chacun doit s'intéresser à l'innocent opprimé, sous peine d'être victime à son tour, quand viendra un plus fort que lui pour l'asservir. » Rappelons qu’à l’époque où écrit Schœcher plusieurs révoltes ont déjà eu lieu dans les colonies, et le futur qu’il emploie sonne comme une menace qui pèse sur le colonisateur.
La révolte d'un "nègre marron", XVIII° siècle. Gravure
Jean-Jacques François Le Barbier, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, vers 1789. Huile sur bois, 71 x 56. Musée Carnavalet, Paris
L'argument moral invoqué
Mais c’est l’argument moral qui occupe la plus grande partie du texte, en associant morale et politique. À nouveau, il construit un raisonnement par l’absurde : « Si l'on dit une fois que ce qui est moralement mauvais peut être politiquement bon, l'ordre social n'a plus de boussole et s'en va au gré de toutes les passions des hommes. » L’image soutient la conséquence tirée : « l’ordre social », conduit par la politique, est comparé à un navire, dont la « boussole » est la morale, et qui doit résister aux « passions » dangereuses, telles celles qui mettent en œuvre la violence.
Ainsi Schœcher passe du « droit », c’est-à-dire de la loi qui autorise ou interdit, à une notion plus large, celle de « légitimité », qui relève de l’équité, du droit naturel, de la morale : « La raison d'impossibilité n'a pas plus de valeur pour nous que les autres, parce qu'elle n'a pas plus de légitimité. » Il fonde alors son argumentation sur un principe fondateur, « la liberté », montrée comme un droit naturel, inaliénable, et universel, rappelant ainsi la "Déclaration des droits de l’homme et du citoyen". D’où son raisonnement : « La liberté d'un homme est une parcelle de la liberté universelle, vous ne pouvez toucher à l'une sans compromettre tout à la fois. » Il rappelle ainsi un des fondements de la morale : elle ne peut être contingente, dépendre d’une situation particulière, s’appliquer à certains mais pas à d’autres.
UNE POLÉMIQUE
L’argumentation est donc à la fois un réquisitoire, et un plaidoyer en faveur de l’abolition de l’esclavage, en faveur de laquelle s’engage Schœlcher.
Le réquisitoire
Schœlcher critique avec violence les partisans de l’esclavage, qualifiés de « fous » ou de « scélérats », ce qui conduit, logiquement, à définir l’esclavage comme « une chose criminelle ». L’énumération en gradation, « de deux hommes, l'un se dit le maître de l'autre, de sa volonté, de son travail, de sa vie, de son cœur », renforce la dénonciation des esclavagistes, en ridiculisant leurs prétentions dans un élan d'indignation de l'écrivain. Qui peut croire possible de posséder un être humain ?
L'engagement de l'auteur
Le deuxième paragraphe de cet extrait, qui recourt aux pronoms de la première personne, révèle la force de l’engagement personnel de Schœlcher. Il y dépeint, en effet, d’abord sa démarche : « Lorsque j'arrive à réduire ce droit à son expression la plus concrète, lorsque m'isolant par abstraction du monde matériel et me retirant dans le monde intellectuel ». Il s’agit de s’écarter du « monde matériel », c’est-à-dire de la seule approche économique, pour observer la réalité, la condition « concrète » de l’esclave, afin d’en tirer un raisonnement philosophique, qui relève de « l’abstraction » et du « monde intellectuel ». Mais le lexique hyperbolique, à la fin du paragraphe fait ressortir la violence de son émotion, « cela me donne tantôt un fou rire, tantôt des vertiges de rage ».
Le reste du texte généralise l'engagement, en utilisant la première personne du pluriel, « à nos yeux », « pour nous », « nous apprécions », plus habituelle dans un essai, réservant le pronom indéfini « on » aux adversaires. Mais cela n’atténue pas la force de l’engagement, notamment grâce au choix de la modalité injonctive : « Que l'esclavage soit ou ne soit pas utile, il faut le détruire ; une chose criminelle ne doit pas être nécessaire ». En témoigne tout particulièrement l’affirmation qui termine la dernière phrase, avec le lexique violent, « c'est notre cri bien décidé », et la négation elliptique : « pas de colonies si elles ne peuvent exister qu'avec l'esclavage. »
CONCLUSION
Ce texte répond aux caractéristiques de l’essai, qui manifeste la volonté de convaincre le lecteur en faisant appel à sa raison par une argumentation logique. Schœlcher cherche ici à détruire les arguments des partisans de l’esclavage, en les rendant absurdes, ou en les retournant contre leurs auteurs.
Mais, pour entraîner l’adhésion, il lui faut aussi persuader son lecteur par la force qu’il donne à cette argumentation. Cet extrait s’inscrit dans le registre polémique : l’auteur accentue la violence lexicale, use de l’injonction, et prend directement parti par l’emploi du « je ».
Schœlcher revendique ici l’abolition de l’esclavage, et il lui faudra encore bien des efforts, et surtout un changement politique, la Deuxième République, pour revenir au premier des principes posés par la Révolution de 1789, la liberté, qui, à ses yeux, ne peut être qu’universelle. Une phrase peut résumer sa volonté : « Disons-nous et disons à nos enfants que tant qu'il restera un esclave sur la surface de la Terre, l'asservissement de cet homme est une injure permanente faite à la race humaine tout entière. »
Documents complémentaires
Pour lire une analyse détaillée de l'image
Honoré DAUMIER, "Le philanthrope du jour : la traite illégale", Le Charivari, 6 décembre 1844
Ce document répond à deux objectifs :
- rappeler le contexte historique : les étapes de la marche vers l'abolition, notamment la rivalité entre deux puissances coloniales, la France et l'Angleterre texte, incarnées par le conflit autour du "droit de visite" des navires.
- étudier l'art de la caricature, ici accompagnée d'un texte, et sa façon de représenter l'esclavage, ses victimes mais aussi le colonisateur.
Abolition de l'esclavage, décret du 27 avril 1848
La lecture cursive de ce décret répond à deux objectifs :
- comprendre, par l'analyse de sa structure et de son contenu, la nature d'un "décret" : préambule, mesures d'abolition promulguées, conséquences (pour les colons, pour les esclaves), sanctions prévues, et modalités d'application.
- comparer les documents, en mettant en relation le "préambule" et les idées soutenues par Victor Schœlcher dans le texte précédemment analysé.
Le gouvernement provisoire considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine : qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu'il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité, décrète :
Synthèses
Pour approfondir les étapes historiques de la marche vers l'abolition
Il est utile de proposer aux élèves de réaliser deux synthèses à l'issue de cette analyse, qui ont aussi pour but de préparer le devoir proposé :
- sur l'essai : pour résumer ses caractéristiques, son rôle et les formes diverses qu'il peut prendre ;
- sur le registre polémique et ses principaux procédés.
DEVOIR : Victor Schœlcher,"Discours à Victor Hugo", du 18 mai 1879
QUESTION / 6 points
Quels sentiments Victor Schœlcher exprime-t-il dans son discours ?
ESSAI / 14 points
Victor Schœlcher termine son discours en affirmant que le XIXème siècle « ne finira pas sans voir proclamer la fraternité de toutes les races humaines. »
Dans un essai, vous commenterez cette affirmation, en proposant votre propre jugement. Vous veillerez à construire une argumentation pour convaincre votre lecteur, et à lui donner la force nécessaire pour obtenir son adhésion.
Pour lire le texte
Alexandre DUMAS, Georges, 1843, XIV : "Philosophie négrière"
Pour lire le texte
Dans son roman, Georges, publié en 1843, Alexandre Dumas (1802-1870) se souvient de la vie de son père, fils d’un noble et d’une esclave d’origine africaine, lui-même vendu comme esclave par son père, qui le rachète, lui donne l’éducation d’un jeune noble, ce qui lui permet d’intégrer l’armée française où il devient général. Le roman aborde, en effet, les thèmes de l’esclavage, de la colonisation et du racisme.
Il se déroule essentiellement à l’île de France, aujourd’hui île Maurice, sur une quinzaine d’années à partir de 1810 où l’île, française, est devenue anglaise après un combat auquel participe le héros, Georges Munier, mulâtre et riche colon, propriétaire d’une plantation. L’éducation qu’il fait donner, en France, à ses deux fils amène le plus jeune, Jacques, à devenir capitaine d’un navire, puis pirate, avant de s’enrichir comme négrier.
Cet extrait fait le portrait de ce personnage, à la fois dans l’exercice de son métier, mais aussi dans sa vie privée. Mais ce portrait dépasse le cadre du personnage pour dénoncer l’esclavage.
LA DÉNONCIATION DE L’ESCLAVAGE
Alexandre Dumas, photographie de Nadar, 1855
Le passage se fonde sur un contraste entre un éloge du héros, revalorisé par rapport aux autres négriers, qui, en réalité, conduit à une dénonciation de la traite.
Le jugement sur les négriers
Par la négation, « Ce n’était pas un de ces négriers avides… », Dumas oppose son héros à un jugement d’ensemble très critique des négriers. Il leur reproche d’abord une avidité excessive, « voul[oir] trop gagner », ce qui les amène à maltraiter les hommes qu’ils achètent, transportent et vendent. Or, non seulement ils n’en éprouvent aucun scrupule, mais même s’y complaisent avec une sorte de sadisme : « le mal qu’ils font, après avoir passé en habitude, est devenu un plaisir. » Cette opposition est renforcée par la reprise négative : « Non, c’était un bon négociant faisant son commerce en conscience ».
Mais ce reproche adressé aux négriers ressemble à une caution de la traite, puisque ce qui soutient le blâme est qu’ils « perdent la moitié de leurs profits ». La formulation n’apporte aucune condamnation morale de ce qui est d’abord présenté comme un commerce rentable, et, s’il est admis que c’est un « mal » infligé à autrui, ce n’est pas ce « mal » en soi qui est blâmé, mais le fait d’y prendre « plaisir ». Faut-il alors en conclure que ce passage justifie l’esclavage ?
La dénonciation de la traite négrière
L’analyse de l’éloge de Jacques révèle la force de l’ironie qui, par antiphrase, soutient, en réalité, une violente dénonciation, car quelles sont les preuves de sa « conscience » ?
D’abord est mentionné ce qui serait un bon traitement des Africains devenus esclaves. Cependant, déjà, ils ne s’appartiennent plus, comme le montre l’adjectif possessif répété : « ses Cafres, ses Hottentots, ses Sénégambiens ou ses Mozambiques ». Mais, pire encore, la restriction « presque » les rend inférieurs même aux marchandises auxquelles ils sont comparés : pour eux, il a « presque autant de soins que si c’étaient des sacs de sucre, des caisses de riz ou des balles de coton ».
Esclaves entassés dans l'entrepont d'un négrier. Gravure, XIX° s.
Le terrible voyage sur le navire négrier est dépeint comme heureux : « Ils étaient bien nourris, ils avaient de la paille pour se coucher ; ils prenaient deux fois par jour l’air sur le pont » Mais la négation restrictive qui suit, « on n’enchaînait que les récalcitrants », signale que ces conditions, nourriture, le luxe d’avoir de la « paille » et le droit de respirer à l’air libre, ont comme contrepartie une soumission totale à ceux qui peuvent décider de leur vie. Notons aussi la peinture de leur état à l’arrivée : « Aussi les nègres de Jacques arrivaient-ils généralement à leur destination bien portants et gais ». Peinture terrible car comment peuvent-ils être « gais » de leur esclavage ? De plus, l’adverbe « généralement » sous-entend que certains ne sont pas en si bon état… en admettant même que tous soient arrivés au bout du voyage.
Enfin, vient le moment de la vente. À nouveau, le récit joue sur l’ironie, le fait de ne pas séparer les familles, éloge du héros, étant présenté comme « une délicatesse inouïe et qui avait fort peu d’imitateurs parmi les confrères de Jacques ». Le terme « délicatesse » est particulièrement choquant, car il attribue un raffinement de bonté, une sensibilité extrême et une élégance morale à celui qui, en fait, n’hésite pas à acheter et vendre des êtres humains. De plus, nous retrouvons une restriction « autant que possible », qui révèle l’existence d’exceptions, car, ce qui compte avant tout, c’est que la vente soit réalisée.
La conséquence posée à la fin du premier paragraphe achète de démythifier ce qui pouvait, à première lecture, paraître comme un éloge de Jacques : « ce qui faisait que presque toujours Jacques s’en défaisait à un prix supérieur. » Ces si bons traitements ne se fondent donc pas sur un sentiment d’humanité, sur une forme d’altruisme, sur la moindre « conscience », mais sur le seul profit financier égoïste à tirer de ce qui n’est qu’un commerce comme les autres.
Vente aux enchères d'esclaves en Virginie (États-Unis). Illustration, London News, 16-02-1861
UN PORTRAIT PARADOXAL
Le racisme
L’esclavage a, parmi ses fondements, le racisme, affirmation d’une supériorité des Européens blancs, sur les peuples africains noirs, dont plusieurs sont cités dans le passage. Or, le héros, en tant que négrier, partage ce racisme, ce que traduit d’ailleurs la façon dont il choisit ses maîtresses : « il n’en manquait pas ; il en avait de noires, de rouges, de jaunes et de chocolat, selon qu’il chargeait au Congo, aux Florides, au Bengale et à Madagascar. » Ce choix, outre son goût pour l’exotisme, révèle la conscience de sa supériorité, vu la soumission totale obtenue d’elles, sa façon de les traiter, elles aussi, comme des objets : « À chaque voyage il en prenait une nouvelle, qu’il donnait en arrivant à quelque ami ». La précision, « chez lequel il était sûr qu’elle serait bien traitée », n’ajoute qu’un bien léger sentiment d’humanité !
Pourtant le héros devrait être lui-même conscient du poids du racisme, puisqu’il en est la victime. Dans ce monde où l’esclavage est admis, sa richesse peut attirer les femmes « créoles », ces femmes blanches nées dans les îles des Antilles : « Comme il nageait dans l’or et roulait sur l’argent, les belles créoles de la Jamaïque, de la Guadeloupe et de Cuba lui avaient fait plus d’une fois les doux yeux ». Mais peut-il envisager le mariage ? En fait, une condition est posée en préalable : « des pères qui, ignorant que Jacques était un mulâtre, et le prenant pour un honnête négrier européen, lui faisaient de temps en temps des ouvertures sur le mariage. » Qu’en serait-il s’ils connaissaient son origine réelle, son métissage ? La formulation laisse supposer que le racisme des colonies se retournerait contre lui.
La liberté
L’esclavage nie la valeur universelle du principe de liberté, puisqu'elle est refusée à certains hommes.
Pourtant, ceux-là même qui vivent de l’esclavage fondent leur propre vie sur ce principe, qui explique le comportement de Jacques face à l’amour, son incessant changement de maîtresse : « s’étant fait un système de ne jamais garder la même, de crainte, quelle que fût sa couleur, qu’elle ne prît une influence quelconque sur son esprit ».
Cette méfiance est plaisamment justifiée par deux personnages, que des femmes ont trahis :
Dans la mythologie antique : Hercule, devenu esclave d’Omphale, reine de Lydie, a dû se soumettre à sa volonté, par exemple en s’habillant en femme tandis qu’elle-même revêtait la peau de lion du héros et portait sa massue.
Dans le Livre des juges, inclus dans l’Ancien Testament biblique : Samson, séduit par Dalila, envoyée par ses ennemis, les Philistins, tombe entre leurs mains, car elle a coupé ses sept tresses, cette longue chevelure, source de sa force herculéenne.
Pierre-Paul Rubens, Hercule et Omphale, vers 1603.
Huile sur toile, 185 x 205. Musée du Louvre
Pierre-Paul Rubens, Samson et Dalila, 1609-1610.
Huile sur toile, 185 x 205. National Gallery, Londres
Jacques redoute donc de perdre cette liberté si précieuse, affirmation renforcée dans la dernière phrase du passage : « il faut le dire, ce que Jacques aimait avant toutes choses, c’était sa liberté. » Or, il ne s’agit pour lui que du refus d’une « influence sur son esprit », alors que lui-même, libre de parcourir les mers, sur son navire, la Calypso, son seul amour, n’hésite pas à priver totalement de liberté ceux dont il fait des esclaves.
CONCLUSION
Cet extrait, à travers le portrait du négrier, propose une dénonciation indirecte de l’esclavage. Dumas joue sur l’ironie, en élaborant un éloge de son héros - mais sans cesse contredit –, qui le met en contradiction avec lui-même. Cela lui permet de souligner l’inhumanité de la traite négrière, et, surtout, de mettre en valeur l’inacceptable aliénation de la liberté que représente l’esclavage. En créant ce personnage, en lui prêtant vie dans un roman, Dumas, lui-même mulâtre, retrouve l’ironie dont usaient les philosophes des Lumières pour amener le lecteur à mesurer l’injustice de l’esclavage.
Bien sûr, il défend les principes de la révolution française, liberté, égalité, fraternité, mais il plaide aussi en faveur de son père, rejeté dans l’oubli par son origine métisse, malgré tous ses combats pour la République. Rappelons aussi que de nombreux critiques se sont appuyés sur sa nature de « quarteron » pour contester la valeur de son œuvre d’écrivain, tel Eugène de Mirecourt : « « Grattez l'écorce de M. Dumas, vous trouverez le sauvage. Il tient du nègre et du marquis tout ensemble. Cependant le marquis ne va guère au-delà de l’épiderme. [...] Le marquis joue son rôle en public, le nègre se trahit dans l'intimité ! » (Maison Alexandre Dumas et compagnie, 1845) Ajoutons-y de nombreuses anecdotes qui montrent que le racisme ne lui a pas été épargné, pour preuve la réplique qu’il aurait lancée à un homme qui l’insultait : « Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière grand-père un singe. Vous voyez, Monsieur : ma famille commence où la vôtre finit ».
Cham, « Nouvelle bouillabaisse dramatique par M. Dumas père », 1858. Lithographie au crayon, à propos du drame Les Gardes Forestiers, in Le Charivari : caricature raciste, transformant Dumas en sauvage cannibale.
Recherche : Le mouvement de la Négritude
Pour une analyse de la Négritude
La recherche peut se construire en plusieurs temps :
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dans sa dimension historique, en remontant à l'origine du mouvement, et en analysant les étapes de la création ;
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à travers les fondateurs du mouvement, en présentant Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, et Léon-Gontran Damas ;
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en explicitant son double objectif : pour rendre au peuple noir sa dignité, une lutte contre le racisme d'une part, la volonté, d'autre part, de revivifier les cultures des peuples colonisé, et notamment la littérature orale.
Il est, bien sûr, important que chacune de ces étapes soit illustrée par des documents textuels, iconographiques, audio et vidéo, de façon à concrétiser la découverte de ce mouvement qui a marqué tant la littérature française que francophone.
Document complémentaire : Léon-Gontran DAMAS, Pigments, 1937, "La complainte du nègre"
Pour lire le texte
Léon-Gontran Damas (1912-1978), né en Guyane, rencontre, lors de ses études supérieures à Paris, Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, avec lesquels il crée, en 1935, la revue L’Étudiant noir, fondant ainsi le mouvement de la Négritude.
Parmi les objectifs que se fixe ce mouvement, il y a le combat contre le racisme. Cela implique que les noirs eux-mêmes prennent la parole pour rappeler les souvenirs douloureux de l’esclavage, pour en ranimer la mémoire en redonnant au peuple noir victime toute la dignité dont la colonisation l’a dépouillé.
Léon-Gontran Damas, un Guyanais à Paris
Le titre du recueil, Pigments, traduit déjà l’idée de couleur, donc le racisme dénoncé, de même que celui du poème. Le mot « nègre », s’il restait encore neutre au XVIII° siècle, a déjà sa connotation péjorative dès le XIX° siècle. D’où la volonté d’inverser cette image en l’assumant pour lui rendre sa dignité : dans les années Trente, on parle de « revue nègre », d’« art nègre », d’« anthologie nègre » en donnant au mot une pleine noblesse.
Enfin, le terme « complainte » est intéressant par son double sens. Dans le domaine musical, il désigne un chant plaintif, des lamentations, rappelant ainsi les chants des esclaves aux États-Unis par exemple. Mais il définit aussi un sens juridique : c’est une action engagée, une requête déposée en justice.
Frans Masereel, Pigments, 1937, frontispice
Pour une analyse précise du frontispice de Pigments
Un chant plaintif
La forme poétique, avec l’alternance de vers longs et courts, correspond tout à fait aux rythmes de cette musique « nègre », reproduite dans les negro-spirituals, le blues, ou dans le jazz. Les choix lexicaux, eux, illustrent la lamentation : « la vie / plus lourde et lasse », où les sonorités miment la fatigue, « Les jours inexorablement / « Tristes », avec la mise en valeur par le rejet.
La mémoire de l'esclavage
La formule, « Ma vie tronquée », marque la coupure entre un temps où cette vie pouvait s’épanouir, comme un arbre plein de sève, et le temps de l’esclavage, où l’arbre s’est trouvé abattu. Pour réconcilier ces deux temps, il faut donc rappeler la « mémoire » de l’esclavage, que le vers 9 présente comme encore vivante. Ainsi, la deuxième strophe unit « mes aujourd’hui » et « mon jadis » à travers le double sentiment exprimé, « rancœur », « honte », illustré par la reprise de ce qui a fait l’objet de bien des caricatures : « de gros yeux qui roulent ». La « rancœur » est un mélange d’amertume, mais surtout d’une haine liée au souvenir d’une injustice, celle qui conduit précisément à formuler la « complainte » devant le tribunal des lecteurs. L’autre sentiment, la « honte », évoque une forme de culpabilité de la victime, un regret de son « hébétude » du temps de l’esclavage, enduré si longtemps, de son absence de révolte.
Les réalités de l'esclavage
Dans l’idée de porter plainte, il est nécessaire de rappeler les chefs d’accusation, longuement énumérés dans la dernière strophe, avec des allitérations, telle celle du [k], et la répétition insistante : « de coups de corde noueux / de corps calcinés / de l'orteil au dos calcinés ». L’absence de ponctuation renforce tout particulièrement ici l’impression d’une souffrance sans fin. Damas rappelle aussi la cause première de l’esclavage, l'économie : « sous le fouet qui se déchaîne / sous le fouet qui fait marcher la plantation / et s'abreuver de sang de mon sang de sang la sucrerie ». Le vers s’allonge, image de l’indignation croissante du poète.
Marcel Verdier, Le châtiment des quatre piquets, 1843. Huile sur toile. Menil Foundation Collection, Houston
Les accusés sont d’abord englobés dans le pronom « ils » qui généralise, lancé en tête du premier vers : il s’agit de tous les Européens qui ont contribué à installer puis à faire fonctionner, aux Antilles, le système économique fondé sur l’esclavage : des bras peu coûteux pour produire le sucre. C’est sur un accusé particulier que se ferme le poème : « et la bouffarde du commandeur crâner au ciel. » Damas montre ainsi tout le mépris, et image le sentiment de supériorité du contremaître blanc chargé de surveiller le travail des esclaves dans la plantation.
L’engagement de Damas dans ce poème répond parfaitement aux exigences de la Négritude : le rappel des réalités de l’esclavage est, à la fois, un cri de révolte et un appel au lecteur pour qu’il n’oublie pas cette mémoire.
Une sucrerie à la Guadeloupe, d’après un dessin d’Evremont de Bérard, XIX° siècle. Gravure, Musée Victor Schoelcher
Une chanson : Louis Amstrong, "Go down Moses", 1958
Lire les paroles de la chanson
Le morceau « Go down Moses » est enregistré en 1958 par Louis Amstrong, date qui se relie à la lutte pour les droits civiques : rappelons la révolte de Rosa Parks, le 1er décembre 1955, femme noire arrêtée pour avoir refusé de céder, dans un bus, sa place à un blanc, conformément aux lois qui imposaient alors la ségrégation.
Mais ce chant remonte à un temps bien plus ancien, celui de l’esclavage, où les esclaves accompagnent leur dur travail dans les champs de coton par des chants, souvenir de la musique africaine encore vivace en eux. Comme la loi impose alors le baptême, prêtres catholiques et pasteurs protestants leur enseignent la Bible, et des psaumes sont chantés à la messe.
De ce croisement entre deux musiques est né le « negro-spiritual », souvent improvisé pendant le service religieux lui-même : une phrase est lancée, reprise en chœur par les assistants qui rythment en battant des mains, en dansant. Son appellation en fait l’expression de « l’âme nègre ».
Au début du XX° siècle, cette musique se formalise, avec des chanteurs spécialisés, et des instruments de musique empruntés au jazz : on parle alors de gospel, contraction de « God » et « spell », l’appel de Dieu.
Esclaves travaillant dans un champ de canne, vers 1800. Gravure à l'encre de Chine. Musée d'Aquitaine, Bordeaux.
Analyse du morceau
Sur des paroles de Sy Oliver, cette chanson de Louis Amstrong (1901-1971) illustre cette double origine, dont témoigne notamment le refrain « Let my people go » (« Laisse partir mon peuple »), prière que sur ordre de Dieu, Moïse doit adresser aux pharaons d’Égypte, pour qu’ils laissent retourner les Hébreux esclaves sur leur terre de Palestine. Ce pluriel – dans la Bible, un seul pharaon est concerné – montre bien qu’au-delà du récit biblique, ce sont tous les esclavagistes que ce terme désigne. Le chant suit ainsi un double mouvement :
Un rappel des souffrances des esclaves, « oppressed so hard they could not stand » (« tellement opprimés qu’ils ne peuvent plus le supporter »), que reproduit la lente ouverture, prise en charge par le chœur, sur un rythme solennel, en contraste avec la voix pure de la soliste ;
Un espoir de liberté, porté par l’intervention de Moïse, accompagné d’une menace, la mort du premier né du Pharaon : « if not I'll smite, your firstborn's dead » (« sinon, je frapperai, ton premier fils est mort »). Le rythme, typique du jazz soutenu par des instruments en solo, se fait alors plus entraînant, comme pour reproduire la marche de Moïse, « Go down Moses / Way down to Egypt land » (« Descends Moïse, descends vers la terre d’Égypte »), et les étapes du récit.
Révolte et liberté
Cette demande de liberté, associée à la menace de vengeance, prend d’autant plus de force qu’elle est présentée ici comme un ordre venu de Dieu : « So God said » (« Ainsi Dieu dit »), « Thus spoke the Lord » (Ainsi parla le Seigneur »). Comment donc ceux qui se disent chrétiens pourraient-ils ne pas obéir ? Ainsi, la fin du morceau change de rythme et de tonalité avec l’intervention de la trompette, plus aiguë, en crescendo : après une lente reprise du refrain par le chœur seul, elle semble lancer un ultime cri de triomphe... ou, du moins de révolte.
Société des Amis des Noirs : "Ne suis-je pas un homme et un frère ?"
Recherche : deux héros noirs, Toussaint Louverture et "le roi" Christophe
Pour voir un diaporama
Avant la lecture des textes de Lamartine et de Césaire, une recherche est utile pour présenter deux personnages emblématiques de la marche des esclaves vers l’abolition à Saint-Domingue, Toussaint Louverture et Henri Christophe, qui s’est proclamé roi. Même si Bonaparte les a vaincus, leur révolte marque la mémoire de l’esclavage.
Alphonse de LAMARTINE, Toussaint Louverture, 1850, II,8
Pour lire le texte
Félix Philippoteaux, Lamartine devant l’Hôtel de ville de Paris le 25 février 1848 refuse le drapeau rouge, XIX° siècle. Huile sur toile, 275 x 630. Musée Carnavalet, Paris
Alphonse de Lamartine (1790-1869), parallèlement à son œuvre littéraire, notamment Méditations poétiques (1820), recueil considéré comme fondateur du lyrisme romantique, s’engage dès 1833 dans la vie politique, et reste député jusqu’à la prise de pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte. D’abord royaliste, il soutient rapidement les idées républicaines, et joue un rôle important pendant la révolution de 1848, défendant, par exemple, le maintien du drapeau national.
Cela peut expliquer le choix de Toussaint Louverture comme héros de la pièce épponyme, drame en cinq actes, commencée en 1839 avec pour titre Les Noirs, achevée en 1842, mais qui n’est jouée qu’en 1850, deux ans après l’abolition officielle de l’esclavage.
Voici ce qu’en dit l’auteur dans sa Préface : « Ce drame, si toutefois ces vers méritent ce nom, n'était pas dans ma pensée, quand je l'écrivis, une œuvre littéraire; c'était une œuvre politique, ou plutôt, c'était un cri d'humanité en cinq actes et en vers. » L’acte I résume le passé du héros, devenu général, et présente la situation dans l’île française de Saint-Domingue, et la révolte naissante, illustrée par un chant, une « Marseillaise noire ». L’arrivée des vaisseaux qui viennent combattre l’insurrection termine cet acte. Le héros apparaît dans l’acte II : il explique lui-même son parcours.
Toussaint Louverture, illustration de la pièce au théâtre de la Porte Saint-Martin
Quand l'orage d'idée éclata sur cette île,
Je vieillissais obscur dans un état servile
Je ne sais quel esprit par mon nom m'appela,
Me cria : C'est ton heure ! et je dis : Me voilà!
Soit qu'en certains de nous la force intérieure
Leur assigne la tâche et leur indique l'heure,
Soit que la force en eux provienne de leur foi,
De cet ordre du ciel, que l'on entend en soi,
Je ne doutai jamais cela semblait démence
De faire, moi petit, je ne sais quoi d'immense;
Et, chose singulière, une intime splendeur
D'un peuple sur mon front fit luire la grandeur
Malgré mes traits flétris et malgré l'esclavage,
L'éclat de mon destin brilla sur mon visage ;
La puissance du cœur par mes yeux déborda
Je rampais dans la foule et l'on me regarda.
Le général doit donc organiser ses troupes pour résister, mais il sait bien que ses propres lieutenants, Alexandre Pétion et Jean-Jacques Dessalines, ont des doutes et sont prêts à contester son autorité. Il s’adresse alors aux généraux, aux soldats et aux matelots, devant son peuple réuni. Comment sa longue tirade procède-t-elle pour ranimer la flamme de la révolte ?
UN GÉNÉRAL HÉROÏQUE
La tirade de Toussaint Louverture se lie comme un autoportrait qui l’assimile véritablement à un héros antique, demi-dieu et combattant émérite.
Un général stratège
La première fonction de ce discours est d’organiser la lutte, d’où la place prise par les impératifs, qui détaillent la stratégie.
La lutte doit se dérouler en trois temps :
Une ruse consiste d’abord à faire croire à une fuite des insurgés, donnant alors aux soldats français le sentiment d’une première victoire : « Aux trois coups de canon tirés du haut de l'île, / Sans combattre, une nuit, sortez de chaque ville ; / Repliez tous les noirs ».
Mais ce départ doit s’accompagner d’une destruction : « en laissant, pour adieu, / La flotte, les palais et les cités en feu ! » L’énumération amplifie l’incendie, accentuée encore par l’hyperbole spatiale et la métaphore qui soutient l’ordre lancé dans l’exclamation : « Depuis mon propre toit jusques aux champs d'igname, / Balayez le terrain par un balai de flamme ! » Enfin la négation restrictive confirme l’image de destruction : « Ne laissez sur le sol que la pierre et les os ».
Toussaint Louverture, dans sa fonction de général
Enfin vient la lutte directe. Pour cela, il a choisi un lieu en hauteur tout à fait favorable pour repousser les troupes françaises, au nom évocateur, « le morne du Chaos ». Des éléments naturels peuvent aider la résistance : « Les arbres renversés et les rochers épars / Auront à la nature ajouté des remparts. » Cette stratégie a été mûrie, Christophe insiste d’ailleurs sur son sens de la prévision : « Vous y trouverez tous, grâce à ma vigilance, / Armes, munitions, vivres en abondance. »
Il s’agit donc de repousser les assauts des ennemis, qui « tenteront le siège » de la colline : « « Vous roulerez les monts sur leurs corps foudroyés / Entre la mer et vous, écrasés ou noyés ». Situés en surplomb, les insurgés empêcheront donc les soldats de gravir la pente, et le discours prend un ton épique, par exemple avec l’hyperbole, « les monts », qui remplace de simples rochers.
L'image d'un messie
L’ouverture de son discours le hausse à la hauteur d’un messie, directement inspiré par une foi intérieure qui forge son destin : la didascalie, « Montrant son front », concrétise l’image qui l’assimile même à un dieu vengeur, tel Zeus lanceur de foudre : « Et lorsque le signal […] ici retentira / Reposez-vous sur moi, la foudre en sortira ! » L’exclamation souligne cette vision, associée à la métaphore, « Je serai l’œil des noirs éclairé par la haine ! », qui rappelle la formule biblique de « l’œil de Dieu ». Tel un être divin, il apparaît omniprésent, guidant son peuple : « Allez, ne craignez rien, mon ombre est sur vos pas. » ou, dans le dernier vers, « Allez et laissez-moi penser pour la patrie. »
C’est ce qui explique le ton messianique qu’il adopte, le discours prenant alors une dimension prophétique. Tous les verbes qui dépeignent le combat et ses résultats, des vers 15 à 21, sont, en effet, au futur, pour marquer la certitude de la victoire. Notons même le futur antérieur, « Ils auront disparu comme une onde tarie », qui montre le résultat comme déjà acquis avant même le combat. Christophe imite même la formule du Christ dans les Évangiles, « en vérité je vous le dis » quand il conclut son discours : « Haïti sera noir, c'est moi qui vous le dis. »
LA VENGEANCE DU MONDE NOIR
Le discours souligne l’opposition irréductible entre deux mondes, celui du colonisateur blanc, qui, après l’avoir aboli en 1794, a rétabli l’esclavage, et celui non seulement des esclaves, mais aussi des affranchis et des mulâtres, victimes du racisme.
La puissance du monde blanc
La tirade de Christophe introduit plusieurs éléments qui révèlent la puissance des blancs, à commencer par la peur qu’ils suscitent : « ne craignez rien », lance-t-il pour rassurer son peuple aux « yeux effrayés ». La répétition pour ses généraux, « Vous craignez les Français, votre cœur s'épouvante / De cet art meurtrier dont leur orgueil se vante. » Il donne ainsi une double raison de cette puissance, leur sentiment raciste de supériorité, qualifié d’« orgueil » et leurs connaissances militaires.
Cette puissance est concrétisée par l’image de la coupe qu’il remplit : « On lui apporte une corbeille, il prend une poignée de grains de maïs noir, la verse dans une coupe de cristal, et répand sur la surface du vase une couche de maïs blanc, puis il présente la coupe aux regards du peuple. »
Nodet, Prise du Cap Français par l'armée française sous le commandement du général Leclerc en 1802, début XIXe siècle. Estampe, Musée du Quai Branly.
Le jeu de questions-réponses qui suit, à la façon d’un père tentant d’imager la situation à un enfant, confirme à la fois la peur du peuple, et l’affirmation de puissance des colonisateurs : « Vous ne voyez que blanc quand votre front s'y penche ? / À vos yeux effrayés toute la coupe est blanche. / Or, pourquoi les grains blancs sont-ils seuls aperçus ? / […] Peuple pauvre d'esprit ! eh ! c'est qu'ils sont dessus ! »
Le triomphe du monde noir
Le monde noir a pour seul force sa « haine », terme introduit dès le premier vers, qui pousse le peuple noir à la vengeance.
Ainsi, la démonstration s’inverse après la didascalie : « Il vide la coupe sur un plateau, les grains blancs disparaissent complètement dans l'immense quantité de grains noirs. » Le choix du présent actualise le combat : « Tenez, le noir se venge ; / En remuant les grains, voyez comme tout change ! / On ne voyait que blanc, on ne voit plus que noir ». Comme le faisait le Christ dans ses paraboles, il explique au peuple le sens de son image : « Le nombre couvre tout, et ceci vous fait voir / Comment l'égalité, quand l'honneur la rappelle, / Rend à chaque couleur sa valeur naturelle ! » Par ces termes, Lamartine rappelle les principes fondateurs de la dénonciation de l’esclavage depuis le XVIII° siècle : la revendication d’« égalité », l’exigence d’« honneur », c’est-à-dire de dignité humaine, enfin la notion essentielle, celle d’un état naturel qui considère que la « valeur » d’un homme ne doit rien à sa « couleur ».
La force des brèves phrases de conclusion, réparties dans chaque hémistiche et accentuées par le martèlement des monosyllabes, « Tout leur art n'y peut rien. Ils sont un et vous dix. », fait ressortir la certitude d'une victoire due à leur nombre et à leur unité. Cette victoire conduit à une destruction du monde blanc, déjà illustrée lors des incendies : « Ne laissez sur le sol que la pierre et les os ». Mais c’est encore plus flagrant lors de l’assaut, qui, dans un premier temps, signale que la peur s’est inversée : « Les blancs y marcheront comme la brute au piège, / Leurs bras désespérés en tenteront le siège. » Dans l’image finale, tous les éléments semblent s’unir pour assouvir cette vengeance, feu, terre, eau, « leurs corps foudroyés », « Entre la mer et vous, écrasés ou noyés ». La vision ultime, avec la comparaison, « Ils auront disparu comme une onde tarie », ouvre même un avenir à cette victoire par le choix lexical : « Et leurs os fumeront le sol de la patrie ». Les cadavres des blancs, comme le fumier qui fertilise un champ, permettront de fonder la « patrie », la république haïtienne qui s’apprête à naître.
Janvier Suchodolski, La bataille de Palm Tree Hill, 1845. Huile sur toile. Musée polonais de l’armée
CONCLUSION
Lamartine a su restituer, dans ce discours, la personnalité d’un héros, à la fois sa force de conviction, mais aussi la mégalomanie : il se donne une dimension surhumaine, et l’on perçoit déjà une forme de mépris dans la façon dont il s’adresse à ses généraux et à ceux qu’il a regroupé autour de lui. Le choix de l’alexandrin, les effets rythmiques, et les procédés mis en œuvre, modalités expressives, hyperboles et, surtout, images évocatrices, mêlant les registres tragique et épique, renforcent la dénonciation mais aussi la grandeur du personnage et la puissance de sa lutte.
Lamartine s’engage ainsi, en prenant le théâtre comme tribune. Mais, après un premier temps de curiosité, la pièce est rapidement critiquée : Lamartine osait donner un statut de héros tragiques à des noirs, qui parlaient en alexandrins, et, surtout, qui dénonçaient l’esclavage et appelaient à la révolte contre les blancs ! En fait, le décret d’abolition n’était pas encore vraiment accepté dans l’esprit de bien des Français.
Document complémentaire : Aimé CÉSAIRE, La Tragédie du roi Christophe, 1963 : extrait de l'acte II
Pour lire l'extrait
Aimé Césaire, un des fondateurs du mouvement de la Négritude, choisit un autre héros du monde noir, Henri Christophe. Après avoir participé à l’insurrection des noirs de l’île de Saint-Domingue aux côtés de Toussaint Louverture, il crée, avec Dessalines, la république d’Haïti, première république noire. Mais Dessalines se proclame empereur, et est assassiné en 1806.
La pièce, parue en 1964, s’ouvre sur l’accession au pouvoir de Christophe, et l’acte I se termine sur son couronnement sous le nom d’Henri Ier et la création de toute une cour. Mais, dans cette île, détruite par des siècles d’esclavage et la guerre entre les noirs et les colons, tout est à rebâtir.
Douna Seck joue Christophe : mise en scène de Jean-Louis Serreau, 1965, à l'Odéon-Théâtre de France
L’acte II montre comment il impose donc le travail forcé à son peuple, qui ressent cela comme un nouvel esclavage. La révolte gronde, et son épouse l’avertit de ne pas demander trop aux hommes. Cette phrase amène sa réponse enflammée.
Les devoirs des noirs
La tirade repose sur un paradoxe, sa critique des « philanthropes », c’est-à-dire de ceux qui ont lutté contre l’esclavage au nom de l’égalité, principe fondateur de leur demande d’abolition : « tous les hommes sont des hommes », « il n’y a ni blancs ni noirs ».
Christophe, au contraire, proclame une « inégalité », terme répété, au nom de la mémoire de l’esclavage. Il en rappelle, dans une énumération indignée, en gradation, les terribles réalités du monde noir : « À qui fera-t-on croire que tous les hommes je dis tous sans privilège, sans particulière exonération, ont connu la déportation, la traite, l’esclavage, le collectif ravalement à la bête, le total outrage, la vaste insulte, que tous, ils ont reçu, plaqué sur le corps, au visage, l’omni-niant crachat ! » Elle se ferme sur une image particulièrement violente.
Cette interrogation reçoit une réponse, « Nous seuls, Madame, vous m’entendez, nous seuls, les nègres ! », qui conduit à une inversion du point de vue : les « droits » se changent en « devoirs » : « il en est qui ont plus de devoirs que d’autres », les noirs, pour reconquérir leur dignité niée.
Une nouvelle lutte
Pour illustrer cette reconquête, la seconde partie de la tirade développe longuement une métaphore : celle d’une pente à gravir pour remonter du « plus bas de la fosse », image répétée. Le rythme scandé semble reproduire cet effort surhumain : « C’est là que nous crions ; de là que nous aspirons à l’air à la lumière, au soleil. », « voyez comme s’imposent à nous, le pied qui s’arc-boute, le muscle qui se tend, les dents qui se serrent, la tête, oh ! la tête, large et froide ! », « plus de travail, plus de foi, plus d’enthousiasme, un pas, un autre pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas ! »
La reprise de la phrase d’ouverture, mais avec le glissement de l’exclamation, « Je demande trop aux hommes ! », à l’interrogation indignée, « Ah ! je demande trop aux nègres ? », conclut l’image. La fin de la tirade amène une autre justification de cette lutte à mener, sur un ton presque désespéré restitué par les points de suspension : le peuple n’a pas conscience de la menace qui continue à planer sur le monde noir, et préfère s’amuser d’où la répétition accusatrice : « mon peuple danse ». Une gradation dépeint la menace, d’abord celle d’un animal féroce, l’« ocelot », puis encore banale, « le rôdeur ». Mais le dernier élément, lui, présente comme éternel le conflit entre le monde blanc et les anciens esclaves : « le chasseur d’hommes à l’affût, avec son fusil, son filet, sa muselière ». Ce « chasseur d’hommes » rappelle la façon dont les blancs poursuivaient les esclaves marrons, en fuite, et le rythme ternaire souligne leur représentation, qui les ravale à l’état de proie à capturer, d’animal à « musel[er] » tel un chien. Aujourd’hui, ils se sont libérés, mais les blancs crient vengeance : « le crime de nos persécuteurs nous cerne les talons. »
CONCLUSION
La pièce a été composée quelques années après « l’ère des indépendances », indépendance conquise parfois dans le sang, en Indochine, en Algérie, obtenue en 1960 pour la plupart des anciennes colonies françaises, tandis que les Antilles restent attachées à la métropole, sous le statut de Département d’Outre-Mer, et que les divisions restent profondes entre les blancs, privilégiés, et les noirs, qui vivent dans la misère. À travers sa pièce, c’est donc un double cri, un double appel, que lance l’écrivain engagé qu’est Césaire, conformément aux exigences de la Négritude : ne jamais oublier l’esclavage, en rappeler la mémoire, mais aussi poursuivre une lutte incessante contre toutes les formes de racisme.
La Tragédie du roi Christophe : mise en scène de Christian Schiaretti, TNP de Villeurbanne, 2017
Un remarquable dossier pédagogique propose une analyse de cette mise en scène, éclairant à la fois les intentions de Césaire et les choix de Christian Schiaretti.
Pour voir le dossier
Pour lire le texte
Aimé CÉSAIRE, Discours sur le colonialisme, 1955 : extrait
Après la seconde guerre mondiale, beaucoup de colonies françaises, qui ont envoyé des soldats combattre pour défendre la France, réclament leur indépendance. Aimé Césaire (1913-2008), auteur originaire de la Martinique, se range de leur côté, en s’engageant dans la vie politique, d’abord comme maire Fort-de-France, puis comme député aux côtés du parti communiste français. Il réclame alors le statut de département pour les îles antillaises, à ses yeux seul moyen pour assurer le développement de ces îles en luttant contre le pouvoir blanc qui maintient le peuple dans une infériorité culturelle et une misère sociale. Les guerres coloniales, Indochine, Algérie, qui commencent, et les massacres qui répriment l’insurrection de Madagascar en 1947, accentuent sa volonté de libérer les peuples noirs, dont témoigne le Discours sur le colonialisme, publié en 1950.
Aimé Césaire, discours à la tribune
Ne se limitant pas au seul esclavage, Césaire remet en cause la politique française, qui, au XIX°, a fait de la colonisation le fondement du développement économique, d’où de nombreuses « expéditions » militaires pour soumettre ces territoires.
Comment met-il en valeur la barbarie de ceux qui ont participé à cette conquête coloniale ?
LES FAITS DÉNONCÉS
Le portrait des colonisateurs
Pour renforcer la vérité de sa dénonciation, Césaire choisit de rapporter directement les paroles de ceux qui ont dirigé les armées françaises, en Chine pour le comte d’Hérisson, en Algérie pour le colonel de Montagnac, Saint-Arnaud et le maréchal Bugeaud, ou à Madagascar pour le commandant Gérard.
Ces paroles sont choquantes par l’indifférence qu’elles révèlent face à la vie humaine.
Ainsi Montagnac plaisante en jouant sur les mots « je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais bien des têtes d’hommes », Hérisson se vante d’« un plein baril d’oreilles récoltées, paire à paire », comme s’il s’agissait d’un travail agricole fructueux… et fait preuve d’une désinvolture totale puisque ce traitement s’applique à tous « les prisonniers, amis ou ennemis. » Elles mettent en valeur le cynisme de ces officiers, tels Montagnac qui explique que s’il décapite, c’est « [p]our chasser les idées qui [l]’assiègent parfois », par ennui en quelque sorte, ou Saint-Arnaud qui, dans son énumération, ne mentionne même pas les hommes. Quand Bugeaud déclare « Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient les Francs, à ce que faisaient les Goths », la comparaison à ces peuples barbares met en valeur son absence totale de scrupules. Ils semblent même apprécier ces massacres, à en croire Gérard qui reconnaît que le commandement militaire a laissé les soldats libres d’agir : « Les tirailleurs n'avaient ordre de tuer que les hommes, mais on ne les retint pas ; enivrés de l'odeur du sang, ils n'épargnèrent pas une femme, pas un enfant ».
Le débarquement de l'armée française à Sidi Ferruch, en Algérie, le 6 juin 1830
Les horreurs commises
Ces citations rappellent que la vie des peuples indigènes n’a aucun prix aux yeux du colonisateur : non seulement les « hommes » sont tués, mais aussi femmes et enfants, auxquels les destructions matérielles ôtent tous les moyens de leur survie. L’image atteint son apogée dans la description du décor faire par le commandant Gérard, véritable vision d’apocalypse : « À la fin de l'après-midi, sous l'action de la chaleur, un petit brouillard s'éleva : c'était le sang des cinq mille victimes, l'ombre de la ville, qui s'évaporait au soleil couchant. » En les regroupant dans une énumération, Césaire rend cette énumération d’horreurs encore plus saisissante : « ces têtes d'hommes, ces récoltes d'oreilles, ces maisons brûlées, ces invasions gothiques, ce sang qui fume, ces villes qui s'évaporent au tranchant du glaive. »
Horace Vernet, Prise de la smalah d’Abd-El-Kader par le duc d’Aumale à Taguin, le 16 mai 1843. Huile sur toile, 489 x 2139, détail. Musée du château de Versailles
L’ENGAGEMENT DE L’ÉCRIVAIN
Le registre polémique
Dans ce passage, Césaire laisse exploser sa colère, en mettant en œuvre tous les procédés propres au registre polémique.
Dès le début, il prend à parti ses adversaires, les partisans de la colonisation, aisément identifiables même s’ils ne sont pas clairement désignés : « J'ai relevé dans l'histoire des expéditions coloniales quelques traits que j'ai cités ailleurs tout à loisir. Cela n'a pas eu l'heur de plaire à tout le monde. » En reprenant leur argument, « Il paraît que c'est tirer de vieux squelettes du placard », c’est-à-dire l’idée que toute cette histoire coloniale relève d’un passé révolu, lui-même conclut avec ironie : « Voire ! » Il sous-entend ainsi que ce mépris pour les peuples colonisés n’a certainement pas disparu dans les années cinquante. Nous retrouvons cette ironie, par antiphrase, dans sa façon de qualifier les massacres à Madagascar de « fait d’armes mémorable »
Les cinq courts paragraphes qui suivent font, eux, appel au lecteur, par le choix des interrogations rhétoriques, « Était-il inutile de citer… », « Convenait-il de refuser la parole… », et surtout la triple anaphore, « Fallait-il… ». Césaire cherche à obtenir son soutien, en insistant sur la vérité historique : « Oui ou non, ces faits sont-ils vrais ? […] Et si ces faits sont vrais, comme il n'est au pouvoir de personne de le nier, dira-t-on, pour les minimiser, que ces cadavres ne prouvent rien ? » Il renvoie ainsi ses adversaires à leur manque de logique.
Exaltation de l'œuvre coloniale française dans le supplément illustré du Petit Journal daté du 19 novembre 1911. Collection Kharbine, Paris
Un jugement critique
L’objectif de Césaire est de transmettre aux lecteurs son jugement sévère sur la colonisation. Dès le début du texte, en effet, il en pose une définition, comme le ferait un article de dictionnaire, mais il est loin d’en respecter la neutralité, comme le prouve le lexique péjoratif et l’insistance : « la barbarie d'où, à n'importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation ».
Il reprend d’ailleurs l’idée par l’adjectif « barbare » à propos de Saint-Arnaud. À la fin du texte, la dimension péjorative est encore accentuée par l’expression « hideuses boucheries ». Il y développe sa critique, opinion affirmée avec force : « je pense », « je le répète ». Pour lui, la colonisation est donc une destruction de la « civilisation », car elle déshumanise l’homme, doublement, d’abord le colonisé : « l'action coloniale, l'entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l'homme indigène et justifiée par ce mépris ». Il s’agit là d’une dénonciation du racisme, idée sur laquelle il insiste par la répétition, et surtout par la comparaison finale : « le colonisateur qui, pour se donner bonne conscience, s'habitue à voir dans l'autre la bête, s'entraîne à le traiter en bête ». Mais, parallèlement, cela rejaillit sur le colonisateur, désigné par le superlatif « l’homme même le plus civilisé » : la colonisation « tend inévitablement à [le] modifier », et à son tour il « tend objectivement à se transformer lui-même en bête. » Finalement, la colonisation nuit aussi bien aux peuples soumis qu’à celui qui les soumet, en se croyant supérieur à eux.
CONCLUSION
Le terme « discours » convient bien à ce passage, car il garde les signes de l’oralité. Inscrit dans le registre polémique, c’est un violent réquisitoire contre la colonisation en général, et contre ceux qui, pour l’accomplir, n’ont reculé devant aucune massacre, aucune barbarie, ce qui ressort de leurs paroles rapportées. Elles révèlent leur cynisme et leur racisme, la façon dont ils ont fait peu de cas de la vie des indigènes qu’ils étaient chargés de conquérir.
Mais s’agit-il seulement des conquêtes coloniales ? Certes, en 1848 l’esclavage a été aboli, mais un nouveau colonialisme l’a remplacé, qui poursuit l’exploitation des peuples indigènes. En rappelant ainsi les faits passés, Césaire plaide, en fait, pour le présent, pour ces colonies qui réclament leur indépendance.
Césaire est donc un auteur engagé, qui met son talent littéraire au service des peuples opprimés : pour lui, la littérature est une arme, et l’écrivain doit se faire le porte-parole, comme il le dit ailleurs, de « ceux qui n’ont pas de bouche ».
Document complémentaire : Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, 1939 : extrait
Pour lire le texte
Aimé Césaire est encore jeune quand, cinq ans après avoir posé le concept de Négritude dans le journal L’Étudiant noir, il publie, en 1939, Cahier d’un retour au pays natal, un long poème où alternent des strophes en strophes et des vers libres, dans le numéro 20 de la revue Volontés. Sa parution en volume se fait en 1947 à New York grâce à l’appui d’André Breton, chef de file du mouvement surréaliste.
Documentaire réalisé par Philippe Bérenger : France3, RFO et TV5Monde
Le premier vers résume cet engagement.
D’un côté, il reproduit le fondement raciste de l’esclavage, le mépris du colonisateur pour les peuples noirs. Le terme « négraille » juxtapose, en effet, l’appellation « nègre », devenue péjorative dès le XIX° siècle, et le suffixe « -aille », qui accentue encore cette connotation. À cela s’ajoutent l’image qui se veut répugnante, « aux senteurs d’oignon frit », et celle du « sang répandu », rappelant l’horreur de l’esclavage, et répétée à la fin de la première énumération. Les deux huitains illustrent également la réalité ancienne, celle du commerce triangulaire, puisque chaque élément mentionné renvoie aux navires négriers qui transportaient les esclaves dans leur « cale ». Cette population d’esclaves était alors « assise », attitude symbolique de leur soumission, confirmée par l’adjectif « pauvre » et la formule descriptive, « son dénuement maritime[..] ».
D’un autre côté, ce premier vers fonde sur cet esclavage même la révolte du peuple noir : il « retrouve dans son sang répandu le goût amer de la liberté », « amer » vu le prix payé pour la conquérir. Le choix du temps présent, « Et elle est debout », actualise cette revanche, terme justifié par l’ambiguïté : « debout dans le sang » peut être aussi celui des blancs massacrés lors des nombreuses insurrections d’esclaves. Cette fin de la soumission est illustrée par la répétition de l’image « debout », et le refrain scandé : « debout / et / libre ». Le néologisme adverbial, « inattendument », souligne l’explosion brutale de cette révolte, à la plus grande surprise des colonisateurs. Il ne s’agit plus, en effet, d’une simple mutinerie d’esclaves jugée « pauvre folle dans sa liberté et son dénuement maritimes ».
Édouard-Antoine Renard, La rébellion d’un esclave sur un navire négrier,1833. Huile sur toile, 99 x 83. Musée du Nouveau Monde, La Rochelle
Le second huitain, par de nouvelles images maritimes, souligne le changement de destin du peuple noir : la route du navire négrier s’inverse, il va « girant en la dérive parfaite », et ce sont les anciens colonisés qui le dirigent : « dans les cordages », « à la barre », « à la boussole », « à la barre », « sous les étoiles ». D’où la conclusion qui fait écho au premier vers : « et le navire lustral s'avancer impavide sur les eaux écroulées ». L’image figure le triomphe : les « eaux écroulées » ne portent plus un honteux navire négrier, mais un « navire lustral », purificateur, sacré, et « impavide », sans peur, l'infinitif de narration le montre en train de « s'avance » vers un nouvel avenir.
Ainsi, Césaire, en mettant en scène son retour en Martinique, en décrit la misère : « J’ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies. » Mais il rappelle surtout la mémoire de l’esclavage pour appeler à la liberté. L’inspiration surréaliste ressort des images, saisissantes, le concept de Négritude est illustré par le rythme, qui semble reproduire le martèlement du tam-tam. Mais le poème traduit surtout l’engagement du poète, mélange de colère et d’espoir : « Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerai. »
L'ESCLAVAGE MODERNE
Il a fallu plus d’un siècle de lutte pour que le décret du 27 avril 1848, pris par le gouvernement provisoire de la IIème République et inspiré par Victor Schœlcher, abolisse l’esclavage en France et dans ses colonies. Un siècle après, en 1948, l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme des Nations Unies proclame : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude. L’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes ».
Mais si cette abolition est inscrite dans la loi, qu’en est-il dans les faits ?
Les statistiques du Conseil de Sécurité de l’ONU montrent à quel point le trafic des êtres humains est bénéfique, 32 milliards de dollars par an, immédiatement après celui de la drogue et la contrefaçon, et expliquent les formes très diverses qu’il prend : travail forcé, et tout particulièrement d’enfants mineurs, esclavage domestique, exploitation sexuelle, trafic d’organes, mendicité contrainte… sans oublier l’esclavage organisé par les mouvements terroristes, ou le cas particulier des enfants-soldats.
L'esclavage des enfants : un exemple
Marion VAN RENTERGHEM, "Le calvaire de Chantal, esclave moderne", Le Monde, 11 octobre 2008
Le titre de cet article est éloquent : le terme « calvaire » compare l’esclavage vécu par le personnage, Chantal, au martyre du Christ. L’objectif est double : mettre en valeur l’horreur des faits, ce à quoi contribuent les paroles rapportées, expression directe de la douleur de la victime, et expliquer les étapes de l’action juridique.
Un "fait divers"
L’article, rendant compte d’une interview, remonte le temps : avant de rappeler le passé, il s’ouvre sur la situation actuelle de Chantal, à présent âgée de 34 ans, qui a retrouvé une vie normale. Cependant sa phrase, « Je commence à vivre », est déjà significative : auparavant, sa vie même était niée. Le portrait qui suit, mentionnant qu’« elle pleure sans cesse », image renforcée à la fin du texte, « Chantal n'en finit pas de sangloter », montre que la journaliste veut faire partager à son lecteur l’émotion de la jeune femme, ce que soulignent les sous-titres.
Un article de "fait divers"
Le cœur de l’article repose sur un contraste, la vie heureuse en famille au Burundi, et les années d’esclavage. La jeune fille, alors âgée de 15 ans apparaît doublement victime, du mensonge de sa propre « tante », puissante car protégée par son statut social d’épouse d’un « diplomate de l’Unesco », et de la « guerre civile » qui fait d’elle une orpheline. Même si elle a encore une de ses sœurs auprès d’elle en France, elle est donc particulièrement vulnérable.
La journaliste consacre deux paragraphes à une description des terribles réalités de cet esclavage, énumérées dans de courtes phrases, au présent pour les concrétiser. Les choix lexicaux accentuent la dimension pathétique, des « toilettes à la turque insalubres », des « plaies purulentes », de même que l’accumulation des négations « sans chauffage ni fenêtre », « il est interdit », « Elles ne dorment plus », « elle ne peut soigner ». L’auteur accentue également le contraste entre la situation de la famille, « luxueuse et spacieuse maison », « mets succulents », et les mauvais traitements infligés, « les jets d’assiettes et les coups de balai », dont « la trace du fer à repasser brûlant » sur son bras apporte la preuve irréfutable.
Enfin, la journaliste répond par avance à ce que pourrait objecter un lecteur : pourquoi a-t-il fallu cinq ans pour qu’elles « s’enfuient enfin » ? Comme les esclaves de jadis, elles ne disposent d’aucun appui, Chantal ne parle pas le français, et surtout, c’est la peur qui les en empêche, la « menace de les renvoyer au Burundi pour se faire déchiqueter ».
L'action juridique
Dès l’introduction, l’article énonce le jugement, sévère : « la Cour Européenne des Droits de l'Homme a condamné la France le 11 octobre 2012. » Aucun effet de suspens donc, le but est plutôt de dénoncer le fonctionnement de la justice face à un cas d’esclavage domestique.
Déjà, rien ne pourrait se faire sans les associations, puisque les victimes ignorent tout de la loi. Mais même pour une association, obtenir justice n’est pas simple, surtout quand un diplomate est impliqué, car son statut le protège : il faut « lever l’immunité diplomatique » de l’époux accusé de non-assistance à personnes en danger puisque lui et les sept enfants « encouragent passivement ».
Puis, est rappelé le parcours judiciaire, long et contradictoire. Plainte en 1998, condamnation dans un premier temps, après neuf ans d’instruction, puis « cour d’appel » deux ans après, dont l’arrêt atténue fortement la condamnation : elle « relaxe le couple, et ne retient que les faits de violence aggravée imputés à l'épouse ». La « cour de cassation » confirme ce jugement.
Il ne reste donc que l’ultime recours, un échelon supérieur, la Cour européenne des Droits de l’Homme qui siège à Strasbourg, encore deux ans d’attente… : avant de condamner l’État « pour n'avoir pas mis en place un "cadre législatif et administratif permettant de lutter efficacement contre la servitude et le travail forcé". »
Pour conclure
Que révèle cet article, au-delà de la description pathétique d’une servitude douloureuse ? Comme le dit la victime, ce récit doit servir d’exemple : « Je n'ai peut-être pas souffert pour rien », « Avec ça, les gens sauront un peu ce qui se passe sur la Terre en cachette ». L’article jette donc un cri d’alarme en rappelant que l’esclavage subsiste, et même dans des milieux sociaux élevés. Il vise ainsi à éveiller la conscience du lecteur, d’abord en l’invitant à la vigilance : personne ne doit hésiter, s’il soupçonne un cas d’esclavage, à contacter les associations qui, elles, sauront agir en justice. Enfin, il réclame à chaque citoyen son soutien, pour que l’État, au nom duquel est rendue la justice, soit plus efficace dans son application de la loi.
Caroline PIQUET, "Mal connu, l'esclavage moderne existe aussi en France", site du Figaro, 10 mars 2016
L'information
Ce deuxième article est d’abord informatif, ce que pose son titre : il s’agit de faire connaître un phénomène « mal connu », après « deux ans » d’enquête pour « faire un état des lieux de la situation en France et faire un bilan des mesures prises jusqu’ici ». Ainsi l’article avance des statistiques, sur les victimes mais aussi les coupables et les peines infligées, cite des cas précis, et définit les formes prises par cette nouvelle « traite » : « l'esclavage » proprement dit, mais aussi « le trafic d'organes, la prostitution, la mendicité et le travail forcés. » En même temps, l’article, en citant le constat de la Commission Nationale consultative des Droits de l’Homme, ne cache pas que ces statistiques ne sont certainement pas complètes, en raison de l’aliénation des victimes et de leur peur : « les victimes potentielles de traite ne s'auto-identifient pas en tant que telles », elles « ne dénoncent que très rarement les faits ».
Les réalités de l'esclavage moderne
La dénonciation
Mais l’article est également une dénonciation, formulée dès le chapeau de l’article : « la France ne consacre pas assez de moyens à la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains ». L’accusation lancée est double.
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D’une part, le fonctionnement de la justice ne tient pas compte des cas où un accusé est, en fait, une victime d'un esclavage, par exemple lorsqu'un mineur, notamment, est contraint à la délinquance.
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D’autre part, est dénoncé un préjugé qui conduit à croire que seuls sont concernés des étrangers.
Enfin, le reproche porte sur les « moyens » investis par l’État dans cette lutte, un financement jugé insuffisant pour informer les citoyens par une « campagne nationale », et pour la « formation » de tous ceux qui ont à traiter ce phénomène, dans des associations, mais aussi dans les services de l’État, éducation, police, justice…
Catherine MELLIER, "Esclavage domestique", site du Dauphiné, 7 février 2018
Ce troisième article semble le récit d’un fait divers d’une totale banalité, du « travail dissimulé » d’un travailleur étranger sans « titre de séjour » régulier… , délit d’ailleurs admis par le couple accusé.
Mais l’article se fixe un tout autre but : dénoncer ce qui, désigné par le terme « exploitation » relève, en réalité, d’une nouvelle forme d’esclavage, ce sur quoi insistent les deux premiers sous-titres.
Un "fait divers" : la victime
Un bref paragraphe met ainsi l’accent sur la victime, dont le témoignage, « des sanglots dans la voix », est repris par une énumération : « Les tâches ménagères, la cuisine et les enfants en bas âges, jour et nuit, du lundi au dimanche, « de 5 h 30 du matin jusqu’à 23 h ». Ne pas respecter le code du travail, n’est-ce pas une forme d’esclavage ? Surtout si l’on y ajoute l’absence de salaire, mise en évidence par les indices temporels antéposés dans le récit : « Et jamais elle ne verra la couleur d’un salaire. Après cinq années de bons et très loyaux services, son compte est vide. » L'article, rapidement, met en valeur les aspects choquants d'une telle exploitation.
La dénonciation
Mais l’article va plus loin. Il souligne à quel point cet esclavage est sous-estimé dans notre société contemporaine, à travers les paroles de l’avocate de la victime, directement citées : « je suis choquée de ce que j’ai pu lire dans les procès-verbaux des prévenus, leur absence d’humanité, d’empathie. Ils n’ont d’ailleurs toujours pas compris pourquoi ils étaient convoqués devant votre juridiction. Il y a chez eux une absence totale de conscience de la gravité des faits et je trouve dommage qu’ils ne soient pas là pour s’exprimer. » Les accusés, ne prenant même pas la peine de comparaître au procès, représentent, par leur mépris de leur « esclave », le manque de conscience morale, d’autant plus choquant qu’il s’agit d’un couple de statut social élevé, avec un salaire mensuel plus que confortable, 13000 euros. Utiliser leur domestique comme « esclave » est donc totalement assumé.
La marche pour l'abolition de l'esclavage à Paris en décembre 2017
Leur avocat, lui, va encore plus loin puisque son argument est qu’accusés et victimes sont des « étrangers », ce qui rendrait le tribunal incompétent pour juger… Une façon de suggérer que ces gens, originaires du Sénégal, ne peuvent relever de l’interdiction de l’esclavage, pourtant aujourd’hui universellement reconnue. Les faits ont pourtant bien été commis en France… L'article suggère ainsi l'existence d'un préjugé q dirait que l'esclavage ne concerne pas directement la société française.
Enfin, le lecteur peut être aussi surpris par les réactions officielles, judiciaires, face à cette situation. D’abord, en Suisse, quand un « contrôle », première étape efficace, révèle l’absence du compte bancaire exigé pour tout versement de salaire, l’administration se contente de la parole du couple qui « s’engage à lui ouvrir un compte » et à la rémunérer au tarif normal. Aucune surveillance n’est effectuée, alors même qu’une simple « enquête de gendarmerie […] démontrera que dès lors qu’un salaire était versé, un retrait du même montant s’opérait dans la foulée. » Aucune protection n’est donc assurée par les « autorités suisses », après le constat pourtant d'un premier manquement à la loi. La justice suisse a d’ailleurs épargné les coupables, en permettant de négocier un accord financier.
Mais est-ce mieux du côté français ? Là encore, l’argent semble suffire à régler la question et à rembourser le « préjudice moral », car la condamnation peut paraître vraiment légère : « trois mois d’emprisonnement avec sursis ».
Pour conclure
Derrière ce qui peut, à première lecture, apparaître comme un simple compte-rendu judiciaire, l’article interroge donc le lecteur. Nos sociétés européennes ont-elles vraiment pris conscience des nouvelles formes prise par l’esclavage, tel le travail abusif, non rémunéré ? notre justice est-elle vraiment capable de reconnaître à quel point ce type d’esclavage constitue une réelle atteinte aux « droits de l’Homme », et de faire respecter fermement la loi qui l’interdit ?
Analyse d'un site : le "Comité contre l'esclavage moderne"
Pour voir le site
Cette séquence offre l'occasion de proposer une analyse du site, en commençant le sens des "onglets" du menu général, et l'observation de son écran d'accueil. Puis six groupes peuvent être constitués pour rendre compte des différentes parties du contenu intitulé "L'esclavage aujourd'hui". Les présentations distingueront nettement ce qui relève de l'information (statistiques, description des faits...) et de la dénonciation : critiques, améliorations proposées.
CONCLUSION SUR LA SÉQUENCE
Réponse à la problématique : l'évolution des combats du XIXème au XXIème siècle
Le parcours littéraire
Le parcours littéraire effectué, après avoir rappelé l’état antérieur, la première réflexion des philosophes du XVIII° siècle, a permis de répondre au triple enjeu de la séquence : comprendre ce qu’a pu être l’esclavage, comment il a fonctionné, en se fondant sur toute une organisation économique, soutenu par des présupposés racistes, et mesurer le poids des luttes pour l’abolir, enfin observer tout ce qui peut le rétablir, sous d’autres visages. Les textes ont, en effet, montré l’évolution des combats, depuis le XIXème siècle, qui ont conduit à l’abolition officielle de l’esclavage en 1848 en France, jusqu’aux nouvelles formes qu’il a pu prendre : le colonialisme a, notamment, soutenu les luttes des écrivains de la Négritude, et l'esclavage existe encore aujourd'hui, et pas uniquement dans des pays lointains.
Des textes lus sont venus aussi bien appuyer les accusations lancées, que montrer les résultats de ces luttes.
L'engagement de l'écrivain
Le corpus a ainsi permis de comprendre ce qu’est l’engagement de l’écrivain, en observant comment, selon le genre littéraire choisi, cet engagement peut changer de forme et de ton. Par exemple, le récit ou le portrait, dans un roman ou une nouvelle, comme chez Hugo, peut toucher les sentiments du lecteur en lui mettant sous les yeux, souvent à travers la vie d'un personnage, victime ou exploiteur, une réalité qui l’indigne ou l’émeut. Le discours, tel celui de Schœlcher ou, bien plus tard, de Césaire, favorise l’argumentation, mais n’exclut pas le ton polémique, avec des modalités expressives, la violence lexicale et le rythme des phrases. Le théâtre, lui, prend la force d’une tribune, le personnage parlant et agissant directement sous leurs yeux. Inscrit dans le registre pathétique ou polémique, le théâtre a l’avantage de l’oralité, même quand il utilise à l’alexandrin. Mais il peut aussi recourir, comme chez Lamartine ou chez Césaire, à des images saisissantes, qui touchent profondément le lecteur, tout comme la poésie telle que l’ont mise en forme les poètes de la Négritude, alliant les réalités de la mémoire africaine aux résistances au racisme et au colonialisme.
Le parcours a finalement conduit à mesurer le rôle joué par d’autres médias, la presse, et, aujourd’hui, Internet, toujours dans ce double aspect : diffuser encore plus largement l’information, mais aussi dénoncer les réalités de l’esclavage moderne, les abus actuels, les préjugés, qui le soutiennent encore, et les dysfonctionnements politiques, économiques et sociaux qui le permettent.
L’esclavage n’a pas disparu, il est donc nécessaire que tous ceux qui participent de la vie culturelle continuent à éveiller les consciences et à appeler le public à la vigilance et à de nouveaux combats.
Le prolongement artistique
Pour traduire ces luttes contre l’esclavage, la séquence intègre également un parcours artistique, en étudiant ses procédés particuliers. Le recours à la caricature, par exemple, en grossissant les traits, accentue la critique ; la musique, notamment celle portée à l’origine par les esclaves américains, negro-spiritual, gospel, blues, jazz, unit la force des paroles à l’effet produit par les voix, les rythmes, les instruments utilisés.
Enfin les dessinateurs et les peintres, qu’il s’agisse d’estampes, de gravures, de tableaux, voire de simples affiches ou photos de presse, ne se contentent pas d’illustrer ces combats, dans la mesure où, au-delà de leur analyse, ils provoquent une émotion immédiate.
Autour de l'image : de la lecture à la création
Pour voir un diaporama d'analyse du tableau
Étude de l'image : François-Auguste Biard, L’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, 1849
Création d'un montage iconographique
Les élèves proposeront leur propre vision du combat contre l’esclavage, en réalisant un montage iconographique. Les contours doivent en être fixés, le nombre de documents notamment, mais aussi la période : soit limité dans le temps, le montage se concentre sur une dimension spécifique du débat, ou même sur une œuvre particulière, soit les documents choisis retracent un parcours, montrent une évolution.
Enfin, le montage posera une problématique, en lien avec la séquence : elle peut porter sur la description de réalités historiques, sur des portraits, sur l’information, l’explication, la dénonciation, voire ouvrir sur des propositions d’engagement.
F.-A. Biard, L’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, 1849. Huile sur toile, 261 x 391 cm. Musée national du Château de Versailles
Mérimée, Tamango, 1829
Pour une analyse précise de la nouvelle
La lecture se fait de façon personnelle. Elle peut être reprise au cours d'une séance collective, et donner lieu à un débat sur la façon dont Mérimée représente les réalités de l'esclavage, et en dépeint les protagonistes. On s'interrogera, notamment, sur son objectivité, tout particulièrement à partir du portrait du héros, Tamango, et de la chute de la nouvelle.
Elle peut aussi conduire à une activité orale, par exemple en imaginant le procès d'un capitaine négrier, qui aurait poursuivi son commerce après l'abolition de l'esclavage, ou écrite : un article de presse, par exemple, rendant compte de l'aventure de Tamango.
L'esclavage, une réalité à combattre aux XIX° et XX° siècles
Présentation de la séquence
La séquence proposée intègre les quatre éléments figurant dans le programme des lycées :
- le "parcours littéraire", organisé autour de cinq textes donnant lieu à une explication ;
- le "groupement de textes complémentaires" : les documents complémentaires proposés offrent un large choix pour constituer un corpus cohérent et propre à éclairer les enjeux du débat et à mesurer son évolution.
- le "prolongement artistique et culturel": plu-sieurs documents complémentaires permettent de com-prendre le contexte, historique, telles les réalités de l'esclavage, culturel, par exemple le mouvement de la Négritude, mais aussi d'élargir la perspective en abordant l'histoire des arts pour les documents iconographiques, audio et vidéo.
- une "lecture cursive", personnelle, qui peut être reprise collectivement ou être librement insérée dans un "carnet de lecture", être guidée ou en totale autonomie, éventuellement être le support d'un travail d'écriture spécifique.
Plusieurs activités, écrites ou orales, sont suggérées qui peuvent faire l'objet d'une séance collective, préparée ou abordée directement, ou d'un travail personnel destiné, lui aussi, à nourrir le "carnet de lecture" ou à donner lieu à un exposé oral.
Mais, outre celles directement liées à l'explication des textes (questions préparatoires ou de synthèse), bien d'autres pourraient être envisagées afin de solliciter la créativité des élèves et d'accroître leur participation : table ronde, procès, débat...
La séquence ne mentionne qu'un devoir, pour s'entraîner à l'épreuve écrite du Baccalauréat. Mais un autre devoir reste à élaborer, soit pour une évaluation formative, notamment à partir d'un ou plusieurs documents complémentaires, soit pour une évaluation sommative, en fin de séquence.
Il convient de ne négliger ni l'introduction, ni la conclusion. L'introduction permet à la fois de réactiver les apprentissages antérieurs et de prendre la mesure des enjeux de la séquence. La conclusion doit, en permettant aux élèves d'exercer leur esprit critique, donner sens à l'étude effectuée.